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Article de revue

L'expérience de pensée au péril de la fiction : Le cas de la correspondance entre Leibniz et Papin

Pages 275 à 298

Notes

  • [*]
    Anne-Lise Rey, UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » (STL), UFR Physique, USTL, Cité scientifique, 59655 Villeneuve-d’Ascq Cedex, France. E-mail : annelise.rey@free.fr
  • [1]
    Lettre de Leibniz à Papin du 24 juin 1699, LBr 714, 177v-178r. Je cite cette lettre, comme les autres dans la suite de l’article – sauf mentions contraires –, en me référant à la pagination du manuscrit qui se trouve aux archives Leibniz à Hanovre (Niedersächsische Landesbibliothek Hannover, Leibniz-Archiv). La transcription est la mienne et l’orthographe d’origine respectée.
  • [2]
    Je voudrais remercier Anouk Barberousse et Guillermo Ranea pour leur lecture attentive et leurs suggestions, ainsi que les rapporteurs anonymes dont les suggestions m’ont permis d’améliorer mon article.
  • [3]
    Une abondante et stimulante littérature critique s’en est occupée ces dernières années.
  • [4]
    Cf. à ce sujet Ronald N. Giere, Why scientific models should not be regarded as works of fiction ?, in Mauricio Suárez (éd.), Fictions in science : Philosophical essays on modeling and idealization (New York – Londres : Routledge, 2009), 248-258. Mon projet n’est pas de participer au large processus de compréhension fictionaliste des théories scientifiques, admirablement présenté par exemple par Roman Frigg, qui propose « a novel approach to the issue of models and representation, one that draws essentially on the analogy between models and literary fiction » dans son article : Fiction and scientific representation, in Roman Frigg et Matthew Hunter (éd.), Beyond mimesis and nominalism : Representation in art and science (Berlin – New York : Springer, 2010), 97-138, et que conteste Giere dans cet article, en fondant sa critique sur les fonctions différentes que les fictions et les modèles scientifiques ont en pratique.
  • [5]
    Je reprends ici une distinction souvent utilisée entre fictionnel et fictif.
  • [6]
    C’est l’argumentation fictionnelle à l’œuvre dans l’expérience de pensée qui m’intéresse ici.
  • [7]
    Je n’entends pas ici heuristique au sens que lui attribue Karl Popper lorsqu’il distingue entre les expériences de pensée celles qui sont heuristiques, critiques et apologétiques (Karl Popper, On the use and misuse of imaginary experiments, especially in quantum theory, in Id., The Logic of scientific discovery (Londres : Hutchinson, 1959), 442-456) car il ne s’agit pas, à mes yeux, d’en faire une « illustration de la théorie » mais bien au contraire une sorte de formulation inventive de la théorie, pourrait-on presque dire.
  • [8]
    Le projet de cet article est né de la lecture stimulante de l’ouvrage de Frédérique Aït-Touati, Contes de la Lune : Essai sur la fiction et la science modernes (Paris : Gallimard, 2011), « Nrf Essais ». Aux pages 76-77, celle-ci écrit : « L’image télescopique obtenue avec le télescope de Galilée est sans doute très utile. Mais elle demande à être interprétée, et elle est souvent mise en doute. Kepler invente l’instrument surpuissant qu’est la fiction scientifique. Non pas science-fiction, mais fiction utilisée dans la science pour sa faculté à produire des images et des récits et pour ses propriétés heuristiques (en voyant on comprend mieux) et rhétoriques (on frappe l’imagination des lecteurs). »
  • [9]
    J’entends par concorde rationnelle ici la conviction qu’il est possible d’identifier et de réduire les termes d’une controverse en les mettant sous forme syllogistique. C’est ce que tenta de faire Leibniz durant une grande partie de sa correspondance avec Papin, en vain. Il ne s’agit pas tant ici d’opposer l’irrationalité de la fiction à la rationalité de la concorde rationnelle, mais bien plutôt de montrer que l’expérience de pensée ouvre la possibilité d’un autre espace argumentatif qui est également rationnel mais régi par d’autres lois que celles du syllogisme.
  • [10]
    Commencée le 13 janvier 1692, la correspondance Leibniz-Papin s’achève avec la lettre du 27 décembre 1707. La correspondance dans son ensemble (plus de 200 lettres) n’est pas exclusivement consacrée à la controverse : les dernières lettres échangées au sujet de celle-ci datent d’avril 1700. Ajoutons également que la controverse commence indirectement via les Acta eruditorum. On pourrait donc dire que la controverse, au sein de la correspondance, occupe environ 130 lettres partiellement publiées – pour l’instant – par l’édition de l’Akademie.
    Les volumes de l’Akademieausgabe concernés sont les suivants : Gottfried Wilhelm Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe, série III : Mathematischer, naturwissenschaftlicher und technischer Briefwechsel, vol. 5 : 1691 – 1693 (Berlin, 2003), vol. 6 : 1694 – juin 1696 (Berlin, 2004), vol. 7 : juillet 1696 – décembre 1698 (Berlin, 2011). Ces trois volumes sont également consultables en ligne. Le volume 8 (janvier 1699 – décembre 1701), en cours d’achèvement, est mis en ligne, dans un état provisoire seulement, à l’adresse : http://www.gwlb.de/Leibniz/Leibnizarchiv/Veroeffentlichungen/III8.pdf. Dans la suite, ces volumes seront désignés par l’abréviation « A, III », suivie du numéro du volume, en chiffre arabe.
    L’édition complète de la correspondance et des documents parus dans les journaux savants de l’époque (qui permettent de comprendre la correspondance), menée par Alberto Guillermo Ranea, est en cours de publication.
  • [11]
    Cf. la lettre de Leibniz à Papin de janvier 1699 (LBr 714, 161r) : « Ainsi pour eviter doresnavant tout sujet de contestations et de reproches, il faut revenir à la forme. »
  • [12]
    LBr 714, 136v. « 14/24 avril » désigne les dates correspondantes des calendriers julien et grégorien.
  • [13]
    Pour une belle présentation des enjeux de cette controverse, cf. Gideon Freudenthal, Perpetuum mobile : The Leibniz-Papin controversy, Studies in history and philosophy of science, 33 (2002), 573-637.
  • [14]
    Acta eruditorum (mars 1686), 161-163.
  • [15]
    En effet, René Descartes n’aurait pas désavoué ce que Leibniz affirme dans ce texte, à savoir que 1o un corps qui tombe d’une hauteur déterminée acquiert par sa chute la force de remonter à la hauteur de départ, sauf si une cause externe l’en empêche (ce qu’il emprunte aux Règles du mouvement dans la rencontre des corps (1669) de Christiaan Huygens) et 2o il faut autant de force pour qu’un corps A d’une livre s’élève à la hauteur CD de 4 toises que pour qu’un corps B de quatre livres s’élève à la hauteur EF d’une toise (ce qu’on retrouve dans le petit texte de Descartes : Explication des engins par l’aide desquels on peut avec une petite force lever un fardeau fort pesant, en appendice d’une lettre envoyée à Huygens datée du 5 octobre 1637, in René Descartes, Œuvres philosophiques, éd. par Ferdinand Alquié, t. I (Paris : Garnier frères, 1963), 802-814).
  • [16]
    Dans les Discorsi e dimonstrazioni matematiche de 1638, Galilée établit, dans le cas de la chute libre des corps, la proportionnalité des espaces parcourus et des carrés des temps mis à les parcourir, indiquant corrélativement la proportionnalité des vitesses aux temps.
  • [17]
    Cf. Carolyn Iltis, Leibniz and the vis viva controversy, Isis, 62 (1971), 21-35.
  • [18]
    Les deux passages cités sont de François Duchesneau, La Dynamique de Leibniz (Paris : Vrin, 1994), « Mathesis », 137.
  • [19]
    Catherine Wilson dans Leibniz’s metaphysics : A historical and comparative study (Manchester : Manchester University Press, 1989), « Studies in intellectual history », 138, écrit à propos de la « Brevis demonstratio » « which introduced the notion of vis viva and its conservation by means a clear and interesting thought experiment. It has been pointed out that Leibniz failed to do justice to Descartes’ actual theory ; indeed, he had apparently not read Descartes with any care at the time of his demonstration and was relying on second-hand knowledge. Moreover, the conservation of mv2 was in no sense a discovery of Leibniz’s ; but an earlier result of Huygens. The latter had no thought to employ it in a polemical context ». Ce qui me semble particulièrement intéressant dans ce passage – et je remercie Guillermo Ranea de me l’avoir signalé – est qu’il souligne que la première justification publique de la réforme de la dynamique et de l’introduction du principe de conservation des forces vives se fait grâce à une expérience de pensée. Catherine Wilson propose ainsi un statut épistémologique spécifique pour l’introduction de mv2 : l’expérience de pensée comme modalité argumentative.
  • [20]
    Dans une lettre à Adam Kochiansky – citée par Ludwig Stein dans Leibniz und Spinoza : Ein Beitrag zur Entwicklungsgeschichte der Leibnizischen Philosophie (Berlin : G. Reimer, 1890), 329 –, Leibniz qualifie les manifestes alchimiques en reprenant les mêmes termes : « Tout ce que l’on a dit des Frères de la Croix et la Rose est une pure invention de quelque personne ingénieuse. » Cette proximité témoigne sans doute du statut qu’il accorde à l’expérience de pensée proposée par Papin.
  • [21]
    Comme le montre John D. Norton dans son article, On thought experiments : Is there more to the argument ?, Philosophy of science, 71 (décembre 2004), 1139-1151 : « My view of thought experiments is quite deflationary. I claim that they are just ordinary argumentation, disguised in some vivid picturesque or narrative form. Therefore they can do nothing more epistemically that can ordinary argumentation. I don’t doubt that this picturesque clothing gives them special rhetorical powers, but they are not my concern. […] More precisely, my concern is what I label : The epistemological problem of thought experiments in the sciences. Thought experiments are supposed to give us knowledge of the natural world. From where does this knowledge come ? Since I claim that thought experiments are merely picturesque arguments, my solution is that this knowledge comes from premises introduced explicitly or tacitly into the thought experiment. That knowledge is the transformed, usually tacitly, through deductive or inductive argumentation. » Il s’agit bien de réduire l’expérience de pensée à une simple figure argumentative. Mais cette « réduction », que l’on pourrait contester, produit des effets car elle permet d’identifier le dispositif cognitif au cœur de l’expérience de pensée : en l’analysant comme un moyen de discerner, au plus près, l’argumentation (inductive ou déductive) qui a été voilée par l’expérience de pensée. Même si, contrairement à Norton, il me semble qu’il faut la penser en relation avec la dimension rhétorique à l’œuvre dans cette correspondance. Je proposerais donc de concevoir l’analyse de l’expérience de pensée comme procédant d’une réduction première qui permet d’identifier sa structure argumentative puis de compléter cette analyse par l’interprétation de la part rhétorique qui est également présente dans l’expérience de pensée.
  • [22]
    Anne-Lise Rey, The controversy between Leibniz and Papin : From the public debate to the correspondence, in Marcelo Dascal (éd.), The Practice of reason : Leibniz and his controversies (Amsterdam : John Benjamins Publishing Co., 2009), « Controversies », 75-100.
  • [23]
    Leibniz indique explicitement dans sa lettre du 8 novembre 1795 (LBr 714, 33r) qu’il cherche à convaincre Denis Papin au strict niveau « mathématique » : « Pour moy, je n’ay point besoin de me soucier icy de ce qui se passe dans la matiere insensible ou vous vous sauvés, et qui est peut estre cause de la pesanteur et du ressort. Nostre science est mathématique, et n’a pas besoin icy de ces suppositions ou hypotheses philosophiques, bien que bonnes d’ailleurs. » Ou encore dans sa lettre de novembre 1696 (LBr 714, 91r) : « Car je ne m’imagine pas, que vous veuliés avoir recours icy au systeme de causes occasionelles, comme si Dieu agissoit seul, et non pas les corps ; puisque en parlant d’actions physiques, et en les estimant mathematiquement, on ne s’embarasse pas de ces considerations de la Cause generale, et quand même ce systeme auroit lieu, on ne laissera pas de pouvoir estimer l’exercice ou le changement qui se fait dans le corps. »
  • [24]
    Lettre à Papin du 20 décembre 1695 (LBr 714, 45r).
  • [25]
    Cf. LBr 714, 65r.
  • [26]
    Cf. Hans Reichenbach, Experience and prediction (Chicago : University of Chicago Press, 1938).
  • [27]
    En effet, à partir de la lettre de Papin à Leibniz du 5 décembre 1702 (LBr 714, 192r), le cœur de la correspondance se déplace, il n’est pratiquement plus question de la controverse, mais des expériences que Papin cherche à mettre en œuvre avec sa pompe balistique, sa machine à piston, etc. Il serait cependant intéressant de penser le lien entre l’espace « expérientiel » ouvert par le recours à la fiction dans les lettres précédentes et les discussions sur les expériences envisagées ou réalisées sur les inventions élaborées par Papin.
  • [28]
    Lettre de Papin à Leibniz du 1er novembre 1698 (LBr 714, 151r) : « Je vous supplie de vous souvenir que quand j’ay consenti qu’on appellast action, le mouvement d’un corps qui ne rencontre point de resistence, j’ay dit en mesme temps que, à parler proprement, cela ne se devoit appeller que perseverance dans la meme maniere d’étre, et je ne consentois de l’appeller action qu’afin d’eviter les disputes de mots ; mais puisque Vous Vous prevalés de ma facilité jusques à pretendre n’avoir plus besoing d’instance, Je crois avoir droit de me retracter et de n’accorder plus rien. »
  • [29]
    LBr 714, 84r, lettre de Leibniz à Papin du 14 septembre 1696 : « Vous demandés « à quoy bon d’introduire une force vive puisque soit en communiquant la force, soit en la recevant c’est tousjours la loy de la force morte qui a lieu ». C’est à peu pres comme si on disoit à quoy il sert de parler des temps puisque il n’y a jamais que des instans. »
  • [30]
    Cf. LBr 714, 155r, lettre de Leibniz à Papin du 18 novembre 1698 : « Si vous avés consenti qu’on appelle action, ce que tout le monde appelle ainsi, et que vous ne voulés plus souffrir ce mot, appellés le comme il vous plaira, cette dispute de mots ne change rien au raisonnement. Si vous ne voulés pas que [ajout : ce changement de place en luy-meme (la resistence du milieu mise a part) se doit appeller action,] vous accorderés du moins que c’est un changement et cela me suffit. »
  • [31]
