Notes
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[1]
Alexis de TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique ( 1835), Paris, J. Vrin, 1990, t. II, p. 79. Cet article est tiré du livre dont je suis l’auteur, The Contested Parterre : Public Theater and French Political Culture, 1680-1791, Ithaca, Cornell University Press, 1999; je tiens à remercier M. Lylian Bourgois, qui m’a aidé à préparer l’article. Pour un aperçu du parterre antérieur au mien, moins critique des sources mais qui insiste sur la valeur politique du parterre, voir Aristide PRAT, « Le parterre au XVIIIe siècle », La Quinzaine, t. LXVIII, février 1906, p. 388-412. Pour le théâtre du siècle des Lumières dans toutes ses dimensions politiques, sociales, et culturelles, voir Martine de ROUGEMONT, La Vie théâtrale en France au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 1988; et Pierre GOUBERT et Daniel ROCHE, Les Français et l’Ancien Régime. Tome 2 : Culture et société, Paris, Armand Colin, rééd. 2000, p. 255-268.
-
[2]
Henri LAGRAVE, Le Théâtre et le public à Paris de 1715 à 1750, Paris, Klincksieck, 1972, p. 207-258. Bien que le travail de Lagrave se limite chronologiquement aux trente-cinq années au début du règne de Louis XV, ses thèses restent souvent valables pour la plus grande partie du XVIIIe siècle, au moins jusqu’à 1774. John LOUGH, Paris Theater Audiences in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Londres, Oxford University Press, 1957, s’occupe exclusivement de la Comédie-Française.
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[3]
Ce « public riche » s’asseyait partout dans la salle de spectacle; voir le récit dans le journal du voyageur allemand J. C. Nemeitz du début du XVIIIe siècle, cité par LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 232.
-
[4]
LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 234-236, pour le salaire journalier d’un ouvrier de l’époque.
-
[5]
LAGRAVE, Le Public et le théâtre…, op. cit., p. 241-244, se base uniquement sur le travail de Frantz FUNCK -BRENTANO, La Bastille des comédiens. Le For l’Évêque, Paris, Minerva, 1903, et surtout p. 258-302, c’est-à-dire un traitement anecdotique des arrêts des spectateurs tiré d’une partie des dossiers qui existaient aux Archives de la Bastille, conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal (désormais BA).
-
[6]
Archives Nationales, Paris (désormais AN) Y 10719-17623, papiers des commissaires du Châtelet.
-
[7]
AN Y 13388,6 octobre 1762; BA ms 12025, f. 70,82, et AN Y 11337,17 octobre 1758; AN Y 13388,24 novembre 1762.
-
[8]
J. LOUGH, Paris Theatre Audiences…, op. cit., organise son analyse des spectateurs des deux siècles sous des rubriques de l’« aristocratie », la « bourgeoisie », et la « plèbe ». Lagrave, à lui, confirme que « la tragédie [est] faite pour les grandes, la comédie pour les bourgeois, et la farce pour la peuple… » (H. LAGRAVE, Le Public et le théâtre…, op. cit., p. 251.) En plus, Lagrave révèle un mépris regrettable pour les pratiques de ces spectateurs, qu’il rejette comme des « enfants dissipés », incapables d’apprécier la « communion artistique » qui se passait au théâtre. ( Ibid., p. 445.)
-
[9]
Sur l’histoire sociale de Paris au XVIIIe siècle, voir notamment Daniel ROCHE, Le Peuple de Paris, Paris, Aubier Montaigne, 1981; Arlette FARGE, La Vie fragile, Paris, Hachette, 1986; David GARRIOCH, Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790, Cambridge, Cambridge University Press, 1986; and Thomas BRENNAN, Public Drinking and Popular Culture in Eighteenth-Century Paris, Princeton, Princeton University Press, 1988.
-
[10]
BA ms 11515, f. 226-227.
-
[11]
BA ms. 11748, f. 36-49. BA ms 11650, f. 437-41, BA ms 11671, f. 92-104, et BA ms 11688, f. 119-20 contiennent des récits des conflits pareils.
-
[12]
Sur Toussaint, voir BA ms 10295, f. 65-66; BA ms 11073, f. 337-338; et Services Historiques de l’Armée de la Terre, Vincennes (désormais SHAT) Ya 274, chemise « discipline »; sur les voleurs de 1758, voir BA ms 12058.
-
[13]
Louis-Sébastien MERCIER, Tableau de Paris, Amsterdam, 1783-1789, t. VI, p. 121-122. On a remarqué la même chose à Angers en 1775 : J. RAVEL, The Contested Parterre, op. cit., p. 175.
-
[14]
BA ms 10295, f. 95-96; voir un projet pour réformer la caisse aux théâtres dans le Journal de Paris, 27 décembre 1777,3-4.
-
[15]
LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 76-89.
-
[16]
LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 79,90, fn. 51.
-
[17]
ROUGEMONT, La Vie théâtrale…, op. cit., p. 161, sur l’éclairage des salles de spectacle, qui suggère que la situation s’améliorait vers la fin du siècle.
-
[18]
BA ms 11317, f. 182.
-
[19]
BA ms 11514, f. 216.
-
[20]
BA ms 11607, f. 228-229; BA ms 11684, f. 248.
-
[21]
BA ms 11684, f. 248; pour d’autres exemples, voir BA ms 11757, f. 260-9; et BA ms 11778, f. 175-181.
-
[22]
Journal de Paris, 20 mai 1777,3-4; et une réponse, ibid., 28 mai 1777,2-3.
-
[23]
BA ms 11218, f. 388-389; BA ms 11534, f. 231.
-
[24]
BA ms 11537, f. 124-125.
-
[25]
BA ms 11681, f. 282-293; autres exemples du cri « ouvrez les loges »: BA ms 11394, f. 15-18; BA ms 11481, f. 269-279; BA ms 11514, f. 214-218; BA ms 11683, f. 23-34; BA ms 11818, f. 69-72; BA ms 12117, f. 2-15.
-
[26]
ROUGEMONT, La Vie théâtrale…, op. cit., p. 155-172, sur l’architecture théâtrale en France au XVIIIe siècle.
-
[27]
Victor FOURNEL, Curiosités théâtrales, anciennes et modernes, françaises et étrangères nouvelle édition, Paris, Garnier frères, 1878, p. 163; Jean-Barthelémy de la PORTE et Jean-Marie-Bernard CLÉMENT, Anecdotes dramatiques, Paris, Veuve Duchesne, 1775, t. 1, p. 256. Sur les pickpockets : Patrice PEVERI, « Les Pickpockets à Paris au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXIX/1, janvier-mars 1982, p. 3-35.
-
[28]
BA ms. 11723, f. 2-3.
-
[29]
BA ms 12025, f. 1-237; AN Y 10872-3 et Y 11337.
-
[30]
Arrêt imprimé du 11 mars 1760 à AN Y 11337.
-
[31]
Voir la discussion récente menée par Étienne ANHEIM et Benoît GRÉVIN, « Le procès du Procès de civilisation : nudité et pudeur selon H. P. Duerr », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48-1, janvier-mars 2001, p. 160-181.
-
[32]
LAGRAVE, Le Theâtre et le public…, op. cit., p. 423; William L. WILEY, The Early Public Theatre in France, Cambridge MA, Harvard University Press, 1960, p. 224.
-
[33]
BA ms 10789, f. 4-5.
-
[34]
BA ms 11432, f. 2.
-
[35]
Louis Petit de BACHAUMONT et al., Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, Londres, John Adamson, t. X, p. 11-12.
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Berthe était « payeur des rentes de l’hôtel de ville »; ces offices vénales coûtaient entre 150000 et 600000 livres au XVIIIe siècle, selon Marcel MARION, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1923, p. 435-436.
-
[38]
BA ms 11737, f. 303.
-
[39]
Ibid., f. 307.
-
[40]
Ibid., f. 307.
-
[41]
LAGRAVE, Le Public et le théâtre…, op. cit., p. 510-540, donne des extraits de plusieurs sources littéraires qui évoquent ce thème.
-
[42]
Friedrich Melchior GRIMM, et al., Correspondance littéraire, philosophique, et critique, Paris, Garnier frères, 1877-1882, t. XII, p. 70.
-
[43]
BN ms. fr. 22135, pièce 90, ff. 164r-164v. Cet incident, et la période où Madame de Beaumer était rédactrice en chef du Journal des Dames, font l’objet d’un chapitre de Nina R. GELBART, Feminine and Opposition Journalism in Old Regime France : Le Journal des Dames, Berkeley, University of California Press, 1987, p. 95-132.
-
[44]
George SAND, Histoire de ma vie, Paris, 1928, t. 4., p. 81.
-
[45]
« Journal de la jeunesse du Marquis de Mirabeau », Revue rétrospective, t. IV, 1834, p. 368.
-
[46]
Sur l’homosexualité masculine au XVIIIe siècle : Bryant T. RAGAN, Jeffrey MERRICK (ed.) Homosexuality in Modern France, New York, Oxford University Press, 1996; et Ibid., Homosexuality in Early Modern France : A Documentary Collection, New York, Oxford University Press, 2001.
-
[47]
BA ms 10856, f. 44-45.
-
[48]
Jacques CASANOVA, The Memoirs of Jacques Casanova, Leonard Louis Levinson (édit.), New York, Collier Books, 1958, p. 127.
-
[49]
BA ms 11700, f. 230; autres exemples : BA ms 11024, f. 140-142; BA ms 11230, f. 297-299; et BA ms 11326, f. 11-13.
-
[50]
Cornell University, Ithaca NY, Carl A. Kroch Library, Rare and Manuscript Collections, Maurepas Collection, 2.083.
-
[51]
BA ms. 11684, f. 248.
-
[52]
Abbé de CONDILLAC, Essai sur l’origine des connaissances humaines, Paris, 1924, p. 18.
-
[53]
Denis DIDEROT, « Réponse à la lettre de Madame Riccoboni,» cité dans Marie-Hélène HUET, Rehearsing the Revolution :The Staging of Marat’s Death, Berkeley, University of California Press, 1982, p. 31-32.
-
[54]
Sur les débats autour de la thèse d’Habermas : Mona OZOUF, « Public Opinion at the End of the Old Regime », Journal of Modern History, t. LX, supplément (septembre 1988, p. S1-S21; Keith Michael BAKER, « Public Opinion as Political Invention », in Inventing the French Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 167-199; Roger CHARTIER, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990, p. 32-52; Dale van KLEY, « In Search of Eighteenth-Century Parisian Public Opinion », French Historical Studies, t. XIX, printemps 1995, p. 215-226; Harold MAH, « Phantasies of the Public Sphere : Rethinking the Habermas of Historians », Journal of Modern History, t. LXXII, mars 2000, p. 153-182.
-
[55]
Jeffrey S. RAVEL, « La Reine boit ! Print, Performance, and Theater Publics in France, 1724-1725 », Eighteenth-Century Studies, t. XXIX, été 1996, p. 391-411.
-
[56]
Voir, pour exemple, Theodore BESTERMANN (édit.), Voltaire’s Correspondence Geneva, 1953-1964, t. I, p. 297-301.
-
[57]
Supplément à l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Amsterdam, Rey, 1776, t. II, p. 88-89.
-
[58]
VOLTAIRE, Les Cabaleurs, 1772, dans Œuvres de Voltaire, M. BEUCHOT (édit.), Paris, Lefèvre, 1833, t. XIV, p. 255-268; citation dans la note aux p. 256-257.
-
[59]
« Journal de la jeunesse du Marquis de Mirabeau », op. cit., t. IV, p. 368-372.
-
[60]
Peut-être une signe de l’anti-cléricalisme du siècle ? Sur ce sujet au début du XIXe siècle, voir Sheryl KROEN, Politics and Theater :The Crisis of Legitimacy in Restoration France, 1815-1830, Berkeley, University of California Press, 2000, qui, inter alia, anime des débats après la Révolution autour du chef-d’œuvre de Molière.
-
[61]
Thomas-Simon GUEULETTE, Notes et souvenirs sur le théâtre italien au XVIIIe siècle, Paris, E. Droz, 1938, p. 53-55; BA ms 11957, f. 134-142. Gueullette était un avocat qui, aux années 1720, a écrit des pièces pour la Comédie-Italienne; il connaissait la plupart des comédiens de la troupe italienne pendant la première moitié du XVIIIe siècle.
-
[62]
GUEULETTE, Notes et souvenirs, op. cit., p. 54.
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[63]
GUEULETTE, Notes et souvenirs, op. cit., p. 55.
