Couverture de RHMC_633

Article de revue

Voltaire et le droit de punir. Un activiste du moment Beccaria

Pages 88 à 109

Notes

  • [1]
    Raymond TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme. Textes sur la justice et la tolérance présentés et annotés par Raymond Trousson, Bruxelles, Centre d’action laïque, 1994, p. 309. Dernier ouvrage de l’auteur de cet article : Michel PORRET, Élisabeth SALVI (éd.), Cesare Beccaria. La controverse pénale, XVIIIe-XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, dont : M. PORRET, « Le moment Beccaria », p. 15-38. Sur les juristes évoqués infra : Patrick ARABEYRE, Jean-Louis HALPÉRIN, Jacques KRYNEN (éd.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, Paris, PUF, 2007. Sur les décrets de la censure pontificale cités infra : Jésus Martinez DE BUJANDA, Index Librorum prohibitorum 1600-1966, Montréal et Genève, Médiaspaul et Droz, 2002.
  • [2]
    Cet article s’appuie sur une contribution parue dans les Cahiers Voltaire, 8, 2009, p. 7-28, remaniée et augmentée pour la RHMC.
  • [3]
    Œuvres complètes de Voltaire, vol. 1, Vie de Voltaire, Paris, Esneaux, 1833, « Apothéose », p. 570.
  • [4]
    Essentiel sur l’œuvre voltairienne et sa réception : Jean GOULEMOT, André MAGNAN, Didier MASSEAU (éd.), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995. Sur le profil biographique de Voltaire : François JACOB, Voltaire, Paris, Gallimard, 2015.
  • [5]
    Immanuel KANT, « Beantwortung der Frage : Was ist Auf klärung ? », Berlinische Monatsschrift, 4-12, 1784, p. 481-494 ; traduction (Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ?) et dossier complet de la polémique religieuse à laquelle participe Kant dans Jean MONDOT (éd.), Qu’est-ce que les Lumières ? [1991], Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007.
  • [6]
    M. PORRET (éd.), Sens des Lumières, Genève, Georg, 2008.
  • [7]
    Zeev STERNHELL, Les anti-Lumières. Du XVIIIe siècle à la Guerre froide, Paris, Fayard, 2006, « Introduction », p. 7-46. Voir aussi D. MASSEAU, Les ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000 ; ID., « Qu’est-ce que les anti-Lumières ? », Dix-Huitième siècle, 46, 2014, p. 107-123.
  • [8]
    Bronislaw BACZKO, « Les peurs de la terreur », in Jacques BERCHTOLD, M. PORRET (éd.), La peur au XVIIIe siècle : discours, représentations, pratiques, Genève, Droz, 1994, p. 69-86, p. 84-85. Discours d’Alexandre SOLJENITSYNE, « Les Lumières, matrice diabolique du totalitarisme », prononcé à l’Académie des sciences (Moscou), le 13 décembre 2000 (https://bibliothequedecombat.wordpress.com/2014/04/24/).
  • [9]
    Isaiah BERLIN, La liberté et ses traîtres, six ennemis de la liberté [2002], Paris, Payot & Rivages, 2007 (conférences prononcées à la BBC dans les années 1950) ; Z. STERNHELL, Les anti-Lumières…, op. cit., p. 39.
  • [10]
    Alain TOURAINE, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992 ; Jean-Claude GUILLEBAUD, La trahison des Lumières. Enquête sur le désarroi contemporain, Paris, Seuil, 1995, p. 57-60.
  • [11]
    VOLTAIRE, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations et sur les principaux faits de l’histoire depuis Charlemagne jusqu’à Louis XIII, éd. René POMEAU, 2 vol., Paris, Garnier, 1963.
  • [12]
    Nous renvoyons aux trois volumes de B. Garnot emblématiques de ce révisionnisme historiographique : Benoît GARNOT : C’est la faute à Voltaire… : une imposture intellectuelle ?, Paris, Belin, 2009 ; ID., Voltaire et l’affaire Calas. Les faits, les interprétations, les enjeux, Paris, Hatier, 2013 ; ID., Voltaire et Charlie, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2015.
  • [13]
    M. PORRET, « À la une de Surveiller et punir : l’anachronisme du supplice de Damiens », in Marco CICCHINI, ID. (éd.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Antipodes, 2007, p. 111-124. Outre les premières pages de Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, sur le retentissement social et l’enjeu politico-pénal du cas Damiens : Pierre RÉTAT (éd.), L’attentat de Damiens : discours sur l’événement au XVIIIe siècle, Paris et Lyon, CNRS Éditions et Presses universitaires de Lyon, 1979 ; Dale VAN KLEY, The Damiens Affair and the Unraveling of the Ancien Regime (1750-1770) [1984], Princeton, Princeton University Press, 2014.
  • [14]
    Antoine LILTI, Figures publiques. L’invention de la célébrité, 1750-1850, Paris, Fayard, 2014, p. 25-37.
  • [15]
    B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 15 et 21.
  • [16]
    Marc ANGENOT, La parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
  • [17]
    B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 22.
  • [18]
    ID., C’est la faute…, op. cit., p. 5.
  • [19]
    ID., Voltaire et Charlie, op. cit., p. 47.
  • [20]
    Ibidem, p. 48, nous soulignons.
  • [21]
    Ibidem, p. 42 et 50.
  • [22]
    M. FOUCAULT, Surveiller…, op. cit.
  • [23]
    Pour tout le passage suivant, B. GARNOT, Voltaire et l’affaire Calas…, op. cit., p. 11-29.
  • [24]
    Ibidem, p. 88-90 ; ID., Voltaire et Charlie, op. cit., p. 49-50, nous soulignons.
  • [25]
    Keith Michael BAKER, Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique au XVIIIe siècle [1990], Paris, Payot, 1993 ; Jürgen HABERMAS, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise [1962], Paris, Payot, 1997 ; Mona OZOUF, « Le concept d’opinion publique au XVIIIe siècle », in EAD., L’Homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, p. 21-53 ; Dominique REYNIÉ, Le triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 1998.
  • [26]
    Pour ce passage, B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 9 ; ID., C’est la faute…, op. cit., p. 13-22, 22-27, 132 ; ID., Voltaire et l’affaire Calas…, op. cit., p. 87.
  • [27]
    VOLTAIRE, Traité sur la tolérance [1763] (sur le modèle de l’Essai sur les mœurs), éd. René POMEAU, Paris, Flammarion, 1989.
  • [28]
    B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 5-6 ; nous soulignons.
  • [29]
    ID., Voltaire et l’affaire Calas…, op. cit., p. 86, 89, 91.
  • [30]
    ID., C’est la faute…, op. cit., p. 136 et p. 9.
  • [31]
    M. FOUCAULT, Résumé des cours, 1970-1982, Paris, Julliard, 1988, p. 29-51 ; Mario SBRICCOLI, Storia del diritto penale e della giustizia – Scritti editi e inediti (1972-2007), 2 vol., Milan, Giuffrè, 2009, dont « Giustizia criminale », vol. 2, p. 3-44.
  • [32]
    MONTESQUIEU, De l’esprit des Lois [1748], éd. Robert DERATHÉ, Paris, Garnier, 1973, vol. 1, 6, VIII ; M. PORRET, Le crime et ses circonstances. De l’esprit de l’arbitraire au siècle des Lumières selon les réquisitoires des procureurs généraux de Genève, Genève, Droz, 1995 (Index général, « Arbitraire limité ou ordonné », p. [535]).
  • [33]
    Coutume générale des pays et duché de Bourgogne, avec le commentaire de Monsieur Taisand […], Dijon, Ressayre, 1698, p. 44 ; François-Ignace DUNOD DE CHARNAGE, Observations sur les titres des droits de justice, des fiefs, des cens, des gens mariés et des successions de la coutume du comté de Bourgogne, avec des traités à l’usage de la même province […], Besançon, Daclin, 1756, p. 81.
  • [34]
    Fortunato Bartolomeo DE FELICE (éd.), Code de l’humanité ou la législation universelle, naturelle, civile et politique, avec l’histoire littéraire des plus grands hommes qui ont contribué à la perfection de ce code, Yverdon, De Felice, 1778, vol. 6, p. 745.
  • [35]
    Recueil des Édits, Déclarations, Lettres-patentes, Arrêts et Réglements du Roi, registrés en la Cour du Parlement de Normandie, depuis l’année 1764, jusqu’en 1771, première partie, Rouen, Lallemant, 1774, p. 43 (« Arrêt du Parlement, qui fait défenses d’enterrer les Suppliciés sans une Permission, 21 juillet 1755 »).
  • [36]
    Pascal BASTIEN, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Seyssel, Champ Vallon, 2006 ; Richard J. EVANS, Rituals of Retribution. Capital Punishment in Germany, 1600-1987, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; M. FOUCAULT, Surveiller…, op. cit. ; Paul FRIEDLAND, Seeing Justice Done. The Age of Spectacular Capital Punishment in France, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; Pieter SPIERENBURG, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression : From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
  • [37]
    Code criminel de l’Empereur Charles V, vulgairement appelé la Caroline, contenant les lois qui sont suivies dans les Juridictions Criminelles de l’Empire : et à l’usage des Conseils de Guerre des Troupes Suisses, Paris, Simon, 1734 [1530, 1532 dans les États de l’Empire], art. CXXX, p. 210-211.
  • [38]
    Archives d’État de Genève (désormais AEG), Procès criminel (PC), série I, 8 960, 1743 (leçon en partie modernisée).
  • [39]
    AEG, PC, série I, 10 641, 1759, sentence définitive.
  • [40]
    MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, op. cit., 6, XII.
  • [41]
    Bernard SCHNAPPER, « Les peines arbitraires du XIIIe au XVIIIe siècle (Doctrines savantes et usages français) », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis/Revue d’histoire du Droit/The Legal History Review, 41-2, 1973, p. 237-277 et 42-1, 1974, p. 81-112 ; Franco VENTURI, Utopia e riforma nell’Illuminismo [1970], Turin, Einaudi, 2001. Voir aussi Jean CARBONNIER, Essai sur les lois, Paris, Répertoire notarial Defrenois, 1979 ; James HEATH, Eighteenth-Century Penal Theory, Oxford, Oxford University Press, 1963 ; Frederick ROSEN, « Utilitarianism and the reform of the criminal law », in Mark GOLDIE, Robert WOKLER (éd.), The Cambridge History of Eighteenth-Century Political Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 547-572.
  • [42]
    Carlo CAPRA, I progressi della ragione. Vita di Pietro Verri, Bologne, Il Mulino, 2002 ; Gianni FRANCIONI, Sergio ROMAGNOLI (éd.), « Il Caffè », 1764-1766, Turin, Bollati Boringhieri, 1993 ; Raymond ABBRUGIATI (éd.), Le café, 1764-1766, Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1997 (édition bilingue).
  • [43]
    Cesare BECCARIA, Des délits et des peines [1764], Genève, Droz, 1965 ; s’y ajoutent deux traductions récentes : Des délits et des peines – Dei delitti e delle pene, introduction, traduction et notes de Philippe AUDEGEAN, texte italien établi par G. FRANCIONI, Lyon, ENS Éditions, 2009 ; Des délits et des peines, traduction et notes d’Alessandro FONTANA et Xavier TABET, Paris, Gallimard, 2015.
  • [44]
    M. PORRET (éd.), Beccaria et la culture juridique des Lumières, Genève, Droz, 1997 ; Jean GRAVEN, « Beccaria et l’avènement du droit pénal moderne (1738-1794) », in Grandes figures et grandes œuvres juridiques, Genève, Librairie de l’Université, 1948, p. 97-186 ; M. PORRET, « Voltaire et le “vol domestique” à la lumière du droit pénal », in J. BERCHTOLD, ID. (éd.), Être riche au siècle de Voltaire. Actes du colloque de Genève (18-19 juin 1994) ; études d’histoire et de littérature, Genève, Droz, 1996, p. 255-278 ; Frederic Herbert MAUGHAM, The Case of Jean Calas, Londres, Heinemann, 1928 ; Ghislain WATERLOT, Voltaire. Le procureur des Lumières, Paris, Michalon, 1996.
  • [45]
    B. GARNOT, C’est la faute…, op. cit., p. 136.
  • [46]
    Émile DURKHEIM, L’année sociologique, 4, 1899-1900, p. 65-96 ; Adriano PROSPERI, Delitto et perdono. La pena di morte nell’orizzonte mentale dell’Europa cristiana. XIV-XVIII secolo, Turin, Einaudi, 2013, p. 5-90.
  • [47]
    Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE (éd.), Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, vol. 1, Berlin et Paris, Desauges, 1782, p. XII-XIV ; Le prix de la justice et de l’humanité, par M. de Voltaire, se trouve au tome 5 ; Brissot publie le gotha du réformisme pénal ; voir tome 10, « Table alphabétique des auteurs cités », Voltaire, p. 389. Sur son réformisme pénal : Giovanna CAVALLARO, J. P. Brissot criminalista al tramento dell’ancien régime, Ferrare, Editrice Universitaria, 1981, p. 47-173.
  • [48]
    R. TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme…, op. cit., p. 381.
  • [49]
    Jim CHEVALLIER (éd.), The Old Regime Police Blotter II. Sodomites, Tribads and « Crimes against Nature ». Early Moderne True Crime, North Hollywood, Chez Jim Books, 2010 (Deschauffours, p. 88-161) ; Janine GARRISSON, L’affaire Calas. Miroir des passions françaises, Paris, Fayard, 2004 ; Michael KWASS, Contraband. Louis Mandrin and the Making of a Global Underground, Cambridge, Harvard University Press, 2014 ; Patrice PEVERI, « Clandestinité et nouvel ordre policier dans le Paris de la Régence : l’arrestation de Louis-Dominique Cartouche », in Sylvie APRILE, Emmanuelle RETAILLAUD-BAJAC (éd.), Clandestinités urbaines : les citadins et les territoires du secret (XVIe-XXe), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 151-170 (bibliographie des nombreux travaux de l’auteur sur le sujet) ; VOLTAIRE, L’Affaire du chevalier de La Barre ; précédé de L’Affaire Lally, Paris, Gallimard, 2008.
  • [50]
    Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens tant en la Prévôté de l’Hôtel, qu’en la Cour du Parlement, 4 vol., Paris, Simon, 1757 ; vol. 1, « Précis historique concernant R. F. Damiens », p. V-LXXXIV.
  • [51]
    Nicolas-Edme RÉTIF DE LA BRETONNE, Les nuits de Paris ou le spectateur-nocturne [1788], Paris, Gallimard [1986], 1987, « Dixième nuit : le rompu », p. 56-57 (nos italiques).
  • [52]
    Sarah MAZA, Vies privées, affaires publiques. Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire [1993], Paris, Fayard, 1997.
  • [53]
    Nicolau EYMERICH, Francisco PEÑA, Le manuel des inquisiteurs [1376, 1578], éd. Louis SALAMOLINS, Paris et La Haye, Mouton, 1973 ; André MORELLET, Abrégé du manuel des inquisiteurs [1762], Grenoble, Jérôme Millon, 1990.
  • [54]
    VOLTAIRE, Commentaire sur le livre Des Délits et des peines, par un avocat de province, [Genève, Grasset], 1766, cité selon R. TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme…, op. cit., p. 302.
  • [55]
    VOLTAIRE, Essai sur les mœurs…, op. cit., vol. 1, p. 366-367.
  • [56]
    ID., Le siècle de Louis XIV [1753], in Œuvres historiques de Voltaire, éd. René POMEAU, Paris, Gallimard, 1957, p. 972 ; Yves JEANCLOS, La législation pénale de la France du XVIe au XIXe siècle : textes principaux, Paris, PUF, 1996, « Ordonnance criminelle », p. 22-43.
  • [57]
    Œuvres historiques…, op. cit., Précis du siècle de Louis XV, p. 1530.
  • [58]
    VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique [1764], éd. Raymond NAVES et Julien BENDA, Paris, Garnier, 1967, articles cités : voir « Table des matières », p. 629-632.
  • [59]
    Charles-Clément-François DE L’AVERDY, Code pénal ou recueil des principales ordonnances, édits et déclarations sur les crimes et délits. Seconde édition augmentée d’un Essai sur l’esprit et les motifs de la procédure criminelle, Paris, Desaint et Saillant, 1755 ; François SERPILLON, lieutenant général d’Autun, hostile à la torture judiciaire, a laissé un Code criminel ou Commentaire sur l’Ordonnance de 1670, Lyon, Périsse, 1767, dont la modernité réside dans son projet codificateur. Voir Yves CARTUYVELS, D’où vient le Code pénal ? Une approche généalogique des premiers codes pénaux absolutistes au XVIIIe siècle, Bruxelles, De Boeck Université etc., 1996.
  • [60]
    Muyart de Vouglans a laissé deux types d’écrits. D’une part, de la doctrine : Pierre-François MUYART DE VOUGLANS, Institutes au droit criminel, ou principes généraux en ces matières, […] avec un traité particulier des crimes, Paris, Le Breton, 1757 ; ID., Instruction criminelle suivant les loix et ordonnances du royaume, Paris, Desaint, 1762 ; ID., Les loix criminelles de France dans leur ordre naturel ([suivi de] Réfutation du Traité des délits et des peines, Mémoire sur les peines infamantes et Motifs de ma foi en Jésus-Christ ; ou points fondamentaux de la Religion chrétienne, discutés suivant les principes de l’Ordre judiciaire), Paris, Merigot, Crapart et Morin, 1780 ; à la doctrine pénale, s’ajoutent les pamphlets contre la philosophie : ID., Réfutation des principes hasardés dans le Traité des délits et peines, Lausanne et Paris, Desaint, 1767 ; ID., Lettre de l’auteur des loix criminelles au sujet des nouveaux plans de réforme proposés en cette matière, s.l., [1781] ; ID., Lettre sur le système de l’auteur de L’Esprit des lois, touchant la modération des peines, Bruxelles et Paris, Durand et Belin, 1785 ; Voir : M. PORRET, « Les “lois doivent tendre à la rigueur plutôt qu’à l’indulgence”. Muyart de Vouglans versus Montesquieu », Revue Montesquieu, 1, 1997, p. 65-95 ; ID., « Atténuer le mal de l’infamie : le réformisme conservateur de Pierre-François Muyart de Vouglans », Crime, histoire & sociétés, 4-2, 2000, p. 95-120.
  • [61]
    P. F. MUYART DE VOUGLANS, Réfutation…, op. cit., p. 825-826.
  • [62]
    Jean DOMAT, Les loix civiles dans leur ordre naturel [1689], vol. 1, Luxembourg, Chevalier, 1702, p. I-II (« Traité des loix », I).
  • [63]
    Augustin NICOLAS, Si la torture est un moyen seur à vérifier les crimes secrets : dissertation morale et juridique [1681], Marseille, Lafitte Reprints, 1982, passim.
  • [64]
    Antoine LOUIS, Mémoire sur une question anatomique relative à la jurisprudence : dans lequel on établit les principes pour distinguer, à l’inspection d’un corps trouvé pendu, les signes du Suicide d’avec ceux de l’Assassinat, Paris, Cavelier, 1763 ; M. PORRET, « Calas innocent : les preuves par la science », L’Histoire, 323, 2007, p. 68-73.
  • [65]
    Dès 1789, la noblesse parisienne exige la réhabilitation du supplicié (« cahiers de doléances »). Or, il revient à la Convention régicide de réhabiliter le jeune aristocrate (15 novembre 1793).
  • [66]
    Cité selon R. TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme…, op. cit., p. 301-389.
  • [67]
    Dario IPPOLITO, Diritti e potere. Indagini sull’Illuminismo penale, Rome, Aracne, 2012, p. 84-102.
  • [68]
    Cyprian BLAMIRES, The French Revolution and the Creation of Benthamism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2008 ; Michael IGNATIEFF, A Just Measure of Pain. The Penitentiary in the Industrial Revolution 1750-1850. Londres, Macmillan, 1978.
  • [69]
    Écho à la vulgate du réformisme, les cahiers de doléances du tiers exigent collectivement la « réformation générale du droit criminel » – rejet de l’arbitraire, des lettres de cachet, des supplices et de l’usage immodéré de la mort pénale. S’y ajoutent les revendications pour l’égalité sociale en justice ainsi que la légalité des peines qu’instaurera le Code pénal. L’esprit de Beccaria, relayé par Voltaire, inspire le législateur révolutionnaire qui légalise le libéralisme pénal des Lumières et renverse l’ordre institutionnel traditionnel, sans pouvoir abolir la mort pénale ; Albert DESJARDINS, Les cahiers des États généraux de 1789 et la législation criminelle, Paris, Durand & Pedone-Lauriel, 1883. Sur la justice pénale construite dès 1789 : Robert BADINTER (éd.), Une autre justice, 1789-1799. Contributions à l’histoire de la justice sous la Révolution française, Paris, Fayard, 1989, ainsi que les livres de référence de Jacqueline Lucienne LAFON, La Révolution française face au système judiciaire d’Ancien Régime, Genève, Droz, 2001 et de Roberto MARTUCCI, La Costituente ed il problema penale in Francia (1789-1791), 1. Alle origini del processo accusatorio : i decreti Beaumetz, Milan, Giuffrè, 1984, p. 3-89. Sur le contexte politique du Code pénal (1791, 1810) : Pierre LASCOUMES, Pierrette PONCELA, Pierre LENOËL, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du Code pénal, Paris, Hachette, 1989.
  • [70]
    Alexis DE TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution [1856], Paris, Gallimard, 1986, p. 230.
« Le mal est venu de cette idée qu’il faut venger la Divinité […] si l’on se conduisait par cette dernière idée, quelle serait la fin des supplices ? Si les lois des hommes ont à venger un être infini, elles se régleront sur cette infinité […] »,
Montesquieu, Esprit des Lois, 1748, 12, iv.
« Il est absurde qu’un insecte croie venger l’être suprême. Ni un juge de village, ni un juge de ville, ne sont des Moïse et des Josué »,
Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines par un avocat de Province, 1766 [1].

