Notes
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[1]
La réflexion proposée ici s’appuie sur les travaux résultant d’un programme de recherche collectif de l’École française de Rome, qui a fonctionné entre 2000 et 2005 et qui a réuni treize chercheurs. Les résultats sont en cours de publication dans deux volumes complémentaires : Maria Pia DONATO (éd.), Conflicting Duties. Science, Medicine and Religion in Rome (1550-1750), Londres, Warburg Institute, sous presse, et Antonella ROMANO (éd.), Rome et la science moderne entre Renaissance et Lumières, Rome, École française de Rome, sous presse.
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[2]
Michel de MONTAIGNE, Journal de Voyage, éd. L.Lautrey, Paris,1906, p.254 sq.
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[3]
On pourrait tracer le parcours littéraire de l’obsolescence romaine dans une littérature qui nous porterait jusqu’à nos jours et à Julien GRACQ, Autour des sept collines, Paris, José Corti, 1988; pour rester dans le domaine français, à la citation attendue de Stendhal, il ne faudrait pas manquer d’ajouter celle de Zola dont le roman Rome(1896) offre une vision « naturaliste » de la Ville Sainte à l’heure de la crise moderniste qui n’est pas sans lien avec l’image d’une Rome anti-scientifique circulant parmi les philosophes du temps, notamment dans le milieu positiviste, auquel Zola est lié à travers Claude Bernard. REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE 55-2, avril-juin 2008.
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[4]
Gérard LABROT,L’image de Rome :une arme pour la Contre-Réforme,1534-1677, Seyssel, Champ Vallon, 1987.
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[5]
On renverra en particulier à l’article qui semble avoir fait le point sur cette question :William Edgar KNOWLES MIDDLETON, « Science in Rome, 1675-1700, and the Accademia fisicomatematica of Giovanni Giustino Ciampini »,The British Journal for the History of Science,8-29,1975, p.138-154.
-
[6]
Voir supra, note 1. Voir en outre Antonella ROMANO (éd.),Roma e la scienza, numéro spécial de la revue Roma moderna e contemporanea,3,1999, p.347-605 (en part.p.347-357); EAD.,« Il mondo della scienza », in Giorgio CUCCIO (éd.),Storia di Roma, vol.4, Rome, Laterza,2002, p.273-303; une perspective comparative a été esquissée dans A. ROMANO, Stéphane VAN DAMME, « Paris et Rome aux XVIIe et au XVIIIe siècles », in Christian JACOB (éd.),Les lieux de savoir, vol.1, Paris, Albin Michel, 2007, p.1165-1184.
-
[7]
Parmi les principaux jalons de cette histoire :Alfred RUPERT HALL, The Scientific Revolution,1500-1800. The Formation of the Modern Scientific Attitude, Londres, Longmans, Green,1954; Alexandre KOYRÉ, Du monde clos à l’univers infini (1957), Paris, PUF 1962; Thomas S. KUHN, The Copernican Revolution. Planetary Astronomy in the Development of Western Thought, Cambridge, Harvard University Press, 1957; Herbert BUTTERFIELD, The Origins of Modern Science (1957), New York, The Free Press, 1997. Pour les remises en perspective, à partir des années 1990, on renverra à David C. LINDBERG et Robert S. WESTMAN (éd.),Reappraisals of the Scientific Revolution, Chicago, University of Chicago Press,1990; Steve SHAPIN,The Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press,1996; Margaret J.OSLER (éd.),Rethinking the Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press,2000; Peter DEAR,Revolutionizing the Sciences : European Knowledge and its Ambitions,1500-1700, Houndmills, Palgrave, 2001. Cf. Floris COHEN, The Scientific Revolution :A Historiographical Inquiry, Chicago, The University of Chicago Press, 1994.
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[8]
Robert K.MERTON,« Science, technology and society in seventeenth century England », Osiris,4-2,1938, p. 360-632; dans l’abondante littérature sur les jésuites et la science, voir Luce GIARD (éd.), Les jésuites à la Renaissance. Système éducatif et production du savoir, Paris, PUF,1995; Morderchai FEINGOLD (éd.), Jesuit Science and the Republic of Letters, Cambridge (Mass.), MIT Press,2003.
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[9]
On pense ici à René TATON (éd.), Histoire générale des sciences, Paris, PUF,1957-1964, qui ne fait aucune place à la question des lieux. Sur Rome capitale culturelle, voir Jean BOUTIER, Brigitte MARIN et Antonella ROMANO (éd.), Naples, Rome, Florence :une histoire comparée des milieux intellectuels italiens ( XVIIe - XVIIIe siècle), Rome, École française de Rome,2005.
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[10]
Outre la bibliographie déjà citée, voir, pour Paris, S.VAN DAMME, Paris, capitale philosophique de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob,2005. Sur le « lieu de la science »:Jean-Marc BESSE, « Le lieu en histoire des sciences : hypothèses pour une approche spatiale du savoir géographique au XVIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie-Méditterranée (ci-après MEFRIM), 116-2,2004, p. 401-422.
-
[11]
Le nombre total d’habitants de la ville croît régulièrement pendant la période étudiée :d’environ 109000 dans les années 1600-1619, la population passe à 116000 dans les années 1640-1659,136000 pour les années 1700-1719,152000 dans les années 1740-1759,163000 dans les années 1780-1799. Le sex-ratio est particulièrement déséquilibré avec une surreprésentation masculine, en nette diminution tout au long de notre période :si, dans les années 1600-1619, on compte à Rome 60,8 femmes pour 100 hommes, dans les années 1640-1659, le rapport monte à 69,8, puis à 72,4 dans les années 1700-1719,78,9 pour les années 1740-1759, et 82,5 dans les années 1780-1799. Voir Eugenio SONNINO, « Le anime dei romani :fonti religiose e demografia storica », in Luigi FIORANI et Adriano PROSPERI (éd.), Storia d’Italia. Annali 16. La città del papa. Vita civile e religiosa dal Giubileo di Bonifacio VIII al Giubileo di papa Wojtila, Turin, Einaudi,2000, p.342-348.
-
[12]
Vittorio Emmanuele GIUNTELLA, Roma nel Settecento, Bologne, Cappelli,1970, p.63.
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[13]
Charles de BROSSES, Lettres familières sur l’Italie, publiées d’après les manuscrits, avec une introduction et des notes par Y.Bezard, Paris, Firmin-Didot, 1931, t. 2, p. 5, estimait qu’un quart de la population était composée de membres du clergé. Les données démographiques soulignent un pourcentage de clercs (réguliers et séculiers) oscillant entre 6,7 et 7,5% de la population entre 1696 et 1740, soit un clerc pour 15-16 habitants. Ce pourcentage recule ensuite régulièrement jusqu’à la fin du siècle, pour atteindre 3,5% en 1796.
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[14]
La fonction religieuse de Rome explique aussi un ensemble de flux spécifiques, ceux liés à la circulation des pèlerins. Dominique JULIA,« Gagner son jubilé à l’époque moderne :mesure des foules et récits de pèlerins », Roma moderna e contemporanea,2-3,1997, p.311-354.
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[15]
Sur la Sapienza, outre Filippo Maria RENAZZI,Storia dell’Università degli Studi di Roma detta communemente La Sapienza, che contiene anche un saggio storico della letteratura romana dal principio del secolo XIII sino al declinare del secolo XVIII, Rome, Forni, 1803-1806,4 vol, voir Roma e lo Studium Urbis. Spazio urbano e cultura dal ‘400 al ‘600. Atti del convegno di Roma,7-10 giugno 1989, Rome, Quasar, 1992. Outre les organismes de savoir produits par les congrégations issues de la réforme de l’Église, en l’occurrence Propaganda Fide, il faut ajouter les hôpitaux qui font l’objet d’une profonde réévaluation historiographique, comme lieux d’élaboration de nouvelles pratiques médicales : voir, sur l’anatomie en particulier, Elisa ANDRETTA, « Le scalpel de Pierre. Médecins et médecine à Rome au XVIe siècle », thèse EHESS et Università di Roma-La Sapienza,2007.
-
[16]
Cf. non seulement les annexes produites par Maria Pia Donato et Antonella Romano sur les bibliothèques et académies romaines, in J.BOUTIER, B.MARIN, A.ROMANO (éd.),Naples, Rome, Florence…, op.cit., p.680 sq., mais aussi Renata AGO, Il gusto delle cose. Una storia degli oggetti nella Roma del Seicento, Rome, Donzelli, 2006, qui permet de lire la diffusion des modèles de consommation aristocratique dans les autres milieux sociaux de la ville.
-
[17]
Sur le collectionnisme des Spada dans les années 1630, voir Arne KARSTEN, « L’ascesa di casa Spada. Il cardinale Bernardino Spada coordinatore della politica matrimoniale della famiglia nel Seicento », Dimensioni e problemi della ricerca storica,2,2001, p.179-192; sur celui des Borgia dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, voir par exemple Marco NOCCA (éd.), Le quattro voci del mondo :arte, culture e saperi nella collezione di Stefano Borgia (1731-1804),2 vol., Naples, Electa, 2001.
-
[18]
À partir des descriptions éditées aux XVIIe et XVIIIe siècles, on peut dénombrer un total de plus de 150 bibliothèques dont l’existence est attestée au moins une partie du siècle. Dans ces ouvrages on rencontre des données chiffrées qui constituent un bon indicateur de la valeur de cet équipement culturel de la Rome moderne :on parle des plus de 40000 volumes de Francesco Barberini, ou des 8000 volumes de Felice Contilori, en droit et sciences notamment. Dans la description de Rome de 1664, il est question des 7000 livres de Ciampini et, dans celle de 1698, on cite les 24000 volumes du cardinal Giuseppe Renato Imperiali, dans son palais de Piazza Colonna : le catalogue en fut rédigé ultérieurement par Giusto Fontanini. Au XVIIIe siècle, les bibliothèques « privées » les plus riches sont encore celles des cardinaux :la Corsiniana, imposante avec ses plus de 40000 volumes, ouverte au public en 1754; celle de Domenico Passionei, reversée ultérieurement dans le fonds de l’Angelica; celle de Alessandro Albani, dont Winckelmann fut le bibliothécaire; celle du cardinal Garampi, avec environ 40000 volumes, dont le catalogue partiel compte cinq volumes.
-
[19]
Georgius DE SEPIBUS, Romani Collegii Musaeum Celeberrimum, Amsterdam, Ex Officina Janssonio-Waesbergiana,1678; Eugenio LO SARDO,Athanasius Kircher S.J.Il museo del mondo, Rome, De Luca,2001; Daniel STOLZENBERG (éd.), The Great Art of Knowing. The Baroque Encyclopedia of Athanasius Kircher, Stanford, Stanford University Libraries,2001.
-
[20]
Il s’agit ici des différents collèges « nationaux » fondés autour du Collège Romain, tel que le collège germanique, le collège anglais, le séminaire maronite, le séminaire romain, projeté par Pie IV, en vue de répondre au problème de la formation du clergé. À ces différents collèges, existant déjà au début du XVIIe siècle, s’ajouteront ultérieurement le collège grec, le collège irlandais, le collège écossais. Notices détaillées dans Giovanni MORONI, Dizionario di erudizione storica-ecclesiastica da S.Pietro sino ai nostri giorni, Venise, Tipografia Emiliana,1845, vol.52, p. 142-242.
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[21]
Parmi les plus importants : le collège dominicain des Penitenzieri della Basilica di S. Maria Maggiore, le studium universitaire des Franciscains des SS.Apostoli, le collège franciscain des Penitenzieri de’PP.Francescani Minori Osservanti de la basilique de St Jean de Latran, le couvent de S.Isidoro avec son collège des PP.Hibernesi Riformati di S.Francesco, le Collegio Nazareno des scolopes fondé en 1618, le Collegio Gregoriano, fondé par l’abbé Costantino Gaetano (1664). Sur le studium des Minimes de la Trinité des Monts, cf. Yves BRULEY (éd.), La Trinité-des-Monts redécouverte, Rome, De Luca, 2002, et le dossier « La Trinité des Monts dans la république romaine des sciences et des arts » dans MEFRIM,117-1,2005.
