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Article de revue

Circulation des idées : dynamiques sociales et conceptuelles dans le transfert des doctrines socialistes de la France à la Pologne (1831-1848)

Pages 163 à 179

Notes

  • [1]
    Sur l’impact de la presse dans l’émergence et le développement du socialisme : Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert, François Jarrige (dir.), Quand les socialistes inventaient l’avenir. Presse, théories et expériences, 1825-1860, Paris, La Découverte, 2015.
  • [2]
    Fait notable, si ce sujet n’a été que partiellement abordé dans la littérature anglophone, un ouvrage y a été consacré en français : Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes 1785-1842, Paris, Éditions des Malassis, 2013 [rééd.], [Karl-Marx Haus, 1989]. Ce travail offre un aperçu de la diffusion internationale du vocabulaire socialiste, en accordant une attention particulière à l’activité intellectuelle des réfugiés allemands.
  • [3]
    « Pour en finir avec le socialisme “utopique” », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 124, 2014.
  • [4]
    Voir notamment : Peter Burke, “Context in Context”, Common Knowledge, vol. 8, 2002/1, p. 152-177 ; Alexander Weiß, « Kontexte ? Welche Kontexte ? Ein hypothetischer Kontextbegriff für die inter-und transkulturelle Ideengeschichte », in Lino Klevesath, Holger Zapf (dir.), Demokratie-Kultur-Moderne. Perspektiven der politischen Theorie, Münich, Oldenbourg, 2011, p. 103-120.
  • [5]
    Michael Werner, Bénédicte Zimmermann, « Vergleich, Transfer, Verflechtung. Der Ansatz der Histoire croisée und die Herausforderung des Transnationalen » [« Comparaison, transfert, intégration. L’approche de l’Histoire croisée et le défi de la transnationalité »], Geschichte und Gesellschaft, vol. 28, 2002/4, p. 607-636 ; Arnault Skornicki, Jérôme Tournadre, La Nouvelle histoire des idées politiques, Paris, La Découverte, 2015, p. 93-96.
  • [6]
    William H. Sewell, Work and Revolution in France. The Language of Labor from the Old Regime to 1848. Cambridge/New York, Duke University Press, 1980, p. 143-146.
  • [7]
    Voir notamment : François Jarrige (dir.), Dompter Prométhée : technologies et socialismes à l’heure romantique, (1820-1870), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2016.
  • [8]
    François Fourn, Étienne Cabet ou le temps de l’utopie, Paris, Vendémiaire, 2014.
  • [9]
    Le cas de Jański nécessite quelques précisions, car il est devenu très tôt une figure assez importante au sein du mouvement saint-simonien. En juin 1831, il est inscrit comme membre de la famille saint-simonienne, quoiqu’au troisième rang hiérarchique, soit le plus bas. Il est également envoyé par le mouvement en Grande-Bretagne, probablement pour y recruter de nouveaux sympathisants de la doctrine de Saint-Simon : Bolesław Micewski, Bogdan Jański : założyciel Zmartwychwstańców 1807-1840 [Bogdan Jański : le fondateur des Résurrectionnistes 1807-1840], Varsovie, Ośrodek Dokumentacji i Studiów Społecznych, 1983, p. 87-98.
  • [10]
    Jan Turowski, Utopia społeczna Ludwika Królikowskiego 1799-1878 [L’Utopie sociale de Ludwik Królikowski 1799-1878], Varsovie, Instytut Wydawniczy PAX, 1958.
  • [11]
    Voir ses articles publiés dans Gazeta Polska dans la période juin-août 1831.
  • [12]
    Krzysztof Marchlewicz, Wielka emigracja na Wyspach Brytyjskich (1831-1863) [La Grande Émigration polonaise au Royaume-Uni (1831-1863)], Poznań, Instytut Historii UAM, 2008 ; Idesbald Goddeeris, La Grande Émigration polonaise en Belgique, 1831-1870 : élites et masses en exil à l’époque romantique, Berne, Peter Lang, 2013.
  • [13]
    Sławomir Kalembka, Wielka Emigracja. Polskie wychodźstwo polityczne w latach 1831-1862 [La Grande Émigration. L’exil politique polonais dans les années 1831-1862], Varsovie, Wiedza Powszechna, 1971.
  • [14]
    Décrit en détail par Jan Nepomucen Janowski dans ses mémoires : Jan Nepomucen Janowski, Notatki autobiograficzne 1803-1853 [Notes autobiographiques 1803-1853], Wrocław, Marian Tyrowicz éditeur, 1950, p. 98-99.
  • [15]
    Delphine Diaz, « Une morale collective de l’engagement révolutionnaire en exil. Les réfugiés polonais en France sous la monarchie de Juillet », in Sébastien Hallade (dir.), Morales en révolutions : France, 1789-1940, Rennes, PUR, 2015, p. 164.
  • [16]
    Sławomir Kalembka, Wielka Emigracja, op. cit.
  • [17]
    Adam Lewak, « Czasy Wielkiej Emigracji » [« Le temps de la Grande Émigration »], in Aleksander Bruckner et al. (dir.) Polska, jej dzieje i kultura [La Pologne, son histoire et sa culture], vol. 3, Cracovie, Drukarnia Narodowa, 1930, p. 193-233 ; Władysław Marek Kolasa, « Prasa Wielkiej Emigracji (1832-1870) w polskim prasoznawstwie » [« La presse de la Grande Émigration (1832-1870) dans les études de presse polonaises »], Zeszyty Prasoznawcze, vol. 56, 2015/3, p. 389-400.
  • [18]
    Przyszłość, 1834/1, p. 1.
  • [19]
    Ibid., p. 23.
  • [20]
    Bruno Viard, Pierre Leroux, penseur de l’humanité, Cabris, Sulliver, 2009.
  • [21]
    Henryk Głębocki, « Diabeł Asmodeusz » w niebieskich binoklach i kraj przyszłości. Hr. Adam Gurowski i Rosja, [« Le diable Asmodeus » aux yeux bleus et le pays du futur. M. Adam Gurowski et la Russie], Cracovie, ARCANA, 2012.
  • [22]
    Le procès-verbal des litiges de correspondance qui eurent lieu à cette époque est disponible dans : Okólniki Towarzystwa Demokratycznego Polskiego 1834-1836 [Circulaires de la Société démocratique polonaise 1834-1836], Poitiers, [sans ed.], [sd.].
  • [23]
    Peter Brock, “The Birth of Polish Socialism”, Journal of Central European Affairs, vol. 13, 1953/3, p. 213-231.
  • [24]
    Zenon Świętosławski (dir.), Lud polski w emigracji 1835-1846 [Les Polonais en exil 1835-1846], Jersey, Druck, 1854, p. 137-142.
  • [25]
    Ibid., p. 97.
  • [26]
    Ibid., p. 3.
  • [27]
    Félicité Robert de Lamennais, Księgi ludu [Livre du peuple], trad. Jan Nepomucen Janowski, Poitiers, 1838.
  • [28]
    Ibid., p. 98-100.
  • [29]
    Albert Laponneraye, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [1793], avec des commentaires par le citoyen Laponneraye, Paris 1833. Ce texte était inclus dans la brochure Krótki katechizm polityczny, que Janowski édita à Agen en 1834.
  • [30]
    François-Vincent Raspail, De la Pologne sur les bords de la Vistule et dans l’émigration, Paris, Chez l’éditeur Rue Neuve-D’Orléans, 1834.
  • [31]
    Leonard Rettel, « Rozbiór dzieła Piotra Leroux o ludzkości » [« L’analyse des travaux de Pierre Leroux sur l’humanité »], Pismo Towarzystwa Demokratycznego Polskiego (Journal de la Société démocratique polonaise), vol. 2, 1840, p. 324-342.
  • [32]
    C’était une traduction d’un extrait de l’introduction de PhilippeBuchez, Pierre-Célestin Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française, Paris, Paulin Libraire, parue dans Demokrata Polski, vol. 2, n° 6, 19 janvier 1839, p. 45-48.
  • [33]
    Michael D. Sibalis, « Jan Czynski. Jalons pour la biographie d’un fouriériste de la Grande Émigration polonaise », Cahiers Charles Fourier, 1995/6, p. 59-84 ; Adam Gałkowski, Polski patriota-obywatel Europy : rzecz o Janie Czyńskim (1801-1867) [Patriote polonais d’Europe : à propos de Jan Czyński (1801-1867)], Varsovie, Wydawnictwo Neriton, 2004. En 1840, Czyński utilisa pour la première fois l’adjectif « prolétarien », comme le notait à juste titre Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism, op. cit., p. 217.
  • [34]
    Piotr Kuligowski, “The Utopian Impulse and Searching for the Kingdom of God: Ludwik Królikowski’s (1799-1879) Romantic Utopianism in Transnational Perspective”, Slovene, vol. 7, 2018/2, p. 199-226.
  • [35]
    Étienne Cabet, Le Vrai Christianisme suivant Jésus-Christ, Paris, Le Populaire, 1848, p. 6.
  • [36]
    Stanisław Bratkowski, Kilka myśli dla Polski [Quelques pensées pour la Pologne], Nantes, Charpentier, 1840, p. 44.
  • [37]
    Demokracja Polska w xix w., 1845-1846 [La Démocratie polonaise au xixe siècle].
  • [38]
    Józef Żmigrodzki, Towarzystwo Demokratyczne Polskie, 1832-1862 [La Société démocratique polonaise, 1832-1862], vol. 1, Londres, Ksiȩgarnia Stowarzyszenia Polskich Kombatantów, 1983, p. 390.
  • [39]
    Piotr Kuligowski, « Communisme précoce dans une perspective transnationale : le cas des idées politiques de Ludwik Królikowski », trad. Lucie Guesnier, Cahiers Jaurès, n° 234, 2019/4, p. 89-106. On rectifie ici Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism, op. cit., p. 25-27.
  • [40]
    Jacques Guilhaumou, Sonia Branca-Rosoff, « De “société” à “socialisme” : l’invention néologique et son contexte discursif. Essai de colinguisme appliqué », Langage et société, n° 83-84, 1998, p. 39-77.
  • [41]
    Zenon Świętosławski (dir.), Lud polski w emigracji, op. cit., p. 3-5.
  • [42]
    « Discours de Czartoryski du 29 novembre 1846 », Mowy X.A. Czartoryskiego [Discours de X.A. Czartoryski], Paris, 1847, p. 111.
  • [43]
    Orzeł Biały [Aigle blanc], vol. 5, n° 6, 30 mars 1844, p. 24.
  • [44]
    Leonard Rettel, « Rozbiór dzieła Piotra Leroux o ludzkości », art. cit., p. 324-342.
  • [45]
    Une observation similaire a été faite par Franciszek Pepłowski, Słownictwo i frazeologia polskiej publicystyki okresu oświecenia i romantyzmu [Vocabulaire et phraséologie du journalisme polonais à l’époque des Lumières et du romantisme], Poznań, Państwowy Instytut Wydawniczy, 1961, p. 122.
  • [46]
    Jan Czyński, « Urządzenie gminy » [« L’organisation de la commune »], Polska Chrystusowa, vol. 1, n° 2, 1843 ; Stanisław Bratkowski, Kilka myśli dla Polski, op. cit.
  • [47]
    Jan Czyński, « Urządzenie gminy », art. cit., p. 404-406.
  • [48]
    Piotr Kuligowski, « Ouvriers, proletrjat, czy stan czwarty ? Konceptualizacje klasy robotniczej w kręgach polskiej lewicy (1832-1892) » [« Ouvriers, prolétariat ou quatrième État ? Conceptualisations de la classe ouvrière dans les cercles de la gauche polonaise (1832-1892) »], Praktyka Teoretyczna, n° 23, 2017/1, p. 160-194.
  • [49]
    Piotr Kuligowski, “The Pathogenesis of the Public Sphere in Exile: Anarchy and Unity in the Political Thought and Mentality of the Great Polish Emigration”, Kwartalnik Historyczny [Trimestre historique], vol. 126, 2019, p. 61-96.
  • [50]
    Krzysztof Marchlewicz, Wielka emigracja, op. cit., p. 126-128.
  • [51]
    Sławomir Kalembka, Towarzystwo Demokratyczne Polskie w latach 1832-1846 [Société démocratique polonaise dans les années 1832-1846], Toruń, TNT, 1966, p. 173.
  • [52]
    Alina Barszczewska-Krupa, «  Udział firm księgarskich i drukarskich w infiltracji nielegalnej literatury emigracyjnej do kraju w latach 1832-1862 » [« La participation des entreprises du livre et de l’imprimerie à l’infiltration de la littérature illégale émigrée dans le pays dans les années 1832-1862 »], in id., Emigracja i kraj : wokół modernizacji polskiej świadomości społecznej i narodowej 1831-1863 [L’émigration et le pays : autour de la modernisation de la conscience sociale et nationale polonaise 1831-1863], Łódź, Wydawnictwo Uniwersytetu Łódzkiego, 1999, p. 38.
  • [53]
    Bolesław Łopuszański, Stowarzyszenie Ludu Polskiego (1835-1841). Geneza i dzieje [Association du peuple polonais (1835-1841). Genèse et histoire], Cracovie, Wydawnictwo Literackie Kraków, 1975.
  • [54]
    Maria Janion, « Zapaleńcy epoki paskiewiczowskiej » [« Les passionnés de l’ère de Paskiewicz »], in id., Romantyzm i jego media [Le romantisme et ses médias], Cracovie, Universitas, 2001, p. 340-385.
  • [55]
    Janusz Berghauzen, Ruch patriotyczny w Królestwie Polskim 1833-1850 [Le Mouvement patriotique dans le Royaume de Pologne 1833-1850], Warszawa, PWN, 1974, p. 84.
  • [56]
    Alina Barszczewska-Krupa, « Cenzura państw zaborczych wobec nielegalnej literatury emigracyjnej w kraju (1831-1863) » [« La censure envers la littérature illégale des émigrés en Pologne (1831-1863) »], in id., Emigracja i kraj, op. cit., p. 72.
  • [57]
    Leon Przemski, Edward Dembowski, Varsovie, Państwowy Instytut Wydawniczy, 1953, p. 89-105.
  • [58]
    Henryk Kamieński, Filozofia ekonomii materyalnej ludzkiego społeczeństwa [Philosophie de l’économie matérielle de la société humaine], vol. 2, Poznań, Drukarnia Walentego Stefańskiego, 1845.
  • [59]
    Ściegienny connaissait probablement les œuvres de Saint-Simon, Cabet et Lamennais : Czesław Wycech, Ks. Piotr Ściegienny. Zarys programu społecznego i wybór pism [Fr. Piotr Ściegienny. Aperçu du programme social et sélection de travaux], Varsovie, Ludowa Spółdzielnia Wydawnicza, 1953, p. 35-36 ; Włodzimierz Djakow, Piotr Ściegienny. Ksiądz-rewolucjonista [Piotr Ściegienny : prêtre révolutionnaire], Varsovie, Książka i Wiedza, 1974.
  • [60]
    Janusz Berghauzen, Ruch patriotyczny, op. cit., p. 310.
  • [61]
    Kasper Pfeifer, « “Oj skończy się nam, skończy nasze mordowanie”. Ludowe pieśni antyfeudalne, Ściegienny, Szela i możliwy wpływ chłopskiej teologii emancypacyjnej na rabację galicyjską » [« “Oh, ça va finir pour nous, notre passion va finir”. Chansons populaires antiféodales, Ściegienny, Szela et l’influence possible de la théologie émancipatrice paysanne sur la rébellion galicienne »], Praktyka Teoretyczna [Pratique théorique], vol. 33, 2019/3, p. 89-114.
  • [62]
    Sorin Antohi, Imaginaire culturel et réalité politique dans la Roumanie moderne. Le stigmate et l’utopie, essais, trad. Claude Karnoouh, Mona Antohi, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Florea Ioncioaia, « Les promesses de l’Harmonie : disciples et traces du fouriérisme en Roumanie », Cahiers Charles Fourier, n17, 2016 [http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article355&var_recherche=roumanie] (consulté en octobre 2021).
  • [63]
    Norman M. Naimark, The History of the “Proletariat: The Emergence of Marxism in the Kingdom of Poland, 1870-1887, Boulder (Col.)/New York, East European Quarterly/Columbia University Press, 1979.