1 Le 11 juillet 1791, dans la liesse parisienne, alors que le clergé outré boude la cérémonie d’apothéose, la Révolution fait transférer de la Bastille au Panthéon la dépouille de Voltaire mort en 1778 [2]. Déposé sur un char, tiré par douze chevaux gris-blanc attelés sur quatre de front qui guident des patriotes vêtus à l’antique, suivi de députations politiques et juridiques (Assemblée nationale, département, municipalité, cours de cassation, juges) et d’un corps de cavalerie fermant le cortège, le sarcophage du philosophe humaniste porte trois inscriptions mémorielles pour sa renommée éternelle. L’une d’elles rappelle qu’il « vengea Calas, La Barre, Sirven et Montbailli » [3]. Convertissant le patriarche de Ferney en précurseur des droits de l’homme contre la féodalité, la nation unanime célèbre le militantisme philosophique et le réformisme pénal de l’auteur de Candide ou l’optimisme (1759, mis à l’Index le 24 mai 1762), adversaire des supplices dont la rareté n’efface pas l’atrocité [4].

2 Le siècle de Voltaire reste celui de la construction intellectuelle, anthropologique et sociale de la seconde modernité des individus sommés d’oser savoir (Sapere aude) pour atteindre leur majorité morale selon Kant. Dans le cadre d’une polémique religieuse, le philosophe y donnait la première définition moderne des Lumières [5]. Mais avec le renouvellement méthodologique de l’historiographie contemporaine, cette conception du sens des Lumières est devenue plurielle, souvent relativiste, parfois désenchantée [6]. Dans le prisme social du désarroi politique et moral contemporain, l’historien des idées Zeev Sternhell établit la généalogie intellectuelle des penseurs hostiles à la modernité démocratique et professant une idéologie « anti-Lumières » (concept certainement dû à Nietzsche) [7]. Affirmé depuis la fin du XVIIIe siècle, ce mouvement de pensée valide une philosophie de l’histoire antirationaliste et anti-intellectuelle pour glorifier la tradition religieuse, politique et familiale, le « culte du particulier » et le « refus de l’universel ». À lire, par exemple, l’œuvre infiniment polémique d’Augustin Barruel (Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1798-1799), le procès politico-moral intenté aux Lumières, parfois au nom du christianisme, se prolonge dans celui que l’on instruit contre la Révolution, puisque Voltaire et Rousseau seraient les précurseurs philosophiques des jacobins régicides. Cette tradition intellectuelle, qualifiée de réactionnaire par certains, récuse ontologiquement les « Lumières franco-kantiennes » en faveur d’une vision conservatrice du monde hostile, on le sait, à l’« instauration des libertés anglaises », aux deux déclarations des droits de l’homme, ainsi qu’aux révolutions américaine et française.

