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Article de revue

Frontière, fraternité et guerre

Pages 161 à 184

Notes

  • [1]
    Stanislas Breton, « Métaphysique de la limite », Autres temps. Les cahiers du christianisme social 33-34, 1992, p. 62-74.
  • [2]
    Svetlana Alexievitch, La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement (2013), Arles, Actes Sud, 2013, p. 279-280.
  • [3]
    Ibid., p. 355-356.
  • [4]
    Ibid., p. 359-360.
  • [5]
    Voir Michel Foucher, Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique (1988), chap. 14 : « Autour de la Russie. Des fronts, extérieurs, aux frontières, intérieures », Paris, Fayard, 19912, p. 431-470.
  • [6]
    Ibid., p. 470.
  • [7]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture (1929), Paris, PUF, « Quadrige », 1995, p. 56.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi » (1921), dans Id., Essais de psychanalyse, Paris, Payot, « Petite bibliothèque Payot », 1981, p. 162.
  • [10]
    Jacques Lacan, Séminaire XVII. L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Éd. du Seuil, « Le champ freudien », 1991, p. 131.
  • [11]
    Voir Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté » (1919), dans Id., L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1985, p. 212 (note liminaire du traducteur).
  • [12]
    Ibid., p. 215.
  • [13]
    Ibid., p. 246.
  • [14]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, p. 56. Freud avait déjà mentionné cela dans « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 163.
  • [15]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, p. 57.
  • [16]
    Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité » (1918), dans Id., Œuvres complètes, t. XV, Paris, PUF, 2006, p. 86-87.
  • [17]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 205.
  • [18]
    Ibid., p. 207.
  • [19]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, p. 57.
  • [20]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 160.
  • [21]
    Slavoj Žižek, De la croyance (2009), Paris, Jacqueline Chambon – Actes Sud, « Rayon philo », 2011, p. 288-289.
  • [22]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 211. L’auteur souligne.
  • [23]
    Parmi les deux plus marquantes de ces dernières décennies, je retiens celles d’Alain Badiou, Saint Paul. La fondation de l’universalisme, Paris, PUF, « Essais du Collège international de philosophie », 1997, et de Giorgio Agamben, Le temps qui reste. Un commentaire de l’épître aux Romains (2000), Paris, Payot & Rivages, « Bibliothèque Rivages », 2000.
  • [24]
    Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste. Trois essais (1939), Paris, Gallimard, « Folio essais », 1986, p. 184.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    Sigmund Freud, Totem et tabou (1913), Paris, Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 1965.
  • [27]
    Voir Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste, p. 176-185.
  • [28]
    Jacques Lacan, « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 », dans Id., Écrits, Paris, Éd. du Seuil, « Le champ freudien », 1966, p. 459-491 (489). L’auteur souligne.
  • [29]
    Voir ibid., p. 479 et 489.
  • [30]
    René Diatkine, « La cravate croate : narcissisme des petites différences et processus de civilisation », Revue française de psychanalyse 57, 1993, p. 1057-1072 (1065).
  • [31]
    Ibid., p. 1066.
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Giorgio Agamben, La guerre civile. Pour une théorie politique de la stasis (2015), Paris, Points, « Essais », 2015, p. 22.
  • [34]
    Ibid., p. 16.
  • [35]
    André Green, « Culture(s) et civilisation(s), malaise ou maladie ? », Revue française de psychanalyse 57, 1993, p. 1029-1056 (1056).
  • [36]
    Communiqué de la Fédération protestante de France en réaction à l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, consulté sur http://www.protestants.org/fileadmin/user_upload/Protestantisme_et_Societe/documentation/160726-Attentat_St_Etienne_du_Rouvray_communique_FPF_01.pdf.
  • [37]
    Voir Sigmund Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort » (1915), dans Id., Essais de psychanalyse, p. 25 et 39.
  • [38]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 147.
  • [39]
    Ibid., p. 214.
  • [40]
    Ibid., p. 215.
  • [41]
    Jacques Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », dans Acte de fondation et autres textes, ECFP, p. 26, cité par Lina Velez, « La ségrégation », Psychanalyse 18, 2010, p. 73-79 (77).
  • [42]
    Voir Jacques Lacan, « Première version de la proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », Ornicar ? 8, 1978, p. 5-26 (22) ; « Conférence sur la psychanalyse et la formation du psychiatre à Sainte-Anne » (1967). Ces textes sont consultables sur http://www.valas.fr/IMG/pdf/Lacan_index_ecrits.pdf
  • [43]
    Giorgio Agamben, La guerre civile, p. 30.
  • [44]
    Voir par exemple André Vauchez, Bénédicte Sère, « Les chrétiens d’Occident face aux juifs et aux musulmans au Moyen Âge. xi e-xv e siècle », Recherches de science religieuse 100, 2012, p. 187-208.

1 Stanislas Breton remarquait que quand on parle de frontière, ça sent toujours un peu la poudre [1] ! Dans le mot même de frontière, il y a le mot front, ce qui suppose affrontement, conflit et donc guerre. Notre actualité liée au terrorisme donne une coloration particulière à cette problématique, étant donné que les attentats survenus sur le sol français ces dernières années furent perpétrés en majorité non par des étrangers, mais par des nationaux (ou à la rigueur des binationaux), c’est-à-dire des gens qui sont – au point de vue politique – nos frères (en la République). J’aborderai donc la problématique de la frontière moins dans la perspective des questions migratoires que dans la perspective conjointe de la fraternité et de la guerre : le terrorisme est une situation où les rapports entre frontière, fraternité et guerre sont bouleversés, car l’ennemi n’est plus seulement extérieur mais aussi intérieur. La représentation même d’une frontière qui délimiterait clairement l’extérieur et l’intérieur est justement ce qu’il convient d’interroger. Le parcours proposé empruntera à la littérature, à la géopolitique, à la psychanalyse et à la philosophie, ce qui lui conférera une dimension transfrontalière, dont j’espère qu’elle contribuera à ouvrir des pistes pour penser.