-
[22]
Sur la nouvelle congrégation, créée pour servir la volonté pontificale de reprendre en main la politique missionnaire, voir Joseph METZLER (éd.),Memoria Rerum:Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria Rerum, Rome-Fribourg-Vienne, Herder, 3 vol., 1971-1976; Giovanni PIZZORUSSO, « Agli antipodi di Babele : Propaganda Fide tra immagine cosmopolita e orizzonti romani ( XVII - XIX secolo)», in L.FIORANI et A.PROSPERI (éd.),La città del papa…, op.cit,p.477-518; ID.,« I satelliti di Propaganda Fide : il Collegio Urbano e la Tipografia Poliglotta. Note di ricerca su due istituzioni culturali romane nel XVII secolo », MEFRIM,116-2,2004, p.471-498.
-
[23]
Voir l’Histoire du couvent royal des Minimes français de la très sainte Trinité sur le mont Pincius à Rome, manuscrit sans cote conservé dans la bibliothèque de la Trinité-des-Monts, fol.178. Ce document offre un témoignage unique de l’organisation de l’espace et de la vie dans la communauté des minimes français.
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[24]
Voir Gilles MONTÈGRE, « Rome capitale culturelle au siècle des Lumières. Présence française et constructions des savoirs dans la Ville éternelle au temps de l’ambassade du cardinal de Bernis (1769-1791)», thèse Université de Grenoble 2 et Università di Roma-La Sapienza,2006.
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[25]
Tous les travaux produits dans cette dernière décennie sur l’Accademia dei Lincei, presque exclusivement regardée jusqu’alors comme l’espace privilégié de l’expression romaine du paradigme galiléen de la science moderne, soulignent la dimension totalement composite de ce milieu. Voir Sabina BREVAGLIERI, « L’Accademia dei Lincei e il libro :editoria e cultura a Roma all’inizio del Seicento », thèse, Università di Firenze,2005; EAD., Il cantiere del Tesoro Messicano tra Roma e l’Europa. Pratiche di comunivazione e strategie editoriali nell’orrizonte dell’Accademia dei Lincei (1610-1630), Rome, Ed. dell’Elefante, 2007, p. 1-68; Irene BALDRIGA,« Lo sgomento della morte di Plinio :la ricerca dei primi lincei tra Roma ed Europa », in A.ROMANO (éd.),Rome et la science…, op.cit.; Andrea BATTISTINI, Gilberto DE ANGELIS et Giuseppe OLMI (éd.), All’origine della scienza moderna : Federico Cesi e l’Accademia dei Lincei, Bologne, Il Mulino, 2007.
-
[26]
Paolo PRODI,Il sovrano pontefice. Un corpo e due anime :la monarchia papale nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino,1982; ID.,Christianisme et monde moderne. Cinquante ans de recherche, Paris, Gallimard-Seuil,2005. Wolfgang REINHARD, Freunde und Kreaturen :« Verflechtung » als Konzept zur Erforschung historischer Führungsgruppen, Römische Oligarchie um 1600, Munich, Ernst Vögel,1979; ID.,Papauté, confessions, modernité, Paris, Éditions de l’EHESS,1998. Voir en outre Paolo PRODI et Claudio PENUTI (éd.),Disciplina dell’anima, disciplina del corpo e disciplina della società tra Medioevo ed età moderna, Bologne, Il Mulino,1994; Paolo PRODI, Wolfgang REINHARD (éd.), Il Concilio di Trento e il moderno, Bologne, il Mulino, 1996; Gianvittorio SIGNOROTTO et Maria Antonietta VISCEGLIA (éd.), La Corte di Roma tra Cinque e Seicento. « Teatro » della politica europea, Rome, Bulzoni, 1998; Irene FOSI, La giustizia del Papa. Sudditi e tribunali nello stato pontificio in età moderna, Rome-Bari, Laterza,2007.
-
[27]
Sur la période du pape Barberini Urbain VIII, reste fondamental, malgré les critiques qui lui ont été adressées, Pietro REDONDI, Galilée hérétique (1983), Paris, Gallimard,1988.
-
[28]
Sur le versant théologique, Bruno NEVEU,« Culture religieuse et aspirations religieuses à la cour d’Innocent XI », in Accademie e cultura. Aspetti storici tra Sei e Settecento. Atti del Convegno Internazionale di Studi Muratoriani. Modena,1972, Florence, Olschki,1979, p. 1-38; ID., L’erreur et son juge. Remarques sur les censures doctrinales à l’époque moderne, Naples, Bibliopolis,1993; sur le versant de l’aristotélisme, Charles B. SCHMITT, Aristote à la Renaissance (1983), Paris, PUF,1992.
-
[29]
Voir Rivka FELDHAY,Galileo and the Church. Political Inquisition or Critical Dialogue ?, Cambridge, Cambridge University Press,1995; Maria Pia DONATO,«L’onere della prova. Il Sant’Uffizio, l’atomismo e i medici romani », Nuncius,18-1,2003, p. 69-87; EAD., « Atomi in Sant’Uffizio. La questione atomista nelle congregazioni romane e la cultura scientifica a Roma 1626-1727 », in A.ROMANO (éd.),Rome et la science…, op.cit.; EAD.,« The Mechanical Medicine of a Pious Man of Science :Pathological Anatomy, Religion and Papal Patronage in Lancisi’s De subitaneis mortibus (1707)», in EAD. (éd.), Conflicting Duties…, op.cit.
-
[30]
On pense ici à Grégoire XIII instigateur de la réforme du calendrier julien, aux oscillations internes du pontificat de Urbain VIII, à ce jour le mieux étudié à cause de Galilée, au pontificat réformateur, à sa manière, de Benoît XIV, étudié par Maria Pia DONATO, Accademie romane. Una storia sociale (1671-1824), Naples, ESI, 2000. Voir ci-après le compte rendu de D. Roche, p.185.
-
[31]
On ne reviendra ici ni sur le rôle de Cassini comme médiateur entre les jésuites italiens à partir de Bologne et de Riccioli (voir Maria Teresa BORGATO (éd.), Giambattista Riccioli e il merito scientifico dei gesuiti nell’età barocca, Florence, Olschki, 2002), ni sur l’entreprise scientifique de la monarchie française mise en œuvre à partir de l’Académie royale des sciences :de même que les collèges jésuites de France ont été intégrés dans ce programme « national », comme les travaux de François de Dainville l’ont montré avec clarté, de même les jésuites ont su mobiliser leur réseau, dans son ensemble, pour négocier, en sens inverse, leur fonction de ressource au sein de la République des Lettres. Cette remarque vaut pour les sciences, mais plus généralement pour tous les savoirs, comme les travaux de S.VAN DAMME sur Lyon ont permis de le montrer : Le temple de la sagesse. Savoirs, écriture et sociabilité urbaine (Lyon, XVIIe - XVIIIe siècle), Paris, Éditions de l’EHESS,2005. D’une manière générale, Rome capitalise au plus haut degré l’efficacité de la structuration de la Compagnie en réseau transcontinental, précisément parce que ce réseau est romanocentré. Qu’ensuite le développement scientifique se fonde plus ou moins sur l’accumulation des données varie en fonction des disciplines, astronomie, sciences naturelles et de la terre ou de l’homme en dépendent définitivement par opposition à la physique ou aux mathématiques.
-
[32]
Les travaux sur le vide, centrés sur Torricelli ou Pascal, ne se sont presque jamais posé la question des contextes et des lieux : Cornelius de WAARD, L’expérience barométrique, ses antécédents et ses explications.Étude historique, Thouars, Imprimerie nouvelle, 1936; Edward GRANT, Much Ado about Nothing. Theories of Space and Vacuum from the Middle Ages to the Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press,1981.
-
[33]
Il effectue alors l’achat de deux nouveaux télescopes, qui devaient moins répondre à un objectif d’efficacité que de longueur :le premier de 27 mètres et le second de 34 mètres permettaient des grossissements exceptionnels. Sur le personnage et le contexte romain de ces décennies, Jean-Michel GARDAIR, Le « Giornale de’letterati » de Rome (1668-1681), Florence, Olschki,1984.
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[34]
C’est ce que suggère l’analyse des deux manuscrits de la Bibliothèque Apostolique Vaticane, Vat. Lat. 11757, Registro dell’Azioni accademiche fatte nell’Accademia dell’esperienze naturali, filosofiche e mathematiche, de 1677 et Ottob. Lat. 3051, Registro delle sezzioni academiche fatte nell’academia dell’esperienze naturali, filosofiche e mattematiche, parte prima delle tenute nell’anno 1676, adunate et ordinate dal segretario G.T.archidiacono di Reggio, dédié à Christine de Suède, qui constituent les deux témoignages subsistants de l’activité de l’académie. On aurait aussi bien pu prendre ici l’exemple de l’académie des Lincei, cité supra note 25.
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[35]
À propos de cette académie essentielle dans le XVIIe siècle italien, on renverra à Paolo GALLUZZI, Carlo PONI, et Maurizio TORRINI (éd.),Accademie scientifiche del ‘600, numéro thématique de Quaderni storici, 16,1981. Mario BIAGIOLI, « Le prince et les savants. La civilité scientifique au XVIIe siècle », Annales. HSS, 50-6,1995, p.1417-1453.
-
[36]
Voir Salvatore ROTTA,« L’accademia fisico-matematica Ciampiniana :un’iniziativa di Cristina ?», in Cristina di Svezia a Roma, Scienza ed alchimia nella Roma barocca, Bari, Dedalo, 1990, p. 128 pour la référence à la galerie de bustes et portraits.
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[37]
Le 21novembre 1677, Ciampini fait un exposé sur une machine « con la quale mostrava il modo di conoscere la diversità del tempo » (Vat. Lat. 11757, fol. 102), quand la semaine précédente un autre membre de l’académie parlait d’une nouvelle expérience sur le mercure, avec référence à Galilée, Torricelli, Roberval, et au Cimento (Vat. Lat. 11757, fol. 91). Mais on y trouve aussi des exposés sur une voiture fonctionnant sans cheval faite par un servite de Rome aux frais du Sig. Gasparo Altieri, neveu de Clément IX (Vat. Lat.11757, fol.156), ou « una demostrazione da aggiungersi ad una proposizione del Castelli nel suo libro della misura delle acque correnti » (Ottob. Lat.3051, fol.14).
-
[38]
Ce sont les noms qui figurent dans les deux manuscrits cités ci-dessus.
-
[39]
Voir supra note 25.
-
[40]
M.P.DONATO, Accademie romane…, op.cit.
-
[41]
Paolo PRODI,« Nuove dimensioni della Chiesa :il probema delle missioni e la “conquista spirituale” dell’America », in Problemi di storia della Chiesa nei secoli XVI - XVII, Naples, Dehoniane, 1979, p. 267-293.
-
[42]
Outre G. LABROT, L’image de Rome…, op. cit., voir Joseph CONNORS, Alleanze e inimicizie. L’urbanistica di Roma barocca (1989), Rome-Bari, Laterza, 2005; Nicoletta MARCONI, Edificando Roma Barocca. Macchine, apparati, maestranze e cantieri tra XVI e XVIII secolo, Rome, Edimond, 2004; Paolo PORTOGHESI,Roma barocca, Rome-Bari, Laterza,2002, et particulièrement les chap.2 et 3 de la première partie, p.39-78.
-
[43]
Catherine BRICE, Maria Antonietta VISCEGLIA (éd.),Cérémonial et rituel à Rome ( XVIe - XIXe siècles), Rome, École française de Rome,1997.
