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Article de revue

La biologie, la réflexivité et l’histoire : Réinscrire Canguilhem dans son milieu

Pages 155 à 177

Notes

  • [*]
    Texte traduit de l’anglais (américain) par Laurent Loison.
  • [1]
    Georges Canguilhem, La pensée et le vivant, in Id., La Connaissance de la vie [1952] (Paris : Vrin, 2003), 11-16, 16.
  • [2]
    Canguilhem souligna cette distinction dans l’introduction de son recueil Idéologie et rationalité dans les sciences de la vie (Paris : Vrin, 1977).
  • [3]
    Georges Canguilhem, La problématique de la philosophie de l’histoire au début des années 30, in Jean-Claude Chamboredon (sous la direction de), Raymond Aron : La philosophie de l’histoire et les sciences sociales (Paris : Éditions Rue d’Ulm, 1999), 9-24.
  • [4]
    Canguilhem, op. cit. in n. 3, 18.
  • [5]
    Ibid., 23.
  • [6]
    Voir : Thèses de doctorat, Revue de métaphysique et de morale, 45 / suppl. au n° 3 (1er juillet 1938), 29.
  • [7]
    Dans une lettre adressée à Pierre Bertaux et datée du 19 novembre 1930, Aron se confia à propos du moment où il décida d’abandonner son projet de recherche initial, écrivant : « J’ai vu se rejoindre les problèmes divers qui me préoccupaient : la philosophie prenant conscience de soi, la philosophie chassant le fantôme de l’historique, le socialisme redevenant réalité spirituelle par la redécouverte de la volonté des valeurs, que sais-je encore, tout m’est apparu lié. » (Raymond Aron, Lettres d’Allemagne à Pierre Bertaux (1930-1933), Commentaire, n° 28-29 (hiver 1985) : Raymond Aron, 1905-1983 : Textes, études et témoignages, 281.)
  • [8]
    Pour davantage d’informations en ce qui concerne Aron et la théorie de l’évolution, ainsi que sur ce qui distingue son approche de celle de Bergson, on consultera : Isabel Gabel, From evolutionary theory to philosophy of history : Raymond Aron and the crisis of French neo-transformism, History of the human sciences, 31/1 (2018), 6, 14.
  • [9]
    Raymond Aron, Mémoires, édition intégrale (Paris : Robert Laffont, 2010), 82.
  • [10]
    Laurent Loison, The notions of plasticity and heredity among French Neo-Lamarckians (1880-1940) : From complementarity to incompatibility, in Snait B. Gissis et Eva Jablonka (sous la direction de), Transformations of Lamarckism : From subtle fluids to molecular biology (Cambridge, MA : The MIT Press, 2011), 67-76.
  • [11]
    Maurice Caullery, Genetics and evolution, Science, 74 (1931), 254-260, 256. (Nous traduisons.)
  • [12]
    Ibid., 259.
  • [13]
    Caullery, op. cit. in n. 11.
  • [14]
    Laurent Loison, Qu’est-ce que le néolamarckisme ? Les biologistes français et la question de l’évolution des espèces, 1870-1940 (Paris : Vuibert, 2010), 182.
  • [15]
    Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire (Paris : Gallimard, 1981), 49.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Aron, op. cit. in n. 15, 33.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Aron, op. cit. in n. 15, 47.
  • [21]
    Ibid., 51-54.
  • [22]
    Georges Canguilhem, Le vivant et son milieu, in Id. (1952/2003), op. cit. in n. 1, 165-197, 197.
  • [23]
    Georges Canguilhem, [compte rendu de] Raymond Aron, La Sociologie allemande contemporaine (Paris : Alcan, 1935), Europe, 40 (1936), 573-574, 574.
  • [24]
    Ruyer écrivit un texte sur les premières années de sa vie : Raymond Ruyer, Souvenirs : Ma famille alsacienne et ma vallée vosgienne (Strasbourg : Vent d’Est, 1985).
  • [25]
    Raymond Ruyer, Éléments de psycho-biologie (Paris : PUF, 1946). Ruyer précisa qu’il avait composé cet ouvrage entre l’hiver 1942 et le printemps 1944.
  • [26]
    Henri Bergson, L’Évolution créatrice [1907] (Paris : PUF, 2001), « Quadrige », 39.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    En ce qui concerne la nature du matérialisme de Ruyer, on consultera : Isabel Gabel, « Biology and the philosophy of history in mid-twentieth-century France », thèse de doctorat, Columbia University, 2015, chap. 2 (voir : https://search.proquest.com/openview/929c5c4e98e7de9ca3da92c1f72ba708/1?pq-origsite=gscholar&cbl=18750&diss=y).
  • [29]
    Antoine-Augustin Cournot, Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire, vol. 1 (Paris : Hachette, 1861), 3.
  • [30]
    Raymond Ruyer, Esquisse d’une philosophie de la structure (Paris : Alcan, 1930), 3-4.
  • [31]
    Ruyer, op. cit. in n. 30, 92.
  • [32]
    Ibid., 93.
  • [33]
    Ibid., 2.
  • [34]
    Ruyer, op. cit. in n. 30, 93.
  • [35]
    Ibid.
  • [36]
    Sven Hörstadius, The mechanics of sea urchin development, studied by operative methods, Biological reviews, 14/2 (1939), 132-179.
  • [37]
    Ruyer (1946), op. cit. in n. 25, 74.
  • [38]
    Canguilhem (1936), op. cit. in n. 23.
  • [39]
    Lettre de Canguilhem à Aron, « Jeudi », fin 1935 / début 1936 (archives privées de Raymond Aron, département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, n° 206).
  • [40]
    Georges Canguilhem, « Philosophie de l’histoire », 1937-1938, f. 1 (archives du CAPHÉS, fonds Canguilhem, GC. 10.4.13, 9 feuillets manuscrits).
  • [41]
    Canguilhem, op. cit. in n. 40.
  • [42]
    Ibid., f. 1 v°, f. 2.
  • [43]
    Stefanos Geroulanos, Todd Meyers, Introduction, in Georges Canguilhem, Writings on medicine (New York : Fordham UP, 2012), 11-12.
  • [44]
    Aron (2010), op. cit. in n. 9, 83.
  • [45]
    Georges Canguilhem, Aspects du vitalisme, in Id. (1952/2003), op. cit. in n. 1, 105-127, 121.
  • [46]
    Canguilhem, La pensée et le vivant, op. cit. in n. 1, 16.
  • [47]
    Georges Canguilhem, « La biologie », 1942-1943, f. 14 (archives du CAPHÉS, fonds Canguilhem, GC. 11.2.1, 53 feuillets manuscrits).
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ibid., f. 13.
  • [50]
    Georges Canguilhem, « La matière et la vie », 1967, f. 1 (archives du CAPHÉS, fonds Canguilhem, GC. 15.4.4, 4 feuillets manuscrits).
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    Ibid.
  • [53]
    Ibid., f. 2.
  • [54]
    Georges Canguilhem, Le concept et la vie, in Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie [1968] (Paris : Vrin, 2002), 335-364, 362.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    Ibid.