La fin de l’homme rouge : quand une frontière retracée efface la fraternité

2 La connexion entre frontière, fraternité et guerre m’a également été suggérée par une lecture bouleversante qui permettra d’introduire le propos de manière un peu décalée par rapport à notre contexte européen immédiat (pour se recentrer il faut parfois se décentrer). Il s’agit de La fin de l’homme rouge, de la Biélorusse Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature 2015. Ce livre raconte, sous forme de témoignages collectés par l’auteur un peu partout dans l’ancien empire soviétique, le traumatisme collectif que fut la chute de l’URSS – quand tout un peuple, du jour au lendemain, vit le sol sur lequel il marchait depuis soixante-dix ans s’effondrer sous ses pieds. Quelques extraits de ce livre inclassable et déchirant donneront un peu de chair à la réflexion théorique. Commençons par un passage du chapitre intitulé « Où il est question d’un temps où tous ceux qui tuent croient servir Dieu », témoignage d’Olga V., topographe, 24 ans :

3

Je suis russe. Je suis née en Abkhazie, et j’ai vécu longtemps à Soukhoumi. Jusqu’à l’âge de 22 ans. Jusqu’en 1992... Jusqu’à ce que la guerre commence. Comment éteindre de l’eau qui brûle ? C’est ce que disent les Abkhazes à propos de la guerre... Des gens qui prenaient les mêmes autobus, qui fréquentaient les mêmes écoles, ils lisaient les mêmes livres, ils vivaient dans un seul et même pays, ils parlaient tous le russe... Et voilà que maintenant, ils se tuent les uns les autres ! Le voisin tue son voisin, l’écolier son camarade de classe. Le frère tue sa sœur... Ils se faisaient la guerre ici même, à côté de chez moi. Il y a quoi ? un an ou deux, ils vivaient comme des frères, ils étaient tous komsomols [i. e. jeunesses communistes] et communistes. À l’école, j’écrivais dans mes rédactions : « Frères pour toujours... », « L’Union indestructible... » Tuer un être humain ! Ce n’est pas un exploit ni même un crime... C’est quelque chose d’épouvantable ! Je l’ai vu... C’est impossible à comprendre. Je ne le comprends pas [2].

4 Voici à présent un extrait du chapitre intitulé « Où il est question de Roméo et Juliette... seulement ils s’appelaient Margarita et Abulfaz », témoignage de Margarita K., réfugiée arménienne, 41 ans :

5

À Bakou, nous habitions dans un grand immeuble. Il y avait un mûrier dans la cour, un mûrier jaune. Ses fruits étaient un vrai délice ! Nous vivions tous ensemble, nous formions une grande famille, les Azerbaïdjanais, les Russes, les Arméniens, les Ukrainiens, les Tatars... Clara, Sarah, Abdullah, Ruben... La plus belle, c’était Sylva, elle travaillait comme hôtesse de l’air sur les lignes internationales, elle allait à Istanboul [sic]... Son mari Elmir était chauffeur de taxi. Elle, elle était arménienne, et lui azerbaïdjanais, mais personne ne s’en souciait, je ne me souviens pas qu’on parlait de ça. Le monde se divisait selon d’autres critères : il y avait les bons et les méchants, les radins et les généreux. Les voisins et les hôtes. On était du même village, de la même ville... Tout le monde avait la même nationalité : nous étions tous soviétiques, nous parlions tous russe [3].

6 Et un peu plus loin :

7

D’habitude, à l’heure du déjeuner nous prenions le thé tous ensemble, et voilà que brusquement, un beau jour, les Azerbaïdjanais se sont assis à une table, et les Arméniens à une autre. Du jour au lendemain, vous comprenez ? Moi je n’arrivais pas à comprendre. [...] « Mais qu’est-ce qu’il y a, les filles ? – Tu n’as pas entendu ? Le directeur a déclaré que bientôt, il n’y aurait plus ici que des “sang-pur”, des musulmanes. » Ma grand-mère avait survécu au pogrom des Arméniens en 1915. Je me souvenais de ce qu’elle me racontait quand j’étais petite : « Lorsque j’avais ton âge, on a égorgé mon papa. Et aussi ma maman, et ma tante. Et tous nos moutons... » Grand-mère avait toujours les yeux tristes. « Ce sont nos voisins qui ont fait ça. Jusque-là, c’étaient des gens normaux, on peut même dire des gens bien. Les jours de fête, on mangeait tous à la même table. » Je me disais que c’était il y a très longtemps... Qu’une chose pareille ne pouvait pas arriver maintenant [4].

8 Il y a certes une spécificité historique et géographique de la séquence de la chute de l’URSS, mais on remarque que la plupart des éléments de notre propre séquence européenne actuelle s’y trouvent, quoique sans doute pas tous à la même place ni au même degré – en espérant qu’il n’y ait pas là quelque anticipation de l’Europe qui vient. Mon propos n’est pas géopolitique (cela dépasserait à la fois mon sujet et mon domaine de compétences), toutefois il me paraît intéressant de mentionner l’analyse de Michel Foucher dans Fronts et frontières, qui développe trois points majeurs dans un chapitre consacré à la Russie [5] :

9 – Les frontières extérieures de l’URSS à la suite de la révolution de 1917 puis de la stalinisation se sont constituées comme des lignes de front fortement militarisées, opposant la nation soviétique aux pays de l’Alliance atlantique. L’ennemi était donc l’impérialisme capitaliste, en regard duquel il était nécessaire de forger un homo sovieticus capable de lui résister, et donc de constituer une nation soviétique homogène, notamment par le biais de la langue (d’où une russisation massive des populations).

10 – Sur le plan des frontières intérieures de l’URSS, le projet stalinien a consisté à contrecarrer systématiquement les revendications identitaires particularistes des populations des républiques de l’Union. En particulier dans les républiques du Caucase, le principe fut de tracer des frontières administratives ne recoupant pas les frontières ethnico-religieuses, de façon à couper en deux les populations appartenant au même groupe, contraignant chacune des deux moitiés à cohabiter avec d’autres groupes – eux-mêmes coupés en deux – au sein de territoires mixtes (par exemple des Arméniens/chrétiens avec des Azerbaïdjanais/musulmans). Le principe, vieux comme le monde, était de diviser pour mieux régner.

11 – La détente des années 1980 a profité aux frontières extérieures de l’URSS (en évitant un conflit mondial avec les pays de l’OTAN), mais elle a simultanément mis en péril ses frontières intérieures : plus l’URSS s’affaiblissait comme État central et autoritaire, plus les revendications particularistes des diverses républiques progressaient. Et plus elles progressaient, plus les tensions interethniques et/ou interreligieuses s’avivaient – jusqu’à l’éclatement des guerres civiles dont les témoignages mentionnés plus haut donnent un aperçu.