-
[64]
François HÉDELIN, Abbé d’AUBIGNAC, Pour le rétablissement du Théâtre François, in Pierre MARTINO (édit.), La Pratique du Théâtre, Paris, Champion, 1927, p. 397. J’ai étudié assez longuement ces débats sur le parterre assis in « Seating the Public : Spheres and Loathing in the Paris Theaters, 1777-1788 », French Historical Studies, t. XVIII, printemps 1993, p. 173-210.
-
[65]
VOLTAIRE, « Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne », in Œuvres complètes de Voltaire, Paris, 1877, t. IV, p. 487-503.
-
[66]
VOLTAIRE, « Dissertation », op. cit., p. 499.
-
[67]
Pour exemple, Bricaire de la DIXMÉRIE, Lettre sur l’état present de nos spectacles, Amsterdam, 1765; et Correspondance littéraire, op. cit., t. VII, p. 450-451.
-
[68]
Jacques-François BLONDEL, Cours d’architecture, ou Traite de la decoration, distribution & construction des batiments…, Paris, Desaint, 1771-1777, t. II, p. 266.
-
[69]
Cité dans Jacques RITTAUD -HUTINET, La Vision d’un futur :Ledoux et ses théâtres, Lyon, presses universitaires de Lyon, 1982, p. 132-133.
-
[70]
Michel GALLET, « Un Projet de Charles de Wailly pour la Comédie-Française », Bulletin du Musée Carnavalet, t. I., juin 1965, p. 3-18; et Monika STEINHAUSER et Daniel RABREAU, « Le Théâtre de l’Odéon de Charles de Wailly et Marie-Joseph Peyre, 1767-1782 », Revue de l’art, t. XIX, 1973, p. 8-49.
-
[71]
Journal de politique et de littérature, juillet 1777, p. 307-308. Au mois d’août 1776, Panckouke, propriétaire du journal, avait remplacé l’ancien rédacteur en chef, l’avocat Linguet, avec La Harpe; voir Christopher TODD, Voltaire’s Disciple : Jean-François de la Harpe, London, Modern Humanities Research Association, 1972, p. 25-26.
-
[72]
Pour La Harpe aux années 1770, voir TODD, Voltaire’s Disciple, op. cit., p. 22-41; et Alexandre JOVICEVICH, Jean-François de la Harpe, adepte et renégat des lumières, South Orange NJ, Seton Hall University Press, 1973, p. 91-130.
-
[73]
Journal de Politique, op. cit., p. 307.
-
[74]
Voir RAVEL, « Seating the public », art. cit., p. 191, n. 46, pour des réponses positives et négatives à la polémique de La Harpe.
-
[75]
Jean-François MARMONTEL, « Parterre », dans Supplément à L’Encyclopédie, op. cit., t. IV, p. 241-242. Réédité avec des révisions légères dans Jean-François MARMONTEL, Éléments de littérature, Paris, 1787; rpt. Paris, 1867, t. III, p. 83-88.
-
[76]
Sur Marmontel, voir Frank A. KAFKER et Serena L. KAFKER, The Encyclopedists as Individuals : A Biographical Dictionary of the Authors of the Encyclopedia, Oxford, SVEC, t. CCLVII, 1988, p. 248-254; et le premier chapitre de Michael CARDY, The Literary Doctrines of Jean-François Marmontel, Oxford, SVEC, t. CCX, 1982.
-
[77]
MARMONTEL, « Parterre », op. cit., p. 241.
-
[78]
Ibid.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
MARMONTEL, « Parterre », op. cit., p. 242.
-
[81]
MARMONTEL, L’Art du théâtre, Paris, 1761, a réfuté la polémique contre le théâtre, lancée par Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles ( 1758).
« Les théâtres des nations aristocratiques ont toujours été remplis de spectateurs qui n’appartenaient point à l’aristocratie, écrit Tocqueville. C’est au théâtre seulement que les classes supérieures se sont mêlées avec les moyennes et les inférieures, et qu’elles ont consenti sinon à recevoir l’avis de ces dernières, du moins à souffrir que celle-ci le donnassent. C’est au théâtre que les érudits et les lettrés ont toujours eu le plus de peine à faire prévaloir leur goût sur celui du peuple, et à se défendre d’être entraînés eux-mêmes par le sien.
Le parterre y a souvent fait des lois aux loges » [1].
2Dans ce passage, Tocqueville suggère que les théâtres publics fonctionnent comme des endroits où les hiérarchies sociales habituelles sont abolies. Il proclame que parfois la plèbe au parterre peut obliger les classes supérieures à adhérer à ses jugements littéraires et, implicitement, à ses jugements politiques.
3Quand bien même Tocqueville ne visait peut-être pas en tête les théâtres publics parisiens de l’Ancien Régime, ses observations peuvent servir de parfaite introduction à l’étude du parterre parisien du XVIIIe siècle. Les spectateurs du XVIIIe siècle qui se pressaient dans les parties limitées du parterre de la Comédie-Française, de la Comédie-Italienne et de l’Opéra ont mis en actes une liberté d’expression, un mélange des classes et une circulation des idées qu’on retrouve alors dans peu d’autres endroits. L’État essaya bien de discipliner ces amateurs de théâtre et il y eut bien des débats parmi les intellectuels pour dire que ces gens devaient être assis sur des bancs, mais durant la majeure partie du siècle, les enthousiasmes du parterre ont montré qu’on ne pouvait pas les réfréner. Dès lors, il importe d’analyser les pratiques parisiennes du parterre pour saisir leurs significations dans la culture politique française d’avant la Révolution.
QUI SE METTAIT AU PARTERRE ?
4Déterminer la composition des publics n’est pas une tâche facile : les archives ont partiellement disparu, les catégories sociales actuelles ne correspondent pas aux distinctions du XVIIIe siècle, et le nombre des entrées au théâtre, durant tout le siècle, se compte en millions. L’étude disponible, à la fois la plus complète et la plus nuancée, concernant l’identité sociale des spectateurs des théâtres publics du XVIIIe siècle, est celle de l’historien du théâtre Henri Lagrave [2], qui décrit un public réparti en deux groupes. Tout d’abord celui que Lagrave appelle « le public riche »: des hommes et des femmes d’origine noble, des officiers militaires, pages, petits-maîtres, prêtres, hommes de loi, financiers, provinciaux et étrangers, dont Lagrave suggère qu’ils n’étaient pas soumis à des restrictions concernant leur présence au théâtre, en raison de leur situation financière et de leurs emplois du temps quotidiens [3]. Un second ensemble, parmi ce public assoiffé de théâtre, renvoie au « public populaire » qui se caractériserait par une capacité financière réduite et un emploi du temps limité pour aller au théâtre. Les billets les moins chers à la Comédie-Française et à la Comédie-Italienne, en tout cas ceux donnant accès au parterre, coûtaient en effet l’équivalent d’un jour de gages pour la plupart des travailleurs manuels [4]. De plus, le traditionnel lever de rideau de cinq heures de l’après-midi dans les théâtres privilégiés signifiait que de nombreux travailleurs et petits bourgeois ne pouvaient aller au théâtre que les dimanches ou l’un des douze jours fériés de l’année.
5En se servant des archives de police, source sous-exploitée par Lagrave, on peut réévaluer ces appréciations [5]. En premier lieu, les archives du Lieutenant Général de Police qui nous sont parvenues, contiennent des détails intéressants sur l’arrestation et l’emprisonnement des spectateurs détenus pour comportement indiscipliné. Ensuite, les dossiers des commissaires comprennent des déclarations faites par des individus qui étaient des victimes des pickpockets pendant qu’ils étaient au théâtre [6]. Ces deux sources, mises bout à bout, nous permettent d’identifier 303 individus qui sont allés au théâtre public dans la période de 1717 à 1768, soit cinquante ans. De ce groupe, 257 hommes se trouvaient au parterre. La composition sociale du parterre selon Lagrave se trouve-t-elle corroborée ? Le tableau suivant confirme la diversité sociale du parterre; selon cet échantillon, les officiers militaires, les avocats parisiens et les hauts financiers se trouvaient avec les étudiants, les apprentis et les employés dans les parterres bondés des théâtres privilégiés.
6On voit que la distinction entre un public « riche » et « populaire » n’est pas utile quand on parle du parterre. La richesse des gens qui prétendent être des financiers ou des officiers militaires, par exemple, fluctuait nettement. Si nous prenons l’exemple des financiers dans le parterre, nous nous apercevons qu’il y avait une énorme différence entre : François Louis Lattainant de Bainville, âgé de 43 ans et « Chevalier Grand trésorier des ordres militaires et hospitaliers »; Alexandre Despueche, âgé de 68 ans et « Banquier à Paris »; et Michel Patrice Maulny de la Toussière, « vérificateur des douanes du Roy de la généralité de Bourges » qui visitait Paris. Ces trois personnages ont étés volés par des pickpockets au parterre de la Comédie-Italienne à la fin des années 1750 ou au début des années 1760 [7].
7Ainsi, même des catégories largement définies suggèrent une diversité du public du parterre et nous posent problème pour attribuer toute sorte de goût théâtral unifié à ces spectateurs variés. Distinguer un public « populaire » au parterre reste tout aussi difficile. Même en retirant les officiers militaires, les membres des professions libérales, les marchands, les maîtres artisans (qui sont des catégories de richesse et de statut social potentiels), il demeure d’importantes différences entre les catégories restantes. Les étudiants et les clercs de notaire provenaient souvent de familles assez riches voire très riches; ils aspiraient à des positions de pouvoir et de prestige et étaient généralement fervents de Lettres. Bien qu’ils fussent arrêtés de temps en temps et dans des proportions similaires aux apprentis et aux employés de magasins, il ne faudrait pas croire que ceux-ci répondaient aux spectacles de la même façon que ceux-là.
8L’identification sociale des spectateurs du parterre que nous donnent les archives de police suggère que leurs attitudes, les réponses qu’ils se faisaient entre eux ou aux autres spectateurs, ainsi qu’aux acteurs jouant sur la scène, ne peuvent être analysés seulement en fonction de critères socio-économiques.
9Bien que le concept de classe soit un outil important pour toute enquête concernant la réception des représentations théâtrales au XVIIIe siècle, nous devons faire attention aux divisions du parterre lui-même, qui ne suivaient pas les classes sociales, et aux motivations qui ne provenaient pas de critères économiques. Le public du parterre n’était pas un consommateur de produits culturels de la même manière que le sont aujourd’hui les gens qui vont au théâtre. Il ne concentrait pas nécessairement son attention tout entière sur ce qui se passait sur scène pendant trois heures, afin de rendre un verdict déterminé par son origine socio-économique, comme Lagrave et John Lough ont pu l’affirmer [8]. Au contraire, il apparaît que les spectateurs se déplaçaient, en interaction les uns avec les autres, dans d’autres parties de la salle, tout en suivant de près ce qui se passait sur scène. Les acteurs, en retour, ne demandaient pas l’attention silencieuse et captive du public. Afin de comprendre le contexte culturel dans lequel ces spectateurs jugeaient les troupes privilégiées, nous devons regarder en deçà de la composition sociale du parterre et étudier les pratiques ordinaires de ses occupants. Il faut insérer l’expérience du parterre dans la vie quotidienne du capitale [9].
DE LA RUE AU PARTERRE
10Aller en ville pour se rendre jusqu’au théâtre au XVIIIe siècle, en voiture ou à pied, pouvait s’avérer difficile. Les tempéraments s’échauffaient souvent au fur et à mesure que les cochers, leurs passagers, les passants et les gardes s’approchaient de l’entrée des théâtres, particulièrement depuis que des passagers avaient demandé à leur cocher de les déposer aussi près que possible de l’entrée du théâtre, alors que les gardes avaient l’ordre stricte de faire circuler les voitures et de laisser les entrées de théâtre dégagées. La foule volatile des domestiques, des laquais et des autres passants qui se rassemblaient derrière les barrières de police, afin de regarder les gens arriver au théâtre aux environs de 17 heures, augmentait les tensions inhérentes entre les cochers et les soldats obligés de les contrôler. Le samedi 3 novembre 1742, au moment où une large foule arrivait à la Comédie-Française pour une représentation d’Inès de Castro, pièce d’Antoine Houdard de la Motte, le cocher de Mme d’Aiguillon, qui « était un homme ivre furieux et insolent », s’est garé de telle sorte que les spectateurs ne pouvaient ni entrer ni sortir du théâtre par la porte du parterre. Lorsqu’un officier lui a demandé de bouger sa voiture, il a refusé et a dit à l’officier « d’aller se faire foutre ». Quand des collègues de l’officier se sont approchés du cocher récalcitrant, un autre conducteur nommé le Pierre, a essayé expressément d’exciter la livrée qui se pressait à l’entrée pour le défendre. Bien que le cocher de Mme d’Aiguillon ait reçu un simple avertissement, le Pierre fut envoyé se reposer en prison pendant presqu’un mois [10].
