1 L’ouvrage plaît d’abord par la longue familiarité que l’on sent, chapitre après chapitre, ent re l’auteur et son sujet. Louis Sicking, historien en poste à Amsterdam et à Leyde, avait déjà consacré plusieurs livres à l’histoire maritime des Pays-Bas à l’époque moderne – dont Zeemacht en onmacht. Maritieme politiek in de Nederlanden 1488-1558 (1998) et Neptune and the Netherlands. State, Economy and War at Sea in the Renaissance (2004) ; mais c’est un cadre chronologique explicitement élargi à la guerre de Quatre-Vingts Ans qui donne sens au présent ouvrage. Celui-ci se consacre en effet très largement, par l’histoire de la construction d’un espace entre terre et mer, à la déconstruction d’une « rupture » fondatrice des historiographies belge et néerlandaise. Pour L. Sicking, les chronologies politiques et militaires (au premier rang desquelles on trouve la prise d’Anvers par les troupes d’Alexandre Farnèse en 1585) masquent des évolutions de plus long terme perceptibles aussi bien au nord qu’au sud – c’est pourquoi il se concentre, dans le présent travail, sur une « zone centrale » des Pays-Bas composée de la Hollande, de la Zélande et de la Flandre, et dont l’île de Walcheren constitue le cœur. Ce projet simple – et dans lequel l’inspiration braudélienne, explicite, est bien plus qu’un clin d’œil au lecteur français – donne un ouvrage non seulement convaincant mais passionnant, dans lequel la clarté et la structure de l’écriture font vite oublier quelques coquilles.
2 Le plan, bien que non linéaire, suit largement la chronologie. Une première partie montre les intérêts et les rivalités à l’œuvre dans l’évolution et l’aménagement des estuaires et façades maritimes ; un second temps de l’étude dépeint les intérêts maritimes « lointains » – de la péninsule Ibérique à la Baltique – des différentes provinces des Pays-Bas, avant que les derniers chapitres retracent l’histoire de la Révolte proprement dite. À l’intérieur de cette trame, les correspondances sont multiples : le chapitre conclusif sur les amirautés – instances de contrôle étatiques de la mer et des gens de mer – tant des Pays-Bas du Sud que des Provinces-Unies, fait ainsi écho au chapitre liminaire présentant la genèse et la construction fisco-étatique des Pays-Bas bourguignons puis habsbourgeois. Les tendances de fond – l’affirmation de Middelburg, qui évince peu à peu les localités concurrentes pour dominer l’île de Walcheren et sait attirer les faveurs de Habsbourg traditionnellement attachés au petit port de Veere, ou encore la sûreté croissante du Zuiderzee qui permet, bien avant la Révolte, le développement économique d’Amsterdam et l’essor maritime d’une Hollande dont la flotte surclasse dès le milieu du XVIe siècle celle du reste des Pays-Bas – sont nettement perceptibles, de même que les divergences d’intérêts entre un littoral septentrional relativement abrité et des provinces méridionales directement confrontées à la menace française. Le lien à la chronologie peut également être saisi à un second niveau, cette fois documentaire : l’auteur aime en effet à multiplier, à la faveur de dossiers archivistiques exceptionnels, des éclairages ciblés sur tel ou tel point. Le débat nourri sur les ordonnances maritimes promulguées par Charles Quint en 1550-1551 est ainsi l’occasion de reprendre, via une analyse des modalités de gestion du risque maritime, tout le débat sur les « rich trades » et leur rôle dans l’essor des Provinces-Unies : les Hollandais, appuyés sur une flotte plus nombreuse et sur la pratique de la parsonnerie, auraient très tôt su en accaparer le commerce. L’étude de la pêche aux harengs, principal produit d’exportation des Pays-Bas, permet de mettre au jour les avantages comparatifs de telle ou telle province ou ville, voire d’éclairer des comportements lobbyistes – en l’occurrence des villes flamandes de Dunkerque, Nieuport et Ostende. Le rôle tenu par la mer et par son contrôle dans l’affirmation symbolique du souverain est enfin abordé par l’analyse du pavoisement des navires et de différentes commandes iconographiques, de Philippe de Bourgogne à Philippe II.
3 Les ouvrages en français permettant de saisir l’histoire de cette région ne sont pas légion, alors même que son importance est reconnue pour l’histoire aussi bien du Moyen Âge tardif que de la première modernité – après tout, sur la façade atlantique européenne, il n’est guère d’espace maritime, hormis peut-être le Sund, où les circulations soient aussi denses. L’ouvrage de L. Sicking présente l’avantage d’offrir non seulement une synthèse appuyée sur une bibliographie à la fois internationale et récente, mais aussi des éclairages originaux étayés par une documentation belge, néerlandaise, française ou autrichienne. L’importance et la diversité des enjeux, la complexité de la topographie et du dessin de ces côtes mouvantes, et en somme la construction d’une géographie par l’homme, sont enfin rendus accessibles au profane par de nombreuses et excellentes annexes, qu’elles soient reprises de publications antérieures ou inédites : parmi l’ensemble de cartes, de panoramas et de tableaux statistiques, on notera particulièrement la représentation d’un phénoménal système de phares et de signaux côtiers permettant, en quelques heures, de faire passer l’annonce d’un danger du sud au nord des Pays-Bas.
4 On l’aura compris : le livre, clairement destiné à un public d’historiens français que l’auteur, de références à Braudel en citations de Richelieu, s’emploie à séduire, devrait non seulement trouver son public, mais aussi s’intégrer aux collections des bibliothèques universitaires et aux lectures à recommander aux étudiants. Cela ne serait que justice – et puis, pourquoi bouder son plaisir ?