Notes
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[*]
Cet article est réalisé dans le cadre du projet de recherche « Botanical legacies from the Enlightenment : Unexplored collections and texts at the crossroads between the humanities and the sciences », inscrit à l’université de Neuchâtel et soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (projet n° 186227). Nous tenons à remercier Dorothée Rusque et Matthias Soubise de nous avoir transmis leur copie numérique des manuscrits du fonds Fusée-Aublet, situé dans les archives du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Mis à part les documents édités par des historiens, nos autres transcriptions de manuscrits sont issues de reproductions commandées auprès de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et des Archives nationales d’outre-mer (ANOM). Nous tenons également à remercier Amélie Hurel, conservatrice du patrimoine, pour son aide et sa collaboration durant nos prospections aux ANOM. On trouvera sur le site internet de Jean-Paul Morel (<www.pierre-poivre.fr>) une importante base de données comprenant de nombreuses transcriptions de certains manuscrits cités dans notre étude.
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[1]
Pierre Poivre, Relation abrégée des voyages faits par le Sieur [Poivre] pour le service de la Compagnie des Indes, depuis 1748, jusqu’en 1757, Henri Cordier (éd.), Revue de l’histoire des colonies françaises, 6/1 (1918), 8-88.
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[2]
Voir Madeleine Ly-Tio-Fane, Mauritius and the spice trade : The odyssey of Pierre Poivre (Port Louis : Esclapon Limited, 1958), 5-9 ; Olivier Le Gouic, Pierre Poivre et les épices : Une transplantation réussie, in Sylviane Llinares et Philippe Hrodej (dir.), Techniques et colonies, xvie-xxe siècles (Paris : Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer et de l’université de Bretagne-Sud – Solito, 2005), 106-109 ; Louis Malleret, Pierre Poivre (Paris : Publications de l’École française d’Extrême-Orient, 1974), 187-222.
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[3]
Pierre-Samuel Dupont de Nemours, Notice sur la vie de M. Poivre (Philadelphie [Paris] : Moutard, 1786).
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[4]
Marthe de Fels, Pierre Poivre ou l’amour des épices (Paris : Hachette, 1968) ; Daniel Vaxelaire, Les Chasseurs d’épices (Paris : Payot & Rivages, 1995) ; Lucienne Deschamps (éd.), Botanistes voyageurs ou la passion des plantes (Genève : Aubanel, 2008) ; Denis Piat, Sur la route des épices : L’île Maurice, 1598-1810 (Paris : Éditions du Pacifique, 2010) ; Louis-Marie Blanchard, L’Aventure des chasseurs de plantes (Paris : Paulsen, 2015) ; Gérard Buttoud, Il s’appelait Poivre : Un chasseur d’épices dans la mer des Indes (1750-1772) (Paris : L’Harmattan, 2016).
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[5]
Aux articles « muscadier » et « muscade, noix » de l’Encyclopédie, Louis de Jaucourt distingue en effet « deux especes de muscadiers : le muscadier cultivé, & le muscadier sauvage » ; tous deux fleurissent dans les îles de Banda. La noix de la première espèce a « la forme d’une olive » et est utilisée dans le commerce, parce qu’elle possède un goût « d’une saveur âcre & suave, quoiqu’amère. Sa substance est odorante, huileuse ». La noix de la seconde espèce « est d’ordinaire plus grosse que la noix muscade cultivée, de forme oblongue ». Bien qu’elle possède la même substance que la noix du commerce, « elle n’a presque point d’odeur & son goût est fort desagréable », c’est pourquoi « la Compagnie hollandoise a presque détruit tous les muscadiers sauvages des îles de Banda ». (Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. X (1765), 881-883.)
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[6]
Voir le rapport de Michel Adanson et de Bernard de Jussieu, ms. du 17 février 1773 (Arch. de l’Académie des sciences [Paris], 2B92 : Registre [des procès-verbaux des séances] de l’Académie royale des sciences, année 1773, fos 32v-36v). Pour la mention des « Argonautes François », voir l’Histoire de l’Académie royale des sciences, année 1772, 1re partie (Paris : Imprimerie royale, 1775), 56-61, ici 61.
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[7]
Emma Spary, Of nutmegs and botanists : The colonial cultivation of botanical identity, in Londa Schiebinger, Claudia Swan (éd.), Colonial botany : Science, commerce, and politics in the early modern world (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2007), 196-201. Les études de Dorit Brixius démystifient l’épopée de Poivre : elles soulignent le rôle fondamental des intermédiaires dans sa quête des épices et analysent le processus de créolisation des savoir-faire botanique et ethnobotanique nécessaires à leur acclimatation. Voir Dorit Brixius, A pepper acquiring nutmeg : Pierre Poivre, The French spice quest and the role of mediators in Southeast Asia, 1740s to 1770s, Journal of the Western Society for French history, 43 (2015), 68-77 ; Id., A hard nut to crack : Nutmeg cultivation and the application of natural history between the Maluku islands and Isle de France (1750s-1780s), British Society for the history of science, 51/4 (2018), 585-606 ; Id., From ethnobotany to emancipation : Slaves, plant knowledge, and gardens on eighteenth-century Isle de France, History of science, 58/1 (2020), 51-75 ; Id., La production du savoir botanique sur le terrain : Les défis d’acclimatation de la noix de muscade sur l’île Maurice (1748-1783), Francia, 46 (2019), 301-317.
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[8]
Spary, op. cit. in n. 7, 197-198.
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[9]
Philibert Commerson, ms. du 27 juin 1770 (Mauritius Arch., Port Louis, MA. OA 100, bundle 100) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 92-93.
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[10]
Guillaume-Hyacinthe-Joseph-Jean-Baptiste Le Gentil de La Galaisière, Voyage dans les mers de l’Inde fait par ordre du Roi, à l’occasion du passage de Vénus sur le disque du Soleil, le 6 juin 1761, & le 3 du même mois 1769, t. II (Paris : Imprimerie royale, 1781), 688.
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[11]
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, Histoire des plantes de la Guiane françoise, t. II (Londres et Paris : Pierre-François Didot, 1775), « Observations sur la vanille », 93. De même, l’abbé Raynal, Fusée-Aublet et Le Gentil considèrent que le projet d’acclimatation de ces épices sur l’île de France, qu’elles soient « sauvages » ou non, est voué à l’échec. Voir Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, 2e éd., t. II (La Haye, 1774), 132-133 ; Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, « Observations sur la vanille », 86-89 ; Le Gentil de La Galaisière, op. cit. in n. 10, 688.
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[12]
Spary, op. cit. in n. 7, 201.
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[13]
Ibid. Voir Bruno Latour, La Science en action, trad. de l’anglais par Michel Biezunski [éd. orig., 1987] (Paris : La Découverte, 1989).
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[14]
Si Madeleine Ly-Tio-Fane, Gérard Buttoud, Olivier Le Gouic, Emma Spary et Dorit Brixius ne se rangent pas du côté de Poivre et restent neutres, il en va autrement de Louis Malleret, Marthe de Fels, Daniel Vaxelaire, Lucienne Deschamps et Denis Piat, qui prennent ouvertement le parti de Poivre contre Fusée-Aublet, décrit comme un odieux personnage. Ces critiques ont simplement rejoué la partition de Poivre, puisque leur analyse ne fait que corroborer les supputations du voyageur. Lucile Allorge et Olivier Ikor se sont rangés du côté de Fusée-Aublet : « Comment croire que cet homme-là ait pu détruire sciemment, par jalousie ou par intérêt, les pseudo-canneliers de Pierre Poivre ? » Ici encore, c’est la crédibilité d’un témoignage qui est valorisée au détriment d’un autre. Plus récemment, Marc Jeanson et Charlotte Fauve ont évité cet écueil en constatant que « les historiens qui secouent la poussière autour de cette affaire restent [nous pourrions préciser, « devraient rester »] dubitatifs ». Voir Malleret, op. cit. in n. 2, 208-215 ; Fels, op. cit. in n. 4, 147-149 ; Vaxelaire, op. cit. in n. 4, 161-165 ; Deschamps, op. cit. in n. 4, 61-62 ; Piat, op. cit. in n. 4, 74 ; Lucile Allorge, Olivier Ikor, La Fabuleuse odyssée des plantes : Les botanistes voyageurs, les Jardins des plantes, les herbiers (Paris : J.-C. Lattès, 2003), 386 ; Marc Jeanson, Charlotte Fauve, Botaniste (Paris : Grasset, 2019), 70.
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[15]
Voir Peter Dear (éd.), The Literary structure of scientific argument : Historical studies (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 1991) ; Alan G. Gross, The Rhetoric of science (Cambridge : Harvard University Press, 1990) ; Greg Myers, Writing biology : Texts in the social construction of scientific knowledge (Londres : University of Wisconsin Press, 1990) ; Lawrence J. Prelli, A rhetoric of science : Inventing scientific discourse (Columbia : University of South Carolina Press, 1989) ; Christian Licoppe, La Formation de la pratique scientifique : Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820) (Paris : La Découverte, 1996).
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[16]
Sur les raisonnements fallacieux, on consultera l’ouvrage inaugural de Charles Leonard Hamblin, Fallacies (Londres : Methuen, 1970). Pour l’approche pragma-dialectique de l’argumentation, voir : Frans H. Van Eemeren, Peter Houtlosser, Une vue synoptique de l’approche pragma-dialectique, in Marianne Doury, Sophie Moirand (éd.), L’Argumentation aujourd’hui : Positions théoriques en confrontation (Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2004), 45-76 ; Frans H. Van Eemeren, Rob Grootendorst, Argumentum ad hominem : A pragma-dialectical case in point, in Hans V. Hansen, Robert C. Pinto (éd.), Fallacies : Classical and contemporary readings (University Park : The Pennsylvania University Press, 1995), 223-228.
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[17]
Marcelo Dascal distingue trois types de discours polémiques : le dialogue, la controverse et la dispute. Dans le dialogue, les interlocuteurs reconnaissent que leur divergence est le résultat d’une erreur qui peut être corrigée par la discussion. La controverse ne concerne pas seulement une erreur, mais révèle une dissension plus profonde, d’ordre méthodologique et conceptuelle. Il faut qu’une position se révèle plus convaincante dans la balance des propositions pour qu’un jury tranche en sa faveur. Finalement, la dispute se situe à l’autre extrême de la discussion, puisqu’elle ne l’admet pas : le refus des procédures d’autrui empêche de trouver un terrain d’entente, les interlocuteurs campent sur leur position et ne cherchent pas de véritable solution en commun. Dans le cas qui nous concerne, nous allons voir que Fusée-Aublet applique le schéma de la dispute, tandis que Poivre mêle plus habilement ces trois types de polémique. Voir Marcelo Dascal, Types of polemics and types of polemical moves, in Svetla Cmejrková, Jana Hoffmannová, Olga Müllerová (éd.), Dialogue analysis VI (Tubingen : Max Niemeyer, 1998), 15-33.
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[18]
Lissa Roberts, « Le centre de toutes choses » : Constructing and managing centralization on the Isle de France, History of science, 52/3 (2014), 319-342.
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[19]
Selon Philippe Haudrère, nombreux sont les employés de la Compagnie qui se rendent dans les colonies afin de s’enrichir le plus rapidement possible et pratiquent ainsi la malversation : « Les chefs n’échappent pas à l’ambiance générale et doivent souvent composer avec leurs subalternes ; s’ils veulent s’y opposer, ils se heurtent à des cabales redoutables, ne reculant pas devant la diffamation ou même l’assassinat. » (Philippe Haudrère, La Compagnie française des Indes au xviiie siècle (1719-1795), t. III (Paris : Librairie de l’Inde, 1989), 784.)
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[20]
« [La symétrisation] peut être entendue comme […] un principe simple de méthode : elle signifie alors être objectif et neutre devant les événements, ne pas se laisser prendre par le discours rationalisateur et a posteriori des acteurs, ne pas procéder de façon téléologique dans les lectures historiques. Le principe de symétrisation est toutefois aussi un principe moral, un principe de justice. Être symétrique signifie alors réhabiliter les perdants de l’histoire, ceux que les vainqueurs ont réussi à faire passer pour irrationnels, déraisonnables ou sans intérêt. La force de cette démarche réside dans le fait de traiter chacun de façon identique, de montrer que les perdants aussi ont une cohérence et que leurs propositions sont (souvent) riches. » (Dominique Pestre, Introduction aux science studies (Paris : La Découverte, 2006), 108.)
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[21]
L’histoire des connaissances botaniques sur le muscadier au xviiie siècle est un objet d’étude fort complexe qui dépasse le cadre de notre présente réflexion. Nous n’aborderons ici que les points de vue de Fusée-Aublet et de Poivre, réservant pour un autre article la question de la méthodologie botanique et des représentations savantes du muscadier au xviiie siècle.
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[22]
« Les Sindics et Directeurs de la Compagnie des Indes, “M. David, A l’Isle de France” », ms. du 30 septembre 1748 (ANOM Col. C/4/5) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 41.
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[23]
« Les Sindics et Directeurs de la Compagnie des Indes… », op. cit. in n. 22, 42.
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[24]
Ibid.
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[25]
Poivre, op. cit. in n. 1, 39.
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[26]
Ibid., 48.
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[27]
Ibid., 55.
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[28]
Pierre Poivre, « Mrs du comité secret a l’isle de France », ms. du 15 novembre 1755 (ANOM, Col. C/4/9), fos 103r-111v, ici f° 107r.
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[29]
Pierre Poivre, « A Monsieur Le Gouverneur et Messieurs les conseillers du Conseil supérieur de l’isle de france », ms. du 30 septembre 1755 (Mauritius Arch., OA 99, bundle 69) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 54.
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[30]
Ms. du 1er octobre 1755 (Mauritius Arch., OA 99, bundle 69) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 58.
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[31]
« [The leaves] grow on the twigs mostly in two rows, but not directly across one another. » (Georgius Everhardus Rumphius, The Ambonese herbal, E. M. Beekman (trad.), t. II (New Haven – Londres : Yale University Press et National Tropical Botanical Garden, 2011), chap. v, 23-24 ; ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30, 58).
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[32]
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, « Séjour à l’Ile de France 1753-1761 – Documents d’intérêt biographique » (MNHN, ms. 452, chemise 5), fos 98-125. Dans ce journal, auquel semblent rattachées d’autres pages manuscrites non foliotées et mélangées dans la chemise des archives, Fusée-Aublet parle de sa future publication du « troisième volume » de l’Histoire des plantes de la Guiane françoise, ce qui nous permet de situer la période de rédaction du journal entre 1765 (date du retour de Fusée-Aublet à Paris) et 1775 (date de la publication de sa flore guyanaise). Nous avons respecté l’orthographe de Fusée-Aublet, mais ponctué ses textes afin de faciliter leur lecture.
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[33]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 100.
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[34]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 102.
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[35]
Le 30 avril 1753, Bouvet de Lozier écrit une lettre au « comité secret » de la Compagnie, dans laquelle il indique que le directeur de Chandernagor, Duval de Leyrit, a chargé le capitaine M. Aubry d’apporter à l’île de France des provisions avec son bateau le Saint-Georges, qui a accosté à l’île de France le 28 mars. Le but véritable de cette expédition était de livrer des plants de muscadier, en échange desquels Aubry demande une récompense de « soixante mille piastres et l’ordre de St Michel ». Bouvet de Lozier engage Aubry à se procurer d’autres muscadiers ainsi que des « gérofliers » à Batavia contre une avance d’argent. Dans une lettre au comité secret, Poivre explique qu’en 1747, n’ayant pas encore exercé sa main gauche, il a dicté à un officier du vaisseau La Baleine le projet d’acclimatation des épices qu’il soumettra à la Compagnie ; cet officier aurait ensuite révélé le projet à Duval de Leyrit. Il affirme que trois mois après le départ d’Aubry, ce dernier revint de Batavia avec de nombreux plants de muscadiers et quelques girofliers, qui furent cultivés au jardin des Pamplemousses et au Réduit. Voir Jean-Baptiste-Charles Bouvet de Lozier, « Mrs les Sindics et les Directeurs du Comité Secret », ms. du 30 avril 1753 (ANOM, Col. C/4/7), fos 204-206 ; Pierre Poivre, « Messieurs du Comité secret », ms. du 10 janvier 1754 (ANOM, Col. C/4/8), fos 430r-430v.
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[36]
« On va voir par la suite que c’est l’arrivée de M. aubrit et son projet qui luy avait fait naître l’idée de cette supercherie et de son avidité car venant de la Chine, où avait-t-il pris ces arbres ? Voila la première querelle que j’ai eu avec mr Poivre sans luy parler. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 103.)
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[37]
« [Mabille et Poivre] Persuadèrent, dis je, mr Bouvet et desservirent en tout point le Sr aubry en s’emparant de son projet qu’ils portèrent mr Bouvet, quoique equitable, a ne pas le defrayer en totalité de son voyage. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 104.)
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[38]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 104.
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[39]
Poivre, op. cit. in n. 1, 48-49.
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[40]
Après avoir étudié la botanique à Montpellier « sous MM. Fitzherald & Sauvages & travailler dans les Laboratoires de Chymie de MM. Calquet & Roux », Fusée-Aublet se rend à Paris où il poursuit sa formation de chimiste sous l’égide de Guillaume-François Rouelle, et de botaniste en suivant les cours de Bernard de Jussieu au jardin du Roi. Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. I, préface, ii-iii.
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[41]
Ibid., v.
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[42]
« Toute l’économie des îles est conçue dans cette perspective : il faut y faire prospérer les cultures vivrières, non les cultures tropicales, au contraire des Antilles. » (Haudrère, op. cit. in n. 19, t. II, 642.)
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[43]
Jean Tarrade, Le Commerce colonial de la France à la fin de l’Ancien Régime : L’évolution du régime de « l’exclusif » de 1763 à 1789, t. I (Paris : Presses universitaires de France, 1972), 60.
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[44]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. I, préface, v.
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[45]
En 1752, Poivre rédige un mémoire contenant une description morphologique ainsi que des indications concernant la manière adéquate de cultiver le muscadier. Voir Pierre Poivre, « Observations sur le muscadier et principalement sur la culture de cet arbre », ms. du 12 février 1752 (ANOM, Col. C/2/285), fos 158r-162v.
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[46]
Charles-Robert Godeheu de Zaimont, « Compagnie des Indes. Journal du voyage de M. GODEHEU, fait en 1754 », ms. du 28 mai 1754 (BNF, 383), fos 35-36 (en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9006896t>).