-
[44]
Sur Borromini, cf.notamment Christoph Luitfold FROMMEL, Elisabeth SLADEK (éd.), Francesco Borromini. Atti del convegno internazionale, Roma, 13-15 gennaio 2000, Milan, Electa, 2000, et Barbara TELLINI SANTONI, Alberto MANODORI SAGREDO (éd.), Luoghi della cultura nella Roma di Borromini, catalogue de l’exposition de la Biblioteca Valliceliana, Rome,19 mai-3 juillet 2004, Rome, Retablo,2004. Sur les jésuites à Rome : Gauvin BAILEY, Between Renaissance and Baroque :Jesuit Art in Rome,1565-1610, Toronto, University of Toronto Press, 2003; Evonne LEVY, Propaganda and the Jesuit Baroque, Berkeley, University of California Press,2004.
-
[45]
Qu’on pense au retentissant échec de l’édition de la bible sixto-clémentine, étudié par Gigliola FRAGNITO,La Bibbia al rogo. La censura ecclesiastica e i volgarizzamenti della Scrittura (1471-1605), Bologne, Il Mulino,1997.
-
[46]
C’est pourquoi dans le champ théologique, c’est à l’exégèse biblique que se consacre la communauté savante prioritairement, non seulement pour l’intégrer dans le nouveau périmètre de la science théologique en reformulant les programmes d’enseignement des facultés de théologie, mais aussi pour en faire la principale arme contre les protestants. Sur cette question générale, et hors contexte romain, voir François LAPLANCHE,« La controverse religieuse au XVIIe siècle et la naissance de l’histoire », in Alain LE BOULLUEC (éd.), La controverse religieuse et ses formes, Paris, Cerf,1995, p.373-403, et plus généralement, F.LAPLANCHE,La Bible en France, entre mythe et critique. XVIe - XIXe siècles, Paris, Albin Michel,1994, suivi de La crise de l’origine. La science catholique des évangiles et l’histoire au XXe siècle, Paris, Albin Michel, 2006. On remarquera que nombre des théologiens romains sont aussi des antiquaires, comme les figures de Ciampini ou Stefano Borgia rencontrées tout au long de ces pages.
-
[47]
Il convient ici de rappeler les pages heureuses qu’Alphonse DUPRONT a consacrées, dès 1946, à l’esprit de curiosité caractéristique de la Renaissance :« Espace et humanisme »,Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance. Travaux et documents, 7,1946, p. 7-104, repris in Genèses des temps modernes. Rome, les Réformes et le Nouveau Monde.Textes réunis et présentés par D.Julia et P.Boutry, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001, p.47-112. L’entreprise qui viserait à localiser sa réflexion permettrait assurément de donner à Rome cette place particulière qu’on cherche à décrire ici. Mais on n’entend pas, pour singulariser Rome, oublier le travail effectué ailleurs par d’autres, dans d’autres configurations intellectuelles, en particulier dans le domaine de la critique exégétique.
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[48]
En se dotant d’instruments de plus en plus susceptibles de rendre les opérations de savoir commensurables – selon la nouvelle fonction assignée aux instruments tout au long de la période, comme les travaux de Marie-Noëlle Bourguet ont permis de le montrer.
-
[49]
G. PIZZORUSSO, « Agli antipodi di Babele…», art. cit.; ID., « La Congregazione de Propaganda Fide e gli ordini religiosi : conflittualità nel mondo delle missioni del XVII secolo », Cheiron, 43-44,2005, p.197-240; ID.,« Tra cultura e missione :la congregazione de Propaganda Fide e le scuole di lingua araba nel XVII secolo », in A. ROMANO (éd.), Rome et la science…, op.cit.
-
[50]
L’Imago primi saeculi de la Compagnie de Jésus offre la mise à l’épreuve d’une nouvelle forme d’organisation de cette histoire plus complexe, qui doit du même coup absorber et intégrer dans une même continuité le même (la tradition monothéiste dont le catholicisme a réussi à triompher) et l’autre des polythéismes parfois plus anciens que ceux des Anciens.
« Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement,
Le Tybre seul, qui vers la mer s’enfuit,
Reste de Rome. O mondaine inconstance !
Ce qui est ferme, est par le temps destruit,
Et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
CONTRE - CHAMP SUR LA RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE [1]
1À en croire une longue tradition d’étude, l’image d’une absence de vie culturelle, ou pour le moins d’une vie culturelle obsolète ou décadente selon les cas, dans la Rome de l’époque moderne, est tenace :comme si la ville avait jeté ses derniers feux à l’âge de l’humanisme, offrant à Montaigne le privilège d’une ultime et brillante représentation, et si avec l’avènement de nouvelles tendances culturelles dans l’espace européen, elle devait rester figée dans les pas d’une Antiquité qui la muséifiait et par là même l’empêchait d’aller de l’avant [2]. La recherche sur Rome capitale savante a assurément pâti du poids littéraire d’un tel toposérigé quasiment en vérité historique [3]. Quant au poids du toposartistique et visuel, il suffit, pour s’en convaincre, de penser aux vues de Rome qui, avant comme après l’essor du védutisme, de Poussin à Corot pour se limiter au seul domaine français, remplissent les musées du monde entier [4]. Si l’existence d’une Rome savante a été longtemps impensable [5], ce n’est toutefois plus le cas aujourd’hui et c’est ce qu’on voudrait montrer en prenant notamment appui sur les résultats d’une enquête collective qui a nourri et infléchi des analyses personnelles engagées dans les dernières années [6].
2Revenir, même brièvement, sur les motifs et les termes de la désaffection dont la cité des papes a pu être l’objet, de la part des historiens des sciences, permet de compléter l’analyse qui ouvre ce dossier sur sciences et villes-mondes. Il faudrait, mais on ne le fera pas, une enquête systématique sur la mise en écriture de la « révolution scientifique », ses évolutions et mises en question récentes, pour éclairer l’une des sources d’un tel silence :on ne fera qu’évoquer une longue tradition historiographique scandée par ses sources anticléricales héritées du siècle des Lumières, sa consolidation positiviste du XIXe siècle et son ancrage dans le paradigme discontinuiste théorisé par Alexandre Koyré au milieu du XXe siècle. Ces différentes strates ont assurément signé une manière de penser « la » science moderne et son histoire, et assigné une place différente aux différents espaces qui l’ont accueillie [7].
3Il faudrait, en contrepoint, parcourir le paysage qui a reconfiguré, dans ces dernières décennies, la thématique « science et religion », pour y saisir les germes d’une attention nouvelle portée à la capitale de la catholicité. On y relèverait alors, parmi d’autres, mais non exclusivement, la postérité des thèses mertoniennes dans l’espace anglophone, le rôle grandissant de la sociologie des sciences dans l’étude de l’époque moderne, le regain d’intérêt pour la Compagnie de Jésus et son rôle dans la République des Sciences et des Lettres [8].
4À cet égard, la vision normative d’une Rome définie comme centre administratif et institutionnel de l’ordre fondé par Ignace de Loyola et ses compagnons en 1540, a progressivement laissé la place à une approche plus contextualisée où les établissements et la stratégie jésuites s’inscrivaient dans un espace social complexe et mobile. Rome, capitale politique et religieuse à l’horizon universel : l’agenda de la recherche se déplaçait ainsi en direction des interactions entre acteurs institutionnels et individuels, entre communautés nationales, professionnelles ou intellectuelles. Devenaient dès lors possibles, pensables, voire nécessaires, une mise en contexte de la Compagnie de Jésus dans le paysage culturel de la catholicité, d’une part, et le jeu d’échelles pour tester la validité des résultats qui se profilaient à travers l’étude du laboratoire jésuite d’autre part.
5Un tel changement de focale rendait aussi compte de mutations plus générales au sein de l’histoire des sciences, en termes d’élargissement de ses domaines privilégiés d’investigation, des sciences physico-mathématiques vers les sciences naturelles, les sciences de l’érudition ou les savoirs techniques, sur la base d’un renversement fondamental de la méthode, qui mettait au centre de ses préoccupations les acteurs et non des « disciplines ». Dès lors, l’époque moderne pouvait se penser à partir de groupes de savants partageant – au sein d’espaces, formels ou informels, de sociabilité – des intérêts aussi variés que l’astronomie, la philosophie naturelle, la botanique, l’érudition ecclésiastique ou l’antiquaria. Le ressort de l’agrégation n’était plus « la science », mais un ensemble de pratiques, de procédures et de protocoles partagés.À partir de cette approche sociale, Rome, comme d’autres villes capitales, pouvait alors éventuellement pointer à l’horizon d’une recherche désireuse de redessiner la carte européenne de la République des Lettres et des Sciences et susceptible d’intégrer une variété d’espaces et de configurations intellectuelles, plus riche que celle qu’avaient léguée les grandes synthèses des années 1960 [9].
UNE SOCIÉTÉ D’ANCIEN RÉGIME DES SAVOIRS
6On ne cherchera pas dans Rome les traits qui pourraient la rendre comparable aux capitales savantes ou philosophiques de l’époque moderne, telles que Paris ou Londres [10]. On insistera au contraire sur le triple statut de l’espace urbain considéré, qui en fonde l’hétérogénéité et invite l’historien à en interroger le caractère opératoire : Rome est à la fois une cité, la capitale des États pontificaux, et la capitale de la catholicité. La prise en compte simultanée de ces trois échelles de fonctionnalité invite à chercher dans leur combinaison l’élaboration de son double statut de ville-monde et de capitale savante.
7Elle se caractérise alors par un tissu social singulier, une configuration politique originale et un agenda culturel propre, marqué du sceau d’une polyphonie programmatique, synonyme de turbulence épistémologique.
8La triple fonction de capitale assumée par Rome constitue le critère principal d’explication du profil social d’une ville de taille modeste par ailleurs, mais dont on soulignera ici deux traits fondamentaux :d’une part, l’importance de sa composante religieuse et aristocratique; d’autre part, son cosmopolitisme intellectuel, principale conséquence de cette structuration sociale. Rome est d’abord une capitale spirituelle, et sa population, cléricale et masculine, le reflète [11]. Dans sa topographie dominent les établissements religieux :des couvents, des collèges et séminaires, aux églises, chapelles et maisons mères des anciens et nouveaux ordres de la Contre-réforme, on compte en 1719,100 couvents d’hommes et 53 couvents de femmes; en 1750, ces chiffres sont respectivement de 118 et 54, en 1789 de 114 et 52, en 1798 de 127 et 54 [12]. L’image d’une ville de prélats est soulignée par de nombreux voyageurs, avec sans doute beaucoup d’excès, mais non sans une certaine raison [13]. C’est aussi une ville aristocratique, où le poids des vieilles lignées ou des maisons issues du patriciat urbain trouve à s’exprimer dans l’appareil d’État de la monarchie pontificale réformée :certaines seulement donnent des papes à Rome, mais toutes ont des parents dans la prélature ou au Sacré Collège, tirant des rapports de parentèle avec la hiérarchie ecclésiastique non seulement prestige et influence, mais aussi richesses et ressources financières. D’où la force du lien entre milieu curial et aristocratique, qui se reflète dans l’organisation et la composition sociale des groupes intellectuels, comme on le soulignera plus loin.
9Si on a pu relever ces caractéristiques sociales pour les mettre au compte d’un espace urbain dont l’obsolescence était décrétée à l’aune de l’évolution générale des villes d’Ancien Régime, celles-ci demanderaient cependant à être repensées à nouveaux frais. Ainsi la double composante aristocratique et religieuse de Rome en renforce la dimension cosmopolite et, en termes organisationnels, l’articulation sur le tissu urbain des fonctions de commandement assure l’existence d’infrastructures spécifiques, notamment pour les communications, qui mettent la cité au cœur de différents réseaux se renforçant réciproquement [14]. L’Église et le clergé régulier offrent autant de lieux privilégiés pour un travail intellectuel appelé par les fonctions de commandement, en particulier spirituel :la ville est non seulement le siège de la papauté et des organes culturels qu’elle contrôle directement, mais aussi celui des ordres religieux, jésuites certes mais non exclusivement, qui accueillent, en conséquence, un clergé aux couleurs de la catholicité romaine :local,« national », international [15].