Introduction

1Dans l’introduction de son recueil La Connaissance de la vie (1952), Georges Canguilhem écrivait : « Nous soupçonnons que, pour faire de la biologie, même avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes [1]. » Cette déclaration pointe un des fondements du projet philosophique de Canguilhem, à savoir l’ambition de développer une forme de connaissance ancrée dans la réflexivité de la vie elle-même. Tout comme son prédécesseur à la Sorbonne, Gaston Bachelard, Canguilhem pensait que les objets du savoir et les voies de la connaissance étaient inséparables, et définir une connaissance de la vie qui soit en adéquation avec son objet devint ainsi son projet principal. Le fait que Canguilhem ait privilégié les sciences du vivant est classiquement compris dans le contexte de sa propre formation médicale et de la thèse exceptionnelle qui en résulta, Le Normal et le pathologique. Réduire l’intérêt de Canguilhem pour la biologie uniquement à cet épisode biographique – dont nous ne nions pas l’importance – conduit néanmoins à ignorer certains aspects cruciaux du contexte intellectuel de l’époque. Il s’avère en fait que son attention pour les sciences du vivant n’était pas un cas unique en France et que d’autres jeunes philosophes voyaient aussi la biologie comme une ressource conceptuelle fondamentale pour aborder un grand nombre de problèmes. Durant l’entre-deux-guerres, dans le milieu intellectuel où Canguilhem commença à élaborer sa propre philosophie, la biologie était devenue pour quelques-uns de ses contemporains un moyen pour repenser les notions d’objectivité et d’histoire en permettant notamment de dépasser les limites d’une lecture trop centrée sur la catégorie de l’« individu humain ». Si nous lisons son travail à la lumière d’un tel contexte, il devient alors possible d’envisager que certaines théories philosophiques de l’histoire aient aussi constitué une partie de l’arrière-plan intellectuel du propre projet philosophique de Canguilhem.

2Canguilhem appartenait à un groupe de jeunes philosophes français qui virent la biologie comme la voie privilégiée pour rouvrir les problèmes fondamentaux de la tradition idéaliste. Avant que Canguilhem ne devienne un historien et philosophe des sciences de la vie, son camarade à l’École normale supérieure, Raymond Aron, avait lui-même commencé, puis abandonné, une thèse consacrée à l’épistémologie de la génétique mendélienne. La thèse qu’il écrivit finalement, son Introduction à la philosophie de l’histoire : Essai sur les limites de l’objectivité historique, était en partie une tentative pour développer une philosophie de l’histoire à même de dépasser les limites du transformisme français et celles de l’idéalisme de ses maîtres, au premier rang desquels Léon Brunschvicg. Raymond Ruyer, qui précéda de quelques années Canguilhem et Aron sur les bancs de l’École normale supérieure, élabora au cours des années 1940 une métaphysique assise sur l’embryologie. Pour Ruyer, l’embryologie offrait la possibilité de dépasser le dualisme de l’esprit et de la matière.

3Si les contributions de Canguilhem à l’épistémologie et à l’histoire des sciences sont bien connues, replacer son travail dans le contexte de l’intérêt de certains philosophes de cette génération pour la biologie révèle une nouvelle facette de son propre projet philosophique. Certes, il ne fait aucun doute que Canguilhem se positionna à la suite de Bachelard dans son effort pour relier la théorie et l’expérience, l’histoire des sciences et l’épistémologie. Mais simultanément, il défendait aussi la primauté du biologique, à la fois d’un point de vue ontologique et épistémologique. C’est par l’entremise de l’histoire de la connaissance qu’il aborda pour sa part la problématique de l’histoire, et son approche de l’histoire de la connaissance était elle-même fondée sur la catégorie du vivant. La biologie était vue comme ce qui permettait de substituer à la « pure » histoire, qui se bornait à documenter les évènements du passé sans compréhension de leur lien avec le présent, une histoire authentiquement réflexive de la connaissance [2].

4Dans cet article, notre intention est de ressaisir les rapports de Canguilhem à la biologie au sein du mouvement vers les sciences du vivant qui fut spécifique à une frange de la philosophie française au mitan du xxe siècle. Dans une première section, nous montrons comment l’intérêt précoce d’Aron pour la génétique mendélienne a pu contribuer à façonner sa philosophie de l’histoire. Comme Canguilhem lui-même le reconnut après la mort d’Aron, les premiers travaux de son ami sur ce sujet jouèrent un rôle dans la manière dont les philosophes de cette génération pensèrent l’histoire [3]. Il s’agira ensuite de comprendre comment Ruyer utilisa l’embryologie pour penser la temporalité de la matière. Enfin, à la lumière de ce contexte, nous souhaitons montrer que Canguilhem se tourna vers la biologie en ayant à l’esprit que la biologie comme l’histoire partageaient une relation réflexive avec le sujet connaissant. En d’autres termes, en biologie comme en histoire, les catégories d’objets et de sujets se mêlent étroitement et ceci conféra à l’histoire un intérêt significatif dans les réflexions de Canguilhem à propos des sciences du vivant. Aux yeux de Canguilhem, la biologie, du fait de son caractère intrinsèquement réflexif, était en effet une science tout à fait singulière. Il ne pouvait exister un savoir biologique désincarné, c’est-à-dire une connaissance de la vie qui ne soit pas en même temps une activité du vivant. Le mécanisme héréditaire de l’ADN, dès lors qu’il fut découvert, devint une parfaite instanciation d’une histoire comme « signification réifiée ». Les réflexions épistémologiques de Canguilhem à propos de la biologie, où il accorda une si grande spécificité à cette branche du savoir, contribuèrent aussi en retour à sa propre conception de l’histoire.

Raymond Aron et le transformisme français

5En 1988, lors d’un colloque consacré à la vie et à l’œuvre de Raymond Aron (1905-1983), Georges Canguilhem souhaita examiner « la problématique de la philosophie de l’histoire au début des années 30 ». Il tenta alors de resituer les travaux initiaux d’Aron sur la philosophie de l’histoire au sein du milieu intellectuel qui prévalait lors de leurs études. Tout en faisant les louanges du travail de son ami, Canguilhem attirait l’attention sur l’intérêt initial d’Aron pour la biologie : « À mon avis, on n’a pas jusqu’à présent accordé l’importance qu’il mérite au fait que Raymond Aron ait abandonné à cette époque son projet de thèse complémentaire sur la biologie mendélienne [4]. » Il poursuivit son éloge en insistant sur la subtilité et la profondeur avec lesquelles Aron avait su comprendre l’histoire de la biologie, et ce tout au long de sa vie.

6Selon Canguilhem, l’Introduction à la philosophie de l’histoire (1938) constitua une sorte de tournant dans l’histoire de la pensée française, car elle marquait le moment où « dans l’histoire de la philosophie française, est enfin entrée la philosophie française de l’histoire [5] ». Cette caractérisation est particulièrement éclairante, car elle suggère que Canguilhem voyait la contribution de sa génération à la philosophie française comme consistant, au moins en partie, à avoir insufflé un nouvel élan à la philosophie de l’histoire. En 1938, la soutenance de thèse d’Aron fut l’occasion d’un petit scandale qui fut rapporté dans la Revue de métaphysique et de morale. Paul Fauconnet déclara, comme cela est demeuré célèbre, que ce travail était l’œuvre « d’un satanique ou d’un désespéré [6] ». Mais pour la génération d’Aron, il s’agissait seulement de rouvrir certaines questions liées à la théorie de l’histoire qui avaient été absentes de leur formation ; et de le faire non pas par l’entremise des mathématiques et du développement de la raison, comme l’avait fait Brunschvicg, mais via la biologie et l’émergence de l’homme comme sujet connaissant.