12 L’essentiel à retenir à ce stade est que la disparition de l’ennemi extérieur a abouti à l’apparition (ou plutôt à la réapparition) d’ennemis intérieurs. De manière équivalente, le déplacement de la frontière depuis la périphérie jusqu’au(x) centre(s) a conduit à une redéfinition de la fraternité, celle-ci reposant désormais sur un paradigme ethnico-religieux et non plus idéologico-national. En clair : « l’unité autoritaire [6] » de tous les peuples au sein de l’Union des républiques socialistes soviétiques a explosé dès lors qu’il n’y avait plus de menace capitaliste occidentale à conjurer par le maintien d’une grande armée de frères rouges. Des frères privés d’ennemi commun cessaient aussitôt d’être des frères, et la fraternité se renversait en fratricide. Les ennemis d’hier étant devenus, sinon des amis, du moins des alliés stratégiques, les amis d’hier devenaient l’ennemi à abattre. La guerre contre l’ennemi situé de l’autre côté de la frontière basculait alors en guerre civile. Il fallait éliminer l’ennemi intérieur, l’ennemi intime – l’extirper de soi comme un corps étranger.

Narcissisme des petites différences et inquiétante étrangeté : la fraternité à la frontière entre Éros et Thanatos

13 En écho à ces différentes observations, comment ne pas penser à cette fameuse affirmation de Freud en 1929 dans le Malaise dans la culture : « Il est toujours possible de lier les uns aux autres dans l’amour une assez grande foule d’hommes, si seulement il en reste d’autres à qui manifester de l’agression [7] » ? La grande idée freudienne de cette époque, largement anticipée dans les époques précédentes, est que l’amour et la haine, loin de s’exclure l’une l’autre, se supposent et s’appellent mutuellement. Il y a un dualisme pulsionnel entre Éros (pulsions d’amour ou d’unité) et Thanatos (pulsions de mort ou de destruction). Ainsi la haine du dissemblable est-elle le carburant auquel s’alimente l’amour du semblable : l’agressivité étant une pulsion humaine archaïque qui ne peut pas ne pas s’exprimer, de la part du moi à l’endroit du non-moi (que Freud appelle l’objet), il est impératif qu’elle trouve un défouloir où se déverser – toute haine non extériorisée dans l’agressivité vis-à-vis de l’objet étant condamnée à faire retour sur le moi dans l’angoisse de persécution et le sentiment de culpabilité. « Il n’est manifestement pas facile aux hommes de renoncer à satisfaire ce penchant à l’agression qui est le leur ; ils ne s’en trouvent pas bien [8] », écrit Freud. Là est pour lui la source du malaise dans la culture. Le processus civilisationnel ne peut pas reposer sur l’amour seulement, il implique la haine et la destruction. Fonder une communauté fraternelle rend donc nécessaire de tracer une frontière entre un dedans et un dehors, donc entre du frère et du non-frère.

14 Ainsi les hommes ne sont-ils jamais autant fraternels que lorsqu’ils ont en face d’eux, sur l’autre bord, sur l’autre front, des non-frères à haïr tous ensemble. « Tous ensemble, tous ensemble », comme l’on scande dans les manifestations, implique que l’on est tous ensemble contre quelque chose ou quelqu’un qui ne fait pas partie de cet ensemble – disons plutôt qui en fait partie par sa position de tiers exclu. L’exclusion n’est pas le contraire de l’inclusion, elle est en fait une manière d’inclure : l’exclu fait partie de l’ensemble auquel on lui refuse l’accès, il y est inclus précisément au titre d’exclu. Pour construire un ensemble, à l’intérieur des frontières duquel on se regroupe, on a besoin du matériau de l’exclusion, qui est comme le ciment qui fait tenir les briques. Cela signifie que si l’on prive l’humain de la possibilité de haïr, on le prive également et par là même de la possibilité d’aimer. Une société fraternelle ne peut donc être telle que si elle s’est choisi des ennemis. En 1921, dans « Psychologie des foules et analyse du moi », Freud remarquait que « la haine envers une personne ou une institution déterminées pourrait tout aussi bien avoir une action unificatrice et susciter les mêmes liens affectifs que l’attachement positif [9] ». Ce mécanisme est particulièrement évident dans la rhétorique d’extrême droite : le Front national entend constituer une fraternité française se définissant de faire front contre – contre l’immigré, l’Europe, la mondialisation, etc. Peut-il y avoir une autre manière de fonder la fraternité ? C’est là toute la question, à laquelle il n’y a pas de réponse simple ni définitive. Comme le déclare Lacan : « Ces énergies que nous avons à être tous frères prouvent bien évidemment que nous ne le sommes pas [10]. »

15 Remarquons toutefois, suivant Freud, que les choses sont un peu plus compliquées que cela. En effet, il y a une contradiction inhérente à la dialectique d’Éros et de Thanatos. Car l’objet haï par le moi, le non-moi étranger à qui manifester de l’agression pour s’ancrer toujours davantage dans le sentiment de soi, n’est justement pas un étranger radicalement différent : il est au contraire un étrange familier ou encore un être doté d’une inquiétante familiarité (ces deux expressions rendant mieux la notion freudienne d’Unheimlich habituellement traduite par « inquiétante étrangeté » [11]). Précisément, ce n’est pas par son étrangeté que l’Unheimlich est inquiétante : « L’inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier [12] », note Freud. L’hôte inquiétant que chacun porte en soi n’apparaît comme étranger que par le processus du refoulement qui fait passer « le Heimlich [familier] en son contraire, le Unheimlich [non-familier] [13] ». Lorsque le refoulé fait retour, c’est alors que l’étrangeté familière apparaît comme une étrangeté étrangère, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne vient pas de soi et qui « ne nous ressemble pas » (comme on dit). En bref, pour Freud, l’être humain est constitué en lui-même, au plus intime, par de l’étranger – qu’on l’appelle le ça, l’inconscient, le pulsionnel ou, comme Lacan, le désir de l’Autre. J’y reviendrai.