11Parfois, le conflit venait de derrière les barrières; dix ans plus tard, en février 1751, un domestique nommé Gossot, au service de l’ambassadeur des Pays-Bas, essaya de passer à pied au travers des barrières de police. Quand la sentinelle de garde lui enjoignit de reculer, il refusa de partir et donna un coup de poing dans l’estomac à un caporal, avant d’être neutralisé par les gardes.
12Alors qu’ils embarquait, Gossot réclama de l’aide auprès des autres domestiques en livrée qui avaient été témoins de la scène (« À moi la livrée !»). Il s’ensuivit une petite bataille entre soldats et le guet d’une part; les domestiques à cheval et à pied et les servants en livrée d’autre part [11].
13Même durant les soirées où la parade des voitures se faisait sans incident, les spectateurs pouvaient rencontrer sur le chemin de la billetterie des scènes de rue provocantes. La plupart de ces troubles étaient liés aux efforts du gouvernement pour imposer de la discipline aux Parisiens. Les gens qui se rendaient au Palais-Royal en décembre 1729 virent la figure de Scipion Toussaint, coursier noir aux ordres du Comte de Montanzier, mis au carcan, sur la place en face du théâtre pendant trois nuits consécutives. Toussaint était accusé d’avoir crié de « vives » insultes à des troupes de l’Armée qui se trouvaient devant la porte et d’avoir frappé l’un d’eux de sa canne. En même temps qu’il était mis au carcan, il portait une pancarte sur son cou qui disait qu’il était un « domestique violent envers la garde de l’opéra ». Une génération plus tard, en 1760, plusieurs pickpockets de théâtres furent ainsi attachés au carcan devant les trois théâtres privilégiés avec des placards qui disaient « voleurs du théâtre » [12]. À la fin de l’Ancien Régime, comme si c’était pour mettre l’accent sur leur vigilance, les soldats faisaient une parade sur les places en face de chaque théâtre, une heure avant le lever de rideau. Louis-Sébastien Mercier rapporte dans son Tableau de Paris que les soldats avaient l’habitude d’effectuer des manœuvres de bataille et de charger leur fusils à la vue des spectateurs qui arrivaient [13].
14Une fois au théâtre, les spectateurs du parterre allaient à la billetterie pour payer leur entrée. De nuit, lorsque le public n’était pas nombreux, l’attente devant la billetterie n’était pas trop éprouvante. Mais les soirs où une pièce était créée ou bien lorsqu’une pièce populaire était au milieu de sa tournée, acheter un billet devenait un parcours du combattant. Peut-être le comble du tumulte s’est-il produit le 3 septembre 1760, le jour de la première de Tancrède de Voltaire, lorsque les gens ont commencé à se rassembler en face de la billetterie à 11 heures. Un contingent de police surveillait cette activité afin de supprimer les bagarres et vols commis par les filous omniprésents. En dépit des meilleurs efforts des officiers, le chaos de la foule attendant d’acheter des billets pour la pièce de Voltaire était frappant : « Il y a même eu un particulier qui a tirée son épée sur un domestique; plusieurs y ont eu leur canne cassée, et tous ceux qui ont eu des billets n’ont pu les avoir qu’aux dépens de leur frisure ou de quelque part l’habit déchiré. » Les officiers racontent même que certains malins arrachaient les chapeaux des personnes les plus proches du guichet et les jetaient dans la rue, forçant ainsi les personnes frustrées et sans chapeau à choisir entre une place dans la queue et leur couvre-chef qui se trouvait au beau milieu de la rue [14].
DANS LA SALLE DE SPECTACLE
15Une fois les billets en poche, quelle qu’en fût la provenance, les spectateurs se présentaient eux-mêmes à l’entrée du théâtre, où ils donnaient leur billet à un huissier. En échange, ils recevaient une contremarque indiquant l’endroit du théâtre où ils avaient payé leur entrée. Une gravure représentant le plan d’ensemble de la salle de la Comédie-Française de 1689 à 1770 et provenant de l’Encyclopédie nous permet de suivre le spectateur du parterre au fur et à mesure qu’il progresse dans le théâtre [fig. 1]. Tous les spectateurs entraient par des portes marquées d’un R, mais les gens qui se dirigeaient vers les premières loges ou vers la scène, devaient poursuivre par les deux escaliers marqués d’un P, où un autre contrôleur leur permettait d’accéder aux étages supérieurs, en échange de leur billet. De là, ils allaient aux loges, à l’amphithéâtre ou sur la scène. Les spectateurs qui avaient tous payé au moins les vingt sous pour entrer au parterre pouvaient y rester pour regarder la représentation. Ceux qui avaient des billets pour le parterre se voyaient en principe interdire l’accès aux étages supérieurs mais pouvaient circuler dans les passages marqués d’un L ou aller passer leur temps au café, au sous-sol du théâtre. Finalement, quand le spectateur du parterre était prêt, il montait le petit escalier pour aller à l’une des deux portes qui menaient au parterre, marqué d’un G.
© Institute Archives and Special Collections.
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© Institute Archives and Special Collections, Massachusetts Institute of Technology.
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16Une vue latérale de la même salle aide à visualiser la taille physique du parterre au théâtre [fig. 2.]. Dans cette gravure, provenant également de l’Encyclopédie, le parterre est la surface qui descend légèrement de gauche à droite en dessous du centre des trois balcons; l’amphithéâtre, légèrement élevé et équipé de bancs, est à gauche; la fosse d’orchestre et la scène sont à droite.
17Le parterre au théâtre occupait un espace d’environ 100 m2; les parterres dans les deux autres théâtres étaient de taille similaire [15]. Un dessin au crayon de la Comédie-Italienne dans les années 1760 par P.A.Wille montre le parterre de l’Hôtel de Bourgogne complet [fig. 3]; l’océan de spectateurs dans le dessin de Wille met l’accent sur leur multiplicité et leur anonymat. Les estimations officielles placent le nombre maximum de spectateurs du parterre à 600 dans les deux théâtres non lyriques mais le plus grand nombre de spectateurs payants au parterre à la Comédie-Française est de 773, le 19 février 1690. Les archives de police mentionnent des foules de plus de 700 personnes à la Comédie-Italienne [16].
© Bibliothèque Nationale de France.
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18Les troupes de théâtre comptaient sur les capacités orales des auditeurs pour indiquer le début des représentations, puisque les techniques d’illumination grossières empêchaient de diminuer l’intensité de la lumière avant le lever de rideau [17]. Aux environs de 17 heures, par conséquent, une main frappait trois fois avec un bâton le sol de la scène pour annoncer le début de la représentation aussi bien aux spectateurs qu’aux acteurs. Le rideau se levait alors et la pièce commençait. Certains spectateurs du parterre arrêtaient sûrement de faire du bruit, se taisaient et se concentraient entièrement sur la pièce. Mais d’autres continuaient de se bousculer, de parler avec d’autres personnes ou regardaient les spectateurs qui restaient visibles depuis les loges. Les contraintes physiques du parterre conditionnaient la perception que le spectateur avait de la pièce en même temps que de son statut social, de ses goûts littéraires, de ses opinions politiques ou de ses sympathies religieuses. Quels que soient les titres ou la richesse, le spectateur du parterre se mêlait avec des gens qui poussaient, qui bousculaient; il éprouvait de la fatigue physique et endurait des cris sempiternels.
19En dépit des efforts de la police pour limiter la vente de billets au parterre, les troupes de théâtre motivées par l’argent y entassaient le plus de personnes possibles. Un agent de police en 1736 décrivait un parterre tellement plein qu’il ne pouvait même pas entrer pour arrêter les fauteurs de trouble, faisant ainsi confiance aux espions postés à l’intérieur pour identifier les victimes à la fin de la représentation [18]. Dans ces circonstances difficiles, les spectateurs avaient coutume de se frayer un chemin vers les endroits d’où on pouvait les voir; les habitués du théâtre moins agressifs étaient contraints aux extrémités du hall.
20Un Marseillais de 19 ans, détenu par la police en décembre 1742 pour avoir mis le désordre dans le parterre, expliqua que la police l’avait arrêté par erreur parce qu’il avait eu la malchance d’entrer dans le parterre « dans le moment que les personnes qui estoient au parterre se poussoient les uns les autres avant que la pièce commence, dans la veue sans doute de se procurer les places plus avantageuses » [19]. Le jeune homme ajouta à son martyre, peut-être d’une façon trompeuse, qu’il venait de sortir de sa leçon de flûte et qu’il ne voulait pas entrer dans cette foule de peur que sa flûte, cachée sous ses vêtements, fût cassée.
21Le public et la police décrivent ainsi de véritables vagues humaines qui s’approchent de la scène pour mieux la voir, à la manière d’un flux et reflux.
22Un officier qui était à la Comédie-Italienne, remarque en mars 1747 que les bousculades étaient particulièrement violentes : « des jeunes gens se sont avisés dans le parterre entre les deux pièces de faire le flux pour avoir de la place dans le milieu ». Un autre agent de police se plaint dans un rapport de février 1749 que la foule, ne le reconnaissant pas, avait fait mouvement sur lui [20]. La force dégagée durant ces combats pouvait être prodigieuse. Pendant le même événement de février 1749, la police demanda à un individu non identifié de quitter le théâtre après qu’on l’a vu tourner le dos à la foule du parterre afin de gagner plus de puissance en poussant avec ses jambes [21]. Un occupant du parterre, dans une lettre au Journal de Paris en 1777, s’est plaint de coups de coude dans l’estomac, de coups de fouet dans les jambes, d’épées qui s’entrechoquent, de perruques grasses et de bousculades qui le transportaient d’une extrémité du parterre à une autre [22].
23Les jours où le parterre était moins peuplé, la danse remplaçait parfois les vagues collectives du « flux et reflux ». Durant l’entr’acte entre l’Œdipe de Voltaire et une comédie en un acte à la Comédie-Française le 30 novembre 1733, un groupe de jeunes gens forma un cercle et commença à danser.
24L’officier de police écrivit qu’il « a percé dans le centre et fait cesser les danses et les tumultes ». La police enregistra un incident similaire dans le parterre du même théâtre privilégié dix ans plus tard [23]. Même les jours où le parterre était presque vide, le comportement des gens debout ressemblait à peine à celui du spectateur attentif auquel nous nous serions attendu. Un mardi matin en octobre 1743, selon un témoin, « il y avoit très peu de monde, et à peine quarante personnes dans le parterre, où étant entré avant qu’on alumat j’ai trouvé cinq ou six tant officiers que gendarmes en surtout; s’amusants à faire aboyer et rapporter un de ces grands chiens qui suivent les carosses… » [24].
25Le manque d’aération et la surchauffe contribuaient à l’énervement général de la foule. Le cri familier de « Ouvrez les loges !», invitait à l’ouverture des portes des loges afin de permettre la circulation de l’air dans la salle. Il pouvait être entendu les jours où le parterre était plein. Parfois, des employés du théâtre respectaient ces demandes, mais ils le faisaient souvent contre l’avis des personnes occupant les loges, particulièrement en hiver; un officier de police exaspéré en janvier 1749 répondit à ces cris : « Messieurs… il ne faut pas s’imaginer que les loges doivent être toujours ouvertes et même point du tout lorsqu’il y a des dames qui ne veulent pas le permettre, n’étant point obligées de s’enrhumer pour votre satisfaction !» [25]. Les poêles qui chauffaient les salles du théâtre et les foyers en hiver faisaient que les bâtiments, faiblement ventilés, devenaient étouffants durant l’été. Les architectes des théâtres y remédièrent seulement à la fin du siècle dans les nouveaux théâtres, en incluant des ouvertures additionnelles derrière les troisièmes balcons et en multipliant les ventilations à l’intérieur des bâtiments pour faciliter la circulation de l’air [26].