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[47]
Ibid., f° 66. Godeheu apprend également de la part de Bouvet de Lozier que Poivre est récemment reparti pour une deuxième expédition à destination des îles Moluques. Il précise que selon « d’autres discours », le but de cette expédition serait de rapporter illégalement des esclaves au « Port du sud-est » de l’île, là où Mabille et Poivre planifieraient l’établissement d’une grande habitation. Godeheu conclut qu’il est fort possible que Poivre profite de cette occasion pour rapporter des esclaves, cette pratique étant courante sur l’île. Nous n’avons pas retrouvé le mémoire de Fusée-Aublet mentionné par Godeheu.
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[48]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, fos 102-103.
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[49]
Ibid., f° 103.
-
[50]
« […] le meme jour le Sr Poivre en labordant au gouvernement me tourna le dos, on me refusa le lendemain un cheval a l’envie. Je fus a mr Bouvet, il voulut me renvoyer à mr Mabille, qui était chargé des ecuries. Je luy dis que je n’avois rien a demander qu’a luy, c’est ce que j’ai toujours observé pendant le gouvernement de mr Bouvet. Cela ne m’empecha pas de frequanter le gouvernement et d’y manger toujours. Quelque m’avais plaisant pour faire sa cour m’agassoit, il etoit si bien payé qu’il n’y revenoit pas. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 103.)
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[51]
En témoigne cette lettre adressée à Montaran : « Les jardins de la Compagnie sont en trés mauvais Etat, la direction en est confiée à Mr Aublay qui etoit sans doute un bon apoticaire en France mais qui est un mauvais agriculteur dans ce pays cy, tout ce dont il ne connoit pas la vertu médicale, il le tranche sans pitié, et il ne connoit guere que les plantes d’Europe, il ne fait pas meme attention que les plantes d’Europe transportées dans ce climat demandent une culture différente de celle qu’on leur donne dans leur patrie. Je ne crains pas de vous avouer, M, que la direction dont je vous parle ne me paroit point au-dessus de mes forces […]. » (Pierre Poivre, « Copie d’une lettre du Sr Poivre à Mr. de Montaran », ms. du 10 janvier 1754 (ANOM, Col. C/4/8), fos 422r-423r.)
-
[52]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 56.
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[53]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 57. Fusée-Aublet se réfère ici à l’ouvrage de Willem Piso, Historia naturalis Brasiliae (Leyde-Amsterdam : Elzevier, 1648), chap. xx, 150-152.
-
[54]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 57.
-
[55]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 58.
-
[56]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 60.
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[57]
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, ms. du 29 octobre 1755 (ANOM, Col. C1/3), fos 95r-96r.
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[58]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 57.
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[59]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95r.
-
[60]
Ibid., f° 96r.
-
[61]
Selon Marcin Koszowy et Douglas Walton, « l’autorité épistémique » implique que la déclaration d’un agent expert dans un domaine spécifique possède plus de valeur que celle d’un agent n’ayant pas ce statut d’expert. Voir Marcin Koszowy, Douglas Walton, Epistemic and deontic authority in the argumentum ad verecundiam, Pragmatics and society, 10/2 (2019), 287-315, 296.
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[62]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 96r.
-
[63]
Ibid.
-
[64]
Dascal, op. cit. in n. 17.
-
[65]
Selon l’approche pragma-dialectique de l’argumentation théorisée par Frans H. Van Eemeren et Rob Grootendorst, l’argument ad hominem enfreint la règle de la discussion critique, parce qu’il a pour but d’entraver la parole de l’interlocuteur en démontrant qu’il ne constitue pas un adversaire pertinent. Fusée-Aublet dénigre Poivre en utilisant les variantes « abusive » et « circonstancielle » de cet argument : « In the abusive variant, this party undermines the other party’s credentials by denigrating his intelligence, experience, or good faith. In the circumstantial variant, he does so by suggesting that the other party is not capable of making an impartial judgment because he is driven by personal interests. » (Van Eemeren, Grootendorst, op. cit. in n. 16, 225.)
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[66]
Pierre Poivre, « Reponse à un écrit présenté le 29 octobre dernier (1755) par le Sr Fusée Aublet, au conseil superieur, au sujet de quelques plants remis à messieurs du dit conseil par le Sr Poivre », ms. du 4 novembre 1755 (ANOM, Col. C4/9), fos 97r-102v.
-
[67]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 99v.
-
[68]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95r.
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[69]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 99v.
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[70]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95v.
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[71]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 101v.
-
[72]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 101v.
-
[73]
Dans son rapport de mission à la Compagnie, Poivre observe en effet que les noix récoltées à Timor par le gouverneur de Sambuangan étaient des muscades sauvages : « J’ai declaré au gouverneur et à son secretaire que je regardois ces noix comme une espece sauvage ou degenerée quoique des gens du païs assurassent que c’etoit des vrais pala (muscades) et que les longues surtout la plus grosse devoient être beaucoup plus aromatique que les autres que j’avois ouverte. » (Poivre, op. cit. in n. 28, f° 107r.)
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[74]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 98r.
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[75]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95r.
-
[76]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 98v.
-
[77]
Ibid., f° 97v.
-
[78]
Ibid., f° 100v.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Ibid.
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[81]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 100v.
-
[82]
Marc Angenot, Dialogues de sourds : Traité de rhétorique antilogique (Paris : Mille et une nuits, 2008), 343.
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[83]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 101v.
-
[84]
Poivre ajoute avec ironie : « […] je vois que ce qui passe par les mains de notre chimiste est sujet à transmutation », puis conclut : « […] la conduite du Sr aublet doit tout faire craindre de sa mauvaise foy. » (Poivre, op. cit. in n. 66, f° 102r.)
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[85]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 102v.
-
[86]
« Lorsque je [deux mots barrés] n’eus plus d’assurance, je presentais une requette au conseil et je leur [rapportais ?] tout. Et ce tout fut renfermé, comme je le requerois pour etre envoyé à la Compagnie, mais le Sr Poivre eut assés du credit pour que la boite fermée du sceau du Conseil, du cachet de Mr Bouvet et du mien ne parvient jamais a la Compagnie. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 108.)
-
[87]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. I, préface, ix-x.
-
[88]
Poivre, op. cit. in n. 1, 43.
-
[89]
Ibid., 66. Fusée-Aublet n’est pas en reste en ce qui concerne l’invocation du patronage. Dans un mémoire daté de 1757, il déclare avoir transmis à « Messieurs le Duc Dayen, Malzerbe, Bombarde, Montaran » son dessin du « faux » plant rapporté en 1755 par Poivre. Voir Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, « Mémoire sur les muscades présentées au Conseil par le Sieur Poivre », ms. du 15 mars 1757 (ANOM, Col. C/4/9), f° 385r.
-
[90]
« Une comparaison des demandes de Poivre et des résultats obtenus dans ses négociations démontre l’insuccès de sa mission auprès du roi et des mandarins. » (Malleret, op. cit. in n. 2, 166.) En effet, Poivre a obtenu une « chappe » accordant la liberté de commerce aux Français en Cochinchine, mais le renchérissement des marchandises causé par l’introduction d’une nouvelle monnaie (le « toutenague ») a anéanti l’espoir d’un commerce lucratif pour la Compagnie.
-
[91]
Louis Malleret a étudié le détail de cette affaire dans laquelle Poivre est accusé d’être à l’origine d’un incident diplomatique ayant abouti à la persécution des religieux présents dans le royaume. Voir Malleret, op. cit. in n. 2, chap. « Les conséquences du voyage en Cochinchine », 147-186.
-
[92]
Voir Pierre Poivre, Voyage de Pierre Poivre en Cochinchine, transcription par Henri Cordier, Revue de l’Extrême-Orient, III (1887), 81-121 et 364-510 ; Pierre Poivre, ms. du 10 avril 1750 (BNF, NAF 9377), f° 42r.
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[93]
Malleret cite un extrait de la réponse donnée par la Compagnie à la lettre de Poivre du 10 avril 1750, dans laquelle elle reconnaît les difficultés éprouvées par le voyageur : « Le portrait que vous nous en faites [du commerce et du gouvernement en Cochinchine] prouve suffisamment le peu d’avantage ou plutôt l’inutilité de l’établissement que vous auriez pu y former. » (« Lettre des Syndics et Directeurs de la Compagnie des Indes à Poivre », ms. du 30 septembre 1750 (archives personnelles de la famille Pusy – La Fayette), cité par Malleret, op. cit. in n. 2, 173.)
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[94]
« Mais dans la même lettre, ils changent complètement d’avis à propos de la mission de Poivre, dont ils soulignent l’amateurisme. Ils jugent notamment ses rapports insuffisants, estiment que son expédition en Cochinchine n’a servi proprement à rien, et émettent des doutes sur le sérieux de sa mission secrète de recherche des épiceries fines. » (Buttoud, op. cit. in n. 4, 49.)
-
[95]
Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 3.
-
[96]
Haudrère, op. cit. in n. 19, t. III, 1011-1012.
-
[97]
« Au retour, la Compagnie se propose de lui accorder une pension de 1 200 livres pour l’ouverture du commerce de la Cochinchine et, si le succès de cette opération le déterminait à y retourner pour prendre la direction du comptoir, ses honoraires seraient alors portés à 4 000 livres monnaie forte. Enfin, pour le seul transport de quelques plants de muscadier et de giroflier de Mindanao à l’île de France, il percevra une gratification de 30 000 livres. Si ces plants réussissent en terre, croissent et prospèrent, il recevra encore une somme de 30 000 livres, sans compter d’autres marques de satisfaction que la Compagnie ne manquera pas de lui donner. » (Malleret, op. cit. in n. 2, 118 ; Malleret se réfère à la « Lettre des Syndics et Directeurs de la Compagnie des Indes à Pierre Poivre », op. cit. in n. 93.)
-
[98]
Malleret, op. cit. in n. 2, 217.
-
[99]
Liliot-Antoine David, « Rapport de la mission du Sr Le Poivre à la Cochinchine et autres lieux avec extrait de ses lettres, mémoires, comptes, et pièces au soutien, et sa demande à la Compagnie de la solde de son compte », ms. (ANOM, Col. C/1/3), fos 98-118.
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[100]
Poivre, op. cit. in n. 1, 85.
-
[101]
Cette copie se trouve « à Lyon dans les archives de la famille Pérouse, descendante de Poivre par alliance » ; dans celle-ci, on trouve une « Récapitulation des faits contenus dans cette relation avec quelques nouveaux éclaircissements » (Malleret, op. cit. in n. 2, 215-216).
-
[102]
Il s’agit d’un extrait du manuscrit cité par Malleret, op. cit. in n. 2, 217.
-
[103]
Malleret, op. cit. in n. 2, 217.
-
[104]
« […] Pierre Duvelaër, l’un des directeurs de la Compagnie, le plus en vue des onze frères de Julien, Joseph de la Barre que Poivre avait connu comme chef de comptoir à Canton. Cette famille d’origine hollandaise s’était fixée à Saint-Malo vers le milieu du xviie siècle. Pierre Duvelaër, sieur de Kerveguen avait fait lui aussi ses débuts à Canton où Dupleix, alors subrécargue du Saint-Joseph, l’avait rencontré en 1724. […] En 1735, il avait épousé Marie-Élisabeth Duval d’Espremenil, fille du directeur de Lorient, et occupa la place de son beau-père, trois ans plus tard, quand celui-ci fut nommé à Paris. Depuis 1746, il avait été appelé à succéder à Dumas, à la tête du département de l’Inde. » (Malleret, op. cit. in n. 2, 109-110.)
-
[105]
Poivre, op. cit. in n. 1, 49.
-
[106]
Ibid., 50-51.
-
[107]
Loïc Nicolas, Rhétorique du complot : La persuasion à l’épreuve d’elle-même. Itinéraire d’une pensée fermée, in Emmanuelle Danblon, Loïc Nicolas (dir.), Les Rhétoriques de la conspiration (Paris : CNRS Éditions, 2010), 73-96, 96.
-
[108]
L’écrit « Quelques réflexions sur le mémoire qui traite de la Cochinchine » et ses pièces annexes, « Récapitulation de tout ce que dessus » et « Voyage de M. Poivre », par Duvelaër, ne laissent apparaître aucune opposition de la part du directeur vis-à-vis du projet des épices. Duvelaër développe son point de vue sur la meilleure façon d’exécuter les deux phases de l’expédition (le commerce en Cochinchine et les muscadiers à Manille). Voir ANOM, Col. C1/1, fos 45-55 ; ces manuscrits ont été transcrits par Henri Cordier dans Revue de l’Extrême-Orient, II (1884), 372-391.
-
[109]
Poivre, op. cit. in n. 1, 21.
-
[110]
Ibid., 22.
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[111]
Ibid., 23.
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[112]
Nicolas, op. cit. in n. 107, 89.
-
[113]
Pierre Poivre, « Mr. de St Priest », ms. du 31 décembre 1750 (BNF, NAF 9224), fos 149r-154r, ici f° 153r.
-
[114]
Nicolas, op. cit. in n. 107, 74.
-
[115]
Le journal personnel de Poivre se trouve dans les archives personnelles de la famille Pusy – La Fayette. Jean-Paul Morel a obtenu l’autorisation de publier une transcription de son contenu, auquel il a attribué une classification. L’extrait cité est tiré de la cote Pusy-A-2D, il s’agit du « Journal de Pierre Poivre, agent de la Compagnie des Indes A bord de la Colombe avril 1754 – juin 1755 », 22. En ligne : <http://www.pierrepoivre.fr/Arch-Pusy-2D.pdf>
-
[116]
Nicolas, op. cit. in n. 107, 74.
-
[117]
Poivre, op. cit. in n. 1, 69.
-
[118]
Ibid., 68.
-
[119]
Ibid., 69.
-
[120]
Ibid., 70.
-
[121]
« Le Sieur aublet m’a fait voir au Réduit beaucoup d’arbres et de plantes qu’il a eû le courage de cultiver, et qui par ses soins et sa constance, ont prosperé, malgré tous les dégouts qu’on s’est attaché à luy faire essüier à chaque instant. Sa probité, son zéle et son désintéressement me font concevoir de luy l’opinion la plus avantageuse. » (René Magon de La Villebague, « Journal », ms. du 23 janvier 1756 (ANOM, Col. C/4/9), f° 200v.)
-
[122]
Pierre Berthiaume, L’Aventure américaine au xviiie siècle (Ottawa : Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1990), 189.
-
[123]
Pierre Berthiaume note que dans les récits de voyage, « le problème de la vérité paraît se réduire à une question de stylistique dans la mesure où l’on oppose les artifices de l’art au naturel de la simplicité qui proscrit fard et mensonge. […] Qui dit style châtié, étudié, dit auteur, et qui dit auteur, pense roman et fiction. » (Berthiaume, op. cit. in n. 122, 184.) Sur le rapport problématique entre fiction et rhétorique dans le récit viatique, on consultera aussi l’article d’Odile Gannier, Rhétorique des fleurs absentes : Les scrupules académiques et stylistiques des récits d’expédition, Viatica [en ligne], 7 (2020), 1-14.
-
[124]
Michel Foucault, Les Mots et les choses (Paris : Gallimard, 1966), 101.
-
[125]
Auguste Toussaint, Histoire des îles Mascareignes (Paris : Berger-Levrault, 1972), 77.
-
[126]
Haudrère, op. cit. in n. 19, t. III, 1008-1012.
-
[127]
Marion F. Godfroy, Kourou, 1763 : Le dernier rêve de l’Amérique française (Paris : Vendémiaire, 2011).
-
[128]
François Regourd, Kourou 1763 : Succès d’une enquête, échec d’un projet colonial, in Charlotte de Castelnau-L’Estoile, François Regourd (dir.), Connaissances et pouvoirs : Les espaces impériaux (xvie-xviiie siècles), France, Espagne, Portugal (Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2005), 233-252, 236.
-
[129]
Henri Froidevaux, Une mission géographique et militaire à la Guyane en 1762, Annales de géographie, I/2 (1892), 218-231, 224.
-
[130]
Haudrère, op. cit. in n. 19, t. IV, 1099.
-
[131]
Pierre-Paul Bombarde de Beaulieu, « Reponse a la lettre du Sr Aublet dattée de Cayenne du 16 mars 1763 » (ANOM, Col. C/14/26), fos 349r-352r.
-
[132]
« Tous les faits & les réflexions qu’on vient de lire, nous démontrent combien il seroit utile que des projets pareils à celui des épiceries fines, fussent jugés par des personnes capables d’apprécier ces entreprises, instruites par les voyages, le commerce, la lecture de tout ce qui a été écrit en ce genre, & possédant les principes & la pratique de l’agriculture ; car il faut la réunion de toutes ces connoissances pour décider de la possibilité, des moyens, des obstacles & des avantages des projets d’agriculture & de commerce ; chacun des membres doit être consulté d’abord séparément & ensuite en comité, & n’avoir aucun espoir de prendre part au profit du projet. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. II, « Observations sur le muscadier », 94.)
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[133]
Dans ce qui ressemble fort à l’ébauche d’un mémoire consacré à la culture du poivrier, du muscadier et du cannelier – rédigé ultérieurement à la publication de sa flore guyanaise –, Fusée-Aublet révoque ses doutes concernant la possibilité d’acclimater le muscadier dans les colonies françaises. Il analyse en détail la description du muscadier fournie par Rumphius et constate que « dans les possessions immenses de sa majesté », les muscadiers et les girofliers « peuvent y être cultivés avec le même succès qu’à Banda et à Java ». Voir Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, « Cannelle, poivre, muscade » (MNHN, ms. 453, chemise 2), s. f.
-
[134]
Malleret, op. cit. in n. 2, 257-258.
-
[135]
Ibid., 259.