16 Pour le moment, il faut s’interroger sur le caractère familier de celui-là même qui, exclu de la communauté des frères, constitue un repoussoir indispensable à l’existence de cette communauté. La notion freudienne de « narcissisme des petites différences » est à cet égard éclairante. Dans le Malaise, juste après avoir évoqué la nécessité de fonder l’amour du semblable sur la haine du dissemblable, Freud fait remarquer que le dissemblable n’est justement pas si dissemblable que cela. Il n’est pas un étranger radical, il est juste suffisamment étranger pour n’être pas tout à fait identique, mais cela sur fond d’une grande proximité et d’une grande similarité. Freud mentionne le « phénomène selon lequel, précisément, des communautés voisines, et proches aussi les unes des autres par ailleurs, se combattent et se raillent réciproquement, tels les Espagnols et les Portugais, les Allemands du Nord et ceux du Sud, les Anglais et les Écossais, etc. [14] ». Il ajoute : « On reconnaît là une satisfaction commode et relativement anodine du penchant à l’agression par lequel la cohésion de la communauté est plus facilement assurée à ses membres [15]. » Il est intéressant de retracer les principales étapes de la théorisation de ce narcissisme des petites différences par Freud.

17 C’est dans un texte de 1918 intitulé « Le tabou de la virginité » qu’il emploie cette expression pour la première fois, effectuant un lien entre, d’une part, « les petites différences, alors qu’il y a par ailleurs ressemblance, qui fondent les sentiments d’étrangèreté [sic] et d’hostilité entre [les individus] » et, d’autre part, « la récusation narcissique de la femme par l’homme – largement empreinte de dédain », précisant que ce mépris de la femme doit être attribué « au complexe de castration » [16]. En d’autres termes, et pour le dire rapidement, la femme constitue pour l’homme – dans la projection de son regard – la menace d’une altérité qui le concerne au premier chef : elle est pour l’homme le semblable différent par excellence, qui le confronte (ne lui en déplaise) à sa propre limite. La femme révèle à l’homme qu’il n’est ni le tout de l’humain ni un humain total, mais seulement un des côtés de l’humain, donc un humain entamé (voir Gn 2, 21). Pour le dire encore autrement, ce que l’homme ne supporte pas en la femme, et qui est la cause de ce que l’on nomme « machisme », est qu’en lui révélant la différence des sexes, elle lui révèle son propre manque, son incomplétude structurelle, sa béance ontologique. La haine de l’étranger frontalier s’enracinerait donc, selon Freud, dans la haine que l’individu spécialement masculin voue à sa propre castration, donc à sa propre étrangéité. Le paradoxe, en l’occurrence, est que le presque semblable est celui par qui le scandale arrive, scandale qui tient à la révélation insupportable de ce que nous sommes tout autant étrangers à nous-mêmes que nous le sommes les uns aux autres. Ne rien vouloir savoir de cette dissemblance de soi à soi est ce qui pousse à couvrir cette inadmissible vérité du voile de l’identification au collectif, à la « communauté des moi [17] ». Au sein de la « foule fraternelle [18] », nous voici tous ensemble, tous semblables, pour nous faire croire qu’il n’y a pas de castration, c’est-à-dire ni limite, ni manque, ni altérité à l’intérieur des frontières mêmes de notre moi.

18 Un autre élément vaut d’être noté à propos de ce narcissisme des petites différences. Cela concerne l’antisémitisme, question évidemment brûlante au temps de Freud, et qui n’est pas sans écho avec le nôtre. Dans le Malaise, Freud notait la chose suivante :

19

Le peuple des Juifs, dispersé dans toutes les directions, a de cette façon grandement mérité des cultures de ses peuples d’accueil ; mais hélas ! tous les massacres de juifs au Moyen Âge n’ont pas suffi à rendre cette époque plus pacifique et plus sûre pour les chrétiens contemporains. Après que l’apôtre Paul eut fait de l’universel amour des hommes le fondement de sa communauté chrétienne, l’extrême intolérance du christianisme envers ceux qui étaient restés au dehors en avait été une conséquence inévitable [...]. Ce ne fut pas non plus un hasard incompréhensible si le rêve d’une domination germanique sur le monde appela comme son complément l’antisémitisme, et il est concevable, on le reconnaît, que la tentative d’édifier en Russie une nouvelle culture communiste trouve son support psychologique dans la persécution des bourgeois. On se demande seulement avec inquiétude ce que les Soviets entreprendront une fois qu’ils auront exterminé leurs bourgeois [19].

20 Dans « Psychologie des foules », Freud écrivait déjà : « Il faut qu’une religion, même si elle s’appelle la religion d’amour, soit dure et sans amour envers ceux qui ne lui appartiennent pas. Au fond, chaque religion est bien une telle religion d’amour pour tous ceux qu’elle englobe et chacune tend vers la cruauté et l’intolérance à l’encontre de ceux qui ne lui appartiennent pas [20]. » Une remarque de Slavoj Žižek vient compléter la thèse de Freud :

21

La devise chrétienne « Tous les hommes sont frères » signifie aussi que « ceux qui ne sont pas mes frères ne sont pas des hommes ». Les chrétiens se félicitent habituellement d’avoir triomphé de l’idée judaïque exclusiviste du peuple élu et d’avoir embrassé l’humanité entière – le piège est ici que, dans leur insistance même à se présenter comme le peuple élu, bénéficiant d’un accès direct, privilégié, à Dieu, les Juifs acceptent l’humanité des autres, de ces peuples qui célèbrent leurs faux dieux, alors que l’universalisme chrétien a tendance à exclure les non-croyants de l’universalité même du genre humain [21].

22 Embrasser l’humanité entière peut être le plus sûr moyen de l’étouffer ! Il me paraît indispensable de prêter attention à ce fond mortifère qui couve au cœur même de l’amour (fut-il chrétien), à ce Thanatos qui est la contrepartie de l’Éros universel. Certes, on peut toujours objecter, dans une perspective à mon sens abusivement apologétique, que la lecture freudienne de Paul n’est que la lecture d’un certain paulinisme inscrit dans un contexte daté (en l’occurrence le catholicisme viennois du début du xx e siècle). On peut donc se fendre d’un « Mais le christianisme, ce n’est pas ça ! ». Naturellement les textes pauliniens se prêtent à des interprétations bien différentes, et bien plus prometteuses, notamment en ce qui concerne la distinction entre Éros et Agapè, soit en termes freudiens entre une libido à but sexuel direct et une libido inhibée et détournée quant au but, c’est-à-dire une libido sublimée en tendresse, que Freud lui-même qualifie d’amour « paulinien[22] ». Mais il serait intellectuellement – et spirituellement – malhonnête de prétendre séparer le texte biblique de l’histoire de sa réception et de ses effets dans la culture, quand bien même certains de ces effets (ce qui ne veut pas dire tous) furent désastreux. Autrement dit, on peut toujours – et on doit – faire l’exégèse des épîtres pauliniennes et y découvrir une conception de l’universel à la fois complexe, ouverte et vivante [23], mais on ne peut pas oublier que ces mêmes épîtres ont nourri (et nourriront peut-être encore) un impérialisme chrétien dégageant une odeur de cadavre.