26Les spectateurs du parterre faisaient aussi face à la menace des pickpockets et autres voleurs qui circulaient alors dans les théâtres. Pendant une représentation à la Comédie-Italienne en 1770, une bande de voleurs jouait sur la peur des flammes qu’avaient les spectateurs, en criant faussement qu’un feu venait de se déclarer : dans la panique qui s’ensuivait, ils profitaient tellement bien de la confusion que trois douzaines de déclarations de vols furent enregistrées par la police le lendemain [27]. Les policiers firent de leur mieux pour coincer les filous omniprésents. On suspectait certains d’entre eux d’accéder au théâtre en achetant des billets à des spectateurs qui partaient à l’entr’acte [28]. Dans la plupart des cas, les efforts furent réduits à néant, mais à la fin de 1758, on réussit à briser une bande organisée de pickpockets de théâtre et on recouvrit beaucoup d’objets qui avaient été chapardés au parterre [29]. Les voleurs, une bande composée d’un travailleur sur bois, d’un pâtissier, d’un marchand forain et d’un maquignon qui avaient filé pendant plusieurs mois avec des montres en or, des tabatières joliment décorées et d’autres objets de poche précieux, et ce dans les trois théâtres privilégiés et les autres salles de spectacle. Les enquêtes qui s’ensuivirent, qui découvrirent un réseau de recel étendu jusqu’à Lyon et Rouen, eurent pour conséquence l’arrestation et l’incrimination des voleurs, qui furent publiquement exposés au carcan en face des salles de spectacles privilégiés, fouettés, marqués au fer rouge et envoyés aux travaux forcés dans les galères du roi [30].
LE CORPS AU PARTERRE
27Dans le parterre surchauffé, où les gens s’entassaient et étaient en proie aux vols, la honte de son propre corps – pudeur que l’on éprouvait de plus en plus au fil du temps et que Norbert Elias et d’autres ont bien étudié dans l’Europe de l’Ancien Régime – était en retrait [31]. La consommation excessive de nourriture et de boissons ainsi que l’étalage des fonctions corporelles contraient les processus de la civilité. Le boire et le manger étaient des activités communes au parterre; en plus des cafés et tavernes aux alentours des théâtres, chacun des théâtres privilégiés avait un limonadier, servant dans un café en-dessous de l’amphithéâtre et vendant de la nourriture et des boissons aux clients [32]. Pour ce qui concerne la Comédie-Française jusqu’à 1770, il semble que le Procope, de l’autre côté de la rue, fournissait des rafraîchissements pour les spectateurs de celle-ci [33]. La consommation des boissons conduisait à bien des turbulences, comme le 4 octobre 1739, quand un « cy-devant sous-brigadier des fermes » frappa un autre spectateur avec sa canne, menaça de frapper les gardes qui finalement l’arrêtèrent et injuria avec véhémence ceux qui l’arrêtaient. Quand les agents de police lui demandèrent son nom, ce contrôleur des impôts saoûl et non coopératif rétorqua qu’il s’appelait « va te f[aire] f[outre]» [34].
28Les excrétions corporelles aussi bien que le boire et le manger se rencontraient dans les parterres surpeuplés. Un lundi 13 janvier 1777, la Comédie-Française déçut son public, qui comprenait la Duchesse de Bourbon, quand elle fut incapable de représenter Les Horaces, à cause de l’absence inexpliquée de l’acteur principal. Les comédiens cherchèrent à adoucir le parterre mécontent, mais leurs efforts se révélèrent futiles, comme le rapportent les Mémoires secrets:
« Cependent le Parterre témoignoit son humeur; en vain a-t-on voulu calmer par un discours préparatoire, cela ne s’est terminé qu’en offrant de rendre l’argent aux mécontents. Un d’eux a poussé l’indécence jusqu’à faire ses ordures au milieu de l’assemblée, escorté & soutenu par quelques polissons comme lui [35]. »
30Pareil geste signifiait le manque de volonté du public de suivre les règles habituelles de l’échange gouvernant la relation spectateur-spectacle. Cet acte de transgression pourrait être interprété comme une protestation envers les mesures qui visaient à réprimer le parterre. Il est assez intéressant de voir que l’auteur des Mémoires secrets continue à raconter l’incident en notant :
« La Duchesse de Bourbon est restée, mais n’a point voulu être juge entre le Public et les Comédiens, comme ceux-ci le désiroient, ou plutôt elle leur a déclaré qu’il falloit se rendre au désir du premier [36]. »
32Le texte ne spécifie pas si la Duchesse est restée en dépit de la représentation stercorale dans le parterre ou en dépit de la représentation substituée. Sa volonté de ne pas contredire le parterre indique cependant qu’elle reconnaît la réponse du parterre au changement de programme inconsidéré et abrupt des acteurs.
33L’étalage évident des fonctions corporelles dans un espace public comme le parterre pouvait également déranger plusieurs suppositions habituelles concernant les rangs sociaux et les pratiques. Le 18 août 1751, la police arrêta le Fermier Général Berthe pour avoir uriné dans le parterre de la Comédie-Française [37]. Le sergent qui arrêta Berthe écrivit qu’il avait écroué le Fermier Général « pour avoir sans précaution aucune pissé dans le parterre et pour avoir tenu des propos offençans pour la garde » [38]. Il n’est pas évident de comprendre ce que l’absence de « précaution » signifie, mais dans sa demande de liberté au Lieutenant Général de Police, Berthe déclare qu’il avait été « accusé faussement d’avoir pissé contre l’orquestre, estant assis sur le petit banc à côté » [39]. Peut-être Berthe, influencé par la liminalité vertigineuse du parterre, a-t-il participé à un moment rabelaisien de renouvellement corporel, mais une fois dégrisé, il s’est retrouvé en prison et a renié l’égalité sociale carnavalesque du parterre. Sa défense jouait sur son statut social : « Je prie Votre Grandeur de faire attention qu’un honneste homme sait conserver les bienséances et n’est pas coupable de ce dont on m’accuse, et qu’il est fort triste pour un homme établi et honnête de se trouver conduit au Fort L’Evesque [40]. »
34Les corps d’hommes au parterre mangeaient, buvaient, déféquaient et urinaient donc; ils faisaient aussi l’expérience de désirs sexuels, si l’on en croit ce que nous racontent les journaux, les romans et d’autres sources [41]. L’exclusion des femmes du parterre déterminait en partie les expressions de la sexualité de celui-ci (et vice versa). La tradition, plus que la loi, interdisait l’entrée aux femmes, puisqu’aucune des ordonnances du Roi concernant le théâtre parues aux XVIIe et XVIIIe siècles ne les empêchait de se rendre au rez-de-chaussée du théâtre. La peur des violences commises au parterre peut expliquer, au début, cette exclusion, mais au XVIIIe siècle, les femmes n’étaient pas bannies d’autres espaces urbains violents comme les marchés, les tavernes et les rues elles-mêmes. Bien plus, les inquiétudes concernant la prostitution et le fait d’être dérangé dans le parterre par une sociabilité masculine écrasante contribuaient à interdire la présence des femmes dans cet endroit du théâtre.
35Cependant, des exceptions existaient. En 1778, lorsque Voltaire fut couronné de triomphe durant une représentation d’Irène, sa dernière pièce, un observateur rapporte que le parterre du théâtre des Tuileries était plein de femmes [42]. Bien qu’il soit possible que des femmes se soient faufilées dans le parterre dans d’autres occasions tumultueuses, comme les représentations gratuites ou des nuits d’ouverture ou de clôture annuelles autour de Pâques, d’autres sources suggèrent que les femmes ont pu également être presentes au parterre dans bien d’autres soirées. En février 1763, le censeur Marin adressa un mémoire à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, le directeur de la Librairie, dans lequel il raconte une entrevue avec Madame de Beaumer, la nouvelle rédactrice en chef du Journal des Dames. Marin remarque avec raillerie que Beaumer apparut dans son bureau en pantalon avec un large chapeau et une épée à son flanc. Quand le censeur lui demanda pourquoi elle était habillée en homme, elle lui répondit qu’elle avait l’intention d’aller au théâtre ce soir-là, pour faire la critique de la nouvelle pièce pour son journal et qu’elle espérait économiser de l’argent en achetant un billet au parterre. En outre, elle affirmait qu’elle s’habillait toujours en homme lorsqu’elle voulait aller au théâtre [43]. La romancière du XIXe siècle, George Sand, dans son autobiographie, rapporte que sa mère disait que sa tante et elle portaient des vêtements d’homme pour accompagner leur mari au théâtre durant la Révolution et l’Empire, mais aussi en partie parce que les billets du parterre étaient moins chers [44].
36Étant donné que des « hommes » dans le parterre pouvaient être des femmes et que par conséquent, ils déviaient des critères du désir hétérosexuel masculin, on peut aussi imaginer que d’autres spectateurs qui eux remplissaient les critères biologiques de masculinité, pouvaient être intéressés par des expériences non hétérosexuelles. Bien que la nature semi-anonyme et pleine de monde du parterre semble faciliter l’activité homosexuelle masculine, les preuves sont difficiles à fournir. Un passage intéressant des mémoires du père de Mirabeau raconte une rencontre dans le parterre de la Comédie-Italienne dans les années 1730 [45]. Un soir qu’il regardait une représentation, il sentit une main passer le long de sa ceinture. La main s’arrêta à l’ouverture de sa poche mais se retira lorsque Mirabeau fit un léger mouvement en avant. Le jeune Marquis, se retournant, vit un homme « qui paraissait regarder en bas et en haut avec agitation ». Mirabeau, curieux de voir ce qui se passerait, permit à l’homme de s’approcher derechef;
37dès qu’il le fit, Mirabeau le regarda directement et lui dit « quelque chose que l’homme prétendit ne pas entendre ». Cependant, il retira sa main de nouveau.
38Comme dernier test des intentions de l’homme non identifié, Mirabeau mit sa main dans sa veste et en tira l’ouverture; l’homme commença à tirer la veste vers le haut et par son extrémité. Finalement, Mirabeau décida de se débarrasser de l’homme en annonçant à un groupe de jeunes se trouvant devant lui : « Si quelqu’un de vous était dans le nouveau goût, voilà une perruque qui me persécute depuis une heure. » Sur ces mots, selon Mirabeau, l’homme disparut dans la foule. L’incident est intéressant parce qu’il suggère que ce type d’échange pouvait exister : les parterres des théâtres parisiens fournissaient-ils une occasion à des hommes tels que l’accosteur nerveux de Mirabeau de rechercher des rencontres homosexuelles [46] ?
39La menace des femmes qui se travestissaient, et l’activité homosexuelle masculine dans le parterre, peuvent avoir exagéré le comportement hétérosexuel déjà agressif de beaucoup d’hommes qui se trouvaient dans le parterre. Ces actes commençaient déjà dans le parterre. Un rapport de police de 1724 décrit une scène à l’entrée de la Comédie-Française où un nombre de jeunes gens, ivres et armés d’épées, s’était réuni pour commenter la mise des dames qui entraient au théâtre : « Ces jeunes gens disoient hautement ‘ah, que celle-là est laide, celle-cy a la jambe bien faite, celle-là a un bas bien tiré, celle qui descend qui est vestue de jaune a de plus gros tétons que l’autre [47]… » Ce petit jeu continuait dans le théâtre, lorsque les hommes au parterre recherchaient les femmes aux balcons. Une gravure de 1782 de l’intérieur du théâtre de Bordeaux nous offre des preuves évidentes de ce passe-temps [fig. 4]: trois hommes en différents endroits du parterre ont une lorgnette à leurs yeux et regardent les femmes aux balcons. Casanova raconte une expérience similaire dans ses mémoires lorsqu’il déclare que juste après son arrivée à Paris, il était à la Comédie-Italienne « dans le parterre, regardant des dames aux loges » [48].
40L’agression masculine se manifestait fréquemment par des cris de « Place aux dames !». Un dimanche de 1750, la police arrêta un clerc de notaire et l’assistant d’un marchand essayant de calmer un parterre qui hurlait : « Place aux dames, place aux secondes, place à la demoiselle qui a un mouchoir [49] !» Apparemment, la présence de plusieurs hommes qui étaient assis dans une loge en face des dames avec un mouchoir avait déclenché ces cris. De leur côté, les femmes dans les loges pouvaient se prêter avec plaisir aux inspections visuelles des spectateurs du parterre; un occupant masculin d’une loge du deuxième étage à la Comédie-Française en 1743 se trouva lui-même déplacé de son premier rang, avant le lever de rideau, quand il laissa place à une femme de la loge voisine qui cherchait, avec deux autres compagnes, à échapper à l’oubli du banc de derrière [50]. À la Comédie-Italienne, un après-midi de 1749, la police elle-même essaya de satisfaire les yeux baladeurs du parterre en demandant, avant la représentation, aux hommes assis en avant des dames aux deuxième et troisième rangs des bancs des loges de céder leur place aux spectatrices [51].
