Notes
-
[1]
À l’occasion du procès du « piqueur » Bizeul, 400 déclarations de piqûres ont été recensées, parmi lesquelles 38 seulement ont fait l’objet d’une audition. D’après le Journal de Paris et des départements, 29 février 1820. Je remercie vivement, pour leurs relectures éclairées, Quentin Deluermoz, Laurence Guignard, Dominique Kalifa, Gilles Malandain, Clyde Plumauzille.
-
[2]
Archives nationales (désormais AN) F76952.
-
[3]
Il est condamné le 1er février 1820 à cinq ans de prison et 500 francs d’amende. Sa peine a été confirmée en appel le 26 février.
-
[4]
Gilles MALANDAIN, L’introuvable complot. Attentat, enquête et rumeur dans la France de la Restauration, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011.
-
[5]
Sylvie CHAPERON, Les origines de la sexologie, 1850-1900, Paris, Audibert, 2007, p. 112.
-
[6]
Arlette FARGE, Jacques REVEL, Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants, Paris 1750, Paris, Hachette, 1988.
-
[7]
Cf. dans le sillage des travaux de Steven Kaplan à propos du XVIIIe siècle, Nicolas BOURGUINAT, « La ville, la haute police et la peur : Lyon entre le complot des subsistances et les manœuvres politiques en 1816-1817 », Histoire urbaine, 2000-2, p. 131-147.
-
[8]
Cf. Philippe ALDRIN, « Penser la rumeur. Une question discutée des sciences sociales », Genèses, 50, 2003-1, p. 126-141, et pour le XIXe siècle, à partir d’un matériau empirique surtout rural, François PLOUX, De bouche à oreille : naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 2003.
-
[9]
Sur les usages multiples du concept : Quentin DELUERMOZ, « Anthropologie historique », in Christian DELPORTE, Jean-Yves MOLLIER, Jean-François SIRINELLI (éd.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2009, p. 34-37.
-
[10]
Outre la presse (une dizaine de titres nationaux), des bulletins de police de la sous-série F7 des Archives nationales (en 1819, mais aussi en 1822 et 1823), des pamphlets et des caricatures, dont les références précises figurent au fil de l’article. Ajoutons un mince dossier « piqueurs » aux Archives départementales du Rhône (désormais AD 69), 4M 180. Le dossier de procédure du principal procès parisien de présumé piqueur, Bizeul, n’est malheureusement pas conservé, et il faut dès lors se contenter des comptes rendus du procès par la presse contemporaine.
-
[11]
À la différence de la belle enquête d’anthropologie pragmatique de Julien BONHOMME, Les voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Seuil, 2010.
-
[12]
Concept créé par le sociologue Stanley COHEN (Folk Devils and Moral Panics, Londres, MacGibbon and Kee, 1972). En réaction à une déviance nouvelle, une panique morale, médiatisée et éphémère, est encadrée par des « entrepreneurs moraux » qui érigent des « boucs émissaires ».
-
[13]
Cf. en particulier Judith R. WALKOWITZ, City of Dreadful Delight : Narratives of Sexual Danger in Late-Victorian London, Londres, Virago, 1992. Une de ces affaires naît d’une enquête controversée sur les bas-fonds de Londres et la prostitution de jeunes vierges, publiée par William Stead en 1885, The Maiden Tribute of the Modern Babylon.
-
[14]
Bulletin de Paris (rapport du préfet de police au ministre de l’Intérieur) du 11 décembre 1819, AN F73874.
-
[15]
Ils referont surface à l’occasion du procès Bizeul, en janvier-février1820.
-
[16]
La Renommée, 18 novembre 1819.
-
[17]
La Renommée, 20 novembre 1819.
-
[18]
Le Moniteur, 4 décembre 1819.
-
[19]
Cf. « La Ruche parisienne », in Le peuple de Paris au XIXe siècle, Paris, Paris-Musées, 2012, p. 73-100.
-
[20]
Cf. Dominique KALIFA, Crime et culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2005, p. 17-43.
-
[21]
Extraits des rapports des commissaires de police du 11 décembre 1819, AN F76952.
-
[22]
Ibidem.
-
[23]
La Quotidienne, 19 décembre 1819.
-
[24]
Le Constitutionnel, 2 février 1820.
-
[25]
Encore s’agissait-il de violences perpétrées par un auteur unique : « La manie des piqûres dont tant de femmes viennent d’être victimes a déjà existé en Angleterre en 1790. Un jeune homme de 25 à 30ans s’amusait à piquer avec une canne à dard les jeunes femmes qu’il rencontrait ; il fut bientôt arrêté et condamné à la déportation pour sept ans. » (La Gazette de France, 15 décembre 1819).
-
[26]
Le terme de « piqueurs » apparaît dans un bulletin de police le 11 décembre (AN F73874).
-
[27]
Cf. D. KALIFA, « L’attaque nocturne : une frayeur », in Crime et culture…, op. cit., p. 235-256.
-
[28]
« Lorsque les blessures ou les coups n’auront occasionné aucune maladie ni incapacité de travail personnel de l’espèce mentionnée en l’article 309 [maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours], le coupable sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans, et d’une amende de seize francs à deux cents francs. S’il y a eu préméditation ou guet-apens, l’emprisonnement sera de deux ans à cinq ans, et l’amende de cinquante francs à cinq cents francs. »
-
[29]
Extrait du rapport de M. Rivoire, officier de paix, du 10 décembre 1819, AN F76952.
-
[30]
Cf. Gabrielle HOUBRE, La discipline de l’amour. L’éducation sentimentale des filles et des garçons à l’âge du romantisme, Paris, Plon, 1997, p. 154-195 ; Jean-Claude CARON, « Jeune fille, jeune corps : objet et catégorie (France, XIXe-XXesiècles) », in Louise BRUIT ZAIDMAN, Gabrielle HOUBRE, Christiane KLAPISCH-ZUBER, Pauline SCHMITT-PANTEL (éd.), Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001, p. 167-188.
-
[31]
Le Moniteur universel, 4 décembre 1819.
-
[32]
Le Journal des débats politiques et littéraires, 2 février 1820 (à propos des témoins à charge contre Bizeul).
-
[33]
D’après Alexandre PARENT-DUCHÂTELET, plus de la moitié des prostituées parisiennes avaient moins de 25ans en 1831 (in De la prostitution de la ville de Paris, Paris, Baillière, 1857, p. 94).
-
[34]
Article « Fille », in Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1816, vol. 15, p. 502-503.
-
[35]
L’Indépendant, 17 décembre 1819.
-
[36]
Alain CORBIN, L’harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie, Paris, Perrin, 2008.
-
[37]
Robert BECK, « La promenade urbaine au XIXe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 116-2, 2009, p. 165-190.
-
[38]
Walter BENJAMIN, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Cerf, 1993, p. 73.
-
[39]
Simone DELATTRE, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 2000, p. 409.
-
[40]
Anne-Marie SOHN, « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2009, p. 137-180, et, sur les rapports de genre dans l’espace des théâtres et des boulevards, Denise DAVIDSON, France after Revolution. Urban life, Gender, and the New Social Order, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2007, p. 75-128.
-
[41]
Paul GARNIER, « Le sadi-fétichisme », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1900, t. 43, p. 97-121.
-
[42]
Ibidem, p. 118.
-
[43]
Richard von KRAFFT-EBING, Psychopathia-sexualis. Avec recherches spéciales sur l’inversion sexuelle, traduction de la 8eédition allemande, Paris, Georges Carré, 1895, p. 97 et suiv.
-
[44]
Havelock ELLIS, Studies in the Psychology of Sex, Philadelphie, Davis, 1913, p. 124-125.
-
[45]
Ainsi l’érotomanie est-elle définie par l’aliéniste Esquirol en 1838 comme un délire partiel provoqué par un amour excessif et imaginaire.
-
[46]
Gilles TRIMAILLE, « L’expertise médico-légale face aux perversions : instrument ou argument de la justice ? », Droit et cultures, 60, 2010-2, p. 73-87.
-
[47]
On ne trouve ainsi aucune trace de l’affaire des piqueurs dans les principales revues médicales contemporaines Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie, Nouveau journal de médecine et Journal du dictionnaire des sciences médicales (fin 1819, début 1820).
-
[48]
Des traces de piqûres sur les fesses et les cuisses de la victime de Léger ont été repérées au moment de l’autopsie du corps. Je remercie Laurence Guignard pour cette information.
-
[49]
Georges LANTÉRI-LAURA, Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, Paris, Masson, 1979, p. 15.
-
[50]
Le maire de Bordeaux, dans une lettre au ministre de l’Intérieur (30 décembre 1819) évoque ainsi l’« horrible manie qui paraît avoir saisi quelques Parisiens » (AN F76952).
-
[51]
Mémoire de l’avocat Claveau, cité dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 68.
-
[52]
Discours de l’avocat du roi, Bourguignon, cité dans L’Indépendant, 2 février 1820.
-
[53]
Le Journal des débats, 2 février 1820.
-
[54]
« Un homme de qualité qui a terminé ses jours à Bicêtre », peut-on lire dans La Renommée le 9 décembre 1819, « a révélé par sa conduite et par ses écrits jusqu’à quel degré d’atrocité et de dépravation le cœur humain était susceptible de descendre. Ainsi, lors de la première nouvelle des attentats sanguinaires dont quelques jeunes femmes ont été victimes, n’a-t-on par manqué d’en attribuer la cause à l’excès d’immoralité de quelque nouveau marquis de Sade ».
-
[55]
Claude DUCHET, « L’image de Sade à l’époque romantique », in Le marquis de Sade. Actes du colloque d’Aix-en-Provence des 19 et 20 février 1968, Paris, Armand Colin, 1968, p. 219-240.
-
[56]
Georges VIGARELLO, Histoire du viol. XVIe-XIXe siècle, Paris, Seuil, 2000, p. 85.
-
[57]
Plaidoirie de l’avocat de Bizeul, MeClaveau, citée par La Renommée, 2 février 1820.
-
[58]
La Quotidienne, 2 février 1820.
-
[59]
Bulletin de Paris du 17 décembre 1819, AN F73874.
-
[60]
Gilles MALANDAIN, « Le sens d’un mot : attentat, de l’Ancien Régime à nos jours », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française [en ligne], 2012/1 (http://lrf. revues.org/368).
-
[61]
Point commun avec la peur contemporaine des « voleurs de sexe » en Afrique de l’Ouest, qui rompt avec le contexte ordinaire de la sorcellerie. Cf. J. BONHOMME, op. cit.
-
[62]
Georg SIMMEL, « Les grandes villes et la vie de l’esprit », in Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989, p. 234.
-
[63]
La Gazette de France, 11 décembre 1819.
-
[64]
Mémoire de l’avocat Claveau, cité dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 64.
-
[65]
Lettre du préfet du Nord au Directeur général de la police, 29 avril 1820 ; Lettre du préfet de police au ministre de l’Intérieur du 10 décembre 1823, AN F76952.
-
[66]
Ibidem.
-
[67]
Le rapport aux bas-fonds est tissé de peur et de fascination et se focalise sur quelques catégories et quelques espaces de « contre-sociétés », comme le souligne Dominique KALIFA dans Les bas-fonds. Histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, 2013. Les piqueurs restent quant à eux non identifiables et non assignables à un espace, social ou topographique.
-
[68]
Le Censeur européen, 14 décembre 1819.
-
[69]
Le préfet de police doit constater le 9 décembre « dans le public une alarme et une inquiétude générales » (Bulletin de Paris du 9 décembre 1819, AN F73874).
-
[70]
Bulletin de Paris du 10 décembre 1819, AN F73874. Seules deux victimes lyonnaises de piqûres étaient des prostituées.
-
[71]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 29 décembre 1819, AN F76952.
-
[72]
Lettre du préfet de la Seine-Inférieure au ministre de l’Intérieur, 3 janvier 1820, AN F76952.
-
[73]
Le Vampire, nouvelle traduite de l’anglais de Lord Byron par Henri Faber, Paris, Chamerot, 1819. Voir également la fine observation dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 50 : « Comme le Vampire, dont le théâtre venait de faire revivre l’idée, il [le piqueur] semblait jouir de la vue du sang ; toutefois il ne s’en abreuvait pas. »
-
[74]
Edgar MORIN, La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1982, p. 18.
-
[75]
Le Moniteur universel, 11 décembre 1819.
-
[76]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 31 décembre 1819, AN F76952.
-
[77]
La Gazette de France, 17 décembre 1819.
-
[78]
Bulletin de Paris du 8 décembre 1819, AN F73874.
-
[79]
« Il a fallu soustraire, il y a trois jours, un homme à la fureur de la populace, parce qu’une femme avait prétendu qu’il avait voulu la piquer » (lettre du secrétaire général de la préfecture de la Seine-Inférieure au ministre de l’Intérieur, 3 janvier 1820). AN F76952.
-
[80]
Lettre du maire de Bordeaux au ministre de l’Intérieur, 30 décembre 1819, AN F76952.
-
[81]
Lettre du préfet du Rhône au ministre de l’Intérieur, 30 décembre 1819, AN F76952.
