Couverture de RHMC_562

Article de revue

Johan Vincent, L'intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945),Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, 278p., ISBN 2753504997.

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1 Le phénomène balnéaire et les changements du littoral qui en découlent ont souvent été envisagés du point de vue des touristes. Ce livre présente l’originalité de se pencher sur les réactions des populations littorales elles-mêmes. Il s’agit donc de décentrer le regard et de ne pas travailler seulement sur les représentations des touristes. Ce faisant, on est amené à prendre de la distance avec le thème de « l’intrusion balnéaire », qui fournit pourtant le titre du livre, puisque l’analyse attentive montre que les changements ne se produisent pas de manière précipitée et que les différents acteurs du littoral, loin d’être passifs, y participent. Johan Vincent a choisi de travailler sur la longue durée,1800-1945, et l’entreprise pourrait sembler démesurée s’il ne l’avait restreinte aux seules côtes bretonnes et vendéennes. Il a donc étudié la balnéarisation à partir d’une quarantaine de stations littorales. Ses sources sont principalement locales (départementales, municipales). L’auteur a eu également l’idée de se pencher sur de très riches archives diocésaines et paroissiales, qui donnent le point de vue de témoins et d’acteurs inattendus du tourisme : les curés fournissent un discours différent de celui de l’administration. Ces sources sont complétées par les archives ministérielles qui permettent de donner des éléments sur l’investissement des pouvoirs publics dans les changements du littoral.

2 Johan Vincent dresse tout d’abord un état lieu des activités économiques des littoraux avant la balnéarisation :pêche dans les eaux côtières, utilisation de l’estran pour faire sécher le goémon, activités agricoles à l’intérieur des terres, avec une certaine polyactivité. L’industrie se développe avec des conserveries de sardines. Il évoque ensuite la « mythologie balnéaire » et les représentations des touristes dans un chapitre qui n’est pas le plus original du livre. Comme ailleurs, les guides participent à la construction des représentations des touristes. Ils valorisent le bain de mer à des fins hygiénistes et médicales, insistent sur l’aventure, la découverte ou l’authenticité des lieux visités. L’ouvrage est beaucoup plus intéressant quand il décrit les conflits pour l’usage du littoral, qui opposent activités balnéaires et activités plus traditionnelles. Il s’inscrit ainsi dans la continuité des pistes ouvertes par Catherine Bertho Lavenir, qui traitait dans La Roue et le stylo des « combats pour la route » entre cyclistes, automobilistes et usagers traditionnels (1999, p. 187-217). Les bourgeois voyageurs tentent d’imposer leurs exigences techniques, leurs infrastructures et leurs priorités. De même, les amateurs de stations balnéaires souhaitent importer une part de la modernité citadine. Ils exigent une ville propre, avec le développement du tout-à-l’égout, la collecte des ordures mais aussi l’éloignement du rivage d’activités nauséabondes comme le séchage du goémon. Leurs exigences portent sur l’éclairage et les moyens de communication : poste, télégraphe, puis téléphone. De tels aménagements sont onéreux pour les communes concernées, mais les habitants profitent de cette modernisation balnéaire. Le livre examine la façon dont l’État prend en compte ces évolutions et y participe. Il légifère pour réglementer les utilisations du littoral, se posant en arbitre de ses usages. Il vend des parcelles, réalisant de bonnes affaires, et participe parfois aux aménagements. L’administration et les communes établissent ainsi des normes pour les cabines de bain, rendues obligatoires par l’interdiction de se baigner nu. La location de parcelles dévolues aux cabines de bain peut représenter un revenu appréciable, même si elle modifie le paysage.

3 Les stations bretonnes et vendéennes s’inscrivent dans une économie balnéaire marquée par une concurrence croissante. Elles sont plus éloignées de Paris que les plages normandes, moins ensoleillées que la Côte d’Azur, ce qui est un problème dès lors que le bronzage s’impose comme une nouvelle norme sociale à partir des années 1910. Les stations doivent trouver des arguments pour attirer et retenir les touristes. Le maintien d’activités traditionnelles est alors un atout, car il permet aux amateurs d’aventure de partir en bateau avec des pêcheurs locaux. La distance de Paris devient une qualité, gage d’authenticité plutôt que d’esprit de luxe, nouvelle forme de distinction pour les touristes qui prétendent « fuir les mondanités ». Les stations insistent sur leur caractère bon marché par rapport à d’autres plus à la mode, ce qui n’empêche pas La Baule-Escoublac de devenir huppée. Les campagnes autour des « petits trous pas chers » ne sont pas incompatibles avec la mise en avant d’activités sportives comme le tennis et le golf, portées par l’anglomanie d’une partie des élites françaises. La promotion prend une part croissante dans le budget des communes. Pour faire face à la concurrence, de nombreuses stations bretonnes acceptent d’accueillir les enfants des colonies de vacances, quand bien même ils sont envoyés par des municipalités communistes ou socialistes, dans l’espoir d’attirer et fidéliser les parents.