1Le xixe siècle est marqué, dès ses premières décennies, par un dynamisme idéologique sans précédent : c’est alors que les grands systèmes modernes tels que le libéralisme, le conservatisme et le socialisme se développent, notamment en Grande-Bretagne et en France, avant d’être exportés à l’échelle du monde. Ce processus de circulation idéologique, inédit par son ampleur, s’explique, entre autres facteurs, par l’accroissement des échanges intellectuels transnationaux permis par la diffusion accrue des journaux [1] et l’amélioration des moyens de transport. Alors que les mobilités matérielles et idéologiques s’accroissent considérablement, les voyages, expatriations ou exils politiques permettent de développer de nouvelles formes d’activisme transnational (traductions de textes et discours, discussions critiques, réinterprétations et adaptations, etc.).

2Les idées dites « socialistes » représentent un exemple frappant de ce phénomène, car elles étaient alors portées par des acteurs remarquablement mobiles, qui réussirent à tisser rapidement de denses réseaux internationaux d’échange et de coopération [2]. Ce qui est vrai des mouvements socialistes modernes développés au tournant des xixe et xxe siècles, l’est également déjà des « premiers socialismes [3] », apparus au cours de la période 1825-1848. Néanmoins, alors que cette première vague socialiste se propageait depuis la Grande-Bretagne et la France, un problème fondamental devait se poser aux socialistes issus de pays tels que l’Allemagne, l’Espagne, la Roumanie, la Russie ou la Pologne : comment importer des idées destinées à répondre aux craintes soulevées par la société capitaliste et industrielle dans des contextes socio-économiques où celle-ci n’était pas encore une réalité, et où les relations économiques demeuraient profondément différentes ?