    Un échange de lettres entre Leibniz et Jacob Bernoulli thématise précisément la différence entre logomachie et controverse. Leibniz écrit en effet dans une lettre d’avril 1697 : « Agnoscit ipse Dn. Papinus controversiam non consistere in sola Logomachia, quoniam quaeritur utrum detur certa quantitas virium quae semper conservetur (quod ipse Concedit) et quomodo ea sit aestimanda. » (A, III-7, 361.)
  • [32]
    On l’a déjà mentionné : une forme qui reviendrait à parler « d’actions physiques, et en les estimant mathematiquement » (LBr 714, 91r – lettre cit. in n. 23).
  • [33]
    Je donne un exemple de cette « réduction » dans la lettre du 24 septembre 1696 adressée par Leibniz à Papin (LBr 714, 85r) : « La raison que vous apportez pour nier une proposition qui paroit incontestable c’est que, selon Vous, « les forces sont comme les quarrez des vitesses et ainsi un petit corps peut avoir plus de force qu’un grand quoy que il ayt une quantité de mouvement moindre que le grand : or dans le choc, l’un et l’autre corps n’agit que selon la quantité de son mouvement (que vous appelez la loy de la force morte) et ainsi le petit corps ayant le moins de mouvement ne sçauroit bander le ressort autant que le grand corps quoy que pourtant il y consume toute sa force vive qui est plus grande que celle du grand corps ». Je vais donc à présent faire instance contre cette response par ce 11° Syllogisme : Si cette response estoit bonne, il pourroit n’y avoir pas tousjours mesme quantité de force dans le monde, mais moins dans un temps que dans l’autre. Or nous sommes d’accord que le consequent est faux, Donc l’Antecedent l’est aussi. Je prouve la majeure du 11e syllogisme par ce 12e syllogisme : Dans l’instant que le petit corps seroit reduit au repos et auroit consumé toute sa force vive, il seroit possible de substituer en sa place un corps beaucoup plus gros qui devroit aussi estre repoussé par le ressort suivant la loy de la force morte.
    « Or, si vostre response estoit bonne, la quantité de mouvement que le gros corps substitué recevroit luy donneroit beaucoup moins de force vive que le petit corps n’en auroit perdu.
    « Donc, si vostre response estoit bonne, il pourroist y avoir moins de force dans un temps que dans l’autre. »
  • [34]
    J’en veux pour preuve ce passage relativement connu de la lettre de Leibniz à Papin du 20 décembre 1695 : « Je ne say pourquoi nous ne pouvons pas convenir en paroles, meme à l’égard des points ou nous convenons dans les choses. Je vous ay attribué, que vous m’accordiés qu’il se conserve toujours ce qui peut le meme effect. Vous me desavoués et vous m’accordés pourtant que les corps retiennent toujours le pouvoir de faire que leur centre commun puisse monter à la méme hauteur. Et c’est justement ce que j’appelle l’effect, c’est à dire ils peuvent toujours faire que la meme quantité de poids puisse monter à la meme hauteur ; l’elevation de leur centre n’etant rien que cela. Et par consequent ils peuvent aussi toujours faire que les mêmes ressorts puissent etre bandés au méme degre, ou que la meme vitesse soit donnée au meme corps. C’est ce que j’appelle « l’effect » qui se peut toujours prodiure (sic) et j’appelle « force » le pouvoir de produire un tel effect. Vous accordes que la meme force selon cette explication se conserve et votre protestation contraire est contraria facto, ou ce n’est qu’une question du nom. […] Vous estes trop penetrant pour ne pas voir cette consequance, si votre prevention ne vous avoit dispensé de l’attention qui est necessaire. Pour ce qui est du sens que vous donnés aux Termes, il vous est permis d’entendre par le nom de la force et de l’Effect tout ce qu’il vous plaira. Mais vous ne sauries prouver que ce que vous entendés parla c’est à dire la quantité de mouvement, se conserve aussi toujours la meme, comme ce que j’entends se conserve toujours. » (LBr 714, 45r.)
  • [35]
    LBr 714, 316v : « Vous dites Monsieur que l’indifference de la matiere est une hypothese plus simple, plus naturelle et plus intelligible. Mais le mal est qu’elle ne satisfait point aux phenomenes. Les cercles concentriques des anciens sont aussi plus simples, plus naturels et plus intelligibles que les Ellipses de Kepler, mais ils ne satisfont point. »
  • [36]
    Marcelo Dascal, The Art of controversies (Dordrecht : Springer, 2006), « The new synthese historical library », vol. 60, xxxvi et xl.
  • [37]
    John D. Norton, dans son article : Why thought experiments do not transcend empiricism ?, in Contemporary debates in philosophy of science, éd. par Christopher Hitchcock (Malden, MA : Blackwell Publ., 2004), chap. II, 44-66, propose tout à la fois de concevoir, comme on l’a déjà mentionné, l’expérience de pensée comme une forme à part entière d’argumentation – « […] they can do nothing more epistemically that can argumentation […] thought experimentation is governed by a logic, possibly of very generalized form » (p. 45) –, et d’interroger le pouvoir épistémique des expériences de pensée – en discutant les travaux de Roy A. Sorensen (Thought experiments (Oxford : Oxford University Press, 1992), 214) qui subordonne l’adhésion à l’idée selon laquelle les expériences de pensée seraient des arguments au fait de considérer que les expériences sont des arguments. Tout l’intérêt de la démarche de Norton, du moins telle que je l’interprète, est de concevoir, sur d’autres bases, la dimension empirique des expériences de pensée : « So thought experiments are arguments, but not because thought experimenters have sought to confine themselves to the modes in the existing literature on argumentation ; it is because the literature on argumentation has adapted itself to thought experiments. This argument view provides a natural home for an empiricist account of thought experiments. Insofar as a thought experiment provides novel information about the world, that information was introduced as experientially based premises in the arguments. The argument view may not be the only view that can support an empiricist epistemology. » (Ibid., 64.)
  • [38]
    Pour paraphraser un article de David C. Gooding intitulé : What is experimental about thought experiments ?, PSA : Proceedings of the biennial meeting of the Philosophy of Science Association, vol. 2 (1992), 280-290. Ce dernier traite les expériences de pensée comme une forme de raisonnement expérimental.
  • [39]
    Cf. Lettre de Leibniz à Papin du 8 novembre 1695 (LBr 714, 32v) : « Si l’effect pouvoit passer sa cause, on auroit le mouvement perpetuel. Et il est raisonnable que vice versa l’effect tout entier ne soit pas inferieur à sa cause. Ainsi les experiences favorisent entierement ces sentimens. Mais pour prouver que la quantité de mouvement se conserve, qui s’estime par le produit de la vistesse multipliée par la grandeur du corps, personne n’a rien allégue encor qui ait quelque apparence de raison. Celle de Descartes est pitoyable. Et les experiences y estant entierement contraires, vous estes obligé pour sauver votre sentiment, de recourir à une compensation dans la matiere invisible. »
  • [40]
    Lettre de Leibniz à Papin du 8 novembre 1695 (LBr 714, 33r).
  • [41]
    Cf. Lettre de Leibniz à Papin du 20 décembre 1695 (LBr 714, 45v) : « Je viens au point principal et decisif, qu’il suffira, tout seul d’examiner. Je suis bien aise que par là nôtre dispute s’est enfin reduite à quelque chose de practique, qui se peut verifier sans aller chercher les matieres invisibles. »
  • [42]
    Lbr 714, 46r.
  • [43]
    Lbr 714, 46r.
  • [44]
    Lbr 714, 20v.
  • [45]
    La lettre se poursuit ainsi : « Et cela est d’autant moins recevable, que cette loy pretendue manque de preuve, et qu’il est visible que nos corps gardent d’autres loix fort belles et fort regulieres, et conservent surtout la force prise dans mon sens, ce qui ne peut manquer de proceder des principes universels et communs tant aux corps sensibles, qu’aux autres : c’est pourquoy pour continuer cette conference avec fruit, il faut ou que vous compromettiés dans les corps sensibles, ou que vous apportiés des démonstrations pour les insensibles. » (LBr 714, 53v.)
  • [46]
    Dans la lettre à Papin du 2 décembre 1697 (cf. LBr 714, 121r).
  • [47]
    LBr 714, 127v.
  • [48]
    « La requête des chiens » que Leibniz publie en 1680 (A, I-3, N. 67) et qui fait suite à la publication par Papin de la description de son invention d’un autocuiseur – A new digester or engine for softning bones, containing the description of its make and use in these particulars : viz. cookery, voyages at sea, confectionary, making of drinks, chymistry, and dying. With an account of the price a good big engine will cost, and of the profit it will afford, by Denys Papin (Londres : printed by J. M. for Henry Bonwicke, 1681) ; trad. franç. : La maniere d’amolier les os, et de faire cuire toutes sortes de viandes… (Amsterdam : Henry Desbordes, 1688), disponible en version électronique, cf. http://www.sudoc.fr/138332800 – constitue proprement une fiction satirique élaborée par Leibniz. Il s’agit de mettre en scène l’indignation des chiens menacés de perdre leurs privilèges de rongeurs exclusifs d’os si la machine inventée par Papin permet désormais de les amollir et partant de les rendre comestibles pour les hommes. Ce qui pourrait risquer de rendre les hommes « cyniques ». Si elle constitue, à l’instar de notre « fiction ingénieuse », une respiration au cœur de cette autre controverse entre les deux hommes, elle n’a pas du tout la même fonction, il s’agit essentiellement ici de moquer l’invention.
  • [49]
    Cf. Aït-Touati, op. cit. in n. 8, 54 : « Or, Kepler propose d’abord de se « transporter mentalement » dans la région céleste. Le télescope ne se substitue pas à l’imagination et à la fiction chez lui. Il en démultiplie les pouvoirs. C’est en associant les deux types d’instruments, optique et littéraire, que Kepler réussit à donner à voir le monde lunaire. Le Songe est le développement de ce transport à la fois optique et imaginaire qui permet de voir « toutes les choses par soi-même ». Par le jeu de la fable, Kepler ne propose rien de moins que d’inverser la méthode de Maestlin, et de donner ainsi au discours astronomique, fût-ce provisoirement et fictionnellement force de preuve. »
  • [50]
    Cf. Paul Rateau, Art et fiction, Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 18 (2004) : Leibniz, 117-148, en particulier 126-136.
  • [51]
    C’est par exemple le cas dans G. W. Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain (Paris : Flammarion, 1993), III, 6, § 22 ou IV, 16, § 12.
  • [52]
    LBr 714, 126v (la pagination du manuscrit est à recomposer), la suite de la description de cette fiction se trouve en 124r et suivantes.
  • [53]
    LBr 714, 124r.
  • [54]
    Ibid. Papin justifie dans la suite immédiate de la lettre cette situation en indiquant la chose suivante : « […] car de deux corps de pareil volume comme C et D, C ayant le double de vitesse n’aura que le double du mouvement de D dont la vitesse est simple : et [124v] neanmoins, avant que d’estre reduit au repos, il faudra que C fasse quatre fois autant de chemin que D ; si donc, pour lever cette difficulté, l’un de nos spectateurs disoit que ce phenomene se peut fort bien expliquer de mesme maniere que tous les autres chocs des corps sensibles : parce qu’il peut y avoir des grains insensibles qui agissent suivant la direction MN et qui ont une vitesse si prodigieuse que les corps C et D sont comme en repos à leur egard : et qu’ainsi il ne faut point s’etonner que le corps C n’ayant qu’une double quantité de mouvement, ayt pourtant parcouru 4 fois autant de chemin que D : parce que, n’ayant pour cela emploié que le double du temps, il n’a aussi receu que le double de coups des grains insensibles : d’ou il s’ensuit que cette experience confirme encor la Doctrine qui suppose que la force et la quantité de mouvement sont la mesme chose. »
  • [55]
    Alberto Guillermo Ranea, The a priori method and the actio concept revised : Dynamics and metaphysics in an unpublished controversy between Leibniz and Denis Papin, Studia Leibnitiana, XXI (1989), 52-53. La citation de la lettre de Leibniz à Papin du 16 janvier 1698 se trouve en LBr 714, 129r.
  • [56]
    LBr 714, 132v : « […] quelque usage que vous fassiés de la grêle, elle ne vous donnera pas la conservation de la meme quantite de mouvement, je trouve que le degre de vistesse que le corps pesant reçoit par la grêle, est à la difference des vitesses de la grêle et du pesant, comme le double de la grele est au pesant, ce qui est une raison tousjours constante si la grele est tousjours egale et egalement mûe, et agit dans des intervalles de temps égaux. Cependant la difference des vistesses decroist tousjours un petit peu, il faut que dans cette supposition, le degré reçu […] croisse tant soit peu, mais en cela meme on trouvera que la somme de tous les grains de grele avec le corps, bien eloignés de garder la meme quantite de mouvement comme on se pouvait imaginer sur des apparences legeres ou plustost sur des prejuges car il se trouve que l’accroissement de la velocité du corps pesant est à la somme de la precedente et de la presente velocité de la grele, comme la grele est au corps pesant. Mais si au lieu de la somme c’estoit la difference c’est à dire si c’estoit le decroissement de la velocité de la grele, la meme quantite de mouvement se conserveroit. Mais pour cela il faudroit que la grêle ne reflechist point et qu’apres avoir frappé le corps pesant, elle allât du meme costé que luy, (par l’artic[le] 6) ce qui ne se peut. »
  • [57]
    Sauf erreur de ma part, il me semble que ce dispositif n’a pas été relevé par Dascal dans son Art of controversies (op. cit. in n. 36).
  • [58]
    LBr 714, 129-134, ici 129r.
  • [59]
    George Bealer, Intuition and the autonomy of philosophy, in Michael R. DePaul et William Ramsey (dir.), Rethinking intuition : The psychology of intuition & its role in philosophical inquiry (Lanham, MD : Rowman & Littlefield, 1998), 207 sqq.
  • [60]
    Cf. lettre de Leibniz à Papin de juin 1699 (LBr 714, 178r).
  • [61]
    Cf. la première sous-partie, « Imaginary science », de l’article de David Gooding intitulé : The paradox of a priori empirical import, The British journal for the philosophy of science, 45/4 (déc. 1994), 1029-1045.
  • [62]
    LBr 714, 132v : « La grêle que vous supposés dans vostre espace pour expliquer la pesanteur ne peut aider en rien à sauver les phenomenes ou l’on ne remarque point la conservation du mouvement, quelque prodigieuse vistesse ou petitesse qu’on donne à cette grêle. »

