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Article de revue

Jean-Clément Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national, Paris, Seuil, 2006, 338 p., ISBN 978-2020438421.

Pages 247 à 249

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Ouvrage

Violence et révolution

Essai sur la naissance d'un mythe national

Le Seuil (2009)

1 Interrogeant, avec un dynamisme roboratif, certitudes a priori et catégories toutes faites, Jean-Clément Martin prend un nouveau tabou à bras le corps, en se proposant d’éclaircir le rapport, complexe, délicat car intensément politisé, entre violence et politique durant la décennie révolutionnaire. Partant de la conviction personnelle que la démocratie peut s’établir sans recours à la violence et suggérant que la violence n’a pas, nécessairement, de légitimité politique, il embrasse le problème de la dichotomie entre la fin (la volonté affichée pendant la Révolution de bâtir de nouvelles relations entre les hommes fondées sur les principes des Lumières), et les moyens (le recours à la violence politique), par une lecture « désacralisée » (p. 10) des événements révolutionnaires et un « bricolage épistémologique » (p. 11) empruntant à l’ethnologie, la philosophie aussi bien qu’à la tradition érudite. Il n’entendait certes pas faire une énième histoire générale de la décennie révolutionnaire par le biais de la violence, mais une enquête sur la façon dont la violence a été employée et dont les significations, les modalités et les perceptions ont varié au cœur de la décennie révolutionnaire, fondée sur une grande érudition factuelle.

2 Le premier chapitre, consacré à l’Ancien Régime, notamment judiciaire, caractérise le régime monarchique français, même si le niveau de violence ordinaire décroît à proportion qu’augmente la politisation populaire, sans toutefois qu’une corrélation soit établie ni expliquée entre ces changements. Les traditions de violence héritées des guerres civiles du XVIe siècle sont tantôt rejetées pour justifier la nature politique de la contestation, tantôt invoquées pour justifier l’absence d’un front uni contre la monarchie en 1788-1789. Le deuxième chapitre – Politique et rapports de force – rappelle que l’année 1789 se caractérise par la dissolution de l’autorité, rongée par les hésitations d’une politique à courte vue. La prise de la Bastille issue de la violence est décrite comme une véritable « épiphanie » (p. 64) qui donne un sens nouveau à la vie politique française. Le meurtre de Bertier et Foulon marque la distinction entre violence des révoltes populaires et celle des révolutions politiques, dont l’articulation constitue pour J.-C. Martin la pierre d’achoppement des dix années suivantes. Un espace de malentendu s’ouvre entre héritages et innovations politiques ; la violence qui contamine le langage politique, devient une manière d’exprimer des revendications et de légitimer les désirs de revanche et de justice hérités du passé.

3 Le troisième chapitre recourt, pour expliquer l’évolution de la vie politique, au concept de guerre civile, caractérisant les conflits internes d’une société en recomposition motivés par des mots d’ordres idéologiques ou politiques. Les affaires religieuses, creusant l’alternative entre Révolution et Contre-Révolution, accroissent la politisation populaire et constituent un terreau d’autant plus propice à la violence que la dimension politique peut être invoquée des deux côtés. J.-C. Martin récuse cependant la vision d’une acculturation des masses par le politique, et plus encore celle d’une « descente » du politique du « haut » vers le « bas » de la société, mais avance l’hypothèse d’un investissement du politique par les structures et les dynamiques locales antérieures. Il rappelle comment la faiblesse de l’exécutif laisse les administrateurs libres d’interpréter la loi à leur guise. Dès avril 1792, la moitié des directoires départementaux avait ainsi adopté une position dure face aux réfractaires : ce coup de poker se révèle gagnant après les journées de juin et d’août 1792, qui légitiment l’usage de la violence contre la monarchie et ses tenants.

4 Le quatrième chapitre consacré aux rapports de la violence et des conflits de légitimité, montre que si la Constituante se sépare sur la volonté de terminer la Révolution par la mise en place d’un État où seuls le roi et l’assemblée détiennent le monopole de l’usage de la violence, la remise en cause des habitudes de pensée et des concepts ouvre la compétition politique dans l’ensemble du pays. Loin des entreprises partisanes de dénigrement de la Révolution Française qui en font la matrice des « totalitarismes » du XXe siècle, J.-C. Martin conjecture que l’on voit dans la Révolution les prémisses de la brutalisation des conflits. Sans minimiser la force des convictions politiques, il ne masque pas les responsabilités des députés, dont les calculs politiciens obscurcissent la lisibilité des débats politiques et nécessitent une certaine érudition pour démêler la part des combinaisons stratégiques les plus complexes, voire des stratégies individuelles les plus cyniques. Il montre aussi comment la stigmatisation de l’adversaire politique comme ennemi national devient un puissant ressort dans la dynamique révolutionnaire, d’abord utilisé par les Girondins contre la monarchie et les contre-révolutionnaires, puis par les Montagnards contre les Girondins, les factions puis Robespierre lui-même, la définition du sens de « contre-révolutionnaire » connaissant une spectaculaire inflation jusqu’au point d’orgue du printemps 1794, comme l’auteur l’avait démontré dans Contre-Révolution, Révolution et Nation (Seuil, 1998). Le langage de la violence et de la surenchère devient seul admissible, et « le pouvoir est à l’encan au nom de principes réversibles » (p. 152).

