1Ouvrage collectif fruit d’une conférence organisée à l’Université de Floride en 2015, The Yamasee Indians propose pour la première fois une synthèse exclusivement consacrée à l’histoire de cette population amérindienne du sud-est de l’Amérique du Nord. Celle-ci est principalement connue pour son rôle déclencheur dans la guerre dite « Yamasee » – le soulèvement coordonné et le massacre de colons de Caroline du Sud en 1715 dans plusieurs villages indiens (Yamasee, Creek et Cherokee notamment) en réaction contre les abus et les violences des traiteurs. Loin de se réduire à un groupe marginal et peu documenté, les Yamasee se révèlent être un acteur clé pour comprendre l’histoire de cette région. Comme le note l’éditrice du volume, l’historienne Denise Bossy, mettre au jour les trajectoires historiques complexes de cet ensemble de groupes amérindiens entraîne un bouleversement profond de notre compréhension des dynamiques et des reconfigurations d’alliances dans l’espace colonial que se disputent Espagnols et Britanniques entre la fin du xviie siècle et le début du xixe. Cette synthèse doit beaucoup aux travaux pionniers de l’historien et archéologue J.E. Worth (qui signe un article dans ce volume) sur les missions espagnoles installées sur la côte atlantique de l’actuelle Géorgie. Avant lui en particulier, ni les sources espagnoles, pourtant abondantes, ni les résultats des campagnes de fouilles archéologiques n’avaient été pleinement mobilisés. Or, c’est bien le croisement de cette diversité de sources qui permet ici aux contributeurs de suivre et de restituer, à différentes échelles ou sur des durées étendues, une image cohérente des circulations et de diverses formes d’interactions impliquant les Yamasee, au sein de réseaux d’acteurs et dans des espaces aux définitions et aux allégeances mouvantes ou faiblement déterminées.
2Dans sa préface, A. Gallay insiste sur le rôle primordial des Yamasee dans la traite esclavagiste amérindienne et, inversement, sur l’importance de celle-ci pour leur histoire moderne. Comme de nombreux autres groupes du Sud-Est en effet, entre le milieu du xviie siècle et la première décennie du xviiie, les Yamasee passent du rôle de victimes privilégiées des raids à celui de principaux partenaires commerciaux impliqués dans la traite amérindienne vers Charlestown en Caroline du Sud. Pour les groupes amérindiens, loin dans l’intérieur du continent, les effets de bouleversement – démographique, politique et social – de cette traite très précoce ont longtemps été sous-estimés (on parle désormais volontiers de « zones de bris », shatter zones).
3La première partie (Yamasee Identity) rassemble les contributions qui s’intéressent à la formation (ethnogenesis) de l’ensemble désigné par les Espagnols puis par les Britanniques comme Yamasee. Des articles d’archéologues (K. Ashley ; E. Poplin et J. Marcoux ; A. Sweeney) s’intéressent à l’installation de groupes venus du piémont oriental des Appalaches, qui fuient les raids esclavagistes et trouvent refuge à proximité des missions littorales espagnoles des Guale et des Mocama, aux traces matérielles laissées par ces interactions précoces et aux changements culturels qu’elles documentent. L’historienne A. Bushnell dresse un tableau très suggestif de la stratégie persistante et systématique de mobilité des Yamasee, associée à leur refus d’intégrer par la conversion le système des missions ou de s’allier sans conditions au système colonial carolinien.
4Les deuxième et troisième parties (respectivement Yamasee Networks et Surviving the Yamasee War) rassemblent les articles qui proposent le renouvellement de perspective le plus intéressant sur ce groupe et sur l’histoire de cette région au xviiie siècle. D. Bossy, à travers l’examen du voyage diplomatique d’un « Prince Yamasee » à Londres entre 1713 et 1715, interroge les stratégies politiques d’alliance de certains lignages des communautés yamasee installées en Caroline du Sud. J. Landers examine le rôle et la trajectoire des populations esclaves noires, alliées aux Yamasee dans leur soulèvement contre les traiteurs caroliniens puis aux Espagnols dans les guerres contre les Britanniques, et le statut de leur installation en Floride durant le xviiie siècle. S. Hahn, s’interrogeant sur la durée du conflit yamasee, propose une relecture très stimulante de ses conséquences sur les relations entre groupes amérindiens du Sud-Est, en adoptant la perspective de l’antagonisme entre les Yamasee et les Creek, dont les épisodes de violence s’échelonnent jusqu’aux années 1740. Signalons, parmi les contributions remarquables qui examinent le devenir des communautés yamasee dans la deuxième moitié du xviiie siècle, l’article de S. Richbourg Parker qui suit sur près d’un siècle, entre Caroline, Floride espagnole et Cuba, le devenir et l’intégration à la société coloniale d’un lignage « noble » de Guale-Yamasee : les Huspaw/ Jospo (gue).
5La qualité et l’ampleur des sources mobilisées, souvent inédites, et le soin apporté au dialogue entre historiens et archéologues, signalent cette synthèse très fouillée comme une contribution essentielle offrant une perspective neuve et convaincante sur l’histoire du littoral atlantique du sud-est de l’Amérique du Nord à l’époque moderne.