Incriminer les Lumières

3 Après la chute du communisme stalinien, l’idéologie contemporaine néoconservatrice propose une « autre modernité ». Elle entérine la tradition réactionnaire hostile au libéralisme des Lumières pour discréditer l’universalisme des droits naturels dont elles furent la matrice. In fine, elle refuse à la « raison aussi bien la capacité que le droit de façonner la vie des hommes », donc de les autonomiser, ajoute Sternhell. La « décadence moderne » culmine dans le régime démocratique. Celui-ci résulte du volontarisme séculier qui, après 1750, via la Révolution, détruit l’« harmonie spirituelle » de la société holistique de l’Ancien Régime, celle où l’autorité « naturelle » assumait les hiérarchies fondées sur le particularisme confessionnel du ressort politique, la soumission religieuse, les privilèges juridiques et les distinctions sociales qui en découlent.

4 Dès l’aube du XXe siècle, le libéralisme conservateur, hostile aux Lumières, récuse les ennemis de la « modernité antirationaliste », soit les « philosophes » de l’autonomie morale – Rousseau, Kant et Voltaire, que le pasteur luthérien Herder fustigeait déjà à la fin du XVIIIe siècle au nom de la pérennité morale et spirituelle formant les individus dans la glèbe du christianisme. Seule une philosophie anachronique de l’histoire, que Bronislaw Baczko a récusée, peut voir la responsabilité des Lumières et de la Révolution française dans les crises démocratiques du XXe siècle et les retrouver dans l’expérience politique des régimes totalitaires comme dans celle de l’« humanisme directif », leur aboutissement [8]. Pour l’historien des idées Isaiah Berlin, penseur néo-burkien des Lumières au cœur de la guerre froide, Rousseau incarne l’autoritarisme antilibéral, alors que le bolchévisme représente la version moderne du jacobinisme égalisateur. Selon l’« école totalitaire », de l’utopie des Lumières au goulag via le nazisme, s’affirmerait la continuité idéologique entre le spinozisme, l’humanisme rationnel du siècle de Voltaire et l’antilibéralisme [9].

5 Toujours recommencée, la croisade contre les Lumières culmine avec le désenchantement politique. Après les mises en garde socioculturelles d’Alain Touraine contre le relativisme des valeurs démocratiques et l’anathème jeté sur le rationalisme franco-kantien, Jean-Claude Guillebaud évoque la « trahison des Lumières » pour désigner aujourd’hui la fabrication sociale quasi banalisée du « consensus inégalitaire » contre les aspirations universalistes au bien qu’a léguées le XVIIIe siècle [10]. Toutefois dépourvue de sa composante autoritaire – retour à l’Ancien Régime chez Barruel, enterrement de l’individualisme voltairien par le fascisme pour Croce, destruction de la République par l’État français chez Maurras – la croisade anti-Lumières suit aussi la voie « objective » et académique du néopositivisme historiographique pour contester « scientifiquement » les « philosophes » et leur conception de l’Histoire.

6 Publiée en avril 1765, au cœur de la lutte contre l’infâme, rééditée huit fois la même année, censurée à Genève, Paris, Amsterdam et à Rome, devenant en 1769 dans les Œuvres complètes publiées chez Cramer l’introduction de l’Essai sur les mœurs paru en 1756, montrant que la religion résulte du social pour donner sens au monde invisible, La Philosophie de l’histoire par feu l’abbé Bazin (mise à l’Index le 12 décembre 1768) permet à Voltaire de forger le concept moderne de « philosophie de l’histoire » [11]. Il veut penser philosophiquement et comparativement l’histoire moderne, les mœurs et les institutions sociales ou politiques, dans le prisme d’une morale naturelle universelle et surtout selon une démarche critique envers les mythologies, le christianisme et le judaïsme. Refusant l’apologie, l’histoire philosophique brise avec l’érudition et l’objectivité factuelle que revendiquera le positivisme historiographique du XIXe siècle.

7 Toujours relativiste aujourd’hui encore, le révisionnisme historiographique conteste la modernité des Lumières. Il repousse les philosophes qui militent pour l’émancipation morale des individus en voulant les détacher des sphères coercitives de l’autorité traditionnelle. Bricolage méthodologique, collage de citations mal remises en leur contexte littéraire, autocitation, méconnaissance des études voltairiennes et coup de gueule pamphlétaire : l’idéologie anti-Lumières s’en prend au début du XXIe siècle à la philosophie politique de Voltaire – tolérance, liberté d’expression, régime de vérité, réformisme juridique [12].

8 Quarante ans après Surveiller et punir. Naissance de la prison de Michel Foucault (1975), qui instaure le supplice en 1757 du régicide Damiens en idéaltype de la punition à l’âge classique [13], le révisionnisme historiographique tente de déconsidérer la modernité critique de Voltaire face à la justice de son temps. Qualifiée d’« imposture intellectuelle », son projet conditionne la mystification de ceux (historiens des idées, intellectuels, militants, etc.) qui en font le champion des droits de l’homme dans le monde d’aujourd’hui, miné par la postmodernité éthique. Antienne des pamphlets réactionnaires depuis l’aube du XIXe siècle, la figure abominable du patriarche de Ferney reprend du service, même au prix d’un anachronisme socioculturel sidérant demandant si « Voltaire aurait été Charlie ? »

Voltaire avait donc tort

9 Le philosophe ne saurait être l’icône des droits de l’homme, car il est « raciste », « antisémite », « homophobe », « sexiste », et incestueux. Il vit « maritalement » avec sa nièce mais vomit en public l’immoralité paternelle de Rousseau qui abandonne ses enfants à l’assistance publique comme maints miséreux sous l’Ancien Régime ! Cet antilibéral devient un censeur intellectuel, comme le révélerait son animosité cruelle envers Jean-Jacques Rousseau ou La Beaumelle. À l’ombre de ceux qui menacent Salman Rushdie au XXe siècle, Voltaire prônerait le « meurtre légal », soit la « fatwa » contre ses ennemis littéraires, avec une cinglante ironie pamphlétaire : « Il faut lui apprendre [Rousseau] que si on châtie légèrement un romancier, on punit capitalement un séditieux ». Voltaire serait le parangon de la censure littéraire si, comme le suggère Voltaire et Charlie, on oubliait la nature pamphlétaire de la parole voltairienne, sa mimèsis judiciaire, ses charges ironiques, son imaginaire provocateur et surtout les rivalités sociales et symboliques qui la motivent. Après 1760, elles mineraient la République des Lettres, autour de la construction sociale de la célébrité littéraire, des protections nobiliaires ou bourgeoises, du talent autoproclamé [14].

10 De plus, péché intellectuel irréparable, l’obsession antichrétienne de Voltaire culmine avec sa « critique violente de l’Église catholique ». Anathème infondé, puisque lors du procès Calas, le régime de la tolérance envers les protestants était « gagné depuis longtemps… sans lui » [15]. Comme le voudrait Benoît Garnot dans ses autres ouvrages, Voltaire et Charlie néglige la charge polémique et ironique de la prose voltairienne. Plutôt, il en propose une lecture littérale, au premier degré, sans jamais en penser la composante imaginaire, ni les dispositifs philosophiques et typologiques de la rhétorique pamphlétaire [16]. Renvoyant dos à dos l’intégrisme homicide des catholiques et des protestants, Voltaire ferait l’apologie de la peine capitale : « Farel tombe avec quelques-uns des siens sur les moines qui portaient saint Antoine, les bat, les disperse, et jette saint Antoine dans la rivière. Il méritait la mort, qu’il ne reçut pas, parce qu’il eut le temps de s’enfuir ». Cette citation extraite du chapitre IX du Traité sur la tolérance ne peut être lue au premier degré comme le fait Benoît Garnot. Du début à la fin, avec ce jeu de citations entremêlées, Voltaire et Charlie confond ce qui serait l’intolérance de l’écrivain selon les normes d’aujourd’hui avec la croisade philosophique engagée contre l’« infâme », objet de malédiction dans l’imaginaire du patriarche de Ferney. Aujourd’hui, « pour se réclamer de la tolérance, il faudrait trouver une autre référence que Voltaire » [17].

11 L’image que Voltaire donne de la justice traditionnelle est « inexacte, voire mensongère » [18]. De plus, son militantisme pour les « causes célèbres », preuves de l’innocence suppliciée au nom de Dieu, illustre son athéisme opportuniste. De l’affaire Calas à celle du chevalier de La Barre, simples « accidents conjoncturels » de la justice royale bien huilée mais comparables à l’affaire d’Outreau, il ne cesse de trahir la vérité judiciaire que révèlent ces procès extraordinaires. « Il publie des opuscules (le plus souvent anonymes) » [19] : les mensonges littéraires de Voltaire, écrivain lâchement masqué par l’anonymat ou les pseudonymes facétieux, discréditent ontologiquement la démarche des philosophes.

12 Son procédé critique est mensonger : « des estampes largement diffusées représentent les adieux de Calas à sa famille avant son exécution, une scène qui ne s’est jamais produite dans la réalité » [20]. Le commentaire montre l’étonnante confusion épistémologique entre la représentation de la réalité et la réalité d’une représentation qui fait de l’affaire Calas l’emblème imagé, et polémique, d’un cas judiciaire dont la rareté n’efface pas l’atrocité suppliciaire. Si Voltaire cache la paisible réalité juridique, en ne disant pas que huit fois sur dix les litiges finissaient au civil afin de farder la réalité en cauchemar pénal, c’est parce qu’il méconnaît ce qu’aujourd’hui les archives apportent aux historiens, lesquelles montrent qu’« en Bretagne, par exemple, […] 80 à 85 % des affaires » étaient interrompues faute de preuves. Ne fréquentant pas les archives avec les instruments épistémologiques des historiens modernes, « Voltaire passe tout cela sous silence » [21] ! Sacré Voltaire !

13 Ignorant la dimension politique de la volonté punitive que déploie la justice d’intimidation patibulaire mise en évidence par Michel Foucault, et soucieux au contraire de défendre une herméneutique du néopositivisme judiciaire, Garnot reproche anachroniquement à Voltaire de ne pas être l’historien « scientifique » pour qui l’archive objective la vérité historique [22]. En plaçant la réalité des faits judiciaires avant leur herméneutique, l’historien dijonnais pourrait faire penser qu’il témoigne d’une naïveté épistémologique d’un autre temps [23]. Comment en effet incriminer le régime d’historicité de Voltaire en plaquant sur sa démarche philosophique celle de l’enquête archivistique qui ne sera possible qu’au XXe siècle, avec l’approche statistique qu’appuie l’historiographie critique des fonds judiciaires ?

14 L’étude de l’« affaire Martin » résume l’anachronisme historiographique de l’étonnant dispositif néopositiviste que déploie Garnot contre les Lumières. Le paysan Martin, accusé d’un vol sur le grand chemin, est pendu en 1769. Selon Voltaire, il finit sur la « roue » sans preuves. Or, en faisant l’effort de « consulter les archives » écrit Garnot, on sait que la victime, qui a survécu vingt-neuf jours, a reconnu son agresseur de « sorte que la condamnation allait de soi » [24]. Bien évidemment, Voltaire n’allait pas aux archives, alors inaccessibles selon les normes contemporaines. N’étant pas un historien quantitativiste du pénal mais un intellectuel humaniste empiriquement horrifié par les supplices, Voltaire lâche sa parole pamphlétaire contre la justice suppliciaire. Sa grandeur est intacte, car il comprend l’esprit des procès qu’il dénonce sans consulter les archives judiciaires ! Il n’est pas un comptable des procès, en revanche il souhaite que la justice royale rende des comptes à l’opinion publique [25].