23 En ce qui concerne l’antisémitisme, Freud prolonge son analyse en 1939 dans son chant du cygne, L’homme Moïse et la religion monothéiste. Il y conteste notamment l’idée que les Juifs seraient objet de haine parce que trop différents de leurs « peuples d’accueil [24] » (expression dénuée de sens pour Freud, attendu que la présence de Juifs sur nombre de territoires européens remonte au Moyen Âge). Au contraire, dit Freud :

24

Pas fondamentalement différents car ce ne sont pas des Asiatiques d’une race étrangère, comme leurs ennemis l’affirment, mais ils sont essentiellement composés de vestiges des peuples méditerranéens et des héritiers de la civilisation méditerranéenne. Cependant ils sont quand même différents, souvent d’une manière indéfinissable, surtout des peuples nordiques, et l’intolérance des masses s’exprime paradoxalement à l’égard de petites différences plus qu’à l’égard de dissemblances fondamentales [25].

25 La petite différence qui caractérise les Juifs, source d’inquiétante étrangeté (Freud utilise délibérément le terme Unheimlich), tient ici de nouveau au motif de la castration. Pour faire court, le rituel de la circoncision représente dans l’inconscient la castration, qui est la marque inscrite sur le corps des frères après qu’ils ont tué le père originaire et illimité de la horde primitive, dont Freud avait forgé le mythe en 1913 dans Totem et tabou[26]. Selon lui, ce père primordial est celui que les Juifs ont tué en la personne de Moïse, le divinisant par dénégation après l’avoir assassiné (geste que les chrétiens reprendront à leur compte, avec des déplacements sur lesquels je ne peux m’étendre ici, en divinisant Jésus après sa crucifixion). La pointe du mythe freudien est la suivante [27] : les Juifs sont l’objet d’une haine universelle car, en inventant le monothéisme sur la base du meurtre du père, ils ont institué une communauté humaine sous le mode fraternel à la condition que chacun des frères, renonçant à occuper la place du père illimité, renonce également à la satisfaction de ses propres pulsions primaires (sexuelles et agressives). Le renoncement pulsionnel ouvrant la voie, par la sublimation, aux progrès de l’esprit, les Juifs sont historiquement jalousés pour leurs hautes contributions à la vie culturelle, intellectuelle, artistique et économique de l’humanité.

26 Par ailleurs, en instaurant la religion du meurtre du père, ils ont révélé au monde – même sous le mode de la dénégation – l’insoutenable vérité que le père n’est pas tout-puissant et que, par conséquent, tout fils d’humain est soumis à la finitude sans aucune échappatoire. La finitude, en l’occurrence, n’est pas un simple attribut de l’humain, un enregistrement des limites de sa nature et de ses possibilités : elle est ce qui le constitue fondamentalement comme être ayant à devenir soi dans l’épreuve de l’altérité. La confrontation irrémédiable de l’homme à la castration en tant que signifiant de l’altérité parcourt l’œuvre de Freud depuis sa mise en évidence de la découverte (aussitôt recouverte !) du manque dans la femme jusqu’à celle du manque dans le père. Par le lien structurel qu’il établit entre le motif du narcissisme des petites différences et celui de la castration, le Moïse boucle ainsi la boucle entamée deux décennies plus tôt avec « Le tabou de la virginité ».

27 Faisons un pas de plus, en compagnie cette fois de Jacques Lacan qui, dans une intervention de 1956, reprend la thématique freudienne du narcissisme des petites différences en lien avec la psychologie des foules. Lacan se trouve à cette période en plein démêlé avec les institutions psychanalytiques (la rupture avec l’Association psychanalytique internationale sera consommée sept ans plus tard). Il reproche en particulier à ces institutions de fonctionner justement comme des institutions, c’est-à-dire comme des groupes où s’exerce une « terreur conformiste » parce que le lien entre psychanalystes se réduit à des « effets d’identification imaginaire » dont Lacan dit qu’ils « ne sont pas favorables à la discussion » [28]. En d’autres termes, l’identification imaginaire est le moment où, au sein de la communauté psychanalytique, la vérité de la parole des psychanalystes se coagule en savoir psychanalytique élevé au rang d’argument d’autorité – ce qui est bien sûr le meilleur moyen de tuer toute pensée. À deux reprises, Lacan indique que dans la communauté psychanalytique qui succombe à l’identification imaginaire, la communion s’établit au détriment de la communication, or une communion sans communication, une fraternité sans parole (quand bien même il y aurait beaucoup de discours), est synonyme de haine pure [29]. La communication étant, en termes lacaniens, le maniement du tranchant de la parole qui inscrit la blessure de l’altérité non seulement entre moi et toi, mais aussi et en premier lieu, entre moi et je (entre l’image qui me représente et le sujet que je suis).

28 Pour prolonger ces observations, je propose d’articuler la notion de narcissisme des petites différences à celle, déjà évoquée, d’inquiétante étrangeté. Pourquoi sommes-nous tellement obnubilés par les petites différences ? Selon René Diatkine, « nous leur sommes viscéralement attachés parce qu’elles symbolisent l’identification narcissique primitive à la mère, tout comme la langue maternelle. Elles s’incrustent dans notre identité en même temps que nous apprenons à parler [30]. » En conséquence, « l’enfant doit s’y soumettre aveuglément s’il veut conserver le lien narcissique qui l’unit à sa mère et à sa famille. Avant même de savoir parler, le sujet sait ce qu’il doit aimer et ce qu’il doit haïr, s’il ne veut pas angoisser sa mère et briser l’unité fondamentale qui l’unit à elle [31]. » Et ainsi, « les petites différences que tous les membres du groupe ont en commun par rapport à l’étranger sont définies par le Moi idéal du groupe, qui est l’héritier de cette fonction maternelle vitale. Les refuser, c’est prendre un risque narcissique grave [32]. » Mais la capacité de prendre un risque narcissique n’est-elle pas l’enjeu même de toute vie subjective désirante et parlante accédant à la singularité ? L’émergence d’un sujet ne cédant pas sur son désir – ne cédant pas sur ce qu’il ne sait ni ne voit de lui-même – n’est-elle pas ce qui doit être visé dans la traversée du mirage de l’identification (quel que soit par ailleurs le caractère fondateur et structurant de ce mirage pour le psychisme) ?