Introduction : La rhétorique de l’acquisition des muscadiers
1 La quête des muscadiers de Pierre Poivre (1719-1786) et sa querelle avec l’apothicaire Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778) ont été narrées dans un récit de voyage : « Relation abrégée des voyages faits par le Sieur [Poivre] pour le service de la Compagnie des Indes, depuis 1748, jusqu’en 1757 [1] ». Sur la base de cette « Relation abrégée », mais aussi de lettres et de mémoires adressés par Poivre aux directeurs de la Compagnie des Indes, Madeleine Ly-Tio-Fane, Louis Malleret et Olivier Le Gouic ont proposé une description étendue des pérégrinations de Poivre et de son altercation avec l’apothicaire [2]. Ces études sont passionnantes, parce qu’elles colligent de nombreux documents et permettent ainsi de retracer précisément le parcours de Poivre de ses premières expéditions (1749-1755), jusqu’à son rôle de commissaire ordonnateur de l’île de France (1767-1772). Comme en témoigne le sous-titre de l’ouvrage de Ly-Tio-Fane, The odyssey of Pierre Poivre, le futur intendant de l’île de France est le héros d’une épopée. Ce récit héroïque des exploits de Poivre est le fruit d’une historiographie à tendance hagiographique, qui trouverait son origine dans la notice biographique de Pierre-Samuel Dupont de Nemours [3] (1739-1817) et son prolongement dans les « beaux livres » et les biographies s’attardant de nos jours sur la figure du botaniste voyageur [4]. Si l’on a bien voulu prêter attention à cette histoire édifiante, c’est qu’elle fut en quelque sorte légitimée par son heureux dénouement : en 1772, Poivre est parvenu à briser le monopole hollandais des muscadiers en se procurant des muscades dites « du commerce », c’est-à-dire les épices aromatiques des îles Moluques, commercialisées par la VOC (Compagnie néerlandaise des Indes orientales) [5]. En 1772, des fruits sont envoyés à Paris pour être authentifiés par l’Académie royale des sciences. Le 17 février 1773, Michel Adanson (1727-1806) et Bernard de Jussieu (1699-1777) rendent un rapport dans lequel ils reconnaissent l’authenticité et la qualité commerciale des spécimens rapportés des îles Moluques. Lors de la publication du rapport au sein de l’Histoire de l’Académie royale des sciences, un paragraphe supplémentaire confère aux explorateurs le statut d’« Argonautes François » [6]. Cette mythification de l’entreprise de Poivre fournit un indice important sur le rôle de la rhétorique dans la consécration d’une expédition scientifique. Symbole d’une réussite tant botanique que sociale et politique, cette reconnaissance institutionnelle a valeur d’événement historique : c’est précisément ce couronnement de Poivre qui en a fait un personnage incontournable de l’histoire coloniale de la botanique française.
2 Les études récentes d’Emma Spary et de Dorit Brixius [7] ont renouvelé considérablement l’approche historique de la quête des muscadiers. Spary a notamment démontré que la victoire de Poivre, assurée grâce à la reconnaissance de l’Académie française, ne permet pas pour autant d’accéder historiquement à l’identité véritable de ces muscadiers. La critique remarque en effet que la mise en doute de l’authenticité des muscades rapportées par Poivre ne concerne pas uniquement la période de 1753 à 1755 et la controverse avec le botaniste Fusée-Aublet, mais aussi les spécimens rapportés en 1770 et 1772. En août 1763, la Compagnie des Indes, ruinée par la guerre de Sept Ans (1756-1763), rétrocède les îles des Mascareignes à Louis XV. En novembre 1766, le duc de Praslin, ministre de la Marine, nomme Poivre « Commissaire-Ordonnateur » des îles de France et de Bourbon. En 1769, Poivre commandite une expédition : en janvier 1770, Jean-Mathieu Provost et le capitaine d’Etcheverry embarquent chacun sur une frégate à destination des îles Moluques. En juin 1770, Provost accoste sur l’île de France avec une importante cargaison de muscadiers. Poivre organise une cérémonie solennelle en présence de François-Julien Du Dresnay, chevalier des Roches (1719-1786), gouverneur général des Mascareignes, de Philibert Commerson (1727-1773), de Provost et d’autres figures militaires et médicales de la colonie afin de ratifier la réussite de l’expédition et de reconnaître l’authenticité des muscades. Le chevalier des Roches s’oppose à une telle opération parce qu’il juge les personnalités présentes à cette assemblée incapables de déterminer les plantes en question [8]. L’assemblée a cependant lieu et Philibert Commerson produit un certificat officialisant le statut de ces plantes : il s’agit bien des muscadiers du commerce [9]. En 1781, Guillaume-Hyacinthe-Joseph-Jean-Baptiste Le Gentil de La Galaisière (1725-1792), astronome de l’Académie royale des sciences, contredit Commerson : il publie le deuxième volume de ses récits de voyage, dans lequel il constate que les muscades qu’il a pu observer à l’île de France en 1770 étaient « pour la plus grande partie, des noix bâtardes [10] ». Lors d’une deuxième expédition menée en 1772, Provost rapporte une deuxième cargaison de muscadiers, il s’agit des spécimens dont un échantillon sera envoyé à l’Académie royale des sciences. Si Le Gentil ne conteste pas le rapport d’Adanson et de Jussieu, parce que son constat porte sur les muscades de 1770 et non de 1772, ce n’est pas le cas de Fusée-Aublet, qui s’attaque à l’expertise des deux académiciens, alors même qu’il a rédigé son Histoire des plantes de la Guiane françoise (1775) sous le patronage de Jussieu : « […] tout nous porte à croire que l’on n’a pas encore pu se procurer la vraie Muscade en état de germer, ni des plants du Muscadier du commerce, que les Muscadiers & les Muscades que se sont procurés les Argonautes de la Muscade, sont des Muscadiers sauvages dont sont remplis les Isles de l’Archipel Indien […] [11]. »
3 Considérés tantôt comme les « vrais » spécimens du « commerce », tantôt comme des plantes « sauvages » ou « bâtardes », les muscadiers sont sujets à controverse. La particularité de cette querelle est de porter sur une plante inconnue des naturalistes français, ce qui exclut toute possibilité de comparaison empirique entre les plantes de Poivre et celles, de la même espèce, qui auraient déjà été connues de l’Académie : « No French botanist had seen a nutmeg plant, so Poivre’s specimen could not be compared on the basis of experience ; because it could not be compared, it could not be identified unless hierarchies of expertise were established before-hand [12]. » Spary perçoit ici une justification du principe de la « boîte noire » théorisé par Bruno Latour : « […] a natural object can only be permitted to become natural once the social setting in which it will take on meaning has been controlled [13]. » La réussite de Poivre est certes « officialisée » par une haute instance institutionnelle, mais elle marque surtout la victoire d’une faction sur une autre : le réseau botanique et politique de Poivre a eu raison des opposants à cette « vérité ». Pour que la réussite de Poivre soit effective en 1772, il aura fallu qu’il parvienne à négocier avec de nombreux acteurs politiques et scientifiques, à s’entourer de botanistes favorables à sa cause, mais aussi qu’il obtienne le titre de « Commissaire-Ordonnateur » de l’île de France et l’appui institutionnel de l’Académie royale des sciences.
4 La critique néglige cependant de considérer l’action concrète du langage dans le processus de création d’un « objet naturel », notamment en 1755, lorsque Poivre ne parvient pas à réunir les conditions citées à l’instant pour établir un consensus botanique autour de l’identité des plantes qu’il a rapportées de Manille et de Timor. Fusée-Aublet apparaît comme l’obstacle majeur à la réalisation de cette ambition, parce qu’il refuse de collaborer avec Poivre et dénonce, auprès des hautes instances de la Compagnie des Indes, un « esprit de parti » dans le gouvernement de l’île de France. Afin de comprendre comment les enjeux sociaux et politiques ont conditionné la dimension scientifique de cette polémique, il nous semble donc essentiel d’étudier les discours des pièces administratives la rapportant : des mémoires, des journaux et des correspondances qui n’ont jamais fait l’objet d’une microanalyse. Cela s’explique sans doute par la difficulté de la tâche : cette querelle n’ayant pas été résolue par les institutions savantes de l’époque, la tentation est grande pour l’historien de vouloir trancher et de prendre parti [14]. De plus, le débat est compliqué par des éléments sans rapport direct avec la botanique, mais ayant trait à des rivalités de statut et d’autorité au sein de la Compagnie des Indes. Le recours à la parole testimoniale, au réquisitoire, à l’affirmation sur la bonne foi, au sujet d’éléments à la fois contextuels et savants brouille les pistes d’une détermination botanique elle-même problématique. Pour qu’une telle situation de conflit se manifeste, la tension engageant des facteurs d’intérêts et d’ambition est en effet insuffisante, il faut également que le matériel botanique prête à confusion et devienne paradoxalement l’outil d’une rhétorique permettant de persuader un tribunal, en l’occurrence les directeurs de la Compagnie des Indes, sur la base d’indices judiciaires et non pas strictement savants.
5 De nombreux travaux d’histoire et de sociologie des sciences ont porté sur la dimension rhétorique de la science, questionnant notamment le rôle de l’argumentation et de la persuasion dans l’élaboration du discours savant [15]. La particularité des échanges entre Fusée-Aublet et Poivre réside dans l’emploi d’une dialectique « fallacieuse [16] » qui décrédibilise, dans les deux cas, le discours de détermination botanique et rend ainsi caduque l’idée même de controverse [17]. Dans le sillage méthodologique d’Emma Spary, il ne s’agit donc pas d’observer ici la construction sociale et rhétorique d’un savoir, mais d’un non-savoir botanique dans le contexte de la politique commerciale menée par la Compagnie des Indes durant la seconde moitié du xviiie siècle. Si Lissa Roberts a insisté sur le modèle de centralisation politique et savant mis en œuvre par Poivre lors de son administration de l’île de France [18], son conflit avec Fusée-Aublet en 1755 apparaît comme une tentative avortée d’obtenir la position qui lui permettra de mener à bien sa politique d’acclimatation des muscadiers. La rhétorique déployée par Poivre à l’encontre de Fusée-Aublet n’est pas limitée à cette polémique, mais apparaît comme un modèle d’intelligibilité lui permettant de s’affranchir de toute situation ne répondant pas à ses intérêts et par là même, de les promouvoir. En théorisant une « cabale » au sein de la Compagnie des Indes, dont Fusée-Aublet serait l’exécutant, Poivre trouve une cause unique à tous ses problèmes. En face de lui, le modèle diffamatoire élaboré par le botaniste et son manque de rigueur méthodologique tendent à décrédibiliser son expertise des spécimens qu’il ne semble pas en mesure de déterminer. En retour, la posture de probité et de loyauté envers la métropole affichée par Fusée-Aublet souligne la prévarication de la colonie [19]. La volonté de s’opposer à Poivre apparaît comme un moyen de réaffirmer l’autorité d’un apothicaire au sein d’une société dont il déplore et dénonce la corruption aux yeux de ses commanditaires.
6 En appliquant aux textes de Fusée-Aublet et de Poivre l’outil de « symétrisation » commun aux science studies [20], notre attention portera donc, dans un premier temps, sur les facteurs sociaux et relationnels qui ont conditionné les discours de cette épreuve de détermination en cherchant l’origine de leurs motifs dans la documentation personnelle des deux rivaux. Dans un second temps, nous observerons les discours de détermination des muscadiers et la volonté de situer l’argumentation sur un plan à la fois scientifique, juridique et polémique [21]. En analysant le récit complotiste élaboré par Poivre au sujet de Fusée-Aublet et d’autres personnalités de la Compagnie des Indes, nous tenterons finalement de comprendre le régime épistémique qui sous-tend le discours rhétorique dans cette controverse historique.
À l’origine de la polémique : Un conflit d’autorité botanique
7 Le 13 mars 1749, Pierre Poivre débarque à Port-Louis chargé d’une missive destinée à Pierre-Félix-Barthélemy David (1710-1795), gouverneur général de l’île de France depuis 1746. Cette « lettre particulière [22] », rédigée à Paris le 30 septembre 1748 par les « Sindics et Directeurs » de la Compagnie des Indes, contient les instructions d’une expédition secrète : David doit fournir à Poivre une frégate à destination de Faïfo, afin qu’il obtienne du roi de Cochinchine la permission d’y établir un comptoir de commerce. Plus intéressant pour nous, Poivre se rendra ensuite à Macao où il fera mouiller sa frégate dans le port des îles Taipa ; il négociera alors avec les Portugais « l’affrettement d’un petit Navire [23] » à destination de Manille où Poivre sera débarqué. Il utilisera ledit navire afin de prospecter des « Plans d’Epiceries fines [24] » dans la région de Mindanao, île des Philippines, où il sera rejoint par la frégate de Taipa qui pourra ainsi embarquer la précieuse cargaison à destination de l’île de France. Les épices en question sont le girofle et la noix de muscade cultivés par la VOC (Compagnie néerlandaise des Indes orientales) dans ses colonies des îles Moluques. Les Mascareignes étant situées sur la route des épices entre l’Europe, Pondichéry et les comptoirs d’Asie, la Compagnie des Indes souhaite utiliser avantageusement cette position stratégique : il s’agit de briser le monopole hollandais du giroflier et de la noix de muscade et d’acclimater à Bourbon et sur l’île de France les épices volées aux colonies hollandaises. Poivre se rend donc à Manille le 25 mai 1751, où il obtient « quelques sacs de noix de muscade [25] » achetés à un marchand chinois. Lorsqu’il rentre à l’île de France le 2 novembre 1753, il n’est parvenu à sauver que cinq des dix-neuf plants qu’il a fait germer à Manille [26]. Le voyageur souhaite poursuivre et terminer les opérations menées entre 1751 et 1753 dans la région des Philippines en rapportant des girofliers. Il obtient de la part de Jean-Baptiste-Charles Bouvet de Lozier (1706-1788), gouverneur général par intérim des Mascareignes, une « mauvaise frégatte [27] », embarque sur la Colombe le 1er mai 1754 et après de nombreuses déconvenues, mouille le 10 avril au port de Lifao, situé dans l’île de Timor, colonie portugaise. Le gouverneur de Timor lui remet des bailles contenant des spécimens de muscadier [28]. Le 30 septembre 1755, à l’île de France, il adresse une requête à Bouvet de Lozier et aux membres du conseil supérieur de l’île, dans laquelle on apprend qu’un seul plant a survécu aux « divers accidens de la navigation ». Poivre précise qu’il a également planté une noix « qui commence à germer ». S’il a gardé le silence entre les mois de juin et de septembre, c’est qu’il attendait « les ordres du comité secret de la Compagnie duquel [il eut] l’honneur de recevoir [sa] mission en 1748 » [29]. Poivre demande à ce que ce matériel soit expertisé. Le 1er octobre 1755, il soumet au conseil supérieur de l’île une description des caractères du plant de muscadier qu’il a rapporté de Timor ainsi que les deux spécimens en question. Fusée-Aublet est appelé pour certifier les muscadiers. Une violente altercation éclate alors entre ce dernier et Poivre. Le voyageur accuse l’apothicaire d’avoir répandu, en France et à l’île de France, la rumeur selon laquelle les plants de muscadier qu’il avait rapportés de Manille en 1753 étaient des « faux ». Ce à quoi Fusée-Aublet rétorque qu’il a bien écrit à Jacques Michau de Montaran (1701-1782), commissaire du roi auprès de la Compagnie des Indes et « à un botaniste de ses amis ». Il justifie son acte en affirmant « que le Sr Le Poivre l’avoit traité d’ignorant » [30]. Il affirme ensuite avoir observé lesdites plantes, dont les « feuilles alternes » ne pouvaient correspondre à celles du muscadier. Dans l’esprit de l’apothicaire, le muscadier doit avoir des feuilles opposées, une affirmation fausse et en contradiction directe avec la description donnée par Rumphius, à laquelle il se réfère pourtant [31]. Fusée-Aublet et Poivre s’opposent sur les raisons de ce conflit initial. Sur la base d’un journal [32] de l’apothicaire et du rapport d’identification du 1er octobre 1755, la reconstitution de cet affrontement permet cependant de comprendre que la mésentente entre les deux protagonistes repose elle-même sur une détermination confuse des plantes rapportées en 1753. Selon Fusée-Aublet, lorsque Poivre débarque à l’île de France le 2 novembre 1753, il loge chez Jacques-François Mabille et ne lui adresse pas la parole lors des divers repas qu’ils prennent en commun au gouvernement. La première altercation entre Fusée-Aublet et Poivre survient peu après une visite que l’apothicaire rend à l’ex-missionnaire chez Mabille :
« Je l’avais été voir et en promenant dans un petit jardin qui appartient a cette maison, le Sr Poivre me fit passer devant plus de dix seaux garnis de plantes de mon hauteur ou je crus apercevoir des tacamaca et des jam rosade car les feuilles de ces arbres étaient opposées. Le Sr Poivre me demanda si je connaissais ces arbres je repondis non, nous rentrâmes, et dans lapartement il me proposa à voir un bel herbier qu’il disait avoir des plantes des indes. Je l’ouvris avec empressement et en regardant le Sr Poivre je luy dis j’ay marché longtemps peut etre sur ces mêsmes plantes c’est un herbier semblable à ceux qu’on vend au jardin des apoticaires a paris pour dix écus ou deux louis […] [33]. »
9 Fusée-Aublet n’est pas capable d’identifier les plantes entreposées dans le jardin de Mabille et se trouve discrédité aux yeux de Poivre. En retour, l’apothicaire décrédibilise Poivre en lui indiquant que son herbier ne contient que des plantes communes. Plus intéressant encore, Fusée-Aublet laisse entendre dans son journal qu’il n’avait pas connaissance de la mission secrète de Poivre concernant les muscadiers. Dans la suite du récit, il affirme en effet qu’un « dimanche d’heureuse mémoire », Poivre lui révéla l’identité des plantes en question. Selon Fusée-Aublet, Poivre tente alors d’acheter ses services en le complimentant sur son travail. L’apothicaire ne cédant pas à « l’Eloge » du voyageur, ce dernier en vient aux faits :
« […] ces arbres que vous n’avez pas connus sont des muscadiers, je dois demain les remettre au conseil et c’est vous qui devés le certifier et signer le procès verbal. Comme vous voulez cultiver et établir un beau jardin, je serai charmé que ce soit vous qui le cultive. Ceux qu’aubri a aporté ne sont pas des vrais muscadiers, il a trompé M. Bouvet [34]. »
11 Fusée-Aublet accuse en effet Poivre et Mabille d’avoir dérobé au capitaine Aubry le projet d’acclimatation des épices [35] et d’avoir également imaginé une « supercherie [36] » en présentant des plantes rapportées de Chine comme des muscadiers. Pire encore, son influence sur Bouvet de Lozier lui aurait permis de s’approprier le projet d’expédition du capitaine en 1754 [37]. Fusée-Aublet n’était donc pas instruit des opérations secrètes de la Compagnie, ni des détails des opérations de Poivre. Il lui reproche encore d’avoir organisé le voyage de 1754 dans le seul but de pratiquer un « commerce personnel [38] » avec Mabille. Le témoignage de Fusée-Aublet contredit la version des faits exposée par Poivre dans sa « Relation abrégée » : Poivre déclarait vouloir obtenir un procès-verbal de la remise des cinq muscadiers rapportés de Manille, mais il précisait que le gouverneur Bouvet de Lozier le lui avait refusé sous prétexte que le secret de sa mission risquait d’être éventé. Poivre expliquait ensuite que les plants n’avaient pas été distribués au jardin du Réduit, parce que celui-ci avait été confié « à un homme [Fusée-Aublet] sans conduite, sans capacité, sans expérience, et dont la mission singulière paroissait être l’ouvrage des ennemis du projet de l’acquisition des épiceries [39] ».