3Cet article apporte des éléments de réponse à cette question en approfondissant un cas particulier, celui de la réception des textes d’auteurs français comme Charles Fourier, Étienne Cabet ou Philippe Buchez auprès du lectorat polonais. Nous nous concentrerons principalement sur des cercles intellectuels relativement restreints, mais nous aurons également l’occasion de questionner l’ampleur de la réception de leurs idées au sein du grand public polonais. Sur ce dernier point, nos réponses conserveront un caractère hypothétique, car les sources fiables sont souvent parcellaires ou manquantes.

4Pour atteindre nos objectifs, nous emploierons une méthodologie qui mêle histoire sociale des idées et histoire des transferts conceptuels. De nombreux travaux ont démontré combien ces deux approches pouvaient être conjuguées avec succès pour éclairer comment des acteurs politiques importent des idées issues d’un contexte culturel et linguistique particulier pour répondre aux problèmes de leurs propres communautés nationales [4]. De fait, les idées politiques, lorsqu’elles sont transférées d’un contexte discursif à un autre, sont nécessairement ajustées et adaptées à de nouveaux déterminants sociaux et politiques : un tel transfert ne se produit jamais ex nihilo[5]. Notre étude se penchera aussi bien sur les « producteurs d’idées » (auteurs et traducteurs) que sur leurs « consommateurs » (lecteurs, commentateurs et sympathisants, soit le cadre social des idées en général). Même si ces deux catégories sont souvent considérées isolément (chacune étant l’apanage, respectivement, de l’histoire des idées et de l’histoire sociale des idées), notre usage combiné des deux répertoires méthodologiques nous conduira à les considérer simultanément, dans une perspective dialectique.

5Les socialismes européens apparaissent comme un ensemble de réactions aux processus socio-économiques conflictuels qui caractérisent l’Europe occidentale après l’ère napoléonienne : les réformateurs sociaux réunis sous l’étiquette des premiers socialismes considéraient le monde comme plongé dans la tourmente et la corruption, rêvant de pouvoir le régénérer et l’harmoniser en refondant en profondeur les liens sociaux. Leurs propositions visaient notamment à remédier aux traumatismes historiques et aux angoisses sociales liées aux expériences dramatiques de la Révolution française puis des guerres napoléoniennes, mais également à l’essor du capitalisme industriel, initialement apparu en Grande-Bretagne à partir des années 1770, avant de se diffuser en Europe continentale.

6Par rapport à la Grande-Bretagne, la France rompt moins brutalement avec la société paysanne alors que la proto-industrie dispersée et le petit artisanat des gens de métiers persistent plus longtemps [6]. Mais la situation britannique, dont rendent compte de plus en plus d’enquêtes sociales obsède les observateurs continentaux qui y voient se dessiner l’avenir. Parmi eux, les réformateurs sociaux et socialistes français anticipaient dans une certaine mesure les problèmes à venir [7]. Cette anticipation était facilitée par le fait que de nombreuses personnalités politiques françaises de l’époque avaient parfois séjourné – de gré ou de force – en Grande-Bretagne, où elles purent établir des relations avec des auteurs britanniques et, dans de nombreux cas, visiter des usines modernes. Parmi ceux qui, exilés en Grande-Bretagne, y ont adopté diverses idées socialistes, on peut mentionner Étienne Cabet qui quitte la France en 1834 en tant que républicain, et, après quelques années, connaît une remarquable évolution idéologique au contact des milieux ­owénistes de Londres [8].

7Pour leur part, les socialistes polonais différaient considérablement de leurs homologues français et britanniques. C’est en effet au sein de l’intelligentsia émigrée que se recrutent les premiers penseurs socialistes polonais, plus précisément durant la vague d’émigration qui suit l’échec de l’Insurrection de novembre (1830-1831) contre l’occupant russe. Cependant, il convient de noter que le tout premier contact entre certaines personnalités politiques polonaises et le saint-simonisme avait déjà été établi par Bogdan Jański [9] et Ludwik Królikowski lors de leur séjour à Paris dès 1828 [10]. Autre facteur d’importance qui facilita l’adoption des idées socialistes françaises par les milieux politiques polonais : la langue de Molière était relativement bien connue par les Polonais en exil.

Migrations humaines, circulations idéologiques

8L’émigration polonaise après 1830, soit à l’époque où les premiers socialismes prenaient véritablement leur essor en France, peut être considérée comme une communauté à part entière. Elle avait été formée par des hommes qui, en 1830 et 1831, avaient pris part (en tant qu’activistes, soldats, politiciens ou journalistes) à l’Insurrection de novembre. Dès ce soulèvement, les cercles politiques polonais s’étaient divisés en deux camps, les conservateurs et les radicaux, quant aux moyens de poursuivre la guerre. Notons d’ailleurs que la vision d’une société divisée en classe laborieuse (ou industrielle) et classe privilégiée (donc paresseuse), était déjà apparue lors de l’Insurrection dans des articles rédigés par Ludwik Królikowski [11].

9Dans les années qui suivirent l’échec de l’Insurrection, 8 000 à 9 000 personnes furent contraintes de s’exiler, pour la plupart en France, et à Paris principalement, mais également, en moindres proportions, vers d’autres pays, tels que la Belgique ou la Grande-Bretagne [12]. Elles établirent une communauté très active sur le plan politique, puisque les principaux regroupements politiques polonais de l’époque comptaient chacun jusqu’à plus de 2 500 membres. En effet, on peut distinguer l’aile aristocrate-libérale, représentée par le prince Adam Jerzy Czartoryski et ses partisans, et, à l’opposé du champ politique, la Société démocratique polonaise. Bien sûr, certains migrants purent changer d’opinions et passer d’un groupe à l’autre, certains plusieurs fois, mais les données montrent qu’un pourcentage significatif de migrants étaient toujours politiquement affiliés [13].

10Il est intéressant de noter que les premiers partisans du socialisme polonais provenaient de couches sociales différentes : on pouvait trouver parmi eux des personnalités issues de familles paysannes, mais également bourgeoises et nobles. Malgré ces disparités sociologiques, un certain nombre d’expériences communes avaient indéniablement forgé un milieu socialiste cohérent et solidaire, tout particulièrement la participation à l’Insurrection de novembre et l’émigration. Un autre facteur de convergence doit également être souligné : la majorité des émigrés qui, dans les années 1830 et 1840, ont embrassé les idées socialistes en France, avaient été diplômés de l’Université de Varsovie dans les années 1820. Celle-ci formait le personnel administratif professionnel de la Pologne, et l’Empire russe comptait s’appuyer sur elle pour apaiser les ardeurs contestataires des étudiants en leur offrant des postes stables, bien que peu prestigieux, au sein de l’appareil d’État. Pourtant et de façon ironique, c’est précisément dans ce cadre universitaire que furent créés les premiers groupes patriotiques polonais, à mi-chemin entre cercles de chant et salons de débats [14].

11Les émigrés, rêvant de rétablir une parfaite unité nationale à leur retour en Pologne, et motivés par une grande fidélité patriotique, tentèrent d’établir une représentation nationale incontestable en exil [15]. Rapidement, l’objectif se révéla irréalisable, dans la mesure où de graves querelles partisanes éclatèrent, notamment pour déterminer qui devait endosser la responsabilité de l’échec de l’Insurrection, ou encore pour décider de la stratégie à suivre dans l’avenir. Un groupe de jeunes radicaux apparut alors au sein de cette communauté polonaise en exil, rejetant la responsabilité de la faillite de l’Insurrection sur les membres conservateurs du gouvernement national et les généraux [16]. Dans le cadre de ces violentes querelles, les émigrés commencèrent à produire un nombre important de brochures, journaux et autres publications, dans lesquels ils présentaient et défendaient leurs différents points de vue. Dans les seules années 1831-1848, plus de 500 ouvrages furent écrits en Europe occidentale par des Polonais ou par des sympathisants de leur cause, et ce dans une grande variété de langues : polonais bien sûr, mais aussi français, anglais, italien et allemand. De plus, entre 1831 et 1863, les communautés d’expatriés imprimèrent un total de 150 revues, dont 93 à Paris [17].

12Cette production littéraire et journalistique foisonnante coïncide avec la période durant laquelle les tensions politiques au sein des exilés polonais se sont intensifiées. À la suite de graves dissensions, un premier groupe politique distinct se crée à Paris en mars 1832 : la Société démocratique polonaise (Towarzystwo Demokratyczne Polskie). Ce cercle est d’une importance cruciale, car c’est en son sein que sont pour la première fois clairement formulées et défendues les idées socialistes dans les rangs de l’émigration polonaise. Ces idées novatrices ont d’ailleurs suscité nombre de tensions au sein de la Société elle-même, ce qui conduisit à plusieurs schismes ; parmi ceux-ci, au moins deux méritent d’être mentionnés pour mieux comprendre les voies de propagation du socialisme français au sein de la communauté polonaise.