29 Selon l’hypothèse de Diatkine, la petite différence, en son caractère si particulier, est le symptôme d’une identification au premier Autre, la mère, identification inamovible parce que primitive. Elle constitue un trait saillant de l’identité parce qu’elle marque le lien qui unit imaginairement l’enfant à sa mère dans une unité indestructible (et il s’agit d’un imaginaire archaïque, donc incompressible). Mais se risquer en sujet à l’aventure du désir ne suppose-t-il pas de dénouer au moins un peu cet attachement primaire ? Et comment le dénouer autrement qu’en le nouant à la parole, la parole étant cette place marquée par ce que Lacan appelle le Nom-du-Père – place du tiers symbolique assumant sa fonction de créativité subjective dans les séparations qu’il institue, les passages qu’il autorise entre le même et l’autre ?

30 En termes lacaniens, je dirais alors que les petites différences ne sont pas à situer dans le registre de l’imaginaire seulement (de l’identification primaire à la mère ou de l’identification secondaire à l’image du semblable), mais à la frontière des registres imaginaire et symbolique, c’est-à-dire à la frontière de l’image et de la parole. Ainsi située, la petite différence est un point de jonction de l’image et de la parole, elle est l’image de la parole, la parole faite image dans le processus narcissique de l’identification. Dit autrement, si la petite différence prend une importance démesurée dans le cas de l’affrontement avec « mon semblable, mon frère », c’est parce qu’à cet instant je ne reconnais plus en lui un sujet de parole, mais seulement la surface d’une image : le rapport à la parole s’est complètement imaginarisé, de telle sorte que la différence de la parole – qui indique la différence du sujet d’avec lui-même, la différence de chacun d’avec sa propre image – est prise pour une différence d’image. En d’autres termes encore, parce que je ne reconnais ni en l’autre ni en moi-même la différence fondamentale qui est constitutive de toute identité, parce que je nie l’existence de l’Autre en moi-même et en l’autre, toute différence visible (donc imaginaire) que je percevrai chez l’autre m’apparaîtra comme la révélation exacerbée de son caractère, voire de sa nature, d’étranger n’ayant rien de commun avec moi. Si le frère qui se situe de l’autre côté de la frontière n’est plus celui qui partage la même humanité que moi, en tant qu’être humain est être sujet de parole, alors il est non seulement légitime mais encore obligatoire de l’éliminer.

31 En somme, tuer mon frère au titre de l’inquiétante étrangeté qu’il représente pour moi est une manière de ne pas reconnaître en moi-même cette étrangeté. Plus le frère, dans sa familière étrangeté, me révèle à moi-même comme étranger à ma propre image – plus il me révèle à ma non-coïncidence avec moi-même –, plus il me faut le tenir à distance pour n’en vouloir rien savoir. Cette mise à distance pourra prendre la forme d’une frontière érigée comme un mur infranchissable (que nul n’entre ici s’il est porteur d’étrangeté), mais elle pourra tout aussi bien prendre la forme d’une expulsion ségrégative, voire meurtrière, de ce qui sera perçu comme corps étranger indésirable au sein de la communauté. La thèse défendue ici est que l’étranger frontalier, porteur d’une petite différence – et peu importe si cette frontière est externe à la communauté ou interne à celle-ci, autrement dit peu importe si l’étranger en question est le migrant qui vient d’ailleurs ou l’immigré qui vit, voire est né ici –, est insupportable de par son caractère de semblable et non pas d’étranger. C’est très précisément en tant qu’il est porteur de l’étrangeté commune à tout humain que l’étranger est objet d’hostilité. Ainsi, le très semblable étranger n’est haïssable qu’en tant qu’il témoigne du fait qu’être humain est être constitué par un écart entre soi et soi, qui est l’écart entre l’image et la parole, ce qui fait que la frontière passe peut-être davantage entre moi et je, qu’entre moi et l’autre. Rejeter, bannir ou tuer celui qui vient d’ailleurs est donc nier que l’on vient soi-même d’ailleurs. La mince frontière qui sépare la fraternité du fratricide sera franchie chaque fois que je ne voudrai rien savoir du fait que « Je est un Autre », que je ne m’appartiens pas et que je viens de plus loin que moi-même.

De la guerre civile à la guerre civilisée : frontière de la parole et politisation de la haine

32 Ce rapport contrarié à l’intime fait l’objet d’une réflexion en philosophie politique sous la plume de Giorgio Agamben dans son opuscule La guerre civile, paru en 2015. Sa thèse est qu’il y a actuellement un impensé de la guerre civile, alors même qu’elle fournit depuis l’Antiquité le schéma de la raison politique occidentale. Relevons un élément particulièrement significatif pour notre problématique : d’après Agamben, la guerre civile a pour fonction chez les Grecs de politiser les rapports familiaux et de familialiser les rapports politiques.

33 Politiser les rapports familiaux : dans une guerre civile, un frère peut tuer son frère de sang qui appartient à une autre faction politique, sans encourir la punition que la loi prévoit pour sanctionner le meurtre. Ainsi, « le meurtre de ce qui est le plus intime ne se distingue pas du meurtre de ce qui est le plus étranger [33] ». Les frontières de la fraternité sont dès lors brouillées, les cartes redistribuées : la guerre civile décompose la fraternité de sang pour la recomposer autour du paradigme citoyen. Aussi terrible que cela soit, il s’agit par là de fonder une fraternité citoyenne qui ne soit plus le décalque de la fraternité biologique, l’enjeu étant d’instituer le lien politique à autrui en l’arrachant à la famille de sang, pour l’enraciner du côté de la loi. À partir du moment où les frères sont des frères politiques et non plus des frères de sang (quand bien même ils seraient issus de la même fratrie), ils sont « frères par le sort [34] », autrement dit leur destin commun ne repose plus sur la fatalité généalogique, mais sur leur capacité à vivre le lien social dans le cadre de la citoyenneté fondée sur l’arbitrage du droit.