10Tous, anciens ou nouvellement créés, ravivent et alimentent ainsi le cosmopolitisme de Rome. En outre, le maillage diplomatique de la papauté, les réseaux propres de toutes les curies généralices des ordres religieux, ceux des élites aristocratiques ou de la République des Arts, des Lettres et des Sciences, tous ces réseaux dont les correspondances savantes notamment rendent si bien compte, se développent à l’ombre du siège de Pierre.
11Rome, nœud de communication, est par là même une ville-ressource où à l’accumulation d’informations s’ajoute celle d’objets et de savoirs. Ici encore, si le poids d’un milieu aristocratique au faible dynamisme économique oppose Rome à d’autres capitales européennes, en revanche cette surreprésentation induit des comportements et des types de consommation non seulement propres à favoriser l’accumulation de certaines ressources, mais susceptibles aussi de susciter des formes de professionnalisation et de sociabilité propices à la circulation des idées et des pratiques savantes participant au renouvellement des connaissances. Qu’on revienne ici sur les produits culturels tels que les livres, les curiosités, les œuvres d’art, les antiquités, qui constituent un capital fort de Rome capitale culturelle [16]. Toutes les grandes familles romaines ont un palais, certaines deux et plus encore, des propriétés à l’intérieur des murs, beaucoup possèdent des terres et des villas hors de la cité. Mais c’est évidemment la haute aristocratie qui concentre, outre la majeure partie des richesses, les palais de la ville, ceux qui sont d’une importance capitale du point de vue architectural et culturel, avec leurs bibliothèques, leurs galeries, leurs collections artistiques, leurs cabinets scientifiques. Les Farnèse, Barberini, Borgia sont certes importants par leurs richesses et l’ethos aristocratique qu’ils veulent imposer; mais ils le sont aussi par leurs stratégies d’accumulation au long cours des biens culturels qui attirent vers Rome [17]. On renverra simplement ici à leurs bibliothèques, comme à celles de moindre taille, que les guides de la ville signalent avec de plus en plus de précision et de fréquence. On mentionnera, à titre d’exemple, le Rittrato di Roma moderna, publié en 1638, la Descrizione di Roma antica e moderna, de 1643, la Nota delli Musei, Librerie, Galerie et ornamenti di Statue e Pitture Ne’Palazzi, nelle Case e ne ‘Giardini di Roma, dont la spécialisation indique, dès 1664, l’identification de Rome comme cette ville-ressource qu’on veut pointer ici. Dans les traités ultérieurs, Roma sacra antica e moderna figurata e divisa in tre parti, de 1687, l’Eusevologio romano, overo delle Opere pie di Roma. Con due Trattati delle Accademie e Librerie celebre di Roma. Dell’abbate C.B.Piazza, de 1698, la prééminence de la culture du livre est toujours soulignée [18]. Toutes ces bibliothèques sont, en outre, riches en manuscrits, incunables, médailles : leur concentration dans la ville pontificale constitue un élément supplémentaire de l’attraction exercée par la ville à l’échelle européenne, comme en témoignent les récits des voyageurs.
12L’accumulation des biens culturels par l’aristocratie s’accompagne de l’attraction des individus et des profils professionnels liés à leur production et à leur commerce :l’historiographie de l’art est pleine d’exemples d’artistes, sculpteurs, peintres, ou architectes installés dans les grandes familles romaines et liés par un rapport de patronage avec les princes séculiers ou d’Église, à commencer par le pape lui-même. Les savants, érudits, philosophes, astronomes, médecins, botanistes, etc. appartiennent tout autant à ces cours, participant ainsi d’une même sociabilité, de table et de clientèle, où se mêlent cultures, compétences et savoir-faire distincts. La haute aristocratie romaine permet l’entrelacement des sphères sociale, culturelle, savante : Francesco Barberini (1597-1679), légat pontifical, cardinal-neveu, bibliophile, bibliothécaire du Saint Siège, membre de l’Accademia dei Lincei et protecteur de nombreux artistes et savants, parmi lesquels Gabriel Naudé (1600-1653), Gérard Vossius (1577-1649), John Milton (1608-1674), Le Bernin (1598-1680); Antonio Barberini (1607-1671), capucin, frère du pape, cardinal de S.Onofrio, l’un des principaux bienfaiteurs du collège à peine fondé de Propaganda Fide; Stefano Borgia (1731-1804), historien, antiquaire, membre de l’Accademia di Cortona, cardinal, préfet général de la même congrégation de Propaganda Fide à la fin du XVIIIe siècle et fondateur d’un musée dans lequel toutes ses collections de manuscrits (coptes ou mexicains), pierres précieuses, objets rares étaient réunies. De la même manière que les élites romaines participent à la construction des infrastructures culturelles de Rome et à son façonnement comme ville-ressource, la présence des ordres religieux renforce sa double fonction, politique – à travers leurs sièges administratifs, régulateurs de la vie interne de leur ordre aux dimensions souvent internationales et instances de dialogue avec la papauté – et culturelle et intellectuelle :en témoignent les studia généraux qui jalonnent l’espace romain, comme celui de Santa Maria sopra Minerva pour les dominicains. Centres de formation et d’élaboration théologique et dogmatique à destination des leurs et de la catholicité, ils contribuent à une offre d’enseignement aux contours variables et au jeu d’accumulation des savoirs et des connaissances, nécessaires à la production d’autres savoirs et d’autres connaissances. Leurs bibliothèques contribuent elles aussi au patrimoine livresque romain, de même que les musées que certains abritent, parmi lesquels celui, célèbre, du Collège Romain [19].
13En d’autres termes, alors que l’historiographie récente a repéré dans la présence des établissements jésuites [20] le complément et le concurrent d’un dispositif de formation centré autour d’une université et d’institutions pontificales trop rapidement considérées comme en état de crise, il est nécessaire de construire cette cartographie romaine, à ce jour encore trop simplifiée, pour y ajouter les centres d’accumulation et de production des grands couvents, dominicains, oratoriens, minimes pour ne citer que certains des plus importants :aujourd’hui encore les bibliothèques qu’ils nous ont léguées conservent la trace de cette vocation intellectuelle universelle que, chacun à sa manière, ils se sont efforcés de représenter [21]. Il convient d’ores et déjà d’y ajouter ce qu’on pourra qualifier de véritable complexe scientifique à vocation universelle, représenté, autour de la nouvelle Congrégation pour la propagation de la foi créée en 1624, par le Collège Urbain, sa bibliothèque et l’imprimerie polyglotte, mis en place dans la première moitié du XVIIe siècle [22]. Ici la trilogie accumulation-formation-diffusion dit le caractère organique du projet intellectuel, dessiné en fonction des nouvelles aspirations et des nouveaux besoins de l’État pontifical, rarement reproduit avec une même systématicité dans la ville. On pourrait pourtant appliquer cette définition de « complexe scientifique » à d’autres institutions de savoir, marquées par la complémentarité des activités et des espaces, et le plus souvent analysées sur un mode unidimensionnel; la Trinité-des-Monts, par exemple, abrite et articule entre eux un studium, une bibliothèque, un jardin de simples, une pharmacie, une collection d’histoire naturelle et de curiosités, une méridienne qui indique l’heure dans toutes les parties du monde :
« Sur le mur du corridor de ce côté était peint un astrolabe ou méridien par le célèbre père Emmanuel Maignan, qui recevait le soleil par une petite ouverture pratiquée à une des fenêtres murée à dessein, par le moyen d’un petit vase de fer, qu’on remplissait d’eau (qui avait été substituée à un verre ou cristal placé primordialement au même endroit) et qui renvoyait le rayon à la ligne noire assignée pour marquer les heures astronomiques, avec cette rare circonstance que par la correspondance des lignes de différentes couleurs qui venaient toutes aboutir à un centre commun au dessus dudit vase, quand il était midi à Rome, on savait quelle heure il était aux autres parties du monde les plus éloignées, dont les noms étaient écrits sur le mur opposé, avec les chiffres qui désignaient les heures » [23].
15C’est non seulement l’architecture de l’espace conventuel qui donne force de programme intellectuel à l’agencement des espaces intérieurs, mais aussi la relation entre les frères, qui occupent les différentes fonctions assignées à ces lieux, jusque dans leur rapport avec le monde extérieur. En ce sens, ces espaces sont à lire comme des lieux de débat et de confrontation, que l’on regarde vers l’académie de mathématiques du Collège Romain ou vers la cellule de Jaquier (1711-1788) à la Trinité-des-Monts qui, à l’image de celle de Mersenne (1588-1648) un siècle auparavant à Paris, construit un salon conventuel ne rimant pas nécessairement avec conversation cléricale [24]. C’est précisément l’existence de ce rapport avec la société, dont les décorations murales du couvent portent aussi la trace à travers la présence des armoiries des protecteurs, qui appauvrirait la lecture de ce complexe comme un pôle uniquement religieux et savant.
16Le lien privilégié avec la France, inscrit dans l’acte même de fondation du couvent, la protection cardinalice, elle aussi héritée de la règle, articulent les deux principales composantes, aristocratique et religieuse, de la Rome moderne.
17D’autres complexes scientifiques, autour d’un jardin botanique en rapport avec les hôpitaux ou l’université, autour de cabinets d’observation astronomique distincts de celui précocement ouvert au Collège Romain, tous portés par des patronages princiers, quadrillent la ville et dessinent son profil savant. Car ces équipements, cabinets, bibliothèques, musées, situés à l’abri des couvents ou des palais nobiliaires, se déclinent comme autant d’espaces d’agrégation savante, où se mêlent des compétences distinctes, astronomiques, littéraires, linguistiques, théologiques, philosophiques, antiquaires, naturalistes [25].
18L’effet d’accumulation joue donc, à Rome, un rôle fondamental en ce sens qu’il contribue à la contamination réciproque des champs du savoir et qu’il représente une déclinaison possible de sa vocation universelle comme centre de formation. En outre, tous les exemples cités montrent l’articulation des positions sociales et des fonctions culturelles, articulation par laquelle se construit aussi un certain type de rapport entre pouvoir et savoir.
POLYCENTRISME CULTUREL ET MOBILITÉ ÉPISTÉMOLOGIQUE
19De tout ce qui précède, on retiendra principalement le caractère polyphonique de la carte culturelle et savante romaine. Si le polycentrisme culturel qu’on vient d’évoquer et qu’on a principalement analysé à l’aune de la configuration sociale de l’espace considéré constitue assurément un trait dominant de Rome capitale savante, il doit aussi être rapporté à la structure singulière et à la nature spécifique de l’État pontifical. Sans revenir ici sur l’apport des recherches qui, autour du travail engagé dans les années 1960 par Paolo Prodi, ont permis d’éclairer les diverses facettes du processus de modernisation de l’appareil d’un État temporel aux assises territoriales de plus en plus réduites sur l’échiquier politique européen et au-delà, on en soulignera la double inflexion historiographique – nécessaire pour jeter les ponts entre science et politique – qui a permis de passer d’une histoire institutionnelle à une histoire sociale des institutions curiales romaines, et d’une histoire doctrinale et normative du disciplinement post-tri-dentin à une histoire sociale des pratiques culturelles mises en œuvre dans ce cadre [26]. Dans le sillage de ces nouvelles approches, on insistera sur deux traits fondamentaux du contexte politique romain. Le système électif de désignation du souverain pontife par le collège cardinalice, tout d’abord, explique l’importance des cours cardinalices dans la société de cour romaine, polycentrique et cosmopolite; il constitue l’horizon de toute réforme de l’État, que celle-ci soit institutionnelle, politique ou culturelle. À mesure que se sont multipliées les études à caractère biographique ou prosopographique, on a pu esquisser la variété, le plus souvent contradictoire, des interprétations de la Réforme catholique, une variété qui ouvrait le champ à des analyses centrées sur la diversité des politiques culturelles, des agents institutionnels et des stratégies de production des acteurs individuels. Pour le dire en d’autres termes, la succession des pontifes, qui est aussi celle des politiques de la science, offre au cœur de la catholicité des marges de négociations face à une tendance générale au dogmatisme [27]. Le deuxième trait fondamental du contexte romain réside dans sa double capacité à susciter et alimenter un polycentrisme culturel lié à la nature temporelle des États pontificaux – présence des ambassades, cours cardinalices ou ordres religieux – et à déterminer la formation de profils professionnels et intellectuels précis susceptibles de faire fonctionner l’appareil d’État. Parmi ceux qui intéressent notre analyse, on évoquera, par exemple, les experts en langues, nécessaires à la reprise de l’action évangélique à l’échelle planétaire, autant qu’au développement de l’érudition ecclésiastique dans sa double composante philologique et linguistique.