7Comme Canguilhem l’indique, lorsque Aron débuta son travail de thèse, il pensait orienter son projet vers l’épistémologie de la génétique mendélienne. Ce n’est qu’après son séjour en Allemagne, où il fut le témoin à la fois des premières étapes de la montée du nazisme et de l’engouement qui accompagnait la phénoménologie d’Edmund Husserl et Martin Heidegger, qu’Aron abandonna ce sujet et se tourna vers la philosophie de l’histoire [7]. Au moment où il terminait la rédaction de son mémoire, il était convaincu que le transformisme et la philosophie de l’histoire s’étaient heurtés aux mêmes obstacles épistémiques. Ainsi, et de bien des manières, le projet aronien ne signifiait pas uniquement, comme le souligne Canguilhem, le retour de l’histoire dans la philosophie française, mais également celui de la biologie. Plutôt que de se contenter d’observer les progrès des sciences depuis une perspective extérieure, certains philosophes de cette génération commencèrent à se saisir des questions épistémologiques, éthiques et ontologiques les plus vives au moyen de la biologie [8].

8Dans ses mémoires, Aron explique comment, en 1928, il fréquenta régulièrement le laboratoire de biologie de l’École normale supérieure et, au fil de nombreuses lectures, en vint à s’intéresser à la génétique [9]. C’était avant son séjour en Allemagne. À ce moment, une génération de biologistes formés par le zoologiste Alfred Giard (1846-1908) dominait la scène parisienne. Parmi eux, Étienne Rabaud (1868-1956) occupait la chaire de biologie expérimentale de la Sorbonne alors que Maurice Caullery (1868-1958), lui, s’était vu confier la chaire d’« évolution des êtres organisés ». Les années 1920 furent une période de crise et de frustration pour la biologie française. Le darwinisme et le mendélisme étaient toujours largement rejetés, mais les explications néolamarckiennes commençaient elles-mêmes à perdre du terrain. Comme l’a montré Laurent Loison, la plasticité – c’est-à-dire la capacité pour l’organisme de répondre à son environnement en ajustant son développement de manière adaptative – avait été durant plusieurs décennies une question bien plus fondamentale que celle de l’hérédité [10]. Quand l’hérédité devint à son tour un problème, la sélection fut mise de côté au profit de l’idée d’hérédité des caractères acquis. Bien que relativement hétérogène dans ses inspirations intellectuelles et ses visées programmatiques, le néolamarckisme français du xxe siècle se caractérisait néanmoins par deux attributs essentiels : sa résistance à explorer le rôle de la sélection naturelle dans l’évolution et sa profonde défiance en ce qui concernait le pouvoir explicatif des gènes.

9La première partie de la thèse d’Aron était pour l’essentiel consacrée à l’histoire naturelle, et c’est à cette occasion qu’il s’est le plus largement appuyé sur le livre de Caullery, Le Problème de l’évolution (1931). Pour Caullery, les gènes étaient « seulement des symboles [11] ». Le problème était en fait double. D’une part, les expériences de Thomas H. Morgan sur les mutants de la drosophile n’avaient jamais produit de nouvelles espèces, simplement des traits récessifs qui semblaient s’estomper avec le temps. D’autre part, Caullery ne comprenait pas comment de simples mutations génétiques auraient pu expliquer l’incroyable degré d’adaptation des espèces à leur environnement. Si la génétique semblait être en mesure de rendre compte de manière crédible de l’hérédité, elle n’offrait aucune explication de la variation, c’est-à-dire de la plasticité :

10

« Pour expliquer ces faits [d’adaptation à l’environnement], il me semble qu’il soit impossible de rejeter l’action directe du milieu sur les organismes ou l’influence du phénotype sur le génotype, c’est-à-dire un mécanisme du même genre que celui conçu par Lamarck [12]. »

11Toute théorie de l’évolution se devait d’expliquer l’extrême coordination des phénotypes, aussi étroite que celle de « véritables machines [13] ». C’est pourquoi le mendélisme ne semblait guère être en mesure de résoudre les difficultés théoriques rencontrées par les néolamarckiens français.

12Comme Loison l’a montré, c’est au cours des années 1910 que Caullery rejoignit en partie certaines des interprétations de son collègue Félix Le Dantec. Tout comme ce dernier, Caullery en vint à penser que « la capacité des organismes à varier en fonction des conditions du milieu, soit leur plasticité, était une fonction qui décroissait avec la complexité et la spécialisation morphologique des êtres vivants [14] ».

13Caullery soutint finalement que, bien que l’existence de mécanismes lamarckiens n’ait pu être démontrée dans la nature de l’époque, ils devaient néanmoins avoir été opérants dans le passé. Dans la lecture qu’en fit Aron, les conclusions de Caullery concernant les limites épistémiques du transformisme devaient avoir de profondes implications pour la philosophie de l’histoire. Cela rendait envisageable le fait que certaines formes de causalité devaient s’appliquer à certaines échelles temporelles mais pas à d’autres. Dans un chapitre sur le temps et l’histoire, Aron écrivit que, « si certaines lois suppriment d’un certain point de vue l’histoire, elles impliquent aussi une trame causale discontinue qui exclut l’exacte répétition d’un état de l’univers total [15] ». Parce que le temps s’écoulait dans une seule direction, parce qu’il était irréversible, cela permettait à Aron de voir la causalité et la singularité comme deux catégories réconciliables. Et de poursuivre : « En tout cas, à notre échelle, si nous considérons les unités relatives et provisoires que représentent les choses et les êtres, nous constatons une multiplicité réelle qui entraîne, en même temps que l’opposition des hasards et des évolutions, l’irréversibilité du devenir [16]. »

14Pour Aron, les écrits de Caullery sur le transformisme pointaient un problème similaire à celui auquel faisait face la philosophie de l’histoire – comment comprendre le passé depuis la perspective d’un présent peu assuré d’un point de vue épistémique – et ils suggéraient également quelques solutions. Aussi paradoxal que cela puisse sembler à un lecteur contemporain, la théorie de l’évolution donna à Aron la caution pour limiter les inférences qui pouvaient être faites à propos du passé lointain. Il pensait que ce n’était qu’en reconnaissant cette limitation que la nature historique de l’homme pouvait commencer à être comprise.