12 Chimiste et botaniste de formation [40], Fusée-Aublet est nommé en 1751 « Botaniste & premier Apothicaire-compositeur de la Compagnie des Indes à l’Isle de France [41] ». Sa mission consiste à établir une pharmacie, à cultiver des plantes européennes et exotiques afin de fournir des médicaments et des aliments pour la colonie et le ravitaillement des vaisseaux. Comme le souligne Philippe Haudrère, l’île de France, de par sa situation géographique, est alors le lieu d’escale obligé des vaisseaux de la Compagnie partis de Lorient à destination des Indes françaises. Par conséquent, toute l’économie de l’île est dédiée à la production de vivres et de médicaments destinés au ravitaillement de ces navires [42]. Contrairement aux colonies des Antilles, l’île de France ne pratique pas la culture ni l’exportation des denrées tropicales. Selon Jean Tarrade, le fait que l’île de France ne joue pas « un rôle important dans l’économie coloniale » et ne soit pas exploitée « pour l’intérêt du commerce métropolitain » s’explique par son « appartenance à la zone du monopole commercial de la Compagnie des Indes » [43]. Ainsi, lorsque Fusée-Aublet est engagé par la Compagnie sur la recommandation de Nicolas-René Berryer (1703-1762), sa mission s’inscrit dans la continuité de la politique coloniale de cette île : l’apothicaire devra cultiver des plantes européennes et indigènes, vivrières et médicamenteuses, afin d’assurer le ravitaillement de l’île et des vaisseaux de la Compagnie. On comprend dès lors mieux tout ce qui sépare Fusée-Aublet de Poivre : le premier est envoyé à l’île de France afin de pérenniser une politique coloniale et d’optimiser son économie. Fusée-Aublet précise en effet qu’il est également chargé d’inspecter les entreprises sur l’île et de rendre des rapports à la Compagnie afin de défendre ses intérêts :
« Je fus chargé, comme tous les gens en état de voir, de donner à la Compagnie les avis de ce qui se passoit de favorable ou contraire à ses intérêts. On ne me cacha point les obstacles que j’aurai à surmonter pour faire mon devoir ; enfin on me promit de favoriser mes travaux et recherches particulieres. Mes provisions me donnoient le titre de Botaniste & de premier Apothicaire-compositeur de la Compagnie des Indes à l’Isle-de-France [44]. »
14 Le second, nommé pour l’occasion « Commissaire de la Compagnie des Indes », ne souhaite pas seulement acclimater les muscadiers à l’île de France, mais faire de cette colonie l’égale des Antilles françaises, une plateforme d’exportation et de commerce des « épiceries fines ». Contrairement à Fusée-Aublet, Poivre est un autodidacte en matière de botanique : sa seule véritable expertise porte sur les connaissances relatives au muscadier qu’il a colligées sur le terrain durant ses prospections, dans le but de faciliter l’acclimatation de l’épice à l’île de France [45]. De par son statut de botaniste de la Compagnie des Indes, Fusée-Aublet aurait dû faire autorité dans la colonie, mais nous allons voir que sa fidélité aux hauts dirigeants de la Compagnie et son incapacité à s’allier le conseil supérieur de la colonie le desservirent au point de lui retirer l’estime et la légitimité inhérentes à sa formation et à ses connaissances botaniques.
15 Dès son arrivée sur l’île de France, Fusée-Aublet pratique de nombreuses réformes et se met à dos le gouvernement et les habitants de la colonie. Il se débarrasse notamment de la culture des vers à soie et dénonce auprès de la Compagnie la mauvaise gestion de la pharmacie pratiquée par Mabille. C’est d’ailleurs ce conflit ouvert entre les deux personnalités qui sera à l’origine du retour en France de l’apothicaire en 1762. Mabille est l’ami de Poivre et Fusée-Aublet est convaincu que les deux comparses ont des projets d’enrichissement personnel au « Port du sud-est » de l’île. Lorsque Charles-Robert Godeheu de Zaimont (1710-1794), commissaire du roi et gouverneur général des Établissements français de l’Inde devant remplacer Joseph-François Dupleix (1697-1763) à Pondichéry, visite le jardin du Réduit au mois de mai 1754, il constate que « le désintéressement et la candeur des mœurs » de l’apothicaire le font traiter comme « un imbecille, comme un ignorant, comme un simple jardinier », alors même qu’il a « rassemblé bien des plantes inconnues jusqu’à présent dans l’île » [46]. Godeheu reconnaît les mérites de l’apothicaire et se montre sensible aux mauvais traitements dont il est victime :
« La pharmacie paraît bien approvisionnée. / Je n’ose assûrer ce qui m’a été dit de l’employ / qu’on en fait. Le Sr Aublet, qu’on affecte / d’éloigner de cette partie, m’a remis un / Mémoire dont je joins une copie à ce journal. / on y verra tous les détails dans lesquels je ne puis / entrer. On y verra même les tours que lui ont / voulu jouer les Srs Mabile et Poivre, et ce qu’ils / ont imaginé pour le rendre suspect à M. Bouvet […] [47]. »
17 Lors de ses différentes visites dans l’île, Godeheu constate encore le pouvoir exercé par Mabille sur Bouvet de Lozier, mais ne se positionne pas dans la polémique qui oppose Poivre à l’apothicaire. Si Fusée-Aublet s’est mis à dos Mabille en dénonçant le commerce personnel qu’il pratique avec la pharmacie de la colonie, c’est son refus de reconnaître les plantes rapportées de Manille comme de véritables muscadiers qui fut à l’origine de son conflit avec Poivre. En effet, lorsque Fusée-Aublet apprend l’identité des plantes qu’il est censé expertiser au conseil supérieur de l’île, il retourne au jardin de Mabille afin d’observer lesdites plantes, les compare aux descriptions des muscadiers fournies par « Rumphius, L’Horthus malabaricus, Burman, Jauffroy » et constate que « ce n’étoit pas des muscadiers ». Fusée-Aublet fait alors face à un dilemme :
« Il étoit question de s’attirer à dos le Sr Mabille, homme redoutable dans l’île, faisant plus que fonction d’intendant dans le gouvernement, et disposant de tout en despot. Le Sr Poivre qui paroissait être confident de M. Bouvet, s’il ne l’étoit pas. M. Bouvet homme solitaire, honnête, […] surtout ceux qui faisoient les dévots le trompoient facilement, le cas etoit délicat. D’un autre côté, trompé la Compagnie, le ministre, se déshonnorer son ame. toutes ces reflexions formoient un combat. Je sçavais que j’allois être contrarié par le Conseil et par tous ceux qui craignoient ou qui tenoient leur bien-être du Sr Mabille. J’étois jeune sans experiance dans l’art de findre, sans appui dans la colonie que celuy de bien remplir mon devoir [48]. »
19 Il se rend alors auprès de Bouvet de Lozier et lui déclare ne pouvoir fournir un certificat au sujet des plantes de Poivre : « […] mr Bouvet, d’un ton faché, me repartit : je crois mieux mr poivre que vous, que tous les livres et que tous les Botaniste du Royaume. Comme je me retirois, mr bouvet me demanda mes livres. Il me les rendit et je n’entendis plus parler de muscadiers [49]. » Bouvet de Lozier favorise Poivre – son « confident » –, il désavoue l’autorité de l’apothicaire et refuse de distribuer les plantes dans son jardin du Réduit. La temporalité des évènements narrés par Fusée-Aublet tiendrait dans cette journée cruciale pour l’apothicaire, si l’on en croit ses paroles, puisqu’elle décida de sa réputation et de ses mauvaises relations, l’apothicaire devenant la « bête noire » du gouvernement [50]. De son côté, Poivre comprend qu’il ne parviendra pas à faire authentifier ses plantes et tente d’évincer Fusée-Aublet afin de prendre sa place à l’intendance des jardins de la colonie [51]. Tandis que Fusée-Aublet constate que le népotisme à l’œuvre au sein du gouvernement de l’île de France rend caduque son expertise botanique aux yeux du conseil supérieur, les griefs de Poivre portent sur l’inexpérience de l’apothicaire, considéré comme incompétent et ignorant en matière de flore tropicale. Son ambition de prendre la place du botaniste serait donc également le fruit de cette première rencontre désastreuse, lors de laquelle Poivre aurait pris conscience qu’un des obstacles principaux à l’acclimatation des épices à l’île de France n’était pas le climat, mais Fusée-Aublet. Poivre tente sans succès de réunir les conditions qui feront sa réussite en 1772. Pour l’heure, et bien qu’il ait la confiance des deux personnalités les plus influentes de l’île, il est confronté à un projet de culture et de pharmacie qui s’oppose à ses intérêts, et à un apothicaire qui refuse de certifier ses plantes. Cet arrière-plan social et relationnel va donc prédéterminer la séance d’identification du 1er octobre 1755 : l’absence de consensus préalable et le désaveu réciproque entre les deux partis contamine le processus de détermination sous la forme d’une dispute où la description savante devient un prétexte à l’affirmation d’une autorité botanique et à la condamnation des motifs qui animent l’adversaire.
L’impossible inventaire et la rhétorique de Poivre
20 Lors de la séance d’identification du 1er octobre 1755, Poivre présente au conseil supérieur de la Compagnie des noix de muscadiers et des fruits de girofliers du commerce dont l’identité est confirmée. Il remet ensuite une « baille » censée contenir : 1/ un petit plant auquel adhère encore une noix de la grosseur d’une noix muscade, enfermée dans sa coque de couleur brune et sur laquelle on aperçoit encore les traces du macis ; 2/ un autre plant mort ; et 3/ une noix germée. Poivre demande officiellement la validation scientifique du « Petit plan » et de la « noix germée » [52] qu’il considère comme des muscadiers et dont il lit vraisemblablement la description écrite devant l’assemblée. Arrive le moment de l’analyse proprement dite par Fusée-Aublet, qui doit vérifier la bonne correspondance entre le matériel décrit par Poivre et celui contenu dans la caisse. Le premier problème – révélé par la fouille de l’apothicaire au sein de la baille – est l’absence d’un inventaire rigoureux du matériel rapporté par Poivre. Au lieu de s’intéresser au plant germant, objet principal de la requête, il s’attarde d’abord sur le fruit germé, avant de découvrir d’autres noix enterrées. Le catalogue de ses découvertes, rapporté par le greffier, M. Deribes, épouse le schéma de découverte de l’apothicaire. Après la fouille minutieuse de Fusée-Aublet, on passe des trois spécimens annoncés par Poivre à sept (ou huit) objets, soit trois ou quatre noix et trois ou quatre plants ou matières ligneuses. Au sujet du plant initialement soumis à l’expertise, Fusée-Aublet admet une certaine correspondance avec la description donnée par Poivre, mais ajoute que les feuilles « plus oblongues qu’ovales, de la même longueur qu’elles ont été décrites, minces, fermes, d’une nervûre très aparente menant [sic] du bruit en les maniant comme les feuilles de l’araca de M. Pison [53] » sont « volontiers alternes, sans aromate, d’un goût herbacé [54] ». Plutôt que de contester des analyses ne portant pas sur les spécimens qu’il voulait certifier, Poivre profite de la situation pour préciser la composition du matériel rapporté ; il signale : « […] outre le plant et la noix germée contenus dans la description ci-devant, il s’est trouvé en fouillant la terre quatre noix dont deux étant coupées n’avaient nulle odeur, et deux autres avaient l’odeur aromatique [55]. » Poivre fait donc mention de cinq noix, dont quatre nouvelles, et un plant, omettant au passage le plant sec du rapport initial.
21 Le conseil supérieur prend acte des déclarations de Fusée-Aublet et de Poivre, charge l’apothicaire de cultiver la « plante et [les] noix germées » et, dans le cas où il échouerait, d’en faire le rapport. Le 29 octobre 1755, le botaniste demande à être déchargé de la caisse dont la transplantation du contenu a échoué. Les plantes sont mises dans une boîte « cachetée du Cachet du Conseil, de celuy de Monsieur le Gouverneur général et de celui du Sr Aublet [56] », afin d’être envoyées en France, au siège de la Compagnie des Indes. Fusée-Aublet joint à cette caisse un mémoire [57] dans lequel il propose une nouvelle description des spécimens en question. L’auteur ne semble pas satisfait des premières conclusions du rapport initial et revient de manière plus précise sur la description du matériel contenu dans la caisse. Il assigne cette fois un numéro à chaque échantillon (N1 à N6) et propose une détermination pour chacun d’entre eux. Malheureusement, cette numérotation ne suit pas l’ordre chronologique du premier document, les descriptions sont approximatives et rendent difficile la comparaison avec les descriptions originales. Ce flou épistémique de l’inventaire apparaît comme la première condition de la polémique : il est impossible de trouver un consensus concernant le contenu de la caisse, le choix et la description des spécimens à identifier, ce qui donne lieu à une détermination confuse, portant sur des éléments dont la représentation dépend de la perception et de l’interprétation de chaque auteur.
22 Dans le rapport descriptif signé par Fusée-Aublet lors de la séance du 1er octobre 1755, l’apothicaire désignait le contenu de la caisse par des termes génériques. Bien qu’il eût comparé « un fruit » à celui d’un « Palmier arec », les feuilles du plant décrit par Poivre à celles de « l’araca de M. Pison », et reconnu « un fruit de muscadier » [58], les termes utilisés restaient neutres, il s’agissait de décrire et de comparer plutôt que d’identifier. Dans le mémoire du 29 octobre 1755, l’apothicaire change de ton et devient catégorique : s’il constate toujours la présence d’une noix de muscade (N5), il précise que celle-ci « ne pass[e] pas dans le commerce », il s’agit donc d’une muscade sauvage. Les autres spécimens sont qualifiés d’« arecs » (N1, 2 et 3), selon la description de ces noix fournie par Rumphius, ou de « fausses noix de muscade » (N4 et 6), tout comme le plant principal est considéré comme « faux » [59], sans racines et sans fibres, comme le prouve un dessin de Fusée-Aublet, joint au mémoire, représentant le spécimen « tel qu’il estoit lorsque le Sieur LE POIVRE l’a remis au Conseil [60] ». Fusée-Aublet ne cherche donc pas à entrer dans un débat avec Poivre concernant l’identité des spécimens, mais use d’un argument d’autorité « épistémique [61] » : les noix d’« arecs » sont déterminées en référence à Rumphius, considéré comme la référence botanique en matière de muscadier, tandis que l’authenticité des autres descriptions est justifiée par la parole « experte » d’une autre autorité, celle du botaniste et apothicaire de la Compagnie des Indes. Fusée-Aublet ne se contente pas d’affirmer que la caisse ne contient aucun « vrai » muscadier, mais il accuse également Poivre d’avoir « truqué » le prétendu plant de muscadier (N4) : la noix soi-disant adhérente à ce plant n’était qu’une noix ouverte, donc germée, placée artificiellement sur la courbure de la plante. Pour mieux prouver « la fourberie du Sr Poivre », Fusée-Aublet note encore (N2) qu’un « noyeau ou noix et autre de quelle nature qu’il puisse estre ne peut point pousser une Racine d’environ six poulces avant de germer que le germe se develope avant la racine […] ce qu’il me fait dire qu’il faut examiner si cette matiere ligneuse n’a pas etée enchassée dans ce fruit arec ou il avait placé un grain de sable pour le dire germent » [62]. Fusée-Aublet en déduit que Poivre aurait « fabriqué » une noix germée à partir d’un matériel botanique hétérogène. De plus, l’apothicaire ne croit pas que la racine ait pu pourrir sans que « l’amende du fruit soit corrompu [63] ». La contestation du procès-verbal est donc formulée sous la forme d’un acte d’accusation : Poivre a voulu duper le conseil et l’apothicaire. En disqualifiant de manière catégorique le mémoire de Poivre, le discours de Fusée-Aublet interdit toute forme de dialogue ou de controverse. Selon la typologie de Marcelo Dascal [64], le discours polémiste du botaniste s’identifie alors à la dispute : l’apothicaire use d’une argumentation ad hominem [65] pour décrédibiliser les assertions de son adversaire, il s’attaque à sa déontologie et tente ainsi de mettre un terme définitif au débat.
23 Sa crédibilité étant en péril, Poivre écrit une lettre au comité secret le 4 novembre 1755 afin de répondre au mémoire de Fusée-Aublet et de contester sa détermination [66]. Le statut de l’apothicaire lui donne un avantage non-négligeable : son autorité en matière de botanique confère à sa parole, bien qu’imprécise, une légitimité, tandis que Poivre ne possède pas encore de statut scientifique, sa réputation reste à faire. Ne pouvant se contenter d’un régime de discours savant, le voyageur doit prouver qu’il mérite la confiance des directeurs de la Compagnie des Indes. Pour ce faire, Poivre va répliquer le modèle dialogique utilisé par Fusée-Aublet en tentant, à son tour, de décrédibiliser l’autorité épistémique de son adversaire. Poivre organise sa plaidoirie en divisant le propos de l’apothicaire en dix articles auxquels il répond systématiquement. Cette répartition des articles lui permet d’instrumentaliser le discours de Fusée-Aublet en développant un système de « gradation dans le mal » allant de l’évidence concrète du fait botanique jusqu’au dévoilement d’un complot auquel participerait son adversaire. Dans un premier temps, Poivre s’en prend aux preuves botaniques de Fusée-Aublet. Son discours prend les allures du dialogue, il s’agit simplement pour lui de démontrer le manque de consistance des assertions botaniques de son adversaire : lors de la séance d’identification, il a suffi « d’apporter du magasin quelques muscades » et de les comparer à celles de Timor pour constater que, « sans etre ni botaniste ni apoticaire, sans citer ni Pison ni Rumphius, on a reconnu que les fruits presentés, etoient tels que je les disois etre » [67]. Guère besoin d’être savant, de posséder les statuts d’apothicaire et de botaniste, pour reconnaître, par une simple comparaison, la véracité des observations de Poivre. Ne se contentant pas de saper l’autorité épistémique de Fusée-Aublet, Poivre va ensuite démontrer son absence de légitimité par une argumentation logique révélant que le statut ne vaut rien, ou plutôt, qu’il devrait être attribué au voyageur-philosophe : Fusée-Aublet constate que « l’impression de l’enveloppe [68] » sur la coque de l’arec ressemble beaucoup à celle laissée par le macis sur la coque de la noix de muscade, d’où la méprise de Poivre. Ce dernier rétorque, citation de Rumphius à l’appui, que la noix d’arec ne possède pas de coque mais un « brou, un tissu de filasse », que la seule ressemblance entre les deux graines concerne « la chaire interieure egalement marbrée » [69]. L’argumentation de Poivre est convaincante puisqu’elle souligne le paralogisme de Fusée-Aublet : l’apothicaire parle d’une coque, alors que, selon l’autorité qu’il invoque lui-même, l’arec n’en possède pas. Le botaniste trahit ainsi son erreur, il est impossible que la noix soit un arec. Lorsque Fusée-Aublet évoque une noix de muscade trouvée dans la caisse, qu’il considère comme identique « aux noix sauvages que mr le président du Conseil me remis l’année derniere pour en tenter la germination », et donc différente de « celles qui passent dans le commerce » [70], Poivre rétorque encore avec Rumphius : « Si le dit Sr avoit bien lu son RUMPHIUS, il sçauroit que ces noix longues sont aussi bonnes que les rondes, si elles ne sont mesme meilleures. Je ne sçai pour quoi il les appelle sauvages, à moins que ce ne soit parce que c’est moi qui les avois envoyées ici [71]. » L’auteur pratique une forme d’antiparastase, il ne nie pas le grief mais le tourne à son avantage. La manière ironique de considérer l’argumentation ad hominem prêtée ici à Fusée-Aublet est encore un moyen de souligner l’incompétence du botaniste en le ridiculisant. Poivre est cependant obligé de justifier l’absence de ces noix sur le marché : « Si elles ne paroissent pas dans le commerce en aussi grande quantité que les rondes, c’est parce qu’elles sont plus rares à Banda [72]. » Le voyageur a pourtant conscience de ne pas avoir rapporté les noix de muscade vendues dans le commerce par les Hollandais, mais des noix qu’il qualifiait lui-même de « sauvages » et de « dégénérées », dont il déplorait la piètre qualité [73].