©Houghton Library, Harvard University.
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LE PARTERRE, LA CABALE ET LE SPECTACLE
41Les querelles de quartier, les pickpockets, les libertins et la jeunesse désordonnée, voilà ce qu’un spectateur du parterre pouvait connaître. Ces exemples suggèrent que les pratiques du parterre du XVIIIe siècle aboutissaient à une expérience du théâtre nettement différente de l’événement esthétique simplement contemplatif avec lequel nous sommes aujourd’hui familiers. On est tenté de dire que les spectateurs d’autrefois ne s’engageaient pas avec le spectacle. Certains observateurs du XVIIIe siècle laissent cependant entendre que le chaos du parterre ne faisait qu’augmenter l’intensité intellectuelle et émotionnelle de l’expérience des habitués du théâtre. Avant de fustiger le théâtre public du XVIIIe siècle pour son indiscipline et le public pour son ingratitude, il convient néanmoins d’écouter les commentaires de deux contemporains, Condillac et Diderot.
42Dans l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, publié en 1746, l’abbé de Condillac emploie un exemple théâtral pour éclairer les rouages de la mémoire. Il demande pourquoi l’être humain ne se souvient pas des perceptions sensorielles, présentes dans notre conscience. L’attention, selon lui, est le principe qui fait que certaines perceptions sont plus vives à l’esprit humain que d’autres. L’expérience des amateurs du théâtre illustre ce principe :
« Chacun a pu remarquer qu’on n’est jamais plus porté à se croire le seul témoin d’une scène intéressante, que quand le spectacle est bien rempli. C’est peut-être que le nombre, la variété et la magnificence des objets remuent les sens, échauffent, élèvent l’imagination, et, par là, nous rendent plus propres aux impressions que le Poète veut faire naître. Peut-être encore que les spectateurs se portent mutuellement, par l’exemple qu’ils se donnent, à fixer la vue sur la scène [52]. »
44Pour Condillac, l’expérience tumultueuse et pleine de monde qu’est le théâtre sert paradoxalement à accroître notre attention, concentrant celle-ci sur soi comme le récepteur des événements sur scène. L’effort mental nécessaire pour bloquer les turbulences du parterre et pour traiter les impressions générées par le dramaturge et les acteurs facilite l’illusion théâtrale plutôt qu’il ne la détruit. L’énergie consacrée par des voisins, que ce soit dans le parterre ou dans les loges, sert seulement à renforcer le sens de l’isolement au milieu de la foule. Bien que Condillac cherchât à élaborer une épistémologie sensualiste, son utilisation de l’exemple des théâtres publics souligne l’importance accordée par ses contemporains à cette expérience.
45À la même époque, Diderot allait plus loin dans son analyse systématique des arts dramatiques. Sa vision la plus perspicace vient probablement de sa réponse épistolaire en 1758 à la dramaturge et romancière Mme Riccoboni :
« Il y a quinze ans que nos théâtres étaient des lieux de tumulte. Les têtes les plus froides s’échauffaient en y entrant, et les hommes sensés y partageaient plus ou moins le transport des fous… On s’agitait, on se remuait, on se poussait, l’âme était mise hors d’elle-même. Or, je ne connais pas de disposition plus favorable au poète. La pièce commençait avec peine, était souvent interrompue, mais survenait-il un bel endroit… et l’engouement passait du parterre à l’amphithéâtre, et de l’amphithéâtre aux loges. On était arrivé en chaleur, on s’en retournait dans l’ivresse… C’était comme un orage qui allait se dissiper au loin, et dont le murmure durait longtemps après qu’il était écarté. Voilà le plaisir [53]. »
47L’image de la tempête souligne ce que Diderot perçoit comme l’impact positif de l’indiscipline des théâtres. Les agitations, le flux et le reflux, les passions facilement surgies chez le spectateur, particulièrement ceux du parterre, tout cela sert à maximiser l’impact dramatique de la pièce, plutôt qu’à le dissiper ou le diminuer. La vision « habermassienne » du public des Lumières nous a préparés à n’identifier une activité critique que dans la rencontre placide entre un lecteur et l’objet imprimé [54]. Mais l’exemple des théâtres publics du XVIIIe siècle démontre que cette critique raisonnée n’était pas incompatible avec un manque de civilité ni avec un comportement carnavalesque. En fait, comme Condillac et Diderot l’appréciaient, le stimulus physique du parterre pouvait servir à accroître l’acuité critique du spectateur, le forçant ainsi à intervenir dans la représentation. Plutôt que de préserver le sens critique du détachement que nous apprécions quand nous allons au théâtre de nos jours, les spectateurs du parterre du XVIIIe siècle insistaient sur la participation, de manière émotionnelles et physiquement explicite. Leurs façons de participer et d’évaluer le spectacle étaient inséparablement liées aux pratiques dans le théâtre et hors du théâtre, que nous venons d’examiner.
48Néanmoins, ces pratiques étaient inquiétantes pour les auteurs et acteurs, forcés de collaborer avec les spectateurs interventionnistes. Tout au long du siècle, ils répondirent à ces luttes sur la scène et sur la page; l’une de leurs armes les plus puissantes était l’accusation selon laquelle la réponse d’un public avait été injustement manipulée par une « cabale » ou par un groupe de spectateurs qui avaient été instruits avant, afin de répondre à la pièce d’une certaine façon, quels que soient les mérites de la représentation. Les cabales existaient certainement dans les théâtres du XVIIIe siècle. Mais la cabale s’est souvent avérée un mirage imaginé par des écrivains négligés et des comédiens méprisés. La réponse à la tragédie Mariamne de l’abbé Nadal en 1725 montre le destin des auteurs qui recouraient trop facilement à la cabale. Nadal créa sa pièce deux mois avant que la Comédie-Française jouât une version triomphale de la même histoire, par Voltaire [55]. Quand la pièce de Nadal s’arrêta après quatre représentations désastreuses, il publia un texte avec une préface explicative qui imputait son échec à Nicolas Thieriot, ami de Voltaire, qui aurait organisé une cabale dans le parterre contre son œuvre. Ses accusations amères lui valurent un retour de manivelle, lorsqu’une lettre datée du 20 mars 1725 circula, en réponse à sa préface. La missive était signée de « Thieriot » mais la plupart des spécialistes ont suggéré que c’était le travail de Voltaire [56]. D’une façon vicieusement pleine d’esprit, celui-ci fait remarquer que la dernière ressource de tous les grimauds est de se plaindre de la cabale. Il est d’accord avec l’abbé pour dire qu’il y avait une cabale ce soir-là au parterre; elle avait été organisée par Nadal, qui avait donné des billets à ses amis. Mais ses partisans s’ennuyaient tellement, écrivait Voltaire, qu’ils ont rendu leurs billets, disant qu’ils préféraient payer de leur propre poche et huer la pièce avec tous les autres. La lettre contient des douzaines d’autres insultes et de critiques contre Nadal, qui firent passer les accusations de l’abbé pour mesquines et sans intérêt.
49Les réponses rapides et dévastatrices occasionnées par la préface de Nadal démontrent les dangers des polémiques menées dans les préfaces. Loin d’apporter une conclusion qui lui aurait permis une réception plus favorable de sa tragédie, il a fourni une réponse qui permettait qu’on critiquât encore plus son effort dramatique. Les successeurs de Nadal ignorèrent son exemple, cependant, et leurs accusations continuèrent à apporter la suspicion sur le jugement indépendant et sur les pratiques du parterre, jusqu’à la Révolution. Cependant, le dramaturge et philosophe Jean-François Marmontel essaya de combattre ce réflexe facile de la part des auteurs, qui, pensait-il, caractérisait injustement le public des théâtres, dans un article appelé « cabale », publié dans un supplément à l’Encyclopédie en 1776 [57]. Dans cet essai, Marmontel écrit « qu’on peut juger les lumières d’un siècle par le plus ou le moins d’ascendant que la cabale a pris sur l’opinion publique, et par l’espace de temps qu’elle a soutenu de mauvais ouvrages, ou qu’elle en a déprimé de bons ». Il rassure les jeunes auteurs, qui considèrent la scène, que « dans un siècle dont le goût est formé », un bon travail n’a jamais succombé à la cabale, et que les mauvaises pièces n’ont jamais réussi à maintenir leur rang au haut de l’affiche. En d’autres termes, il a toujours estimé que la cabale, bien que constituant une menace momentanée pour les travaux de mérite, ne triompherait jamais sur « une opinion publique qui est juste, et qui marque à chaque chose le degré d’admiration, d’estime, ou de mépris qui lui est dû ».
50Pour lui, dans le dernier quart du siècle, le tribunal tant vanté de l’opinion publique se trouvait dans les parterres et les loges, facilement capables de vaincre les préjugés et les inconsistances de la cabale.
51N’écrivant que quatre ans plus tôt, Voltaire n’était cependant pas si sanguin sur le sujet. À la fin de sa vie, le Patriarche disait que « c’est principalement au parterre de la Comédie-Française, à la représentation des pièces nouvelles, que les cabales éclatent avec le plus d’emportement… elles ont dégoûté les hommes de génie, et n’ont pas peu servi à décréditer un spectacle qui avait fait si longtemps la gloire de la nation » [58]. Voltaire, bien sûr, avait raison de décrier la cabale;Artémire, Hérode et Mariamne, Mahomet, Sémiramis et d’autres pièces du canon voltairien avaient souffert des flèches de la part des factions scandaleuses du parterre, le soir des premières. Mais ses contemporains le suspectaient aussi de distribuer des billets du parterre à ses amis et à ses admirateurs, le soir des premières de ses pièces, et de comploter la chute des pièces écrites par des dramaturges concurrents.
52Au-delà des caractéristiques formelles et organisées de la cabale, éternelle menace des dramaturges et acteurs, il y avait les interventions plus ou moins spontanées des spectateurs du parterre. Les membres du public faisaient ainsi comprendre qu’ils entendaient participer à la représentation en cours.
53Mirabeau père se rappelle un épisode du début des années 1730, qui atteste cette revendication de participation du public [59]. Un jour, dans le parterre, pendant l’entracte, après que ses collègues et lui ont fait taire l’orchestre afin de chanter des chansons provinciales « que le parisien aime beaucoup », quelqu’un lui fit passer une note pour qu’on demandât aux acteurs de jouer Tartuffe dans les jours suivants [60]. Quand l’orateur de la troupe s’adressa au public à la fin de la soirée, pour annoncer les représentations des jours suivants, Mirabeau fit sa demande, qui fut acceptée. Le jour suivant, cependant, les affiches collées sur les murs de Paris ne faisaient mention d’aucune représentation prévue du chef-d’œuvre de Molière. Mirabeau envoya un message à un homme nommé Ducré, « un chef de jeunesse », pour le rencontrer au Procope, à 16 heures, avec autant de jeunes gens que possible. Selon ses estimations, Ducré est arrivé au rendez-vous avec quatre cents personnes à sa suite. Ils complotèrent pour prendre leur revanche sur les acteurs, distribuèrent des billets de parterre aux jeunes gens et se rendirent au théâtre. En dépit de la présence d’un garde bien musclé, Mirabeau et ses amis refusèrent aux acteurs la permission de jouer Britannicus, la tragédie prévue. Un exempt, l’épée à la main, accompagné de vingt-cinq soldats armés de fusils et de baïonnettes, entra dans le parterre à la recherche des instigateurs. Mais la densité de la foule força les soldats à pointer leurs armes en l’air et les spectateurs les poussèrent par derrière et sur les côtés, se mettant bien contre eux, afin qu’ils ne puissent pas abaisser leurs armes pour tirer. Finalement, nous dit Mirabeau, les soldats quittèrent le parterre, murmurant sous cape, ce qui amusa certains des vrais spectateurs du théâtre. À ce moment, une importante duchesse – non identifiée – arriva, et les acteurs, encouragés par sa présence et le soutien des hommes assis sur la scène, reprirent la tragédie racinienne. Sentant que ce moment pourrait être perdu, Mirabeau cria haut et fort « Allons, mes amis, quitte ou double !»; selon ses propres mots, « ce fut alors un enfer ». Il rapporte que certains jeunes gens essayèrent de grimper sur la scène pour attaquer les actrices, qui furent rapidement repoussées dans les coulisses, pendant que d’autres commencèrent à escalader les murs du parterre pour aller vers les loges. À ce moment, l’anarchie menaça de prendre tout le théâtre. La police n’avait pas réussi à contenir les jeunes gens, et les acteurs avaient été incapables de calmer le groupe suffisamment de temps pour continuer la représentation. Il est intéressant de voir que la Duchesse choisit d’agir, à ce moment, comme médiateur entre la troupe et le groupe de Mirabeau. Elle envoya un page auprès de Mirabeau et Ducré, dans le parterre, leur demandant de venir dans sa loge. Après quelque hésitation, de peur d’être attaqués par un garde s’ils quittaient le parterre, ils allèrent à sa loge, où elle demanda qu’ils écoutent les acteurs expliquer pourquoi ils n’avaient pas joué Tartuffe. Ils le firent dans l’arrière-scène puis retournèrent dans la loge de la Duchesse et lui accordèrent sa demande de permettre à la troupe de terminer sa représentation, sans autres troubles.