15 La « lecture exhaustive [sic !] de l’œuvre immense (en quantité du moins) de Voltaire, en particulier des 15284 lettres [sic !] conservées (et publiées) de sa correspondance » prouve la nature peu recommandable de l’écrivain. Délateur calomnieux, désinformateur judiciaire, maquillant la vérité, autodidacte sans culture pénale, ayant effleuré quelques ouvrages de droit, peinant à saisir Beccaria, opportuniste, Voltaire incarne tous les défauts moraux de l’intellectualité des Lumières [26]. Et ce sont ceux qu’à la suite de sa panthéonisation, on retrouve chez les libéraux, républicains, penseurs fidèles à la modernité des Lumières, érigés en valeurs d’une éthique de l’intellectuel engagé. Répondant collectivement aux attentats de janvier 2015 avec les « marches républicaines », les femmes et les hommes qui virent dans l’icône voltairienne la référence à leur attachement aux Lumières de la raison contre le terrorisme, se fourvoient derrière la stature de l’auteur du Traité sur la tolérance (1763), ouvrage fondamental du combat des Lumières, mis à l’Index par Rome le 3 février 1766 [27]. Livre détestable en effet, car son « argumentation repose sur des arguments historiques pour le moins approximatifs » selon Benoît Garnot [28].

16 Frappé d’une « inquiétante légèreté intellectuelle », sans « vision d’ensemble » sur la justice, la caricaturant pour des « raisons polémiques », Voltaire « avait donc tort » [29]. Ni « héros des droits de l’homme », ni « précurseur du progrès judiciaire », il incarne une « double imposture ». L’imposture de lui-même, avec l’« image inexacte de la justice pénale de son temps ». Pire encore, l’imposture de la « postérité » qui, par conformisme, copie et répète « aveuglément les critiques du philosophe, sans en vérifier la véracité, faisant passer l’arbre pour la forêt, et nourrissant une légende noire encore trop vivace », celle qu’aurait suivie faussement Michel Foucault. Son épistémè ne se ramènerait d’ailleurs qu’à susciter la « curiosité » morbide sur le droit de punir, un régime patibulaire jusqu’à la révolution française [30].

La pénalité d’Ancien Régime : un régime patibulaire

17 Pivot du règlement étatique des litiges dès la fin du Moyen Âge, entre bannissement, amende, supplice capital et détention disciplinaire puis carcérale, l’« hégémonie du pénal » condamne la vengeance privée [31]. Sous l’absolutisme, l’État justicier monopolise le droit régalien du glaive et généralise l’utilisation séculière de la procédure inquisitoire d’origine romaine contre la procédure accusatoire, d’usage commun en Angleterre. Source de légalité jurisprudentielle, le système inquisitoire instaure l’écriture judiciaire, le régime du naturalisme probatoire (question, expertises matérielle et corporelle) et l’autorité du magistrat instructeur. La poursuite pénale permet l’obligation étatique de la pacification sociale que renforce la saisie d’office du procureur général. Le champion de l’État anime la répression motivée de la vindicte publique. Montesquieu salue la modernité juridique du contrôle étatique sur le droit de punir : « La partie publique veille pour les citoyens, elle agit, et ils sont tranquilles » [32].

18 Tel est sous l’Ancien Régime le cadre institutionnel du régime corporel de la justice patibulaire. Le « signe patibulaire marque la Haute-Justice » et sa violence pénale que monopolise le souverain. Potence, gibet, fourches : toujours ostentatoire sur la voie publique, le « signe patibulaire » se dresse hors des « Villes, Bourgs et Villages, en des lieux élevés, et près des grands chemins » [33]. Le « droit de glaive » et les « signes [patibulaires] qui servent à le marquer » sont la « prérogative de la souveraineté » [34]. Magistrats de l’État justicier, les juges du siège motivent la mort pénale agencée en rituel public sur le gibet patibulaire de l’infamie. Ressort de l’intimidation sociale non négociée, le régime patibulaire montre l’expiation individuelle du « criminel pécheur » exécuté en larron repenti devant la foule. Fourches, roue, gibet : le « Lieu-Patibulaire » est un sanctuaire de l’infamie posthume, mis à l’abri des lois contre l’intrusion privée. Par décision judiciaire, y « sont exposés » les « Corps des Suppliciés » pour « détourner les méchants du crime par l’exemple frappant de la punition qui le suit » [35]. Charnière du régime pénal en monarchie de droit divin, principauté et République, le spectacle patibulaire ritualise l’économie expiatoire et rétributive de la justice [36].

19 En 1743, dans le ressort de la République protestante de Neuchâtel (souveraineté prussienne), Daniel Montandon, extradé depuis Genève, accusé du crime « atroce » d’empoisonnement, meurt comme les hommes empoisonneurs selon le Code criminel de l’empereur Charles Quint [37]. Le rituel patibulaire d’expiation corporelle in vivo du larron repenti réunit le public pour l’intimider :

20

« Le Châtelain a livré Daniel Montandon, dit Clerc, entre les mains de l’exécuteur de la haute Justice, auquel il a été ordonné d’attacher sur le champ une corde au cou dudit Montandon dit Clerc en signe et marque de sa multitude de vols et larcins qu’il a commis, et en même temps de le mettre sur un traîneau pour être conduit sur le lieu du supplice […], ledit criminel étant arrivé au lieu Patibulaire, Morel ayant été exécuté en présence et sous les yeux de Daniel Montandon dit Clerc qui a été spectateur dudit supplice dans tout son contenu, et qui a même déclaré à Monsieur de Montmollin et aux Pasteurs qui étaient présents qu’il était bien aise d’avoir la douleur de la mortification d’un pareil spectacle, pour là d’autant mieux être pénétré de ses crimes et de se procurer la grâce de son Divin créateur.
Ledit Morel ainsi ayant été exécuté à mort, l’exécuteur de la haute Justice a saisi et empoigné Daniel Montandon dit Clerc et après l’avoir dépouillé et étant prêt à être étendu sur les blocs pour y être rompu vif en conformité de la sentence du Juge, Monsieur le Châtelain s’est approché de lui le sceptre à la main, et après lui avoir fait sentir sommairement qu’il était prêt à paraître dans un moment devant Dieu, il a sommé ce criminel par les termes les plus forts de se déclarer en particulier s’il n’avait fait aucun tort à la nommée Callame détenue dans les Prisons de Genève dans les Réponses aux Interrogatoires qu’il y subit en Prison et par lesquelles réponses il a formellement accusé ladite Callame d’avoir empoisonné Pierre Montandon dit Clerc et sa servante avec des pilules qu’elle-même avait composées, le sommant de, si cette accusation est infidèle, et contraire à la vérité, de la déclarer ici devant Dieu et devant les hommes.
Ledit Daniel Montandon dit Clerc ayant entendu ladite sommation de Mondit Sieur le Châtelain a répondu qu’il n’avait rien dit contre ladite Callame qui ne fut conforme à la pure vérité, qu’il était prêt de mourir sur son affirmation à cet égard, et qu’il soutiendrait devant Dieu ce qu’il avait soutenu devant les hommes […] Daniel Montandon ayant été après cela étendu sur les blocs, l’exécuteur de la haute Justice l’a rompu et brisé membre après membre, et à chaque coup qu’il a reçu, on a entendu ledit Montandon implorer la grâce et la miséricorde de Dieu avec zèle, et avec ferveur et dans les sentiments d’une résignation parfaite, et dans laquelle on n’a vu aucun mélange de trouble, de murmure ni de désespoir. Et enfin ledit Daniel Montandon ayant reçu le coup de grâce, il a tout de suite été détaché de ses blocs et porté sur le bûcher à mesure qu’il respirait encore, lequel bûcher ayant été allumé on n’a pas remarqué que ce criminel ait fait d’autre mouvement que celui de remuer un bras après quoi il a été consumé et ses cendres jetées au vent en exécution de sa sentence.

21

Ce qui a été fait et exécuté en présence du corps de la Justice du Val de Travers, de Monsieur de Montmollin Pasteur de Môtiers et de plusieurs autres Pasteurs et Ministres qui s’étaient joints à lui, de même aussi qu’à la vue d’une multitude extraordinaire de spectateurs qui étaient accourus à ladite exécution de tous côtés » [38].

22 En 1759, dans le ressort sans appel de la République de Genève, parmi d’autres cas, le procès capital contre Jacqueline Ray jugée par contumace suit dans son exécution en effigie la même économie patibulaire. Accusée d’infanticide comme plusieurs dizaines de femmes « séduites et abandonnées » et incriminées en justice pour infanticide, elle est condamnée à être « liée et garrottée », « menée à la place [patibulaire] de Plainpalais, pour là être pendue et étranglée à un gibet dressé à cet effet, jusqu’à ce que mort s’ensuive, et ainsi finir ses jours pour servir d’exemple à ceux qui semblable crime voudraient commettre » [39].

23 Visant la « prévention générale » du crime qualifié selon l’atrocité des circonstances morales ou matérielles, le supplice public fonde, en quelque sorte, la quittance du monopole pénal que l’État rend aux justiciables dépourvus de la vindicte privée. Le régime patibulaire montre que justice est faite. Terreur suppliciaire, infamie, mort expiatoire et exposition du cadavre : cette économie punitive focalise la critique des réformateurs dans le sillage de Beccaria.

Étendre la philosophie à la jurisprudence

24 « Il ne faut point mener les hommes par des voies extrêmes » : la charge de Montesquieu contre l’« éclat des supplices », pivot de l’absolutisme non tempéré par les lois et les corps intermédiaires, illustre le libéralisme pénal qui veut étendre la philosophie à la jurisprudence criminelle [40]. Après 1760, si les pratiques judiciaires cadrent l’arbitraire (concept devenu négatif en passant du sens de l’arbitrage à celui du despotisme), la question de la réforme de la justice anime les Lumières. Selon Franco Venturi, la nature du régime pénal détermine les termes politiques du contrat social dans la cité juste [41]. Magistrats, barreau : les praticiens du droit de punir dessinent l’horizon d’attente du réformisme juridique que radicalise le Milanais Cesare Beccaria, « frère en philosophie » de Voltaire. Entre cosmopolitisme et idéologie républicaine, dans le milieu éclairé de l’Accademia dei Pugni (siège du périodique philosophique Il Caffè), il proclame à Milan, sous domination autrichienne, l’urgence de la réforme pénale [42]. Dei delitti e delle pene (1764, mis à l’Index le 3 février 1766) : son ouvrage de cent vingt pages, best-seller des Lumières censuré et contrefait, plaide contre le jus romanum et le droit positif pour la sécularisation du contentieux pénal afin de dépénaliser le suicide et l’homosexualité [43]. Il prône l’abandon de la torture, l’abolition immédiate du gibet, la légalité géométrique entre les délits et les peines ainsi que les travaux forcés. Brissot salue la publication au pays de l’Inquisition de cet « ouvrage hardi et lumineux » qui résulte du travail herméneutique des Lumières. Le propos philosophique et utilitaire de Beccaria vise la mise en conformité légale du droit de punir avec l’« humanité » et les « principes du pacte social ». Ancré en ce contexte beccarien, Voltaire, pétri d’humanisme pénal, veut disqualifier la justice patibulaire [44].

25 Hostile au régime patibulaire de la justice royale, Voltaire n’étudie pas en historien du droit la vérité institutionnelle de la mécanique procédurale. Benoît Garnot, auteur de Voltaire et Calas, se réclame de l’idéal épistémologique qui anime l’histoire positiviste du régime pénal pré-révolutionnaire ; il naturalise les concepts judiciaires pour en masquer l’esprit suppliciaire. Il dénonce le dispositif idéologique de l’écriture voltairienne, se présentant en gardien de la vérité archivistique et restant aveugle à la philosophie de l’histoire qui anime l’auteur de Zadig[45].

26 Avant Durkheim, qui articule l’archaïsme ou la modernité des « lois sociales » autour de la pénalité dont la modération signale la modernité politique, Voltaire pensait le droit de punir à l’aune d’un processus idéal de civilisation. Celui-ci disqualifierait la mort pénale ancrée dans la culture suppliciaire [46]. Au temps des Lumières, l’herméneutique de Voltaire intéresse les réformateurs républicains, hostiles à la doctrine et à la pratique de la justice traditionnelle. En 1782, dans le « Préliminaire » de sa Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte (10 volumes), Brissot, éditeur du Prix de la justice et de l’humanité, par M. de Voltaire, salue Voltaire qui, après Montesquieu, soumet la tradition pénale à la philosophie critique :

27

« Les bons écrits sur les lois criminelles ont suivi de très loin la renaissance de l’esprit philosophique […] Montesquieu lui fraya le premier la route. Plusieurs de ses Lettres persanes contiennent une critique ingénieuse et vraie des lois criminelles. Il leur porta dans son Esprit des lois un coup plus terrible encore. Dans le même temps, Voltaire qui voulut écrire sur tout, joignait aux raisons de Montesquieu le sel de la plaisanterie et ridiculisait les atrocités de nos lois, comme il avait persiflé nos travers. C’est à l’école de ces deux grands hommes que se sont formés tant d’écrivains, dont la plume a essayé d’appliquer la philosophie à la jurisprudence avec un succès et des talents plus ou moins marqués » [47].

