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Article de revue

Bernard Dompnier, Stefania Nanni (éd.), La Mémoire des saints originels entre XVIe et XVIIIe siècle, Rome, École française de Rome, 2019, 562 p., ISBN 978-2-7283-1300-6

Pages 177 à 178

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1Résultat d’un programme de l’École française de Rome (2007-2010), cet ouvrage collectif entend renouveler l’approche de la sainteté aux xvie-xviiie siècles, habituellement axée sur l’étude des figures de saints catholiques plus récents. Portés par le courant de l’histoire de la mémoire, à l’instar des travaux de J.-M. Sallmann sur les saints du royaume de Naples ou de ceux que Bernard Dompnier et Stefania Nanni ont déjà dirigés sur saint Alexis, les auteurs de ce livre questionnent la présence, la permanence, le regain de ferveur voire la réappropriation dans un contexte tridentin de saints anciens que les éditeurs nomment « originels ». Ils sont définis comme appartenant au temps des origines du christianisme et présents dans le substrat religieux et mental depuis des siècles. Certains jouent un rôle dans l’identité religieuse et politique de royaumes, principautés ou villes se référant à l’Antiquité ou adoptant de nouveaux patrons. L’exemple le plus emblématique de cette « religion civique » est probablement celui de saint Romain, dont la trajectoire médiévale et moderne est retracée par C. Vincent. L’histoire de cette figure fédératrice, évêque de Rouen devenu patron de la ville et par extension de la région normande, se voit adjoindre au xvie siècle des éléments légendaires construits au Moyen Âge. Son prestige se trouve alors renouvelé au début de l’époque moderne, sous l’égide des Amboise, maîtres de la ville. Dans le même esprit, la politique et la diplomatie de l’État savoyard, jusqu’au xixe siècle, intègrent les figures des saints Maurice, Laurent, Pierre, Paul et même de l’empereur Constantin afin d’asseoir sa légitimité (P. Cozzo).

2S’inscrivant dans le prolongement des études sur la circulation des reliques et la production hagiographique, les auteurs considèrent ces sources comme prioritaires. Toutefois, ils ne s’interdisent aucun type de source, préférant une diversité de documents devant permettre de rendre compte d’une sorte de patrimoine culturel commun. C’est la méthode proposée par J.-M. Le Gall, déjà auteur d’un ouvrage sur saint Denis à l’époque moderne, qui fournit un bon début à ce livre en utilisant les inspections des visites apostoliques du xviie siècle et un guide savant du xviiie pour étudier le contexte romain. La ville des papes s’avère être un véritable « conservatoire » d’antiquité païenne et chrétienne : les vieux saints sont majoritaires dans les titulatures d’églises, mais font surtout l’objet d’une grande vénération le jour de leur fête autour de leurs reliques. Le désir des fidèles de les voir ou les toucher via leurs chapelets en fait un support de piété privilégié et oblige les autorités, dans leurs visites, à demander des aménagements pour les protéger tout en les rendant visibles. En guise de méthode, les auteurs plaident pour une approche empirique faisant émerger des figures, rejetant ainsi l’idée d’un corpus de saints anciens, impossible à réaliser, ou d’un ensemble d’études de cas, résistants à la mise en relation. Ils privilégient une perspective d’approche ample, variant les échelles tout comme les champs d’application.

3Dans le domaine principal et traditionnel du culte et des dévotions, le poids de la tradition est fort, surtout dans la liturgie (dont les supports sont les martyrologes, les calendriers liturgiques et les litanies). À partir de 1588, celle-ci est encadrée par la Sacrée Congrégation des Rites (A. Delfosse). Toutefois, le calendrier liturgique n’est pas aussi figé qu’il y paraît, laissant certaines fêtes de saints s’élever en solennité. Cette volonté de « recharge sacrale », au sens où l’entendent A. Dupront et O. Christin, se repère dans la perpétuation et l’amplification des fêtes des reliques analysées par T. D’Hour, dans la continuation de son travail de thèse. Malgré la législation de la Congrégation des Rites, il s’avère que les diocèses français conservent et parfois ajoutent des fêtes des reliques d’évêques, de martyrs ou de la Passion du Christ. Son article met en exergue le cas d’Angers qui reçoit, en 1643, des reliques de saint Victor, un martyr de la légion thébaine. Celles-ci viennent s’ajouter à celles de saint Maurice, autre martyr de la même légion et saint patron de la cathédrale, dans une logique de renforcement de l’identité locale. Ces transferts peuvent être l’objet de fêtes à part entière, à savoir les offices des fêtes de translation de reliques qui, comme le montre B. Dompnier, augmentent à l’époque moderne, notamment chez les réguliers. Ils sont souvent réécrits pour devenir spécifiques au lieu où ils sont célébrés, en insistant généralement sur le récit du transport du corps saint. En réalité, ces vénérations sont tellement anciennes qu’elles résistent aux exigences de Rome mais aussi, plus généralement, aux suspicions de superstition venant des clercs ou même des protestants. Selon S. Cavallotto, la communauté luthérienne a conservé une dévotion portée sur les martyrs du christianisme primitif, devenant en quelque sorte des exemples pour les martyrs de la foi évangélique.

4Un trait particulier de l’époque influence l’écriture hagiographique : il s’agit de l’usage de l’érudition, héritée de l’humanisme, dans le champ des « sciences ecclésiastiques ». Cela ne se fait pas sans tension car il risque de mettre à mal l’édification des fidèles. Le texte que propose S. Nanni est à ce titre remarquable : elle décrit un moment d’entreprise érudite, au début du xviie siècle, sur la question de la pierre de porphyre rouge. Cette pierre tombale en porphyre était réputée avoir servi à la division des os des deux apôtres fondateurs de l’Église romaine, Pierre et Paul, et sa mise en valeur en a fait une pièce essentielle à l’affirmation de la dignité de la ville de Rome. Les éditeurs indiquent avoir cherché à intégrer le sujet dans le champ culturel, en n’oubliant pas le domaine théâtral des tragédies de martyrs, la littérature de colportage (L. Andries), ou la peinture religieuse. À cet égard et malgré cette promesse, il est peut-être regrettable de constater que seule la contribution d’A. Piéjus tente un réel croisement des sources textuelles classiques et iconographiques : des peintures ou des partitions de musique y sont dûment commentées en tant que sources à part entière. Certes, comme le rappelle justement J.-M. Le Gall, la dévotion moderne s’appuie davantage sur des reliques que sur des images miraculeuses. Mais l’image étant un support important de piété, il aurait été intéressant d’analyser de plus près l’iconographie d’un saint ancien et son évolution possible.

5Cela n’enlève rien de la qualité globale de cet ouvrage assez imposant, dont le résultat est la transcription de ce que tout historien du fait religieux à l’époque moderne a pu déceler, à savoir un fort attachement de la société dans son ensemble aux saints anciens. Il démontre que le renouveau de l’historiographie religieuse moderne passe par l’étude de tous les types de sainteté, même ceux qui paraissent à première vue évidents.

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