-
[82]
La Renommée, 13 décembre 1819.
-
[83]
« Le bruit avait été répandu que la fille du Sr Chauveau, vétérinaire, attachée à la maison de SAR Mgr le duc de Berry, était morte des suites d’une de ces blessures. Le commissaire du quartier, après avoir pris des informations, annonce que ladite Delle Chauveau est morte à Chambéry auprès de sa mère, il y a plus de six semaines, qu’elle a succombé à une maladie naturelle, et qu’elle n’avait point été blessée. » (Bulletin de Paris du 14 décembre 1819, AN F73874).
-
[84]
« Cet événement [une piqûre imaginaire] s’est répandu dans Paris avec des circonstances toutes différentes : c’est l’individu signalé qui a été arrêté, et la femme est dangereusement blessée ; suivant d’autres même, elle est morte. On exagère partout les faits, trop réels et déjà connus et ils sont le sujet de toutes les conversations. » (Bulletin de Paris du 8 décembre 1819, AN F73874).
-
[85]
Lettre du maire de Bordeaux au ministre de l’Intérieur, 4 janvier 1820, AN F76952.
-
[86]
F. PLOUX, De bouche à oreille, op. cit., p. 46 sq.
-
[87]
Le Moniteur universel, 14 décembre 1819 (à propos des informations diffusées par le journal Le Fanal).
-
[88]
Ibidem.
-
[89]
Minute de lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de police, 11 décembre 1823, AN F76952.
-
[90]
En particulier des témoignages de médecins.
-
[91]
65000 exemplaires en 1826.
-
[92]
Lettre du préfet de la Seine-Inférieure au ministre de l’Intérieur, 3 janvier 1820, AN F76952.
-
[93]
D. KALIFA, « L’envers fantasmé du quotidien », in Dominique KALIFA, Philippe RÉGNIER, Marie-Ève THÉRENTY et Alain VAILLANT (éd.), La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011, p. 1329-1340.
-
[94]
Collection de Vinck, n° 8748-8750-8751-8752-8753-8754-8755, Cabinet des estampes, BnF.
-
[95]
« Des inconnus chantaient et distribuaient au public des chansons ayant pour titre Les piqûres à la mode ou les nouvelles blessures. Se voyant observés et craignant d’être arrêtés, ils ont pris la fuite, abandonnant leurs chansons qui ont été saisies. » (Bulletin de Paris du 13 décembre 1819, AN F73874).
-
[96]
Lettre du pharmacien Liébert, rue Saint Louis, au rédacteur de l’Indépendant, 13 décembre 1819.
-
[97]
« Une foule immense a dû se porter à l’audience » (L’Indépendant, 26 janvier 1820).
-
[98]
Louis-Michel ROUQUETTE, La rumeur et le meurtre. L’affaire Fualdès, Paris, PUF, 1992, p. 73-77.
-
[99]
La piqûre à la mode. Complaintes, romances et chansons faites à l’occasion des anecdotes sur les piqueurs, Paris, Martinet, 1819.
-
[100]
Le résultat d’une piqûre, gravure à l’eau-forte, 13 décembre 1819, Collection de Vinck, n° 8753.
-
[101]
Étrenne pour le jour de l’an 1820. Préservatif contre la piqûre, 24 décembre 1819, Collection de Vinck, n° 8752.
-
[102]
Étrennes dédiées aux dames pour 1820. Maison d’assurance contre les piqûres, ou les nouveaux croquemitaines, lithographie de Motte, Collection de Vinck, n° 8751.
-
[103]
Beau trait de sensibilité conjugale ou la piqûre empoisonnée, lithographie de Langlumé, 18 décembre 1819, Collection de Vinck, n° 8754.
-
[104]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 30 décembre 1819, AN F76952 ; Lettre du lieutenant de police de Lyon au préfet du Rhône, 30 décembre 1819, AD 69, 4M 180.
-
[105]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 29 décembre 1819, AN F76952.
-
[106]
Voir Le Journal des débats politiques et littéraires et Le Constitutionnel du 30 décembre 1819.
-
[107]
Ont été consultés, Le Constitutionnel, Le Censeur européen, Les Lettres normandes, La Renommée, La Minerve française, L’Indépendant (côté gauche), Le Journal de Paris et des départements, Le Moniteur (ministériel), Le Journal des débats politiques et littéraires, L’Ami de la religion et du roi, La Gazette de France, La Quotidienne (côté droit).
-
[108]
F. PLOUX, op. cit., p. 173-177.
-
[109]
G. MALANDAIN, op. cit., p. 11.
-
[110]
Ephraïm HARPAZ, L’école libérale sous la Restauration. Le Mercure et la Minerve, 1817-1820, Genève, Droz, 1968, p. 145-174.
-
[111]
Alain CORBIN, Histoire du corps, t. 2 : De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 215-238.
-
[112]
Annie DUPRAT, « La trésorière des Miramionnes n’avait qu’une fesse », Annales historiques de la Révolution française, 361, 2010-3, p. 53-64.
-
[113]
Marseille, Nîmes et ses environs en 1815… par M. Charles Durand, Paris, chez Plancher, 1818, t. 3, p. 31 ; Pierre-Joseph LAUZE DE PÉRET, Causes et précis des crimes, des désordres, des troubles dans le département du Gard et dans d’autres lieux du Midi de la France en 1815 et 1816, Paris, Poulet, 1819, p. 394-396. Cf. Pierre TRIOMPHE, « Le discours libéral sur la Terreur blanche nîmoise (1815-1816) », in Jean-Claude CARON, Frédéric CHAUVAUD, Emmanuel FUREIX et Jean-Noël LUC (éd.), Entre violence et conciliation. La résolution des conflits sociopolitiques en Europe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 39-49.
-
[114]
Les Lettres normandes, 14 décembre 1819, p. 145.
-
[115]
Les Lettres normandes, 22 décembre 1819, p. 163.
-
[116]
« Quelques pauvres ultras, qui ont appris par expérience et à leurs dépens, certaines ruses employées par les réformateurs du siècle, depuis 1793, se rappellent non sans terreur que des agents des comités directeurs de ce temps-là furent soupçonnés d’employer des moyens semblables pour exaspérer le peuple et l’exciter contre les autorités établies dans les pays où ces missionnaires de la Convention n’avaient pas le pouvoir de faire tomber des têtes. Aux États-Unis, par exemple, l’arrivée des agents du gouvernement régicide fut signalée, il y a vingt ans, par l’odieuse scène des piqûres. Les habitants de Philadelphie eurent à souffrir des moustiques à dards d’acier, parce que le gouvernement américain opposait un mur d’airain aux prétentions démagogiques des Brutus-sans-culottes » (La Gazette de France, 13 décembre 1819).
-
[117]
« On connaît la tactique des libéraux de 1819, ressuscitée des jacobins de 1793, qui consiste à nous imputer leurs propres forfaits. Ne sont-ce pas les émigrés et les royalistes qui ont assassiné LouisXVI, et commis tous les crimes de la Révolution ? Qu’on juge maintenant de quel côté sont les piqueurs ? » (La Bibliothèque royaliste… par MM. Sarran, Saint-Prosper et autres écrivains, t. 5, Paris, imp. d’Everat, 15 janvier 1820, p.155).
-
[118]
La Gazette de France, 16 décembre 1819.
-
[119]
Bulletin de Paris du 20 décembre 1819. AN F73874.
-
[120]
« Les faits rapportés dans les journaux avec une intention malveillante, surtout celle manifestée par les journaux prétendus libéraux, pour exciter les citoyens à porter les armes pour leur défense personnelle, étaient entièrement faux. Le Censeur d’aujourd’hui 12 décembre renferme une lettre signée Julie Dumont, ouvrière en robes rue Saint-Denis, n° 88, manifestant l’intention de s’armer d’un pistolet pour vaquer avec plus de sûreté à son état qui exige des courses fréquentes dans Paris, et contenant la menace de brûler la cervelle au premier individu qui la piquerait. Recherche faite, il en est résulté qu’aucune ouvrière du nom de Julie Dumont ne demeure dans cette maison et aucune personne de celles qui y habitent n’a écrit de lettres semblables. » (Bulletin de Paris du 12 décembre 1819, AN F73874).
-
[121]
« Les habitants de Paris […] restent paisibles et semblent peu disposés à seconder les vues des agitateurs : les lieux publics, les théâtres, les cafés, les autres lieux de réunion observés par les agents ont présenté partout l’aspect le plus tranquille. Aucune discussion, aucune rixe ne s’est élevée. » (Bulletin de Paris du 16 décembre 1819, AN F73874).
-
[122]
Gilles MALANDAIN, op. cit., p. 281 sq.
-
[123]
Cf. notamment Jean-François BELLEMARE, La police et M. Decazes, Paris, Pillet, 1820 ; Adresse aux Chambres. La police sous MM. les duc Decazes, comte Anglès et baron Mounier, Paris, chez l’auteur, 1821 ; FROMENT, La police dévoilée, depuis la Restauration, et notamment sous MM. Franchet et Delavau, Paris, Lemonnier, 1829 ; Louis-François L’HÉRITIER, Supplément aux mémoires de Vidocq, Paris, Les marchands de nouveautés, 1831.
-
[124]
Pierre RIBERETTE, L’État et sa police en France (1789-1914), Genève, Droz, 1979, p. 35-58 : « De la police de Napoléon à la police de la Congrégation ».
-
[125]
Le Censeur Européen, 10 décembre 1819 ; La Quotidienne, 11 décembre 1819.
-
[126]
La police est également mise en cause dans l’affaire de la « pluie d’or » qui tombe sur la rue du Bouloi, au mois d’août 1819, suscitant des rassemblements de plusieurs milliers de personnes (L’Indépendant, 13 août 1819).
-
[127]
« On va même jusqu’à imputer à des agents subalternes de la police certains faits qui pourraient donner quelque fondement à un bruit qu’elle a intérêt d’accréditer » (Le Censeur européen, 10 décembre 1819) ; voir aussi La Renommée, 21 décembre 1819.
-
[128]
« Les piqûres sont devenues des vérités de fait, et la police s’évertue à prouver qu’il n’y a pas de piqueurs. À quoi songe donc la police ? Est-ce que, par hasard, il serait question de quelques grandes conspirations dans le genre de celle de l’épingle noire ? Prenez-y garde, bons Parisiens : vous vivez paisibles au sein de vos familles, […] vous allez signer d’humbles adresses au roi ; prenez-y garde : vous serez peut-être, dans peu, de grands conspirateurs. » (La Minerve française, 16 décembre 1819, t. 8, p. 332).
-
[129]
François GUIZOT, Des conspirations et de la justice politique, Paris, Ladvocat, 1821, p. 62.
-
[130]
Défense de l’accusé présentée dans la Gazette de France, 26 janvier 1820, et de son avocat dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 69 sq.
-
[131]
La Renommée, 12 décembre 1819.
-
[132]
La Gazette de France, 12 décembre 1819.
-
[133]
Gilles MALANDAIN, « Contrôle politique et contrôle social de la police sous la Restauration », in Laurent FELLER (éd.), Contrôler les agents du pouvoir, Limoges, PULIM, 2004, p. 273-286.
-
[134]
« L’horreur […] a fait naître l’idée de proposer des récompenses pécuniaires pour les honnêtes citoyens qui parviendraient à saisir quelqu’un de ces assassins en flagrant délit, et qui l’auront livré sain et sauf aux mains de l’autorité. » (La Gazette de France, 16 décembre 1819).
-
[135]
Alain DEWERPE, Espion. Anthropologie historique du secret d’État contemporain, Paris, Gallimard, 1994, p. 110-116.
-
[136]
Ibidem, p. 97.
-
[137]
Hélène L’HEUILLET, Basse politique, haute police. Une approche philosophique et historique, Paris, Fayard, 2001.
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[138]
Cet imaginaire résiste à la création des sergents de ville en uniforme, en 1829, visibles mais toujours nuisibles ainsi que le souligne l’article « Mouche » du Museum parisien de Louis Huart (1841), cité par Quentin DELUERMOZ, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 30-31.
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[139]
Seules trois victimes sur 38 le reconnaissent formellement. Récidiviste en ce qu’il avait déjà été condamné à cinq ans de réclusion pour un autre délit (sans doute un vol), client censément assidu « d’estaminet », habile piqueur de par son métier, il fait figure de coupable idéal dans un moment d’angoisse collective.