28 Dans le Prix de la justice et de l’humanité (1777), instruisant à la décharge des condamnés les procès de Jean Calas, de Pierre-Paul Sirven et du chevalier de La Barre, Voltaire estime que le régime probatoire de la justice patibulaire résulte d’un bourreau-législateur :

29

« On ne rencontre dans les livres qui tiennent lieu de code en France que ces mots affreux : question préparatoire, question provisoire, question ordinaire, question avec réserve de preuves, question sans réserve de preuves, question en présence de deux conseillers, question en présence d’un médecin, d’un chirurgien ; question qu’on donne aux femmes et aux filles, pourvu qu’elles ne soient pas enceintes. Il semble que tous ces livres aient été composés par le bourreau» [48].

30 Bûcher vif (hérétique, sorcière), découpe du régicide tiré à « quatre chevaux », supplice de la roue (parricide, sodomite, bandit de grand chemin, contrebandier), pendaison infamante (voleur et assassin roturiers), décapitation honorable du noble : le corps violenté du « patient » (homme, femme) est le ressort de l’économie patibulaire. Le bandit Cartouche roué vivant en place de Grève (1721), Étienne-Benjamin Deschauffours, sodomite et meurtrier parisien, brûlé vif (1726), Mandrin le contrebandier brisé sur la roue à Valence en 1755 devant 6000 curieux, Jean Calas le « parricide » supplicié sur la roue à Toulouse (1762), le chevalier de La Barre décapité et brûlé à Abbeville (1766) pour sacrilèges, Jacques-François Pascal, capucin défroqué, « débauché contre nature et assassin », brisé sur la roue (1783) : sanctionnant des crimes atroces (contre l’État, les biens, les individus), ces supplices illustrent l’esprit patibulaire du glaive royal [49]. S’y ajoute l’exécution du régicide Robert-François Damiens qui horrifie l’Europe éclairée. En place de Grève, le 28 mars 1757, il est tiré à quatre chevaux, puis son cadavre agonisant finit au bûcher [50]. La rareté d’un tel supplice en fait toute l’atrocité étatique. Pétri d’expiation morale, le régime patibulaire effare la sensibilité urbaine de l’individu éclairé :

31

« Je pris mon retour par la rue Saint-Antoine et la Grève. On avait roué la veille trois assassins : je ne croyais pas avoir cet horrible spectacle, que je n’avais jamais osé contempler. Mais comme je traversais, j’entrevis un malheureux, pâle, demi-mort, souffrant des douleurs de la question donnée vingt heures auparavant, qui descendait l’Hôtel de Ville, soutenu par le bourreau et par le confesseur. […] Je vis un spectacle horrible, quoique le supplice fût mitigé. Le malheureux avait révélé ses complices. Il fut étranglé avant les coups. Un tourniquet placé sous l’échafaud serra une corde passée sur le cou du patient, qui fut suffoqué. Pendant longtemps le confesseur et le bourreau lui tâtèrent le cœur, pour sentir si l’artère battait encore, et on ne donna les horribles coups, qu’après qu’il ne battit plus… Je m’en allais les cheveux hérissés d’horreur » [51].

Les causes célèbres de Voltaire

32 Les procès criminels dénoncés se muent chez Voltaire scandalisé en « causes célèbres » de l’injustice, de l’arbitraire, de l’erreur judiciaire [52]. Avec la polémique qui demande à la monarchie de rendre des comptes, le travail des Lumières disqualifie la pratique patibulaire. Prônant la réhabilitation des suppliciés (Jean Calas, chevalier de La Barre), Voltaire ramène la justice royale à l’archaïque modèle inquisitorial, anachronique après 1750. André Morellet, l’abbé polygraphe embastillé, ami des philosophes, est le premier traducteur de Beccaria en français (1766). Il contribue à plaquer sur l’ensemble des pratiques judiciaires l’image désuète mais terrifiante des tribunaux inquisitoriaux. Il donne en 1762 sous le titre Abrégé du Manuel des Inquisiteurs la première version française du Directorium inquisitorium rédigé au XIVe siècle pour l’Inquisition [53]. Le livre marque les esprits éclairés qui, tels Voltaire ou d’Alembert, s’en inspirent pour critiquer les institutions pénales et plaider la cause de l’humanité.

33 À l’inverse de Montesquieu qui n’actualise pas son libéralisme de la modération pénale, Voltaire pense l’excès judiciaire à partir de cas concrets – Calas, Sirven, La Barre. Rares mais atroces, ces « causes célèbres » saisissent sur le vif la justice patibulaire sous le droit divin, le régime confessionnel, la morale religieuse et la culture expiatoire. À partir de procès locaux, il universalise les exigences du réformisme juridique pour la sécularisation des délits et des peines, la sécurité et l’intégrité du justiciable. Entre humanisme et utilitarisme, dans le sillage de Beccaria, Voltaire réactualise le réformisme avec le concours de 1777 qu’il finance en partie pour le Prix de la justice et de l’humanité de la Société économique de Berne.

34 Depuis Ferney, il mobilise l’opinion publique. Sa correspondance déploie son arme de guerre intellectuelle (350 lettres citent l’affaire Sirven). S’y ajoutent les brochures rédigées pour susciter la « compassion » universelle envers les justiciables que dévore la justice patibulaire. Cet avocat du bien instruit à charge la justice royale et plaide la cause des prévenus. Carrefour de l’esprit européen, le château de Ferney devient le parquet du procureur éclairé. Il ajoute à ses lettres accusatrices des libelles comme réquisitoires pour dénoncer les « supplices recherchés dans lesquels, on voit que l’esprit humain s’est épuisé à rendre la mort affreuse, [et qui] semblent plutôt inventés par la tyrannie que par la justice » [54].

35 Avant de dénoncer les supplices rares mais atroces, Voltaire, comme Montesquieu, s’intéresse en historien aux institutions judiciaires de l’État médiéval et absolutiste. Il pense l’enjeu social et politique de leur modération et de leur sécularisation, conditions de la modernité étatique. Au chapitre XXII de l’Essai sur les mœurs (1756), il déplore la jurisprudence « cruelle » et l’indécision des causes criminelles issues des « combats […] appelés jugement de Dieu », les ordalies, l’eau bouillante, l’immersion, le fer ardent. Elles tuaient « beaucoup d’innocents » [55]. Le providentialisme judiciaire le révolte, de même que l’incertitude pénale. Au chapitre 39 du Siècle de Louis XIV (1751, mis à l’Index le 20 février 1753) l’historiographe du roi plaide pour l’uniformité territoriale des normes civiles et pénales. Il salue l’abolition des recours privés dont le duel. Il approuve la modernisation de l’État renforcée par les ordonnances des années 1660-1680. Parmi ces monuments législatifs de la modernité politique, il loue l’ordonnance criminelle de Saint-Germain-en-Laye (26 août 1670) qui standardise la procédure et endigue l’arbitraire du juge dans les tribunaux du ressort royal. Si l’ordonnance entérine la torture comme mode probatoire, c’est dans le but de renforcer aussi la certitude et la sécurité judiciaires [56].

36 Toutefois, Voltaire polémiste relativise en 1766 son éloge de l’absolutisme codificateur. Dans le contexte critique des causes célèbres, il estime que la même ordonnance « semble n’avoir été dirigée que pour la perte des accusés » (Commentaire, 1766, XXII). Dans le Précis du siècle de Louis XV (37, 1768), il lie le crime du « monstre » Damiens et son supplice abominable, deux symptômes de l’identique barbarie sociale. Épouvantable miniature de la justice patibulaire, l’écartèlement perpétue les supplices des régicides confessionnels de Henri III et Henri IV. Ce supplice viole de plus le principe sacré de la peine individualisée, car l’infamie flétrit le « père, la femme, la fille de Damiens ». Quoiqu’innocents, ils « furent bannis du royaume, avec défense d’y revenir, sous peine d’être pendus » [57]. Pour Voltaire, le « fanatisme » du régicide culmine dans l’atrocité patibulaire.

37 « Il n’y a aucun bon code dans aucun pays » : le Dictionnaire philosophique (1764, 1767, 1769, 1770, mis à l’Index le 8 juillet 1765) [58] confirme le libéralisme pénal de Voltaire. Dans cet ouvrage, il prône la sécularisation des contentieux, des délits et des peines. Contre l’arbitraire, proche des doctrinaires réformistes favorables à la légalité des crimes et des châtiments, Voltaire loue la codification pour la sécurité des justiciables [59]. Parmi les 118 articles édités de son vivant, trois textes sur quatre consacrés au droit de punir, paraissent après les cas qui l’ont mobilisé et la publication du Des délits et des peines de Beccaria. Entre scepticisme et dramaturgie judiciaire, il fustige les doctrinaires, dont le « criminaliste » qu’il n’estime pas, Pierre-François Muyart de Vouglans, apologiste de la justice patibulaire, accusateur de Montesquieu, de Beccaria et des « philosophes » [60]. Évoquant Damiens, Muyart jubile, car son supplice « a duré deux heures, lui vivant ». Récusant Rousseau, le pénaliste de l’absolutisme repousse le contractualisme politique et l’abolitionnisme :

38

« on ne peut d’abord qu’être révolté de la singularité de ce prétendu Contrat social […] ; d’un Contrat où l’on suppose que les hommes auraient cédé la moindre portion de liberté qu’ils auraient pu, tandis qu’ils se seraient réservés tacitement le droit de priver les autres, non seulement de leur liberté, mais même de leur vie, sans crainte d’éprouver le même sort […]. Où serait donc cette proportion exacte qui doit se trouver entre le Crime et la Peine, si l’on pouvait priver du plus grand de tous les biens temporels qu’est la Vie, sans s’exposer soi-même à souffrir le plus grand de tous les maux, qui est la privation de ce même bien, sans lequel tous les autres deviennent inutiles ? » [61]

39 L’article « Délits locaux » (1767) du Dictionnaire philosophique déplore le relativisme et l’incertitude du régime pénal sous l’arbitraire des juges, et l’absence de codification. Devenu obsolète dans le contexte judiciaire d’après 1750, l’article « Inquisition » (1769) dénonce le joug du tribunal pontifical – autodafé des livres, exécution de 100000 hérétiques. Les articles « Lois (des) », « Lois civiles et ecclésiastiques » (1767) recommandent la sécularisation du droit naturel. Voltaire récuse Jean Domat, doctrinaire modéré d’un naturalisme judiciaire qu’inspire l’ordre providentialiste comme base juste des institutions sociales [62]. Déliées de la vindicte religieuse ou privée, les lois pénales entérineront les droits naturels de l’individu plutôt que la main invisible de la Providence.

40 Unifié dans le même ressort contre la mosaïque des coutumes et des usages, le droit de punir sera correctif pour le bien social : « Que les supplices des criminels soient utiles. Un homme pendu n’est bon à rien, et un homme condamné aux ouvrages publics sert encore la patrie et est une leçon vivante [de dissuasion pénale] ». Selon l’article « Torture » (1769), le juge questionneur, en ordonnant la torture judiciaire, imite le brigand qui tourmente les paysans pour voler leur magot. L’analyse vient après celle d’Augustin Nicolas, maître des requêtes humaniste au parlement de Dôle depuis 1666, procureur en 1682 de la question, cette « invention du Diable » qui met en pièces des justiciables fragiles pour fabriquer des coupables endurcis [63]. Avec des envolées beccariennes favorables aux droits naturels de l’intégrité corporelle des justiciables, Voltaire réclame l’« abolition de la torture », pivot de la justice patibulaire qui a broyé Jean Calas et le chevalier de La Barre.