4 Lors de la Première Guerre mondiale, cette activité balnéaire n’est pas ou peu perturbée, du fait de la distance du champ de bataille. Si la saison 1914 s’interrompt avec la déclaration de guerre, les années de conflit sont marquées par des activités certes moins fastueuses, car les casinos sont fermés, mais persistantes. La situation est différente lors de la Deuxième Guerre mondiale, notamment à partir de l’armistice de 1940. Les établissements balnéaires sont obligés de loger des troupes d’occupation, des projets touristiques étant même envisagés en direction des Allemands. La mise en place d’une zone littorale interdite en 1941 marque cependant un coup d’arrêt et voit les plages interdites aux civils, car « sur la plupart des littoraux, la plage se transforme progressivement en champ de bataille ». Les profits touristiques ne sont donc retrouvés qu’avec la Libération et certaines stations se trouvent plongées dans de grandes difficultés économiques.

5 Ces problèmes témoignent bien de la place importante prise par les activités touristiques. Dans un des chapitres les plus intéressants, J.Vincent décrit « une professionnalisation balnéaire ». De nouveaux métiers saisonniers, de nouvelles activités de service sont nécessaires pour satisfaire les baigneurs. Ils ne sont pas uniquement le fait des autochtones :loueurs d’ânes, coiffeurs, pharmaciens, fleuristes ou pâtissiers, d’origine urbaine, viennent souvent d’ailleurs. Des entrepreneurs étrangers, notamment dans l’immobilier, profitent de la manne touristique. Les populations locales doivent l’accepter « sous peine de ne pas contenter les baigneurs et donc nuire à la station balnéaire ». Elles peuvent néanmoins prendre part à la professionnalisation. Elles jouent tout d’abord un rôle dans les activités d’hébergement, ou pour nourrir les estivants, ce qui entraîne un développement du commerce. Les sauveteurs et autres guides baigneurs se voient aussi assigner la mission de « sécuriser le bain ». Des leçons de gymnastique ou de natation sont données à même la plage. Le service postal et les gendarmes, ou à défaut les gardes-champêtres, voient leurs effectifs augmenter lors de la saison balnéaire, notamment par l’emploi de travailleurs saisonniers. Ce sont les communes, parfois, qui payent pour ce personnel supplémentaire. Les élites locales, enfin, sont dans une « position favorable » pour tirer profit du développement des activités balnéaires. Les notaires sont les premiers concernés, dont les bénéfices sont assurés par les ventes immobilières et les nouveaux lotissements. Certains parviennent même à spéculer sur les terres. Plus généralement, tous les notables sont en position d’investir et ils connaissent les opérations profitables grâce aux « postes occupés au conseil municipal ». Certains d’entre eux n’hésitent pas à prendre des actions dans les sociétés balnéaires comme la Société immobilière des Bains de mer de Pornic. Le balnéaire est donc l’occasion pour les notables traditionnels de conforter leurs positions locales, plus que de les voir fragilisées. Ils conservent d’ailleurs jusqu’aux années 1950 une prépondérance dans les conseils municipaux, dans lesquels les activités liées au tourisme ne sont pas les plus représentées.

6 Si on peut regretter que la conclusion très courte ne mette pas vraiment en perspective tous les éléments intéressants de l’ouvrage, celui-ci montre bien qu’« un minimum de vitalité autochtone est nécessaire » pour que l’activité balnéaire puisse s’implanter. Il permet de situer le rôle et la place des populations locales dans l’histoire du tourisme, sans les considérer comme un tout homogène, mais en sachant distinguer différentes catégories sociales qui ne retirent pas les mêmes avantages des ressources touristiques.


Date de mise en ligne : 10/07/2009

https://doi.org/10.3917/rhmc.562.0234

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