15Selon lui, les biologistes avaient l’air satisfaits par la seule démonstration du fait de la descendance. Pour ces derniers, « [l]’histoire devient série d’événements et non plus suite intelligible [17] ». Cette « doctrine du hasard » culmina chez les généticiens, qui voyaient les formes vivantes comme « réductibles à des assemblages d’atomes vitaux, de gènes » [18]. En 1938, Aron pouvait encore poursuivre en concédant que, bien sûr, la plupart des biologistes trouvaient cette conception génétique de la vie insatisfaisante. Caullery en faisait partie, mais Aron soulignait aussi que, en soutenant que des mécanismes différents de ce que l’on pouvait observer aujourd’hui avaient opéré dans le passé, Caullery renversait le sens de l’histoire :

16

« Ainsi l’histoire, nécessaire d’abord pour expliquer positivement les finalités, est invoquée ensuite pour faire admettre l’inintelligibilité de l’évolution. Double nécessité contradictoire, mais contradiction sans doute nécessaire [19]. »

17Il en résultait une grande confusion en biologie sur la nature même de l’objet de la recherche. La confusion quant au mécanisme de l’évolution avait conduit à un état d’incohérence théorique à propos de l’histoire elle-même.

18Parce que de son point de vue, ni la biologie ni la philosophie n’avaient pour le moment été capables de rendre compte de l’histoire humaine, Aron espérait pouvoir développer une philosophie de l’histoire qui pût expliquer la nature duale de l’existence humaine, à la fois fondamentalement enracinée dans le biologique, et en même temps transcendance radicale des lois naturelles. Pour lui, la spécificité de l’histoire humaine n’était pas de se soustraire aux lois naturelles mais, bien que « comme les animaux », les humains avancent vers la mort, ils luttent néanmoins pour une connaissance d’eux-mêmes. Cette forme d’autoconnaissance donnait à l’homme son « historicité authentique » [20] :

19

« Du même coup, nous apercevons, une fois de plus, la spécificité de l’histoire humaine. Des histoires naturelles, on en constate d’innombrables, pourvu qu’on s’attache à des choses isolées. […] Pour notre tentative, il convient d’analyser la connaissance que l’homme, dans l’histoire, acquiert de lui-même et de l’évolution. Réflexion sur la conscience de l’histoire qui est l’origine de la philosophie aussi bien que la méthodologie, puisque la même interrogation domine l’une et l’autre : comment l’individu parvient-il à saisir la totalité humaine [21] ? »

20Ce raisonnement trouve indéniablement un certain écho chez Canguilhem dans son texte « Le vivant et son milieu », quand il écrit : « Car la naissance, le devenir et les progrès de la science dans une humanité à laquelle on refuse à juste titre, d’un point de vue scientiste et même matérialiste, la science infuse doivent être compris comme une sorte d’entreprise assez aventureuse de la vie [22]. » La résonnance entre la théorie aronienne de l’histoire et l’interprétation canguilhémienne de la spécificité biologique est d’autant plus frappante que les deux eurent à faire face au défi du dualisme entre matérialisme et idéalisme. En tant que science de la vie, la biologie ne pouvait totalement résoudre le conflit entre expérience vécue et connaissance scientifique ; c’est pourquoi, d’une certaine façon, elle fit sienne cette tension sous la forme d’une suspension autoréflexive. Cette tension productive, Aron comme Canguilhem l’incorporèrent à leur philosophie.

21Mais avant cela, Canguilhem fut dans un premier temps impressionné par le travail d’Aron sur la théorie de l’histoire. Par-dessus tout, Canguilhem prit bonne note de la méthode d’Aron, et de son rejet d’une perspective strictement externe et objective sur l’histoire. Dans la recension qu’il donne de La Sociologie allemande contemporaine (1935), Canguilhem écrit que « [c]e n’est pas le moindre intérêt de cet ouvrage que l’auteur, non content de faire un rapport objectif, adopte résolument à l’égard de ce qu’il rapporte une attitude philosophique, c’est-à-dire réflexive [23] ». C’était cette approche réflexive et philosophique de l’histoire que Canguilhem admirait, et bien sûr souhaita à son tour entreprendre à sa manière. Son admiration pour le travail d’Aron fait le lien avec l’importance, dans la philosophie postérieure de Canguilhem, de l’histoire comme pratique réflexive.

22Il n’est pas anodin qu’Aron soit venu à la philosophie de l’histoire par la biologie. Cela nous dit quelque chose, non seulement de l’état de la théorie de l’évolution en France à ce moment, mais aussi de la signification épistémique singulière qu’avaient pu prendre les sciences biologiques dans les années 1930. L’intérêt philosophique de celles-ci ne se limitait pas, d’ailleurs, à la seule théorie de l’évolution. L’embryologie également joua un rôle, comme le montre le travail de Raymond Ruyer. Dans la section suivante, nous souhaitons réexaminer la rencontre de celui-ci avec l’embryologie, et l’incidence de cette rencontre sur sa propre philosophie.

Raymond Ruyer et le temps embryologique

23Durant les années 1940, sur les terrains des anciens cabanons d’entraînement de la Wehrmacht près de la ville alors évacuée de Döllersheim, au nord-est de l’Autriche, un groupe de prisonniers de guerre français constitué d’intellectuels et de scientifiques mit sur pied un collectif de travail afin d’occuper leur temps libre en apprenant les uns des autres. Ces hommes, dont la plupart devinrent universitaires après leur retour en France, faisaient des conférences à tour de rôle, conduisaient des recherches et produisaient de cette manière du savoir académique. Ils se dénommèrent l’« Université en Captivité ». Parmi eux, au camp de prisonniers pour officiers Oflag XVII-A (Oflag était une abréviation pour « Offizierlager »), se trouvait Raymond Ruyer. Né en 1902 à Plainfang, dans les Vosges, Ruyer fut reçu à l’École normale supérieure dans la section de philosophie. Il enseigna ensuite à Nancy, d’abord au lycée, puis à l’université [24]. Ses thèses de doctorat, toutes les deux publiées en 1930, portaient l’une sur la « philosophie de la structure » et l’autre sur la philosophie de l’histoire d’Antoine-Augustin Cournot.

24Avant la guerre, Ruyer avait porté son attention sur le problème philosophique du corps et de l’esprit, publiant en 1937 La Conscience et le corps. Il passa la plus grande partie de la guerre au camp Oflag XVII-A, et, durant cette période, fit la rencontre, entre autres universitaires distingués, d’Étienne Wolff, un professeur de biologie de l’université de Strasbourg qui s’était spécialisé dans les domaines de l’embryologie, de la tératologie et de l’hérédité. Alors qu’il faisait partie de l’Université en Captivité, Ruyer composa son premier ouvrage – le premier d’une longue liste –, inspiré par certains problèmes biologiques, en particulier ceux propres à l’embryologie [25]. Sur la base de ses nouvelles connaissances en embryologie, il en vint à soutenir la thèse de l’unité des sciences et de la métaphysique. Alors qu’il travaillait à son projet, il développa une philosophie particulière qu’il nomma « néofinalisme », en partie pour la distinguer du « finalisme radical » que Bergson avait stigmatisé en 1907 dans L’Évolution créatrice. Bergson avait défendu l’idée qu’un tel « finalisme radical », comme on le trouve par exemple chez Leibniz, était tout aussi inacceptable qu’un mécanisme radical, parce qu’il « implique que les choses et les êtres ne font que réaliser un programme une fois tracé » [26]. Il rejetait cette implication au motif que « s’il n’y a rien d’imprévu, point d’invention ni de création dans l’univers, [alors] le temps devient encore inutile [27] ». C’est pourquoi le néofinalisme de Ruyer visait non pas un retour à Leibniz, mais une forme de convergence de la finalité et d’un déploiement authentique dans le temps. L’embryologie était au fondement de ses spéculations. Au fur et à mesure que ses connaissances en biologie se firent plus précises, Ruyer fut à même de développer une théorie matérialiste de la temporalité [28].