1

« Il y a deux pierres de touche des raisonnemens : l’experience à posteriori, et la forme rigoureuse à priori à laquelle je vous ay souvent rappellé. Toutes et quantes fois que nous nous sommes écarté de la forme, on s’est donné des airs qui ont fait naistre des contestations peu agreables. Vostre derniere lettre n’en donneroit que trop de sujet si je m’y voulois arrester. Mais toutes et quantes [178r] fois, qu’on s’est astreint à la forme on a disputé paisiblement et sans rien mêler qui choquât. Et comme le profit qu’on pourroit tirer de nostre conference sur ce sujet, ne vaudroit point le déplaisir qu’il y auroit d’essuyer ces manières, le meilleur est de ne disputer qu’en forme sur tout dans les matières tant soit peu abstraites où l’on n’est point guidé par les nombres ou par les figures. Ainsi je ne touche point presentement à tous les extraits de vostre lettre qui ne contient aussi bien que des incidens jusqu’à ce qu’on soit convenu de cette forme, seul juge competant de telles controverses [1]. »

2L’objet de cet article [2] est d’identifier, au cœur de la correspondance entre Gottfried Wilhelm Leibniz et Denis Papin (1647-1712), le recours à l’expérience de pensée comme mode de résolution des controverses. Je comprends ici l’expérience de pensée dans sa dimension fictionnelle, c’est-à-dire comme une hypothèse qui, en façonnant un autre monde, ouvre un nouvel espace d’intelligibilité. Je ne cherche pas à identifier l’expérience de pensée à la fiction [3], je cherche plutôt à circonscrire la part fictionnelle à l’œuvre dans l’expérience de pensée et à identifier sa fonction argumentative. Il ne s’agit pas tant ici de mettre en évidence la dimension fictive des expériences de pensée en insistant sur la fonction de l’idéalisation dans les modèles physiques [4] mais plutôt d’interroger la fonction de la dimension fictionnelle [5] des expériences de pensée ; en bref, d’interroger l’accessibilité entre les univers fictionnels et les univers de référence du point de vue des procédures argumentatives [6] que les expériences de pensée mettent en œuvre.

3L’expérience de pensée possède alors une fonction heuristique [7], qui, en cherchant à mobiliser l’imagination des lecteurs, élabore de nouvelles figures argumentatives [8]. Or, ces nouvelles figures argumentatives sont un moyen de façonner et de trouver un territoire commun de discussion et c’est en ce sens que je les considère comme heuristiques.

4Mon hypothèse interprétative est que l’expérience de pensée intervient dans l’espace dialogique de la controverse scientifique épistolaire comme une modalité de résolution des conflits, qui réussit à constituer un territoire commun entre les protagonistes de la dispute, là où « l’arraisonnement » logique échoue, mettant, un temps, à nu l’inefficience du rêve de la concorde rationnelle [9].

5Précisons toutefois que ce dispositif, soumis par Papin et volontiers accepté par Leibniz, constitue une parenthèse au cœur de la correspondance : il s’agit de la lettre envoyée par Papin à Leibniz le 27 décembre 1697 et des multiples versions de la réponse que ce dernier adressera finalement à Papin le 16 janvier 1698 [10]. Une fois cette parenthèse refermée, les velléités de réduction syllogistique du différend feront retour [11].

6Indiquons, car ce n’est pas anodin, qu’à l’issue de cette discussion, Leibniz délivrera à Papin son argument a priori destiné à le convaincre de la pertinence de son estime de la puissance motrice. Dans sa lettre du 14/24 avril 1698, Leibniz le présente en ces termes :

7

« Je suis bien aise qu’un au moins de mes argumens pour mon estime de la puissance motrice vous paroist avoir de la force. Et voicy enfin celuy qui est aussi à priori, et plus general dont je vous ay parlé quelques fois, et qui ne me paroist pas moins fort qu’aucun des autres. Vous le trouveres joint icy ; et vous aurés la bonté de m’en dire vostre sentiment. Comme il est si abstrait, je juge qu’il n’est propre qu’à ceux qui ont déja l’esprit preparé par quelque argument qui entre mieux dans l’imagination, il ne laisse pas d’estre solide dans le fonds, et je le prefere même à tous les autres car il vient de plus haut [12]. »

8Leibniz indique explicitement dans ce passage le statut de cette expérience de pensée dans son économie argumentative : elle répond à la nécessité d’avoir exercé son imagination pour pouvoir accéder à la compréhension de l’argument a priori. Or, il existe une « procédure » classique dans les textes que Leibniz consacre à la dynamique : il faut avoir adhéré aux démonstrations a posteriori pour que Leibniz consente à « dévoiler » sa démonstration a priori du principe de conservation de l’action motrice. On retrouve ce dispositif par exemple dans la correspondance avec le physicien hollandais Burchard De Volder (1643-1709) ou encore dans le Specimen dynamicum de 1695. Il est alors intéressant de noter que cette expérience de pensée a la même fonction que la démonstration a posteriori dans l’économie argumentative leibnizienne.

Comment surmonter l’aporie de « l’arraisonnement logique » ?