20Rome s’offre donc comme un espace urbain dont le polycentrisme spatial pourrait constituer la garantie et la condition de la polyphonie épistémologique dont la papauté a cherché à se faire le protagoniste et l’arbitre, tout au long de la période moderne. On peut alors lire la variété des infrastructures culturelles romaines comme autant de miroirs d’un tissu politique et social hétérogène, pluriel, souvent discontinu, dans lequel s’élaborent des pratiques et des savoirs sur le monde qui participent ensemble, mais sur des modes distincts, d’un projet universaliste appelé par la monarchie catholique post-tridentine, mais jamais réalisé faute de consensus. Ces espaces seraient les témoins du rapport sinon toujours conflictuel, du moins systématiquement négocié, entre les différents pôles politico-scientifiques et la papauté. Ils contribueraient à jalonner un monde catholique post-tridentin fracturé, un horizon romain théologiquement et épistémologiquement mouvementé, dont les lignes de clivage ne seraient pas seulement à chercher dans les oppositions, souvent frontales, entre dominicains, augustins, jésuites ou minimes, mais aussi dans les micro-agrégations socio-intellectuelles du polycentrisme curial. Les controverses théologiques, de celle de la grâce à celle du probabilisme ou du jansénisme, largement étudiées déjà, ne signent pas seulement, du point de vue qui nous intéresse ici, la longue saison de la crise de la théologie comme reine des sciences, dans le sillage des non moins longues et décisives crises et disqualifications de l’aristotélisme au seuil de la première modernité [28]; elles fournissent aussi un cadre d’analyse aux oppositions épistémologiques qui se font jour, dans le milieu romain, face à la science moderne [29].
21À l’aune de la caractérisation qui vient d’être esquissée à gros traits, on formulera une première définition de la culture scientifique romaine de la première modernité. Contrairement à l’idée communément admise d’une pratique scientifique romaine inexistante après 1633 car soumise définitivement au contrôle d’une censure ecclésiastique omnipotente et enfermée dans les cadres d’un aristotélisme garant d’orthodoxie, on soutiendra que les contradictions inhérentes au système politique romain ont fait alterner, en termes de conjoncture, des phases d’ouverture et de repli culturel au gré des pontificats, et ont permis la constitution d’espaces locaux de transaction, de négociation, de circulation scientifique [30]. Les conditions politiques et sociales de la ville ont interdit la constitution d’un paradigme épistémologique unifié, que ce soit celui que partagent les modernes dans le cadre de la révolution scientifique, ou celui des anciens, rivés à l’aristotélisme. En contrepartie, le polycentrisme des institutions de pouvoir et de savoir, comme celui des lieux de sociabilité, ouvre des espaces à l’expression de positions et théories plurielles, dont témoignent nombre de recherches en cours. En d’autres termes, le consensus minimum qu’exige le changement de paradigme n’est pas pensable dans un espace aussi politiquement instable et polycentrique que l’État pontifical. Querelles, rivalités, dissensions n’empêchent cependant pas que des savoirs soient produits dans Rome : ils sont autres mais participent également à la carte européenne des savoirs.
22Tel est donc le type de cadre dans lequel on propose de lire l’essor d’une culture scientifique dite « expérimentale », qui se généralise dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La physique ou les mathématiques, traditionnellement considérées comme les creusets de la « révolution scientifique », n’ont certainement pas installé à Rome leur épicentre, même si elles y ont aussi retenu l’attention des milieux savants. De fait, les mathématiciens du Collège Romain participent tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles aux opérations de mesure du monde par le biais des observations qu’ils réalisent pour le compte des grands projets « nationaux » d’établissement des latitudes, et ultérieurement des longitudes [31]. En outre, ces sciences ont été d’autant plus prisées qu’elles entretenaient la dimension spectaculaire de la pratique savante qui caractérise la ville et son public aristocratique.
23Les expériences sur le vide qui s’y déroulent à la fin des années 1630 en témoignent et la mise en circulation de l’image représentant, sur la façade d’un palais romain, l’installation du long tube de verre nécessaire à l’expérience, en est une expression paradigmatique :ici, le théâtre de la preuve est constitué non pas par les membres d’une communauté savante qui s’auto-détermine comme à Londres ou qui est distinguée au nom du monarque absolu comme à Paris, mais par la ville aristocratique qui s’expose sur les façades de ses palais [32]. Un autre exemple significatif en est fourni, quelques décennies plus tard, par le cardinal Giovanni Giustino Ciampini (1633-1698), éminent représentant de la Chancellerie Apostolique. Il fonde son crédit d’homme savant sur son salon, qui prend le titre d’académie « physico-mathématique », et sur l’achat en 1684 de télescopes au coût exorbitant [33]. Le choix de recourir à des instruments d’un prix très élevé correspond à une manifestation symbolique du rapport privilégié à la modernité :ainsi se marque l’appartenance à une aristocratie du savoir, confirmation de l’appartenance à l’aristocratie sociale, qui s’identifie par l’accumulation de richesses et de biens culturels, mais aussi par l’accès à des technologies sophistiquées et s’y reconnaît, selon une image européenne de la science ayant cours depuis quelques décennies. Pour autant, cette pratique qui favorise une « mise en scène » de la science, comparable à toute autre forme de spectacle faisant partie intégrante de la civilité courtisane, n’est pas garante du degré de « modernité » qui accompagne la diffusion du protocole expérimental, pas plus que la pratique de l’observation astronomique ne se limite aux défenseurs des théories coperniciennes ou galiléennes. Expression paradigmatique d’une culture aristocratique du paraître nourrie par la référence à la science expérimentale, l’académie de Ciampini présente une forme d’agrégation intellectuelle non programmatique [34], par opposition à certains cercles académiques italiens qui se définissent par l’homogénéité des positions scientifiques – comme c’était le cas du Cimento florentin où la pratique expérimentale s’inscrivait dans la lignée de la philosophie de la nature de Galilée et dans un système politique centralisé [35].
24Certes, on sait, par des descriptions contemporaines, que le salon romain dans lequel se réunissaient les membres de cette vénérable institution était orné par les bustes ou les portraits de certaines des figures les moins orthodoxes de la science moderne, Descartes (1596-1650), Gassendi (1592-1655), Copernic (1473-1543) ou Galilée (1564-1642). [36] Mais, dans les salons de Mgr. Ciampini, les « expérimentateurs » s’attachaient à des phénomènes d’une extrême variété, qui relevaient autant de la curiosité mondaine que de l’intérêt scientifique [37]. S’y côtoient ainsi des savants aux options philosophiques radicalement différentes : Borelli (1608-1697), qui y fait deux apparitions, Porzio (1639-1724) et les jésuites du Collegio Romano, aussi bien que des curieux [38]. Faute d’unité, de consensus, d’accord sur un programme minimum, l’Académie de Ciampini n’est pas susceptible de constituer un véritable lieu de production des savoirs, contrairement, par exemple, à l’Académie royale des sciences de Paris. On pourrait sans doute étendre à d’autres expériences académiques romaines ce même type de constat, ce serait particulièrement pertinent pour l’Accademia dei Lincei dont l’étude à présent libérée du paradigme galiléen révèle la variété des agendas individuels de recherche ou des référents théoriques [39]. La même analyse vaut pour l’entreprise de modernisation des académies pontificales sous les auspices de Benoît XIV (1740-1758), en apparence si cohérente [40].
LE CAS ROMAIN : ENTRE THÉOLOGIE ET SCIENCE DE L’HOMME
25Ces quelques analyses invitent à repenser les outils d’approche de Rome capitale savante :ce n’est pas la pratique de la science expérimentale qui qualifie la ville pontificale – d’où sa disqualification par l’histoire des sciences – mais un autre agenda, motivé par des objectifs politiques propres, fondé sur la mobilisation de compétences spécifiques. C’est ce dernier point qu’on voudrait développer à présent.
26La redéfinition de Rome comme capitale de la catholicité, issue du schisme protestant, contraint l’État pontifical à construire un nouveau rapport avec le monde, étendu, depuis un siècle déjà en cette fin de XVIe siècle, aux quatre continents. Sans pouvoir revenir ici sur le poids et l’impact de la « découverte » du Nouveau Monde ou du concile de Trente dans la mise en place d’une vision catholique du monde moderne, on soulignera l’importance de la redéfinition de l’entreprise missionnaire, à la fois comme objectif spirituel de la nouvelle Église catholique aux prises avec le monde de la Réforme, et comme moyen politique de son propre maintien sur la scène mondiale désormais occupée par des États confessionnels aux ambitions impérialistes et aux assises coloniales [41].
27La mission a conduit la papauté, pour refonder son rapport au monde, à se doter de nouveaux savoirs en vue de légitimer sa prétention universaliste.
28En d’autres termes, l’affirmation d’universalisme ne se limite pas à une entreprise d’ordre symbolique, du moins pas uniquement. Certes, cette dimen-sion-là existe, elle a son importance, elle se déploie à différents niveaux par toute sorte de moyens. Elle est notamment matérialisée par des programmes monumentaux et des aménagements urbains mis en œuvre par les différents pontificats, qui transforment profondément le paysage et la topographie de la ville [42]; elle est exportée par les plans de Rome où se fixe, dans le dernier quart du XVIe siècle, une image qui finit par mettre au premier plan Saint Pierre de Rome; elle est mise en scène dans les cérémonies et le rituel qui eux aussi se stabilisent au cours de cette période [43]. Elle est saisissable enfin dans la multiplication des programmes iconographiques associés aux différents pontificats, comme cela fut le cas pour Borromini (1599-1667), ou dans ceux qui, partant des églises romaines, vont se multiplier jusqu’aux limites de la chrétienté, célébrant les quatre parties du monde et le triomphe de la foi dans chacune d’elles, à l’exemple du plafond peint par le Pozzo (1642-1709) pour l’église du Gesù [44].
29Reste que l’opération ne se limite pas à la représentation et aux discours.
30Elle se fonde sur des institutions, elle est portée par des groupes sociaux, elle mobilise en les renouvelant des ressources existantes. La question devient alors : que doit la culture scientifique romaine à l’universalisme de l’Urbs ainsi défini ?
31En quoi Rome est-elle susceptible de produire des savoirs universels et quels seraient-ils ?