25Les premiers travaux de Ruyer n’avaient laissé aucune place à la « durée » au sens de Bergson. Avant qu’il ne s’intéresse à l’embryologie, sa philosophie épousait exactement le type de mécanisme radical critiqué par Bergson car excluant la durée. Un examen rapide de sa philosophie de la structure suffit à le montrer. Il la développa durant plus d’une décennie (soit à peu près de 1930 à 1945) et, dans sa formulation initiale, cette philosophie excluait la temporalité. Il s’avère que ce fut finalement l’embryon qui permit à Ruyer de réfléchir à la temporalité des structures.

26Sa thèse de 1930 intitulée Esquisse d’une philosophie de la structure avait été grandement influencée par les idées du philosophe et mathématicien Antoine-Augustin Cournot. Au cours des années 1860, Cournot défendit la primauté épistémologique de l’ordre, soutenant que la connaissance de l’ordre (c’est-à-dire sa connaissance formelle) n’était pas seulement plus précise que d’autres formes de connaissance, elle était en fait l’unique forme de connaissance authentique. Ruyer décida d’explorer, dans ses conséquences logiques les plus extrêmes, l’idée de Cournot selon laquelle « nous ne connaissons scientifiquement en toute chose que l’ordre et la forme [29] ». Il pensait que Cournot s’était trompé en introduisant d’autres concepts, comme ceux de force et de principe vital, qui divisaient inutilement le monde entre l’organique et l’inorganique. Ce type de vitalisme, selon lui, devait être évité. C’est pourquoi, dans sa thèse sur la philosophie de la structure, il s’était employé à appliquer une théorie mécanique de la structure à l’ensemble de la réalité :

27

« Nous examinons ce que deviennent les notions communément employées par les philosophes, dans l’hypothèse où tout se définirait par la seule structure. Pour fixer les idées, tandis que Cournot, dans son traité, s’efforce de montrer les distinctions entre les différents ordres de réalités, entre les différents “registres”, de l’ordre logique à la force, à la matière, et à la vie, nous essayons, au contraire, de tout interpréter sans faire intervenir autre chose que la forme […]. Nous voulons montrer que le mécanisme poussé jusqu’au bout, et utilisé jusque dans les domaines qui ne semblent guère être de son ressort, n’est pas une doctrine philosophique à dédaigner [30]. »

28Selon Ruyer, il existait alors, dans la biologie française, une profonde ambiguïté au sujet du concept de vie. Les biologistes, incapables d’expliquer comment les nouveautés se produisaient, comment la vie changeait au cours du temps, avaient élevé leur ignorance au rang de « mystère ». C’était précisément ce type de vitalisme rampant que Ruyer ciblait dans sa métaphysique mécaniste de la structure. Le « mystère » apparent de l’hérédité, écrivait Ruyer, n’était rien de plus que la conséquence de nos limites dans l’observation des échelles microscopiques, limite qui serait probablement bientôt dépassée. Les cellules n’étaient que de petites structures, et les biologistes en étaient venus à confondre les limites de leurs microscopes avec celles de la science mécanique :

29

« Le point le plus obscur pour la biologie, c’est sûrement “la structure” de la cellule, et là, les biologistes sont arrêtés par un obstacle purement matériel, l’impossibilité d’augmenter la puissance des microscopes. Il est assez probable que c’est cette ignorance presque complète de la structure cellulaire qui fait le mystère de l’hérédité [31]. »

30À partir de cette compréhension de la nature de la cellule, Ruyer tira des conclusions sur celle de l’hérédité, et, partant, de l’évolution. Le mécanisme de l’hérédité ne pouvait « créer » que dans le sens le plus étroit du terme. Reprenant à son compte les visées polémiques de Rabaud contre la génétique, il écrivit : « L’hérédité en elle-même n’est pas une force, elle est, comme dit Rabaud, un simple fait de continuité et de similitude [32]. »

31Ainsi, en 1930, le fondement de la philosophie de la structure de Ruyer pouvait se résumer en une phrase : « Il n’y a de réalité que d’une seule sorte : la réalité géométrico-mécanique, la forme, la structure [33]. » Comme son objectif était de démontrer la plausibilité de cette ontologie universelle de la structure, il semblait normal que, quand il en vint à l’organisme, il eût à se concentrer sur un cas limite, celui de l’embryon. Ce qui était en jeu dans l’opposition entre épigenèse et préformation, c’était la question du pouvoir créateur de l’embryon. La structure de l’organisme adulte était-elle contenue dans l’œuf fécondé, ou bien était-elle créée par un processus organique au cours du temps ? À ce moment, Ruyer n’avait encore que peu de connaissances dans le domaine des sciences du vivant, mais il comprenait déjà que sa philosophie de la structure ne pourrait faire l’économie de la question du phénomène vital.

32Ayant soutenu que « tout mouvement est le fonctionnement d’une forme donnée », Ruyer se pencha sur le contre-exemple le plus évident, celui de l’embryon [34]. En effet, l’ordonnancement et la finalité du développement embryonnaire, qui voyait une seule cellule se transformer pour donner un organisme complexe, ne démontraient-ils pas de manière convaincante la nature non-mécanique de la vie ? Ruyer le contestait car « l’œuf n’invente rien, il reproduit simplement la constitution de l’espèce et précisément celle des parents [35] ». À ce moment, pour Ruyer, les mystères de l’embryologie étaient facilement dissous par le déploiement d’un mécanisme réglé d’avance.

33Sa philosophie ne laissait aucune place à la nouveauté ni à la temporalité, et, de bien des manières, symbolisait parfaitement le type de « finalisme radical » auquel Bergson s’était opposé. Pour Ruyer, seules les structures existaient, et tout ce dont elles étaient capables était de se mouvoir dans les limites de leurs propres formes. Elles n’étaient capables ni de nouveauté ni de genèse. Cette première philosophie de Ruyer poursuivait en fait l’idéal scientifique typique du xixe siècle, auquel Cournot souscrivait, où la connaissance était comprise comme le nécessaire déploiement de la raison. Ce ne fut qu’après sa rencontre avec la biologie par l’entremise d’Étienne Wolff que Ruyer commença à remettre en question l’idée d’un monde entièrement mécanique susceptible d’être compris au travers de la pure rationalité. En faisant de la temporalité une propriété inhérente à la matière, la biologie allait transformer sa conception des structures.

34Immédiatement après la guerre, il publia Éléments de psycho-biologie, ouvrage de part en part façonné par ses connaissances nouvelles en embryologie. Contrairement à ce que l’on trouvait dans ses travaux précédents, il s’y montre critique non seulement du vitalisme, mais également du mécanisme. Ruyer commence ce livre par l’examen d’expérimentations sur la polarité des oursins. Au cours des années 1930, un embryologiste suédois avait conduit toute une série de travaux sur les œufs d’oursin et était parvenu à montrer qu’il était possible de séparer deux moitiés d’un embryon selon différents axes, chaque moitié restant capable de produire un embryon à même de suivre un développement normal [36].