1 Entre août et décembre 1819 à Paris, près de 400femmes – et quelques hommes – déclarent avoir subi un nouveau type de violences, des piqûres infligées incognito dans l’espace public, à l’aide de stylets, aiguilles, poinçons ou cannes munies de dards [1]. Des hommes s’attaquent, de nuit comme de jour, à d’innocentes victimes – surtout des jeunes filles – en piquant jusqu’au sang leurs fesses, leurs cuisses, parfois leurs seins, leurs mains ou leurs bras. À partir de novembre et au cours du mois de décembre 1819, les récits prolifèrent, se publicisent et se muent en rumeurs, exagérant parfois l’intensité et le raffinement des violences subies, jusqu’à la mort et l’empoisonnement. Les actes eux-mêmes se diffusent dans les semaines et mois qui suivent, comme par contagion mimétique, à diverses villes de province (Lyon, Bordeaux, Marseille, Calais, Bayonne, Soissons, Lille, Arras, Amiens, etc.) [2], voire à l’étranger (Bruxelles, puis Augsbourg). Une nouvelle catégorie criminelle – non juridique – naît sous la plume des contemporains : les « piqueurs ». Cette pathologie devient indissolublement réelle et imaginaire, médiatisée par une presse en plein essor. L’ordre public paraît sérieusement menacé. La peur, sexualisée, se diffuse et dévoile une modernité urbaine qui rend possible un délit commis dans l’anonymat des foules et des corps.
2 L’affaire produit non seulement des récits mais aussi des discours surabondants, notamment politiques. Des interprétations contradictoires de l’événement entrent en concurrence, dénoncent des complots obscurs et croient discerner une nouvelle Terreur politique, blanche ou rouge. L’ombre d’une police aux réseaux parallèles et aux pratiques occultes plane sur des faits que la justice ne parvient jamais à éclaircir vraiment. Un procès retentissant, en janvier-février 1820, vise un coupable idéal, Bizeul, garçon tailleur expert en aiguilles, reconnu par trois victimes seulement. En dépit de la fragilité des preuves testimoniales, Bizeul est condamné en première instance puis en appel à cinq années de prison [3]. L’événement hybride, composé de faits divers à connotation sexuelle, de rumeurs et de discours politiques en surimpression, se dissout peu à peu, absorbé notamment par l’assassinat traumatique du duc de Berry (le 13 février 1820) [4]. Trois ans plus tard, les « piqueurs » réapparaissent sur la scène publique parisienne (en 1822 et en 1823), sans pour autant déclencher une panique analogue. À la fin du XIXe siècle, les piqueurs de femmes sont catégorisés par la sexologie naissante qui les inclut dans la nosographie des pervers « sadi-fétichistes » [5].
3 À la croisée de l’histoire des perversions sexuelles, des rumeurs et des imaginaires politiques, émerge un objet d’histoire déroutant, aux multiples lignes de fuite, brouillant les limites de la fiction et du témoignage, du fait divers dérisoire et de la manipulation politique, de la pulsion perverse et du jeu. L’affaire des piqueurs s’inscrit dans l’histoire désormais balisée des rumeurs urbaines à dimension politique, de l’affaire des enlèvements d’enfants à Paris en 1750 [6] aux multiples peurs de complots sous la Révolution, jusqu’aux peurs politico-nourricières de 1816-1817 [7]. Elle dévoile des imaginaires et des peurs liés notamment à la mémoire de la (ou des) Terreur (s) et aux représentations des inscriptions infamantes sur les corps. Elle renvoie aussi à l’histoire des violences corporelles à connotation sexuelle, à leur qualification juridique et à leur médicalisation progressive.
4 L’originalité de cet objet historique tient précisément à son hybridité et à son indétermination causale. L’événement est hybride en ce qu’il s’intègre à des cadres d’expérience contradictoires dont la combinaison suscite l’incompréhension : la violence sexuelle, le simple jeu, la conspiration politique. L’anonymat des auteurs, l’irrationalité apparente de leurs gestes, la pluralité des interprétations possibles dissuadent toute restitution exhaustive des faits et des logiques de violence. En revanche, les modalités d’appréciation de ces violences, ainsi que les réponses données aux angoisses qu’elles suscitent seront placées au cœur de l’enquête. L’énonciation de l’événement, sa catégorisation par les acteurs, seront aussi recherchées. Les rumeurs qui circulent à son propos, que l’on ne peut réduire à des réponses pathologiques à une situation anomique, seront envisagées comme des transactions dans un espace public conflictuel et dans un moment d’extrêmes tensions politiques [8]. À divers titres, cette étude vise une anthropologie historique d’une peur collective, en ce qu’elle entremêle diverses temporalités, traque les non-dits d’une société – relatifs, notamment, à la sexualisation des violences – et s’efforce de restituer les imaginaires sociaux et politiques réfractés par la peur [9]. Les sources relatives à cette affaire de piqueurs sont lacunaires [10], et ne permettent pas de saisir en finesse les interactions sociales dans lesquelles les actes sont perpétrés [11]. Mais elles permettent en revanche de mieux comprendre les conditions de cristallisation d’une peur collective, née d’une déviance inconnue, entretenue par sa propre médiatisation, et façonnée par des angoisses sociales et politiques bien circonscrites. Ces angoisses ne correspondent que partiellement, nous le verrons, aux cadres de la « panique morale » [12] dégagés par les historiens anglo-saxons à propos d’affaires postérieures à connotation sexuelle, de la prostitution enfantine à la « traite des blanches » [13].
UN GESTE HORS-CADRES
5 Les rumeurs greffées sur les faits de violence observés tiennent en grande partie à l’ambiguïté des gestes, à leur caractère à la fois inédit, indicible et inexplicable. Tout particulièrement, la sexualisation des gestes, à la fois évidente et jamais vraiment explicite, cristallise l’angoisse et conduit nombre de femmes à fuir les promenades solitaires dans la ville. Ce « bizarre délit » [14] ne correspond pas aux cadres sociaux de la violence ordinaire, ni aux catégories juridiques existantes. Les premiers délits de « piqûres » dans l’espace parisien remontent à l’été 1819 [15]. Les premières traces dans le discours public – politique et policier – n’apparaissent qu’en novembre, lorsqu’un journal libéral, La Renommée, témoigne d’une série de piqûres visant de préférence des femmes, « par derrière » [16], évoque « plusieurs plaintes » et dénonce « des attentats d’un nouveau genre, qui ont eu lieu, dit-on, moins par esprit de parti que par un sentiment de dépravation » [17]. Le 4 décembre, la préfecture de police choisit de rendre publique la série de délits, pour mieux en identifier l’auteur, au risque de décupler la peur :
« Préfecture de police. Un particulier dont on n’a pu se procurer le signalement que d’une manière imparfaite, se fait depuis quelque temps un plaisir cruel de piquer par derrière, soit avec un poinçon, soit avec une longue aiguille fixée au bout d’une canne ou d’un parapluie, les jeunes personnes de quinze à vingt ans que le hasard lui fait rencontrer dans les rues, sur les places ou dans les promenades publiques. […] Son Excellence le ministre d’État préfet de police a donné les ordres les plus sévères pour l’arrestation de cet individu qui, jusqu’à ce moment, a échappé à toutes les recherches. Comme il importe de découvrir l’auteur d’un pareil attentat, on croit devoir signaler à l’attention publique et engager tous les citoyens à s’unir à l’autorité pour qu’il ne reste pas impuni » [18].
7 Loin de mettre un terme aux violences, cet avis est suivi d’une montée en puissance des piqûres et des « piqueurs », désormais démultipliés. Entre le 8 et le 28 décembre, au moins 28 scènes de piqûres – dont la moitié entre le 8 et le 11 décembre – sont attestées dans la capitale, soit par une visite du médecin, soit par une déclaration au commissaire de police, soit par une déclaration nominative à un journal. La plupart des victimes sont des femmes (23 sur 28), jeunes, appartenant au monde de la domesticité (cuisinières, domestiques), de l’échoppe et de l’atelier (une mercière, une marchande de broderie, une ouvrière lingère, une cloutière, etc.). Il semble que la modestie sociale et la décence apparente soient des facteurs d’attraction pour les « piqueurs ». Les propriétés sociales des 38 victimes auditionnées lors de l’instruction du procès Bizeul, piquées de juillet à novembre 1819, semblent analogues, de même que celles des victimes des vagues successives de piqûres, en octobre 1822 et novembre-décembre 1823. Si la première série de piqûres visait exclusivement, semble-t-il, le postérieur des jeunes femmes, la deuxième vague s’attaque à d’autres parties moins sexualisées, mais aussi plus accessibles : le côté, le bras, la main voire le pied – jamais le visage. L’instrument du délit – aiguilles à brocher, aiguilles à trois branches, stylets, poinçons, cannes à dard, alênes – et la forme des blessures – piqûres simples, piqûres triangulaires, blessures horizontales, blessures en formes de croix – varient d’un fait à l’autre. Les instruments utilisés, détournés de leur fonction, appartiennent au cadre familier des ateliers spécialisés du centre de Paris [19] – le métier du principal piqueur présumé, garçon tailleur, est à cet égard révélateur.
8 Les gestes de piqûre se déroulent dans des espaces publics d’interaction entre les deux sexes : dans une loge de théâtre, au marché, parfois dans des boutiques, plus souvent dans l’espace de la rue, des places et des ponts, des promenades publiques – jardin du Palais-Royal – ou des galeries et passages couverts – passage des Panoramas. Le quartier du Palais-Royal, du Louvre, du pont-Neuf et de la chaussée d’Antin est fortement représenté : l’espace de dangerosité dépasse les frontières du Paris criminel de l’âge romantique, autour de la Cité et des Halles [20]. Le frôlement des corps, au cours d’interactions de foule, a pu favoriser – mais non exclusivement – le passage à l’acte. Ainsi, rue Dauphine, une jeune fille est-elle piquée au milieu d’un « groupe occasionné par un embarras de voitures » [21]. Si les femmes seules sont majoritairement visées, la compagnie d’autres femmes ou d’hommes – et même du mari – n’est nullement dissuasive. Les scènes se déroulent le plus souvent en soirée, la nuit tombée.
9 Les blessures s’accompagnent d’un léger épanchement de sang, qui semble recherché par les piqueurs. Certaines de ces blessures dérivent vers une inflammation importante, attestée par le médecin requis : ainsi une femme piquée rue de Reuilly subit-elle un « gonflement considérable » de la plaie et « sept à huit défaillances dans la nuit » [22] qui a suivi l’attaque, tandis qu’une autre, piquée près du Pont-Royal, souffre de douleur aiguë et de fièvre [23]. Pour autant, les blessures demeurent dans l’ensemble superficielles.
10 Ces gestes de piqûres intempestives – éloignés de la blessure profonde à l’épée ou au poignard – intriguent : ils ne coïncident pas avec le cadre des violences connues et requièrent à ce titre une invention lexicale. Lors du procès du piqueur Bizeul, l’avocat du roi parle ainsi d’un « délit effrayant et bizarre, […] jusque-là inconnu de nos fastes judiciaires » [24], en dépit d’un précédent étranger, survenu en Angleterre en 1790 [25]. Rapidement, apparaît le terme de « piqueurs », destiné à une belle postérité tout au long du XIXe siècle. Analogue aux taxinomies pittoresques des bas-fonds, il apparaît dans le discours policier avant d’être repris par la presse quotidienne [26]. Cette catégorisation, similaire à celle des « escarpes » – auteurs d’attaques nocturnes – sous la monarchie de Juillet, désigne un modus operandi dans l’exercice de la violence, et suscite un imaginaire de la peur, sans coïncider avec aucune catégorie juridique [27]. De fait, si le mot « assassin » ou « crime » apparaît sous la plume des publicistes, dans la sphère judiciaire, seul le délit de « coups et blessures » légères avec « guet-apens » (art.311 du Code pénal de 1810) [28] peut être retenu pour qualifier ces violences par piqûres.
La dimension sexuelle des violences
11 La dimension sexuelle des violences, non explicite, ne peut être prise en compte dans le cadre pénal des « attentats aux mœurs », l’acte de piquer le corps d’une femme à travers d’épais vêtements se prêtant mal, en soi, à la qualification d’outrage public ou d’attentat à la pudeur (art. 330 et 331 du Code pénal). Elle ne saurait d’ailleurs être postulée a priori, d’autant que les parties génitales ne sont jamais visées. Pour autant, certains récits de piqûres témoignent de formes de désir explicites. Ainsi, dans une loge du Théâtre-français, une jeune femme, pourtant accompagnée de son mari, subit-elle des « attouchements déshonnêtes » avant d’être « piquée aux deux fesses » [29] par un inconnu. D’autres cas manifestent les frontières ténues entre l’acte de piquer et celui de pincer les fesses des femmes. Par ailleurs, le profil assez homogène des victimes – en particulier les 38 victimes de piqûres confrontées à l’accusé Bizeul lors de son procès – montre que les piqueurs ne piquent pas au hasard, et visent plutôt des « oies blanches », ces jeunes filles « innocentes » à l’apparence de chasteté et de virginité, dont on sait combien le corps entravé et sublimé fait l’objet de fantasmes masculins à l’âge romantique [30].
« Celles sur lesquelles il semble qu’il ait de préférence exercé jusqu’à ce jour sa coupable et dangereuse manie, sont les jeunes personnes que les principes d’une éducation soignée, une timidité naturelle, ou la crainte d’occasionner un éclat ou du scandale, ont dû empêcher de se plaindre aussitôt qu’elles se sont senties blessées » [31] ; « La plupart de ces dames se distinguent par leur jeunesse, l’agrément de leur figure, et la modestie de leur maintien » [32].