9Il est bien connu qu’une controverse publique opposa, à la fin des années 1680, Leibniz à Papin. Les étapes de cette controverse se déclinent au rythme des différentes publications qui voient le jour à partir de 1689 dans les Acta eruditorum. Il s’agit d’une part de deux textes sur la cause de la gravité, puis de deux textes plus directement centrés sur l’estime des forces motrices. Les deux premiers s’intitulent « De gravitatis causa et proprietatibus Observationes », publié par Papin en 1689, auquel Leibniz répond en 1690 par un « De Causa gravitatis et defensio sententiae autoris de veris naturae legibus contra Cartesianos ». Quant aux deux autres, ils sont respectivement intitulés « Mechanicorum de viribus motricibus sententia, asseta a D. Papino adversus Cl. GGL objectiones », écrit par Papin, dans les Act a eruditorum toujours, et le second, la réponse de Leibniz, « De legibus naturae et vera aestimatione virium motricium contra Cartesianos. Responsio ad rationes a Dn. Papino mense januarii anni 1691 in Actis eruditorum propositas ». Puis vient le texte de 1695 écrit et publié par Papin, dans les Acta eruditorum toujours, et qui constitue une sorte de résumé des différences de position entre Leibniz et lui ; il s’intitule « Synopsis controversiae Authoris cum celeberrimo Viro Domino G.G.L. circa legitimam rationem aestimandi vires motrices ». C’est ce dernier texte qui va faire l’objet d’une discussion dans leurs échanges à partir de 1695. Le fond général du conflit est le premier chapitre de la querelle des forces vives [13] qui oppose un tenant du principe cartésien de conservation de la quantité de mouvement à Leibniz. Rappelons en quelques mots qu’en 1686, Leibniz déclenche une polémique publique contre les cartésiens en publiant une « Brevis demonstratio erroris memorabilis Cartesii et aliorum circa legem naturalem secundum quam volunt a Deo semper eandem quantitatem motus conservari, qua et in re mechanica abutuntur [14] ». Dans ce texte, Leibniz dénonce la vacuité du principe cartésien de conservation de la quantité de mouvement en ayant recours à la fois à des principes admis par les cartésiens eux-mêmes [15], à la loi empirique de la chute des corps de Galilée [16] et à sa propre règle d’équivalence de la cause pleine et de l’effet entier. Une véritable discussion critique s’est engagée autour de l’interprétation à donner au modèle épistémologique engagé à travers cette démonstration a posteriori : est-il possible de la juger pleinement convaincante si l’on en fait une stricte démonstration a posteriori[17] ? S’il est effectivement impossible de produire une « démonstration empirique intégrale d’aucun principe de conservation », ne faut-il pas plutôt l’interpréter comme la mise en place de « principes théoriques régulateurs de l’interprétation des faits » [18] ? Ne sommes-nous pas ici en face d’une expérience de pensée[19] ?

10Ainsi à travers la querelle autour de deux principes de conservation (mv / mv 2), la définition de la matière (passive ou dotée d’une force interne), les conditions de l’estime, la prévalence ou non du principe d’équivalence de la cause pleine et de l’effet entier sont mises en jeu. À travers elle, il s’agit aussi de comprendre quelle modalité démonstrative est opératoire pour rendre compte, à travers la réforme des lois du mouvement, d’une cause plus réelle des changements qui est la force. Il me semble que c’est dans ce contexte, sommairement restitué, qu’il est possible de donner une place au choix explicitement fait par Leibniz d’accepter de recourir à l’expérience de pensée proposée par Papin. C’est dans ce cadre qu’il sera possible d’élucider les deux usages que Leibniz fait de la notion de fiction : la catégorisation d’une hypothèse interprétative, disqualifiée du seul fait de sa désignation comme fiction d’un côté, de l’autre l’accueil bienveillant d’une « fiction ingénieuse [20] » jugée heuristique et que, pour cette raison, nous rangerons dans la catégorie des expériences de pensée.

11Mais avant cela, il me semble que ce recours à l’expérience de pensée ne peut se comprendre que si, justement, on rappelle le constat de l’impasse de la logique. C’est parce que la cohérence du syllogisme est impuissante à créer l’accord que la cohérence fictionnelle peut être, un temps, adoptée. En un sens, c’est le fait de concevoir l’expérience de pensée comme une modalité argumentative à part entière [21] qui permet de comprendre sa fonction dans la correspondance.

Les limites de l’arraisonnement logique

12J’ai montré ailleurs [22] comment le passage de la polémique publique à la correspondance semi-privée avait conduit Leibniz à adopter une modalité argumentative spécifiquement adressée à Papin afin de le convaincre – au seul niveau « mathématique [23] » de la dynamique – de la pertinence de la démonstration a priori du principe de conservation de l’action motrice et comment cette stratégie persuasive avait produit des effets sur l’élaboration argumentative de Leibniz, de sorte qu’il était possible d’identifier des effets de la controverse sur la pensée même de Leibniz. Je voudrais ici rappeler en quelques mots en quoi consiste cette impasse de l’arraisonnement logique.

13Ce qui décide Leibniz à proposer à Papin une mise en forme syllogistique de leur controverse est très certainement le « Synopsis controversiae Authoris cum celeberrimo Viro Domino G.G.L. […] » de 1695, qui ne fait que souligner le sentiment maintes fois exprimé par Leibniz d’une réelle difficulté à s’accorder sur les mots, par exemple : « Je ne sais pourquoi nous ne pouvons convenir en paroles, même à l’égard des points où nous convenons dans les choses [24]. » Et un peu plus tard, Leibniz poursuit en ces termes :

14

« Cependant le peu d’agrément qu’il y a dans cette maniere de disputer, et l’air d’ecole qui y regne, font qu’on ne s’en sert gueres, mais c’est aux depens de la verité. Et comme je ne réconnois point assez ma reponse dans vôtre replique, j’ai cru qu’il falloit recourir à la forme, et voir si ce mojen ne nous pourroit point mettre d’accord [25]. »

15L’enjeu de cette mise en ordre de la dispute n’est pas de la lire sur le mode de l’identification d’un ordre de justification qui viendrait présenter autrement un argument préalablement formulé, mais de concevoir, par-delà la distinction bien connue entre ordre de justification et ordre de découverte [26], la possibilité de circonscrire un espace dans lequel l’ordre de justification se révèle heuristique. Cela peut sembler paradoxal dans la mesure où la correspondance se conclut sur ce point par un échec [27] : il n’y a finalement pas d’accord entre Leibniz et Papin sur la démonstration a priori du principe de conservation de l’action motrice, Papin se rétracte (en particulier à l’égard de ce qu’il avait, dans un premier temps, accordé sur le sens de l’action [28]) et Leibniz reste dans l’incompréhension face à l’attitude de Papin. Pourtant, en un sens, la discordance a été le moyen de tracer une autre voie argumentative.

16Pour le dire en un mot, le point central du désaccord entre Leibniz et Papin, au cœur de la divergence sur le principe de conservation (mouvement vs force vive), peut être compris à partir de la discussion autour de trois concepts majeurs de la dynamique leibnizienne : l’hostilité de Papin – à l’égard de la place que Leibniz accorde à la notion d’effet formel entendu comme un effet qui conserve sa force mais ne la consume pas – est à inscrire dans la remise en cause par Papin de la nécessité de convenir de la distinction entre force morte et force vive [29] ou plus massivement dans le refus final de recourir à l’acception leibnizienne de l’action [30]. Si l’essentiel de la controverse semble se concentrer autour d’une « querelle de mots », tout l’enjeu de la lecture de la correspondance est précisément de comprendre si elle peut se penser comme une simple logomachie [31] ou si elle est le moyen de mettre en évidence des distinctions fortes entre des philosophies naturelles bien distinctes.

17En première lecture, on pourrait lire les réticences de Papin à l’égard de ce qui constitue l’armature centrale de la dynamique leibnizienne de la puissance et de l’action comme un épisode supplémentaire de la controverse suscitée par la publication de la « Brevis demonstratio… ». Il me semble néanmoins que cette interprétation ne permet pas de rendre compte de toute la signification de l’échange. D’une part, les résistances de Papin sont une occasion offerte à Leibniz de produire une nouvelle forme d’argumentation pour fonder la dynamique [32]. D’autre part, ces résistances révèlent les limites de l’arraisonnement logique. En effet, le dispositif mis en place par Leibniz de réduction des points centraux de la divergence sous forme de syllogismes [33] élaborés pour mettre fin à toute discordance sur le sens des mots se révèle être un échec. Papin ne cesse d’indiquer qu’il n’a jamais convenu de tel ou tel point, qu’il n’a pas compris les concepts majeurs utilisés par Leibniz au sens que ce dernier leur prête, etc. L’instabilité conceptuelle et les revirements de Papin sont autant d’instruments au service de l’affirmation d’une apparente irréductible différence entre deux philosophies naturelles [34]. En un mot, la volonté de réduire la dispute aux syllogismes, censés garantir et même révéler l’accord, indique plutôt que la réduction logique est un moyen de fixer nettement la divergence. La discussion sur la définition de l’inertie et le statut de l’entéléchie des lettres de février et mars 1699 est éloquente à cet égard ; on voit en effet clairement comment, à travers la querelle sur le principe de conservation, ce sont bien deux conceptions de la matière qui s’opposent. Papin prône une indifférence de la matière au mouvement au nom des supposées simplicité et intelligibilité de la matière [35]. Pour Leibniz, au contraire, la matière est tout sauf indifférente au mouvement. Il justifie, en effet, la présence conjointe d’une action et d’une réaction en chaque corps par la présence de l’inertie entendue comme la force par laquelle la masse résiste au mouvement et de l’entéléchie comprise comme une force qui le fait tendre à continuer le mouvement.

18On se trouve ici en face de l’échec de l’articulation d’une pluralité de procédés relevés par Marcelo Dascal comme des modalités leibniziennes classiques de résolution des controverses : la méthode d’éclaircissement comme pratique herméneutique est mobilisée de même que la méthode historique visant à revenir à l’espace dialogique commun antérieur à la formulation de la divergence [36].

19Dès lors, la proposition de Papin d’engager la discussion autour d’une expérience fictive peut se comprendre comme une réponse possible à l’échec de la mise en forme syllogistique, réponse sans doute nourrie par l’espoir de voir se dessiner, sur d’autres bases, un territoire argumentatif commun. C’est autour de la place et de la fonction dévolues par l’un et l’autre à l’expérience dans la constitution de la compréhension de la nature que se joue, en réalité, à mon sens, cet échange. Il me semble en effet que l’un des enjeux de l’analyse de l’expérience de pensée est de comprendre jusqu’à quel point l’expérience de pensée peut se lire comme une forme d’expérience. En un sens, la question peut se formuler en ces termes : l’expérience de pensée n’est-elle rien d’autre qu’une forme d’argumentation ? à quelles conditions peut-elle être pensée comme une argumentation [37] ? et corrélativement, qu’y a-t-il d’expérimental dans les expériences de pensée [38] ?

De l’expérience de pensée à la fiction : La légitimation d’un usage cognitif de la fiction

20C’est bien sur le terrain de l’expérience comme preuve que peut se comprendre le recours à la fiction. À l’envi, Leibniz comme Papin répètent que la preuve doit être prise de la raison ou de l’expérience. Assez rapidement dans leurs échanges, s’établit un point de convergence méthodologique : l’idée qu’une preuve qui se tirerait entièrement de l’expérience aurait toutes les chances de les convaincre l’un et l’autre et serait donc un moyen de clore leur différend. Or, une fois cette mise au point méthodologique effectuée, il s’avère assez rapidement dans l’échange que l’expérience des choses visibles ne permet jamais à elle seule de convaincre l’interlocuteur.

21Leibniz indique tout à la fois que toutes les expériences semblent contredire le principe de conservation cartésien, et que pour Papin, il est nécessaire de recourir à une « matière insensible » comme subterfuge permettant de justifier ledit principe [39]. Le « refuge » dans la matière insensible que Leibniz dénonce avec constance est l’argument emprunté par Papin à Descartes et Huygens pour justifier que la perte de quantité de mouvement à l’occasion du choc ne soit qu’apparente et se comprenne par une sorte de compensation dans la matière insensible. Or, c’est ce procédé auquel Leibniz attribue son premier usage du terme de fiction entendu de manière péjorative. Il s’agit alors de disqualifier l’hypothèse de Papin en la considérant comme une chimère, une incohérence, bref une hypothèse ad hoc.