35De tels résultats, qui dans une certaine mesure concordaient avec ce qui était déjà connu, étaient déjà intéressants en eux-mêmes. Ce qu’ils montraient aussi, c’est que la séparation entre les deux masses embryonnaires n’était possible que jusqu’à un certain stade du développement – cela fonctionnait encore au stade de 16 cellules, mais plus à celui de 64 cellules. Ce que Ruyer interprétait ainsi :

36

« À un certain moment et aussi dans certaines parties de l’embryon, quelque chose s’est donc produit, qui a spécialisé ou “déterminé” telle cellule ou tel territoire, qui ne peut plus dès lors produire que tel organe ; aucune technique ne peut plus changer sa destinée [37]. »

37Comme Ruyer l’acceptait désormais, la fixité dans l’espace n’était pas une propriété intrinsèque de l’œuf fécondé, mais une phase atteinte au cours du temps. Ainsi, l’embryologie introduisait une nouvelle temporalité au sein du monde matériel, temporalité qui n’avait pas été prise en compte auparavant dans son travail philosophique sur la structure. Ruyer développa alors la notion de « forme dynamique » au sein de ses réflexions sur la structure. Dans sa conception initiale de la structure, les embryons n’étaient qu’un exemple parmi d’autres de structures atemporelles – c’est-à-dire, un peu à la manière des théories préformationnistes, le simple déploiement d’un mécanisme déjà donné. Désormais, après avoir passé du temps à étudier la biologie et l’embryologie contemporaines, les embryons étaient devenus pour lui d’authentiques structures temporelles – structures qui faisaient bien plus que simplement reproduire le passé. Elles recélaient un potentiel dynamique dans leur temporalité.

38Nous estimons que la signification de la rencontre entre Ruyer et la biologie est double. Premièrement, elle indique que l’appropriation par certains philosophes français des savoirs biologiques ne se limitait pas à un projet intellectuel particulier. L’épistémologie n’était pas le seul enjeu de cette rencontre. Deuxièmement, la biologie était comprise comme la clé pour dépasser les limites du dualisme en philosophie. Pour Ruyer, cela voulait dire un nouveau finalisme matérialiste. Pour Canguilhem, comme nous allons le voir, cela signifiait non seulement rejeter le dualisme métaphysique mais également affirmer la spécificité du vivant au moyen d’une histoire réflexive de la connaissance.

Georges Canguilhem, la biologie et l’histoire

39En 1924, quelques années après Ruyer, Canguilhem intégra l’École normale supérieure en compagnie de Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et Paul Nizan. Amis durant leurs études, Aron et Canguilhem demeurèrent en contact au cours des années 1930. Aron lui fit parvenir personnellement un exemplaire de La Sociologie allemande contemporaine dont Canguilhem rédigea une recension pour la revue Europe[38]. Comme il le confessa à son ami, Canguilhem savait peu de choses à propos de Max Weber, et de ce fait trouva son livre particulièrement éclairant [39]. À ce moment, Canguilhem enseignait au lycée de Béziers et n’avait pas encore commencé ses études médicales.

40En 1938, alors qu’il était en poste au lycée de Toulouse, il lut l’Introduction à la philosophie de l’histoire, publiée cette même année. Dans les notes qui datent de cette époque, il se réfère explicitement au travail de son ami lorsqu’il tente d’établir une distinction entre les lois naturelles et l’histoire. Il commence par poser que les lois n’existent pas en tant que telles, mais seulement comme produit de la relation entre la pensée et la nature [40]. Les lois requièrent un jugement, dont la nature doit être redéfinie pour chaque cas. Canguilhem opère alors une distinction entre l’histoire et la science, écrivant que là où l’histoire est temporelle et orientée vers le futur, la science est intemporelle et tend à l’éternel [41]. L’histoire implique « événements, singularité, changement, concret », alors que la science suppose « fait, répétition, constance, abstraction » [42]. À la lecture de ces notes, il apparaît que la thèse d’Aron aida Canguilhem à poser le problème du rapport entre connaissance scientifique et connaissance historique.

41Cette distinction entre histoire d’un côté et science de l’autre se retrouve dans la plupart des travaux épistémologiques de Canguilhem. Dans ses reconstructions historiques, Canguilhem s’est employé à maintenir une nette séparation entre une histoire strictement positiviste, limitée à la restitution du passé de la science, et une approche foncièrement conceptuelle qui, telle que la décrivent Stefanos Geroulanos et Todd Meyers, « extirpe les concepts […] de la matrice qui les relierait directement les uns aux autres afin de comprendre comment chacun d’entre eux porte une histoire singulière – une histoire qui rend leur liaison bien moins stable que ce qu’on aurait pu croire [43] ».

42Pour Aron, comme nous venons de le voir, les sciences de la vie furent finalement le chemin qu’il n’emprunta pas. Il arriva au seuil de celui-ci en 1930 et, pour l’essentiel, ce fut le contexte politique du moment qui le conduisit vers d’autres territoires. Dans ses Mémoires, il explique :

43

« Prendre pour modèle et pour fondement de l’existence l’attitude du savant dans son laboratoire me laissait insatisfait. Le savant ne pratique la morale du savant que dans son laboratoire. […] A fortiori, l’homme, en chacun de nous, n’est pas un savant […] [44]. »

44Pour Aron, l’épistémologie de la biologie était circonscrite à l’espace du laboratoire. La science lui semblait autonome, c’est-à-dire incapable d’interroger le monde qui se trouvait au-delà du sien propre.

45À l’évidence, telle n’était pas la conviction de Canguilhem, qui s’intéressa au premier chef à la rencontre entre les valeurs humaines et la science. Ce fut là, selon nous, le projet qui l’anima durant toute sa vie. La question de savoir dans quelle mesure Canguilhem fut vitaliste continue aujourd’hui d’être posée, car bien qu’ayant formulé des critiques à l’endroit du vitalisme, il demeura également convaincu de la spécificité du vivant. Pour ce qui nous concerne, nous pensons que la spécificité du vivant était non pas une assertion métaphysique chez Canguilhem, mais plutôt une exigence épistémologique. C’est pourquoi nous pensons que désigner sa philosophie par le terme

46« vitalisme épistémique » est une caractérisation adéquate.

47Ce vitalisme épistémique se donne à voir particulièrement nettement dans son essai de 1947, « Aspects du vitalisme », où il soutint que le mécanisme et le vitalisme étaient l’un comme l’autre des dualismes. Selon lui, le vitalisme faisait sienne l’idée d’un univers régi par des lois, au sein duquel il demeurait simplement un espace pour le vivant censé faire exception à ces lois :

48

« Là est, à notre sens, la faute philosophiquement inexcusable. Il ne peut y avoir d’empire dans un empire, sinon il n’y a plus aucun empire, ni comme contenant, ni comme contenu. Il n’y a qu’une philosophie de l’empire, celle qui refuse le partage, l’impérialisme. L’impérialisme des physiciens ou des chimistes est donc parfaitement logique, poussant à bout l’expansion de la logique ou la logique de l’expansion. On ne peut pas défendre l’originalité du phénomène biologique et par suite l’originalité de la biologie en délimitant dans le territoire physico-chimique, dans un milieu d’inertie ou de mouvements déterminés de l’extérieur, des enclaves d’indétermination, des zones de dissidence, des foyers d’hérésie [45]. »

49Les lois de la physique et de la chimie décrivent des relations réciproques entre objets, mais le biologique doit toujours être un centre absolu. C’est ce positionnement ontologique qui était au fondement de ses revendications épistémologiques au sujet de la spécificité de la biologie. Plus encore, en associant si étroitement la connaissance à l’ontologie biologique, Canguilhem plaçait la réflexivité au cœur de son épistémologie vitaliste.