13Quelques mois après la création de la Société, l’un de ses fondateurs, Adam Gurowski, la quitte en affirmant qu’elle ne répond pas de manière appropriée aux défis cruciaux de l’époque. Selon lui, la Société était incohérente dans sa vision de l’avenir, car, se concentrant principalement sur la question nationale polonaise, elle ne parvenait pas à formuler une analyse théorique globale des problèmes sociopolitiques [18]. En 1834, Gurowski publie le premier (et unique) numéro de son nouveau journal, intitulé Przyszłość (L’Avenir), dans lequel il expose des idées clairement inspirées par le saint-simonisme, mais aussi par la pensée de Jean de Sismondi. Il analyse ainsi les problèmes sociaux et politiques à l’échelle mondiale, utilisant même la notion de « prolétaires » comme outil d’analyse, affirmant que l’avenir appartient à cette classe de la société. Selon ses propres termes : « Le monde appartiendra aux travailleurs. Ils ne seront plus les prolétaires les plus pauvres, mais les créateurs d’une vie nouvelle [19]. » En outre, il déclare que l’industrie est devenue une dimension centrale et incontournable du monde moderne, utilisant dans ses réflexions deux concepts opposés, ceux d’« égoïsme » et de « sociabilité », probablement empruntés aux écrits théoriques de Pierre Leroux [20]. Si Gurowski n’emploie pas encore le terme même de « socialisme » dans ses écrits, lui préférant d’abord la notion française de « sociabilité », il entreprend de traduire le concept par des expressions surprenantes, telles que towarzyskość ou socjalność (expressions similaires à « camaraderie »), qui étaient des néologismes à cette époque : il s’avère ainsi être un précurseur sur le plan des mutations idéologiques [21].

14En 1835 se produit une autre scission majeure au sein de la Société démocratique polonaise [22], puisque plusieurs dizaines de personnes quittent l’organisation. La décision découle de la contestation par une partie de ses membres qui, contrairement au programme officiel de la Société, affirmaient que la propriété privée devrait être abolie. Ils échouent cependant à convaincre les autres membres de la Société et, en conséquence, décident de la quitter pour créer la toute première organisation polonaise qui puisse être qualifiée de « socialiste » au-delà de la Société démocratique : les Communes du peuple polonais (Gromady Ludu Polskiego). Fondée en Grande-Bretagne en 1835, cette organisation polonaise était la plus radicale de l’époque : idéologiquement inspirés par les idées socialistes, ses membres étaient en même temps partisans de la mise en propriété commune des terres, et rêvaient d’une vengeance sanglante du peuple contre ses oppresseurs (en contradiction évidente avec les convictions pacifistes de la grande majorité des socialistes français [23]).

15L’une des sources d’inspiration majeures des adhérents aux Communes du peuple polonais était Philippe Buonarroti, dont ils partageaient le credo égalitaire et le rêve d’une révolution sociale à l’échelle européenne. Dans leur perspective, l’action de Buonarroti ne visait pas seulement à égaliser les conditions sociales, mais aussi à rétablir l’indépendance des nations opprimées, notamment la Pologne. Fait notable, l’un des représentants clé des Communes du peuple polonais, Stanisław Worcell, prononça un discours lors des funérailles de Buonarroti, dans lequel il souligna sa grande admiration pour le révolutionnaire [24]. En outre, les membres de l’organisation allaient articuler des duos de contre-concepts tels que l’« égoïsme » (clairement défini de manière négative) avec le « sacrifice », la « sociabilité » ou encore, et surtout, le « socialisme [25] ». Ils purent, par exemple, déclarer : « La Pologne a échoué à cause de l’égoïsme et ne peut être rétablie que par le pur sacrifice [26]. »

16On peut également trouver un grand intérêt pour les doctrines du socialisme français chez les démocrates modérés. L’exemple majeur en est fourni par l’influence du Livre du peuple de Félicité de Lamennais, qui fut traduit en polonais par le démocrate Jan Nepomucen Janowski, lui-même membre fondateur de la Société démocratique polonaise [27]. Chez les démocrates polonais, Lamennais était avant tout connu et apprécié comme un fervent sympathisant de la lutte pour l’indépendance polonaise. En plus de ce combat, il marqua son intérêt pour la doctrine générale de la Société et écrivit même une postface de l’édition polonaise du Livre du peuple adressée spécifiquement aux démocrates polonais, dans laquelle il déclarait que la nation polonaise avait souffert pour la rédemption de tous les peuples opprimés, comme le Christ avait souffert pour la rédemption de l’humanité [28].

17Janowski traduisit également en polonais le travail d’Albert Laponneraye sur les droits de l’homme (en 1834 [29]) et en 1840 le livre de François-Vincent Raspail sur la Pologne [30]. Cependant, des militants moins éminents de la Société s’intéressaient également aux idées des socialistes français : par exemple, Leonard Rettel rédigea un article dans lequel il expliquait en détail la doctrine de Pierre Leroux [31]. Un auteur anonyme, pour sa part, publia dans le journal principal de la Société (Demokrata Polski) la traduction des travaux de Philippe Buchez et Pierre-Célestin Roux sur le terrorisme [32].

18Parmi les immigrés polonais, le pic de popularité des idées socialistes s’observe dans la période 1840-1848. À cette époque, plusieurs organisations et auteurs indépendants prêchaient les enseignements de différentes écoles de pensée françaises au sein de la communauté polonaise en exil. Notons que certains des exilés ont également joué un rôle important dans la politique française à cette période, notamment Jan Czyński et Ludwik Królikowski. Le premier était un ardent partisan de la doctrine de Charles Fourier, et créa même un courant distinct parmi ses partisans français, en opposition au cercle de Victor Considerant. Czyński avait en effet l’intention de créer un courant authentiquement prolétarien du fouriérisme, au contraire de Considerant qui s’adressait à la classe moyenne [33]. Królikowski, à son tour, établit des contacts avec Étienne Cabet dans les années 1840, devenant en 1848 le secrétaire du Club révolutionnaire icarien (c’est-à-dire de la Société fraternelle centrale) à Paris, et remplissant les fonctions de rédacteur en chef de la revue icarienne Le Populaire en 1849-1851 [34]. Fait remarquable, dans l’une de ses œuvres phares, Cabet remercie Królikowski pour son inspiration et leurs discussions communes, ce qui peut constituer un exemple de transfert conceptuel bilatéral [35].

19Mais ils n’étaient pas les seuls. Un autre défenseur de la doctrine de Fourier, qui publia sa brochure à ce sujet en 1844, était Stanisław Bratkowski. Il écrivit avec une certaine emphase que « Fourier était un homme dont la doctrine complétait l’enseignement de Jésus [36] ». Notons également l’exemple de Józef Ordęga qui, avec un petit groupe de partisans, dirigea le journal Demokracja Polska w XIX w. en 1845-1846 (15 numéros au total) et prêcha, à son tour, les idées de Philippe Buchez [37]. Quoi qu’il en soit, les références ponctuelles à tel ou tel concept issu des écoles socialistes françaises se comptent par dizaines sous la plume des auteurs polonais entre 1840 et 1848.

Changer les mots, changer la politique

20Nous l’avons vu, le transfert des idées socialistes françaises dans le discours politique polonais s’est produit dans le contexte des luttes politiques qui opposèrent les factions polonaises en exil. Au cours de ces discussions animées, des militants de diverses sensibilités recherchaient de nouvelles inspirations idéologiques et de nouveaux arguments qui pourraient être efficacement utilisés contre leurs ennemis politiques. D’une manière générale, les socialistes polonais adoptaient deux types de démarches à cette époque.

21Premièrement, ils commençaient à s’appuyer sur un certain nombre de catégories idéologiques abstraites, généralement associées au suffixe « -isme ». Le premier usage du terme « socialisme » (socyalizm) en polonais a lieu dès 1834 [38], tandis que « communisme » (kommunizm) émerge très probablement au début des années 1840, car il est assez couramment utilisé vers 1845 [39]. Le socialisme est défini de manière relativement précise, c’est-à-dire comme un antonyme de l’égoïsme [40], alors que le communisme demeurait pour sa part plus obscur et abstrait, se référant à la vision d’une communauté parfaite, à l’échelle de l’humanité. Dans cette même optique, le socialisme était présenté comme le principe politique le plus pertinent pour permettre le triomphe de la lutte nationale car, selon l’analyse socialiste, les élites politiques de l’ancienne République des Deux Nations auraient condamné le pays par leur égoïsme de classe [41]. De plus, les deux concepts étaient souvent employés par les représentants des cercles aristocratiques-libéraux de manière très péjorative, comme des repoussoirs, pour discréditer leurs ennemis politiques. De leur point de vue, le socialisme et le communisme ne signifiaient rien moins que le déclin de la civilisation [42].