54Ces remarquables incidents montrent la volonté des spectateurs du parterre. Mirabeau n’organisa pas de cabale contre un dramaturge ou acteur en particulier; il présenta plutôt son combat comme un effort pour « sauver son honneur » face à une insulte de la part des acteurs. Les problèmes de classes influencèrent le début et la conclusion de l’affaire. Mirabeau ne pouvait pas tolérer la désobéissance de ces vils acteurs, qui étaient exclus des sacrements de l’Église et d’autres privilèges civils de l’État. Ainsi, seule la Duchesse, femme de la cour, de haut rang, pouvait-elle résoudre la dispute d’une façon telle que les acteurs pouvaient continuer leur représentation et que Mirabeau ne perdait pas la face. Mais cet incident devrait être interprété comme une lutte pour le pouvoir entre les acteurs et les spectateurs du parterre pour le répertoire, un problème de base du théâtre public.
55La hiérarchie de ce partenariat était évidente dans des exemples où le parterre était le médiateur entre des membres des troupes privilégiées; dans pareils cas, le parterre transformait les querelles de coulisse entre acteurs en des drames sur la scène qui supplantaient même les représentations des textes dramatiques. Le 19 février 1757, à la Comédie-Italienne, les acteurs Rochard et Chaville commencèrent à se disputer dans les coulisses [61]. Le second avait pris la place du premier sur scène pendant un mois, à cause de la maladie de Rochard. Mais Rochard était finalement revenu sur scène. Mécontent des succès de l’autre dans ses rôles à lui, il décida ce soir-là de critiquer Chaville dans les coulisses. Les critiques de Rochard, selon des témoins, étaient dites si fortement qu’on pouvait les entendre dans le parterre. Avant qu’un garde ne soit intervenu, les deux hommes en étaient venus aux mains et se préparaient à tirer leurs épées. Chaville fut emmené en prison mais Rochard réussit à fuir le théâtre avant que les gardes ne l’attrapent.
56Deux nuits plus tard, les deux acteurs jouaient une scène de la même pièce, Ninette à la cour, qui avait occasionné l’accès de colère de Rochard.
57Dans cette pièce, Rochard jouait le Prince, Chaville Colas (l’amant de Ninette) et Mme Favart Ninette. Durant une scène entre le Prince, Colas et Ninette, l’actrice chanta les lignes suivantes au Prince/Rochard :
Tu nous perdra Colas,
Ne souffle pas,
C’est un Seigneur, Colas.
Oh ! Monseigneur
Je suis vot’serviteur,
Ninette à votre cœur,
C’est pour nous bien de l’honneur.
59Ensuite, en chantant quelque chose qui n’était pas prévu pour le Prince/Rochard, elle ajouta les quatre lignes suivantes pour montrer sa loyauté à Colas/Chaville :
61Le parterre, au courant de la dispute entre les deux acteurs qui avait conduit à l’emprisonnement de Chaville, commença à applaudir vigoureusement l’ambiguïté. Rochard, furieux et personnellement offensé, arrêta de jouer et adressa les paroles suivantes au parterre : « Messieurs, comme je m’aperçois que mon service ne vous plaît plus, je quitte, et me retire dans le moment même. » L’acteur offensé quitta alors la scène, perturbant ainsi la représentation. Chaville et Mme Favart s’en allèrent aussi mais à la poursuite de leur collègue, pendant que les spectateurs assis sur scène s’en allaient également pour voir la manifestation du mécontentement de Rochard dans les coulisses.
62Rochard n’avait pas encore atteint sa loge que la police apparut pour l’arrêter pour désobéissance. Avant d’être incarcéré, l’acteur eut cependant le choix entre retourner sur scène pour terminer la représentation ou aller en prison. Il hésita apparemment alors que nombre de comédiens lui conseillèrent de retourner sur scène. Pendant ce temps, le parterre répondait à la sortie de Rochard en criant le nom du comédien afin de le convaincre de revenir. Ses collègues le persuadèrent finalement que sa peine serait moins sévère s’il jouait la pièce. De retour sur scène, il fit une révérence profonde et dit, en guise d’excuse, « Messieurs, vos bontés me sont si chères qu’elles m’obligent à venir vous demander [pardon]». À ces mots, le parterre explosa en applaudissements, ce qui continua pendant le reste de la représentation.
63Une semaine plus tard, avec Chaville sorti de prison, le même trio de comédiens se trouva sur scène à la fin d’une pièce intitulée La Bohémienne. La conclusion de la pièce se déroulait lorsque Mme Favart, jouant une vieille femme, dit à son mari aussi vieux (Rochard), d’embrasser son beau-frère (joué par Chaville).
64Les deux hommes, jouant leur drame personnel aussi bien que le texte, s’embrassèrent un certain nombre de fois. Ils le firent, selon ce qu’en disent de ces événements, parce que le parterre demandait le geste répété de réconciliation.
65Les spectateurs du parterre écrivaient ainsi collectivement la pièce qu’ils voulaient voir, et les comédiens obéissaient. L’incident fournit le moment parfait des amateurs du théâtre du XVIIIe siècle; les lignes entre le texte et le sous-texte étaient floues puisque la réalité et le théâtre convergeaient. L’auteur du compte rendu, Thomas-Simon Gueullette, conclut son histoire en écrivant : « Cette réconciliation théâtrale fut extrêmement bien applaudie. Rochard obtint sa liberté [63]. »
66La conclusion que nous pourrions tirer est que les spectateurs masculins qui choisissaient de voir une pièce depuis le parterre, il y a deux ou trois siècles, faisaient l’expérience d’un espace social et d’un ensemble de pratiques culturelles uniques. Le public du parterre ne ressemblait ni à la foule des émeutes rurales ni au marché urbain. Il n’allait pas non plus avec l’organisation politique disciplinée et organisée de la démocratie moderne et occidentale. Le parterre se trouvait plutôt à mi-chemin entre des notions d’avant la Révolution et des pratiques politiques représentatives modernes; comme le régime français du XVIIIe siècle, qui le soutenait et le poliçait, le théâtre public s’est fondé sur ses prédécesseurs de la Renaissance et a anticipé sur ses successeurs modernes et commerciaux. Au XVIIIe siècle, les spectateurs du parterre avaient plus de contrôle sur les spectacles qu’à n’importe quel autre moment de l’Histoire. Pour cette raison, le parterre est important non seulement pour l’histoire de l’esthétique française et de la culture lettrée, mais aussi pour l’histoire de la transition de l’État absolutiste à la démocratie moderne. L’étude d’un débat lancé à la fin de l’Ancien Régime va nous permettre de mieux cerner les enjeux politiques liés aux pratiques du parterre.
LE PARTERRE : ASSIS OU DEBOUT
67À partir de 1777, de nombreux dramaturges, hommes de lettres et spectateurs de théâtre ont discuté du rôle du parterre. Ce débat fut lancé par la proposition d’installer des bancs dans les parterres des théâtres privilégiés de la capitale, une suggestion en apparence sans conséquence, mais qui se révéla pleine de signification. L’idée d’asseoir le parterre n’était alors pas entièrement nouvelle. Un peu plus d’un siècle plus tôt, en 1657, le théoricien d’art dramatique d’Aubignac avait proposé de remédier aux désordres des théâtres en installant des sièges fixes au parterre [64]. Voltaire, dont les pièces étaient parfois victimes d’une cabale indisciplinée, fit écho à ces propos dans la préface à la version imprimée de Sémiramis, sa tragédie de 1748 [65]. Il pensait certainement que le génie de Corneille et de Racine méritait mieux que d’être joué en face de « ceux qui sont debout dans ce qu’on appelle parterre, où ils sont gênés et pressés indécemment, et où ils se précipitent quelquefois un tumulte les uns sur les autres, comme dans une sédition populaire » [66]. Ainsi identifia-t-il le parterre comme un espace dominé par une culture populaire incompatible avec les produits de la haute culture de la Comédie-Française.
68Après l’élimination des sièges sur scène en 1759-1760, nombre d’appels pour réformer le parterre furent lancés, dans la quinzaine d’années suivantes [67]. Le discours architectural de la période reflétait cette tendance;
69dans leurs textes comme sur leurs plans, les meilleurs architectes de théâtre de l’époque s’efforcèrent d’éliminer l’ìnfluence des « émeutes populaires » du parterre. Dans ses classes d’architecture tenues dans les années 1750 et publiées en 1771, Jacques-François Blondel recommandait de remplacer le parterre, dans tous les théâtres français, par une série de gradins. Cette innovation « empêcheroit le tumulte et procureroit à nos salles cette tranquilité, dont peut-être ils ne jouiront jamais qu’imparfaitement sans ces précautions ». [68] Claude Nicolas Ledoux, étudiant de Blondel, mit en pratique ces préceptes dans la conception d’un parterre assis au théâtre public de Besançon. Dans une lettre de 1775 à l’intendant bourguignon qui surveillait le projet, Ledoux déplorait que seuls les parterres des théâtres français condamnent ainsi la « portion de l’humanité qui est la moins riche » à rester debout pendant deux heures. Dans son théâtre à lui, dépourvu d’un tel parterre debout, « la cabale cessera, et en détruisant par ce moyen ce qu’on appelle faussement l’enthousiasme du parterre, on jugera plus sainement les auteurs » [69]. Le maître comme l’étudiant cherchèrent donc à « perfectionner » le théâtre français à travers des modifications architecturales qui empêcheraient tout comportement inconvenant du parterre.
70On retrouve ce problème en examinant la gravure de 1771 représentant l’intérieur proposé par l’architecte Charles de Wailly pour la nouvelle salle de la Comédie-Française à Paris [fig. 5]. Ce dessin, destiné à être montré au public du Salon de 1771, montrait la nouvelle importance du théâtre comme monument civique et avant-coureur d’un renouveau urbain dans les métropoles de la fin du XVIIIe siècle [70]. Cela préfigurait également les tentatives de régulation du parterre. À l’intérieur de la salle, les vues latérales adoptées par de Wailly présentaient un rez-de-chaussée entièrement rempli de bancs. Dans le vieux théâtre, depuis la restauration en 1759, la partie la plus proche de la scène, qui accueillait l’orchestre, et la partie suivante, le parquet, comportaient des bancs. Mais sur ce plan imaginaire, la plus grande section du sol, le parterre, avait quinze rangées de bancs, ne laissant aucune place pour les spectateurs debout. Au lieu des foules trop nombreuses qui fréquemment se trouvaient dans le parterre, de Wailly peuplait ses dessins d’un parterre assis avec une demi-douzaine de figures d’hommes qui parlaient calmement ou regardaient la pièce. Il retirait la foule, qui auparavant occupait le parterre jusqu’au troisième balcon, de la vue des spectateurs qui achetaient les places très chères des premier et deuxième balcons. Le remplacement du parterre debout par de larges bancs créa un vide au centre de l’espace social façonné par la structure de de Wailly; l’agitation des balcons contrastait vivement avec l’absence d’une activité humaine dans le parterre. L’architecte offrait aux clients et au salon public une image expurgée du monde social du théâtre, une image où le tumulte du parterre debout serait dissimulé à la vue du troisième balcon et du paradis. Dans cette vision architecturale, qui assumait cette volonté de discipline commune aux textes de Blondel et de Ledoux, les habitués du parterre ne seraient plus capables de gêner les événements de la soirée. Les écrivains et les acteurs qui commençaient à parler sérieusement en faveur d’un parterre assis en 1777 partageaient les inclinations de ces architectes.
71À la fin des années 1770, des plans circulaient à Paris et à la Cour pour construire de nouveaux théâtres pour les trois troupes privilégiées de la ville.