Cas rare mais atroce : l’affaire Calas

41 Un contentieux criminel que contamine la nature théologique de la morale religieuse, l’incertitude judiciaire liée à la mosaïque des normes pénales, la torture probatoire qui brise les innocents, le supplice patibulaire comme peine expiatoire, fondent la question sociale et politique du droit de punir, telle que Voltaire la livre à l’opinion éclairée en suivant l’offensive libérale de Beccaria. Avec des libelles imprimés comme des factums d’avocats, il plaide la cause de l’humanité. Maillon philosophique du « moment Beccaria », son combat judiciaire contre l’infâme culmine entre l’affaire Calas (1761) et celle du chevalier de La Barre (1765), en passant par le cas du protestant Jean Sirven, accusé à Castres dès janvier 1762 d’avoir fait noyer sa fille pour empêcher son apostasie, avant d’être réhabilité en novembre 1771.

42 Soirée du 13 octobre 1761, logis des Calas : après dîner, raccompagnant son ami Lavaysse, Pierre Calas découvre au rez-de-chaussée son frère Marc-Antoine pendu. Panique familiale, cris, chuchotements et appel à un chirurgien. Le voisinage inquiet s’assemble. Un peu avant minuit, un magistrat investit la scène du drame avec le « maître en chirurgie » Jean-Pierre Lamarque. Le cadavre gît au sol. Ni signe de désordre, ni plaie apparente, mais des traces rougeâtres au cou. En procédant à la « levée du corps », les enquêteurs négligent les « circonstances » matérielles de la mort volontaire : cheveux peignés, habits pliés du défunt. Selon la coutume, le cadavre est brancardé à la « chambre de torture » du parlement. Lamarque y bâcle l’autopsie. Il méconnaît les « signes apparents » de la pendaison – sillons de la strangulation. Ne voyant nulle trace de violence cadavérique, il ouvre le corps : tête, cerveau, poitrine, estomac, intestins. Notant l’ingurgitation de viande coriace « trois ou quatre heures avant sa mort », Lamarque interprète à tort l’heure de la digestion selon le bol alimentaire. Enfin, l’enquête sommaire du capitoul David de Beaudrigue sur les « circonstances » de la pendaison mal reconstituée, complète cette négligence de la justice. S’y ajoutent les « grandes pompes » des pénitents blancs : Marc-Antoine est inhumé en l’église Saint-Jacques, dans la chapelle de Sainte-Élisabeth, alors que la coutume voulait que les cadavres nus des suicidés finissent à la voirie après la traction publique sur la claie d’infamie. Un tel scénario funéraire doit conforter la thèse du meurtre.

43 Jean Calas est incriminé. Sur avis de son avocat, il affirme avoir décroché le cadavre de son fils pendu pour cacher l’infamie du suicide. La rumeur du meurtre calviniste enflamme les esprits. Redoutant l’apostasie de son fils, Calas l’aurait tué, puis maquillé le meurtre en suicide. Le parlement de Toulouse reprend l’affaire. Le 9 mars 1762, face aux dépositions contradictoires, les juges convaincus des charges condamnent au gibet Jean Calas, par huit voix contre cinq. Clamant son innocence sous la « question », il est brisé le 10 mars sur une croix de Saint-André, exposé deux heures sur la roue, étranglé et calciné. Comme après l’exécution du régicide Damiens, ses cendres sont dispersées aux quatre vents. Fanatisme, crime confessionnel, expiation publique : l’affaire Calas embrase et embarrasse l’Europe. L’opinion publique fulmine contre la justice toulousaine. Chacun y voit un rappel à l’orthodoxie morale et religieuse. À Milan, l’affaire convainc Cesare Beccaria de rédiger Dei Delitti e delle pene contre la justice patibulaire.

44 Négociant protestant passant à Genève, Dominique Aubert informe Voltaire sur l’affaire Calas. Hostile à tout fanatisme, le patriarche se méfie. Il accepte la thèse officielle puis, ébranlé, recule après avoir vu les « enfants malheureux », Pierre et Donat Calas réfugiés dans la République protestante. Convaincu de l’innocence du supplicié, il en embrasse somme toute la cause. « Il faut soulever l’Europe entière, et que ses cris tonnent aux oreilles des juges », note Voltaire parmi les cinq cents lettres qu’il expédie en trois ans pour mobiliser l’opinion publique. Le « meurtre de Calas commis dans Toulouse avec le glaive de la justice le 9 mars 1762 est un des plus singuliers événements qui méritent l’attention de notre âge et de la postérité », ajoute-t-il en 1763 dans le Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas. Il contacte la veuve Calas retirée à Montauban ainsi que ses deux filles claquemurées au couvent ; il mobilise les réseaux intellectuels et les pamphlétaires pour le roué ; il apporte son appui aux avocats Mariette et Élie de Beaumont qui œuvrent à faire réviser le procès : Voltaire s’active sur tous les plans et pousse le chirurgien Antoine Louis à publier en 1763 sa contre-expertise qui différencie le suicide du meurtre improbable par pendaison [64]. L’affaire aboutit en appel (requête de cassation). Lue devant le grand conseil (7 mars 1763), cassée le 4 juin 1764 par le conseil privé du roi, elle revient en ultime instance le 9 mars 1765 devant le tribunal des requêtes de Versailles. Trois ans jour pour jour après le supplice, les juges réhabilitent Jean Calas et sa famille. Sa veuve reçoit trente-six mille livres de dommages et intérêts. Lançant une souscription triomphale pour une gravure de la « malheureuse famille Calas », Voltaire rêve que les magistrats de Toulouse fassent « amende honorable » – comme les suppliciés conduits manu militari aux fourches patibulaires.

Vers un gouvernement libéral des individus : La Barre

45 En 1765, un nouvel orage judiciaire éclate dans la France de Louis XV. Voltaire soutient la cause de Jean-François Lefebvre, chevalier de La Barre, âgé de 19 ans, condamné à mort pour « actes blasphématoires ». Dans la nuit du 8 au 9 août 1765, une main anonyme a mutilé le crucifix du pont d’Abbeville en Picardie : « à la jambe droite du Christ qui est en bois, il y avait trois coupures faites avec un instrument tranchant. […] Qu’au-dessus de l’estomac du côté gauche, il y avait aussi deux coupures », note le juge. Après la messe du pardon divin, l’évêque gagne en pénitent le lieu du « blasphème » : pieds nus, corde au cou, cierge à la main. Le crucifix vandalisé est mené à l’église en signe de dévotion expiatrice. L’évêque d’Amiens lance un appel à témoin (« monitoire »). La rumeur accuse des jeunes aristocrates « débauchés » et irréligieux. S’étant moqué du « saint sacrement » durant la procession, ils n’ôtèrent « point leurs chapeaux et ne se mirent point à genoux ». Parmi eux, le chevalier de La Barre est soupçonné ; il est arrêté et son logis perquisitionné. Le juge y saisit des estampes pornographiques et des ouvrages dont un volume de l’anonyme Dictionnaire philosophique de Voltaire, publié en 1764 chez Grasset à Genève. Le fanatisme amplifie la rumeur : Voltaire nourrirait l’impiété sociale. L’avocat Nicolas-Simon-Henri Linguet défend La Barre. Il évoque l’hostilité du procureur royal en déplorant la place du crucifix sur l’espace public. Le parlement de Paris condamne au feu le mémoire « blasphématoire » de Linguet. Des magistrats dénoncent le « parti de l’Encyclopédie », comme étant le « vrai coupable ». Jugé et convaincu du forfait, La Barre doit être exécuté. Le parlement de Paris confirme en appel la sentence capitale de juin 1767. Louis XV refuse la grâce. Trente jours après, ayant subi la « question définitive » pour révéler ses complices, face à la foule, La Barre expire sur l’échafaud. « Blasphémateur », sa langue est arrachée. « Parricide » contre le roi de droit divin, son poing droit est sectionné. Aristocrate protégé contre l’infamie de la corde, sa tête est tranchée. Excommunié, son cadavre est brûlé, ses cendres éparpillées comme celles de l’hérétique ou du régicide. Un exemplaire lacéré du Dictionnaire philosophique flambe peut-être avec le cadavre mutilé, après avoir été brûlé sur ordre judiciaire dans plusieurs capitales européennes dont Genève.

46 Le procès capital du libertin illustre l’offensive intégriste. Correspondance, mobilisation de l’opinion publique, reconstitution du cas, collaboration avec un avocat : Voltaire y répond et s’active contre l’idéologie fanatique et la justice aux ordres des dévots. Puisque la justice fabrique des coupables pour venger Dieu, il dénonce dès juillet 1766 l’économie patibulaire dans la Relation de la mort du chevalier de La Barre par M. Cassen avocat au Conseil du Roi à Monsieur le Marquis de Beccaria (1768, 1769). Comme de coutume, il associe les droits naturels de l’accusé à ceux de l’humanité tout entière. Se faisant l’avocat du supplicié martyrisé par des juges-bourreaux et le champion du « peuple », il milite en vain pour blanchir le chevalier de La Barre [65]. Selon le Cri du sang innocent (1775), dernier texte voltairien sur l’affaire La Barre diffusé à Paris peu après le sacre de Louis XVI, le crucifix « avait été mutilé, soit par vétusté, soit par quelque charrette ».

47 Le Commentaire sur le livre des Délits et des peines (1766, mis à l’Index le 19 juillet 1768) et le Prix de la justice (1777), approuvent l’humanisme pénal de Beccaria pour « adoucir […] ce qui reste de barbare dans la jurisprudence de tant de nations » (Commentaire, 1) [66]. Le catalogue des causes à défendre y est détaillé : autoriser la fille paillarde à abandonner son bâtard afin de ne plus exécuter la mère infanticide, abolir le « malheur » du supplice qui fabrique le coupable ainsi que la punition expiatoire de l’hérétique, dépénaliser les « profanations » et la débauche pour éviter d’autres affaires La Barre, séculariser le contentieux et le procès afin que le monde ne soit plus un « vaste échafaud couvert de bourreaux et de victimes, entouré de juges, de sbires, et des spectateurs », remplacer la peine capitale par les travaux forcés utiles au condamné et à la société, généraliser l’appel en cassation des condamnés à mort, atténuer la notion de crime de lèse-majesté désormais qualifié de « haute trahison » pour dépolitiser le glaive, interdire la confession comme aveu moral des fautes extrajudiciaires, employer à la « monnaie du roi » le faux-monnayeur et condamner le voleur domestique aux « ouvrages publics » afin de ne plus les exécuter et lutter contre l’impunité née de l’excès pénal quand, par exemple, les maîtres peuvent chasser le serviteur infidèle au lieu de l’envoyer au gibet par plainte, dépénaliser le suicide pour briser avec le droit canon qui autorise l’infamie post mortem, abolir la confiscation judiciaire des biens pour personnaliser la peine et ne pas ruiner la famille du condamné, atténuer la nature secrète de l’instruction inquisitoire en autorisant la défense du prévenu et en rationalisant le système des preuves afin que des « quarts et des huitièmes de preuves » ne légitiment plus une accusation complète comme celle qui fut fatale à Jean Calas. Entre critique de la doctrine et des usages, Voltaire refonde le droit pénal basé sur la justice patibulaire dont le paroxysme avait culminé avec les procès capitaux de plus de « cent mille prétendus sorciers ». La perfectibilité du « genre humain » et le gouvernement libéral des individus dépendent de la modernisation et de la modération des institutions judiciaires.

Revenir aux idées mères

48 Voltaire réactualise le libéralisme beccarien dans le chapitre XXIV du Prix de la justice, lorsqu’il loue, en 1777, le roi Louis XVI réformateur du pénal. Soucieux de proportionner les crimes et les châtiments (I-III), en distinguant celui du voleur et celui du meurtrier, Voltaire veut aussi dépénaliser le duel, le suicide, l’infanticide – ce crime de la mère « séduite et abandonnée » – la contrebande, la fausse monnaie, l’hérésie et l’aberration du crime de sorcellerie, le sacrilège, le délit d’opinion, la bigamie, l’adultère, la sodomie – « délits […] secrets », trop « difficiles à prouver » (IV-XII, XIX), ainsi que les libelles diffamatoires non séditieux contre l’État (XXI). En outre, il prône la prudence pour qualifier les crimes contre les mœurs (XV-XVII). Exigeant les preuves du flagrant délit, du témoignage non fanatique et non accusateur, de l’expertise du corps violenté, la défense à l’anglaise, la suppression de la torture et l’« incarcération légale » dans une prison qui ne « ressemble [pas] à un charnier » (XXII-XXV) et où l’enfermement est « proportionné à l’énormité du délit [jugé] » : il propose la modération de la procédure inquisitoire.