50Là où culmina ce « vitalisme », c’est quand il en vint à suggérer que l’épistémologie de la biologie, au contraire d’autres formes de connaissance, était liée au statut ontique d’être un organisme. La citation qui ouvre le présent article mérite d’être à nouveau reproduite, car elle résume parfaitement l’engagement philosophique de Canguilhem durant les années 1940 : « [P]our faire de la biologie, écrivait-il, même avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes [46]. » Connaître la vie était inséparable d’être en vie, et était en fait une partie du processus de vivre. Même le titre du recueil, La Connaissance de la vie, indique la relation nécessaire entre la connaissance biologique et le fait d’être en vie. La connaissance de la vie est tout à la fois connaissance à propos de la vie et connaissance qui appartient exclusivement à la vie.

51Ses notes de cours du début des années 1940, quand il enseignait à l’université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, révèlent un intérêt de plus en plus marqué pour les questions de méthode historique, et en particulier pour la relation entre l’épistémologie de l’histoire naturelle et l’épistémologie de la biologie :

52

« L’histoire naturelle considérait l’être vivant comme une forme typique, stable, fermée sur elle-même, en rapport avec le milieu dans lequel elle avait été placée [alors que] la biologie considère le vivant comme le produit d’une formation dont les conditions chronologiques d’événements et les conditions topographiques d’environnement sont constitutives et génératives […] [47]. »

53Ce qui distinguait la biologie de l’histoire naturelle était son aspiration à être davantage qu’une science descriptive [48]. Le fait que l’histoire naturelle tende par principe à l’exhaustivité – sa volonté d’être une description totale de la vie sur Terre – était aussi ce qui constituait sa limite [49].

54Durant les années soixante, Canguilhem demeura fidèle à l’idée de spécificité du vivant sur la base de considérations épistémologiques. Au cours de cette période, il s’intéressait davantage à son histoire réflexive de la connaissance. Vivre, selon lui, était un état de perpétuel questionnement : « Le fait de vivre place le vivant dans une situation de conflit [50]. » Ce conflit était la lutte de la vie contre son opposé, « la non-vie [51] ». Par « non-vie », Canguilhem signifiait à la fois la mort et le monde matériel. La vie doit toujours faire face à la mort, mais elle doit également se défendre contre un milieu hostile.

55L’idée de vie comme résistance à l’entropie, à la menace du milieu, et à la mort conduisit Canguilhem à en donner une nouvelle définition. Comprise jusqu’à présent comme une condition permanente des phénomènes biologiques, la vie était désormais vue comme une « invention » de l’époque moderne. Rejoignant Michel Foucault, Canguilhem concédait que la vie en tant que telle n’existait pas avant la fin du xviie siècle [52]. Bien sûr, cela ne signifiait pas que les êtres organisés n’avaient pas eux-mêmes existé, mais plutôt qu’avant que la biologie n’émerge pour interroger « la relation entre la matière et la vie », de tels êtres étaient simplement donnés [53]. Selon Canguilhem, ce n’est que dès lors que le microscope révéla les échelles de la complexité matérielle de l’univers – ce qui renforça le matérialisme –, que la vie en vint à avoir besoin d’une science qui lui fût propre.

56Ce qui est frappant, lorsqu’on considère ces notes de cours des années 1960, c’est qu’elles révèlent un Canguilhem largement ouvert à la possibilité de comprendre la vie dans les termes de la physique et de la chimie. Pour le dire autrement, le vitalisme métaphysique n’était alors plus nécessaire à son vitalisme épistémique. Considérer la vie comme une sorte d’entropie négative, c’est-à-dire un phénomène quantitatif, aurait été un anathème pour la philosophie de Canguilhem vingt ans plus tôt. Mais c’est pourtant bien cette nouvelle conception qui était à l’œuvre dans son brillant essai de 1966, « Le concept et la vie », dans lequel il se félicitait des récentes transformations de la biologie :

57

« Et désormais la connaissance de la vie ne ressemble plus à un portrait de la vie, ce qu’elle pouvait être lorsque la connaissance de la vie était description et classification des espèces. Elle ne ressemble pas à l’architecture ou à la mécanique […]. Mais elle ressemble à la grammaire, à la sémantique et à la syntaxe. Pour comprendre la vie, il faut entreprendre, avant de la lire, de décrypter le message de la vie [54]. »

58L’histoire de la vie était en fait inscrite dans la matière. Dans cet essai, il soutient que « dire que l’hérédité biologique est une communication d’information, c’est, en un certain sens, […] admettre qu’il y a dans le vivant un logos, inscrit, conservé et transmis [55] ». La vie a toujours consisté dans « la transmission de messages [56] ». En écrivant cela, Canguilhem suggérait qu’Aristote lui-même, avec sa philosophie de la relation entre le logos et la vie, avait en quelque sorte transmis un « message ». En d’autres termes, Canguilhem ne voyait pas ce nouveau concept de vie comme une rupture, mais plutôt comme la dernière instance d’une conception qui courait depuis Aristote jusqu’à l’ADN. Pour lui, la spécificité épistémologique de la biologie n’était pas uniquement la conséquence de la normativité du vivant, mais aussi de la réflexivité fondamentale de la connaissance émanant de ce qui doit être connu.

Conclusion

59Constater que Canguilhem n’était pas le seul à être fasciné par la biologie aide à comprendre que son projet épistémique était aussi la conséquence d’un contexte intellectuel bien particulier, contexte au sein duquel vouloir développer une épistémologie compatible avec la réflexivité de la connaissance biologique ne semblait pas hors de propos. Si Ruyer voulut tirer de la biologie une métaphysique, en généralisant l’ontologie de la biologie, Canguilhem fut lui plus intéressé par le projet d’étendre l’épistémologie spécifique de la biologie, science qui avait toujours appartenu à double titre au vivant. Soutenir que la connaissance de la vie ne pouvait plus être un « foyer d’hérésie » était une position radicale concernant l’universalité de la biologie. Comme Aron, Canguilhem avait pris conscience des limites de l’histoire naturelle et des sciences purement descriptives. Mais pour lui, ces limites pouvaient être dépassées au moyen d’une nouvelle épistémologie de la biologie, en fait une épistémologie du vivant lui-même. Ni l’idéalisme, ni un matérialisme de type positiviste ne pouvaient prétendre rendre compte de l’histoire humaine en tant que phénomène enraciné dans le biologique, et qui était, en même temps, aventure de la conscience. C’est précisément cela que souhaitait offrir l’histoire réflexive de la connaissance élaborée par Canguilhem.