72Dans ce contexte, la question du parterre assis devint impérative, suite à un article de Jean-François de la Harpe en 1777. Compte rendu de la pièce de Jean-François Cailhava de l’Estendoux intitulée L’Égoïsme, ce texte parut dans un périodique récemment censuré et intitulé Journal de politique et de littérature [71]. La Harpe, un des philosophes de seconde génération qui consolidait le pouvoir institutionnel et le prestige accumulé par Voltaire, Rousseau, Diderot et leurs contemporains, était un critique littéraire impopulaire qui se trouvait constamment attaqué et satirisé dans les journaux [72]. Dans sa critique de la pièce de Cailhava, il dénonçait ce qu’il percevait comme une réaction au théâtre injustement négative lors de la première soirée, tandis qu’à la deuxième soirée, le parterre rempli d’hommes payés pour applaudir la pièce avait apporté une réponse positive. Il fit néanmoins bien plus que de critiquer simplement le parterre, dans son appel à l’action :
© Musées de la Ville de Paris by Spadem. (Phototèque)
© Musées de la Ville de Paris by Spadem. (Phototèque)
« Il est temps, il faut l’avouer, que cette ridicule indécence de nos représentations tumultueuses, livrées à une cabale qui crie, tandis que les honnêtes gens se taisent, fait place enfin à l’ordre convenable & nécessaire qui doit régner dans des spectacles, d’ailleurs aussi perfectionnées que les nôtres. Les personnes principales chargées de veiller à leur maintien & à leur progrès, ont compris qu’il n’y avoit qu’un moyen de prévenir la décadence entière du théâtre; c’est d’asseoir le Parterre. Nous touchions au moment de cette révolution [73]. »
74Le texte de La Harpe indique ses sympathies : tous les problèmes des théâtres privilégiés de Paris, y compris le règne de la cabale, le recul des manières et du bon goût, l’incapacité de soutenir et nourrir les dramaturges « doués », tout cela pouvait être éradiqué par le simple expédient d’un parterre assis. Dans la chaleur de ses passions journalistiques, La Harpe réfuta avec fougue ceux qui défendaient à tort le manque d’attention d’un parterre assis. À ceux qui objectaient qu’un parterre assis serait moins attentif, et par conséquent moins passionné, La Harpe opposa l’expérience du Concert Spirituel et, bien sûr, les assemblées de l’Académie Française; dans les deux cas, affirmait-il, un public assis n’est pas moins attentif à cause de son nouveau confort !
75Les commentaires de La Harpe soulevèrent des réponses immédiates et souvent polémiques, mais aussi le soutien d’autres personnes qui étaient de son avis [74]. La défense la plus puissante du parterre debout avant l’installation des bancs à la Comédie-Française en 1782, parut dans le Supplément à l’Encyclopédie. Reprenant l’article « Parterre » en 1777, Marmontel y analyse le parterre d’une façon sensiblement différente de ceux qui cherchaient à discipliner ses membres et à éradiquer les restes de la culture populaire [75]. Le contraste fondamental entre ceux qui souhaitaient asseoir le parterre et Marmontel se retrouve dans la croyance de ce dernier, selon laquelle un public debout est plus vigoureux et par conséquent plus juste dans son jugement, qu’un public assis et indolent [76]. Les spectateurs du parterre, écrit-il dans le Supplément, sont les moins riches, les moins raffinés et sans bonnes manières. Mais ils sont aussi les moins altérés, les moins prétentieux et les moins décadents [77]. Ces hommes sont de vieux habitués des théâtres et leur longue expérience de la scène leur a fourni un instinct de comparaison et de bon goût. Selon Marmontel, le manque de vernis social du parterre est un mérite; l’instinct du parterre lui sert bien quand il doit évaluer les pièces sur le champ.
76Néanmoins, croyait Marmotel, l’incorruptibilité innée du parterre est insuffisante pour apprécier pleinement les beautés et les leçons morales de la scène. Le fait que le parterre réussisse à saisir le plein impact de l’expérience théâtrale est dû à la présence et au jugement d’un petit nombre d’hommes hautement éclairés : « La multitude les écoute, et elle n’a pas la vanité d’être humiliée de leurs leçons [78]… » Marmontel attribuait cette vanité à l’influence efféminante des loges; faute de femmes au parterre, le goût de celui-ci peut être moins délicat, mais il est aussi « moins capricieux, et surtout plus mâle, et plus ferme ». Le parterre incarne ainsi le parfait mélange masculin de l’instinct et de la raison : « Il est composé d’hommes sans culture et sans prétentions, dont la sensibilité ingénue vient se livrer aux impressions qu’elle recevra du spectacle et qui, de plus, suivant l’impulsion qu’on leur donne, semblent ne faire qu’un esprit et qu’une âme avec ceux qui, plus éclairés, les font penser et sentir avec eux [79]. » Une poignée de philosophes et les masses masculines travaillent ensemble au tribunal du parterre, pour passer un jugement unanime et infaillible sur les pièces. Le parterre debout fournit ainsi, selon Marmontel, la synthèse ultime du philosophe et des gens, de l’apprentissage humain et de l’instinct naturel qui garantit le bon goût et l’épanouissement de la civilisation.
77À la fin de son article, Marmontel souligne les effets néfastes d’un parterre assis, dans une langue héritée du discours politique typique de la période qui précède juste la Révolution. Sans la libre communication de l’émotion et de l’opinion qui existe dans le parterre debout, les spectateurs ne pourraient jamais atteindre une décision commune; le caprice, la vanité et la fantaisie qui règnent dans les loges s’empareraient du parterre, avec de graves conséquences : «… si le parterre tel qu’il est ne captivait pas l’opinion publique, et ne la réduisait pas à l’unité en la ramenant à la sienne, il y aurait le plus souvent autant de jugements divers qu’il y a de loges au spectacle, et que de longtemps le succès d’une pièce ne serait unanimement ni absolument décidé » [80]. Cette peur de la division, crainte fondamentale dans la culture politique de l’Ancien Régime, conduit Marmontel à user de termes qui soulignent sa conscience de la signification politique de l’activité du parterre. Une fois assis, écrit-il, la « démocratie » du parterre dégénérerait en une « aristocratie », ce qui conduirait à moins de liberté, d’ingénuité, de chaleur, de franchise et d’intégrité. C’est d’un parterre libre que viennent les applaudissements, écrit Marmontel, et les applaudissements sont « la sanction publique des jugements intimes ». Dans un spectacle sans applaudissements, comme dans une organisation politique sans représentation, l’âme des spectateurs est isolée et leurs opinions insignifiantes.
78L’argument de Marmontel montre que la question du parterre cristallisait plusieurs problèmes du XVIIIe siècle. Le débat sur les mérites respectifs de la culture populaire et de la culture de l’élite était transposé dans la réflexion sur l’architecture des salles de théâtre. La Harpe avait plaidé pour une séparation de ces deux mondes, avec un système à deux gradins, des théâtres de boulevard et des théâtres privilégiés. L’appel au « bons sens » du parterre debout fait cependant écho à une apologie rousseauiste du jugement des gens simples, non corrompus par l’artificialité de la société du XVIIIe siècle. Contrairement à Rousseau, Marmontel localise ces vertus naturelles dans le parterre des théâtres publics [81]. Pour La Harpe, un public du théâtre existait déjà, dans sa capacité à construire par son regard aussi bien le spectacle que la société bien disciplinée qui regardait. Ce « public » était une entité collective qui se trouvait quelque part au-dessus ou au-delà de la présence physique du parterre; le regard public devait être employé pour contenir les excès corporels des spectateurs. Au contraire, Marmontel laissait entendre que les hommes debout dans le parterre constituaient le public. Le spectateur debout prêtait attention à la scène, croyait Marmontel, parce qu’il venait pour voir la pièce. Ce processus était réciproque, puisqu’il était plus facile de toucher l’âme quand on est debout dans un parterre plein de monde. Le corps devenait ainsi un conduit entre les passions évoquées sur scène et l’âme individuelle à laquelle elles étaient destinées. En d’autres termes, le corps servait de lien entre les idées philosophiques et le comportement politique vertueux des masses. Des bancs dans le parterre, selon les propos de Marmontel, gêneraient la démocratie du public.
79Durant le demi-siècle suivant, pendant la Révolution, l’Empire et la Restauration, c’est l’idée que Marmontel avait du parterre, et non celle de La Harpe, qui l’emporta. Lorsque Tocqueville écrit De la Démocratie, il est clair que le théâtre public, et les régimes politiques en général, allaient vers plus d’égalité entre le haut et le bas, entre les loges et le parterre. « Le parterre y a souvent fait des lois aux loges », écrit-il ironiquement en 1835. Les graines d’une violente révolution sociale étaient en germe dans les murs des théâtres royaux de l’Ancien Régime.
80 (traduction de l’auteur, revue par Philippe Minard)
Notes
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[1]
Alexis de TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique ( 1835), Paris, J. Vrin, 1990, t. II, p. 79. Cet article est tiré du livre dont je suis l’auteur, The Contested Parterre : Public Theater and French Political Culture, 1680-1791, Ithaca, Cornell University Press, 1999; je tiens à remercier M. Lylian Bourgois, qui m’a aidé à préparer l’article. Pour un aperçu du parterre antérieur au mien, moins critique des sources mais qui insiste sur la valeur politique du parterre, voir Aristide PRAT, « Le parterre au XVIIIe siècle », La Quinzaine, t. LXVIII, février 1906, p. 388-412. Pour le théâtre du siècle des Lumières dans toutes ses dimensions politiques, sociales, et culturelles, voir Martine de ROUGEMONT, La Vie théâtrale en France au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 1988; et Pierre GOUBERT et Daniel ROCHE, Les Français et l’Ancien Régime. Tome 2 : Culture et société, Paris, Armand Colin, rééd. 2000, p. 255-268.
-
[2]
Henri LAGRAVE, Le Théâtre et le public à Paris de 1715 à 1750, Paris, Klincksieck, 1972, p. 207-258. Bien que le travail de Lagrave se limite chronologiquement aux trente-cinq années au début du règne de Louis XV, ses thèses restent souvent valables pour la plus grande partie du XVIIIe siècle, au moins jusqu’à 1774. John LOUGH, Paris Theater Audiences in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Londres, Oxford University Press, 1957, s’occupe exclusivement de la Comédie-Française.
-
[3]
Ce « public riche » s’asseyait partout dans la salle de spectacle; voir le récit dans le journal du voyageur allemand J. C. Nemeitz du début du XVIIIe siècle, cité par LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 232.
-
[4]
LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 234-236, pour le salaire journalier d’un ouvrier de l’époque.
-
[5]
LAGRAVE, Le Public et le théâtre…, op. cit., p. 241-244, se base uniquement sur le travail de Frantz FUNCK -BRENTANO, La Bastille des comédiens. Le For l’Évêque, Paris, Minerva, 1903, et surtout p. 258-302, c’est-à-dire un traitement anecdotique des arrêts des spectateurs tiré d’une partie des dossiers qui existaient aux Archives de la Bastille, conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal (désormais BA).
-
[6]
Archives Nationales, Paris (désormais AN) Y 10719-17623, papiers des commissaires du Châtelet.
-
[7]
AN Y 13388,6 octobre 1762; BA ms 12025, f. 70,82, et AN Y 11337,17 octobre 1758; AN Y 13388,24 novembre 1762.
-
[8]
J. LOUGH, Paris Theatre Audiences…, op. cit., organise son analyse des spectateurs des deux siècles sous des rubriques de l’« aristocratie », la « bourgeoisie », et la « plèbe ». Lagrave, à lui, confirme que « la tragédie [est] faite pour les grandes, la comédie pour les bourgeois, et la farce pour la peuple… » (H. LAGRAVE, Le Public et le théâtre…, op. cit., p. 251.) En plus, Lagrave révèle un mépris regrettable pour les pratiques de ces spectateurs, qu’il rejette comme des « enfants dissipés », incapables d’apprécier la « communion artistique » qui se passait au théâtre. ( Ibid., p. 445.)
-
[9]
Sur l’histoire sociale de Paris au XVIIIe siècle, voir notamment Daniel ROCHE, Le Peuple de Paris, Paris, Aubier Montaigne, 1981; Arlette FARGE, La Vie fragile, Paris, Hachette, 1986; David GARRIOCH, Neighbourhood and Community in Paris, 1740-1790, Cambridge, Cambridge University Press, 1986; and Thomas BRENNAN, Public Drinking and Popular Culture in Eighteenth-Century Paris, Princeton, Princeton University Press, 1988.