32Ce qui a été esquissé plus haut tend à indiquer que ce n’est pas du côté des sciences physico-mathématiques qu’il faut chercher une réponse. On formulera alors l’hypothèse que l’impossible consensus romain autour des sciences physicomathématiques ne signifie pas l’abandon de tout agenda de la recherche issu de la matrice catholique. Un tel agenda – consubstantiel au maintien de la prédominance culturelle du ministère romain sur la catholicité – imposait de répondre aux questions posées par le monde moderne. La convergence fonctionnelle et intellectuelle entre la curie romaine d’une part et les élites nobiliaires animatrices de la sociabilité savante d’autre part, s’est portée sur le champ des savoirs antiquaires entendus au sens large, dans lequel les mises en question de l’orthodoxie catholique cohabitent avec la production de savoirs positifs. Ici le poids de l’antique, l’accumulation des livres, l’importance du collectionnisme façonnent le goût aristocratique, attirent des compétences savantes variées, travaillent à la défense de la théologie, tout ensemble. Rome est sans doute l’un des espaces les mieux équipés pour accueillir la « révolution philologique »: il n’est nullement question ici de prétendre qu’il fut le seul mais de pointer les conditions particulières, c’est-à-dire localisées, d’une pratique spécifique, efficace et lourde de conséquences pour la Catholicité. En effet, la « révolution philologique » constitue à la fois le fondement de l’essor des savoirs sur le passé et la condition épistémologique de la mise en crise de la science par excellence, la théologie, dont la ville avait été jusque-là, et malgré la violence de la crise avignonnaise, la gardienne et l’écrin. C’est précisément la puissance de l’équipement romain au plan théologique – il est inutile ici d’en faire la démonstration : on renvoie aux remarques qui précèdent tant sur les studia universitaires des ordres religieux que sur la formation culturelle générale des membres de l’appareil curial – qui explique l’impact de cette « révolution » dans cet espace. À Rome plus qu’ailleurs, l’effet de cette « révolution » sur la théologie est socialement repérable (qu’on pense au poids de l’apprentissage des langues anciennes dans les séminaires romains, en fonction de leur nécessité pour lire le texte biblique), d’autant qu’il est intellectuellement associé à des enjeux essentiels (la tradition de conservation et de lecture des textes sacrés y est la plus continûment présente) et qu’il y apparaît épistémologiquement comme plus menaçant [45]. En invitant à un nouveau type de rapport entre culture chrétienne et Écriture, c’est-à-dire par définition le Texte qui en dit l’histoire, la philologie ouvre la brèche pour un rapport critique au savoir : par la critique d’abord textuelle, puis plus largement matérielle [46].
33C’est sans doute dans cette articulation que le « cadre » romain prend tout son sens, car il autorise en tant que site le passage de la critique textuelle – qui s’opère dans les bibliothèques, en particulier à la Vaticane qui conserve le plus de témoignages écrits du Texte – à la critique matérielle qui est possible dans les rues de la ville selon un double continuum thématique et matériel. Rome, réceptacle scripturaire de l’Antiquité chrétienne vétérotestamentaire, en devient le site néotestamentaire principal :elle se dévoile alors comme la Ville palimpseste (de la ville de Pierre à la ville de pierre) de cette histoire qui se confond, pour une part, avec celle que le Texte a recueillie. C’est là mieux qu’ailleurs que, par le même geste épistémologique, on passe de l’Écriture aux textes, aux inscriptions, aux médailles, aux antiquités, aux objets, c’est là que la culture savante va porter ses interrogations de l’histoire chrétienne à l’histoire païenne (d’abord avec la Renaissance), puis à l’histoire de l’humanité (selon une formulation qui sera le fait du siècle des Lumières). Car l’histoire de l’humanité entière entre aussi dans les objectifs culturels de la Catholicité avec le projet politique d’évangélisation universelle, repris du vieux message chrétien mais adapté à un monde enfin élargi à ses quatre parties [47]. Et c’est ici que l’empreinte de l’Antique et l’appel de la mission se croisent pour relever un même défi : celui d’harmoniser Histoire sacrée et histoire. Les antiquaires de cabinet occupés des catacombes et les missionnaires de terrain collecteurs de langues inconnues rapportent dans le laboratoire romain les fragments d’histoires qu’il convient de remettre ensemble pour défendre l’unité de l’Histoire Universelle, condition sine qua non de la supériorité culturelle du magistère romain.
34En ce sens, les savoirs antiquaires donnent à la pratique scientifique romaine ses gestes propres, et en premier, celui du collectionnisme massivement attesté dans les cercles romains. En effet, le travail philologique n’autorise pas seulement l’acte collecteur, il le rend nécessaire et lui confère sa validité : collecte des manuscrits en vue de leur collation, collecte des pièces sur lesquelles on relève les inscriptions, puis collecte des fragments de pierre, toujours en quête de textualité, collecte élargie aux dimensions du monde à mesure que le besoin d’intelligibilité s’accroît et regarde en direction de l’autre [48]. Ici la collecte comme geste savant et la collection comme pratique sociale se croisent avec d’autant plus d’aisance que le monde romain est d’abord aristocratique : c’est peut-être ce type de convergence qui explique le caractère hybride du collectionnisme romain et en fait toute l’attraction.
35La collecte, en outre, conduit à la définition des sciences antiquaires comme champ privilégié où les érudits vont interroger l’historicisation du christianisme.
36Ces sciences posent en effet, au-delà de leurs objets propres – l’arche de Noé, les temps adamiques, le copte ou l’hébreu – la question fondamentale de la chronologie. De même que l’astronomie pose à la Bible la question des distances entre les astres, la philologie rapportée au même Texte pose la question des temps :aussi, à Rome, le théologien est-il autant mis en défaut par le mathématicien que par l’antiquaire. Dans l’un comme dans l’autre domaine, le croire est mis en difficulté par le savoir : si rupture il y a dans l’histoire du monde occidental, c’est là qu’elle se situe après un long millénaire durant lequel, de saint Augustin à Thomas d’Aquin, puis à Nicolas de Cues, les plus grands savants ont cherché à établir une forme d’équilibre entre le savoir et le croire. Dans cette perspective, on pourrait ajouter que ce sont nos valeurs actuelles qui attribuent plus d’importance et de signification à la mise en discussion du croire par le savoir physico-mathématique (nouvelle forme de l’objectivation et de l’universalisation des procédures de connaissance) plutôt que par le savoir historique.À la Renaissance, ces deux formes d’ébranlement ont étonné et effrayé diversement les chrétiens. On notera en outre que les institutions mêmes du savoir mises en place par les défenseurs romains du croire ont porté la contradiction à son point le plus extrême. La référence est ici au complexe scientifique né comme instrument de la congrégation pour la propagation de la foi :devenu un espace de production autonome de savoirs, il a contribué à l’entreprise générale de connaissance portée par Rome et c’est principalement en son sein que la recherche linguistique ou l’étude des religions et des croyances des autres civilisations a trouvé à s’abriter et à se développer. C’est par Propaganda Fide, sur un mode exemplaire mais non unique, que la philologie comme méthode apparaît aussi comme le creuset de nouvelles disciplines en formation – l’histoire, l’archéologie, la linguistique, l’orientalisme, l’anthropologie –, par où vacille l’ancien édifice des savoirs que la théologie avait été jusque-là en mesure de dominer, d’ordonner et d’unifier [49]. En ce sens, la rencontre entre l’entreprise missionnaire et la méthode critique née de la matrice philologique permet la formulation et l’articulation des « savoirs missionnaires ».
37L’horizon missionnaire romain, principale expression de l’ambition universelle de la ville, est celui, inattendu pour ses acteurs, de la confrontation du christianisme aux autres religions :non plus l’enfermement dans la grande tradition judéo-chrétienne ou plus largement monothéiste, reconnue et marquée historiquement par la soumission du judaïsme, la mise à distance de l’islam et la lutte contre les Églises de la Réforme selon le schéma proposé par l’Église triomphante [50]; mais l’horizon infini des polythéismes orientaux, des rites et des croyances à faire entrer dans ses schémas, c’est-à-dire dans sa chronologie, dans ses mots (croyances, concepts et langues à la fois), dans ses pratiques (c’est ici tout le débat sur l’accommodation qui est ouvert, comme aussi la question difficile du droit canon dans son application aux terres nouvellement conquises).
38Rome donc, capitale des savoirs missionnaires, qui lui apportent le spectacle, encore un, des infinies variations de la nature humaine et du monde, et qui la voient obligée, en quelque sorte, de chercher à construire un nouveau cadre théorique pour penser la diversité des hommes et les contradictions de leur histoire. On s’arrêtera au seuil de cette réflexion qui conduit vers une archéologie des sciences de l’homme dont la cartographie est toute à construire.
39Ainsi, les ruines romaines, le fragment, font office de représentation symbolique d’une romanité scientifique marquée au sceau de la culture antiquaire.
40Entre construction sociale des sciences et représentation téléologique de celles-ci, l’analyse qu’on a placée sous le signe d’une polyphonie productrice de sens historiquement et localement situés, n’entend pas réduire à cette seule ligne de recherche l’ensemble des dynamiques savantes dont Rome est le centre. Elle voudrait indiquer en revanche que le paradigme « philologique » singulariserait Rome à l’époque moderne, par rapport à Londres, Amsterdam, Madrid ou Paris, qu’il serait le marqueur des conditions locales d’une pratique savante spécifique, qui a produit des savoirs positifs et contribué à l’ébranlement de la suprématie du magistère romain, contre les attentes de Rome.
Mots-clés éditeurs : Italie, sciences, Église, Rome, sociabilité, capitale, catholicité
Date de mise en ligne : 20/06/2008
https://doi.org/10.3917/rhmc.552.0101Notes
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[1]
La réflexion proposée ici s’appuie sur les travaux résultant d’un programme de recherche collectif de l’École française de Rome, qui a fonctionné entre 2000 et 2005 et qui a réuni treize chercheurs. Les résultats sont en cours de publication dans deux volumes complémentaires : Maria Pia DONATO (éd.), Conflicting Duties. Science, Medicine and Religion in Rome (1550-1750), Londres, Warburg Institute, sous presse, et Antonella ROMANO (éd.), Rome et la science moderne entre Renaissance et Lumières, Rome, École française de Rome, sous presse.
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[2]
Michel de MONTAIGNE, Journal de Voyage, éd. L.Lautrey, Paris,1906, p.254 sq.
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[3]
On pourrait tracer le parcours littéraire de l’obsolescence romaine dans une littérature qui nous porterait jusqu’à nos jours et à Julien GRACQ, Autour des sept collines, Paris, José Corti, 1988; pour rester dans le domaine français, à la citation attendue de Stendhal, il ne faudrait pas manquer d’ajouter celle de Zola dont le roman Rome(1896) offre une vision « naturaliste » de la Ville Sainte à l’heure de la crise moderniste qui n’est pas sans lien avec l’image d’une Rome anti-scientifique circulant parmi les philosophes du temps, notamment dans le milieu positiviste, auquel Zola est lié à travers Claude Bernard. REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE 55-2, avril-juin 2008.
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[4]
Gérard LABROT,L’image de Rome :une arme pour la Contre-Réforme,1534-1677, Seyssel, Champ Vallon, 1987.
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[5]
On renverra en particulier à l’article qui semble avoir fait le point sur cette question :William Edgar KNOWLES MIDDLETON, « Science in Rome, 1675-1700, and the Accademia fisicomatematica of Giovanni Giustino Ciampini »,The British Journal for the History of Science,8-29,1975, p.138-154.
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[6]
Voir supra, note 1. Voir en outre Antonella ROMANO (éd.),Roma e la scienza, numéro spécial de la revue Roma moderna e contemporanea,3,1999, p.347-605 (en part.p.347-357); EAD.,« Il mondo della scienza », in Giorgio CUCCIO (éd.),Storia di Roma, vol.4, Rome, Laterza,2002, p.273-303; une perspective comparative a été esquissée dans A. ROMANO, Stéphane VAN DAMME, « Paris et Rome aux XVIIe et au XVIIIe siècles », in Christian JACOB (éd.),Les lieux de savoir, vol.1, Paris, Albin Michel, 2007, p.1165-1184.
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[7]
Parmi les principaux jalons de cette histoire :Alfred RUPERT HALL, The Scientific Revolution,1500-1800. The Formation of the Modern Scientific Attitude, Londres, Longmans, Green,1954; Alexandre KOYRÉ, Du monde clos à l’univers infini (1957), Paris, PUF 1962; Thomas S. KUHN, The Copernican Revolution. Planetary Astronomy in the Development of Western Thought, Cambridge, Harvard University Press, 1957; Herbert BUTTERFIELD, The Origins of Modern Science (1957), New York, The Free Press, 1997. Pour les remises en perspective, à partir des années 1990, on renverra à David C. LINDBERG et Robert S. WESTMAN (éd.),Reappraisals of the Scientific Revolution, Chicago, University of Chicago Press,1990; Steve SHAPIN,The Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press,1996; Margaret J.OSLER (éd.),Rethinking the Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press,2000; Peter DEAR,Revolutionizing the Sciences : European Knowledge and its Ambitions,1500-1700, Houndmills, Palgrave, 2001. Cf. Floris COHEN, The Scientific Revolution :A Historiographical Inquiry, Chicago, The University of Chicago Press, 1994.