22Ainsi, c’est d’abord au nom d’une exigence méthodologique que Leibniz cherche à disqualifier le recours opéré par Papin à la « matière insensible » :

23

« Pour moy, je n’ay point besoin de me soucier icy de ce qui se passe dans la matiere insensible ou vous vous sauvés, et qui est peut estre cause de la pesanteur et du ressort. Nostre science est mathematique et n’a pas besoin icy de ces suppositions ou hypotheses philosophiques bien que bonnes d’ailleurs […] [40]. »

24C’est cette exigence qui conduit Leibniz à fournir des exemples qui ne supposent pas de recourir à des preuves logées dans les matières insensibles [41]. Leibniz caractérise le refuge dans cette matière insensible comme le refuge dans une fiction. Ainsi formule-t-il la preuve de la proposition selon laquelle « un corps de vistesse double peut donner la vistesse simple non seulement à deux, mais à quatre corps qui lui sont pareils en grandeur [42] ». Il la démontre en prenant l’exemple d’un corps A ayant deux degrés de vitesse et de sa capacité à monter à une hauteur de quatre pieds, puis à redescendre. Par cette redescente, il acquiert une force qui lui permet de donner à quatre corps la force de monter chacun à un pied, chaque corps en redescendant acquérant alors un degré de vitesse. Leibniz conclut sa démonstration en ces termes :

25

« […] on peut dire que le corps A de deux degrés de vistesse, a le pouvoir de donner à quatre corps pareils à luy à peu près, et non pas à deux seulement, un simple degré de vistesse. C’est ce qu’il falloit demonstrer. Une figure auroit rendu la chose plus claire, mais elle l’[est] assez d’elle même sur tout à Vous Monsieur [43]. »

26Tout l’enjeu de cette démonstration est de mettre en évidence la force acquise par un corps dans la descente et les effets qu’elle peut produire. Si Leibniz écrit au début de cette correspondance :

27

« Mais ce n’est que par une certaine convenance qui n’est point fondée dans l’expérience, et encor moins dans la demonstration qu’on s’est formé cette maxime de la quantité de mouvement [44]. »

28Il indique par là que la conservation de la quantité de mouvement ne satisfait à aucun des deux réquisits sur lesquels Papin et lui s’accordent. Mais corrélativement, il ouvre la voie de la critique de ces réquisits.

29Je voudrais commencer ici par justifier le projet d’une mise en relation heuristique du rapport entre expérience et fiction au sein même de la correspondance. Cette mise en relation se fait certes en premier lieu sur le mode d’une disqualification attendue : la fiction comme chimère invraisemblable qui libère de la nécessité d’articuler le discours aux expériences observables.

30

« […] vous voulés que la quantité de mouvement qui ne se conserve point icy bas, se conserve dans une certaine matiere subtile etherienne, mais c’est une assertion purement precaire que l’experience ne verifie point, et dont on ne voit aucune raison. On voit plustost que la raison veut le meme dans les grands et dans les petits corps à proportion. Ce seroit une merveille si on ne trouvoyt parmy nous aucune trace de la veritable loy generale de mouvement, et s’il la falloit chercher selon vous dans le pays des fictions ou l’on met tout ce que l’on veut [45]. »

31Selon un motif relativement classique, Leibniz utilise ici le terme de fiction comme un espace-refuge, dépourvu de règles, libre à l’égard de la vérification des hypothèses par les expériences. Il s’agit de disqualifier la position de Papin en l’inscrivant dans ce registre de l’invérifiable. Cette fiction est également considérée comme « contraire aux lois de la nature [46] ». Il apparaît assez clairement que, dans un premier temps du moins, les références à la fiction se construisent comme des repoussoirs, synonymes d’invraisemblances ou de fantasmagories.

32Ce qui me semble intéressant est que Leibniz va choisir d’utiliser une deuxième fois le terme de « fiction » mais cette fois-ci entendue comme « fiction ingénieuse » et va accepter de « jouer le jeu » proposé par Papin. Il s’agit bien d’une expérience de pensée à savoir celle de deux spectateurs dans un « vaste espace » assimilé au vide, espace dans lequel, pour Papin, la même quantité de mouvement se conserverait. Ce monde doté d’une grêle gravifique n’est à l’évidence pas le nôtre mais l’enjeu est de savoir s’il est, néanmoins, doté des mêmes lois que le nôtre.

33En effet, l’argumentaire déployé pour affirmer cela emprunte à un motif central et récurrent de la pensée leibnizienne, que l’on peut désigner comme le motif d’Arlequin : « C’est là-bas tout comme ici. » Toute la critique que Leibniz formule à l’encontre des propositions de Papin se concentre sur cette différence des lois. Ainsi dans la première version de la lettre du 16 janvier 1698, Leibniz écrit :

34

« (4) Je vous prie aussi de vous expliquer si vous accordés ces regles non seulement pour les phenomenes d’icy bas ; mais encor pour le vaste espace de vos deux spectateurs. Si vous les accordés, salva res est, car je pourray demonstrer, que mon estime de la force aura tousjours lieu. Mais si vous croyés qu’il s’y observe d’autres regles, vous aurés la bonté de les expliquer, et de m’en marquer les fondemens [ajout en marge : et encor de monstrer comment on en peut déduire celles qui s’observent dans les corps sensibles.] […] (5) Or j’ay bien des raisons pour croire que vos deux spectateurs observeront dans leur espace les regles qu’on observe icy, et les loix que j’ay établies [47]. »

35Ce passage est explicite dans la mesure où il indique le statut de la « fiction ingénieuse » : ouvrir un champ expérientiel régi par les mêmes lois du mouvement que celles opératoires dans notre monde. Dès lors, l’écart fictionnel indique clairement sa fonction : imaginer un territoire [48] où l’accord sur l’expérience (et sur son explication) serait possible afin de valider le principe de conservation des forces.

36L’expérience de pensée que Leibniz accepte d’utiliser ici – on l’a dit – est proposée par Papin ; elle est discrète, ne constitue en rien une pièce centrale de la correspondance, mais elle me semble significative.

37Elle est significative tout d’abord parce qu’elle est proposée par Papin pour surmonter une impasse : si Leibniz et Papin parviennent à s’accorder sur les observations, ce n’est pas le cas pour leurs explications, car d’après Papin, Leibniz recourt aux causes finales, là où lui-même peut rendre raison de ces phénomènes par les causes efficientes, à condition de supposer le principe de conservation de la quantité de mouvement. Pour le dire en un mot, certes l’enjeu ici pour Papin est bien de renouveler à nouveaux frais la palette argumentative permettant d’asseoir la pertinence du principe de conservation de la quantité de mouvement, mais ce qui nous importe tout particulièrement dans ce cadre, c’est la discussion que cette exigence induit quant au statut des observations et des expériences dans la démonstration. À cet égard, il est essentiel de comprendre le rôle que Leibniz accepte effectivement d’accorder aux expériences et la fonction du recours à la fiction des spectateurs dans ce cadre.

38Elle est également significative parce qu’elle est proposée comme une alternative : soit la fiction comme une modalité démonstrative à l’appui de l’interprétation des faits par les causes efficientes, soit la démonstration a priori. Il apparaît clairement que sous la plume de Papin, s’élabore une épistémologie qui enregistre la disjonction entre observations et explications et fait de la fiction une modalité argumentative permettant de résorber cet écart.

39Enfin, elle fait sens parce qu’elle s’inscrit dans une tradition astronomique répandue à cette époque qui fait usage de la fiction comme d’un moyen de voir ce qui est invisible à l’œil nu [49] et c’est peut-être en ce sens-là et dans cette mesure-là seulement que l’expérience de pensée peut, ici, être associée à un certain usage de la fiction. Mais elle s’inscrit aussi dans une pratique plusieurs fois usitée par Leibniz [50], qui peut avoir une valeur cognitive [51].

40Voyons maintenant sur quoi elle repose. Dans la lettre de Papin à Leibniz du 27 décembre 1697, Papin propose la chose suivante :

41

« Mais pour mettre l’etat de notre dispute dans un fort beau jour supposons un vuide indefini ou il n’y ayt ni pesanteur ni legereté : en sorte que les corps s’y meuvent de tous cotez sans etre aucunement reflechis ni retardez sinon quand ils rencontrent quelque autre corps en leur chemin : supposons aussi qu’il y ayt deux spectateurs qui observent ce qui arrive quand les corps se chocquent : et que voiant heurter le corps A masse 1 vitesse 2 contre B masse 2 vitesse 1, ils concluent que la force et la quantite de mouvement sont la méme chose : parce que ces deux corps qui avoient egale quantité de mouvement avoient aussi egalement de force pour s’entre arrester : qu’ils observent ensuitte tel nombre qu’on voudra d’autres chocs de corps sensibles ; mais avec differentes proportions de masses et de vitesses il ne s’en trouvera aucune qui ne les confirme dans leur premiere pensée que la force et la quantité de mouvement sont la mesme chose [52]. »

42La proposition fictionnelle s’ébauche donc ainsi : le changement de scène y est clairement signifié, il s’agit bien de placer l’état de la dispute « sous un fort beau jour », de la présenter ainsi sur une scène où le conflit pourrait se dénouer. Quels éléments Papin introduit-il pour déplacer et tenter de dénouer le conflit ? Il place tout d’abord les deux spectateurs dans le vide, puis introduit « dans quelque endroit de nostre vaste vuide, […] une espece de gréle dont les grains soient d’une petitesse inconcevable ; mais dont la vitesse soit prodigieuse [53] ». Il conçoit donc un vide partiellement doté d’un espace corpusculaire. Dans ce « milieu », Papin propose le problème suivant : sous l’effet de la grêle (allant dans la même direction que les corps), deux corps en mouvement non seulement perdent rapidement leur mouvement, mais font marche arrière de telle sorte que le chemin effectué pour « perdre leur mouvement n’est pas proportionnel à leur quantité de mouvement [54] ».

43Or, pour expliquer cette situation « imaginée », les appréciations des deux spectateurs divergent : le premier, visiblement adepte de la physique de Papin, suppose qu’on pourrait observer les mêmes lois que dans le cas du choc des corps sensibles et cela confirmerait l’équivalence de la force et de la quantité de mouvement ; le second, à l’instar de Leibniz, propose de distinguer la force morte de la force vive, un effet absolu d’un effet relatif.

44Cela, c’est en un sens la position du problème, Papin y reconduit les termes de la controverse sur une autre scène. Ce qui est intéressant à mes yeux, c’est la manière dont Leibniz va s’en emparer à la fois pour élaborer des preuves inédites, pour mettre en évidence les défaillances logiques de l’argumentation de Papin et pour interroger la permanence des lois quels que soient les milieux envisagés.

45Comme l’a remarqué Alberto Guillermo Ranea, l’expérience de pensée élaborée par Papin a eu un effet sur Leibniz :

46

« However, Leibniz is not able to conceal the fact that Papin’s experiment of thought has strongly impressed him. Leibniz acknowledges, in a draft of his long answer of January 16, 1698, that Papin’s challenge was a suitable opportunity to explain « quelques points auxquels je n’aurois peut estre point pensé sans cela » [55]. »

47Leibniz évalue l’expérience de pensée proposée par Papin à l’aune d’un argument central : l’équivalence de la cause et de l’effet dont a convenu Papin dans leurs précédents échanges. C’est en utilisant cet argument qu’il peut s’inscrire sur le territoire de la grêle gravifique et montrer l’universalité du principe de conservation de la force vive [56]. Mais nous pouvons en retenir que Leibniz utilise le territoire nouvellement façonné par Papin pour mettre en évidence le fait que l’axiome fondamental de la cause pleine et de l’effet entier est universel car il permet, quels que soient les phénomènes que nous cherchons à expliquer et quels que soient les mondes que nous imaginons, de prouver, à nouveaux frais, la pertinence du principe de conservation de la force et l’impossibilité de la conservation de la quantité de mouvement.

La fiction comme construction d’un espace commun ?