22Ces concepts ont permis, plus que tout autre, d’entrecroiser les grilles de lecture sociale et politique du réel, créant de nouvelles divisions conceptuelles au sein de la diaspora polonaise en exil. Avant 1830, dans de nombreux cas, les factions politiques étaient divisées suivant leur loyauté envers différentes personnalités d’importance (principalement des aristocrates) ou par leur inclination diplomatique (partisans du soutien à la politique étrangère française, autrichienne, etc.). Par la suite, les milieux politiques polonais en exil se sont progressivement divisés selon des critères spécifiquement idéologiques, et ceux qui optèrent pour le maintien des anciennes méthodes d’organisation du paysage politique (principalement, des partisans d’Adam Jerzy Czartoryski) pouvaient être étiquetés comme passéistes. Leurs idées, décrites comme obsolètes, étaient ainsi à leurs tours dénoncées, comme celles qui avaient finalement conduit à l’effondrement de la République des Deux Nations après une série de partitions en 1772, 1793 et 1795.

23Deuxièmement, les exilés se réclamant du socialisme français structuraient leur pensée autour de notions liées à l’industrie moderne et à l’économie capitaliste. On pourrait penser que cette démarche intellectuelle, et l’adaptation caractéristique de notions liées aux nouveaux phénomènes économiques et sociaux, était inévitable pour les penseurs polonais, considérant que le capitalisme tendait à gagner l’ensemble des pays européens. Or dans la première moitié du xixe siècle, rien n’était écrit d’avance concernant les directions futures du développement économique, et de nombreux auteurs polonais percevaient le capitalisme comme un phénomène éphémère qui pouvait tout à fait s’estomper, ou rester limité à la Grande-Bretagne et à la France uniquement. Par conséquent, à cette époque, l’acte même d’introduire et de discuter de catégories telles que le « prolétariat » ou le salaire (ce mot est apparu dans les textes polonais de l’époque en français, en italique) dans le paysage politique polonais était un acte lourd de sens. En fait, cela signalait que l’auteur qui l’utilisait était porteur d’une position politique clairement exposée. Ceci d’autant plus que pour certains auteurs polonais, l’engagement au sein du mouvement ouvrier était proche de l’apostasie nationale, voire de la trahison. Par exemple, en 1844, Jan Nepomucen Młodecki, ancien officier et corédacteur en chef d’un journal influent, Orzeł Biały, se moquait d’un Jan Czyński, qui depuis neuf ans était occupé par ses « sentiments philanthropiques envers les ouvriers français », se mettant alors « en retrait vis-à-vis des enjeux cruciaux de sa patrie [43] ». Indéniablement, le fait même de s’intéresser à la question des travailleurs était considéré comme un acte politique pour le moins original, si ce n’est ridicule, dans la communauté politique polonaise, car le secteur industriel en général était vu comme une chose d’importance marginale pour une société polonaise dominée par l’agriculture.

24En plus de ces deux registres conceptuels, on peut noter l’usage d’un certain nombre de nouvelles notions qui, si elles paraissent relativement banales aux yeux du lecteur contemporain, dénotent une orientation politique très nette pour la première moitié du xixe siècle. Par exemple, le concept d’humanité (ludzkość) était loin d’être neutre au sein de la communauté politique polonaise en exil, puisque considéré comme dérivé de la doctrine de Pierre Leroux. En effet, Leonard Rettel avait écrit un long commentaire (en polonais) sur l’œuvre de Leroux De l’humanité, de son principe et de son avenir (1840), déclarant que le concept était utile pour souligner la dimension universelle des souffrances et des luttes de la nation polonaise [44]. Pour cette raison, les migrants polonais voyaient dans l’« humanité » un terme inhabituel, étroitement lié idéologiquement avec le discours des socialistes, et par lequel ils exprimaient le caractère universaliste de leurs idées et de leurs espoirs [45].

25L’élément important ici est la manière dont les auteurs polonais exilés utilisaient les dispositifs explicatifs et les concepts politiques empruntés aux socialistes français, non pas de manière mimétique, mais avec des altérations des nouvelles notions intégrées dans le cadre conceptuel polonais. Par exemple, le phalanstère fouriériste était considéré comme un village polonais typique après abolition du travail et des corvées dans le pays [46]. C’était une idée partagée par Jan Czyński et Stanisław Bratkowski, qui étaient enclins à utiliser la notion de « commune » (gmina) plutôt que de phalanstère pour exprimer leurs visions d’un nouvel avenir devant le public polonais, parce que la notion de gmina était plus familière et plus facile à appréhender pour eux. En fait, le phalanstère à la polonaise devait fonctionner comme une coopérative agricole autosuffisante et autonome, garantissant l’égalité et la prospérité de ses membres. Comme l’écrit Czyński, ce type d’organisation introduirait également le principe de rotation du travail, parce que : « Qui travaille dans le jardin tous les matins, se consacrera au travail intellectuel à midi, et se retrouvera le soir parmi des ouvriers travaillant dans les champs [47]. » Czyński souligne également que le phalanstère améliorera les conditions de vie des femmes.

26Le sort des ouvriers, à son tour, était replacé dans le contexte plus large de l’oppression des peuples européens. Ainsi, le conflit majeur existant au sein des sociétés n’était pas décrit comme une lutte entre les travailleurs et bourgeoisie, mais entre peuple et maîtres (à quelques exceptions près, notamment Jan Czyński). En procédant ainsi, les socialistes polonais purent assimiler la question de la paysannerie polonaise à celle de la condition ouvrière, créant la vision romantique et universaliste d’un peuple européen uni (également en utilisant le concept d’humanité, discuté ci-dessus). En effet, alors que les socialistes français estimaient le rôle et la condition de la paysannerie comme très secondaires, leurs pairs polonais y voyaient une question cruciale.

27Certains socialistes polonais proposèrent même des conceptions essentialistes et anhistoriques de l’oppression du peuple, phénomène qu’ils décrivaient comme une constante universelle dans l’histoire humaine [48]. Cependant, cet argument était également présent chez la plupart des socialistes (notamment Robert Owen), qui se donnaient pour mission de libérer l’humanité des chaînes du capitalisme. La spécificité des socialistes polonais à l’époque réside plutôt dans la manière dont ils percevaient le capitalisme (soit comme une nouvelle version du féodalisme, plus funeste encore), et dans leur focalisation sur la libération nationale des peuples opprimés, conditionnée par le rêve de restaurer l’indépendance polonaise.

28L’ensemble de ces bouleversements conceptuels finit par déclencher une résistance féroce parmi les adversaires des socialistes polonais. Ce type de réaction, d’une manière générale, peut être observée tout au long de la période 1795-1918, les représentants des milieux politiques conservateurs et modérés ayant le plus souvent perçu toute tentative d’introduire des idées étrangères dans le débat polonais comme un préjudice potentiel au caractère national qu’ils tentaient de protéger. En fait, cette préoccupation s’est manifestée de différentes manières : nous avons déjà mentionné l’exemple de Czyński, à qui l’on reprochait de s’impliquer dans le mouvement ouvrier, au lieu de sacrifier toute son énergie à la question de l’indépendance polonaise. Ceci nous permet de constater que les questions liées à l’industrie moderne ont été d’abord jugées inappropriées au débat polonais. De plus, le caractère idéologique des arguments socialistes (ou des réflexions ostensiblement dérivées des œuvres des socialistes français) était également perçu comme étrange et déplacé, d’où la tendance d’alors à inventer des termes péjoratifs à partir du nom d’un penseur socialiste. Pour ne pas être accusés de « cabétisme » ou de « fouriérisme », les socialistes polonais se sont souvent abstenus d’effectuer des références explicites aux œuvres de leurs maîtres à penser, et se sont plutôt contentés d’y faire de cryptiques allusions. Les conservateurs et libéraux polonais usaient d’ailleurs de ce procédé de disqualification rhétorique pour se mettre eux-mêmes en valeur  : ils prétendaient ainsi pour leur part ne pas être mus par l’idéologie, mais bien orientés vers un but pratique, tangible et charnel, soit la restauration de la patrie bien-aimée [49]. Il s’agit là d’un paradoxe, puisque les premiers socialistes, notamment français, s’étaient toujours définis comme des expérimentateurs, pas seulement des penseurs. On le voit, le contexte polonais avait changé les termes de la question. L’étude des problèmes sociaux y était devenue une chimère, qui s’opposait au seul réalisme politique envisageable : reconquérir l’indépendance polonaise dans les conditions données à l’époque.

De l’exil au pays natal : passages d’idées à travers les postes frontières

29Les Polonais en exil constituaient un substrat privilégié pour favoriser la propagation des idées socialistes au sein de la société polonaise dans son ensemble. De fait, le socialisme polonais ne s’est pas limité à la communauté émigrée ou à de petits groupes d’intellectuels, mais a également attiré des partisans dans différentes régions de l’ancienne République des Deux Nations alors même que, sur les terres polonaises, ces idées ne pouvaient être diffusées librement, en raison de la censure [50].