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[8]
Robert K.MERTON,« Science, technology and society in seventeenth century England », Osiris,4-2,1938, p. 360-632; dans l’abondante littérature sur les jésuites et la science, voir Luce GIARD (éd.), Les jésuites à la Renaissance. Système éducatif et production du savoir, Paris, PUF,1995; Morderchai FEINGOLD (éd.), Jesuit Science and the Republic of Letters, Cambridge (Mass.), MIT Press,2003.
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[9]
On pense ici à René TATON (éd.), Histoire générale des sciences, Paris, PUF,1957-1964, qui ne fait aucune place à la question des lieux. Sur Rome capitale culturelle, voir Jean BOUTIER, Brigitte MARIN et Antonella ROMANO (éd.), Naples, Rome, Florence :une histoire comparée des milieux intellectuels italiens ( XVIIe - XVIIIe siècle), Rome, École française de Rome,2005.
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[10]
Outre la bibliographie déjà citée, voir, pour Paris, S.VAN DAMME, Paris, capitale philosophique de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob,2005. Sur le « lieu de la science »:Jean-Marc BESSE, « Le lieu en histoire des sciences : hypothèses pour une approche spatiale du savoir géographique au XVIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie-Méditterranée (ci-après MEFRIM), 116-2,2004, p. 401-422.
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[11]
Le nombre total d’habitants de la ville croît régulièrement pendant la période étudiée :d’environ 109000 dans les années 1600-1619, la population passe à 116000 dans les années 1640-1659,136000 pour les années 1700-1719,152000 dans les années 1740-1759,163000 dans les années 1780-1799. Le sex-ratio est particulièrement déséquilibré avec une surreprésentation masculine, en nette diminution tout au long de notre période :si, dans les années 1600-1619, on compte à Rome 60,8 femmes pour 100 hommes, dans les années 1640-1659, le rapport monte à 69,8, puis à 72,4 dans les années 1700-1719,78,9 pour les années 1740-1759, et 82,5 dans les années 1780-1799. Voir Eugenio SONNINO, « Le anime dei romani :fonti religiose e demografia storica », in Luigi FIORANI et Adriano PROSPERI (éd.), Storia d’Italia. Annali 16. La città del papa. Vita civile e religiosa dal Giubileo di Bonifacio VIII al Giubileo di papa Wojtila, Turin, Einaudi,2000, p.342-348.
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[12]
Vittorio Emmanuele GIUNTELLA, Roma nel Settecento, Bologne, Cappelli,1970, p.63.
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[13]
Charles de BROSSES, Lettres familières sur l’Italie, publiées d’après les manuscrits, avec une introduction et des notes par Y.Bezard, Paris, Firmin-Didot, 1931, t. 2, p. 5, estimait qu’un quart de la population était composée de membres du clergé. Les données démographiques soulignent un pourcentage de clercs (réguliers et séculiers) oscillant entre 6,7 et 7,5% de la population entre 1696 et 1740, soit un clerc pour 15-16 habitants. Ce pourcentage recule ensuite régulièrement jusqu’à la fin du siècle, pour atteindre 3,5% en 1796.
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[14]
La fonction religieuse de Rome explique aussi un ensemble de flux spécifiques, ceux liés à la circulation des pèlerins. Dominique JULIA,« Gagner son jubilé à l’époque moderne :mesure des foules et récits de pèlerins », Roma moderna e contemporanea,2-3,1997, p.311-354.
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[15]
Sur la Sapienza, outre Filippo Maria RENAZZI,Storia dell’Università degli Studi di Roma detta communemente La Sapienza, che contiene anche un saggio storico della letteratura romana dal principio del secolo XIII sino al declinare del secolo XVIII, Rome, Forni, 1803-1806,4 vol, voir Roma e lo Studium Urbis. Spazio urbano e cultura dal ‘400 al ‘600. Atti del convegno di Roma,7-10 giugno 1989, Rome, Quasar, 1992. Outre les organismes de savoir produits par les congrégations issues de la réforme de l’Église, en l’occurrence Propaganda Fide, il faut ajouter les hôpitaux qui font l’objet d’une profonde réévaluation historiographique, comme lieux d’élaboration de nouvelles pratiques médicales : voir, sur l’anatomie en particulier, Elisa ANDRETTA, « Le scalpel de Pierre. Médecins et médecine à Rome au XVIe siècle », thèse EHESS et Università di Roma-La Sapienza,2007.
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[16]
Cf. non seulement les annexes produites par Maria Pia Donato et Antonella Romano sur les bibliothèques et académies romaines, in J.BOUTIER, B.MARIN, A.ROMANO (éd.),Naples, Rome, Florence…, op.cit., p.680 sq., mais aussi Renata AGO, Il gusto delle cose. Una storia degli oggetti nella Roma del Seicento, Rome, Donzelli, 2006, qui permet de lire la diffusion des modèles de consommation aristocratique dans les autres milieux sociaux de la ville.
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[17]
Sur le collectionnisme des Spada dans les années 1630, voir Arne KARSTEN, « L’ascesa di casa Spada. Il cardinale Bernardino Spada coordinatore della politica matrimoniale della famiglia nel Seicento », Dimensioni e problemi della ricerca storica,2,2001, p.179-192; sur celui des Borgia dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, voir par exemple Marco NOCCA (éd.), Le quattro voci del mondo :arte, culture e saperi nella collezione di Stefano Borgia (1731-1804),2 vol., Naples, Electa, 2001.
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[18]
À partir des descriptions éditées aux XVIIe et XVIIIe siècles, on peut dénombrer un total de plus de 150 bibliothèques dont l’existence est attestée au moins une partie du siècle. Dans ces ouvrages on rencontre des données chiffrées qui constituent un bon indicateur de la valeur de cet équipement culturel de la Rome moderne :on parle des plus de 40000 volumes de Francesco Barberini, ou des 8000 volumes de Felice Contilori, en droit et sciences notamment. Dans la description de Rome de 1664, il est question des 7000 livres de Ciampini et, dans celle de 1698, on cite les 24000 volumes du cardinal Giuseppe Renato Imperiali, dans son palais de Piazza Colonna : le catalogue en fut rédigé ultérieurement par Giusto Fontanini. Au XVIIIe siècle, les bibliothèques « privées » les plus riches sont encore celles des cardinaux :la Corsiniana, imposante avec ses plus de 40000 volumes, ouverte au public en 1754; celle de Domenico Passionei, reversée ultérieurement dans le fonds de l’Angelica; celle de Alessandro Albani, dont Winckelmann fut le bibliothécaire; celle du cardinal Garampi, avec environ 40000 volumes, dont le catalogue partiel compte cinq volumes.
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[19]
Georgius DE SEPIBUS, Romani Collegii Musaeum Celeberrimum, Amsterdam, Ex Officina Janssonio-Waesbergiana,1678; Eugenio LO SARDO,Athanasius Kircher S.J.Il museo del mondo, Rome, De Luca,2001; Daniel STOLZENBERG (éd.), The Great Art of Knowing. The Baroque Encyclopedia of Athanasius Kircher, Stanford, Stanford University Libraries,2001.
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[20]
Il s’agit ici des différents collèges « nationaux » fondés autour du Collège Romain, tel que le collège germanique, le collège anglais, le séminaire maronite, le séminaire romain, projeté par Pie IV, en vue de répondre au problème de la formation du clergé. À ces différents collèges, existant déjà au début du XVIIe siècle, s’ajouteront ultérieurement le collège grec, le collège irlandais, le collège écossais. Notices détaillées dans Giovanni MORONI, Dizionario di erudizione storica-ecclesiastica da S.Pietro sino ai nostri giorni, Venise, Tipografia Emiliana,1845, vol.52, p. 142-242.
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[21]
Parmi les plus importants : le collège dominicain des Penitenzieri della Basilica di S. Maria Maggiore, le studium universitaire des Franciscains des SS.Apostoli, le collège franciscain des Penitenzieri de’PP.Francescani Minori Osservanti de la basilique de St Jean de Latran, le couvent de S.Isidoro avec son collège des PP.Hibernesi Riformati di S.Francesco, le Collegio Nazareno des scolopes fondé en 1618, le Collegio Gregoriano, fondé par l’abbé Costantino Gaetano (1664). Sur le studium des Minimes de la Trinité des Monts, cf. Yves BRULEY (éd.), La Trinité-des-Monts redécouverte, Rome, De Luca, 2002, et le dossier « La Trinité des Monts dans la république romaine des sciences et des arts » dans MEFRIM,117-1,2005.
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[22]
Sur la nouvelle congrégation, créée pour servir la volonté pontificale de reprendre en main la politique missionnaire, voir Joseph METZLER (éd.),Memoria Rerum:Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria Rerum, Rome-Fribourg-Vienne, Herder, 3 vol., 1971-1976; Giovanni PIZZORUSSO, « Agli antipodi di Babele : Propaganda Fide tra immagine cosmopolita e orizzonti romani ( XVII - XIX secolo)», in L.FIORANI et A.PROSPERI (éd.),La città del papa…, op.cit,p.477-518; ID.,« I satelliti di Propaganda Fide : il Collegio Urbano e la Tipografia Poliglotta. Note di ricerca su due istituzioni culturali romane nel XVII secolo », MEFRIM,116-2,2004, p.471-498.
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[23]
Voir l’Histoire du couvent royal des Minimes français de la très sainte Trinité sur le mont Pincius à Rome, manuscrit sans cote conservé dans la bibliothèque de la Trinité-des-Monts, fol.178. Ce document offre un témoignage unique de l’organisation de l’espace et de la vie dans la communauté des minimes français.
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[24]
Voir Gilles MONTÈGRE, « Rome capitale culturelle au siècle des Lumières. Présence française et constructions des savoirs dans la Ville éternelle au temps de l’ambassade du cardinal de Bernis (1769-1791)», thèse Université de Grenoble 2 et Università di Roma-La Sapienza,2006.
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[25]
Tous les travaux produits dans cette dernière décennie sur l’Accademia dei Lincei, presque exclusivement regardée jusqu’alors comme l’espace privilégié de l’expression romaine du paradigme galiléen de la science moderne, soulignent la dimension totalement composite de ce milieu. Voir Sabina BREVAGLIERI, « L’Accademia dei Lincei e il libro :editoria e cultura a Roma all’inizio del Seicento », thèse, Università di Firenze,2005; EAD., Il cantiere del Tesoro Messicano tra Roma e l’Europa. Pratiche di comunivazione e strategie editoriali nell’orrizonte dell’Accademia dei Lincei (1610-1630), Rome, Ed. dell’Elefante, 2007, p. 1-68; Irene BALDRIGA,« Lo sgomento della morte di Plinio :la ricerca dei primi lincei tra Roma ed Europa », in A.ROMANO (éd.),Rome et la science…, op.cit.; Andrea BATTISTINI, Gilberto DE ANGELIS et Giuseppe OLMI (éd.), All’origine della scienza moderna : Federico Cesi e l’Accademia dei Lincei, Bologne, Il Mulino, 2007.
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[26]
Paolo PRODI,Il sovrano pontefice. Un corpo e due anime :la monarchia papale nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino,1982; ID.,Christianisme et monde moderne. Cinquante ans de recherche, Paris, Gallimard-Seuil,2005. Wolfgang REINHARD, Freunde und Kreaturen :« Verflechtung » als Konzept zur Erforschung historischer Führungsgruppen, Römische Oligarchie um 1600, Munich, Ernst Vögel,1979; ID.,Papauté, confessions, modernité, Paris, Éditions de l’EHESS,1998. Voir en outre Paolo PRODI et Claudio PENUTI (éd.),Disciplina dell’anima, disciplina del corpo e disciplina della società tra Medioevo ed età moderna, Bologne, Il Mulino,1994; Paolo PRODI, Wolfgang REINHARD (éd.), Il Concilio di Trento e il moderno, Bologne, il Mulino, 1996; Gianvittorio SIGNOROTTO et Maria Antonietta VISCEGLIA (éd.), La Corte di Roma tra Cinque e Seicento. « Teatro » della politica europea, Rome, Bulzoni, 1998; Irene FOSI, La giustizia del Papa. Sudditi e tribunali nello stato pontificio in età moderna, Rome-Bari, Laterza,2007.