13 La jeunesse des victimes correspond aux formes contemporaines du désir masculin, dont témoigne notamment l’âge des prostituées parisiennes en ce premier XIXe siècle [33]. Quant à la pudeur, naturalisée chez la jeune fille de l’âge romantique, elle participe de la séduction ordinaire, louée par la médecine contemporaine et opposée aux « fureurs utérines » : « C’est donc […] pour rehausser le prix de leurs charmes, pour aiguiser nos désirs que la pudeur est un sentiment naturel chez la femme. Combien une aimable rougeur sur le visage est-elle plus attrayante que les regards lascifs et les appas au pillage d’une dévergondée ! », écrit ainsi Virey dans le Dictionnaire des sciences médicales [34]. En l’espèce, il semblerait que le silence pudique des victimes, murées dans un état de sidération, ait encore renforcé les pulsions des piqueurs. Ainsi, après une première blessure au côté droit, un des piqueurs « s’apercevant que sa victime gardait le silence, revint de nouveau près d’elle, et lui fit une autre blessure plus profonde du côté opposé » [35]. Le profil des victimes, la recherche de l’écoulement du sang et l’instrument du délit, artefact du sexe masculin, rattachent symboliquement la piqûre à une défloration. Dans une société où la préservation de l’hymen est fondamentale, où la défloration suscite une remarquable anxiété [36], on comprend mieux que les gestes des piqueurs aient pu susciter une telle panique collective.
14 Ces pulsions pathologiques s’enracinent dans des formes de désir plus ordinaires, nées de l’expérience – plus ouverte qu’aux siècles précédents – de la promenade publique [37], notamment sur les boulevards, et le dimanche en particulier. L’anonymat des individus, les effets de foule, par exemple près des parades de spectacles ou des cabinets d’estampes, la mise en scène du corps des « élégantes » sur les boulevards et dans l’espace naissant du passage – « rue lascive du commerce » [38] et territoire du flâneur –, et les déambulations des filles dans les espaces prostitutionnels ouverts – en particulier dans les galeries du Palais-Royal – avivent les désirs masculins de contact. Ces désirs sont d’autant plus vifs que, dans le même temps, les espaces de sociabilité masculine et féminine tendent à se séparer de plus en plus. Ils s’expriment d’abord par des pulsions scopiques. Le « lorgneur », portant son regard obsessionnel sur le corps des femmes dans les lieux publics, devient l’un des types du promeneur, déjà défini par Louis-Sébastien Mercier à la fin du XVIIIe siècle. À l’âge romantique, le soir tombé – cadre temporel de la plupart des attaques de piqueurs –, la promenade de femmes ou de filles seules, heurtant la bienséance, autorise en retour tous les fantasmes et toutes les audaces, en particulier de la part des « suiveurs », ces chasseurs de femmes nocturnes [39]. Les agressions sexuelles de rue, courantes, restent peu réprimées, à moins qu’elles ne s’accompagnent d’un désordre public. Les rapports de genre dans l’espace public nocturne autorisent en quelque sorte les violences contre les femmes. Cette permissivité, pour partie liée à la mauvaise réputation des femmes « noctambules », encourage d’autant plus les gestes audacieux des flâneurs mâles. Plus généralement, l’idéal de représentation ornementale des femmes dans l’espace public se heurte à de multiples formes d’agressivité virile, de grossièreté, voire de prédation [40].
Imaginaires d’une déviance : rémanences sadiennes
15 Les traits distinctifs des piqueurs – la satisfaction face à l’écoulement du sang, le choix prioritaire de victimes jeunes et « innocentes » – inscrivent leurs gestes dans la généalogie des pratiques sadi-fétichistes, ainsi désignées par la sexologie de la fin du XIXe siècle. Cette catégorie nosographique, intégrée à une psychopathologie de la sexualité, croise deux perversions de l’« instinct génésique » : l’association obsessionnelle de la souffrance infligée et de la jouissance sexuelle, d’une part, et la sexualisation d’un objet fétiche, corporel ou non, de l’autre. Inventée par le docteur Paul Garnier, elle recoupe en son sein les types des « coupeurs de nattes » et des « piqueurs de filles » ou de fesses [41]. Elle s’appuie à la fois sur des observations antérieures, notamment celle du « piqueur de filles de Bozen » en 1829, et sur une expertise médico-légale d’un piqueur de 1895, dominé par des « obsessions sexuelles morbides ayant à la fois les caractères du fétichisme et du sadisme » [42]. Auparavant, Krafft-Ebing avait intégré les piqueurs – à partir d’une importante série d’observations directes et indirectes – à la classe des sadiques éprouvant du « plaisir à blesser la victime de leurs désirs et à voir le sang couler » [43]. Parallèlement, Havelock Ellis mobilise au début du XXe siècle le souvenir des piqueurs parisiens de 1819 pour illustrer la jouissance psycho-pathologique face au sang épanché [44].
16 Cette catégorisation postérieure ne pouvait être formulée dans le discours médical des contemporains de l’affaire des piqueurs, autour de 1820. L’invention psychiatrique de la « perversion sexuelle » au cours de la seconde moitié du XIXe siècle tient à la transformation de la catégorie morale de vice ou de dépravation en une catégorie médicale, définie par l’altération de la fonction sexuelle, non seulement quantitative (par excès ou par défaut) [45] mais aussi qualitative – l’altération devenant tendance, irréductible à l’acte [46]. De fait, si la médecine s’est emparée de l’affaire des piqueurs, en 1819, ce n’est que pour certifier la nature des blessures reçues, mais en aucun cas pour expliquer une éventuelle perversion de l’instinct sexuel des piqueurs [47]. La question de l’aliénation mentale ne s’est par ailleurs nullement posée lors du procès du piqueur présumé Bizeul, ne donnant lieu dès lors à aucune expertise médico-légale – à la différence de l’affaire, autrement plus grave, de l’assassin, violeur, piqueur [48] et anthropophage Antoine Léger (1825). La question de la pathologie mentale et celle du dérèglement sexuel ne sont pas judiciairement corrélées avant les années 1830.
17 Si un discours sur la dimension sexuelle de l’acte de piquer peut effectivement être repéré en 1819, il ne vient en aucune façon des médecins, mais plutôt des journalistes, publicistes, caricaturistes et, incidemment, des avocats. C’est la doxa – l’opinion commune – qui délimite le champ des perversions, avant que l’épistémé ne la recouvre ultérieurement d’un discours scientifique qui en modifie le sens [49]. La doxa adapte à la nouvelle figure criminelle des piqueurs un discours ancien, de nature essentiellement morale, sur le vice et la dépravation. Le terme de « manie » apparaît à plusieurs reprises, sous la plume des journalistes comme des administrateurs, pour désigner la récurrence de ce vice, sans qu’il soit investi du sens précis que lui donnent alors les aliénistes – supposant un délire partiel [50]. La police semble avoir, dans la construction de l’enquête, penché elle aussi vers l’hypothèse causale du vice, recherchant dans les maisons de prostitution « des individus qui ont les goûts les plus étranges et les passions les plus affreuses » [51]. Lors du procès Bizeul, c’est aussi l’explication par la dépravation du prévenu qui domine les débats. L’avocat du roi déploie ainsi une rhétorique de défense de la société face à la perversion morale des piqueurs. Ceux-ci seraient mus par un « caprice pervers » [52], le plaisir de faire le mal, face auquel la qualification juridique, délictuelle – coups et blessures superficielles avec préméditation –, serait inadéquate :
« L’attentat nouveau, connu sous le nom de piqûres, est plus criminel que les blessures ordinaires et même les tentatives de meurtre, prévues par le Code. Les auteurs d’un tel délit ne peuvent alléguer l’excuse ni de la haine, ni de la vengeance ; ils font le mal pour le plaisir de le faire ; c’est dans le crime qu’ils ont placé leur volupté suprême. […] Alors, Messieurs, non seulement nous devons déployer contre ces pervers endurcis toute la puissance de notre ministère, mais en appliquant la rigueur même des lois, nous regretterons encore qu’elles ne nous aient pas armés d’un châtiment plus terrible pour venger mieux encore, et par de plus éclatantes punitions, la société tout entière et la morale publique d’aussi incroyables attentats » [53].
19 Le vice des piqueurs est rapporté, dans ce cadre de perception ancien, à une forme de libertinage aristocratique. L’ombre de Sade, plusieurs fois évoquée, plane sur l’affaire des piqueurs [54], à un moment où sa mémoire, tératologique, est effacée ou instrumentalisée [55]. Et l’on retrouve ainsi la figure, omniprésente à la fin du XVIIIe siècle, du « libertin noble et fortuné, héros prédateur et haï » [56]. Aussi l’identité sociale du principal prévenu – simple garçon tailleur – paraît-elle inadéquate aux faits qui lui sont reprochés, et invoquée pour plaider son innocence : « l’auteur des piqûres est un homme élevé, opulent : le libertinage n’est pas le partage du pauvre » [57] ; « il semble que la dépravation qui donne ces goûts féroces, […] ne puisse être que la suite des excès de toute espèce et de l’abus des plaisirs que la richesse offre aux débauchés » [58].
UNE PANIQUE URBAINE ?
20 Les violences des piqueurs catalysent la peur, peur féminine en premier lieu, peur urbaine, peur politique. Les piqûres sont fréquemment décrites – et perçues ? – comme des « attentats », attentats « contre la sûreté des personnes » [59], attentats contre la morale et l’ordre publics. L’usage du terme d’attentat, irréductible à la souveraineté politique, ne renvoie pas nécessairement à l’ampleur des violences infligées, mais à la centralité de la menace qu’elles font peser sur l’ordre social et symbolique [60]. Précisément, cette menace s’inscrit dans l’espace de la ville, non en ce qu’elle vise spécifiquement tel ou tel espace de dangerosité – les faubourgs, par exemple – ou tel ou tel groupe social stigmatisé – les « barbares » – mais en ce qu’elle englobe la ville tout entière comme espace potentiel de violence, et tous les citadins (hommes) comme agresseurs virtuels. Les attaques de piqueurs ne se produisent pas en situation d’interconnaissance, mais d’anonymat [61], ce qui décuple la peur et l’inscrit dans la modernité urbaine. La vulnérabilité du corps – et singulièrement du corps des femmes – dans la ville moderne, liée par ailleurs à « l’intensification de la vie nerveuse » [62] se trouve ainsi exposée dans un moment d’angoisse partagée.
Les « vampires invisibles » [63]
21 « Un événement extraordinaire a troublé Paris pendant un mois ; le bruit s’est répandu qu’un être mystérieux poursuivait les jeunes filles. Serpent, il piquait ; monstre ailé, il volait dans tous les quartiers à la fois ; chimère, il était invisible » [64]. La panique collective qui s’est diffusée dans la capitale, surtout en novembre-décembre1819, puis dans un certain nombre de villes de province, tient pour une large part à l’invisibilité des « piqueurs » et à leur ubiquité. Dans leur saisissement, les victimes ne parviennent pas à identifier leurs bourreaux. Les piqueurs excèdent les limites de l’interconnaissance de quartier. Ils ne paraissent pas non plus, à lire leurs signalements physiques, relever des classes dangereuses proprement dites. Leur identité sociale paraît brouillée : leur apparence les situe en position liminaire, tels ces tailleurs ou ces jeunes gens plutôt « bien mis » aperçus par certaines victimes [65] ou encore cet individu porteur d’une redingote et d’un chapeau rond « paraissant être ouvrier » [66]. L’apparence des suspects, les instruments et les espaces des délits accentuent la peur dans la mesure où ils dépassent le cadre des « bas-fonds » [67].
22 La multiplication des délits racontés et/ou observés fait craindre en outre une organisation souterraine des piqueurs. « Cette armée d’assassins inconnus qui se répandent, à la chute du jour, dans les divers quartiers de la capitale » [68] fait planer sur la ville une menace générale [69]. Ce sentiment de menace est renforcé par l’identité des victimes, jeunes filles vierges et innocentes pour la plupart : si les fréquentes violences subies par des prostituées – jusqu’à des piqûres au vitriol – sont relativement tolérées, elles le sont beaucoup moins lorsqu’elles visent des femmes parfaitement intégrées à l’ordre moral et social.
23 De fait, les activités commerciales et l’affluence nocturne décroissent sensiblement, durant quelques semaines. Une escouade d’agents de police dispersés dans la ville ne parvient pas à rétablir le sentiment de sécurité, pas plus que la surveillance des prostituées, perçues à tort comme des cibles potentielles [70]. Dans plusieurs villes de province, avec quelques semaines de décalage, la même panique collective s’empare des esprits. Du moins les rapports administratifs témoignent-ils d’une cristallisation de la peur. À Lyon, trois incidents sont perçus localement comme la répétition du phénomène parisien des piqueurs, et déclenchent « l’alarme », en raison de « la crédulité, [de] la manie de commenter, et [de] la nouveauté » [71] du phénomène. À Rouen, début janvier, « mille récits plus absurdes les uns que les autres se répandent journellement, et le lendemain ils sont démontrés absurdes et mensongers » [72]. La peur tient notamment à l’écoulement du sang, même bénin, visé par les piqueurs. Il fait écho à un imaginaire des vampires très récemment introduit en littérature, avec la nouvelle alors attribuée à Byron, Le Vampire, immédiatement traduite en français dès 1819, quelques mois avant l’affaire des piqueurs [73]. Or, les sociologues ont montré ce que les rumeurs devaient à l’importation d’un nouvel imaginaire littéraire, ainsi à propos de la rumeur d’Orléans [74].