49 « Punissez, mais utilement » (II) ! Le régime pénal non patibulaire dont rêve Voltaire doit être sécularisé, public et assorti d’une défense réelle du condamné, préventif, correctif, individualisé. Il doit engendrer la diminution du « nombre de délits, en rendant les châtiments plus honteux et moins cruels » (XXVIII). Mot d’ordre du réformisme après 1760, la légalité des délits et des peines constitue l’horizon d’attente : « les peines sont souvent arbitraires […] elles ne devraient pas », car c’est la « loi, et non pas l’homme, qui doit punir » (XIX). Contre l’arbitraire des magistrats qui jugent « différemment la même cause en province et dans la capitale », il prône la « motivation » et la légalisation pénales. Au cœur du « moment Beccaria », anticipant sur le réformisme tempéré de la monarchie administrative sous Louis XVI et l’abolition de la question préparatoire prononcée le 24 août 1780, la polémique oppose la modération du glaive à la mort pénale. Voltaire l’expose avec netteté en 1766 dans son Commentaire sur Des Délits et des peines : « L’épée de la justice est entre nos mains ; mais nous devons plus souvent l’émousser que la rendre plus tranchante. On la porte dans son fourreau devant les rois, c’est pour nous avertir de la tirer rarement ».

50 Contrairement à Montesquieu, qui prône la modération pénale sous l’absolutisme, sans en montrer le rapport à la justice de son temps, Voltaire, proche de son « frère en philosophie » Beccaria, incarne le travail républicain des Lumières comme critique politique de l’autorité pénale [67]. Entre éthique pénale et haine de l’infâme, il forge certaines normes du droit de punir que généralisa la Révolution, non abolitionniste, avec les outils de la modernité pénale : procès contradictoire, Code, fin du régime suppliciaire et de l’infamie, peine individualisée, prison carcérale.

51 Miniatures humanistes du réformisme juridique, les « causes célèbres » de Voltaire déplorent le régime patibulaire, obstacle et défi au bonheur social. Son idéal punitif vise la détention corrective et socialement régénératrice par le travail forcé. Le corps patibulaire correspond au passé. Le corps incarcéré incarne l’avenir pénal – selon les projets du philanthrope visiteur des prisons John Howard et du philosophe utilitaire des peines et des récompenses Jeremy Bentham, auteur du Panoptique, emblème utopique de la culture pénitentiaire [68]. Marquée d’un libéralisme hostile à la violence corporelle du glaive, la philosophie politique de Voltaire illustre le réformisme des Lumières, auquel fait écho en 1789 l’esprit social des cahiers de doléances [69]. En oubliant l’herméneutique voltairienne, moins histoire que critique de la justice patibulaire, on risque de négliger l’avertissement épistémologique formulé par Tocqueville, dès le milieu des années 1850. L’auteur de L’Ancien Régime et la révolution invitait alors à penser les grands principes politiques et juridiques des Lumières, en écartant les « détails pour arriver aux idées mères » [70].


Mots-clés éditeurs : siècle, Beccaria, e, justice patibulaire, historiographie, humanisme pénal, France, XVIII