48Il s’est donc agi, dans ces quelques lignes, de prendre la mesure d’un geste esquissé par Papin : la fiction pourrait être pensée comme une preuve expérimentale pouvant mettre fin aux désaccords qui l’opposent à Leibniz. Ce qui m’intéresse ici est que la fiction puisse être pensée par Papin et reconnue par Leibniz, comme un mode de résolution des controverses en tant qu’elle est saisie comme expérience. Il s’agit bien de faire de l’expérience de pensée une instance fictionnelle produite par l’imagination et permettant d’échapper au caractère aporétique de la controverse dans laquelle Papin et Leibniz sont engagés. Je ne cherche pas à montrer ici que la fiction va effectivement résoudre le différend, ce qui m’intéresse, c’est qu’elle soit un espace d’accord entre les deux protagonistes conçu comme une hypothèse méthodologique acceptée de part et d’autre et partant jugée crédible pour mettre fin à la controverse. Ce qui m’intéresse donc c’est qu’elle soit considérée comme une option possible pour résoudre le conflit. Disons d’emblée, pour ne pas susciter une attente vaine, qu’elle ne sera pas cette instance de résolution. Néanmoins, ce que je voudrais reconstituer maintenant, ce sont les raisons pour lesquelles l’un et l’autre adhèrent à cette hypothèse. Mon interprétation est qu’elle constitue une possibilité inédite au cœur de leur échange, et tout particulièrement au moment où elle intervient, de construire le territoire commun de l’interprétation partagée de l’expérience. Cela suppose donc à la fois de penser la fiction comme le lieu d’élaboration véritable d’un cadre expérimental rigoureux et consensuel et de renverser le motif d’Arlequin du « c’est là-bas tout comme ici ». En effet, une longue tradition scientifique a utilisé le modèle visuel de l’expérience sur terre pour penser, concevoir et comprendre le mouvement dans les cieux. L’arrière-fond astronomique est bien évidemment la mise en place de l’héliocentrisme : ainsi Galilée pense l’autre monde, par exemple le monde lunaire, sur le modèle du monde terrestre. Leibniz et Papin s’accordent ici pour renverser le motif en se demandant si « c’est ici tout comme là-bas », en d’autres termes si les observateurs ou spectateurs qui sont ailleurs et regardent notre monde témoignent par leur décentrement même d’un autre regard possible sur les lois du mouvement. Pour Papin, cet autre regard est l’instrument de validation de la quantité de mouvement, pour Leibniz, il est l’occasion d’interroger Papin sur l’universalité des lois de la nature : sont-ce les mêmes lois qui régissent les mouvements dans notre monde et dans « cet espace immense » depuis lequel ces « observateurs » le scrutent ? Mais dans les deux cas, ce qui importe est bien le projet de se mettre d’accord sur l’expérience fictive pour en faire un territoire commun depuis lequel construire une expérience qui permette de construire un consensus [57].

49Dans toute la discussion menée avec Papin, l’analyse du statut accordé aux observations et à l’expérience révèle le sens du recours à la fiction. En effet, si Papin reconnaît leur accord sur les observations et leurs désaccords sur les explications, il élabore une épistémologie dans laquelle cette disjonction est possible ; c’est la raison pour laquelle, dans la version longue de la lettre du 16 janvier 1698, au point 8, Leibniz écrit :

50

« Pour cet effect, vous supposés, Monsieur, que nous convenons dans les phenomenes ou faits ; vous dites que mes regles que j’employe pour les expliquer contiennent des paradoxes dont vous estes exemts ; mais de plus qu’elles ne sont prises que des causes finales ce qui ne suffisant pas, vous proposés le moyen d’en rendre raison par les efficientes en supposant vostre principe de la conservation de la quantité du mouvement et pour cet effect, vous faites une fiction ingenieuse de deux spectateurs dans le vide [58]. »

51Dans cette alternative, explicitement formulée par Papin, l’expérience ou la fiction, il me semble que se fait jour le sens de ce recours à la fiction : la constitution commune des moyens de s’entendre sur l’interprétation d’une expérience fictive. Cela conduit, à rebours, à interroger les raisons de la divergence sur l’expérience réelle ou tout du moins sur le récit d’expérience. Cela conduit enfin et surtout à envisager de penser la fiction (pour peu qu’elle soit reconnue comme « ingénieuse », fructueuse, commode, en un mot heuristique) comme le procédé qui, paradoxalement, permet de s’accorder non plus sur le sens des mots (objet infini de discorde dans les premières lettres de l’échange avec Papin), mais sur le sens des expériences, car elle ouvre un espace interprétatif qui se construit à deux voix et garantit, pour cette raison – mais pour un temps – la concorde entre les correspondants engagés dans une controverse. La question est alors de savoir ce qui a pu rendre possible cet accord : il est tentant d’y reconduire une forme d’intuition rationnelle [59] qui ne pourrait garantir l’accord qu’à condition de changer de cadre.

52Il me semble donc, pour finir, que si l’on cherche à restituer la logique à l’œuvre dans l’ensemble des lettres échangées entre Leibniz et Papin, il est possible de distinguer des étapes de la correspondance qui peuvent se lire comme des options argumentatives soumises à un double objectif : dérouler la cohérence interne d’une pensée et trouver le bon moyen de clore la controverse.

53C’est en pensant ensemble ces deux objectifs qu’il est possible d’identifier la singularité de cette correspondance et partant, de son mode de résolution de la controverse. En effet, c’est bien la volonté explicite de réduire la querelle à une mise en forme que Leibniz avoue ennuyeuse, puis de circonscrire le domaine de la preuve au champ de l’expérience « où tout se fasse d’une manière visible » qui conduit, me semble-t-il, à concevoir l’expérience de pensée entendue comme fiction comme une modalité d’ouverture à un territoire argumentatif commun où les expériences peuvent être librement discutées. Rappelons corrélativement que ce moment fictionnel est immédiatement suivi, dans l’échange, du dévoilement, par Leibniz, des raisons a priori du principe de conservation de l’action motrice, puis de la nécessité de distinguer « ce qui est intrinseque dans le corps et ce qui est extrinseque [60] ». On peut bien évidemment interpréter cette consécution comme étant due au hasard, mais on peut aussi s’attacher à identifier les effets de cette fiction en la concevant comme une médiation qui rend possible de fonder, sur d’autres bases, la distinction entre l’action violente et l’action formelle. Il me semble que, fondamentalement, c’est ici que se situe l’enjeu de la description que nous avons essayé de mener des stratégies argumentatives mises en œuvre par Leibniz : comprendre, à partir de la recherche du bon régime de preuve, la nature et l’enjeu de la dynamique. L’expérience de pensée comme régime articulant connaissance a priori et connaissance a posteriori[61] semble une modalité argumentative particulièrement adaptée à la dynamique. En indiquant à Papin la nécessité de dépasser le domaine des expériences visibles, tout en ouvrant un nouvel espace expérientiel, Leibniz introduit la distinction et la nécessité du lien entre les deux espèces d’action pour « sauver les phénomènes [62] ».


Mots-clés éditeurs : dynamique, expérience de pensée, Denis Papin, Gottfried Wilhelm Leibniz, controverse