24 La peur, féminisée dans l’imaginaire social, aiguise une sollicitation nerveuse et sensorielle maximale : une « sorte de terreur » se serait emparée des femmes, « les alarmes de celles que leur profession oblige de sortir seules, et auxquelles leur fortune ne permet pas de se faire accompagner, sont très visibles » [75]. La peur aurait même conduit à des affabulations renvoyées à l’hypertrophie féminine de la fonction imaginative : à Lyon, des médecins examinant une femme se plaignant de douleurs consécutives à une piqûre, concluent à l’absence de blessure et à la conviction qu’« une imagination fortement exaltée pouvait donner à un individu la certitude d’une maladie non existante » [76]. La circulation de la peur conduit à une défiance réciproque entre passants, en particulier dans la capitale. Cette « surveillance d’individu à individu », pendant quelques jours, dérive sur des méprises. Des jeunes femmes fuient à l’approche d’un inconnu, saisies d’une « terreur panique », hurlent, crient au « monstre » [77], ou incitent à l’arrestation d’innocents [78]. À Rouen, il faut même extraire de la foule qui s’apprête à le lyncher un passant identifié à tort comme piqueur [79].
25 La peur cristallise aussi une série de rumeurs urbaines, qui fictionnalisent des gestes parfois bien réels. Des blessures ordinaires – une piqûre de puce, un éclat de bois, un coup de baleine de parapluie – sont attribuées à une bande de piqueurs sévissant à Bordeaux [80]. Une conversation entendue fait craindre un attentat de Noël provoqué par des piqueurs lyonnais : « un jeune homme avait entendu d’autres jeunes gens se proposer d’aller à la messe de minuit avec des épingles attachées à leurs manches d’habits, dont les pointes se trouveraient à l’extérieur, pour piquer dans la foule » [81]. Des rumeurs d’empoisonnement par piqûre [82], et de mort de plusieurs victimes des suites de leurs blessures [83], circulent dans la presse parisienne et dans l’espace public [84].
26 Cette dérive sur l’imaginaire produit en retour un discours de contre-rumeur, dispositif administratif et policier visant à « neutraliser les manœuvres alarmantes » [85], démentir les récits imaginaires et imposer un discours rationnel de « vérité », conformément à un modèle mis en place dès les années 1815-1816 [86]. Les témoignages de presse, dont le statut de vérité est quelquefois mis en défaut – certaines victimes nommées se révèlent inexistantes –, sont soumis à un contrôle tatillon. Les éditeurs de tous les journaux parisiens sont convoqués par le préfet de police pour préciser les indices qui ont fondé leurs récits. Les discours attentatoires à l’autorité de la police sont savamment déconstruits, et les sources des informations journalistiques rapportées pour l’essentiel à des « bruits répandus, transmis de bouche en bouche », et notamment à des « conversations recueillies dans les divers théâtres » [87]. Les vérifications opérées permettent bien souvent de montrer la greffe de deux événements indépendants dans un récit homogène – mécanisme classique de la rumeur – : une tentative de crime dans un espace domestique et une piqûre dans l’espace public, une mort par fièvre pulmonaire et un décès (imaginaire) des suites d’une piqûre [88]. En outre, une information judiciaire est engagée, un appel à des déclarations publiques systématiques lancé, et des signalements physiques de suspects rassemblés. Cette stratégie, en soi, ne suffit pas à faire taire les rumeurs, ni à raffermir l’autorité de l’institution policière, fortement mise à mal par l’événement, ni à démasquer les coupables. Lors d’une nouvelle « réplique » des attentats de piqueurs, en 1823, les autorités préconisent de solliciter, au-delà des agents de police, cochers de fiacres, porteurs d’eau et « autres classes d’individus sur lesquels la police a une action immédiate », afin d’identifier les coupables [89]. En vain semble-t-il.
De la peur à la dérision : circulation et marchandisation de la rumeur
27 Cette peur s’inscrit dans un régime pré-médiatique : elle circule par le double vecteur du « bouche à oreille » et de la presse, à un âge de prolifération des titres et de forte politisation polémique. Les récits de presse se fondent eux-mêmes sur des « bruits publics » recueillis dans des lieux de sociabilité, ou sur des déclarations individuelles adressées aux directeurs de journaux [90], et sont à leur tour retranscrits dans des conversations ordinaires qui en modifient le texte à la marge. C’est ce lien à double sens entre bruits informels et nouvelles médiatisées (concurrentielles dans leur interprétation des faits) qui distingue sans doute la peur des piqueurs de mouvements précédents de panique collective, tels que la rumeur des enlèvements d’enfants de 1750. La médiatisation de la rumeur explique pour l’essentiel l’ampleur de sa diffusion à l’échelle nationale. Si le tirage des journaux demeure limité – quelques dizaines de milliers d’exemplaires pour l’ensemble des titres parisiens [91] –, leur diffusion dans l’espace urbain est en effet considérable, notamment par le biais des quelque cinq cents cabinets de lecture parisiens, par la pratique de la lecture publique, de la lecture multiple ou de la lecture de seconde main. La publication d’articles dans la presse locale, à Rouen comme à Bordeaux, a été également décisive dans la diffusion de la peur dans l’espace public [92]. Des gestes de piqûres observés à Bruxelles quelques semaines après Paris s’expliquent très probablement par l’imitation de violences décrites dans la presse nationale, exemple de trans-nationalisation d’un fait divers.
28 Plus largement, l’opacité des faits, la curiosité du public et la marchandisation du fait divers (non encore constitué comme genre) créent ensemble les conditions d’une médiatisation de l’événement. La presse du XIXe siècle contribue à sa manière à fantasmer les « dessous de la vie publique », dans des interstices qui contredisent la rationalisation du monde social par l’écriture informée [93]. Outre la presse quotidienne, les caricatures (sept caricatures distinctes sous forme de feuilles volantes) [94], les chansons de rue vendues à la criée dès le 12 décembre [95] s’emparent en quelques semaines de l’affaire des piqueurs pour construire un objet médiatique. On doit ajouter à cela un désir de reconnaissance publique de quelques médecins et pharmaciens, qui s’engouffrent dans l’affaire pour annoncer par voie de presse la qualité de leurs soins ou proposer des antidotes contre les piqûres [96]. Enfin, la scène judiciaire, avec le procès Bizeul, devient un objet de curiosité publique [97] dont s’emparent les gazettes, comme lors de l’affaire Fualdès au procès d’Albi l’année précédente [98].
29 Fortement marquée par les traditions génériques des supports – la chanson et la caricature –, la marchandisation de l’événement s’accompagne de sa mise à distance, de son affadissement par la dérision. Le recueil de chansons de circonstance publié par un membre de la goguette des Soupers de Momus, La piqûre à la mode, met les rieurs du côté des piqueurs, joue sur toute la gamme de sens du mot « piquer », et insinue le doute sur la vertu des femmes piquées [99]. La bosse provoquée par une piqûre se termine ainsi en grossesse indésirable, satire mise en image dans une caricature, Résultat d’une piqûre [100]. Les caricatures jouent, sur un mode grivois, de la dimension sexuelle des attaques contre le postérieur des jeunes filles. Les victimes sont alors intégrées à l’imaginaire ambigu des grisettes, coquettes et légères. Les caricatures tournent également en dérision le zèle industriel d’un pharmacien inventeur d’un « préservatif anti-piqûre » (Préservatif contre la piqûre [101]), voire d’une compagnie d’assurance anti-piqûres [102], ainsi que les tourments d’un mari contraint d’aspirer le poison d’une piqûre dans le postérieur de sa femme, tandis que sa domestique montre un embonpoint suspect (Beau trait de sensibilité conjugale [103]).
30 Cette dérision marchande se superpose à des jeux et bravades qui manifestent autant d’appropriations populaires de l’événement. La piqûre devient jeu, ou source de défi. Ainsi, dans une maison de prostitution lyonnaise, un client lance-t-il cette bravade au cours d’une rixe avec une prostituée : « Tais-toi donc, on voit bien que tu ne sais pas ce que je suis. […] Je suis un des piqueurs, et si tu cries si fort, tu seras d’abord piquée », déclenchant une enquête policière immédiate [104]. Des jeunes gens, toujours à Lyon, « plaisantent sur ce même objet, soit aux spectacles et aux promenades, soit ailleurs » [105]. À Bruxelles, des écoliers se prêtent même au jeu des piqueurs, imité des récits parisiens [106]. L’affaire des piqueurs finit par s’insinuer dans un espace ludique de défi et de dérision qui clôt l’événement sur lui-même. La dérision, essentiellement masculine, tend à minimiser les violences subies par des femmes prises au piège d’un espace public nocturne où la pudeur leur interdit de figurer, et à ridiculiser la peur qui en résulte.
USAGES POLITIQUES DE LA PEUR
31 Cependant, par-delà le rire ou le défi, l’événement s’inscrit dans un moment d’extrêmes tensions politiques qui en infléchissent la lecture dans un sens complotiste. La peur collective relève alors de certains mécanismes proches de la « panique morale » évoquée plus haut. En réaction à une nouvelle déviance, une panique collective, hyperbolique, est instrumentalisée par des « entrepreneurs moraux » qui définissent des boucs émissaires. À ceci près que dans notre affaire, les boucs émissaires se démultiplient, la panique ne créant dès lors aucun consensus moral et social. Les rumeurs qui circulent à propos des piqueurs relèvent moins d’une croisade morale que de transactions politiques dans un espace public en recomposition. Cet espace public est pour partie réfracté dans une presse périodique et semi-périodique qui fait alors de la polémique politique le cœur de son discours, singulièrement autour des galaxies libérale et ultra [107].
32 Début 1819, une offensive ultra-royaliste vise à réviser une loi électorale, la loi Laîné de 1817, jugée trop favorable aux nouvelles élites aux dépens de l’aristocratie foncière. Le vœu d’une révision, émis en février à la Chambre des pairs par le marquis de Barthélemy, se heurte à une forte résistance des libéraux. Les élections de septembre 1819 sont précisément marquées par une victoire de la gauche libérale, symbolisée par l’élection controversée de l’abbé Grégoire, ancien conventionnel considéré comme régicide. L’inflexion à droite du ministère Decazes coïncide avec une rentrée parlementaire houleuse et un discours du trône très offensif, le 29 novembre. Les projets de réforme électorale se précisent dans un sens réactionnaire, tandis qu’est débattue puis votée l’exclusion de Grégoire, le 6 décembre, aux cris de « Vive le Roi ! ». Une contre-offensive libérale est engagée simultanément, au travers d’une campagne nationale de pétitions contre la réforme électorale, menée jusque dans les ateliers, les cabarets et les marchés. Ce contexte de forte polarisation et d’incertitude politiques crée les conditions d’un foisonnement rumoral tout au long de l’année [108]. De faux bruits de rétablissement de la féodalité, de maladie, de mort ou d’abdication du souverain, circulent dans le pays, parfois encouragés sinon fomentés par les libéraux.
33 Cet horizon d’attente permet d’expliquer la politisation de la peur éprouvée et exprimée à l’occasion de l’affaire des piqueurs. Les gestes sans auteurs et sans logiques identifiables sont lus comme des signes cryptés, rapportés à des conspirations souterraines, conformément à un mécanisme mental très présent depuis le retour de la monarchie. La « hantise de la subversion occulte » [109] déborde en effet très largement le champ des conspirations effectives. Elle irradie les imaginaires sociaux de la politique et s’impose comme clef de lecture de l’histoire contemporaine à toutes les échelles de la société, des autorités policières aux classes populaires, en passant par les factions en conflit. On ajoutera que les répertoires d’action protestataire, fondés sur un rapport romantique voire eschatologique à l’histoire, et, symétriquement, l’ordre policier lui-même, occulte dans son organisation, recourent fréquemment à la conspiration ou, à tout le moins, à la machination. Les interprétations complotistes de l’affaire des piqueurs fleurissent sur ce terreau. Elles sont construites et ordonnées par une presse politique florissante et fortement polarisée, avant de circuler dans l’espace public. Cette presse – singulièrement la presse libérale [110] – construit en effet une partie de son efficace sur la dénonciation d’un arbitraire d’État, la compassion à distance et l’instrumentalisation de faits divers.
L’inscription sur les corps : Terreur blanche ou Terreur « jacobine » ?