-
[10]
BA ms 11515, f. 226-227.
-
[11]
BA ms. 11748, f. 36-49. BA ms 11650, f. 437-41, BA ms 11671, f. 92-104, et BA ms 11688, f. 119-20 contiennent des récits des conflits pareils.
-
[12]
Sur Toussaint, voir BA ms 10295, f. 65-66; BA ms 11073, f. 337-338; et Services Historiques de l’Armée de la Terre, Vincennes (désormais SHAT) Ya 274, chemise « discipline »; sur les voleurs de 1758, voir BA ms 12058.
-
[13]
Louis-Sébastien MERCIER, Tableau de Paris, Amsterdam, 1783-1789, t. VI, p. 121-122. On a remarqué la même chose à Angers en 1775 : J. RAVEL, The Contested Parterre, op. cit., p. 175.
-
[14]
BA ms 10295, f. 95-96; voir un projet pour réformer la caisse aux théâtres dans le Journal de Paris, 27 décembre 1777,3-4.
-
[15]
LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 76-89.
-
[16]
LAGRAVE, Le Théâtre et le public…, op. cit., p. 79,90, fn. 51.
-
[17]
ROUGEMONT, La Vie théâtrale…, op. cit., p. 161, sur l’éclairage des salles de spectacle, qui suggère que la situation s’améliorait vers la fin du siècle.
-
[18]
BA ms 11317, f. 182.
-
[19]
BA ms 11514, f. 216.
-
[20]
BA ms 11607, f. 228-229; BA ms 11684, f. 248.
-
[21]
BA ms 11684, f. 248; pour d’autres exemples, voir BA ms 11757, f. 260-9; et BA ms 11778, f. 175-181.
-
[22]
Journal de Paris, 20 mai 1777,3-4; et une réponse, ibid., 28 mai 1777,2-3.
-
[23]
BA ms 11218, f. 388-389; BA ms 11534, f. 231.
-
[24]
BA ms 11537, f. 124-125.
-
[25]
BA ms 11681, f. 282-293; autres exemples du cri « ouvrez les loges »: BA ms 11394, f. 15-18; BA ms 11481, f. 269-279; BA ms 11514, f. 214-218; BA ms 11683, f. 23-34; BA ms 11818, f. 69-72; BA ms 12117, f. 2-15.
-
[26]
ROUGEMONT, La Vie théâtrale…, op. cit., p. 155-172, sur l’architecture théâtrale en France au XVIIIe siècle.
-
[27]
Victor FOURNEL, Curiosités théâtrales, anciennes et modernes, françaises et étrangères nouvelle édition, Paris, Garnier frères, 1878, p. 163; Jean-Barthelémy de la PORTE et Jean-Marie-Bernard CLÉMENT, Anecdotes dramatiques, Paris, Veuve Duchesne, 1775, t. 1, p. 256. Sur les pickpockets : Patrice PEVERI, « Les Pickpockets à Paris au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXIX/1, janvier-mars 1982, p. 3-35.
-
[28]
BA ms. 11723, f. 2-3.
-
[29]
BA ms 12025, f. 1-237; AN Y 10872-3 et Y 11337.
-
[30]
Arrêt imprimé du 11 mars 1760 à AN Y 11337.
-
[31]
Voir la discussion récente menée par Étienne ANHEIM et Benoît GRÉVIN, « Le procès du Procès de civilisation : nudité et pudeur selon H. P. Duerr », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48-1, janvier-mars 2001, p. 160-181.
-
[32]
LAGRAVE, Le Theâtre et le public…, op. cit., p. 423; William L. WILEY, The Early Public Theatre in France, Cambridge MA, Harvard University Press, 1960, p. 224.
-
[33]
BA ms 10789, f. 4-5.
-
[34]
BA ms 11432, f. 2.
-
[35]
Louis Petit de BACHAUMONT et al., Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, Londres, John Adamson, t. X, p. 11-12.
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Berthe était « payeur des rentes de l’hôtel de ville »; ces offices vénales coûtaient entre 150000 et 600000 livres au XVIIIe siècle, selon Marcel MARION, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1923, p. 435-436.
-
[38]
BA ms 11737, f. 303.
-
[39]
Ibid., f. 307.
-
[40]
Ibid., f. 307.
-
[41]
LAGRAVE, Le Public et le théâtre…, op. cit., p. 510-540, donne des extraits de plusieurs sources littéraires qui évoquent ce thème.
-
[42]
Friedrich Melchior GRIMM, et al., Correspondance littéraire, philosophique, et critique, Paris, Garnier frères, 1877-1882, t. XII, p. 70.
-
[43]
BN ms. fr. 22135, pièce 90, ff. 164r-164v. Cet incident, et la période où Madame de Beaumer était rédactrice en chef du Journal des Dames, font l’objet d’un chapitre de Nina R. GELBART, Feminine and Opposition Journalism in Old Regime France : Le Journal des Dames, Berkeley, University of California Press, 1987, p. 95-132.
-
[44]
George SAND, Histoire de ma vie, Paris, 1928, t. 4., p. 81.
-
[45]
« Journal de la jeunesse du Marquis de Mirabeau », Revue rétrospective, t. IV, 1834, p. 368.
-
[46]
Sur l’homosexualité masculine au XVIIIe siècle : Bryant T. RAGAN, Jeffrey MERRICK (ed.) Homosexuality in Modern France, New York, Oxford University Press, 1996; et Ibid., Homosexuality in Early Modern France : A Documentary Collection, New York, Oxford University Press, 2001.
-
[47]
BA ms 10856, f. 44-45.
-
[48]
Jacques CASANOVA, The Memoirs of Jacques Casanova, Leonard Louis Levinson (édit.), New York, Collier Books, 1958, p. 127.
-
[49]
BA ms 11700, f. 230; autres exemples : BA ms 11024, f. 140-142; BA ms 11230, f. 297-299; et BA ms 11326, f. 11-13.
-
[50]
Cornell University, Ithaca NY, Carl A. Kroch Library, Rare and Manuscript Collections, Maurepas Collection, 2.083.
-
[51]
BA ms. 11684, f. 248.
-
[52]
Abbé de CONDILLAC, Essai sur l’origine des connaissances humaines, Paris, 1924, p. 18.
-
[53]
Denis DIDEROT, « Réponse à la lettre de Madame Riccoboni,» cité dans Marie-Hélène HUET, Rehearsing the Revolution :The Staging of Marat’s Death, Berkeley, University of California Press, 1982, p. 31-32.
-
[54]
Sur les débats autour de la thèse d’Habermas : Mona OZOUF, « Public Opinion at the End of the Old Regime », Journal of Modern History, t. LX, supplément (septembre 1988, p. S1-S21; Keith Michael BAKER, « Public Opinion as Political Invention », in Inventing the French Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 167-199; Roger CHARTIER, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990, p. 32-52; Dale van KLEY, « In Search of Eighteenth-Century Parisian Public Opinion », French Historical Studies, t. XIX, printemps 1995, p. 215-226; Harold MAH, « Phantasies of the Public Sphere : Rethinking the Habermas of Historians », Journal of Modern History, t. LXXII, mars 2000, p. 153-182.
-
[55]
Jeffrey S. RAVEL, « La Reine boit ! Print, Performance, and Theater Publics in France, 1724-1725 », Eighteenth-Century Studies, t. XXIX, été 1996, p. 391-411.
-
[56]
Voir, pour exemple, Theodore BESTERMANN (édit.), Voltaire’s Correspondence Geneva, 1953-1964, t. I, p. 297-301.
-
[57]
Supplément à l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Amsterdam, Rey, 1776, t. II, p. 88-89.
-
[58]
VOLTAIRE, Les Cabaleurs, 1772, dans Œuvres de Voltaire, M. BEUCHOT (édit.), Paris, Lefèvre, 1833, t. XIV, p. 255-268; citation dans la note aux p. 256-257.
-
[59]
« Journal de la jeunesse du Marquis de Mirabeau », op. cit., t. IV, p. 368-372.
-
[60]
Peut-être une signe de l’anti-cléricalisme du siècle ? Sur ce sujet au début du XIXe siècle, voir Sheryl KROEN, Politics and Theater :The Crisis of Legitimacy in Restoration France, 1815-1830, Berkeley, University of California Press, 2000, qui, inter alia, anime des débats après la Révolution autour du chef-d’œuvre de Molière.
-
[61]
Thomas-Simon GUEULETTE, Notes et souvenirs sur le théâtre italien au XVIIIe siècle, Paris, E. Droz, 1938, p. 53-55; BA ms 11957, f. 134-142. Gueullette était un avocat qui, aux années 1720, a écrit des pièces pour la Comédie-Italienne; il connaissait la plupart des comédiens de la troupe italienne pendant la première moitié du XVIIIe siècle.
-
[62]
GUEULETTE, Notes et souvenirs, op. cit., p. 54.
-
[63]
GUEULETTE, Notes et souvenirs, op. cit., p. 55.
-
[64]
François HÉDELIN, Abbé d’AUBIGNAC, Pour le rétablissement du Théâtre François, in Pierre MARTINO (édit.), La Pratique du Théâtre, Paris, Champion, 1927, p. 397. J’ai étudié assez longuement ces débats sur le parterre assis in « Seating the Public : Spheres and Loathing in the Paris Theaters, 1777-1788 », French Historical Studies, t. XVIII, printemps 1993, p. 173-210.
-
[65]
VOLTAIRE, « Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne », in Œuvres complètes de Voltaire, Paris, 1877, t. IV, p. 487-503.
-
[66]
VOLTAIRE, « Dissertation », op. cit., p. 499.
-
[67]
Pour exemple, Bricaire de la DIXMÉRIE, Lettre sur l’état present de nos spectacles, Amsterdam, 1765; et Correspondance littéraire, op. cit., t. VII, p. 450-451.
-
[68]
Jacques-François BLONDEL, Cours d’architecture, ou Traite de la decoration, distribution & construction des batiments…, Paris, Desaint, 1771-1777, t. II, p. 266.
-
[69]
Cité dans Jacques RITTAUD -HUTINET, La Vision d’un futur :Ledoux et ses théâtres, Lyon, presses universitaires de Lyon, 1982, p. 132-133.
-
[70]
Michel GALLET, « Un Projet de Charles de Wailly pour la Comédie-Française », Bulletin du Musée Carnavalet, t. I., juin 1965, p. 3-18; et Monika STEINHAUSER et Daniel RABREAU, « Le Théâtre de l’Odéon de Charles de Wailly et Marie-Joseph Peyre, 1767-1782 », Revue de l’art, t. XIX, 1973, p. 8-49.
-
[71]
Journal de politique et de littérature, juillet 1777, p. 307-308. Au mois d’août 1776, Panckouke, propriétaire du journal, avait remplacé l’ancien rédacteur en chef, l’avocat Linguet, avec La Harpe; voir Christopher TODD, Voltaire’s Disciple : Jean-François de la Harpe, London, Modern Humanities Research Association, 1972, p. 25-26.
-
[72]
Pour La Harpe aux années 1770, voir TODD, Voltaire’s Disciple, op. cit., p. 22-41; et Alexandre JOVICEVICH, Jean-François de la Harpe, adepte et renégat des lumières, South Orange NJ, Seton Hall University Press, 1973, p. 91-130.
-
[73]
Journal de Politique, op. cit., p. 307.
-
[74]
Voir RAVEL, « Seating the public », art. cit., p. 191, n. 46, pour des réponses positives et négatives à la polémique de La Harpe.
-
[75]
Jean-François MARMONTEL, « Parterre », dans Supplément à L’Encyclopédie, op. cit., t. IV, p. 241-242. Réédité avec des révisions légères dans Jean-François MARMONTEL, Éléments de littérature, Paris, 1787; rpt. Paris, 1867, t. III, p. 83-88.
-
[76]
Sur Marmontel, voir Frank A. KAFKER et Serena L. KAFKER, The Encyclopedists as Individuals : A Biographical Dictionary of the Authors of the Encyclopedia, Oxford, SVEC, t. CCLVII, 1988, p. 248-254; et le premier chapitre de Michael CARDY, The Literary Doctrines of Jean-François Marmontel, Oxford, SVEC, t. CCX, 1982.
-
[77]
MARMONTEL, « Parterre », op. cit., p. 241.
-
[78]
Ibid.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
MARMONTEL, « Parterre », op. cit., p. 242.
-
[81]
MARMONTEL, L’Art du théâtre, Paris, 1761, a réfuté la polémique contre le théâtre, lancée par Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles ( 1758).