Date de mise en ligne : 23/01/2014

https://doi.org/10.3917/rhs.662.0275

Notes

  • [*]
    Anne-Lise Rey, UMR 8163 « Savoirs, Textes, Langage » (STL), UFR Physique, USTL, Cité scientifique, 59655 Villeneuve-d’Ascq Cedex, France. E-mail : annelise.rey@free.fr
  • [1]
    Lettre de Leibniz à Papin du 24 juin 1699, LBr 714, 177v-178r. Je cite cette lettre, comme les autres dans la suite de l’article – sauf mentions contraires –, en me référant à la pagination du manuscrit qui se trouve aux archives Leibniz à Hanovre (Niedersächsische Landesbibliothek Hannover, Leibniz-Archiv). La transcription est la mienne et l’orthographe d’origine respectée.
  • [2]
    Je voudrais remercier Anouk Barberousse et Guillermo Ranea pour leur lecture attentive et leurs suggestions, ainsi que les rapporteurs anonymes dont les suggestions m’ont permis d’améliorer mon article.
  • [3]
    Une abondante et stimulante littérature critique s’en est occupée ces dernières années.
  • [4]
    Cf. à ce sujet Ronald N. Giere, Why scientific models should not be regarded as works of fiction ?, in Mauricio Suárez (éd.), Fictions in science : Philosophical essays on modeling and idealization (New York – Londres : Routledge, 2009), 248-258. Mon projet n’est pas de participer au large processus de compréhension fictionaliste des théories scientifiques, admirablement présenté par exemple par Roman Frigg, qui propose « a novel approach to the issue of models and representation, one that draws essentially on the analogy between models and literary fiction » dans son article : Fiction and scientific representation, in Roman Frigg et Matthew Hunter (éd.), Beyond mimesis and nominalism : Representation in art and science (Berlin – New York : Springer, 2010), 97-138, et que conteste Giere dans cet article, en fondant sa critique sur les fonctions différentes que les fictions et les modèles scientifiques ont en pratique.
  • [5]
    Je reprends ici une distinction souvent utilisée entre fictionnel et fictif.
  • [6]
    C’est l’argumentation fictionnelle à l’œuvre dans l’expérience de pensée qui m’intéresse ici.
  • [7]
    Je n’entends pas ici heuristique au sens que lui attribue Karl Popper lorsqu’il distingue entre les expériences de pensée celles qui sont heuristiques, critiques et apologétiques (Karl Popper, On the use and misuse of imaginary experiments, especially in quantum theory, in Id., The Logic of scientific discovery (Londres : Hutchinson, 1959), 442-456) car il ne s’agit pas, à mes yeux, d’en faire une « illustration de la théorie » mais bien au contraire une sorte de formulation inventive de la théorie, pourrait-on presque dire.
  • [8]
    Le projet de cet article est né de la lecture stimulante de l’ouvrage de Frédérique Aït-Touati, Contes de la Lune : Essai sur la fiction et la science modernes (Paris : Gallimard, 2011), « Nrf Essais ». Aux pages 76-77, celle-ci écrit : « L’image télescopique obtenue avec le télescope de Galilée est sans doute très utile. Mais elle demande à être interprétée, et elle est souvent mise en doute. Kepler invente l’instrument surpuissant qu’est la fiction scientifique. Non pas science-fiction, mais fiction utilisée dans la science pour sa faculté à produire des images et des récits et pour ses propriétés heuristiques (en voyant on comprend mieux) et rhétoriques (on frappe l’imagination des lecteurs). »
  • [9]
    J’entends par concorde rationnelle ici la conviction qu’il est possible d’identifier et de réduire les termes d’une controverse en les mettant sous forme syllogistique. C’est ce que tenta de faire Leibniz durant une grande partie de sa correspondance avec Papin, en vain. Il ne s’agit pas tant ici d’opposer l’irrationalité de la fiction à la rationalité de la concorde rationnelle, mais bien plutôt de montrer que l’expérience de pensée ouvre la possibilité d’un autre espace argumentatif qui est également rationnel mais régi par d’autres lois que celles du syllogisme.
  • [10]
    Commencée le 13 janvier 1692, la correspondance Leibniz-Papin s’achève avec la lettre du 27 décembre 1707. La correspondance dans son ensemble (plus de 200 lettres) n’est pas exclusivement consacrée à la controverse : les dernières lettres échangées au sujet de celle-ci datent d’avril 1700. Ajoutons également que la controverse commence indirectement via les Acta eruditorum. On pourrait donc dire que la controverse, au sein de la correspondance, occupe environ 130 lettres partiellement publiées – pour l’instant – par l’édition de l’Akademie.
    Les volumes de l’Akademieausgabe concernés sont les suivants : Gottfried Wilhelm Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe, série III : Mathematischer, naturwissenschaftlicher und technischer Briefwechsel, vol. 5 : 1691 – 1693 (Berlin, 2003), vol. 6 : 1694 – juin 1696 (Berlin, 2004), vol. 7 : juillet 1696 – décembre 1698 (Berlin, 2011). Ces trois volumes sont également consultables en ligne. Le volume 8 (janvier 1699 – décembre 1701), en cours d’achèvement, est mis en ligne, dans un état provisoire seulement, à l’adresse : http://www.gwlb.de/Leibniz/Leibnizarchiv/Veroeffentlichungen/III8.pdf. Dans la suite, ces volumes seront désignés par l’abréviation « A, III », suivie du numéro du volume, en chiffre arabe.
    L’édition complète de la correspondance et des documents parus dans les journaux savants de l’époque (qui permettent de comprendre la correspondance), menée par Alberto Guillermo Ranea, est en cours de publication.
  • [11]
    Cf. la lettre de Leibniz à Papin de janvier 1699 (LBr 714, 161r) : « Ainsi pour eviter doresnavant tout sujet de contestations et de reproches, il faut revenir à la forme. »
  • [12]
    LBr 714, 136v. « 14/24 avril » désigne les dates correspondantes des calendriers julien et grégorien.
  • [13]
    Pour une belle présentation des enjeux de cette controverse, cf. Gideon Freudenthal, Perpetuum mobile : The Leibniz-Papin controversy, Studies in history and philosophy of science, 33 (2002), 573-637.
  • [14]
    Acta eruditorum (mars 1686), 161-163.
  • [15]
    En effet, René Descartes n’aurait pas désavoué ce que Leibniz affirme dans ce texte, à savoir que 1o un corps qui tombe d’une hauteur déterminée acquiert par sa chute la force de remonter à la hauteur de départ, sauf si une cause externe l’en empêche (ce qu’il emprunte aux Règles du mouvement dans la rencontre des corps (1669) de Christiaan Huygens) et 2o il faut autant de force pour qu’un corps A d’une livre s’élève à la hauteur CD de 4 toises que pour qu’un corps B de quatre livres s’élève à la hauteur EF d’une toise (ce qu’on retrouve dans le petit texte de Descartes : Explication des engins par l’aide desquels on peut avec une petite force lever un fardeau fort pesant, en appendice d’une lettre envoyée à Huygens datée du 5 octobre 1637, in René Descartes, Œuvres philosophiques, éd. par Ferdinand Alquié, t. I (Paris : Garnier frères, 1963), 802-814).
  • [16]
    Dans les Discorsi e dimonstrazioni matematiche de 1638, Galilée établit, dans le cas de la chute libre des corps, la proportionnalité des espaces parcourus et des carrés des temps mis à les parcourir, indiquant corrélativement la proportionnalité des vitesses aux temps.
  • [17]
    Cf. Carolyn Iltis, Leibniz and the vis viva controversy, Isis, 62 (1971), 21-35.
  • [18]
    Les deux passages cités sont de François Duchesneau, La Dynamique de Leibniz (Paris : Vrin, 1994), « Mathesis », 137.
  • [19]
    Catherine Wilson dans Leibniz’s metaphysics : A historical and comparative study (Manchester : Manchester University Press, 1989), « Studies in intellectual history », 138, écrit à propos de la « Brevis demonstratio » « which introduced the notion of vis viva and its conservation by means a clear and interesting thought experiment. It has been pointed out that Leibniz failed to do justice to Descartes’ actual theory ; indeed, he had apparently not read Descartes with any care at the time of his demonstration and was relying on second-hand knowledge. Moreover, the conservation of mv2 was in no sense a discovery of Leibniz’s ; but an earlier result of Huygens. The latter had no thought to employ it in a polemical context ». Ce qui me semble particulièrement intéressant dans ce passage – et je remercie Guillermo Ranea de me l’avoir signalé – est qu’il souligne que la première justification publique de la réforme de la dynamique et de l’introduction du principe de conservation des forces vives se fait grâce à une expérience de pensée. Catherine Wilson propose ainsi un statut épistémologique spécifique pour l’introduction de mv2 : l’expérience de pensée comme modalité argumentative.
  • [20]
    Dans une lettre à Adam Kochiansky – citée par Ludwig Stein dans Leibniz und Spinoza : Ein Beitrag zur Entwicklungsgeschichte der Leibnizischen Philosophie (Berlin : G. Reimer, 1890), 329 –, Leibniz qualifie les manifestes alchimiques en reprenant les mêmes termes : « Tout ce que l’on a dit des Frères de la Croix et la Rose est une pure invention de quelque personne ingénieuse. » Cette proximité témoigne sans doute du statut qu’il accorde à l’expérience de pensée proposée par Papin.
  • [21]
    Comme le montre John D. Norton dans son article, On thought experiments : Is there more to the argument ?, Philosophy of science, 71 (décembre 2004), 1139-1151 : « My view of thought experiments is quite deflationary. I claim that they are just ordinary argumentation, disguised in some vivid picturesque or narrative form. Therefore they can do nothing more epistemically that can ordinary argumentation. I don’t doubt that this picturesque clothing gives them special rhetorical powers, but they are not my concern. […] More precisely, my concern is what I label : The epistemological problem of thought experiments in the sciences. Thought experiments are supposed to give us knowledge of the natural world. From where does this knowledge come ? Since I claim that thought experiments are merely picturesque arguments, my solution is that this knowledge comes from premises introduced explicitly or tacitly into the thought experiment. That knowledge is the transformed, usually tacitly, through deductive or inductive argumentation. » Il s’agit bien de réduire l’expérience de pensée à une simple figure argumentative. Mais cette « réduction », que l’on pourrait contester, produit des effets car elle permet d’identifier le dispositif cognitif au cœur de l’expérience de pensée : en l’analysant comme un moyen de discerner, au plus près, l’argumentation (inductive ou déductive) qui a été voilée par l’expérience de pensée. Même si, contrairement à Norton, il me semble qu’il faut la penser en relation avec la dimension rhétorique à l’œuvre dans cette correspondance. Je proposerais donc de concevoir l’analyse de l’expérience de pensée comme procédant d’une réduction première qui permet d’identifier sa structure argumentative puis de compléter cette analyse par l’interprétation de la part rhétorique qui est également présente dans l’expérience de pensée.
  • [22]
    Anne-Lise Rey, The controversy between Leibniz and Papin : From the public debate to the correspondence, in Marcelo Dascal (éd.), The Practice of reason : Leibniz and his controversies (Amsterdam : John Benjamins Publishing Co., 2009), « Controversies », 75-100.
  • [23]
    Leibniz indique explicitement dans sa lettre du 8 novembre 1795 (LBr 714, 33r) qu’il cherche à convaincre Denis Papin au strict niveau « mathématique » : « Pour moy, je n’ay point besoin de me soucier icy de ce qui se passe dans la matiere insensible ou vous vous sauvés, et qui est peut estre cause de la pesanteur et du ressort. Nostre science est mathématique, et n’a pas besoin icy de ces suppositions ou hypotheses philosophiques, bien que bonnes d’ailleurs. » Ou encore dans sa lettre de novembre 1696 (LBr 714, 91r) : « Car je ne m’imagine pas, que vous veuliés avoir recours icy au systeme de causes occasionelles, comme si Dieu agissoit seul, et non pas les corps ; puisque en parlant d’actions physiques, et en les estimant mathematiquement, on ne s’embarasse pas de ces considerations de la Cause generale, et quand même ce systeme auroit lieu, on ne laissera pas de pouvoir estimer l’exercice ou le changement qui se fait dans le corps. »
  • [24]
    Lettre à Papin du 20 décembre 1695 (LBr 714, 45r).
  • [25]
    Cf. LBr 714, 65r.
  • [26]
    Cf. Hans Reichenbach, Experience and prediction (Chicago : University of Chicago Press, 1938).
  • [27]
    En effet, à partir de la lettre de Papin à Leibniz du 5 décembre 1702 (LBr 714, 192r), le cœur de la correspondance se déplace, il n’est pratiquement plus question de la controverse, mais des expériences que Papin cherche à mettre en œuvre avec sa pompe balistique, sa machine à piston, etc. Il serait cependant intéressant de penser le lien entre l’espace « expérientiel » ouvert par le recours à la fiction dans les lettres précédentes et les discussions sur les expériences envisagées ou réalisées sur les inventions élaborées par Papin.
  • [28]
    Lettre de Papin à Leibniz du 1er novembre 1698 (LBr 714, 151r) : « Je vous supplie de vous souvenir que quand j’ay consenti qu’on appellast action, le mouvement d’un corps qui ne rencontre point de resistence, j’ay dit en mesme temps que, à parler proprement, cela ne se devoit appeller que perseverance dans la meme maniere d’étre, et je ne consentois de l’appeller action qu’afin d’eviter les disputes de mots ; mais puisque Vous Vous prevalés de ma facilité jusques à pretendre n’avoir plus besoing d’instance, Je crois avoir droit de me retracter et de n’accorder plus rien. »
  • [29]
    LBr 714, 84r, lettre de Leibniz à Papin du 14 septembre 1696 : « Vous demandés « à quoy bon d’introduire une force vive puisque soit en communiquant la force, soit en la recevant c’est tousjours la loy de la force morte qui a lieu ». C’est à peu pres comme si on disoit à quoy il sert de parler des temps puisque il n’y a jamais que des instans. »
  • [30]
    Cf. LBr 714, 155r, lettre de Leibniz à Papin du 18 novembre 1698 : « Si vous avés consenti qu’on appelle action, ce que tout le monde appelle ainsi, et que vous ne voulés plus souffrir ce mot, appellés le comme il vous plaira, cette dispute de mots ne change rien au raisonnement. Si vous ne voulés pas que [ajout : ce changement de place en luy-meme (la resistence du milieu mise a part) se doit appeller action,] vous accorderés du moins que c’est un changement et cela me suffit. »
  • [31]