34 La forme des gestes de violence conditionne aussi leur lecture par les contemporains, à un moment d’évolution des seuils de sensibilité collective à la ritualité de la violence [111]. Les piqûres infligées au corps des femmes renvoient à une gamme de marquages politiques et judiciaires du corps, renouvelée par l’expérience de la Révolution. La fin de « l’éclat des supplices » (Michel Foucault) s’accompagne de la persistance, jusqu’à la réforme du Code pénal de 1832, du marquage au fer rouge obligatoire pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité (art.20 du Code pénal de 1810). Par ailleurs, les « fessées patriotiques » et autres rites de femmes publiquement fouettées durant la période révolutionnaire ont laissé de puissants souvenirs à ceux qui en ont été témoins, ainsi que des traces discursives et iconographiques [112]. Symétriquement, les coups de fouet et le marquage à la fleur de lys subis par les femmes protestantes du Gard en 1815 sont fréquemment évoqués par l’historiographie libérale de la Terreur blanche, alors en cours de constitution [113] ; autant de signes qui font encore des flétrissures du corps, sous la Restauration, une modalité du rapport au politique, qu’il incarne ou non la souveraineté étatique.
35 De fait, les libéraux n’hésitent pas à voir dans cette épidémie de piqûres les prodromes d’une nouvelle Terreur royaliste. L’événement des piqûres est lu à la lumière d’une controverse historiographique intense sur la Terreur blanche de 1815. Dès le 9 décembre 1819, la Renommée – journal auquel participent Constant et Jouy – dénonce dans la conjuration des piqueurs une « association qui ne rappelle que trop celle de Nîmes où, pendant la réaction de 1815, on meurtrissait des femmes avec des battoirs armés de pointes acérées, et dessinant une fleur de lys ». Lecture confirmée le 13 décembre par le Censeur européen, en guise d’avertissement au pouvoir : « Des personnes instruites nous assurent que les massacres de Nîmes ont commencé par des piqûres. Il n’y a certainement aucune analogie entre l’esprit des habitants du Midi et l’esprit des habitants de Paris, mais il est besoin que le gouvernement soit averti, afin qu’ils prennent des mesures propres à rassurer le public ». La forme de la piqûre est également lue comme un indice. Si elle ne reproduit pas la fleur de lys, elle ressemble fortement à une croix, ce qui suffit aux rédacteurs des Lettres normandes pour y voir l’ombre des jésuites : « On a, dit-on, saisi dernièrement un des instruments dont se servent les piqueurs : c’est un stylet dont l’extrémité sanglante figure une petite croix : il n’y a que des jésuites transformés en espions de police auxquels de pareils délassements puissent plaire » [114].
36 Les piqûres sont intégrées au système rumoral instrumentalisé par les libéraux depuis l’annonce de la réforme électorale : une nouvelle Terreur blanche serait imminente, initiée par des violences politiques ciblées, prolongée par des massacres puis par un démantèlement complet de l’ordre constitutionnel et un rétablissement de l’Ancien Régime. La rumeur d’un déploiement de troupes autour de Paris ordonné par La Tour-Maubourg, tout nouveau ministre de la Guerre, suffit à accréditer cette menace : « Les horribles amusements des piqueurs seraient-ils le prélude de scènes déplorables et sanglantes ? À quoi bon le voisinage de ces troupes ? Pourquoi sous un gouvernement représentatif déployer un tel appareil militaire ? » [115]. La crainte de l’assiègement mêlée à celle du complot permet de renouer avec un mécanisme rumoral dont l’efficacité a été démontrée lors des journées révolutionnaires parisiennes.
37 Savamment démentie par la presse officielle, cette rumeur trouve son contrepoint du côté de la presse ultra, qui voit dans les piqûres une nouvelle manifestation de violence jacobine ou l’instrument conscient d’un futur soulèvement populaire. La mémoire royaliste remonte à l’expérience révolutionnaire – cadre commun de perception historique du présent en train d’advenir – pour dénoncer une tradition jacobine des piqûres, au prix de quelques raccourcis saisissants : la Gazette de France n’hésite pas à rapprocher de l’affaire des piqueurs l’épidémie de fièvre jaune à Philadelphie en 1793, présentée comme le produit d’une conspiration menée par des agents révolutionnaires français [116]. Dans un moment de forte tension, parlementaire et extra-parlementaire, avec les libéraux, ces derniers se trouvent incriminés comme les initiateurs des piqûres [117]. Reconstruisant la logique des faits selon leur utilité objective, les ultras imputent aux libéraux une entreprise cachée de déstabilisation sociale :
« D’abord, le premier résultat des piqûres est de répandre la terreur et la consternation parmi cette classe estimable d’habitants qui aiment le roi et la paix. […] Or, on sait que la terreur et le jacobin vont très bien ensemble, surtout quand il s’agit de se venger des partisans de la légitimité. En second lieu, ces piqûres atroces, qui retiennent dans leurs domiciles un grand nombre d’habitants, et en particulier les femmes, font un tort prodigieux au commerce à cette époque de l’année. […] On murmure, on se plaint que le commerce ne va pas ; et ces plaintes chatouillent toujours agréablement l’oreille d’un jacobin » [118].
39 Quant aux autorités policières, si elles n’imputent pas directement les piqûres aux libéraux, elles les accusent tout au moins d’alimenter la peur et d’« exciter par toutes sortes de moyens du trouble, du désordre, de l’agitation » [119]. Les « nouvelles alarmantes » à propos des piqueurs, conjointes à une sourde rumeur relative à la fabrication de bonbons empoisonnés au faubourg Saint-Antoine, viseraient à affaiblir le commerce et la production et à accroître le mécontentement ouvrier. Enfin, l’atmosphère entretenue de terreur et d’impuissance policière viserait, par un appel implicite à l’auto-défense, à provoquer une prise d’armes [120].
40 Ces rumeurs symétriques de Terreur et de contre-Terreur sont autant d’armes rhétoriques à la disposition de factions en lutte pour la maîtrise du pouvoir politique en un moment critique. Leur diffusion au sein des classes populaires est malaisée à évaluer, faute de sources adéquates. Il semble cependant que leur écho ait été limité [121] et de toute façon annihilé par le traumatisme de l’assassinat du duc de Berry, producteur d’un nouveau réseau de rumeurs interprétatives [122].
Un complot policier ?
41 Plus durable et sans doute plus efficace fut la rumeur d’une conspiration policière ourdie dans l’ombre des piqueurs, rumeur née dans le temps de l’événement, et prolongée par une littérature pamphlétaire hostile à la police de LouisXVIII et de Charles X [123]. Cette rumeur émane de manière croisée des ultras et des libéraux, tous hostiles aux pratiques d’une institution incarnée par Decazes – à la tête du ministère de la Police puis de l’Intérieur en 1818 – et dans une moindre mesure par Anglès, inamovible préfet de police depuis 1815. Elle s’explique tout à la fois par l’existence avérée de polices parallèles depuis la première Restauration, par des pratiques contestées de manipulation des opposants afin de les placer hors du jeu politique, et par une crise générale de l’institution policière [124].
42 Apparue très tôt – dès le 10 décembre –, la thèse du complot policier repose sur l’idée d’une volonté des autorités de détourner l’attention de l’opinion publique des passions politiques du moment, et singulièrement des débats relatifs à la loi électorale [125]. Les piqûres seraient une technique nouvelle de manipulation policière de l’opinion, jouant sur le goût censément « populaire » pour les faits divers étranges [126], et destinée à éviter la fusion redoutée des élites libérales et des classes populaires. Les piqueurs ne seraient dès lors rien d’autre que des « mouchards » [127], ces espions à l’identité trouble. La démonstration s’appuie sur un certain nombre d’indices, notamment la libération intempestive de piqueurs par des agents de police, et bien sûr l’inaction et le déni de la police face à l’épidémie de piqûres. À moins qu’à travers l’affaire des piqueurs, la police ne vise à exhiber une fausse conspiration afin de jeter le discrédit sur l’opposition libérale – thèse défendue par la Minerve de Benjamin Constant [128]. La charge s’inspirait de pratiques avérées d’agents provocateurs dans un passé proche, ultérieurement dénoncées par Guizot au nom de la transparence publique et de la responsabilité politique : « Quand l’autorité descend dans la boue, la responsabilité y descend avec elle » [129]. La responsabilité personnelle de l’ancien bagnard Vidocq, incarnation des liaisons dangereuses entre police et bas-fonds, est aussi incriminée, en ce qu’il aurait monté de toutes pièces les charges pesant sur le « bouc émissaire » Bizeul, procédant à des subornations de témoins [130]. On retrouve, autour de la figure de Vidocq, la peur diffuse d’une police qui transgresse les frontières de l’ordre et du désordre, et brouille les repères sociaux.
43 Une autre variante de ce faisceau de rumeurs anti-policières consiste à voir dans l’affaire des piqueurs un moyen pour une institution policière affaiblie de se renforcer sur l’autel de la peur collective : « Dans des conjonctures si difficiles, tous les moyens sont bons pour ressaisir le pouvoir. Rien de mieux pour y parvenir que de faire sentir aux citoyens alarmés la nécessité de ses services. De là, dit-on, l’invention de la confrérie des piqueurs » [131].
44 La suppression du ministère de la Police Générale et son rattachement au ministère de l’Intérieur en 1818 auraient engendré des frustrations sociales dont les piqueurs seraient les produits, « intrigants subalternes » cherchant à « reconquérir quelques honorables places de mouchards » [132].
45 Ces rumeurs, en partie contradictoires entre elles, instrumentalisées tout à la fois par la presse ultra et par la presse libérale, nous renseignent moins sur le sens caché de l’événement que sur la crise profonde d’une institution et sur le contrôle social exigé sur ses représentants officiels et occultes [133]. La police impuissante est concurrencée par la presse dans sa fonction d’enquête et de recueil de témoignages – la Gazette de France allant même jusqu’à lancer une souscription afin de financer l’arrestation des coupables [134]. La police est surtout suspectée de jouer de la peur pour asseoir son emprise et éliminer des adversaires. Les rumeurs complotistes ne sont alors qu’une des manifestations du « soupçon civique » [135] propre au sujet libéral d’un gouvernement représentatif, rétif aux manipulations occultes du pouvoir politique, à l’usage du secret par la police d’État et à l’invasion de la justice par la politique. L’« herméneutique cryptique » de l’événement renvoie aux relations de méfiance réciproque entre gouvernants et gouvernés dans un moment où la « mise en place de bureaucraties clandestines » redouble l’usage du secret par des opposants réduits eux-mêmes à la clandestinité [136]. Elle réactive aussi un imaginaire de plus longue durée relatif à la puissance invisible de l’ordre policier, mis en place depuis le XVIIIe siècle et renforcé sous la Restauration [137]. De ce point de vue, l’étrangeté apparente du phénomène des piqueurs était résorbée dans la gamme infinie de pratiques occultes prêtées à la police, et singulièrement à la haute police. Les techniques de surveillance et de dissimulation associées à des pratiques douteuses de manipulation confèrent à l’institution policière un pouvoir fantasmatique. Ajoutons à cela la hantise de l’invisibilité de « mouches » répandues dans l’espace public, dont « l’aiguillon » peut sévir à tout moment et en tout lieu [138].
46 L’ensemble de ces rumeurs politiques, voire politiciennes, contradictoires entre elles quand bien même elles partagent une cible commune, ne visent pas à fixer un sens de l’événement. Elles discréditent simplement l’adversaire – en l’occurrence le ministère de Decazes et sa police d’État – afin d’infléchir les rapports de force à un moment critique.
47 Les attaques de piqueurs s’interrompent en quelques semaines, à la fin du mois de décembre, avant de connaître quelques répliques, en province dans les semaines et mois qui suivent, puis de nouveau à Paris en octobre 1822 et novembre-décembre 1823. En janvier-février 1820, le procès Bizeul, garçon tailleur prévenu de blessures avec guet-apens, s’est soldé par une condamnation à cinq ans de prison, en dépit de ses dénégations et des contradictions des témoins [139]. Pour l’essentiel, l’affaire s’est rapidement close sur elle-même, et ses effets politiques ont été annulés ou recomposés par l’assassinat du duc de Berry, le 13 février 1820. Une mémoire discursive a pu rejaillir dans le siècle, à la faveur d’autres peurs urbaines – la peur des étrangleurs à Londres en 1857, la peur des Bédouins à Paris en 1879, etc. Le geste même des piqueurs s’est répété par vagues successives – notamment en Allemagne, à Leipzig, Mayence, Berlin – au point de susciter la curiosité de la médecine et de la sexologie fin-de-siècle, comme une modalité possible de la perversion. Les piqueurs portent à un point de déviance des désirs masculins et des expériences urbaines profondément inscrits dans l’histoire du XIXe siècle – l’expérience troublante de la foule et du face-à-face des sexes, rompant avec l’ordinaire entre-soi masculin, la fascination pour l’« oie blanche » virginale, le geste fulgurant de l’individu anonyme entrant par effraction dans l’histoire, l’invisibilité du criminel dans la masse urbaine…
48 L’affaire des piqueurs permet d’esquisser l’anthropologie historique d’une peur urbaine. Cette peur naît à la fois de l’inadéquation de l’événement survenu – les piqûres – avec les cadres sociaux de l’expérience, et de son inintelligibilité. Elle est aussi intimement liée à la vulnérabilité sexuelle des jeunes filles dans la ville moderne, dans des interactions où l’interconnaissance est moins présente, et singulièrement dans l’espace public nocturne ou vespéral. Elle s’exprime à travers des formes de panique morale mais aussi des rumeurs imputant une causalité bien identifiable – le complot terroriste ou policier – à un phénomène vraisemblablement multiple. À ce titre, l’affaire des piqueurs, partie d’une inscription sur les corps, dévoile une politisation diffuse des gestes commis dans l’espace public, à un moment de recomposition et de conflictualité politiques intenses.