30En règle générale, c’était en Grande-Pologne (occupée par la Prusse), que les idées socialistes avaient le plus de chance de se diffuser à cette époque, en particulier durant la période 1840-1848, sous le règne de Frédéric-Guillaume IV. À cette époque, le roi décida d’accorder quelques concessions, notamment en assouplissant la censure. Les journaux et ouvrages favorables aux idées démocratiques, libérales, ou socialistes, purent ainsi circuler dans le pays. Par exemple, dans la ville de Środa Wielkopolska, on pouvait lire légalement, dans la bibliothèque municipale, les numéros du magazine d’émigrés Demokrata Polski, dans lesquels on pouvait ainsi identifier des idées liées au socialisme [51]. À Poznań, une librairie tenue par Walenty Stefański joua un grand rôle dans l’essor des idées socialistes en Grande-Pologne, puisqu’elle constituait, à l’époque, un maillon essentiel dans la chaîne de circulation illégale d’ouvrages imprimés vers les terres polonaises. Finalement inculpé après 1848, Stefański aura permis d’introduire en contrebande des centaines d’œuvres sur les terres polonaises, depuis la France [52].

31Contrairement à la Grande-Pologne, en Galicie, et à Cracovie notamment, la situation évolua de manière inverse au cours de la période 1830-1848 : au début des années 1830, la diffusion des idées socialistes y était relativement facile, puis tendit à se compliquer avec la réduction progressive de la liberté d’expression. Dans la région, Cracovie constituait un centre névralgique pour l’activisme politique car, jusqu’en 1846, elle jouissait du statut de ville libre. Cependant, à la suite d’un certain nombre d’incidents dus à l’action de groupes de partisans polonais, les libertés de la ville furent progressivement réduites par la Prusse, l’Autriche et la Russie, ce qui conduisit à l’annexion définitive de la ville à l’Autriche en 1846. Dans ce contexte, il convient de mentionner l’organisation de la Société du peuple polonais (Stowarzyszenie Ludu Polskiego), qui comptait de nombreuses antennes locales semi-autonomes, principalement en Galicie [53], attirées notamment par les œuvres de Lamennais et Laponneraye [54].

32Pour les socialistes polonais, le plus grand défi était de populariser leurs idées dans les territoires contrôlés par la Russie. Ils parvinrent finalement à y atteindre certains publics en adoptant plusieurs stratégies, légales ou illégales. Parmi les méthodes légales, il faut mentionner principalement l’édition de revues prétendument culturelles ou scientifiques, en réalité de teneur politique (comme le journal Przegląd Naukowy), qui se révélaient très critiques vis-à-vis de l’ensemble de la société. Ces revues n’abordaient pas les enjeux politiques directement, mais métaphoriquement, ce qui leur permettait d’éviter la censure. Une autre méthode, partiellement liée à la précédente, consistait à utiliser le langage religieux pour remettre en cause l’ordre politique existant. De fait dans nombre de tels cas, les autorités ne pouvaient déterminer si tel ou tel texte (qu’il s’agisse d’ouvrages imprimés ou de lettres manuscrites) aurait dû être classé comme une propagande politique illégale, ou seulement comme des considérations religieuses.

33Parmi les méthodes illégales, on peut mentionner la création de bibliothèques clandestines, part importante de l’activité des groupes d’opposition. En fait, la plupart de ces groupes épars avaient à leur disposition un certain nombre d’imprimés illégaux. Par exemple, le prêtre Maresz dirigeait en Pologne russe une bibliothèque alimentée par une organisation clandestine, dans laquelle étaient entreposées, entre autres, des œuvres de Lamennais, Owen et Saint-Simon [55]. La diffusion en contrebande de ces œuvres était une autre activité essentielle à laquelle s’adonnaient les organisations clandestines polonaises en Russie. La meilleure preuve de la difficulté de la tâche était sans nul doute le prix de ces livres, journaux ou dépliants, qui montait en flèche lorsqu’ils traversaient la frontière : ils valaient alors six fois plus cher que dans les librairies polonaises en France [56]. Dans les situations les plus critiques, où la conservation de la littérature illégale devenait trop dangereuse et où les bibliothécaires clandestins devaient les détruire, certains des membres les plus actifs du mouvement mémorisaient ces œuvres, afin de diffuser personnellement leur contenu.

34Paradoxalement, cependant, deux penseurs politiques polonais parmi les plus originaux de l’époque se trouvaient en activité sur le territoire « hostile » de la Pologne russe : l’économiste, philosophe et journaliste Henryk Kamieński et son cousin, Edward Dembowski. Ce dernier avait lu avec intérêt non seulement les ouvrages des socialistes français, mais aussi ceux de leurs confrères allemands. Il s’était familiarisé, entre autres, avec quelques-unes des premières œuvres de Friedrich Engels (par exemple, son étude sur Schelling), mais Dembowski connaissait sans aucun doute également les œuvres de Cabet, Proudhon et Lamennais [57]. Kamieński, de son côté, avait lu Sismondi et Jean-Baptiste Say [58]. Les deux hommes étudiaient également la question du capitalisme et des travailleurs, utilisant même des notions telles que le « salaire » ou le « paupérisme » dans leurs travaux. Compte tenu du fait que les problèmes liés à l’industrie moderne étaient considérés comme d’une importance marginale pour la société polonaise d’alors, l’utilisation des concepts mentionnés se révélait inhabituelle et novatrice.

35Outre les membres des mouvements indépendantistes (dans lesquels la plupart des représentants socialistes de l’intelligentsia étaient engagés), un certain public paysan se révéla également réceptif aux idées socialistes. Il convient ici de mentionner principalement un prêtre catholique Piotr Ściegienny, qui organisa, entre 1842 et 1844, l’Union des paysans (Związek Chłopski) en Pologne russe. Il s’agissait d’une organisation clandestine, constituée par les paysans les plus acquis aux idéaux socialistes, lesquels suivaient régulièrement les sermons de Ściegienny et diffusaient ensuite leur contenu. Durant ses discours et sermons adressés aux paysans, Ściegienny utilisait une fausse bulle papale intitulée Le Livre d’or (Złota książeczka), dans laquelle le Christ était présenté comme un paysan, et l’obéissance passive du peuple à l’oppression des classes supérieures décrite comme un péché [59]. Il n’est pas possible d’estimer précisément combien de paysans ont effectivement rejoint l’organisation, mais, selon les actes de la Commission d’enquête russe des années 1840, au moins 91 en ont été identifiés comme membres [60]. En outre, l’impact des idées socialistes sur la paysannerie peut être saisi en étudiant le contenu des chansons et de la poésie populaires de l’époque, qui se diffusaient oralement parmi les paysans. On trouve dans ces sources diverses idées notables, telles que l’évocation d’une vengeance du peuple sur ses oppresseurs, ainsi que l’espoir d’une nouvelle vie dans un avenir lointain [61]. Il n’est cependant pas aisé de déterminer si un tel contenu relevait simplement de l’imaginaire des paysans à travers les siècles, ou s’il était lié, plus précisément, à l’essor des premiers mouvements socialistes.


36Plusieurs facteurs clés ont permis l’émergence du socialisme polonais. Tout d’abord, l’échec de l’Insurrection de novembre de 1830-1831 et l’émigration qui s’ensuivit ont créé les circonstances inhabituelles dans lesquelles les exilés polonais purent se familiariser avec les idées nouvelles produites en Europe occidentale. Paris fut un catalyseur sans égal dans ce processus, puisque c’est là que l’intelligentsia polonaise découvrit les idées socialistes et put en débattre librement. Il en résulta un véritable bouleversement conceptuel, qui exerça une influence durable sur une génération entière, modifiant le cadre même des débats politiques en introduisant de nouvelles catégories et lignes de fractures à caractère idéologique. Cet événement a d’ailleurs coïncidé avec le développement rapide de la presse et des maisons d’édition, qui a accéléré le processus de production et de diffusion des idées politiques.

37En définitive, le transfert des idées socialistes de la France vers la Pologne n’aboutit ni à un pur décalque idéologique, ni à une réaction de rejet, mais plutôt à une hybridation. Il apparaît en effet que ces idées s’articulèrent subtilement aux défis et aux espoirs spécifiques de leur nouveau contexte d’accueil : par exemple avec l’évolution du concept de phalanstère, repensé comme un nouvel idéal de village polonais après l’abolition du travail de corvée. Dans le même temps, les concepts importés conservaient une dimension politique centrale et pouvaient être reconnus comme socialistes par les auteurs français.