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[27]
Sur la période du pape Barberini Urbain VIII, reste fondamental, malgré les critiques qui lui ont été adressées, Pietro REDONDI, Galilée hérétique (1983), Paris, Gallimard,1988.
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[28]
Sur le versant théologique, Bruno NEVEU,« Culture religieuse et aspirations religieuses à la cour d’Innocent XI », in Accademie e cultura. Aspetti storici tra Sei e Settecento. Atti del Convegno Internazionale di Studi Muratoriani. Modena,1972, Florence, Olschki,1979, p. 1-38; ID., L’erreur et son juge. Remarques sur les censures doctrinales à l’époque moderne, Naples, Bibliopolis,1993; sur le versant de l’aristotélisme, Charles B. SCHMITT, Aristote à la Renaissance (1983), Paris, PUF,1992.
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[29]
Voir Rivka FELDHAY,Galileo and the Church. Political Inquisition or Critical Dialogue ?, Cambridge, Cambridge University Press,1995; Maria Pia DONATO,«L’onere della prova. Il Sant’Uffizio, l’atomismo e i medici romani », Nuncius,18-1,2003, p. 69-87; EAD., « Atomi in Sant’Uffizio. La questione atomista nelle congregazioni romane e la cultura scientifica a Roma 1626-1727 », in A.ROMANO (éd.),Rome et la science…, op.cit.; EAD.,« The Mechanical Medicine of a Pious Man of Science :Pathological Anatomy, Religion and Papal Patronage in Lancisi’s De subitaneis mortibus (1707)», in EAD. (éd.), Conflicting Duties…, op.cit.
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[30]
On pense ici à Grégoire XIII instigateur de la réforme du calendrier julien, aux oscillations internes du pontificat de Urbain VIII, à ce jour le mieux étudié à cause de Galilée, au pontificat réformateur, à sa manière, de Benoît XIV, étudié par Maria Pia DONATO, Accademie romane. Una storia sociale (1671-1824), Naples, ESI, 2000. Voir ci-après le compte rendu de D. Roche, p.185.
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[31]
On ne reviendra ici ni sur le rôle de Cassini comme médiateur entre les jésuites italiens à partir de Bologne et de Riccioli (voir Maria Teresa BORGATO (éd.), Giambattista Riccioli e il merito scientifico dei gesuiti nell’età barocca, Florence, Olschki, 2002), ni sur l’entreprise scientifique de la monarchie française mise en œuvre à partir de l’Académie royale des sciences :de même que les collèges jésuites de France ont été intégrés dans ce programme « national », comme les travaux de François de Dainville l’ont montré avec clarté, de même les jésuites ont su mobiliser leur réseau, dans son ensemble, pour négocier, en sens inverse, leur fonction de ressource au sein de la République des Lettres. Cette remarque vaut pour les sciences, mais plus généralement pour tous les savoirs, comme les travaux de S.VAN DAMME sur Lyon ont permis de le montrer : Le temple de la sagesse. Savoirs, écriture et sociabilité urbaine (Lyon, XVIIe - XVIIIe siècle), Paris, Éditions de l’EHESS,2005. D’une manière générale, Rome capitalise au plus haut degré l’efficacité de la structuration de la Compagnie en réseau transcontinental, précisément parce que ce réseau est romanocentré. Qu’ensuite le développement scientifique se fonde plus ou moins sur l’accumulation des données varie en fonction des disciplines, astronomie, sciences naturelles et de la terre ou de l’homme en dépendent définitivement par opposition à la physique ou aux mathématiques.
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[32]
Les travaux sur le vide, centrés sur Torricelli ou Pascal, ne se sont presque jamais posé la question des contextes et des lieux : Cornelius de WAARD, L’expérience barométrique, ses antécédents et ses explications.Étude historique, Thouars, Imprimerie nouvelle, 1936; Edward GRANT, Much Ado about Nothing. Theories of Space and Vacuum from the Middle Ages to the Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press,1981.
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[33]
Il effectue alors l’achat de deux nouveaux télescopes, qui devaient moins répondre à un objectif d’efficacité que de longueur :le premier de 27 mètres et le second de 34 mètres permettaient des grossissements exceptionnels. Sur le personnage et le contexte romain de ces décennies, Jean-Michel GARDAIR, Le « Giornale de’letterati » de Rome (1668-1681), Florence, Olschki,1984.
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[34]
C’est ce que suggère l’analyse des deux manuscrits de la Bibliothèque Apostolique Vaticane, Vat. Lat. 11757, Registro dell’Azioni accademiche fatte nell’Accademia dell’esperienze naturali, filosofiche e mathematiche, de 1677 et Ottob. Lat. 3051, Registro delle sezzioni academiche fatte nell’academia dell’esperienze naturali, filosofiche e mattematiche, parte prima delle tenute nell’anno 1676, adunate et ordinate dal segretario G.T.archidiacono di Reggio, dédié à Christine de Suède, qui constituent les deux témoignages subsistants de l’activité de l’académie. On aurait aussi bien pu prendre ici l’exemple de l’académie des Lincei, cité supra note 25.
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[35]
À propos de cette académie essentielle dans le XVIIe siècle italien, on renverra à Paolo GALLUZZI, Carlo PONI, et Maurizio TORRINI (éd.),Accademie scientifiche del ‘600, numéro thématique de Quaderni storici, 16,1981. Mario BIAGIOLI, « Le prince et les savants. La civilité scientifique au XVIIe siècle », Annales. HSS, 50-6,1995, p.1417-1453.
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[36]
Voir Salvatore ROTTA,« L’accademia fisico-matematica Ciampiniana :un’iniziativa di Cristina ?», in Cristina di Svezia a Roma, Scienza ed alchimia nella Roma barocca, Bari, Dedalo, 1990, p. 128 pour la référence à la galerie de bustes et portraits.
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[37]
Le 21novembre 1677, Ciampini fait un exposé sur une machine « con la quale mostrava il modo di conoscere la diversità del tempo » (Vat. Lat. 11757, fol. 102), quand la semaine précédente un autre membre de l’académie parlait d’une nouvelle expérience sur le mercure, avec référence à Galilée, Torricelli, Roberval, et au Cimento (Vat. Lat. 11757, fol. 91). Mais on y trouve aussi des exposés sur une voiture fonctionnant sans cheval faite par un servite de Rome aux frais du Sig. Gasparo Altieri, neveu de Clément IX (Vat. Lat.11757, fol.156), ou « una demostrazione da aggiungersi ad una proposizione del Castelli nel suo libro della misura delle acque correnti » (Ottob. Lat.3051, fol.14).
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[38]
Ce sont les noms qui figurent dans les deux manuscrits cités ci-dessus.
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[39]
Voir supra note 25.
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[40]
M.P.DONATO, Accademie romane…, op.cit.
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[41]
Paolo PRODI,« Nuove dimensioni della Chiesa :il probema delle missioni e la “conquista spirituale” dell’America », in Problemi di storia della Chiesa nei secoli XVI - XVII, Naples, Dehoniane, 1979, p. 267-293.
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[42]
Outre G. LABROT, L’image de Rome…, op. cit., voir Joseph CONNORS, Alleanze e inimicizie. L’urbanistica di Roma barocca (1989), Rome-Bari, Laterza, 2005; Nicoletta MARCONI, Edificando Roma Barocca. Macchine, apparati, maestranze e cantieri tra XVI e XVIII secolo, Rome, Edimond, 2004; Paolo PORTOGHESI,Roma barocca, Rome-Bari, Laterza,2002, et particulièrement les chap.2 et 3 de la première partie, p.39-78.
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[43]
Catherine BRICE, Maria Antonietta VISCEGLIA (éd.),Cérémonial et rituel à Rome ( XVIe - XIXe siècles), Rome, École française de Rome,1997.
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[44]
Sur Borromini, cf.notamment Christoph Luitfold FROMMEL, Elisabeth SLADEK (éd.), Francesco Borromini. Atti del convegno internazionale, Roma, 13-15 gennaio 2000, Milan, Electa, 2000, et Barbara TELLINI SANTONI, Alberto MANODORI SAGREDO (éd.), Luoghi della cultura nella Roma di Borromini, catalogue de l’exposition de la Biblioteca Valliceliana, Rome,19 mai-3 juillet 2004, Rome, Retablo,2004. Sur les jésuites à Rome : Gauvin BAILEY, Between Renaissance and Baroque :Jesuit Art in Rome,1565-1610, Toronto, University of Toronto Press, 2003; Evonne LEVY, Propaganda and the Jesuit Baroque, Berkeley, University of California Press,2004.
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[45]
Qu’on pense au retentissant échec de l’édition de la bible sixto-clémentine, étudié par Gigliola FRAGNITO,La Bibbia al rogo. La censura ecclesiastica e i volgarizzamenti della Scrittura (1471-1605), Bologne, Il Mulino,1997.
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[46]
C’est pourquoi dans le champ théologique, c’est à l’exégèse biblique que se consacre la communauté savante prioritairement, non seulement pour l’intégrer dans le nouveau périmètre de la science théologique en reformulant les programmes d’enseignement des facultés de théologie, mais aussi pour en faire la principale arme contre les protestants. Sur cette question générale, et hors contexte romain, voir François LAPLANCHE,« La controverse religieuse au XVIIe siècle et la naissance de l’histoire », in Alain LE BOULLUEC (éd.), La controverse religieuse et ses formes, Paris, Cerf,1995, p.373-403, et plus généralement, F.LAPLANCHE,La Bible en France, entre mythe et critique. XVIe - XIXe siècles, Paris, Albin Michel,1994, suivi de La crise de l’origine. La science catholique des évangiles et l’histoire au XXe siècle, Paris, Albin Michel, 2006. On remarquera que nombre des théologiens romains sont aussi des antiquaires, comme les figures de Ciampini ou Stefano Borgia rencontrées tout au long de ces pages.
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[47]
Il convient ici de rappeler les pages heureuses qu’Alphonse DUPRONT a consacrées, dès 1946, à l’esprit de curiosité caractéristique de la Renaissance :« Espace et humanisme »,Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance. Travaux et documents, 7,1946, p. 7-104, repris in Genèses des temps modernes. Rome, les Réformes et le Nouveau Monde.Textes réunis et présentés par D.Julia et P.Boutry, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001, p.47-112. L’entreprise qui viserait à localiser sa réflexion permettrait assurément de donner à Rome cette place particulière qu’on cherche à décrire ici. Mais on n’entend pas, pour singulariser Rome, oublier le travail effectué ailleurs par d’autres, dans d’autres configurations intellectuelles, en particulier dans le domaine de la critique exégétique.
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[48]
En se dotant d’instruments de plus en plus susceptibles de rendre les opérations de savoir commensurables – selon la nouvelle fonction assignée aux instruments tout au long de la période, comme les travaux de Marie-Noëlle Bourguet ont permis de le montrer.
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[49]
G. PIZZORUSSO, « Agli antipodi di Babele…», art. cit.; ID., « La Congregazione de Propaganda Fide e gli ordini religiosi : conflittualità nel mondo delle missioni del XVII secolo », Cheiron, 43-44,2005, p.197-240; ID.,« Tra cultura e missione :la congregazione de Propaganda Fide e le scuole di lingua araba nel XVII secolo », in A. ROMANO (éd.), Rome et la science…, op.cit.
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[50]
L’Imago primi saeculi de la Compagnie de Jésus offre la mise à l’épreuve d’une nouvelle forme d’organisation de cette histoire plus complexe, qui doit du même coup absorber et intégrer dans une même continuité le même (la tradition monothéiste dont le catholicisme a réussi à triompher) et l’autre des polythéismes parfois plus anciens que ceux des Anciens.