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, ms. du 29 octobre 1755
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, ms. du 29 octobre 1755
24 Poivre pourrait se contenter de souligner le raisonnement fallacieux de Fusée-Aublet en démontrant son manque de rigueur scientifique. Jusqu’ici, le voyageur incarne une posture savante qui tourne en ridicule un individu, s’attaquant à sa personne au lieu de pratiquer correctement son métier de botaniste. Par la suite, Poivre contre-attaque en usant à son tour d’une argumentation visant à démasquer les véritables intentions de son adversaire. Le procès d’intention intenté à Poivre devient alors le catalyseur d’une révélation opposée : les erreurs de Fusée-Aublet ne sont pas involontaires, mais elles traduisent une volonté de désavouer Poivre en falsifiant le discours de détermination. Poivre retourne ainsi contre le botaniste son argumentation ad hominem. Fusée-Aublet est en effet accusé d’avoir détruit volontairement le plant principal de la caisse :
« Je ne vous dirai pas, Messieurs, que le Sr aublet a arraché et detruit méchamment ce precieux plant ; je ne l’ai pas vu : mais j’ai l’experience que lorsque les plants de cette espece perissent naturellement, ils commencent par perdre toutes leurs feuilles, et il n’y a qu’une destruction violente qui ait pu les conserver au plant desseché que le Sr aublet vous a representé : cela est dans la nature de cet arbre [74]. »
26 Poivre aborde ensuite la question de « l’œil de germe » observé par Fusée-Aublet à l’extrémité d’une « matiere ligneuse », qui s’est avéré être « la marque de la mature coupée » [75]. L’apothicaire avait suspecté Poivre d’avoir introduit artificiellement cette matière dans la noix en question. Poivre le corrige avec raison : dans le procès-verbal, le germe avait été constaté « sous » et non sur le « jet mort et pourri » dont parle Fusée-Aublet. Pour Poivre, il ne fait aucun doute que cette déclaration trompeuse est destinée à masquer un forfait : « A-t-il eté détruit [le germe] par accident ou méchamment ? Je frémis, je n’ose pas aprofondir ce que j’entrevois [76]. » Selon les termes de Poivre, il ne s’agit plus d’une « dispute purement littéraire », mais d’une attaque sur « l’honneur ». Poivre laisse entendre que la confusion entre les noix de muscade et les aréquiers peut s’expliquer par le manque d’expérience du botaniste : Fusée-Aublet devait « ignorer la nature de [plusieurs] productions des Indes, et surtout de cette partie de l’orient la [moins] fréquentée, je veux parler des molucques » [77]. Il constate désormais que les observations de l’apothicaire sont volontairement mensongères, qu’elles traduisent une opération de sabotage du matériel botanique.
27 Le climax de la « gradation dans le mal » est constitué par l’accusation de Fusée-Aublet selon laquelle Poivre aurait pris une « fausse noix [de] muscade », l’aurait divisée en deux parties « raprochées et pressées sur la courbure » du plant du faux muscadier. Poivre avoue qu’il lui faut « beaucoup de patience et de sang froid pour repondre sans humeur [78] » à cette outrageuse accusation. Fusée-Aublet pense qu’une noix de muscade doit s’ouvrir entièrement afin de germer. Or, Poivre affirme que « la coque de la muscade n’a pas de division et ne peut naturellement s’ouvrir ou se partager [79] ». Fort de ce savoir, il ne pouvait pas décemment prétendre qu’une coque divisée eût pu appartenir à un plant de muscadier. Dans la description du plant qu’il a remis au conseil supérieur, Poivre constate que la « noix adheroit au plant ». Il affirme ensuite qu’il avait sciemment demandé au conseil que ce soit Fusée-Aublet qui examinât le contenu de la caisse : « Je ne pouvois douter de l’attention rigoureuse avec laquelle le dit Sr aublet examineroit le tout. J’etois bien instruit de sa partialité, mauvaise volonté, liaison avec les ennemis de mon projet ; je soupçonnais mesme quelque chose de plus [80]. » Poivre savait donc que Fusée-Aublet allait s’opposer à sa description, il aurait même volontairement provoqué la dispute afin de démasquer l’apothicaire. La ruse est désormais imputée à Fusée-Aublet : si une noix a bel et bien été divisée en deux, ce ne peut être que le fait de l’apothicaire. Il précise ensuite que lors de la séance d’identification, il ne put montrer la noix en question au comité : « […] je commençai à remuer la terre pour decouvrir la noix que je disois adhérer ; sa surface paroissoit déjà : mrs du Conseil m’arresterent, disans qu’on courroit risque d’arracher la noix et de faire tord au plant. Je fis des instances : on m’arresta [81]. » Tout l’argumentaire de Poivre repose donc ici sur sa bonne foi opposée à celle de Fusée-Aublet, et non sur des faits : aucun membre du conseil n’a pu voir cette noix adhérer ou pas au plant.
28 L’argumentation de Poivre mêle donc des connaissances botaniques précises (l’absence de coque chez l’aréquier, l’impossible division naturelle de la coque du muscadier) à un procès d’intention dont la nature sophistique n’est guère plus convaincante que l’accusation initiale de Fusée-Aublet à l’encontre du voyageur. L’argumentation ad hominem dessert Poivre, parce qu’elle repose en l’occurrence sur une suite d’hypothèses qui expriment la logique du ressentiment analysée par Marc Angenot :
« Les idéologies du ressentiment […] sont, de fait, les grandes fabulatrices de raisonnements conspiratoires. Les adversaires qu’elles se donnent passent leur temps à ourdir des trames […] et comme ces menées malveillantes ne sont guère confirmées par l’observation, il leur faut supposer une immense conspiration secrète [82]. »
30 La conclusion du mémoire de Poivre est particulièrement significative de cette herméneutique « victimale ». Poivre conteste le dessin du plant du muscadier remis au conseil par Fusée-Aublet, parce que les « [trois] feuilles » n’ont pas été dessinées « en pointes ». Le botaniste semble donc s’être inspiré de la seule feuille, abîmée par le voyage, qui n’avait pas le bout pointu : « Il m’a paru que c’est la feuille à laquelle seule on n’a pas touché. Les autres ont eté déchirées ; il a fallu rendre le dessing vraisemblable [83]. » Finalement, Poivre revient sur sa signature de l’acte de décharge des plantes rapportées au conseil par Fusée-Aublet le 29 octobre. La nouvelle de la perte de la plante et de la noix germante l’a tant accablé qu’il n’a pas examiné précisément les spécimens présentés par l’apothicaire. Poivre affirme désormais que les noix rapportées par Fusée-Aublet ne sont peut-être pas celles qu’il avait présentées au conseil, voire même pire, qu’elles pourraient avoir été « dénaturées » par « quelque alteration chimique » [84], si bien qu’on ne pourra plus les reconnaître en France. Pour toutes les raisons évoquées, l’auteur conclut que ce ne peut être l’incompétence de Fusée-Aublet qui l’a décidé à tant de « méchanceté » et, dans un final emphatique, il sous-entend que l’apothicaire est un espion des Hollandais : « Le Sr aublet se dit appuyé ; il le publie : mon projet a des ennemis qui ne sont pas tous en hollande, le Sr aublet seroit t’il… ? Mais pourquoi chercher à aprofondir de tels mysteres ? Je me tais ; je respecte les droits sacrés du temps. Il est de tristes verités qu’il n’appartient qu’a lui de decouvrir [85]. » La plaidoirie s’est ainsi transformée en réquisitoire : l’apothicaire a non seulement déterminé volontairement le plant de muscadier comme un aréquier, mais il l’a fait pour accomplir la volonté de dirigeants opposés au projet d’acclimatation des muscadiers.
31 La Compagnie des Indes est restée sourde au mémoire de Poivre, tandis que Fusée-Aublet, dans son journal, accuse le voyageur d’avoir supprimé son mémoire ainsi que les spécimens destinés aux directeurs, dans le but d’effacer les témoignages de son échec aux yeux de ses commanditaires [86]. Les attaques personnelles des deux adversaires ont obscurci le processus de détermination, le dialogue scientifique est devenu le support d’une autre forme de polémique, celle de la dispute, de la confrontation calomnieuse, au sein de laquelle les différents partis s’accusent réciproquement d’avoir saboté les conditions de la controverse qui aurait pu aboutir à un jugement impartial des faits. Poivre abandonne tout espoir de poursuivre sa mission et s’embarque pour la France en 1756. Malgré l’appui que lui a apporté le conseil supérieur et l’isolement de l’apothicaire sur l’île, le voyageur n’obtient pas le soutien des directeurs de la Compagnie, tandis que le statut d’autorité conféré par cette dernière à Fusée-Aublet est confirmé par le maintien de ses fonctions jusqu’en 1761, date à laquelle il rentre également à Paris, suite à une controverse concernant sa gestion de la pharmacie de l’île [87]. Bien que, dans sa « Relation abrégée », Poivre invoque l’autorité épistémique de Buffon et de Bernard de Jussieu, qui auraient confirmé l’identité des noix et reconnu la qualité de son mémoire sur les muscadiers, transmis en 1752 à la Compagnie [88] ; bien qu’il rapporte encore le témoignage de Rouelle et de Jussieu, étonnés de la décision d’attribuer à Fusée-Aublet un poste pour lequel « il n’avait aucune capacité [89] », le pouvoir décisionnel en matière de botanique dans cette affaire – que les allégations de Poivre soient justes ou non – ne revenait pas à l’Académie royale des sciences, mais à la société marchande. Pourtant, tous ces éléments ne suffisent pas à expliquer le silence prolongé de la Compagnie à l’égard de Poivre. Si celui-ci considère Fusée-Aublet comme un espion hollandais, cette représentation étaie une théorie conspiratrice née dans l’esprit du voyageur lors de ses différentes expéditions. Dans notre dernière partie, nous allons voir que sa mise en récit fut destinée à réévaluer aux yeux de la Compagnie le bilan déceptif de ses opérations.
Pierre Poivre, « Reponse à un écrit présenté le 29 octobre dernier (1755) par le Sr Fusée Aublet, au conseil superieur, au sujet de quelques plants remis à messieurs du dit conseil par le Sr Poivre »
Pierre Poivre, « Reponse à un écrit présenté le 29 octobre dernier (1755) par le Sr Fusée Aublet, au conseil superieur, au sujet de quelques plants remis à messieurs du dit conseil par le Sr Poivre »
La disgrâce de Poivre et la cabale du clan Duvelaër
32 Lorsque Poivre quitte le port de Faïfo le 11 février 1750, l’insuccès de ses négociations avec le roi de Cochinchine [90] se double d’un scandale concernant l’enlèvement d’un interprète, un dénommé Michel [91]. Poivre avoue cet échec dans le récit de son expédition destiné aux syndics et directeurs de la Compagnie des Indes [92], mais il repart à destination de Manille avec l’aide du gouverneur David, sans attendre la réponse de la Compagnie. Dans une lettre datée du 30 septembre 1750, celle-ci accuse réception des journaux et des pièces de Poivre, reconnaît l’inutilité d’un établissement en Cochinchine dans les circonstances décrites [93] et témoigne, selon Gérard Buttoud d’un certain agacement vis-à-vis de l’attitude de Poivre [94]. À partir de 1750, ce dernier n’obtint plus aucune réponse aux lettres qu’il adressait aux directeurs de la Compagnie. De même, lorsqu’il s’adresse à David le 12 février 1752 dans le but d’obtenir une frégate à Manille, il attend quatorze mois, sans obtenir de réponse à sa requête. Ce silence durera jusqu’en 1757 et constituera le motif principal de son retour à Paris. Il est possible aussi d’expliquer ce silence en observant le contraste entre l’entreprise de Poivre et la politique menée par la Compagnie. Selon Madeleine Ly-Tio-Fane, la volonté d’acquérir les épices situées dans les îles Moluques remonte à 1719. Entre 1722 et 1729, plusieurs plans d’expédition sont rédigés, mais aucun n’aboutit [95]. L’acclimatation des muscadiers sur l’île de France est un projet suivi par la Compagnie, mais toujours secondaire en regard de la politique commerciale menée en Asie. Comme l’a souligné Philippe Haudrère :
« Les intérêts commerciaux à courte vue priment dans la politique coloniale de la Compagnie. […] La Bourdonnais, pressentant le rôle stratégique et commercial du Port-Louis, tente d’en faire une base importante. Toutes ces initiatives sont désavouées par les directeurs, qui n’entrevoient pas la complexité des problèmes posés par l’évolution de l’Asie et par l’exaspération des rivalités commerciales, et qui estiment que la politique de la Compagnie doit se limiter à assurer dans les conditions les plus économiques possibles le ravitaillement du marché français [96]. »
34 L’élégance rhétorique déployée par Poivre dans ses lettres et mémoires tend au contraire à faire de sa propre expérience l’unique objet d’inquiétude du royaume de France, et par contraste, à dévaloriser toute politique ne concordant pas avec ses vues. Ce que Poivre semble omettre, de manière volontaire ou non, c’est qu’il a poursuivi ses opérations entre 1750 et 1755 sans l’appui de la Compagnie, déçue par ses nombreuses déconvenues en Asie. De plus, il a rapporté des muscadiers en 1753, mais leur identité n’a pu être prouvée et les plants sont morts peu après leur transplantation. En 1755, Poivre n’a préservé qu’un seul plant et une noix, qui ont connu un destin similaire. L’échec fut donc global mais Poivre souhaite tout de même recevoir une partie du salaire – 1 200 livres – qui aurait dû récompenser la réussite de ses opérations en Cochinchine [97].
35 La rédaction de la « Relation abrégée » est donc motivée par le désir d’obtenir une réparation. Un rapport basé sur ce manuscrit fut en effet lu par le directeur Liliot-Antoine David (1682-1770) lors d’un conseil de la Compagnie, le 20 juin 1758 [98]. Il était accompagné d’un court mémoire explicitant les raisons du retour de Poivre en France et sa demande de salaire, et d’un état des comptes, laissé à l’île de France, signé par le magasinier Savart [99]. À la lecture de ce récit de voyage, il apparaît clairement que Poivre souhaite convaincre les dirigeants de la Compagnie que ses pérégrinations n’ont pas causé de pertes financières à celle-ci, mais qu’elles l’ont au contraire enrichie. L’argument principal de Poivre, sur lequel il insiste, est le bénéfice escompté des perspectives commerciales offertes par les relations qu’il a nouées en Cochinchine et à Timor. Concernant la question des comptes, la posture de Poivre est défensive. Le voyageur répond à un autre état des comptes, transmis à la Compagnie par René Magon de La Villebague, gouverneur général des Mascareignes depuis 1755, faisant état d’un déficit de 29 000 livres. Poivre explique que ce rapport n’a pas tenu compte « de la vente des marchandises apportées de Manille et de Timor, remises dans les magazins de la Compagnie à l’Isle de France et venduës partie à cent, partie à cinquante pour % de profit, ce qui forme une omission de 30 000tt monoye forte [100] ». Malleret nous indique qu’il existe une autre copie du manuscrit, daté du 1er août 1758 à Paris [101], dans laquelle on trouve un supplément adressé au ministre (sans doute le contrôleur général des Finances). N’ayant pu obtenir gain de cause auprès des directeurs de la Compagnie, Poivre se serait adressé au gouvernement afin d’obtenir une gratification de 6 000 livres. Dans ce supplément, Poivre précise que Pierre Duvelaër, directeur de la Compagnie et membre du comité secret ayant organisé les expéditions de Poivre, l’aurait accusé d’être « un malhonnête homme qui coûtait à la Compagnie des sommes immenses [102] ». Malleret résume le propos de Poivre dans ce manuscrit : Duvelaër considérait que le voyageur n’avait rendu « aucun compte de l’emploi des trente mille piastres emportées dans son expédition de Cochinchine ou des dix mille piastres avancées pour son premier voyage à Manille [103] ». Cette suspicion de fraude, doublée par l’insuccès en Cochinchine, démontre que Poivre a perdu l’estime des directeurs.