38En d’autres termes, les socialistes polonais ont, sur la période 1831-1848, adapté les arguments de leurs précurseurs français pour mieux les investir d’un contenu sémantique qui répondait aux problèmes particuliers de la société polonaise : principalement l’abolition de la corvée et la reconquête d’un État polonais indépendant. Ainsi s’est produit un cas d’école intéressant, soit le développement du socialisme dans une nation privée de son propre État-nation et, de plus, non-industrialisée. Ce dernier trait rend le premier socialisme polonais très proche du socialisme roumain de l’époque, qui a également été adapté aux nécessités et aux espoirs d’une société paysanne et a tenté de résoudre avant tout les problèmes brûlants des paysans [62].

39Dans une certaine mesure, ce premier socialisme polonais n’eut pas de postérité directe. La raison en est qu’il fut remplacé à partir des années 1870 par une nouvelle vague d’idées socialistes qui, contrairement à la première, avait été structurée par l’influence du marxisme. Alors que le premier socialisme polonais était principalement apparu comme un effet secondaire de l’émigration politique déclenchée par la défaite de l’Insurrection de novembre, le socialisme marxiste ultérieur a été transféré en Pologne, en particulier, par des étudiants qui s’étaient familiarisés avec le marxisme dans les universités russes [63]. De plus, le marxisme s’implanta sur les terres polonaises à une époque où l’industrialisation commençait à se développer, ce qui n’était pas le cas du socialisme de la période 1831-1848. En dépit de ces évolutions, la première forme du socialisme polonais exerça indéniablement une influence majeure sur le paysage intellectuel et politique national au xixe siècle, dont elle démontre par ailleurs le dynamisme idéologique.


Date de mise en ligne : 21/02/2022.