Mots-clés éditeurs : biologie, Raymond Ruyer, Georges Canguilhem, philosophie de l’histoire, Raymond Aron

Date de mise en ligne : 18/12/2018.

https://doi.org/10.3917/rhs.712.0155

Notes

  • [*]
    Texte traduit de l’anglais (américain) par Laurent Loison.
  • [1]
    Georges Canguilhem, La pensée et le vivant, in Id., La Connaissance de la vie [1952] (Paris : Vrin, 2003), 11-16, 16.
  • [2]
    Canguilhem souligna cette distinction dans l’introduction de son recueil Idéologie et rationalité dans les sciences de la vie (Paris : Vrin, 1977).
  • [3]
    Georges Canguilhem, La problématique de la philosophie de l’histoire au début des années 30, in Jean-Claude Chamboredon (sous la direction de), Raymond Aron : La philosophie de l’histoire et les sciences sociales (Paris : Éditions Rue d’Ulm, 1999), 9-24.
  • [4]
    Canguilhem, op. cit. in n. 3, 18.
  • [5]
    Ibid., 23.
  • [6]
    Voir : Thèses de doctorat, Revue de métaphysique et de morale, 45 / suppl. au n° 3 (1er juillet 1938), 29.
  • [7]
    Dans une lettre adressée à Pierre Bertaux et datée du 19 novembre 1930, Aron se confia à propos du moment où il décida d’abandonner son projet de recherche initial, écrivant : « J’ai vu se rejoindre les problèmes divers qui me préoccupaient : la philosophie prenant conscience de soi, la philosophie chassant le fantôme de l’historique, le socialisme redevenant réalité spirituelle par la redécouverte de la volonté des valeurs, que sais-je encore, tout m’est apparu lié. » (Raymond Aron, Lettres d’Allemagne à Pierre Bertaux (1930-1933), Commentaire, n° 28-29 (hiver 1985) : Raymond Aron, 1905-1983 : Textes, études et témoignages, 281.)
  • [8]
    Pour davantage d’informations en ce qui concerne Aron et la théorie de l’évolution, ainsi que sur ce qui distingue son approche de celle de Bergson, on consultera : Isabel Gabel, From evolutionary theory to philosophy of history : Raymond Aron and the crisis of French neo-transformism, History of the human sciences, 31/1 (2018), 6, 14.
  • [9]
    Raymond Aron, Mémoires, édition intégrale (Paris : Robert Laffont, 2010), 82.
  • [10]
    Laurent Loison, The notions of plasticity and heredity among French Neo-Lamarckians (1880-1940) : From complementarity to incompatibility, in Snait B. Gissis et Eva Jablonka (sous la direction de), Transformations of Lamarckism : From subtle fluids to molecular biology (Cambridge, MA : The MIT Press, 2011), 67-76.
  • [11]
    Maurice Caullery, Genetics and evolution, Science, 74 (1931), 254-260, 256. (Nous traduisons.)
  • [12]
    Ibid., 259.
  • [13]
    Caullery, op. cit. in n. 11.
  • [14]
    Laurent Loison, Qu’est-ce que le néolamarckisme ? Les biologistes français et la question de l’évolution des espèces, 1870-1940 (Paris : Vuibert, 2010), 182.
  • [15]
    Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire (Paris : Gallimard, 1981), 49.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Aron, op. cit. in n. 15, 33.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Aron, op. cit. in n. 15, 47.
  • [21]
    Ibid., 51-54.
  • [22]
    Georges Canguilhem, Le vivant et son milieu, in Id. (1952/2003), op. cit. in n. 1, 165-197, 197.
  • [23]
    Georges Canguilhem, [compte rendu de] Raymond Aron, La Sociologie allemande contemporaine (Paris : Alcan, 1935), Europe, 40 (1936), 573-574, 574.
  • [24]
    Ruyer écrivit un texte sur les premières années de sa vie : Raymond Ruyer, Souvenirs : Ma famille alsacienne et ma vallée vosgienne (Strasbourg : Vent d’Est, 1985).
  • [25]
    Raymond Ruyer, Éléments de psycho-biologie (Paris : PUF, 1946). Ruyer précisa qu’il avait composé cet ouvrage entre l’hiver 1942 et le printemps 1944.
  • [26]
    Henri Bergson, L’Évolution créatrice [1907] (Paris : PUF, 2001), « Quadrige », 39.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    En ce qui concerne la nature du matérialisme de Ruyer, on consultera : Isabel Gabel, « Biology and the philosophy of history in mid-twentieth-century France », thèse de doctorat, Columbia University, 2015, chap. 2 (voir : https://search.proquest.com/openview/929c5c4e98e7de9ca3da92c1f72ba708/1?pq-origsite=gscholar&cbl=18750&diss=y).
  • [29]
    Antoine-Augustin Cournot, Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire, vol. 1 (Paris : Hachette, 1861), 3.
  • [30]
    Raymond Ruyer, Esquisse d’une philosophie de la structure (Paris : Alcan, 1930), 3-4.
  • [31]
    Ruyer, op. cit. in n. 30, 92.
  • [32]
    Ibid., 93.
  • [33]
    Ibid., 2.
  • [34]
    Ruyer, op. cit. in n. 30, 93.
  • [35]
    Ibid.
  • [36]
    Sven Hörstadius, The mechanics of sea urchin development, studied by operative methods, Biological reviews, 14/2 (1939), 132-179.
  • [37]
    Ruyer (1946), op. cit. in n. 25, 74.
  • [38]
    Canguilhem (1936), op. cit. in n. 23.
  • [39]
    Lettre de Canguilhem à Aron, « Jeudi », fin 1935 / début 1936 (archives privées de Raymond Aron, département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, n° 206).
  • [40]
    Georges Canguilhem, « Philosophie de l’histoire », 1937-1938, f. 1 (archives du CAPHÉS, fonds Canguilhem, GC. 10.4.13, 9 feuillets manuscrits).
  • [41]
    Canguilhem, op. cit. in n. 40.
  • [42]
    Ibid., f. 1 v°, f. 2.
  • [43]
    Stefanos Geroulanos, Todd Meyers, Introduction, in Georges Canguilhem, Writings on medicine (New York : Fordham UP, 2012), 11-12.
  • [44]
    Aron (2010), op. cit. in n. 9, 83.
  • [45]
    Georges Canguilhem, Aspects du vitalisme, in Id. (1952/2003), op. cit. in n. 1, 105-127, 121.
  • [46]
    Canguilhem, La pensée et le vivant, op. cit. in n. 1, 16.
  • [47]
    Georges Canguilhem, « La biologie », 1942-1943, f. 14 (archives du CAPHÉS, fonds Canguilhem, GC. 11.2.1, 53 feuillets manuscrits).
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ibid., f. 13.
  • [50]
    Georges Canguilhem, « La matière et la vie », 1967, f. 1 (archives du CAPHÉS, fonds Canguilhem, GC. 15.4.4, 4 feuillets manuscrits).
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    Ibid.
  • [53]
    Ibid., f. 2.
  • [54]
    Georges Canguilhem, Le concept et la vie, in Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie [1968] (Paris : Vrin, 2002), 335-364, 362.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    Ibid.
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