36 Dans sa « Relation abrégée », Poivre s’attaque frontalement à Duvelaër, qu’il considère comme l’auteur d’une « cabale » à son encontre. Les échecs successifs de Poivre sont expliqués par une machination élaborée par le directeur, dont l’origine hollandaise [104] trahit les ambitions secrètes de voir échouer l’acclimatation des muscadiers dans la colonie française. Cette cabale, Poivre l’aurait découverte en 1753, à son retour à l’île de France, lorsqu’il constata que le gouvernement n’avait reçu « ni ordres ni disposition pour les recevoir [les muscadiers], et pour en assurer la conservation [105] ». Un « ami » lui aurait alors révélé la conspiration en question :
« Ignorez-vous donc, me dit-il, que M. Duvelaër est aujourd’hui le tout puissant à la Compagnie des Indes par la faveur du nouveau Commissaire dont il a toute la confiance ? […] Non content de tenir à votre sujet les discours les moins mesurés, il a fait écrire des mémoires et des lettres contre vous par des gens qu’il a suscités sans paroitre, pour se réserver le droit de les appuyer ; et vous êtes surpris que la Compagnie vous abandonne ! vous lui apporteriez aujourd’hui toutes les Molucques avec leurs épiceries et leurs mines d’or, qu’on ne voudrait pas les recevoir de vous [106]. »
38 Ce retournement de situation va permettre à Poivre de justifier ses échecs et de redéfinir le cadre de compréhension des évènements fâcheux auxquels il a été confronté : n’étant plus soutenu par la Compagnie des Indes, il était impossible, dans ces conditions, de remplir avec succès les missions qu’elle lui avait pourtant confiées. En essentialisant Duvelaër comme l’ennemi juré de la quête des muscadiers, Poivre est libre de se disculper et d’interpréter chaque obstacle croisé sur son chemin au prisme de la cabale. Le début du manuscrit est ainsi orienté de manière à retracer l’origine de ce complot et à en dévoiler les signes apparents, pour qui sait observer. Loïc Nicolas observe que les rhétoriques conspirationnistes s’attachent « à faire dire aux faits – abolis dans leur intégrité – ce qu’elles projettent sur [le] monde [107] ». Si les observations et les corrections que le directeur apporte initialement au plan élaboré par Poivre en 1748 [108] sont considérées par ce dernier comme de « petites chicanes [109] » révélant des conflits de pouvoir entre Duvelaër et Montaran, la volonté de s’attirer « la gloire du succès » est rapidement remplacée par celle d’empêcher ce succès : « D’ailleurs je sentais bien qu’un Directeur, originaire d’Hollande, et qui y avait presque toute sa famille, ne pouvait sincèrement être favorable à un projet dont l’exécution, mettant la France en possession des épiceries, porterait, dans la paix, un plus terrible coup à la puissance hollandaise que plusieurs victoires remportées sur elle en tems de guerre [110]. » Poivre avait prédit la trahison de Duvelaër, de nombreux indices dévoilaient son parjure, bien avant la rédaction de la « Relation abrégée ». Ainsi, il n’y a rien d’étonnant à ce que la Compagnie refuse de payer les 1 200 livres en 1757, puisque Duvelaër avait rédigé en des termes « équivoques » les conditions de ce payement, tandis qu’il favorisait ses « protégés » :
« Il ne sera pas inutile d’observer icy que dans les paquets, que je reçus alors, je trouvai les conditions accordées au commis qui devait me seconder et ces conditions que je devais lui remettre, lorsque je jugerais à propos de lui faire part du secret de ma mission, étaient en termes clairs et positifs beaucoup plus avantageuses que les miennes. Ce Commis était le protégé du Sr Duvelaër [111]. »
40 Le refus de payer le salaire de Poivre n’est donc pas la conséquence d’un service considéré comme décevant, voire frauduleux, par les directeurs de la Compagnie, c’est un acte visant délibérément à favoriser d’autres intérêts que ceux de Poivre. Selon les termes de Loïc Nicolas, le voyageur pratique ici le processus de « requalification » d’un évènement afin « de le rendre conforme à la théorie en lui injectant des “qualités” (ou des propriétés) nouvelles [112] ».
41 La théorie de Poivre ne fut cependant pas entièrement élaborée en 1757. En vérité, Poivre commence à façonner son intrigue dès 1750, alors qu’il réside à Canton. Dans une lettre adressée à Jean-Emmanuel Guignard, vicomte de Saint-Priest, nouveau commissaire du roi auprès de la Compagnie, le voyageur souhaite prévenir certaines rumeurs à son encontre en prédisposant le commissaire à recevoir favorablement sa vision des choses :
« De la façon dont MMM [sic] Delabarre et Clouet se sont comportés à mon égard, il paraît que la Compe. est divisée en deux partis, et que ceux qui sont reçu à son service par la protection de Mr. De Montaran ou de Mr. David, doivent être regardés comme ennemis par ceux qui sont protégés par Mr. Duvelaer. vous voyés Monsieur que je vous parle clairement ; Si vous me le permettés j’en agirai toujours de même, et dans cette occasion j’y suis particulièrement obligé afin que dans les différens rapors que l’on pourra vous faire il vous soit plus aisé de distinguer l’esprit de parti de l’Esprit de la vérité [113]. »
43 Pourquoi cette inimitié avec ce M. « Delabarre » ? Poivre reproche à Joseph Duvelaër de La Barre, frère de Pierre Duvelaër et président du conseil à Canton, de répandre la rumeur selon laquelle il serait à l’origine de l’incident diplomatique avec le roi de Cochinchine. De manière plus générale, Poivre omet systématiquement les griefs portés à son encontre, griefs qui expliqueraient son manque de soutien, et transpose l’animosité de ses opposants sous la forme d’un complot injuste, traduisant un « esprit de parti », ce qui lui « permet de fournir des raisons externes à ses propres angoisses ou échecs, c’est-à-dire non seulement de les expliquer, mais encore de les justifier par l’existence de contraintes invisibles mais supposées réelles à propos desquelles nous, ou plutôt nos actions, ne sauraient jamais avoir aucune prise ni effet [114] ». Dans le journal qu’il tient à Sambuangan en février 1755, Poivre apparaît fou de rage lorsqu’il manque de peu l’île de Tafouri, où il aurait pu se procurer des muscadiers. La raison de cet échec serait la mauvaise frégate mise à sa disposition par le gouverneur Bouvet de Lozier. Poivre ne s’en prend pas au gouverneur, mais à Duvelaër ainsi qu’à Godeheu, tenus pour responsables de ses calamités :
« D’honnêtes gens MM. de M. et D. m’ont aidé, sont entrés dans mon projet, tout fait accepter, voudraient que je réussisse, mon succès leur ferait honneur, cela suffit pour que la cabale de MM. D. et G. fasse tout pour me faire abandonner, me laissez sans ressource, m’empêcher de réussir. Voilà le nœud gordien des difficultés que j’éprouve, cette indigne cabale se serait bien gardée d’envoyer des bonnes frégates à l’Isle de France, le gouverneur du lieu, loin d’être des leurs était l’objet de leur haine, d’ailleurs j’aurais pu me servir d’une frégate et c’est précisément, ce qu’ils ne voulaient pas, ce sont des gens qui aimeraient mieux voir la Compagnie ruinée par leurs manœuvres et faire banqueroute, que de voir les richesses augmentées par les services d’un honnête homme attaché au parti qu’ils détestent injustement, et par cela croient qu’ils sont plus honnêtes gens qu’eux [115]. »
45 Poivre poursuit sa « reconstruction spéculative du monde » afin de dépasser la « négation de ses lacunes ou faiblesses intimes », dont il préfère « ignorer l’existence » [116]. Il est sans doute vrai que la frégate n’est pas bonne, mais Poivre conjecture la « haine » de Duvelaër et de Godeheu à l’égard de Bouvet de Lozier pour expliquer la présence des mauvais vaisseaux à l’île de France. La schématisation du « nœud gordien » permet de simplifier à l’excès une situation impliquant un réseau complexe de causes et d’effets qui ont abouti à sa défaveur aux yeux de certains responsables de la Compagnie. En essentialisant la cabale hollandaise au sein de la Compagnie, Poivre se donne les moyens de reconnaître à tout instant les éléments qui justifient son existence. Ce système consistant à requalifier comme conspiratoire chaque évènement n’impliquant pas ses faveurs va être appliqué à la querelle des muscadiers.
46 La lettre du 4 novembre 1755 laisse entendre que Fusée-Aublet est un espion à la solde des Hollandais, ce qui expliquerait ses actes délibérés de destruction et de défiguration des plantes rapportées par Poivre. Ce dernier n’entre pas dans le détail de sa pensée, ce n’est que dans la « Relation abrégée » que l’apothicaire devient un sbire de Duvelaër. Poivre entend démontrer que la dispute des muscadiers est un élément supplémentaire venant étayer sa théorie du complot. Il s’agit donc d’« arracher le voile épais qui a couvert jusqu’ici le mystère d’iniquité le plus odieux [117] ». Poivre procède ici encore à la « requalification » de personnages et d’évènements en tissant des conjectures permettant de rendre lisibles les intentions cachées à l’origine de l’injustice commise à son encontre. Contrairement à ce qu’affirme Fusée-Aublet dans son journal, Poivre n’aurait pas proposé à l’apothicaire d’identifier les plants de muscadiers rapportés de Manille en 1753. Fusée-Aublet aurait connu à son insu l’existence de plants « précieux », il aurait non seulement divulgué le secret de la quête des muscadiers sur l’île, mais aurait aussi déclaré publiquement que ces plants étaient des « faux », alors qu’il ne les avait pas vus. Il n’en faut pas plus pour convaincre Poivre : « Il était donc animé par quelque agent supérieur, par quelque ennemi secret, et je n’ai jamais connu d’autre ennemi de mon projet que le Sr Duvelaër et ceux de son parti [118]. » Les « soupçons unanimes et trop bien fondés des habitans » selon lesquels Fusée-Aublet aurait empoisonné de nuit les muscadiers confirment son hypothèse : l’apothicaire fut « l’instrument funeste » [119] de Duvelaër. L’indifférence de Godeheu à l’égard des muscadiers est aussi expliquée par la cabale : « […] une conduite si extraordinaire paraîtrait incompréhensible à quiconque ignorerait que ce Commissaire n’était qu’un cœur qu’une âme avec le Sr Duvelaër, cet ennemi déclaré de mon projet […] [120] » ; tout comme les faveurs accordées par René Magon de La Villebague, devenu gouverneur des Mascareignes en 1755 à la place de Bouvet de Lozier, à Fusée-Aublet sont considérées comme d’autres signes ostentatoires de sa participation à la conspiration. En effet, Magon tient l’apothicaire en bonne estime [121] et l’emploie au service des nombreuses réformes qu’il souhaite mettre en œuvre sur l’île. Pour terminer, Poivre se sert du conflit entre Fusée-Aublet et Mabille concernant l’approvisionnement de la pharmacie de l’île pour finir de ternir l’image de l’apothicaire et révéler au grand jour les véritables raisons de l’échec des muscadiers.
Conclusion : Les « droits sacrés du temps », une question de récit ?
47 En suivant les différents fils que nous avons tenté de tirer de cet écheveau, il apparaît impossible d’avoir accès à un récit non-biaisé de cette polémique et de connaître précisément la nature des plantes qui ont fait couler tant d’encre. Bien que la démonstration de Poivre soit autrement convaincante que celle de Fusée-Aublet, le mystère de l’identité précise de ces plantes reste entier. Si le manque de connaissances au sujet des muscadiers, le flou épistémique traduit par le flou sémantique, apparaissent comme la cause principale de cet échec, l’imbrication des discours ayant trait au conflit social, au conflit savant et au récit viatique brouille définitivement les pistes, parce qu’elle fait entrer le régime descriptif et nominatif de la détermination botanique dans un régime narratif qui n’implique plus seulement des objets naturels, mais aussi des croyances, dont le but est de défaire l’autorité botanique et la détermination de l’adversaire. La vérité devient en cela davantage un objet de rhétorique que de botanique.
48 Au chapitre « Rhétorique de la vérité : Philosophie de l’homme » de son étude sur le récit de voyage aux Amériques, Pierre Berthiaume décrit précisément la posture du voyageur qui « brouille » le récit de sa relation et la transforme en « mémoires personnels ». Si cette dimension philosophique du récit apparaît comme un mécanisme d’affirmation narcissique et opportuniste de l’auteur voulant s’instancier comme le sujet de l’Histoire face à une « société qui émascule l’individu [122] », elle tend également à devenir un modèle de probité dans la manière de filtrer, d’interpréter et de rapporter des informations « véridiques ». Or, dans le cas de Poivre, la rhétorique du désintéressement (son « esprit de vérité », opposé à « l’esprit de parti » de Duvelaër et Fusée-Aublet) laisse transparaître tout le contraire, ses récits ressemblent davantage aux relations pro domo des missionnaires. Outre la suspicion de la « malhonnêteté » de Poivre, nous tenons là sans doute un élément de réponse pour comprendre pourquoi la version des faits de Fusée-Aublet a été préférée à celle de Poivre par les dirigeants de la Compagnie. En effet, c’est précisément la naïveté de l’apothicaire – la « simplicité de ses mœurs » et « sa probité, son zéle et son désintéressement » relevés par Godeheu et Magon – traduite par des mémoires sans artifices, au style et à la langue incertains, qui a dû les convaincre de la sincérité de ses propos. Il s’agit d’une caractéristique épistémique propre à cette époque : le vrai est simple, transparent, ingénu, dans le récit de voyage. Le faux est au contraire sophistiqué, rhétorique, il traduit l’inventio [123]. À cet égard, le « manque d’éducation » reproché à Fusée-Aublet par Poivre apparaît, dans le cadre de la dispute, précisément comme l’élément clé permettant de déceler son « honnêteté », terme dont Poivre use à volonté dans des discours au style autrement sophistiqué et donc suspect.
49 Ce qui est fascinant, c’est de se rendre compte que ce vernis rhétorique ne constitue pas nécessairement une volonté de mentir éhontément, mais plutôt le modèle épistémique propre au voyageur qui tente de rationaliser et de maîtriser des évènements qui lui échappent. Le récit de voyage apparaît ici comme un moyen d’identifier non plus les mots aux choses [124], mais les mots aux actes et aux comportements des autres, de déjouer le désordre apparent d’une société marchande considérée comme hostile, en ayant recours à un modèle d’interprétation et de classification des comportements qui n’est plus naturel, mais rhétorique et, en l’occurrence, complotiste. Ainsi, Poivre a fourni un récit homogène traduisant et expliquant les facteurs sur lesquels il n’avait pas de prise et qui risquaient de l’évincer de sa propre histoire. Le conflit avec Fusée-Aublet est représentatif de cette stratégie discursive : le voyageur ne comprend pas que l’on puisse identifier des muscadiers à des aréquiers, ni son discrédit aux yeux de la Compagnie, il ne peut s’avouer des erreurs qui contredisent par trop ses ambitions. Il lui faut donc déceler un complot dirigé contre son projet afin de se disculper. Dans le fond, Poivre n’a pas tort, il est confronté à des jeux de pouvoir et pris dans une compétition qu’il peut perdre à tout moment. Sa virtuosité réside cependant dans son talent rhétorique, sa capacité à reconfigurer les évènements au prisme d’une subjectivité qu’il souhaiterait transcender par la transparence supposée de son discours. Dans le cas de notre polémique, la dialectique fallacieuse n’exprime pas seulement la dissension relationnelle et le conflit d’autorité, mais elle traduit encore l’absence de « politique agricole bien définie [125] » de la part de la Compagnie : la rhétorique ad hominem et le complotisme imputé à chaque parti sont révélateurs de la distance qui sépare la vision politique des directeurs de la politique menée concrètement à l’île de France en fonction de jeux d’influence. Cette dissymétrie ne peut que porter préjudice aux projets de chaque parti, puisqu’il n’existe ni cohérence ni cohésion entre les visées administratives et leur application concrète dans les Mascareignes. Magon est envoyé à l’île de France en 1755, au début de la guerre de Sept Ans, durant laquelle la colonie sera chargée de ravitailler l’escadre de Thomas-Arthur de Lally-Tollendal (1702-1766), partie chasser les Anglais des Indes [126]. Durant cette période, les entreprises agricoles de Fusée-Aublet répondent aux impératifs de la situation, tandis que le projet d’implantation du commerce des épiceries propre à Poivre devient anachronique. En 1764, la faillite de la Compagnie et la rétrocession de l’île de France à l’administration royale coïncident avec une politique réévaluant l’intérêt de l’acquisition des épices dans les Mascareignes. Dans ce contexte, le récit de Poivre trouve une nouvelle rationalité, puisqu’il répond désormais à un véritable besoin éprouvé par le gouvernement français. En prévision de la signature du traité de Paris (1763) qui mettra un terme à la guerre de Sept Ans, Étienne-François de Choiseul (1719-1785), secrétaire d’État à la Marine, lance un projet de colonisation à Kourou [127], en Guyane, dans le but de prévenir la perte de l’empire français d’Amérique et des Indes orientales. En 1762, Jean-Pierre-Antoine, comte de Béhague (1727-1813), aussi nommé Béhague de Sept-Fontaines, « lieutenant réformé des Dragons [128] », est envoyé à Cayenne avec, entre autres missions, d’observer si le terrain guyanais se prête ou pas à l’acclimatation du muscadier [129]. L’île de France est ainsi appelée à devenir « un Batavia français [130] » capable d’acclimater les denrées agricoles destinées au commerce et de les cultiver ensuite dans les Antilles françaises, devenues un nouveau pôle stratégique dans la guerre économique et militaire livrée aux Anglais. Dans le cadre de l’expédition de Kourou, Fusée-Aublet est lui aussi envoyé en Guyane au côté de Béhague de Sept-Fontaines. À titre d’« Apothicaire-Botaniste » du roi, il est chargé de prospecter les richesses agricoles d’un vaste territoire inexploré et inexploité. Fusée-Aublet soumet alors à Choiseul le plan d’une expédition qui lui permettrait de se rendre aux îles Moluques afin de rapporter les précieuses épices en Guyane [131]. Plus tard, dans son Histoire des plantes de la Guiane françoise, l’apothicaire se montre moins hostile que critique à l’égard du projet d’acclimatation du muscadier : il considère qu’une telle expédition, pour être menée à bien, doit échoir à un botaniste de métier et non à un aventurier philosophe [132]. La dispute entre les deux personnages se poursuit ainsi sur un autre front, Fusée-Aublet ne se contente plus de déprécier l’autorité botanique de Poivre, mais il se montre désormais apte et volontaire pour réussir là où ce dernier avait échoué [133]. La rhétorique de la conspiration de Poivre devient quant à elle paradoxalement prophétique dans un contexte où elle entre parfaitement en concordance avec les impératifs commerciaux de la France d’après-guerre. Grâce aux « droits sacrés du temps », ce n’est cependant pas Fusée-Aublet mais Poivre qui réussira à inventer sa propre épopée, celle d’un patriote dévoué et désintéressé, devenu en 1773 un « Argonaute français », un héros de l’histoire coloniale française, dont l’adresse diplomatique, la passion pour la botanique et la force de conviction permirent de démontrer à ses opposants qu’il avait raison et qu’ils avaient tort. En effet, s’il échoue à transformer son récit en faits historiques aux yeux de la Compagnie, Poivre parvient cependant à nouer des relations avec les hautes instances du gouvernement : c’est grâce à la recommandation de son protecteur Henri Bertin (1720-1792) que le voyageur sera approché par Choiseul et acceptera de devenir le futur intendant de l’île de France en 1766, dans le but d’acclimater les muscadiers [134]. Son anoblissement la même année par Louis XV [135], pour le motif qu’il avait ouvert une voie de commerce en Cochinchine et introduit de nombreuses plantes dans la colonie, dont les muscadiers, souligne encore le talent de ce voyageur-philosophe qui, parti de rien, et malgré les échecs évidents de ses précédents voyages, sut devenir l’aventurier visionnaire d’une odyssée dont on n’a eu de cesse de rapporter les péripéties, et dont il fut à la fois l’acteur et l’auteur.