https://doi.org/10.4000/rh19.7915

Notes

  • [1]
    Sur l’impact de la presse dans l’émergence et le développement du socialisme : Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert, François Jarrige (dir.), Quand les socialistes inventaient l’avenir. Presse, théories et expériences, 1825-1860, Paris, La Découverte, 2015.
  • [2]
    Fait notable, si ce sujet n’a été que partiellement abordé dans la littérature anglophone, un ouvrage y a été consacré en français : Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes 1785-1842, Paris, Éditions des Malassis, 2013 [rééd.], [Karl-Marx Haus, 1989]. Ce travail offre un aperçu de la diffusion internationale du vocabulaire socialiste, en accordant une attention particulière à l’activité intellectuelle des réfugiés allemands.
  • [3]
    « Pour en finir avec le socialisme “utopique” », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 124, 2014.
  • [4]
    Voir notamment : Peter Burke, “Context in Context”, Common Knowledge, vol. 8, 2002/1, p. 152-177 ; Alexander Weiß, « Kontexte ? Welche Kontexte ? Ein hypothetischer Kontextbegriff für die inter-und transkulturelle Ideengeschichte », in Lino Klevesath, Holger Zapf (dir.), Demokratie-Kultur-Moderne. Perspektiven der politischen Theorie, Münich, Oldenbourg, 2011, p. 103-120.
  • [5]
    Michael Werner, Bénédicte Zimmermann, « Vergleich, Transfer, Verflechtung. Der Ansatz der Histoire croisée und die Herausforderung des Transnationalen » [« Comparaison, transfert, intégration. L’approche de l’Histoire croisée et le défi de la transnationalité »], Geschichte und Gesellschaft, vol. 28, 2002/4, p. 607-636 ; Arnault Skornicki, Jérôme Tournadre, La Nouvelle histoire des idées politiques, Paris, La Découverte, 2015, p. 93-96.
  • [6]
    William H. Sewell, Work and Revolution in France. The Language of Labor from the Old Regime to 1848. Cambridge/New York, Duke University Press, 1980, p. 143-146.
  • [7]
    Voir notamment : François Jarrige (dir.), Dompter Prométhée : technologies et socialismes à l’heure romantique, (1820-1870), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2016.
  • [8]
    François Fourn, Étienne Cabet ou le temps de l’utopie, Paris, Vendémiaire, 2014.
  • [9]
    Le cas de Jański nécessite quelques précisions, car il est devenu très tôt une figure assez importante au sein du mouvement saint-simonien. En juin 1831, il est inscrit comme membre de la famille saint-simonienne, quoiqu’au troisième rang hiérarchique, soit le plus bas. Il est également envoyé par le mouvement en Grande-Bretagne, probablement pour y recruter de nouveaux sympathisants de la doctrine de Saint-Simon : Bolesław Micewski, Bogdan Jański : założyciel Zmartwychwstańców 1807-1840 [Bogdan Jański : le fondateur des Résurrectionnistes 1807-1840], Varsovie, Ośrodek Dokumentacji i Studiów Społecznych, 1983, p. 87-98.
  • [10]
    Jan Turowski, Utopia społeczna Ludwika Królikowskiego 1799-1878 [L’Utopie sociale de Ludwik Królikowski 1799-1878], Varsovie, Instytut Wydawniczy PAX, 1958.
  • [11]
    Voir ses articles publiés dans Gazeta Polska dans la période juin-août 1831.
  • [12]
    Krzysztof Marchlewicz, Wielka emigracja na Wyspach Brytyjskich (1831-1863) [La Grande Émigration polonaise au Royaume-Uni (1831-1863)], Poznań, Instytut Historii UAM, 2008 ; Idesbald Goddeeris, La Grande Émigration polonaise en Belgique, 1831-1870 : élites et masses en exil à l’époque romantique, Berne, Peter Lang, 2013.
  • [13]
    Sławomir Kalembka, Wielka Emigracja. Polskie wychodźstwo polityczne w latach 1831-1862 [La Grande Émigration. L’exil politique polonais dans les années 1831-1862], Varsovie, Wiedza Powszechna, 1971.
  • [14]
    Décrit en détail par Jan Nepomucen Janowski dans ses mémoires : Jan Nepomucen Janowski, Notatki autobiograficzne 1803-1853 [Notes autobiographiques 1803-1853], Wrocław, Marian Tyrowicz éditeur, 1950, p. 98-99.
  • [15]
    Delphine Diaz, « Une morale collective de l’engagement révolutionnaire en exil. Les réfugiés polonais en France sous la monarchie de Juillet », in Sébastien Hallade (dir.), Morales en révolutions : France, 1789-1940, Rennes, PUR, 2015, p. 164.
  • [16]
    Sławomir Kalembka, Wielka Emigracja, op. cit.
  • [17]
    Adam Lewak, « Czasy Wielkiej Emigracji » [« Le temps de la Grande Émigration »], in Aleksander Bruckner et al. (dir.) Polska, jej dzieje i kultura [La Pologne, son histoire et sa culture], vol. 3, Cracovie, Drukarnia Narodowa, 1930, p. 193-233 ; Władysław Marek Kolasa, « Prasa Wielkiej Emigracji (1832-1870) w polskim prasoznawstwie » [« La presse de la Grande Émigration (1832-1870) dans les études de presse polonaises »], Zeszyty Prasoznawcze, vol. 56, 2015/3, p. 389-400.
  • [18]
    Przyszłość, 1834/1, p. 1.
  • [19]
    Ibid., p. 23.
  • [20]
    Bruno Viard, Pierre Leroux, penseur de l’humanité, Cabris, Sulliver, 2009.
  • [21]
    Henryk Głębocki, « Diabeł Asmodeusz » w niebieskich binoklach i kraj przyszłości. Hr. Adam Gurowski i Rosja, [« Le diable Asmodeus » aux yeux bleus et le pays du futur. M. Adam Gurowski et la Russie], Cracovie, ARCANA, 2012.
  • [22]
    Le procès-verbal des litiges de correspondance qui eurent lieu à cette époque est disponible dans : Okólniki Towarzystwa Demokratycznego Polskiego 1834-1836 [Circulaires de la Société démocratique polonaise 1834-1836], Poitiers, [sans ed.], [sd.].
  • [23]
    Peter Brock, “The Birth of Polish Socialism”, Journal of Central European Affairs, vol. 13, 1953/3, p. 213-231.
  • [24]
    Zenon Świętosławski (dir.), Lud polski w emigracji 1835-1846 [Les Polonais en exil 1835-1846], Jersey, Druck, 1854, p. 137-142.
  • [25]
    Ibid., p. 97.
  • [26]
    Ibid., p. 3.
  • [27]
    Félicité Robert de Lamennais, Księgi ludu [Livre du peuple], trad. Jan Nepomucen Janowski, Poitiers, 1838.
  • [28]
    Ibid., p. 98-100.
  • [29]
    Albert Laponneraye, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [1793], avec des commentaires par le citoyen Laponneraye, Paris 1833. Ce texte était inclus dans la brochure Krótki katechizm polityczny, que Janowski édita à Agen en 1834.
  • [30]
    François-Vincent Raspail, De la Pologne sur les bords de la Vistule et dans l’émigration, Paris, Chez l’éditeur Rue Neuve-D’Orléans, 1834.
  • [31]
    Leonard Rettel, « Rozbiór dzieła Piotra Leroux o ludzkości » [« L’analyse des travaux de Pierre Leroux sur l’humanité »], Pismo Towarzystwa Demokratycznego Polskiego (Journal de la Société démocratique polonaise), vol. 2, 1840, p. 324-342.
  • [32]
    C’était une traduction d’un extrait de l’introduction de PhilippeBuchez, Pierre-Célestin Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française, Paris, Paulin Libraire, parue dans Demokrata Polski, vol. 2, n° 6, 19 janvier 1839, p. 45-48.
  • [33]
    Michael D. Sibalis, « Jan Czynski. Jalons pour la biographie d’un fouriériste de la Grande Émigration polonaise », Cahiers Charles Fourier, 1995/6, p. 59-84 ; Adam Gałkowski, Polski patriota-obywatel Europy : rzecz o Janie Czyńskim (1801-1867) [Patriote polonais d’Europe : à propos de Jan Czyński (1801-1867)], Varsovie, Wydawnictwo Neriton, 2004. En 1840, Czyński utilisa pour la première fois l’adjectif « prolétarien », comme le notait à juste titre Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism, op. cit., p. 217.
  • [34]
    Piotr Kuligowski, “The Utopian Impulse and Searching for the Kingdom of God: Ludwik Królikowski’s (1799-1879) Romantic Utopianism in Transnational Perspective”, Slovene, vol. 7, 2018/2, p. 199-226.
  • [35]
    Étienne Cabet, Le Vrai Christianisme suivant Jésus-Christ, Paris, Le Populaire, 1848, p. 6.
  • [36]
    Stanisław Bratkowski, Kilka myśli dla Polski [Quelques pensées pour la Pologne], Nantes, Charpentier, 1840, p. 44.
  • [37]
    Demokracja Polska w xix w., 1845-1846 [La Démocratie polonaise au xixe siècle].
  • [38]
    Józef Żmigrodzki, Towarzystwo Demokratyczne Polskie, 1832-1862 [La Société démocratique polonaise, 1832-1862], vol. 1, Londres, Ksiȩgarnia Stowarzyszenia Polskich Kombatantów, 1983, p. 390.
  • [39]
    Piotr Kuligowski, « Communisme précoce dans une perspective transnationale : le cas des idées politiques de Ludwik Królikowski », trad. Lucie Guesnier, Cahiers Jaurès, n° 234, 2019/4, p. 89-106. On rectifie ici Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/Communism, op. cit., p. 25-27.
  • [40]
    Jacques Guilhaumou, Sonia Branca-Rosoff, « De “société” à “socialisme” : l’invention néologique et son contexte discursif. Essai de colinguisme appliqué », Langage et société, n° 83-84, 1998, p. 39-77.
  • [41]
    Zenon Świętosławski (dir.), Lud polski w emigracji, op. cit., p. 3-5.
  • [42]
    « Discours de Czartoryski du 29 novembre 1846 », Mowy X.A. Czartoryskiego [Discours de X.A. Czartoryski], Paris, 1847, p. 111.
  • [43]
    Orzeł Biały [Aigle blanc], vol. 5, n° 6, 30 mars 1844, p. 24.
  • [44]
    Leonard Rettel, « Rozbiór dzieła Piotra Leroux o ludzkości », art. cit., p. 324-342.
  • [45]
    Une observation similaire a été faite par Franciszek Pepłowski, Słownictwo i frazeologia polskiej publicystyki okresu oświecenia i romantyzmu [Vocabulaire et phraséologie du journalisme polonais à l’époque des Lumières et du romantisme], Poznań, Państwowy Instytut Wydawniczy, 1961, p. 122.
  • [46]
    Jan Czyński, « Urządzenie gminy » [« L’organisation de la commune »], Polska Chrystusowa, vol. 1, n° 2, 1843 ; Stanisław Bratkowski, Kilka myśli dla Polski, op. cit.
  • [47]
    Jan Czyński, « Urządzenie gminy », art. cit., p. 404-406.
  • [48]
    Piotr Kuligowski, « Ouvriers, proletrjat, czy stan czwarty ? Konceptualizacje klasy robotniczej w kręgach polskiej lewicy (1832-1892) » [« Ouvriers, prolétariat ou quatrième État ? Conceptualisations de la classe ouvrière dans les cercles de la gauche polonaise (1832-1892) »], Praktyka Teoretyczna, n° 23, 2017/1, p. 160-194.
  • [49]
    Piotr Kuligowski, “The Pathogenesis of the Public Sphere in Exile: Anarchy and Unity in the Political Thought and Mentality of the Great Polish Emigration”, Kwartalnik Historyczny [Trimestre historique], vol. 126, 2019, p. 61-96.
  • [50]
    Krzysztof Marchlewicz, Wielka emigracja, op. cit., p. 126-128.
  • [51]
    Sławomir Kalembka, Towarzystwo Demokratyczne Polskie w latach 1832-1846 [Société démocratique polonaise dans les années 1832-1846], Toruń, TNT, 1966, p. 173.
  • [52]
    Alina Barszczewska-Krupa, «  Udział firm księgarskich i drukarskich w infiltracji nielegalnej literatury emigracyjnej do kraju w latach 1832-1862 » [« La participation des entreprises du livre et de l’imprimerie à l’infiltration de la littérature illégale émigrée dans le pays dans les années 1832-1862 »], in id., Emigracja i kraj : wokół modernizacji polskiej świadomości społecznej i narodowej 1831-1863 [L’émigration et le pays : autour de la modernisation de la conscience sociale et nationale polonaise 1831-1863], Łódź, Wydawnictwo Uniwersytetu Łódzkiego, 1999, p. 38.
  • [53]
    Bolesław Łopuszański, Stowarzyszenie Ludu Polskiego (1835-1841). Geneza i dzieje [Association du peuple polonais (1835-1841). Genèse et histoire], Cracovie, Wydawnictwo Literackie Kraków, 1975.
  • [54]
    Maria Janion, « Zapaleńcy epoki paskiewiczowskiej » [« Les passionnés de l’ère de Paskiewicz »], in id., Romantyzm i jego media [Le romantisme et ses médias], Cracovie, Universitas, 2001, p. 340-385.
  • [55]
    Janusz Berghauzen, Ruch patriotyczny w Królestwie Polskim 1833-1850 [Le Mouvement patriotique dans le Royaume de Pologne 1833-1850], Warszawa, PWN, 1974, p. 84.
  • [56]
    Alina Barszczewska-Krupa, « Cenzura państw zaborczych wobec nielegalnej literatury emigracyjnej w kraju (1831-1863) » [« La censure envers la littérature illégale des émigrés en Pologne (1831-1863) »], in id., Emigracja i kraj, op. cit., p. 72.
  • [57]
    Leon Przemski, Edward Dembowski, Varsovie, Państwowy Instytut Wydawniczy, 1953, p. 89-105.
  • [58]
    Henryk Kamieński, Filozofia ekonomii materyalnej ludzkiego społeczeństwa [Philosophie de l’économie matérielle de la société humaine], vol. 2, Poznań, Drukarnia Walentego Stefańskiego, 1845.
  • [59]
    Ściegienny connaissait probablement les œuvres de Saint-Simon, Cabet et Lamennais : Czesław Wycech, Ks. Piotr Ściegienny. Zarys programu społecznego i wybór pism [Fr. Piotr Ściegienny. Aperçu du programme social et sélection de travaux], Varsovie, Ludowa Spółdzielnia Wydawnicza, 1953, p. 35-36 ; Włodzimierz Djakow, Piotr Ściegienny. Ksiądz-rewolucjonista [Piotr Ściegienny : prêtre révolutionnaire], Varsovie, Książka i Wiedza, 1974.
  • [60]
    Janusz Berghauzen, Ruch patriotyczny, op. cit., p. 310.
  • [61]
    Kasper Pfeifer, « “Oj skończy się nam, skończy nasze mordowanie”. Ludowe pieśni antyfeudalne, Ściegienny, Szela i możliwy wpływ chłopskiej teologii emancypacyjnej na rabację galicyjską » [« “Oh, ça va finir pour nous, notre passion va finir”. Chansons populaires antiféodales, Ściegienny, Szela et l’influence possible de la théologie émancipatrice paysanne sur la rébellion galicienne »], Praktyka Teoretyczna [Pratique théorique], vol. 33, 2019/3, p. 89-114.
  • [62]
    Sorin Antohi, Imaginaire culturel et réalité politique dans la Roumanie moderne. Le stigmate et l’utopie, essais, trad. Claude Karnoouh, Mona Antohi, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Florea Ioncioaia, « Les promesses de l’Harmonie : disciples et traces du fouriérisme en Roumanie », Cahiers Charles Fourier, n17, 2016 [http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article355&var_recherche=roumanie] (consulté en octobre 2021).
  • [63]
    Norman M. Naimark, The History of the “Proletariat: The Emergence of Marxism in the Kingdom of Poland, 1870-1887, Boulder (Col.)/New York, East European Quarterly/Columbia University Press, 1979.
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