34 Symétriquement, selon Agamben, la guerre civile permet aussi de familialiser les rapports politiques, ce qui signifie que les liens du sang au sein de l’espace domestique ne sont pas niés mais réaménagés ou reconfigurés. Les frères ne sont plus frères de sang, mais frères par le sort... et pourtant c’est toujours le mot frère (donc un mot du lexique familial) qui est utilisé pour évoquer le citoyen. Il ne s’agit pas de faire disparaître la famille en la dissolvant dans la cité – la cité devenant alors seulement une famille à plus grande échelle –, il s’agit d’assumer la tension frontalière entre famille et cité, de telle sorte que les liens du sang et les liens politiques ne soient jamais confondus, mais toujours corrigés l’un par l’autre. La guerre civile constitue le seuil où opère cette dialectique : elle ne se décrète pas, mais elle éclate inévitablement, soit quand la cité menace de reproduire le modèle de la famille de sang (elle est alors une réaction violente de la cité à une forme d’inceste social), soit quand la famille de sang n’est plus régulée par le référentiel citoyen (elle est alors une réaction violente de la famille à une forme d’inceste domestique). À partir de cette thèse d’Agamben, à la fois en proximité et en écart, je propose d’envisager le lien entre frontière et fraternité en termes non plus de guerre civile mais de guerre civilisée. En ayant conscience que le spectre de la première hante toujours la seconde, de même que le spectre du fratricide hante toujours la fraternité.

35 Comme l’écrit André Green en commentant le Malaise dans la culture : « La raison civilisatrice ne peut s’établir qu’en reconnaissant non seulement la déraison constitutive de l’humain qui en est l’ombre secrète, mais encore sa nature passionnelle-pulsionnelle matière première de notre humanité [35]. » Les liens du sang, qui sont le foyer originel de cette déraison et de cette nature passionnelle-pulsionnelle, ne doivent donc pas faire l’objet d’une dénégation idéaliste, mais doivent être pris en compte et mis en travail dans l’apprentissage long, coûteux et toujours incertain du pacte du langage. La fraternité politique qui en quelque sorte transcende la fraternité biologique, au sens où en parle Agamben, me paraît relever de manière essentielle d’une fraternité symbolique, c’est-à-dire une fraternité constituée comme telle autour du lieu-frontière de la parole. La raison civilisatrice invoquée, peut-être très imprudemment, par la psychanalyse est le logos, moins comme ratio que comme verbo. C’est l’exposition à la parole comme lieu de la différence et du différend qui peut permettre de passer, de manière toujours très provisoire, de la guerre civile à la guerre civilisée.

36 Ceci posé, il me semble que l’idée de guerre civilisée correspond à l’expression chère à Ricœur, dont nous usons et peut-être abusons, de conflit herméneutique. En entendant le mot conflit au sens fort : dans le conflit herméneutique, il s’agit d’instituer politiquement l’espace de la haine, l’espace de son expression et de son élaboration par la parole et la pensée, dans l’épreuve soutenue de la discussion contradictoire. Si l’on échoue à instituer un tel espace dans la polis, il est à craindre que le discours ambiant sur l’union sacrée des défenseurs de la démocratie, sur la nécessité de faire front commun contre la barbarie « toutes confessions confondues [36] », prépare le lit d’un défoulement de haine à venir bien plus que de concorde et de paix. Si la haine liée aux phénomènes identitaires ne trouve pas d’exutoire symbolique dans un authentique conflit des interprétations, c’est-à-dire dans un dialogue rigoureux ne se satisfaisant pas de consensus de surface, il y a à redouter qu’elle finisse par trouver cet exutoire dans le réel, malgré nos bonnes intentions affichées, de manière disproportionnée et sauvage. Cela ne signifie certes pas qu’il suffise de parler pour faire obstacle à la violence – aucune naïveté n’est de mise –, mais il est en revanche certain que ne pas parler en vérité, ne pas traverser ensemble et coûte que coûte l’épreuve de la différence et du différend dans le langage, ne pas déjouer ensemble les pièges de l’identité en les décryptant et en les interrogeant dans la découpe de la parole, revient à ne se laisser aucune chance et à abandonner le dernier mot à la violence (qui est ce qui survient quand il n’y a plus de mot disponible).

37 Il conviendrait alors d’opposer non pas l’amour à la haine, l’union à la division, mais plutôt la haine métabolisée à la haine brute ; la division reconnue, assumée, apprivoisée, à la division refoulée prête à saisir la moindre occasion pour déferler, telle une vague emportant tout sur son passage. Toute société a besoin d’ennemis à haïr. Il est impossible d’échapper à cette condition. Il y a donc des ennemis. Aimer ses ennemis, comme y invite le Sermon sur la montagne (Mt 5, 44), est commencer par reconnaître leur existence. Toute la question est de savoir comment ces ennemis seront aimés, c’est-à-dire comment ils seront nommés, où ils seront repérés, quelles lignes seront tracées entre lui et nous, mais aussi entre nous et nous – et la forme que prendra la haine à leur endroit : une haine purement barbare et sanguinaire, ou une haine domestiquée, une haine politisée ou mieux encore policée. Ainsi, passer de la guerre civile à la guerre civilisée est peut-être le chemin à poursuivre pour les années à venir. C’est dire si les frontières qui constituent notre espace à tous niveaux (psychologique autant que politique) ont vocation à être tout à la fois retracées et retraversées, le risque étant, en les effaçant ou en faisant semblant de vouloir les effacer, de nous effacer nous-mêmes de la surface de la terre.

38 Pour conclure ce point, il me paraît intéressant d’avoir de nouveau recours aux réflexions de Freud sur la psychologie des foules, sachant que la psychologie de la guerre lui est étroitement liée : si la guerre est l’occasion pour l’individu de laisser libre cours à ses pulsions agressives ordinairement réprimées par les contraintes de la civilisation, c’est la foule qui lui procure les conditions idéales d’un tel déchargement pulsionnel [37]. Dans la foule, en effet, le processus de l’identification du moi aux autres moi aboutit systématiquement à une régression intellectuelle couplée à une exacerbation sensuelle [38]. La question est donc de savoir s’il est possible de se soustraire à ce processus aux allures d’ivresse. Il se trouve qu’à la toute fin de « Psychologie des foules », Freud identifie deux lieux de résistance psychique à la logique de masse, deux champs où l’individu parvient à contrecarrer son assimilation dans le collectif et donc potentiellement dans la logique de guerre : l’amour et... la névrose !