Mots-clés éditeurs : anthropologie historique, perversion sexuelle, Restauration, peur urbaine, rumeur, France
Date de mise en ligne : 16/12/2013.
https://doi.org/10.3917/rhmc.603.0031Notes
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[1]
À l’occasion du procès du « piqueur » Bizeul, 400 déclarations de piqûres ont été recensées, parmi lesquelles 38 seulement ont fait l’objet d’une audition. D’après le Journal de Paris et des départements, 29 février 1820. Je remercie vivement, pour leurs relectures éclairées, Quentin Deluermoz, Laurence Guignard, Dominique Kalifa, Gilles Malandain, Clyde Plumauzille.
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[2]
Archives nationales (désormais AN) F76952.
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[3]
Il est condamné le 1er février 1820 à cinq ans de prison et 500 francs d’amende. Sa peine a été confirmée en appel le 26 février.
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[4]
Gilles MALANDAIN, L’introuvable complot. Attentat, enquête et rumeur dans la France de la Restauration, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011.
-
[5]
Sylvie CHAPERON, Les origines de la sexologie, 1850-1900, Paris, Audibert, 2007, p. 112.
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[6]
Arlette FARGE, Jacques REVEL, Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants, Paris 1750, Paris, Hachette, 1988.
-
[7]
Cf. dans le sillage des travaux de Steven Kaplan à propos du XVIIIe siècle, Nicolas BOURGUINAT, « La ville, la haute police et la peur : Lyon entre le complot des subsistances et les manœuvres politiques en 1816-1817 », Histoire urbaine, 2000-2, p. 131-147.
-
[8]
Cf. Philippe ALDRIN, « Penser la rumeur. Une question discutée des sciences sociales », Genèses, 50, 2003-1, p. 126-141, et pour le XIXe siècle, à partir d’un matériau empirique surtout rural, François PLOUX, De bouche à oreille : naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 2003.
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[9]
Sur les usages multiples du concept : Quentin DELUERMOZ, « Anthropologie historique », in Christian DELPORTE, Jean-Yves MOLLIER, Jean-François SIRINELLI (éd.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2009, p. 34-37.
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[10]
Outre la presse (une dizaine de titres nationaux), des bulletins de police de la sous-série F7 des Archives nationales (en 1819, mais aussi en 1822 et 1823), des pamphlets et des caricatures, dont les références précises figurent au fil de l’article. Ajoutons un mince dossier « piqueurs » aux Archives départementales du Rhône (désormais AD 69), 4M 180. Le dossier de procédure du principal procès parisien de présumé piqueur, Bizeul, n’est malheureusement pas conservé, et il faut dès lors se contenter des comptes rendus du procès par la presse contemporaine.
-
[11]
À la différence de la belle enquête d’anthropologie pragmatique de Julien BONHOMME, Les voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Seuil, 2010.
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[12]
Concept créé par le sociologue Stanley COHEN (Folk Devils and Moral Panics, Londres, MacGibbon and Kee, 1972). En réaction à une déviance nouvelle, une panique morale, médiatisée et éphémère, est encadrée par des « entrepreneurs moraux » qui érigent des « boucs émissaires ».
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[13]
Cf. en particulier Judith R. WALKOWITZ, City of Dreadful Delight : Narratives of Sexual Danger in Late-Victorian London, Londres, Virago, 1992. Une de ces affaires naît d’une enquête controversée sur les bas-fonds de Londres et la prostitution de jeunes vierges, publiée par William Stead en 1885, The Maiden Tribute of the Modern Babylon.
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[14]
Bulletin de Paris (rapport du préfet de police au ministre de l’Intérieur) du 11 décembre 1819, AN F73874.
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[15]
Ils referont surface à l’occasion du procès Bizeul, en janvier-février1820.
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[16]
La Renommée, 18 novembre 1819.
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[17]
La Renommée, 20 novembre 1819.
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[18]
Le Moniteur, 4 décembre 1819.
-
[19]
Cf. « La Ruche parisienne », in Le peuple de Paris au XIXe siècle, Paris, Paris-Musées, 2012, p. 73-100.
-
[20]
Cf. Dominique KALIFA, Crime et culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2005, p. 17-43.
-
[21]
Extraits des rapports des commissaires de police du 11 décembre 1819, AN F76952.
-
[22]
Ibidem.
-
[23]
La Quotidienne, 19 décembre 1819.
-
[24]
Le Constitutionnel, 2 février 1820.
-
[25]
Encore s’agissait-il de violences perpétrées par un auteur unique : « La manie des piqûres dont tant de femmes viennent d’être victimes a déjà existé en Angleterre en 1790. Un jeune homme de 25 à 30ans s’amusait à piquer avec une canne à dard les jeunes femmes qu’il rencontrait ; il fut bientôt arrêté et condamné à la déportation pour sept ans. » (La Gazette de France, 15 décembre 1819).
-
[26]
Le terme de « piqueurs » apparaît dans un bulletin de police le 11 décembre (AN F73874).
-
[27]
Cf. D. KALIFA, « L’attaque nocturne : une frayeur », in Crime et culture…, op. cit., p. 235-256.
-
[28]
« Lorsque les blessures ou les coups n’auront occasionné aucune maladie ni incapacité de travail personnel de l’espèce mentionnée en l’article 309 [maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours], le coupable sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans, et d’une amende de seize francs à deux cents francs. S’il y a eu préméditation ou guet-apens, l’emprisonnement sera de deux ans à cinq ans, et l’amende de cinquante francs à cinq cents francs. »
-
[29]
Extrait du rapport de M. Rivoire, officier de paix, du 10 décembre 1819, AN F76952.
-
[30]
Cf. Gabrielle HOUBRE, La discipline de l’amour. L’éducation sentimentale des filles et des garçons à l’âge du romantisme, Paris, Plon, 1997, p. 154-195 ; Jean-Claude CARON, « Jeune fille, jeune corps : objet et catégorie (France, XIXe-XXesiècles) », in Louise BRUIT ZAIDMAN, Gabrielle HOUBRE, Christiane KLAPISCH-ZUBER, Pauline SCHMITT-PANTEL (éd.), Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001, p. 167-188.
-
[31]
Le Moniteur universel, 4 décembre 1819.
-
[32]
Le Journal des débats politiques et littéraires, 2 février 1820 (à propos des témoins à charge contre Bizeul).
-
[33]
D’après Alexandre PARENT-DUCHÂTELET, plus de la moitié des prostituées parisiennes avaient moins de 25ans en 1831 (in De la prostitution de la ville de Paris, Paris, Baillière, 1857, p. 94).
-
[34]
Article « Fille », in Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1816, vol. 15, p. 502-503.
-
[35]
L’Indépendant, 17 décembre 1819.
-
[36]
Alain CORBIN, L’harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie, Paris, Perrin, 2008.
-
[37]
Robert BECK, « La promenade urbaine au XIXe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 116-2, 2009, p. 165-190.
-
[38]
Walter BENJAMIN, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Cerf, 1993, p. 73.
-
[39]
Simone DELATTRE, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 2000, p. 409.
-
[40]
Anne-Marie SOHN, « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2009, p. 137-180, et, sur les rapports de genre dans l’espace des théâtres et des boulevards, Denise DAVIDSON, France after Revolution. Urban life, Gender, and the New Social Order, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2007, p. 75-128.
-
[41]
Paul GARNIER, « Le sadi-fétichisme », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1900, t. 43, p. 97-121.
-
[42]
Ibidem, p. 118.
-
[43]
Richard von KRAFFT-EBING, Psychopathia-sexualis. Avec recherches spéciales sur l’inversion sexuelle, traduction de la 8eédition allemande, Paris, Georges Carré, 1895, p. 97 et suiv.
-
[44]
Havelock ELLIS, Studies in the Psychology of Sex, Philadelphie, Davis, 1913, p. 124-125.
-
[45]
Ainsi l’érotomanie est-elle définie par l’aliéniste Esquirol en 1838 comme un délire partiel provoqué par un amour excessif et imaginaire.
-
[46]
Gilles TRIMAILLE, « L’expertise médico-légale face aux perversions : instrument ou argument de la justice ? », Droit et cultures, 60, 2010-2, p. 73-87.
-
[47]
On ne trouve ainsi aucune trace de l’affaire des piqueurs dans les principales revues médicales contemporaines Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie, Nouveau journal de médecine et Journal du dictionnaire des sciences médicales (fin 1819, début 1820).
-
[48]
Des traces de piqûres sur les fesses et les cuisses de la victime de Léger ont été repérées au moment de l’autopsie du corps. Je remercie Laurence Guignard pour cette information.
-
[49]
Georges LANTÉRI-LAURA, Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, Paris, Masson, 1979, p. 15.
-
[50]
Le maire de Bordeaux, dans une lettre au ministre de l’Intérieur (30 décembre 1819) évoque ainsi l’« horrible manie qui paraît avoir saisi quelques Parisiens » (AN F76952).
-
[51]
Mémoire de l’avocat Claveau, cité dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 68.
-
[52]
Discours de l’avocat du roi, Bourguignon, cité dans L’Indépendant, 2 février 1820.
-
[53]
Le Journal des débats, 2 février 1820.
-
[54]
« Un homme de qualité qui a terminé ses jours à Bicêtre », peut-on lire dans La Renommée le 9 décembre 1819, « a révélé par sa conduite et par ses écrits jusqu’à quel degré d’atrocité et de dépravation le cœur humain était susceptible de descendre. Ainsi, lors de la première nouvelle des attentats sanguinaires dont quelques jeunes femmes ont été victimes, n’a-t-on par manqué d’en attribuer la cause à l’excès d’immoralité de quelque nouveau marquis de Sade ».
-
[55]
Claude DUCHET, « L’image de Sade à l’époque romantique », in Le marquis de Sade. Actes du colloque d’Aix-en-Provence des 19 et 20 février 1968, Paris, Armand Colin, 1968, p. 219-240.
-
[56]
Georges VIGARELLO, Histoire du viol. XVIe-XIXe siècle, Paris, Seuil, 2000, p. 85.
-
[57]
Plaidoirie de l’avocat de Bizeul, MeClaveau, citée par La Renommée, 2 février 1820.
-
[58]
La Quotidienne, 2 février 1820.
-
[59]
Bulletin de Paris du 17 décembre 1819, AN F73874.
-
[60]
Gilles MALANDAIN, « Le sens d’un mot : attentat, de l’Ancien Régime à nos jours », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française [en ligne], 2012/1 (http://lrf. revues.org/368).
-
[61]
Point commun avec la peur contemporaine des « voleurs de sexe » en Afrique de l’Ouest, qui rompt avec le contexte ordinaire de la sorcellerie. Cf. J. BONHOMME, op. cit.
-
[62]
Georg SIMMEL, « Les grandes villes et la vie de l’esprit », in Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989, p. 234.
-
[63]
La Gazette de France, 11 décembre 1819.
-
[64]
Mémoire de l’avocat Claveau, cité dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 64.
-
[65]
Lettre du préfet du Nord au Directeur général de la police, 29 avril 1820 ; Lettre du préfet de police au ministre de l’Intérieur du 10 décembre 1823, AN F76952.
-
[66]
Ibidem.
-
[67]
Le rapport aux bas-fonds est tissé de peur et de fascination et se focalise sur quelques catégories et quelques espaces de « contre-sociétés », comme le souligne Dominique KALIFA dans Les bas-fonds. Histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, 2013. Les piqueurs restent quant à eux non identifiables et non assignables à un espace, social ou topographique.
-
[68]
Le Censeur européen, 14 décembre 1819.
-
[69]
Le préfet de police doit constater le 9 décembre « dans le public une alarme et une inquiétude générales » (Bulletin de Paris du 9 décembre 1819, AN F73874).
-
[70]
Bulletin de Paris du 10 décembre 1819, AN F73874. Seules deux victimes lyonnaises de piqûres étaient des prostituées.
-
[71]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 29 décembre 1819, AN F76952.
-
[72]
Lettre du préfet de la Seine-Inférieure au ministre de l’Intérieur, 3 janvier 1820, AN F76952.
-
[73]
Le Vampire, nouvelle traduite de l’anglais de Lord Byron par Henri Faber, Paris, Chamerot, 1819. Voir également la fine observation dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 50 : « Comme le Vampire, dont le théâtre venait de faire revivre l’idée, il [le piqueur] semblait jouir de la vue du sang ; toutefois il ne s’en abreuvait pas. »
-
[74]
Edgar MORIN, La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1982, p. 18.
-
[75]
Le Moniteur universel, 11 décembre 1819.
-
[76]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 31 décembre 1819, AN F76952.
-
[77]
La Gazette de France, 17 décembre 1819.
-
[78]
Bulletin de Paris du 8 décembre 1819, AN F73874.