    Un échange de lettres entre Leibniz et Jacob Bernoulli thématise précisément la différence entre logomachie et controverse. Leibniz écrit en effet dans une lettre d’avril 1697 : « Agnoscit ipse Dn. Papinus controversiam non consistere in sola Logomachia, quoniam quaeritur utrum detur certa quantitas virium quae semper conservetur (quod ipse Concedit) et quomodo ea sit aestimanda. » (A, III-7, 361.)
  • [32]
    On l’a déjà mentionné : une forme qui reviendrait à parler « d’actions physiques, et en les estimant mathematiquement » (LBr 714, 91r – lettre cit. in n. 23).
  • [33]
    Je donne un exemple de cette « réduction » dans la lettre du 24 septembre 1696 adressée par Leibniz à Papin (LBr 714, 85r) : « La raison que vous apportez pour nier une proposition qui paroit incontestable c’est que, selon Vous, « les forces sont comme les quarrez des vitesses et ainsi un petit corps peut avoir plus de force qu’un grand quoy que il ayt une quantité de mouvement moindre que le grand : or dans le choc, l’un et l’autre corps n’agit que selon la quantité de son mouvement (que vous appelez la loy de la force morte) et ainsi le petit corps ayant le moins de mouvement ne sçauroit bander le ressort autant que le grand corps quoy que pourtant il y consume toute sa force vive qui est plus grande que celle du grand corps ». Je vais donc à présent faire instance contre cette response par ce 11° Syllogisme : Si cette response estoit bonne, il pourroit n’y avoir pas tousjours mesme quantité de force dans le monde, mais moins dans un temps que dans l’autre. Or nous sommes d’accord que le consequent est faux, Donc l’Antecedent l’est aussi. Je prouve la majeure du 11e syllogisme par ce 12e syllogisme : Dans l’instant que le petit corps seroit reduit au repos et auroit consumé toute sa force vive, il seroit possible de substituer en sa place un corps beaucoup plus gros qui devroit aussi estre repoussé par le ressort suivant la loy de la force morte.
    « Or, si vostre response estoit bonne, la quantité de mouvement que le gros corps substitué recevroit luy donneroit beaucoup moins de force vive que le petit corps n’en auroit perdu.
    « Donc, si vostre response estoit bonne, il pourroist y avoir moins de force dans un temps que dans l’autre. »
  • [34]
    J’en veux pour preuve ce passage relativement connu de la lettre de Leibniz à Papin du 20 décembre 1695 : « Je ne say pourquoi nous ne pouvons pas convenir en paroles, meme à l’égard des points ou nous convenons dans les choses. Je vous ay attribué, que vous m’accordiés qu’il se conserve toujours ce qui peut le meme effect. Vous me desavoués et vous m’accordés pourtant que les corps retiennent toujours le pouvoir de faire que leur centre commun puisse monter à la méme hauteur. Et c’est justement ce que j’appelle l’effect, c’est à dire ils peuvent toujours faire que la meme quantité de poids puisse monter à la meme hauteur ; l’elevation de leur centre n’etant rien que cela. Et par consequent ils peuvent aussi toujours faire que les mêmes ressorts puissent etre bandés au méme degre, ou que la meme vitesse soit donnée au meme corps. C’est ce que j’appelle « l’effect » qui se peut toujours prodiure (sic) et j’appelle « force » le pouvoir de produire un tel effect. Vous accordes que la meme force selon cette explication se conserve et votre protestation contraire est contraria facto, ou ce n’est qu’une question du nom. […] Vous estes trop penetrant pour ne pas voir cette consequance, si votre prevention ne vous avoit dispensé de l’attention qui est necessaire. Pour ce qui est du sens que vous donnés aux Termes, il vous est permis d’entendre par le nom de la force et de l’Effect tout ce qu’il vous plaira. Mais vous ne sauries prouver que ce que vous entendés parla c’est à dire la quantité de mouvement, se conserve aussi toujours la meme, comme ce que j’entends se conserve toujours. » (LBr 714, 45r.)
  • [35]
    LBr 714, 316v : « Vous dites Monsieur que l’indifference de la matiere est une hypothese plus simple, plus naturelle et plus intelligible. Mais le mal est qu’elle ne satisfait point aux phenomenes. Les cercles concentriques des anciens sont aussi plus simples, plus naturels et plus intelligibles que les Ellipses de Kepler, mais ils ne satisfont point. »
  • [36]
    Marcelo Dascal, The Art of controversies (Dordrecht : Springer, 2006), « The new synthese historical library », vol. 60, xxxvi et xl.
  • [37]
    John D. Norton, dans son article : Why thought experiments do not transcend empiricism ?, in Contemporary debates in philosophy of science, éd. par Christopher Hitchcock (Malden, MA : Blackwell Publ., 2004), chap. II, 44-66, propose tout à la fois de concevoir, comme on l’a déjà mentionné, l’expérience de pensée comme une forme à part entière d’argumentation – « […] they can do nothing more epistemically that can argumentation […] thought experimentation is governed by a logic, possibly of very generalized form » (p. 45) –, et d’interroger le pouvoir épistémique des expériences de pensée – en discutant les travaux de Roy A. Sorensen (Thought experiments (Oxford : Oxford University Press, 1992), 214) qui subordonne l’adhésion à l’idée selon laquelle les expériences de pensée seraient des arguments au fait de considérer que les expériences sont des arguments. Tout l’intérêt de la démarche de Norton, du moins telle que je l’interprète, est de concevoir, sur d’autres bases, la dimension empirique des expériences de pensée : « So thought experiments are arguments, but not because thought experimenters have sought to confine themselves to the modes in the existing literature on argumentation ; it is because the literature on argumentation has adapted itself to thought experiments. This argument view provides a natural home for an empiricist account of thought experiments. Insofar as a thought experiment provides novel information about the world, that information was introduced as experientially based premises in the arguments. The argument view may not be the only view that can support an empiricist epistemology. » (Ibid., 64.)
  • [38]
    Pour paraphraser un article de David C. Gooding intitulé : What is experimental about thought experiments ?, PSA : Proceedings of the biennial meeting of the Philosophy of Science Association, vol. 2 (1992), 280-290. Ce dernier traite les expériences de pensée comme une forme de raisonnement expérimental.
  • [39]
    Cf. Lettre de Leibniz à Papin du 8 novembre 1695 (LBr 714, 32v) : « Si l’effect pouvoit passer sa cause, on auroit le mouvement perpetuel. Et il est raisonnable que vice versa l’effect tout entier ne soit pas inferieur à sa cause. Ainsi les experiences favorisent entierement ces sentimens. Mais pour prouver que la quantité de mouvement se conserve, qui s’estime par le produit de la vistesse multipliée par la grandeur du corps, personne n’a rien allégue encor qui ait quelque apparence de raison. Celle de Descartes est pitoyable. Et les experiences y estant entierement contraires, vous estes obligé pour sauver votre sentiment, de recourir à une compensation dans la matiere invisible. »
  • [40]
    Lettre de Leibniz à Papin du 8 novembre 1695 (LBr 714, 33r).
  • [41]
    Cf. Lettre de Leibniz à Papin du 20 décembre 1695 (LBr 714, 45v) : « Je viens au point principal et decisif, qu’il suffira, tout seul d’examiner. Je suis bien aise que par là nôtre dispute s’est enfin reduite à quelque chose de practique, qui se peut verifier sans aller chercher les matieres invisibles. »
  • [42]
    Lbr 714, 46r.
  • [43]
    Lbr 714, 46r.
  • [44]
    Lbr 714, 20v.
  • [45]
    La lettre se poursuit ainsi : « Et cela est d’autant moins recevable, que cette loy pretendue manque de preuve, et qu’il est visible que nos corps gardent d’autres loix fort belles et fort regulieres, et conservent surtout la force prise dans mon sens, ce qui ne peut manquer de proceder des principes universels et communs tant aux corps sensibles, qu’aux autres : c’est pourquoy pour continuer cette conference avec fruit, il faut ou que vous compromettiés dans les corps sensibles, ou que vous apportiés des démonstrations pour les insensibles. » (LBr 714, 53v.)
  • [46]
    Dans la lettre à Papin du 2 décembre 1697 (cf. LBr 714, 121r).
  • [47]
    LBr 714, 127v.
  • [48]
    « La requête des chiens » que Leibniz publie en 1680 (A, I-3, N. 67) et qui fait suite à la publication par Papin de la description de son invention d’un autocuiseur – A new digester or engine for softning bones, containing the description of its make and use in these particulars : viz. cookery, voyages at sea, confectionary, making of drinks, chymistry, and dying. With an account of the price a good big engine will cost, and of the profit it will afford, by Denys Papin (Londres : printed by J. M. for Henry Bonwicke, 1681) ; trad. franç. : La maniere d’amolier les os, et de faire cuire toutes sortes de viandes… (Amsterdam : Henry Desbordes, 1688), disponible en version électronique, cf. http://www.sudoc.fr/138332800 – constitue proprement une fiction satirique élaborée par Leibniz. Il s’agit de mettre en scène l’indignation des chiens menacés de perdre leurs privilèges de rongeurs exclusifs d’os si la machine inventée par Papin permet désormais de les amollir et partant de les rendre comestibles pour les hommes. Ce qui pourrait risquer de rendre les hommes « cyniques ». Si elle constitue, à l’instar de notre « fiction ingénieuse », une respiration au cœur de cette autre controverse entre les deux hommes, elle n’a pas du tout la même fonction, il s’agit essentiellement ici de moquer l’invention.
  • [49]
    Cf. Aït-Touati, op. cit. in n. 8, 54 : « Or, Kepler propose d’abord de se « transporter mentalement » dans la région céleste. Le télescope ne se substitue pas à l’imagination et à la fiction chez lui. Il en démultiplie les pouvoirs. C’est en associant les deux types d’instruments, optique et littéraire, que Kepler réussit à donner à voir le monde lunaire. Le Songe est le développement de ce transport à la fois optique et imaginaire qui permet de voir « toutes les choses par soi-même ». Par le jeu de la fable, Kepler ne propose rien de moins que d’inverser la méthode de Maestlin, et de donner ainsi au discours astronomique, fût-ce provisoirement et fictionnellement force de preuve. »
  • [50]
    Cf. Paul Rateau, Art et fiction, Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 18 (2004) : Leibniz, 117-148, en particulier 126-136.
  • [51]
    C’est par exemple le cas dans G. W. Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain (Paris : Flammarion, 1993), III, 6, § 22 ou IV, 16, § 12.
  • [52]
    LBr 714, 126v (la pagination du manuscrit est à recomposer), la suite de la description de cette fiction se trouve en 124r et suivantes.
  • [53]
    LBr 714, 124r.
  • [54]
    Ibid. Papin justifie dans la suite immédiate de la lettre cette situation en indiquant la chose suivante : « […] car de deux corps de pareil volume comme C et D, C ayant le double de vitesse n’aura que le double du mouvement de D dont la vitesse est simple : et [124v] neanmoins, avant que d’estre reduit au repos, il faudra que C fasse quatre fois autant de chemin que D ; si donc, pour lever cette difficulté, l’un de nos spectateurs disoit que ce phenomene se peut fort bien expliquer de mesme maniere que tous les autres chocs des corps sensibles : parce qu’il peut y avoir des grains insensibles qui agissent suivant la direction MN et qui ont une vitesse si prodigieuse que les corps C et D sont comme en repos à leur egard : et qu’ainsi il ne faut point s’etonner que le corps C n’ayant qu’une double quantité de mouvement, ayt pourtant parcouru 4 fois autant de chemin que D : parce que, n’ayant pour cela emploié que le double du temps, il n’a aussi receu que le double de coups des grains insensibles : d’ou il s’ensuit que cette experience confirme encor la Doctrine qui suppose que la force et la quantité de mouvement sont la mesme chose. »
  • [55]
    Alberto Guillermo Ranea, The a priori method and the actio concept revised : Dynamics and metaphysics in an unpublished controversy between Leibniz and Denis Papin, Studia Leibnitiana, XXI (1989), 52-53. La citation de la lettre de Leibniz à Papin du 16 janvier 1698 se trouve en LBr 714, 129r.
  • [56]
    LBr 714, 132v : « […] quelque usage que vous fassiés de la grêle, elle ne vous donnera pas la conservation de la meme quantite de mouvement, je trouve que le degre de vistesse que le corps pesant reçoit par la grêle, est à la difference des vitesses de la grêle et du pesant, comme le double de la grele est au pesant, ce qui est une raison tousjours constante si la grele est tousjours egale et egalement mûe, et agit dans des intervalles de temps égaux. Cependant la difference des vistesses decroist tousjours un petit peu, il faut que dans cette supposition, le degré reçu […] croisse tant soit peu, mais en cela meme on trouvera que la somme de tous les grains de grele avec le corps, bien eloignés de garder la meme quantite de mouvement comme on se pouvait imaginer sur des apparences legeres ou plustost sur des prejuges car il se trouve que l’accroissement de la velocité du corps pesant est à la somme de la precedente et de la presente velocité de la grele, comme la grele est au corps pesant. Mais si au lieu de la somme c’estoit la difference c’est à dire si c’estoit le decroissement de la velocité de la grele, la meme quantite de mouvement se conserveroit. Mais pour cela il faudroit que la grêle ne reflechist point et qu’apres avoir frappé le corps pesant, elle allât du meme costé que luy, (par l’artic[le] 6) ce qui ne se peut. »
  • [57]
    Sauf erreur de ma part, il me semble que ce dispositif n’a pas été relevé par Dascal dans son Art of controversies (op. cit. in n. 36).
  • [58]
    LBr 714, 129-134, ici 129r.
  • [59]
    George Bealer, Intuition and the autonomy of philosophy, in Michael R. DePaul et William Ramsey (dir.), Rethinking intuition : The psychology of intuition & its role in philosophical inquiry (Lanham, MD : Rowman & Littlefield, 1998), 207 sqq.
  • [60]
    Cf. lettre de Leibniz à Papin de juin 1699 (LBr 714, 178r).
  • [61]
    Cf. la première sous-partie, « Imaginary science », de l’article de David Gooding intitulé : The paradox of a priori empirical import, The British journal for the philosophy of science, 45/4 (déc. 1994), 1029-1045.
  • [62]
    LBr 714, 132v : « La grêle que vous supposés dans vostre espace pour expliquer la pesanteur ne peut aider en rien à sauver les phenomenes ou l’on ne remarque point la conservation du mouvement, quelque prodigieuse vistesse ou petitesse qu’on donne à cette grêle. »

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