Couverture de RHMC_682

Article de revue

Marie-José Laperche-Fournel, Histoire de vie, récit de vie. Une famille de robe nancéienne au XVIIIe siècle, les Marcol, Milhaud, Beaurepaire, 252 p., 2019, ISBN 978-2-35767-300-7

Pages 169 à 171

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1Pour les lecteurs de l’histoire lorraine, l’autrice est connue. Marie-José Laperche-Fournel a déjà produit plusieurs études remarquées, comme celles sur la population du duché de Lorraine, sur l’intendance de Lorraine et Barrois (Paris 2006), sur les gens de finances (Colmar 2011), sur les représentations du massif vosgien (Paris 2013), lesquelles montrent qu’elle écrit une histoire qui ne reste pas rivée sur une mode. Fine connaisseuse des archives, elle sait les faire fructifier, comme elle l’a bien montré avec l’Affaire Alliot (Nancy 2008), la Plume et le Glaive (Milhaud 2017) et à présent avec ce nouvel ouvrage. À cette occasion, elle s’ancre dans le xviiie siècle lorrain et le monde de la robe, ici nancéienne, dans une Lorraine ducale qui vit les derniers feux de son indépendance. En travaillant sur la famille des Marcol pendant trois générations, elle nous amène à suivre une histoire familiale sur un peu plus d’un siècle, de 1672 à 1786, avec pour toile de fond les grands heurts de l’histoire ducale, jusqu’à l’intégration dans le royaume en 1766. Elle s’appuie avec force sur un écrit du for privé, un texte multigénérationnel débuté par Pascal Marcol, poursuivi par François-Pascal puis Pascal-Joseph, sans cacher qu’il ne s’agit cependant pas de l’original, disparu. Fort heureusement, une édition a priori complète du texte a été publiée au début du xxe siècle et nous permet d’approcher une famille de la noblesse de robe lorraine. Il n’est donc pas seulement question d’une étude de type biographique mais aussi de type prosopographique car à travers ces trois individus, c’est bien l’histoire d’un groupe – les magistrats d’Ancien régime – qui se dessine. C’est également l’histoire d’une terre et d’un État qui se profile, l’ancêtre des Marcol étant arrivé avec les troupes de Louis XIII en 1633, son fils Pascal étant quant à lui anobli par le roi en 1673, le servant notamment comme prévôt de Nancy puis subdélégué de l’intendant. Toutefois, les Marcol ne servent pas que la France : ils sont aussi dans les armées de l’empereur et au service des ducs Léopold, François et Stanislas. À ce titre, on les trouve, selon les ramifications familiales, à la lieutenance de bailliage, au conseil des finances, d’État et à la Cour souveraine dont les deux derniers personnages cités deviennent successivement procureur général. C’est donc bien l’histoire d’une ascension sociale qui se dévoile ici, selon des ressorts certes connus, mais qui amène à poser la question de l’identité – et de la fidélité au prince – de cette noblesse de robe dans une terre d’entre-deux. En effet, comme d’autres familles venues de France au gré des circonstances politiques, celle des Marcol s’ancre dans les duchés et devient lorraine : les changements politiques sous Stanislas constituent dès lors un bon indicateur pour tester les choix entre opportunisme, calcul et fidélité à une Maison princière.

2Pour ce faire, M.-J. Laperche-Fournel présente d’abord la famille et les moyens de son ascension sociale. Là, on retrouve un processus déjà connu, qui passe par le jeu des réseaux, des protections, d’une éducation choisie, ainsi que par un placement réfléchi de la progéniture dans le monde comme dans l’Église. Les Marcol, progressivement, se rapprochent à la fois des lieux de pouvoir et du quartier aristocratique, tout en travaillant à asseoir leur noblesse par l’acquisition de terres au fil des générations. On apprécie les nombreux détails fournis par l’autrice et qui permettent de bien appréhender la minutie à la fois de l’historienne et de cette famille de robe cherchant à se modeler à l’image du groupe nobiliaire auquel elle est à présent intégrée. À cet égard, une deuxième partie consacrée aux journaliers souligne à quel point l’acte d’écriture du for privé est ici un outil à même de forger une image et un imaginaire familiaux. D’autres événements, extra-familiaux, figurent bien dans ces journaliers, justifiant partiellement cette appellation car l’analyse présentée le montre bien ; avec trois rédacteurs successifs ayant pour objectif principal de parler de soi et des siens, l’historien est face à un écrit qui croise la chronique, les annales, les mémoires, mais qui n’est pas là pour tenir un discours lié à un régime de vérité. Les non-dits, débusqués par l’historienne, ne sont pas rares. Seul compte, finalement, ce qui fonde la mémoire familiale et tous les détails donnés dans les récits des Marcol l’indiquent, destinés à pleinement ancrer l’identité nobiliaire familiale. À cet égard, l’analyse du vocable employé par les rédacteurs pour désigner les membres de la famille souligne bien la volonté d’imprimer l’idée de noblesse et de la transmettre. De même, le caveau, en son usage, œuvre pour la mémoire familiale, aux yeux de tous.

3Il n’y a pas que ces questions d’identité qui sont traitées. L’autrice nous fait aussi entrer, autant que faire se peut, dans les sentiments familiaux, en abordant le regard porté sur les femmes, la question de la tendresse filiale, voire de l’amour entre époux, ce qui permet de tester à l’échelle de cette famille l’idée de la naissance des sentiments si souvent mise en avant avec le xviiie siècle. M.-J. Laperche-Fournel nous entraîne également, avec le traitement devenu classique des bibliothèques, dans la sphère culturelle de la famille Marcol. Si les bibliothèques constituent l’apanage des élites, elles ne se ressemblent pas toutes et celle des Marcol, transgénérationnelle, reste avant tout marquée par l’usage professionnel – le droit y tient une place majoritaire – même si des évolutions internes indiquent une élite qui se tourne davantage vers les questions du temps, vers l’histoire, sans négliger la religion. Avec la dernière partie, nous abordons le point essentiel des réseaux tissés par la famille, qui transpire du texte du journalier. Là aussi on appréciera le travail de recherche éclairant bien un texte qui demandait à être travaillé en ce sens. L’autrice n’en reste toutefois pas à ce qui pourrait apparaître comme le portrait idéal d’une famille de la noblesse de robe car elle montre bien les soucis familiaux et les tensions au sein de la Cour souveraine qui nous ramènent à la question politique de l’intégration de la Lorraine à la France, ici avec le choix des fidélités pour une famille venue de France, ayant servi la maison de Lorraine jusque dans l’Empire, puis celle de Stanislas, avant de retrouver la souveraineté française.

4En définitive : une belle étude, bien écrite et fortement documentée, qui nous amène à accompagner l’ascension sociale d’une famille de robe nancéienne, nous montrant à nouveau le profit à tirer de ces écrits du for privé. Tout n’est pas dit ici, comme le souligne elle-même M.-J. Laperche-Fournel. Si celle-ci a bien étudié la famille, l’homme public et le magistrat sont encore à explorer. Voilà un bel appel pour de nouveaux travaux, d’autant plus importants qu’ils permettront de mieux appréhender les relations interprofessionnelles ainsi que les liens avec le pouvoir politique : c’est aussi là un moyen de traiter à nouveaux frais la thématique de la fidélité nobiliaire et dynastique, au gré des aléas politiques de la Lorraine ducale.


Date de mise en ligne : 26/08/2021.

https://doi.org/10.3917/rhmc.682.0169
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