Mots-clés éditeurs : botanique coloniale, Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, écit de voyage, noix de muscade, détermination botanique, Compagnie des Indes, île de France, Pierre Poivre, rhétorique, théorie du complot, controverse savante, muscadier
Date de mise en ligne : 27/06/2023
https://doi.org/10.3917/rhs.761.0041Notes
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Cet article est réalisé dans le cadre du projet de recherche « Botanical legacies from the Enlightenment : Unexplored collections and texts at the crossroads between the humanities and the sciences », inscrit à l’université de Neuchâtel et soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (projet n° 186227). Nous tenons à remercier Dorothée Rusque et Matthias Soubise de nous avoir transmis leur copie numérique des manuscrits du fonds Fusée-Aublet, situé dans les archives du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Mis à part les documents édités par des historiens, nos autres transcriptions de manuscrits sont issues de reproductions commandées auprès de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et des Archives nationales d’outre-mer (ANOM). Nous tenons également à remercier Amélie Hurel, conservatrice du patrimoine, pour son aide et sa collaboration durant nos prospections aux ANOM. On trouvera sur le site internet de Jean-Paul Morel (<www.pierre-poivre.fr>) une importante base de données comprenant de nombreuses transcriptions de certains manuscrits cités dans notre étude.
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[1]
Pierre Poivre, Relation abrégée des voyages faits par le Sieur [Poivre] pour le service de la Compagnie des Indes, depuis 1748, jusqu’en 1757, Henri Cordier (éd.), Revue de l’histoire des colonies françaises, 6/1 (1918), 8-88.
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[2]
Voir Madeleine Ly-Tio-Fane, Mauritius and the spice trade : The odyssey of Pierre Poivre (Port Louis : Esclapon Limited, 1958), 5-9 ; Olivier Le Gouic, Pierre Poivre et les épices : Une transplantation réussie, in Sylviane Llinares et Philippe Hrodej (dir.), Techniques et colonies, xvie-xxe siècles (Paris : Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer et de l’université de Bretagne-Sud – Solito, 2005), 106-109 ; Louis Malleret, Pierre Poivre (Paris : Publications de l’École française d’Extrême-Orient, 1974), 187-222.
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[3]
Pierre-Samuel Dupont de Nemours, Notice sur la vie de M. Poivre (Philadelphie [Paris] : Moutard, 1786).
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[4]
Marthe de Fels, Pierre Poivre ou l’amour des épices (Paris : Hachette, 1968) ; Daniel Vaxelaire, Les Chasseurs d’épices (Paris : Payot & Rivages, 1995) ; Lucienne Deschamps (éd.), Botanistes voyageurs ou la passion des plantes (Genève : Aubanel, 2008) ; Denis Piat, Sur la route des épices : L’île Maurice, 1598-1810 (Paris : Éditions du Pacifique, 2010) ; Louis-Marie Blanchard, L’Aventure des chasseurs de plantes (Paris : Paulsen, 2015) ; Gérard Buttoud, Il s’appelait Poivre : Un chasseur d’épices dans la mer des Indes (1750-1772) (Paris : L’Harmattan, 2016).
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[5]
Aux articles « muscadier » et « muscade, noix » de l’Encyclopédie, Louis de Jaucourt distingue en effet « deux especes de muscadiers : le muscadier cultivé, & le muscadier sauvage » ; tous deux fleurissent dans les îles de Banda. La noix de la première espèce a « la forme d’une olive » et est utilisée dans le commerce, parce qu’elle possède un goût « d’une saveur âcre & suave, quoiqu’amère. Sa substance est odorante, huileuse ». La noix de la seconde espèce « est d’ordinaire plus grosse que la noix muscade cultivée, de forme oblongue ». Bien qu’elle possède la même substance que la noix du commerce, « elle n’a presque point d’odeur & son goût est fort desagréable », c’est pourquoi « la Compagnie hollandoise a presque détruit tous les muscadiers sauvages des îles de Banda ». (Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. X (1765), 881-883.)
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[6]
Voir le rapport de Michel Adanson et de Bernard de Jussieu, ms. du 17 février 1773 (Arch. de l’Académie des sciences [Paris], 2B92 : Registre [des procès-verbaux des séances] de l’Académie royale des sciences, année 1773, fos 32v-36v). Pour la mention des « Argonautes François », voir l’Histoire de l’Académie royale des sciences, année 1772, 1re partie (Paris : Imprimerie royale, 1775), 56-61, ici 61.
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[7]
Emma Spary, Of nutmegs and botanists : The colonial cultivation of botanical identity, in Londa Schiebinger, Claudia Swan (éd.), Colonial botany : Science, commerce, and politics in the early modern world (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2007), 196-201. Les études de Dorit Brixius démystifient l’épopée de Poivre : elles soulignent le rôle fondamental des intermédiaires dans sa quête des épices et analysent le processus de créolisation des savoir-faire botanique et ethnobotanique nécessaires à leur acclimatation. Voir Dorit Brixius, A pepper acquiring nutmeg : Pierre Poivre, The French spice quest and the role of mediators in Southeast Asia, 1740s to 1770s, Journal of the Western Society for French history, 43 (2015), 68-77 ; Id., A hard nut to crack : Nutmeg cultivation and the application of natural history between the Maluku islands and Isle de France (1750s-1780s), British Society for the history of science, 51/4 (2018), 585-606 ; Id., From ethnobotany to emancipation : Slaves, plant knowledge, and gardens on eighteenth-century Isle de France, History of science, 58/1 (2020), 51-75 ; Id., La production du savoir botanique sur le terrain : Les défis d’acclimatation de la noix de muscade sur l’île Maurice (1748-1783), Francia, 46 (2019), 301-317.
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[8]
Spary, op. cit. in n. 7, 197-198.
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[9]
Philibert Commerson, ms. du 27 juin 1770 (Mauritius Arch., Port Louis, MA. OA 100, bundle 100) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 92-93.
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[10]
Guillaume-Hyacinthe-Joseph-Jean-Baptiste Le Gentil de La Galaisière, Voyage dans les mers de l’Inde fait par ordre du Roi, à l’occasion du passage de Vénus sur le disque du Soleil, le 6 juin 1761, & le 3 du même mois 1769, t. II (Paris : Imprimerie royale, 1781), 688.
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[11]
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, Histoire des plantes de la Guiane françoise, t. II (Londres et Paris : Pierre-François Didot, 1775), « Observations sur la vanille », 93. De même, l’abbé Raynal, Fusée-Aublet et Le Gentil considèrent que le projet d’acclimatation de ces épices sur l’île de France, qu’elles soient « sauvages » ou non, est voué à l’échec. Voir Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, 2e éd., t. II (La Haye, 1774), 132-133 ; Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, « Observations sur la vanille », 86-89 ; Le Gentil de La Galaisière, op. cit. in n. 10, 688.
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[12]
Spary, op. cit. in n. 7, 201.
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[13]
Ibid. Voir Bruno Latour, La Science en action, trad. de l’anglais par Michel Biezunski [éd. orig., 1987] (Paris : La Découverte, 1989).
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[14]
Si Madeleine Ly-Tio-Fane, Gérard Buttoud, Olivier Le Gouic, Emma Spary et Dorit Brixius ne se rangent pas du côté de Poivre et restent neutres, il en va autrement de Louis Malleret, Marthe de Fels, Daniel Vaxelaire, Lucienne Deschamps et Denis Piat, qui prennent ouvertement le parti de Poivre contre Fusée-Aublet, décrit comme un odieux personnage. Ces critiques ont simplement rejoué la partition de Poivre, puisque leur analyse ne fait que corroborer les supputations du voyageur. Lucile Allorge et Olivier Ikor se sont rangés du côté de Fusée-Aublet : « Comment croire que cet homme-là ait pu détruire sciemment, par jalousie ou par intérêt, les pseudo-canneliers de Pierre Poivre ? » Ici encore, c’est la crédibilité d’un témoignage qui est valorisée au détriment d’un autre. Plus récemment, Marc Jeanson et Charlotte Fauve ont évité cet écueil en constatant que « les historiens qui secouent la poussière autour de cette affaire restent [nous pourrions préciser, « devraient rester »] dubitatifs ». Voir Malleret, op. cit. in n. 2, 208-215 ; Fels, op. cit. in n. 4, 147-149 ; Vaxelaire, op. cit. in n. 4, 161-165 ; Deschamps, op. cit. in n. 4, 61-62 ; Piat, op. cit. in n. 4, 74 ; Lucile Allorge, Olivier Ikor, La Fabuleuse odyssée des plantes : Les botanistes voyageurs, les Jardins des plantes, les herbiers (Paris : J.-C. Lattès, 2003), 386 ; Marc Jeanson, Charlotte Fauve, Botaniste (Paris : Grasset, 2019), 70.
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[15]
Voir Peter Dear (éd.), The Literary structure of scientific argument : Historical studies (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 1991) ; Alan G. Gross, The Rhetoric of science (Cambridge : Harvard University Press, 1990) ; Greg Myers, Writing biology : Texts in the social construction of scientific knowledge (Londres : University of Wisconsin Press, 1990) ; Lawrence J. Prelli, A rhetoric of science : Inventing scientific discourse (Columbia : University of South Carolina Press, 1989) ; Christian Licoppe, La Formation de la pratique scientifique : Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820) (Paris : La Découverte, 1996).
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[16]
Sur les raisonnements fallacieux, on consultera l’ouvrage inaugural de Charles Leonard Hamblin, Fallacies (Londres : Methuen, 1970). Pour l’approche pragma-dialectique de l’argumentation, voir : Frans H. Van Eemeren, Peter Houtlosser, Une vue synoptique de l’approche pragma-dialectique, in Marianne Doury, Sophie Moirand (éd.), L’Argumentation aujourd’hui : Positions théoriques en confrontation (Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2004), 45-76 ; Frans H. Van Eemeren, Rob Grootendorst, Argumentum ad hominem : A pragma-dialectical case in point, in Hans V. Hansen, Robert C. Pinto (éd.), Fallacies : Classical and contemporary readings (University Park : The Pennsylvania University Press, 1995), 223-228.
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[17]
Marcelo Dascal distingue trois types de discours polémiques : le dialogue, la controverse et la dispute. Dans le dialogue, les interlocuteurs reconnaissent que leur divergence est le résultat d’une erreur qui peut être corrigée par la discussion. La controverse ne concerne pas seulement une erreur, mais révèle une dissension plus profonde, d’ordre méthodologique et conceptuelle. Il faut qu’une position se révèle plus convaincante dans la balance des propositions pour qu’un jury tranche en sa faveur. Finalement, la dispute se situe à l’autre extrême de la discussion, puisqu’elle ne l’admet pas : le refus des procédures d’autrui empêche de trouver un terrain d’entente, les interlocuteurs campent sur leur position et ne cherchent pas de véritable solution en commun. Dans le cas qui nous concerne, nous allons voir que Fusée-Aublet applique le schéma de la dispute, tandis que Poivre mêle plus habilement ces trois types de polémique. Voir Marcelo Dascal, Types of polemics and types of polemical moves, in Svetla Cmejrková, Jana Hoffmannová, Olga Müllerová (éd.), Dialogue analysis VI (Tubingen : Max Niemeyer, 1998), 15-33.
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[18]
Lissa Roberts, « Le centre de toutes choses » : Constructing and managing centralization on the Isle de France, History of science, 52/3 (2014), 319-342.
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[19]
Selon Philippe Haudrère, nombreux sont les employés de la Compagnie qui se rendent dans les colonies afin de s’enrichir le plus rapidement possible et pratiquent ainsi la malversation : « Les chefs n’échappent pas à l’ambiance générale et doivent souvent composer avec leurs subalternes ; s’ils veulent s’y opposer, ils se heurtent à des cabales redoutables, ne reculant pas devant la diffamation ou même l’assassinat. » (Philippe Haudrère, La Compagnie française des Indes au xviiie siècle (1719-1795), t. III (Paris : Librairie de l’Inde, 1989), 784.)
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[20]
« [La symétrisation] peut être entendue comme […] un principe simple de méthode : elle signifie alors être objectif et neutre devant les événements, ne pas se laisser prendre par le discours rationalisateur et a posteriori des acteurs, ne pas procéder de façon téléologique dans les lectures historiques. Le principe de symétrisation est toutefois aussi un principe moral, un principe de justice. Être symétrique signifie alors réhabiliter les perdants de l’histoire, ceux que les vainqueurs ont réussi à faire passer pour irrationnels, déraisonnables ou sans intérêt. La force de cette démarche réside dans le fait de traiter chacun de façon identique, de montrer que les perdants aussi ont une cohérence et que leurs propositions sont (souvent) riches. » (Dominique Pestre, Introduction aux science studies (Paris : La Découverte, 2006), 108.)
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[21]
L’histoire des connaissances botaniques sur le muscadier au xviiie siècle est un objet d’étude fort complexe qui dépasse le cadre de notre présente réflexion. Nous n’aborderons ici que les points de vue de Fusée-Aublet et de Poivre, réservant pour un autre article la question de la méthodologie botanique et des représentations savantes du muscadier au xviiie siècle.
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[22]
« Les Sindics et Directeurs de la Compagnie des Indes, “M. David, A l’Isle de France” », ms. du 30 septembre 1748 (ANOM Col. C/4/5) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 41.
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[23]
« Les Sindics et Directeurs de la Compagnie des Indes… », op. cit. in n. 22, 42.
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[24]
Ibid.
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[25]
Poivre, op. cit. in n. 1, 39.
-
[26]
Ibid., 48.
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[27]
Ibid., 55.
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[28]
Pierre Poivre, « Mrs du comité secret a l’isle de France », ms. du 15 novembre 1755 (ANOM, Col. C/4/9), fos 103r-111v, ici f° 107r.
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[29]
Pierre Poivre, « A Monsieur Le Gouverneur et Messieurs les conseillers du Conseil supérieur de l’isle de france », ms. du 30 septembre 1755 (Mauritius Arch., OA 99, bundle 69) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 54.
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[30]
Ms. du 1er octobre 1755 (Mauritius Arch., OA 99, bundle 69) ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 58.
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[31]
« [The leaves] grow on the twigs mostly in two rows, but not directly across one another. » (Georgius Everhardus Rumphius, The Ambonese herbal, E. M. Beekman (trad.), t. II (New Haven – Londres : Yale University Press et National Tropical Botanical Garden, 2011), chap. v, 23-24 ; ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30, 58).
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[32]
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, « Séjour à l’Ile de France 1753-1761 – Documents d’intérêt biographique » (MNHN, ms. 452, chemise 5), fos 98-125. Dans ce journal, auquel semblent rattachées d’autres pages manuscrites non foliotées et mélangées dans la chemise des archives, Fusée-Aublet parle de sa future publication du « troisième volume » de l’Histoire des plantes de la Guiane françoise, ce qui nous permet de situer la période de rédaction du journal entre 1765 (date du retour de Fusée-Aublet à Paris) et 1775 (date de la publication de sa flore guyanaise). Nous avons respecté l’orthographe de Fusée-Aublet, mais ponctué ses textes afin de faciliter leur lecture.
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[33]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 100.
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[34]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 102.
-
[35]
Le 30 avril 1753, Bouvet de Lozier écrit une lettre au « comité secret » de la Compagnie, dans laquelle il indique que le directeur de Chandernagor, Duval de Leyrit, a chargé le capitaine M. Aubry d’apporter à l’île de France des provisions avec son bateau le Saint-Georges, qui a accosté à l’île de France le 28 mars. Le but véritable de cette expédition était de livrer des plants de muscadier, en échange desquels Aubry demande une récompense de « soixante mille piastres et l’ordre de St Michel ». Bouvet de Lozier engage Aubry à se procurer d’autres muscadiers ainsi que des « gérofliers » à Batavia contre une avance d’argent. Dans une lettre au comité secret, Poivre explique qu’en 1747, n’ayant pas encore exercé sa main gauche, il a dicté à un officier du vaisseau La Baleine le projet d’acclimatation des épices qu’il soumettra à la Compagnie ; cet officier aurait ensuite révélé le projet à Duval de Leyrit. Il affirme que trois mois après le départ d’Aubry, ce dernier revint de Batavia avec de nombreux plants de muscadiers et quelques girofliers, qui furent cultivés au jardin des Pamplemousses et au Réduit. Voir Jean-Baptiste-Charles Bouvet de Lozier, « Mrs les Sindics et les Directeurs du Comité Secret », ms. du 30 avril 1753 (ANOM, Col. C/4/7), fos 204-206 ; Pierre Poivre, « Messieurs du Comité secret », ms. du 10 janvier 1754 (ANOM, Col. C/4/8), fos 430r-430v.
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[36]
« On va voir par la suite que c’est l’arrivée de M. aubrit et son projet qui luy avait fait naître l’idée de cette supercherie et de son avidité car venant de la Chine, où avait-t-il pris ces arbres ? Voila la première querelle que j’ai eu avec mr Poivre sans luy parler. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 103.)
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[37]
« [Mabille et Poivre] Persuadèrent, dis je, mr Bouvet et desservirent en tout point le Sr aubry en s’emparant de son projet qu’ils portèrent mr Bouvet, quoique equitable, a ne pas le defrayer en totalité de son voyage. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 104.)
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[38]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 104.
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[39]
Poivre, op. cit. in n. 1, 48-49.
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[40]
Après avoir étudié la botanique à Montpellier « sous MM. Fitzherald & Sauvages & travailler dans les Laboratoires de Chymie de MM. Calquet & Roux », Fusée-Aublet se rend à Paris où il poursuit sa formation de chimiste sous l’égide de Guillaume-François Rouelle, et de botaniste en suivant les cours de Bernard de Jussieu au jardin du Roi. Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. I, préface, ii-iii.
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[41]
Ibid., v.
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[42]
« Toute l’économie des îles est conçue dans cette perspective : il faut y faire prospérer les cultures vivrières, non les cultures tropicales, au contraire des Antilles. » (Haudrère, op. cit. in n. 19, t. II, 642.)
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[43]
Jean Tarrade, Le Commerce colonial de la France à la fin de l’Ancien Régime : L’évolution du régime de « l’exclusif » de 1763 à 1789, t. I (Paris : Presses universitaires de France, 1972), 60.