-
[79]
« Il a fallu soustraire, il y a trois jours, un homme à la fureur de la populace, parce qu’une femme avait prétendu qu’il avait voulu la piquer » (lettre du secrétaire général de la préfecture de la Seine-Inférieure au ministre de l’Intérieur, 3 janvier 1820). AN F76952.
-
[80]
Lettre du maire de Bordeaux au ministre de l’Intérieur, 30 décembre 1819, AN F76952.
-
[81]
Lettre du préfet du Rhône au ministre de l’Intérieur, 30 décembre 1819, AN F76952.
-
[82]
La Renommée, 13 décembre 1819.
-
[83]
« Le bruit avait été répandu que la fille du Sr Chauveau, vétérinaire, attachée à la maison de SAR Mgr le duc de Berry, était morte des suites d’une de ces blessures. Le commissaire du quartier, après avoir pris des informations, annonce que ladite Delle Chauveau est morte à Chambéry auprès de sa mère, il y a plus de six semaines, qu’elle a succombé à une maladie naturelle, et qu’elle n’avait point été blessée. » (Bulletin de Paris du 14 décembre 1819, AN F73874).
-
[84]
« Cet événement [une piqûre imaginaire] s’est répandu dans Paris avec des circonstances toutes différentes : c’est l’individu signalé qui a été arrêté, et la femme est dangereusement blessée ; suivant d’autres même, elle est morte. On exagère partout les faits, trop réels et déjà connus et ils sont le sujet de toutes les conversations. » (Bulletin de Paris du 8 décembre 1819, AN F73874).
-
[85]
Lettre du maire de Bordeaux au ministre de l’Intérieur, 4 janvier 1820, AN F76952.
-
[86]
F. PLOUX, De bouche à oreille, op. cit., p. 46 sq.
-
[87]
Le Moniteur universel, 14 décembre 1819 (à propos des informations diffusées par le journal Le Fanal).
-
[88]
Ibidem.
-
[89]
Minute de lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de police, 11 décembre 1823, AN F76952.
-
[90]
En particulier des témoignages de médecins.
-
[91]
65000 exemplaires en 1826.
-
[92]
Lettre du préfet de la Seine-Inférieure au ministre de l’Intérieur, 3 janvier 1820, AN F76952.
-
[93]
D. KALIFA, « L’envers fantasmé du quotidien », in Dominique KALIFA, Philippe RÉGNIER, Marie-Ève THÉRENTY et Alain VAILLANT (éd.), La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011, p. 1329-1340.
-
[94]
Collection de Vinck, n° 8748-8750-8751-8752-8753-8754-8755, Cabinet des estampes, BnF.
-
[95]
« Des inconnus chantaient et distribuaient au public des chansons ayant pour titre Les piqûres à la mode ou les nouvelles blessures. Se voyant observés et craignant d’être arrêtés, ils ont pris la fuite, abandonnant leurs chansons qui ont été saisies. » (Bulletin de Paris du 13 décembre 1819, AN F73874).
-
[96]
Lettre du pharmacien Liébert, rue Saint Louis, au rédacteur de l’Indépendant, 13 décembre 1819.
-
[97]
« Une foule immense a dû se porter à l’audience » (L’Indépendant, 26 janvier 1820).
-
[98]
Louis-Michel ROUQUETTE, La rumeur et le meurtre. L’affaire Fualdès, Paris, PUF, 1992, p. 73-77.
-
[99]
La piqûre à la mode. Complaintes, romances et chansons faites à l’occasion des anecdotes sur les piqueurs, Paris, Martinet, 1819.
-
[100]
Le résultat d’une piqûre, gravure à l’eau-forte, 13 décembre 1819, Collection de Vinck, n° 8753.
-
[101]
Étrenne pour le jour de l’an 1820. Préservatif contre la piqûre, 24 décembre 1819, Collection de Vinck, n° 8752.
-
[102]
Étrennes dédiées aux dames pour 1820. Maison d’assurance contre les piqûres, ou les nouveaux croquemitaines, lithographie de Motte, Collection de Vinck, n° 8751.
-
[103]
Beau trait de sensibilité conjugale ou la piqûre empoisonnée, lithographie de Langlumé, 18 décembre 1819, Collection de Vinck, n° 8754.
-
[104]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 30 décembre 1819, AN F76952 ; Lettre du lieutenant de police de Lyon au préfet du Rhône, 30 décembre 1819, AD 69, 4M 180.
-
[105]
Lettre du lieutenant de police de Lyon au ministre de l’Intérieur, 29 décembre 1819, AN F76952.
-
[106]
Voir Le Journal des débats politiques et littéraires et Le Constitutionnel du 30 décembre 1819.
-
[107]
Ont été consultés, Le Constitutionnel, Le Censeur européen, Les Lettres normandes, La Renommée, La Minerve française, L’Indépendant (côté gauche), Le Journal de Paris et des départements, Le Moniteur (ministériel), Le Journal des débats politiques et littéraires, L’Ami de la religion et du roi, La Gazette de France, La Quotidienne (côté droit).
-
[108]
F. PLOUX, op. cit., p. 173-177.
-
[109]
G. MALANDAIN, op. cit., p. 11.
-
[110]
Ephraïm HARPAZ, L’école libérale sous la Restauration. Le Mercure et la Minerve, 1817-1820, Genève, Droz, 1968, p. 145-174.
-
[111]
Alain CORBIN, Histoire du corps, t. 2 : De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 215-238.
-
[112]
Annie DUPRAT, « La trésorière des Miramionnes n’avait qu’une fesse », Annales historiques de la Révolution française, 361, 2010-3, p. 53-64.
-
[113]
Marseille, Nîmes et ses environs en 1815… par M. Charles Durand, Paris, chez Plancher, 1818, t. 3, p. 31 ; Pierre-Joseph LAUZE DE PÉRET, Causes et précis des crimes, des désordres, des troubles dans le département du Gard et dans d’autres lieux du Midi de la France en 1815 et 1816, Paris, Poulet, 1819, p. 394-396. Cf. Pierre TRIOMPHE, « Le discours libéral sur la Terreur blanche nîmoise (1815-1816) », in Jean-Claude CARON, Frédéric CHAUVAUD, Emmanuel FUREIX et Jean-Noël LUC (éd.), Entre violence et conciliation. La résolution des conflits sociopolitiques en Europe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 39-49.
-
[114]
Les Lettres normandes, 14 décembre 1819, p. 145.
-
[115]
Les Lettres normandes, 22 décembre 1819, p. 163.
-
[116]
« Quelques pauvres ultras, qui ont appris par expérience et à leurs dépens, certaines ruses employées par les réformateurs du siècle, depuis 1793, se rappellent non sans terreur que des agents des comités directeurs de ce temps-là furent soupçonnés d’employer des moyens semblables pour exaspérer le peuple et l’exciter contre les autorités établies dans les pays où ces missionnaires de la Convention n’avaient pas le pouvoir de faire tomber des têtes. Aux États-Unis, par exemple, l’arrivée des agents du gouvernement régicide fut signalée, il y a vingt ans, par l’odieuse scène des piqûres. Les habitants de Philadelphie eurent à souffrir des moustiques à dards d’acier, parce que le gouvernement américain opposait un mur d’airain aux prétentions démagogiques des Brutus-sans-culottes » (La Gazette de France, 13 décembre 1819).
-
[117]
« On connaît la tactique des libéraux de 1819, ressuscitée des jacobins de 1793, qui consiste à nous imputer leurs propres forfaits. Ne sont-ce pas les émigrés et les royalistes qui ont assassiné LouisXVI, et commis tous les crimes de la Révolution ? Qu’on juge maintenant de quel côté sont les piqueurs ? » (La Bibliothèque royaliste… par MM. Sarran, Saint-Prosper et autres écrivains, t. 5, Paris, imp. d’Everat, 15 janvier 1820, p.155).
-
[118]
La Gazette de France, 16 décembre 1819.
-
[119]
Bulletin de Paris du 20 décembre 1819. AN F73874.
-
[120]
« Les faits rapportés dans les journaux avec une intention malveillante, surtout celle manifestée par les journaux prétendus libéraux, pour exciter les citoyens à porter les armes pour leur défense personnelle, étaient entièrement faux. Le Censeur d’aujourd’hui 12 décembre renferme une lettre signée Julie Dumont, ouvrière en robes rue Saint-Denis, n° 88, manifestant l’intention de s’armer d’un pistolet pour vaquer avec plus de sûreté à son état qui exige des courses fréquentes dans Paris, et contenant la menace de brûler la cervelle au premier individu qui la piquerait. Recherche faite, il en est résulté qu’aucune ouvrière du nom de Julie Dumont ne demeure dans cette maison et aucune personne de celles qui y habitent n’a écrit de lettres semblables. » (Bulletin de Paris du 12 décembre 1819, AN F73874).
-
[121]
« Les habitants de Paris […] restent paisibles et semblent peu disposés à seconder les vues des agitateurs : les lieux publics, les théâtres, les cafés, les autres lieux de réunion observés par les agents ont présenté partout l’aspect le plus tranquille. Aucune discussion, aucune rixe ne s’est élevée. » (Bulletin de Paris du 16 décembre 1819, AN F73874).
-
[122]
Gilles MALANDAIN, op. cit., p. 281 sq.
-
[123]
Cf. notamment Jean-François BELLEMARE, La police et M. Decazes, Paris, Pillet, 1820 ; Adresse aux Chambres. La police sous MM. les duc Decazes, comte Anglès et baron Mounier, Paris, chez l’auteur, 1821 ; FROMENT, La police dévoilée, depuis la Restauration, et notamment sous MM. Franchet et Delavau, Paris, Lemonnier, 1829 ; Louis-François L’HÉRITIER, Supplément aux mémoires de Vidocq, Paris, Les marchands de nouveautés, 1831.
-
[124]
Pierre RIBERETTE, L’État et sa police en France (1789-1914), Genève, Droz, 1979, p. 35-58 : « De la police de Napoléon à la police de la Congrégation ».
-
[125]
Le Censeur Européen, 10 décembre 1819 ; La Quotidienne, 11 décembre 1819.
-
[126]
La police est également mise en cause dans l’affaire de la « pluie d’or » qui tombe sur la rue du Bouloi, au mois d’août 1819, suscitant des rassemblements de plusieurs milliers de personnes (L’Indépendant, 13 août 1819).
-
[127]
« On va même jusqu’à imputer à des agents subalternes de la police certains faits qui pourraient donner quelque fondement à un bruit qu’elle a intérêt d’accréditer » (Le Censeur européen, 10 décembre 1819) ; voir aussi La Renommée, 21 décembre 1819.
-
[128]
« Les piqûres sont devenues des vérités de fait, et la police s’évertue à prouver qu’il n’y a pas de piqueurs. À quoi songe donc la police ? Est-ce que, par hasard, il serait question de quelques grandes conspirations dans le genre de celle de l’épingle noire ? Prenez-y garde, bons Parisiens : vous vivez paisibles au sein de vos familles, […] vous allez signer d’humbles adresses au roi ; prenez-y garde : vous serez peut-être, dans peu, de grands conspirateurs. » (La Minerve française, 16 décembre 1819, t. 8, p. 332).
-
[129]
François GUIZOT, Des conspirations et de la justice politique, Paris, Ladvocat, 1821, p. 62.
-
[130]
Défense de l’accusé présentée dans la Gazette de France, 26 janvier 1820, et de son avocat dans Supplément aux mémoires de Vidocq…, op. cit., p. 69 sq.
-
[131]
La Renommée, 12 décembre 1819.
-
[132]
La Gazette de France, 12 décembre 1819.
-
[133]
Gilles MALANDAIN, « Contrôle politique et contrôle social de la police sous la Restauration », in Laurent FELLER (éd.), Contrôler les agents du pouvoir, Limoges, PULIM, 2004, p. 273-286.
-
[134]
« L’horreur […] a fait naître l’idée de proposer des récompenses pécuniaires pour les honnêtes citoyens qui parviendraient à saisir quelqu’un de ces assassins en flagrant délit, et qui l’auront livré sain et sauf aux mains de l’autorité. » (La Gazette de France, 16 décembre 1819).
-
[135]
Alain DEWERPE, Espion. Anthropologie historique du secret d’État contemporain, Paris, Gallimard, 1994, p. 110-116.
-
[136]
Ibidem, p. 97.
-
[137]
Hélène L’HEUILLET, Basse politique, haute police. Une approche philosophique et historique, Paris, Fayard, 2001.
-
[138]
Cet imaginaire résiste à la création des sergents de ville en uniforme, en 1829, visibles mais toujours nuisibles ainsi que le souligne l’article « Mouche » du Museum parisien de Louis Huart (1841), cité par Quentin DELUERMOZ, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 30-31.
-
[139]
Seules trois victimes sur 38 le reconnaissent formellement. Récidiviste en ce qu’il avait déjà été condamné à cinq ans de réclusion pour un autre délit (sans doute un vol), client censément assidu « d’estaminet », habile piqueur de par son métier, il fait figure de coupable idéal dans un moment d’angoisse collective.