5 Le cinquième chapitre titré « La violence et le défaut d’État » répète que le sentiment d’urgence lié à la crise de la république, le climat de peur et la multiplicité des acteurs dans un espace institutionnel mal défini, en perpétuelle concurrence, facilitent la violence et sa légitimation. Un tour d’horizon des violences provinciales de la Vendée au fédéralisme en passant par la contre-révolution du Sud-Est conclut que les zones où les guerres civiles antérieures ont laissé des traces ne peuvent s’unifier pour intégrer des grilles politiques nationales et voient leurs fractures s’aggraver, soulignant l’importance des conflits passés. Le détour par les sensibilités et le développement d’un certain goût morbide évoque aussi la modification du rapport au réel et l’acceptation plus large de la violence subie, choisie, et mise en œuvre sur soi comme autrui.

6 À propos des réalités de la Terreur qui font l’objet du sixième chapitre, l’auteur note que la mise en place de la Terreur n’a pas été effective d’un point de vue institutionnel même si elle l’é été pratiquement, avançant l’hypothèse somme toute classique que les députés ont tâché de payer le plus petit tribut à la violence en encadrant la répression plutôt que de laisser extrémistes et sans-culottes s’emparer à nouveau de la violence, ce qui légitime les choix politiques des conventionnels justifiés par la volonté d’éviter le pire, et paraphrase la célèbre déclaration de Danton : « Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être ». N’est-ce pas là se laisser convaincre par des discours dont J.-C. Martin rappelle fort justement qu’ils ne sont pas toujours nourris de convictions idéologiques totalement pures, et qu’ils peuvent s’inscrire dans des stratégies et des calculs visant à servir des ambitions politiques voire personnelles ? Les grandes mesures de l’automne 1793 sont ainsi comprises – le Maximum général des prix et des salaires ou le procès des 21 Girondins – comme d’habiles concessions aux Hébertistes, le jeu politique se caractérisant alors par un réaliste accommodement des idéaux aux nécessités politiques du moment, y compris celle de se maintenir au pouvoir. L’explication des diversités régionales repose essentiellement sur les violences du passé, les situations de guerre civiles favorisant le déchaînement de la violence, mais minore les responsabilités individuelles des acteurs locaux – représentants en mission ou présidents de tribunaux révolutionnaires et commissions militaires – dans l’extrémisme comme la modération, même si J.-C. Martin annonce sa volonté de faire la part des jeux individuels. « Le cas Robespierre » apparaît cependant comme celui de l’homme qui, par ses compromis victorieux, avait réussi à mettre fin à la concurrence des légitimités, et fait craindre la concentration des pouvoirs dans ses mains et celles de ses fidèles, posant la question du réalisme d’une révolution morale qui fait de son promoteur la victime de sa victoire.

7 Le septième chapitre – Sortir de la Terreur ou l’utiliser ? – utilise encore le concept de guerre civile pour expliquer les violences provinciales de la réaction thermidorienne, les traditions de révolte rejouant avec les entreprises de vengeance. Boissy d’Anglas et les conventionnels républicains symbolisent l’équilibre du nouveau régime, qui ont pour la première fois réussi à vaincre la dynamique de la violence lors des journées de germinal et prairial par le respect des principes et le soutien de l’armée. La Convention s’éloigne de plus en plus des forces populaires radicales tandis que s’autonomise une élite politique dont le réalisme cynique valide pour J.-C. Martin la notion de « girouettes » mise en lumière par Pierre Serna.

8 La dernière section – Violence confisquée et marginalisation – souligne que la violence d’État se distingue de plus en plus des violences privées dans un régime oscillant entre autoritarisme et représentation démocratique. La paix intérieure est désormais garantie par l’inculcation du nationalisme et les séductions de la gloire militaire, le Directoire et le Consulat apparaissant comme l’essai, finalement raté, de confier l’usage de la violence à un homme charismatique. La violence est bien restée un élément ordinaire de la vie des Français, et le seuil de tolérance de ces derniers s’est même élevé dans les champs du politique et du militaire, par l’effet des stratégies mises en œuvre pendant la Révolution pour en défendre les acquis, plus que dans les relations interpersonnelles où les crimes diminuent à mesure qu’augmentent les délits, et où les violences sexuelles commencent à entrer dans l’ordre judiciaire, même si la virilisation de la société confine désormais les femmes dans une féminité restrictive.

9 Qu’en est-il, in fine, de ce mythe national de la violence dans la Révolution ? J.-C. Martin livre là une réflexion peut-être plus originale par les questions qu’elle pose que par les résultats qu’elle apporte, synthétisant une historiographie colossale, dont la rareté dommageable des références citées – c’est l’inconvénient éditorial de pareille somme – n’est pas tout à fait compensée par le renvoi à une bibliographie en ligne sur le site internet de l’Institut d’Histoire de la Révolution Française. Mais on pourra aussi en prolonger la lecture à travers la longue discussion publiée sur le site http://www.h-france.net/forum, Volume 2, Issue 2 (Spring 2007).

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