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[44]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. I, préface, v.
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[45]
En 1752, Poivre rédige un mémoire contenant une description morphologique ainsi que des indications concernant la manière adéquate de cultiver le muscadier. Voir Pierre Poivre, « Observations sur le muscadier et principalement sur la culture de cet arbre », ms. du 12 février 1752 (ANOM, Col. C/2/285), fos 158r-162v.
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[46]
Charles-Robert Godeheu de Zaimont, « Compagnie des Indes. Journal du voyage de M. GODEHEU, fait en 1754 », ms. du 28 mai 1754 (BNF, 383), fos 35-36 (en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9006896t>).
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[47]
Ibid., f° 66. Godeheu apprend également de la part de Bouvet de Lozier que Poivre est récemment reparti pour une deuxième expédition à destination des îles Moluques. Il précise que selon « d’autres discours », le but de cette expédition serait de rapporter illégalement des esclaves au « Port du sud-est » de l’île, là où Mabille et Poivre planifieraient l’établissement d’une grande habitation. Godeheu conclut qu’il est fort possible que Poivre profite de cette occasion pour rapporter des esclaves, cette pratique étant courante sur l’île. Nous n’avons pas retrouvé le mémoire de Fusée-Aublet mentionné par Godeheu.
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[48]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, fos 102-103.
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[49]
Ibid., f° 103.
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[50]
« […] le meme jour le Sr Poivre en labordant au gouvernement me tourna le dos, on me refusa le lendemain un cheval a l’envie. Je fus a mr Bouvet, il voulut me renvoyer à mr Mabille, qui était chargé des ecuries. Je luy dis que je n’avois rien a demander qu’a luy, c’est ce que j’ai toujours observé pendant le gouvernement de mr Bouvet. Cela ne m’empecha pas de frequanter le gouvernement et d’y manger toujours. Quelque m’avais plaisant pour faire sa cour m’agassoit, il etoit si bien payé qu’il n’y revenoit pas. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 103.)
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[51]
En témoigne cette lettre adressée à Montaran : « Les jardins de la Compagnie sont en trés mauvais Etat, la direction en est confiée à Mr Aublay qui etoit sans doute un bon apoticaire en France mais qui est un mauvais agriculteur dans ce pays cy, tout ce dont il ne connoit pas la vertu médicale, il le tranche sans pitié, et il ne connoit guere que les plantes d’Europe, il ne fait pas meme attention que les plantes d’Europe transportées dans ce climat demandent une culture différente de celle qu’on leur donne dans leur patrie. Je ne crains pas de vous avouer, M, que la direction dont je vous parle ne me paroit point au-dessus de mes forces […]. » (Pierre Poivre, « Copie d’une lettre du Sr Poivre à Mr. de Montaran », ms. du 10 janvier 1754 (ANOM, Col. C/4/8), fos 422r-423r.)
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[52]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 56.
-
[53]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 57. Fusée-Aublet se réfère ici à l’ouvrage de Willem Piso, Historia naturalis Brasiliae (Leyde-Amsterdam : Elzevier, 1648), chap. xx, 150-152.
-
[54]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 57.
-
[55]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 58.
-
[56]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 60.
-
[57]
Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, ms. du 29 octobre 1755 (ANOM, Col. C1/3), fos 95r-96r.
-
[58]
Ms. du 1er octobre 1755, op. cit. in n. 30 ; voir Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 57.
-
[59]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95r.
-
[60]
Ibid., f° 96r.
-
[61]
Selon Marcin Koszowy et Douglas Walton, « l’autorité épistémique » implique que la déclaration d’un agent expert dans un domaine spécifique possède plus de valeur que celle d’un agent n’ayant pas ce statut d’expert. Voir Marcin Koszowy, Douglas Walton, Epistemic and deontic authority in the argumentum ad verecundiam, Pragmatics and society, 10/2 (2019), 287-315, 296.
-
[62]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 96r.
-
[63]
Ibid.
-
[64]
Dascal, op. cit. in n. 17.
-
[65]
Selon l’approche pragma-dialectique de l’argumentation théorisée par Frans H. Van Eemeren et Rob Grootendorst, l’argument ad hominem enfreint la règle de la discussion critique, parce qu’il a pour but d’entraver la parole de l’interlocuteur en démontrant qu’il ne constitue pas un adversaire pertinent. Fusée-Aublet dénigre Poivre en utilisant les variantes « abusive » et « circonstancielle » de cet argument : « In the abusive variant, this party undermines the other party’s credentials by denigrating his intelligence, experience, or good faith. In the circumstantial variant, he does so by suggesting that the other party is not capable of making an impartial judgment because he is driven by personal interests. » (Van Eemeren, Grootendorst, op. cit. in n. 16, 225.)
-
[66]
Pierre Poivre, « Reponse à un écrit présenté le 29 octobre dernier (1755) par le Sr Fusée Aublet, au conseil superieur, au sujet de quelques plants remis à messieurs du dit conseil par le Sr Poivre », ms. du 4 novembre 1755 (ANOM, Col. C4/9), fos 97r-102v.
-
[67]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 99v.
-
[68]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95r.
-
[69]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 99v.
-
[70]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95v.
-
[71]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 101v.
-
[72]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 101v.
-
[73]
Dans son rapport de mission à la Compagnie, Poivre observe en effet que les noix récoltées à Timor par le gouverneur de Sambuangan étaient des muscades sauvages : « J’ai declaré au gouverneur et à son secretaire que je regardois ces noix comme une espece sauvage ou degenerée quoique des gens du païs assurassent que c’etoit des vrais pala (muscades) et que les longues surtout la plus grosse devoient être beaucoup plus aromatique que les autres que j’avois ouverte. » (Poivre, op. cit. in n. 28, f° 107r.)
-
[74]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 98r.
-
[75]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 57, f° 95r.
-
[76]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 98v.
-
[77]
Ibid., f° 97v.
-
[78]
Ibid., f° 100v.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Ibid.
-
[81]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 100v.
-
[82]
Marc Angenot, Dialogues de sourds : Traité de rhétorique antilogique (Paris : Mille et une nuits, 2008), 343.
-
[83]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 101v.
-
[84]
Poivre ajoute avec ironie : « […] je vois que ce qui passe par les mains de notre chimiste est sujet à transmutation », puis conclut : « […] la conduite du Sr aublet doit tout faire craindre de sa mauvaise foy. » (Poivre, op. cit. in n. 66, f° 102r.)
-
[85]
Poivre, op. cit. in n. 66, f° 102v.
-
[86]
« Lorsque je [deux mots barrés] n’eus plus d’assurance, je presentais une requette au conseil et je leur [rapportais ?] tout. Et ce tout fut renfermé, comme je le requerois pour etre envoyé à la Compagnie, mais le Sr Poivre eut assés du credit pour que la boite fermée du sceau du Conseil, du cachet de Mr Bouvet et du mien ne parvient jamais a la Compagnie. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 32, f° 108.)
-
[87]
Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. I, préface, ix-x.
-
[88]
Poivre, op. cit. in n. 1, 43.
-
[89]
Ibid., 66. Fusée-Aublet n’est pas en reste en ce qui concerne l’invocation du patronage. Dans un mémoire daté de 1757, il déclare avoir transmis à « Messieurs le Duc Dayen, Malzerbe, Bombarde, Montaran » son dessin du « faux » plant rapporté en 1755 par Poivre. Voir Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, « Mémoire sur les muscades présentées au Conseil par le Sieur Poivre », ms. du 15 mars 1757 (ANOM, Col. C/4/9), f° 385r.
-
[90]
« Une comparaison des demandes de Poivre et des résultats obtenus dans ses négociations démontre l’insuccès de sa mission auprès du roi et des mandarins. » (Malleret, op. cit. in n. 2, 166.) En effet, Poivre a obtenu une « chappe » accordant la liberté de commerce aux Français en Cochinchine, mais le renchérissement des marchandises causé par l’introduction d’une nouvelle monnaie (le « toutenague ») a anéanti l’espoir d’un commerce lucratif pour la Compagnie.
-
[91]
Louis Malleret a étudié le détail de cette affaire dans laquelle Poivre est accusé d’être à l’origine d’un incident diplomatique ayant abouti à la persécution des religieux présents dans le royaume. Voir Malleret, op. cit. in n. 2, chap. « Les conséquences du voyage en Cochinchine », 147-186.
-
[92]
Voir Pierre Poivre, Voyage de Pierre Poivre en Cochinchine, transcription par Henri Cordier, Revue de l’Extrême-Orient, III (1887), 81-121 et 364-510 ; Pierre Poivre, ms. du 10 avril 1750 (BNF, NAF 9377), f° 42r.
-
[93]
Malleret cite un extrait de la réponse donnée par la Compagnie à la lettre de Poivre du 10 avril 1750, dans laquelle elle reconnaît les difficultés éprouvées par le voyageur : « Le portrait que vous nous en faites [du commerce et du gouvernement en Cochinchine] prouve suffisamment le peu d’avantage ou plutôt l’inutilité de l’établissement que vous auriez pu y former. » (« Lettre des Syndics et Directeurs de la Compagnie des Indes à Poivre », ms. du 30 septembre 1750 (archives personnelles de la famille Pusy – La Fayette), cité par Malleret, op. cit. in n. 2, 173.)
-
[94]
« Mais dans la même lettre, ils changent complètement d’avis à propos de la mission de Poivre, dont ils soulignent l’amateurisme. Ils jugent notamment ses rapports insuffisants, estiment que son expédition en Cochinchine n’a servi proprement à rien, et émettent des doutes sur le sérieux de sa mission secrète de recherche des épiceries fines. » (Buttoud, op. cit. in n. 4, 49.)
-
[95]
Ly-Tio-Fane, op. cit. in n. 2, 3.
-
[96]
Haudrère, op. cit. in n. 19, t. III, 1011-1012.
-
[97]
« Au retour, la Compagnie se propose de lui accorder une pension de 1 200 livres pour l’ouverture du commerce de la Cochinchine et, si le succès de cette opération le déterminait à y retourner pour prendre la direction du comptoir, ses honoraires seraient alors portés à 4 000 livres monnaie forte. Enfin, pour le seul transport de quelques plants de muscadier et de giroflier de Mindanao à l’île de France, il percevra une gratification de 30 000 livres. Si ces plants réussissent en terre, croissent et prospèrent, il recevra encore une somme de 30 000 livres, sans compter d’autres marques de satisfaction que la Compagnie ne manquera pas de lui donner. » (Malleret, op. cit. in n. 2, 118 ; Malleret se réfère à la « Lettre des Syndics et Directeurs de la Compagnie des Indes à Pierre Poivre », op. cit. in n. 93.)
-
[98]
Malleret, op. cit. in n. 2, 217.
-
[99]
Liliot-Antoine David, « Rapport de la mission du Sr Le Poivre à la Cochinchine et autres lieux avec extrait de ses lettres, mémoires, comptes, et pièces au soutien, et sa demande à la Compagnie de la solde de son compte », ms. (ANOM, Col. C/1/3), fos 98-118.
-
[100]
Poivre, op. cit. in n. 1, 85.
-
[101]
Cette copie se trouve « à Lyon dans les archives de la famille Pérouse, descendante de Poivre par alliance » ; dans celle-ci, on trouve une « Récapitulation des faits contenus dans cette relation avec quelques nouveaux éclaircissements » (Malleret, op. cit. in n. 2, 215-216).
-
[102]
Il s’agit d’un extrait du manuscrit cité par Malleret, op. cit. in n. 2, 217.
-
[103]
Malleret, op. cit. in n. 2, 217.
-
[104]
« […] Pierre Duvelaër, l’un des directeurs de la Compagnie, le plus en vue des onze frères de Julien, Joseph de la Barre que Poivre avait connu comme chef de comptoir à Canton. Cette famille d’origine hollandaise s’était fixée à Saint-Malo vers le milieu du xviie siècle. Pierre Duvelaër, sieur de Kerveguen avait fait lui aussi ses débuts à Canton où Dupleix, alors subrécargue du Saint-Joseph, l’avait rencontré en 1724. […] En 1735, il avait épousé Marie-Élisabeth Duval d’Espremenil, fille du directeur de Lorient, et occupa la place de son beau-père, trois ans plus tard, quand celui-ci fut nommé à Paris. Depuis 1746, il avait été appelé à succéder à Dumas, à la tête du département de l’Inde. » (Malleret, op. cit. in n. 2, 109-110.)
-
[105]
Poivre, op. cit. in n. 1, 49.
-
[106]
Ibid., 50-51.
-
[107]
Loïc Nicolas, Rhétorique du complot : La persuasion à l’épreuve d’elle-même. Itinéraire d’une pensée fermée, in Emmanuelle Danblon, Loïc Nicolas (dir.), Les Rhétoriques de la conspiration (Paris : CNRS Éditions, 2010), 73-96, 96.
-
[108]
L’écrit « Quelques réflexions sur le mémoire qui traite de la Cochinchine » et ses pièces annexes, « Récapitulation de tout ce que dessus » et « Voyage de M. Poivre », par Duvelaër, ne laissent apparaître aucune opposition de la part du directeur vis-à-vis du projet des épices. Duvelaër développe son point de vue sur la meilleure façon d’exécuter les deux phases de l’expédition (le commerce en Cochinchine et les muscadiers à Manille). Voir ANOM, Col. C1/1, fos 45-55 ; ces manuscrits ont été transcrits par Henri Cordier dans Revue de l’Extrême-Orient, II (1884), 372-391.
-
[109]
Poivre, op. cit. in n. 1, 21.
-
[110]
Ibid., 22.
-
[111]
Ibid., 23.
-
[112]
Nicolas, op. cit. in n. 107, 89.
-
[113]
Pierre Poivre, « Mr. de St Priest », ms. du 31 décembre 1750 (BNF, NAF 9224), fos 149r-154r, ici f° 153r.
-
[114]
Nicolas, op. cit. in n. 107, 74.
-
[115]
Le journal personnel de Poivre se trouve dans les archives personnelles de la famille Pusy – La Fayette. Jean-Paul Morel a obtenu l’autorisation de publier une transcription de son contenu, auquel il a attribué une classification. L’extrait cité est tiré de la cote Pusy-A-2D, il s’agit du « Journal de Pierre Poivre, agent de la Compagnie des Indes A bord de la Colombe avril 1754 – juin 1755 », 22. En ligne : <http://www.pierrepoivre.fr/Arch-Pusy-2D.pdf>
-
[116]
Nicolas, op. cit. in n. 107, 74.
-
[117]
Poivre, op. cit. in n. 1, 69.
-
[118]
Ibid., 68.
-
[119]
Ibid., 69.
-
[120]
Ibid., 70.
-
[121]
« Le Sieur aublet m’a fait voir au Réduit beaucoup d’arbres et de plantes qu’il a eû le courage de cultiver, et qui par ses soins et sa constance, ont prosperé, malgré tous les dégouts qu’on s’est attaché à luy faire essüier à chaque instant. Sa probité, son zéle et son désintéressement me font concevoir de luy l’opinion la plus avantageuse. » (René Magon de La Villebague, « Journal », ms. du 23 janvier 1756 (ANOM, Col. C/4/9), f° 200v.)
-
[122]
Pierre Berthiaume, L’Aventure américaine au xviiie siècle (Ottawa : Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1990), 189.
-
[123]
Pierre Berthiaume note que dans les récits de voyage, « le problème de la vérité paraît se réduire à une question de stylistique dans la mesure où l’on oppose les artifices de l’art au naturel de la simplicité qui proscrit fard et mensonge. […] Qui dit style châtié, étudié, dit auteur, et qui dit auteur, pense roman et fiction. » (Berthiaume, op. cit. in n. 122, 184.) Sur le rapport problématique entre fiction et rhétorique dans le récit viatique, on consultera aussi l’article d’Odile Gannier, Rhétorique des fleurs absentes : Les scrupules académiques et stylistiques des récits d’expédition, Viatica [en ligne], 7 (2020), 1-14.
-
[124]
Michel Foucault, Les Mots et les choses (Paris : Gallimard, 1966), 101.
-
[125]
Auguste Toussaint, Histoire des îles Mascareignes (Paris : Berger-Levrault, 1972), 77.
-
[126]
Haudrère, op. cit. in n. 19, t. III, 1008-1012.
-
[127]
Marion F. Godfroy, Kourou, 1763 : Le dernier rêve de l’Amérique française (Paris : Vendémiaire, 2011).
-
[128]
François Regourd, Kourou 1763 : Succès d’une enquête, échec d’un projet colonial, in Charlotte de Castelnau-L’Estoile, François Regourd (dir.), Connaissances et pouvoirs : Les espaces impériaux (xvie-xviiie siècles), France, Espagne, Portugal (Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2005), 233-252, 236.
-
[129]
Henri Froidevaux, Une mission géographique et militaire à la Guyane en 1762, Annales de géographie, I/2 (1892), 218-231, 224.
-
[130]
Haudrère, op. cit. in n. 19, t. IV, 1099.
-
[131]
Pierre-Paul Bombarde de Beaulieu, « Reponse a la lettre du Sr Aublet dattée de Cayenne du 16 mars 1763 » (ANOM, Col. C/14/26), fos 349r-352r.
-
[132]
« Tous les faits & les réflexions qu’on vient de lire, nous démontrent combien il seroit utile que des projets pareils à celui des épiceries fines, fussent jugés par des personnes capables d’apprécier ces entreprises, instruites par les voyages, le commerce, la lecture de tout ce qui a été écrit en ce genre, & possédant les principes & la pratique de l’agriculture ; car il faut la réunion de toutes ces connoissances pour décider de la possibilité, des moyens, des obstacles & des avantages des projets d’agriculture & de commerce ; chacun des membres doit être consulté d’abord séparément & ensuite en comité, & n’avoir aucun espoir de prendre part au profit du projet. » (Fusée-Aublet, op. cit. in n. 11, t. II, « Observations sur le muscadier », 94.)
-
[133]
Dans ce qui ressemble fort à l’ébauche d’un mémoire consacré à la culture du poivrier, du muscadier et du cannelier – rédigé ultérieurement à la publication de sa flore guyanaise –, Fusée-Aublet révoque ses doutes concernant la possibilité d’acclimater le muscadier dans les colonies françaises. Il analyse en détail la description du muscadier fournie par Rumphius et constate que « dans les possessions immenses de sa majesté », les muscadiers et les girofliers « peuvent y être cultivés avec le même succès qu’à Banda et à Java ». Voir Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet, « Cannelle, poivre, muscade » (MNHN, ms. 453, chemise 2), s. f.
-
[134]
Malleret, op. cit. in n. 2, 257-258.
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[135]
Ibid., 259.