Date de mise en ligne : 19/12/2016

https://doi.org/10.3917/rhmc.633.0088

Notes

  • [1]
    Raymond TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme. Textes sur la justice et la tolérance présentés et annotés par Raymond Trousson, Bruxelles, Centre d’action laïque, 1994, p. 309. Dernier ouvrage de l’auteur de cet article : Michel PORRET, Élisabeth SALVI (éd.), Cesare Beccaria. La controverse pénale, XVIIIe-XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, dont : M. PORRET, « Le moment Beccaria », p. 15-38. Sur les juristes évoqués infra : Patrick ARABEYRE, Jean-Louis HALPÉRIN, Jacques KRYNEN (éd.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, Paris, PUF, 2007. Sur les décrets de la censure pontificale cités infra : Jésus Martinez DE BUJANDA, Index Librorum prohibitorum 1600-1966, Montréal et Genève, Médiaspaul et Droz, 2002.
  • [2]
    Cet article s’appuie sur une contribution parue dans les Cahiers Voltaire, 8, 2009, p. 7-28, remaniée et augmentée pour la RHMC.
  • [3]
    Œuvres complètes de Voltaire, vol. 1, Vie de Voltaire, Paris, Esneaux, 1833, « Apothéose », p. 570.
  • [4]
    Essentiel sur l’œuvre voltairienne et sa réception : Jean GOULEMOT, André MAGNAN, Didier MASSEAU (éd.), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995. Sur le profil biographique de Voltaire : François JACOB, Voltaire, Paris, Gallimard, 2015.
  • [5]
    Immanuel KANT, « Beantwortung der Frage : Was ist Auf klärung ? », Berlinische Monatsschrift, 4-12, 1784, p. 481-494 ; traduction (Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ?) et dossier complet de la polémique religieuse à laquelle participe Kant dans Jean MONDOT (éd.), Qu’est-ce que les Lumières ? [1991], Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007.
  • [6]
    M. PORRET (éd.), Sens des Lumières, Genève, Georg, 2008.
  • [7]
    Zeev STERNHELL, Les anti-Lumières. Du XVIIIe siècle à la Guerre froide, Paris, Fayard, 2006, « Introduction », p. 7-46. Voir aussi D. MASSEAU, Les ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000 ; ID., « Qu’est-ce que les anti-Lumières ? », Dix-Huitième siècle, 46, 2014, p. 107-123.
  • [8]
    Bronislaw BACZKO, « Les peurs de la terreur », in Jacques BERCHTOLD, M. PORRET (éd.), La peur au XVIIIe siècle : discours, représentations, pratiques, Genève, Droz, 1994, p. 69-86, p. 84-85. Discours d’Alexandre SOLJENITSYNE, « Les Lumières, matrice diabolique du totalitarisme », prononcé à l’Académie des sciences (Moscou), le 13 décembre 2000 (https://bibliothequedecombat.wordpress.com/2014/04/24/).
  • [9]
    Isaiah BERLIN, La liberté et ses traîtres, six ennemis de la liberté [2002], Paris, Payot & Rivages, 2007 (conférences prononcées à la BBC dans les années 1950) ; Z. STERNHELL, Les anti-Lumières…, op. cit., p. 39.
  • [10]
    Alain TOURAINE, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992 ; Jean-Claude GUILLEBAUD, La trahison des Lumières. Enquête sur le désarroi contemporain, Paris, Seuil, 1995, p. 57-60.
  • [11]
    VOLTAIRE, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations et sur les principaux faits de l’histoire depuis Charlemagne jusqu’à Louis XIII, éd. René POMEAU, 2 vol., Paris, Garnier, 1963.
  • [12]
    Nous renvoyons aux trois volumes de B. Garnot emblématiques de ce révisionnisme historiographique : Benoît GARNOT : C’est la faute à Voltaire… : une imposture intellectuelle ?, Paris, Belin, 2009 ; ID., Voltaire et l’affaire Calas. Les faits, les interprétations, les enjeux, Paris, Hatier, 2013 ; ID., Voltaire et Charlie, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2015.
  • [13]
    M. PORRET, « À la une de Surveiller et punir : l’anachronisme du supplice de Damiens », in Marco CICCHINI, ID. (éd.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Antipodes, 2007, p. 111-124. Outre les premières pages de Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, sur le retentissement social et l’enjeu politico-pénal du cas Damiens : Pierre RÉTAT (éd.), L’attentat de Damiens : discours sur l’événement au XVIIIe siècle, Paris et Lyon, CNRS Éditions et Presses universitaires de Lyon, 1979 ; Dale VAN KLEY, The Damiens Affair and the Unraveling of the Ancien Regime (1750-1770) [1984], Princeton, Princeton University Press, 2014.
  • [14]
    Antoine LILTI, Figures publiques. L’invention de la célébrité, 1750-1850, Paris, Fayard, 2014, p. 25-37.
  • [15]
    B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 15 et 21.
  • [16]
    Marc ANGENOT, La parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
  • [17]
    B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 22.
  • [18]
    ID., C’est la faute…, op. cit., p. 5.
  • [19]
    ID., Voltaire et Charlie, op. cit., p. 47.
  • [20]
    Ibidem, p. 48, nous soulignons.
  • [21]
    Ibidem, p. 42 et 50.
  • [22]
    M. FOUCAULT, Surveiller…, op. cit.
  • [23]
    Pour tout le passage suivant, B. GARNOT, Voltaire et l’affaire Calas…, op. cit., p. 11-29.
  • [24]
    Ibidem, p. 88-90 ; ID., Voltaire et Charlie, op. cit., p. 49-50, nous soulignons.
  • [25]
    Keith Michael BAKER, Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique au XVIIIe siècle [1990], Paris, Payot, 1993 ; Jürgen HABERMAS, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise [1962], Paris, Payot, 1997 ; Mona OZOUF, « Le concept d’opinion publique au XVIIIe siècle », in EAD., L’Homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, p. 21-53 ; Dominique REYNIÉ, Le triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 1998.
  • [26]
    Pour ce passage, B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 9 ; ID., C’est la faute…, op. cit., p. 13-22, 22-27, 132 ; ID., Voltaire et l’affaire Calas…, op. cit., p. 87.
  • [27]
    VOLTAIRE, Traité sur la tolérance [1763] (sur le modèle de l’Essai sur les mœurs), éd. René POMEAU, Paris, Flammarion, 1989.
  • [28]
    B. GARNOT, Voltaire et Charlie, op. cit., p. 5-6 ; nous soulignons.
  • [29]
    ID., Voltaire et l’affaire Calas…, op. cit., p. 86, 89, 91.
  • [30]
    ID., C’est la faute…, op. cit., p. 136 et p. 9.
  • [31]
    M. FOUCAULT, Résumé des cours, 1970-1982, Paris, Julliard, 1988, p. 29-51 ; Mario SBRICCOLI, Storia del diritto penale e della giustizia – Scritti editi e inediti (1972-2007), 2 vol., Milan, Giuffrè, 2009, dont « Giustizia criminale », vol. 2, p. 3-44.
  • [32]
    MONTESQUIEU, De l’esprit des Lois [1748], éd. Robert DERATHÉ, Paris, Garnier, 1973, vol. 1, 6, VIII ; M. PORRET, Le crime et ses circonstances. De l’esprit de l’arbitraire au siècle des Lumières selon les réquisitoires des procureurs généraux de Genève, Genève, Droz, 1995 (Index général, « Arbitraire limité ou ordonné », p. [535]).
  • [33]
    Coutume générale des pays et duché de Bourgogne, avec le commentaire de Monsieur Taisand […], Dijon, Ressayre, 1698, p. 44 ; François-Ignace DUNOD DE CHARNAGE, Observations sur les titres des droits de justice, des fiefs, des cens, des gens mariés et des successions de la coutume du comté de Bourgogne, avec des traités à l’usage de la même province […], Besançon, Daclin, 1756, p. 81.
  • [34]
    Fortunato Bartolomeo DE FELICE (éd.), Code de l’humanité ou la législation universelle, naturelle, civile et politique, avec l’histoire littéraire des plus grands hommes qui ont contribué à la perfection de ce code, Yverdon, De Felice, 1778, vol. 6, p. 745.
  • [35]
    Recueil des Édits, Déclarations, Lettres-patentes, Arrêts et Réglements du Roi, registrés en la Cour du Parlement de Normandie, depuis l’année 1764, jusqu’en 1771, première partie, Rouen, Lallemant, 1774, p. 43 (« Arrêt du Parlement, qui fait défenses d’enterrer les Suppliciés sans une Permission, 21 juillet 1755 »).
  • [36]
    Pascal BASTIEN, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Seyssel, Champ Vallon, 2006 ; Richard J. EVANS, Rituals of Retribution. Capital Punishment in Germany, 1600-1987, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; M. FOUCAULT, Surveiller…, op. cit. ; Paul FRIEDLAND, Seeing Justice Done. The Age of Spectacular Capital Punishment in France, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; Pieter SPIERENBURG, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression : From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
  • [37]
    Code criminel de l’Empereur Charles V, vulgairement appelé la Caroline, contenant les lois qui sont suivies dans les Juridictions Criminelles de l’Empire : et à l’usage des Conseils de Guerre des Troupes Suisses, Paris, Simon, 1734 [1530, 1532 dans les États de l’Empire], art. CXXX, p. 210-211.
  • [38]
    Archives d’État de Genève (désormais AEG), Procès criminel (PC), série I, 8 960, 1743 (leçon en partie modernisée).
  • [39]
    AEG, PC, série I, 10 641, 1759, sentence définitive.
  • [40]
    MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, op. cit., 6, XII.
  • [41]
    Bernard SCHNAPPER, « Les peines arbitraires du XIIIe au XVIIIe siècle (Doctrines savantes et usages français) », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis/Revue d’histoire du Droit/The Legal History Review, 41-2, 1973, p. 237-277 et 42-1, 1974, p. 81-112 ; Franco VENTURI, Utopia e riforma nell’Illuminismo [1970], Turin, Einaudi, 2001. Voir aussi Jean CARBONNIER, Essai sur les lois, Paris, Répertoire notarial Defrenois, 1979 ; James HEATH, Eighteenth-Century Penal Theory, Oxford, Oxford University Press, 1963 ; Frederick ROSEN, « Utilitarianism and the reform of the criminal law », in Mark GOLDIE, Robert WOKLER (éd.), The Cambridge History of Eighteenth-Century Political Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 547-572.
  • [42]
    Carlo CAPRA, I progressi della ragione. Vita di Pietro Verri, Bologne, Il Mulino, 2002 ; Gianni FRANCIONI, Sergio ROMAGNOLI (éd.), « Il Caffè », 1764-1766, Turin, Bollati Boringhieri, 1993 ; Raymond ABBRUGIATI (éd.), Le café, 1764-1766, Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1997 (édition bilingue).
  • [43]
    Cesare BECCARIA, Des délits et des peines [1764], Genève, Droz, 1965 ; s’y ajoutent deux traductions récentes : Des délits et des peines – Dei delitti e delle pene, introduction, traduction et notes de Philippe AUDEGEAN, texte italien établi par G. FRANCIONI, Lyon, ENS Éditions, 2009 ; Des délits et des peines, traduction et notes d’Alessandro FONTANA et Xavier TABET, Paris, Gallimard, 2015.
  • [44]
    M. PORRET (éd.), Beccaria et la culture juridique des Lumières, Genève, Droz, 1997 ; Jean GRAVEN, « Beccaria et l’avènement du droit pénal moderne (1738-1794) », in Grandes figures et grandes œuvres juridiques, Genève, Librairie de l’Université, 1948, p. 97-186 ; M. PORRET, « Voltaire et le “vol domestique” à la lumière du droit pénal », in J. BERCHTOLD, ID. (éd.), Être riche au siècle de Voltaire. Actes du colloque de Genève (18-19 juin 1994) ; études d’histoire et de littérature, Genève, Droz, 1996, p. 255-278 ; Frederic Herbert MAUGHAM, The Case of Jean Calas, Londres, Heinemann, 1928 ; Ghislain WATERLOT, Voltaire. Le procureur des Lumières, Paris, Michalon, 1996.
  • [45]
    B. GARNOT, C’est la faute…, op. cit., p. 136.
  • [46]
    Émile DURKHEIM, L’année sociologique, 4, 1899-1900, p. 65-96 ; Adriano PROSPERI, Delitto et perdono. La pena di morte nell’orizzonte mentale dell’Europa cristiana. XIV-XVIII secolo, Turin, Einaudi, 2013, p. 5-90.
  • [47]
    Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE (éd.), Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, vol. 1, Berlin et Paris, Desauges, 1782, p. XII-XIV ; Le prix de la justice et de l’humanité, par M. de Voltaire, se trouve au tome 5 ; Brissot publie le gotha du réformisme pénal ; voir tome 10, « Table alphabétique des auteurs cités », Voltaire, p. 389. Sur son réformisme pénal : Giovanna CAVALLARO, J. P. Brissot criminalista al tramento dell’ancien régime, Ferrare, Editrice Universitaria, 1981, p. 47-173.
  • [48]
    R. TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme…, op. cit., p. 381.
  • [49]
    Jim CHEVALLIER (éd.), The Old Regime Police Blotter II. Sodomites, Tribads and « Crimes against Nature ». Early Moderne True Crime, North Hollywood, Chez Jim Books, 2010 (Deschauffours, p. 88-161) ; Janine GARRISSON, L’affaire Calas. Miroir des passions françaises, Paris, Fayard, 2004 ; Michael KWASS, Contraband. Louis Mandrin and the Making of a Global Underground, Cambridge, Harvard University Press, 2014 ; Patrice PEVERI, « Clandestinité et nouvel ordre policier dans le Paris de la Régence : l’arrestation de Louis-Dominique Cartouche », in Sylvie APRILE, Emmanuelle RETAILLAUD-BAJAC (éd.), Clandestinités urbaines : les citadins et les territoires du secret (XVIe-XXe), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 151-170 (bibliographie des nombreux travaux de l’auteur sur le sujet) ; VOLTAIRE, L’Affaire du chevalier de La Barre ; précédé de L’Affaire Lally, Paris, Gallimard, 2008.
  • [50]
    Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens tant en la Prévôté de l’Hôtel, qu’en la Cour du Parlement, 4 vol., Paris, Simon, 1757 ; vol. 1, « Précis historique concernant R. F. Damiens », p. V-LXXXIV.
  • [51]
    Nicolas-Edme RÉTIF DE LA BRETONNE, Les nuits de Paris ou le spectateur-nocturne [1788], Paris, Gallimard [1986], 1987, « Dixième nuit : le rompu », p. 56-57 (nos italiques).
  • [52]
    Sarah MAZA, Vies privées, affaires publiques. Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire [1993], Paris, Fayard, 1997.
  • [53]
    Nicolau EYMERICH, Francisco PEÑA, Le manuel des inquisiteurs [1376, 1578], éd. Louis SALAMOLINS, Paris et La Haye, Mouton, 1973 ; André MORELLET, Abrégé du manuel des inquisiteurs [1762], Grenoble, Jérôme Millon, 1990.
  • [54]
    VOLTAIRE, Commentaire sur le livre Des Délits et des peines, par un avocat de province, [Genève, Grasset], 1766, cité selon R. TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme…, op. cit., p. 302.
  • [55]
    VOLTAIRE, Essai sur les mœurs…, op. cit., vol. 1, p. 366-367.
  • [56]
    ID., Le siècle de Louis XIV [1753], in Œuvres historiques de Voltaire, éd. René POMEAU, Paris, Gallimard, 1957, p. 972 ; Yves JEANCLOS, La législation pénale de la France du XVIe au XIXe siècle : textes principaux, Paris, PUF, 1996, « Ordonnance criminelle », p. 22-43.
  • [57]
    Œuvres historiques…, op. cit., Précis du siècle de Louis XV, p. 1530.
  • [58]
    VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique [1764], éd. Raymond NAVES et Julien BENDA, Paris, Garnier, 1967, articles cités : voir « Table des matières », p. 629-632.
  • [59]
    Charles-Clément-François DE L’AVERDY, Code pénal ou recueil des principales ordonnances, édits et déclarations sur les crimes et délits. Seconde édition augmentée d’un Essai sur l’esprit et les motifs de la procédure criminelle, Paris, Desaint et Saillant, 1755 ; François SERPILLON, lieutenant général d’Autun, hostile à la torture judiciaire, a laissé un Code criminel ou Commentaire sur l’Ordonnance de 1670, Lyon, Périsse, 1767, dont la modernité réside dans son projet codificateur. Voir Yves CARTUYVELS, D’où vient le Code pénal ? Une approche généalogique des premiers codes pénaux absolutistes au XVIIIe siècle, Bruxelles, De Boeck Université etc., 1996.
  • [60]
    Muyart de Vouglans a laissé deux types d’écrits. D’une part, de la doctrine : Pierre-François MUYART DE VOUGLANS, Institutes au droit criminel, ou principes généraux en ces matières, […] avec un traité particulier des crimes, Paris, Le Breton, 1757 ; ID., Instruction criminelle suivant les loix et ordonnances du royaume, Paris, Desaint, 1762 ; ID., Les loix criminelles de France dans leur ordre naturel ([suivi de] Réfutation du Traité des délits et des peines, Mémoire sur les peines infamantes et Motifs de ma foi en Jésus-Christ ; ou points fondamentaux de la Religion chrétienne, discutés suivant les principes de l’Ordre judiciaire), Paris, Merigot, Crapart et Morin, 1780 ; à la doctrine pénale, s’ajoutent les pamphlets contre la philosophie : ID., Réfutation des principes hasardés dans le Traité des délits et peines, Lausanne et Paris, Desaint, 1767 ; ID., Lettre de l’auteur des loix criminelles au sujet des nouveaux plans de réforme proposés en cette matière, s.l., [1781] ; ID., Lettre sur le système de l’auteur de L’Esprit des lois, touchant la modération des peines, Bruxelles et Paris, Durand et Belin, 1785 ; Voir : M. PORRET, « Les “lois doivent tendre à la rigueur plutôt qu’à l’indulgence”. Muyart de Vouglans versus Montesquieu », Revue Montesquieu, 1, 1997, p. 65-95 ; ID., « Atténuer le mal de l’infamie : le réformisme conservateur de Pierre-François Muyart de Vouglans », Crime, histoire & sociétés, 4-2, 2000, p. 95-120.
  • [61]
    P. F. MUYART DE VOUGLANS, Réfutation…, op. cit., p. 825-826.
  • [62]
    Jean DOMAT, Les loix civiles dans leur ordre naturel [1689], vol. 1, Luxembourg, Chevalier, 1702, p. I-II (« Traité des loix », I).
  • [63]
    Augustin NICOLAS, Si la torture est un moyen seur à vérifier les crimes secrets : dissertation morale et juridique [1681], Marseille, Lafitte Reprints, 1982, passim.
  • [64]
    Antoine LOUIS, Mémoire sur une question anatomique relative à la jurisprudence : dans lequel on établit les principes pour distinguer, à l’inspection d’un corps trouvé pendu, les signes du Suicide d’avec ceux de l’Assassinat, Paris, Cavelier, 1763 ; M. PORRET, « Calas innocent : les preuves par la science », L’Histoire, 323, 2007, p. 68-73.
  • [65]
    Dès 1789, la noblesse parisienne exige la réhabilitation du supplicié (« cahiers de doléances »). Or, il revient à la Convention régicide de réhabiliter le jeune aristocrate (15 novembre 1793).
  • [66]
    Cité selon R. TROUSSON (éd.), Voltaire et les droits de l’Homme…, op. cit., p. 301-389.
  • [67]
    Dario IPPOLITO, Diritti e potere. Indagini sull’Illuminismo penale, Rome, Aracne, 2012, p. 84-102.
  • [68]
    Cyprian BLAMIRES, The French Revolution and the Creation of Benthamism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2008 ; Michael IGNATIEFF, A Just Measure of Pain. The Penitentiary in the Industrial Revolution 1750-1850. Londres, Macmillan, 1978.
  • [69]
    Écho à la vulgate du réformisme, les cahiers de doléances du tiers exigent collectivement la « réformation générale du droit criminel » – rejet de l’arbitraire, des lettres de cachet, des supplices et de l’usage immodéré de la mort pénale. S’y ajoutent les revendications pour l’égalité sociale en justice ainsi que la légalité des peines qu’instaurera le Code pénal. L’esprit de Beccaria, relayé par Voltaire, inspire le législateur révolutionnaire qui légalise le libéralisme pénal des Lumières et renverse l’ordre institutionnel traditionnel, sans pouvoir abolir la mort pénale ; Albert DESJARDINS, Les cahiers des États généraux de 1789 et la législation criminelle, Paris, Durand & Pedone-Lauriel, 1883. Sur la justice pénale construite dès 1789 : Robert BADINTER (éd.), Une autre justice, 1789-1799. Contributions à l’histoire de la justice sous la Révolution française, Paris, Fayard, 1989, ainsi que les livres de référence de Jacqueline Lucienne LAFON, La Révolution française face au système judiciaire d’Ancien Régime, Genève, Droz, 2001 et de Roberto MARTUCCI, La Costituente ed il problema penale in Francia (1789-1791), 1. Alle origini del processo accusatorio : i decreti Beaumetz, Milan, Giuffrè, 1984, p. 3-89. Sur le contexte politique du Code pénal (1791, 1810) : Pierre LASCOUMES, Pierrette PONCELA, Pierre LENOËL, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du Code pénal, Paris, Hachette, 1989.
  • [70]
    Alexis DE TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution [1856], Paris, Gallimard, 1986, p. 230.

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