39 Dans la relation amoureuse entre deux personnes, où les pulsions sexuelles directes sont – au moins partiellement – détournées quant au but et par conséquent sublimées en tendresse, on n’éprouve aucun besoin de chercher dans d’autres moi que le moi de l’être aimé de quoi alimenter son propre narcissisme. Ne dit-on pas que les amoureux sont seuls au monde ? Ils se suffisent l’un à l’autre tant que dure la « tendre guerre », comme dit le poète (Brel). En ce sens, l’amour de type conjugal constitue un premier foyer de résistance psychique à l’instinct grégaire, à la dissolution des singularités dans le grand magma de l’abstraction universelle : « L’amour pour la femme, note Freud, rompt les liens à la foule propre à la race, à la division en nations et au système social des classes, et accomplit de ce fait des réalisations culturellement importantes [39]. » Preuve que l’universalité véritable est celle des singularités, et non celle des généralités – celle de la foule orgiaque qui fusionne dans la consommation mutuelle, que ce soit de sexe ou de marchandises, voire de sexe comme marchandise.

40 Dans la névrose, les choses se passent un peu différemment : les pulsions sexuelles directes ne sont pas sublimées comme dans l’amour, car leur refoulement a partiellement échoué, ce qui fait qu’elles demeurent puissamment actives à l’état latent dans le psychisme et ressurgissent ponctuellement, à travers le symptôme, dans le retour du refoulé. Le névrosé est le terrain d’un conflit permanent entre ses pulsions sexuelles et l’échec de leur sublimation. De ce fait, dans cet état de guerre intérieure, il est trop divisé en lui-même pour pouvoir s’unir aux autres dans une identification au collectif, ce qui fait de lui un misanthrope congénital. Tout se passe à l’envers de la psychologie des foules : le névrosé est généralement exacerbé du côté intellectuel et régressif du côté sensuel. Et ainsi, dit Freud, « la névrose rend asocial, détache des formations en foule habituelles celui qui en est atteint. On peut dire que la névrose exerce sur la foule une action désagrégeante, exactement comme l’état amoureux [40]. » En somme, vu le danger guerrier que représente la foule (même si toute formation en foule n’est pas nécessairement dangereuse), on est en droit de se dire que tant qu’il restera des amoureux et des névrosés, le pire ne sera pas sûr ! Mais restera-t-il des amoureux et des névrosés dans un monde où les premiers sont sommés de s’aligner sur les standards de la pornographie planétaire, et les seconds priés de se laisser reprogrammer par les thérapies comportementales et la médicalisation du sujet ?

Libres réflexions sur le sans-frontiérisme, l’Occident et le terrorisme

41 En 1967, Lacan affirme la chose suivante : « Notre avenir de marchés communs trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation [41]. » L’effacement des frontières par le libre-échange, corrélé selon Lacan à l’universalisation abstraite du sujet de la science et à l’homogénéisation de la communication par les mass media, réduit le monde à un espace illimité en lui-même, qui voue tel quel l’humanité à la désidentité, à la perte de soi ou du sentiment de soi. Or l’humain, pour être humain et le rester, a besoin de frontières (pour le meilleur et pour le pire), d’où la « prophétie » lacanienne, dans plusieurs allocutions dès la fin des années 1960, d’un retour en force de la ségrégation et du racisme à l’ère de la grande harmonisation, que nous avons depuis appris à nommer « mondialisation » ou « globalisation néolibérale » (les nazis faisant alors figure de précurseurs et le camp de concentration donnant son modèle aux nouvelles formes de regroupement humain [42]). La question est : peut-on imaginer d’autres types de frontières qui permettraient d’être soi sans confusion, sans pour autant devoir s’enfermer dans un entre-soi incestueux ayant pour contrepartie obligée la destruction ou le parcage de tous ceux qui restent à l’extérieur – qui doivent rester dehors, car c’est à cette condition seulement qu’un dedans est perçu comme possible ?

42 Une des figures contemporaines de la ségrégation me paraît révélée dans le terrorisme et dans la réplique qu’il appelle (ou l’appel auquel il réplique) : la guerre que les puissances occidentales mènent contre la terreur. Cette guerre n’est pas du même type que les conflits internationaux entre États auxquels l’histoire nous avait habitués. Il s’agit d’une forme de guerre civile à l’échelle planétaire, le propre du terrorisme étant de pouvoir frapper n’importe qui, n’importe où (il y a deux formes de sans-frontiérisme aujourd’hui : le capitalisme et le terrorisme, le lien entre les deux étant de nature systémique). C’est du moins la thèse d’Agamben : « La forme qu’a prise aujourd’hui la guerre civile dans l’histoire mondiale est le terrorisme [43]. » Dans un monde réduit à l’échelle de village global ou de grande famille économique, c’est-à-dire un monde foncièrement dépolitisé, le terrorisme fonctionnerait comme un seuil de repolitisation des rapports humains, précisément parce qu’il nous met au défi de réinventer la citoyenneté. De fait, l’impuissance idéologique de nos politiciens face au terrorisme et leur incapacité à penser politiquement ce phénomène en se contentant de mesures sécuritaires et de bombardements punitifs qui frisent le terrorisme d’État semblent confirmer que le politique a largement déserté la sphère gouvernementale dans les démocraties occidentales. La tâche qui nous attend – et je laisse délibérément ce « nous » dans l’indéterminé – est de réintroduire le paradigme politique (et non pas seulement éthique) dans nos pensées et nos pratiques, avant tout locales. Le terrorisme nous provoque sur ce terrain-là et si nous nous y dérobons, nous le laisserons seul maître du lieu. Bien sûr, le sujet est particulièrement inflammable et complexe, aussi je n’avance ici qu’avec crainte et tremblement ! Tout au plus partagerai-je pour finir deux réflexions très personnelles. Je m’exprimerai ici en « nous », mais il s’agit bien sûr d’un « nous » fictif – donc un « nous » qui dit la vérité par une voie détournée.

43 – Les étrangers qui nous posent problème, à nous Occidentaux, ne sont ni les Papous de Nouvelle-Guinée ni les Inuits du nord du Canada : ce sont, majoritairement, les Arabo-musulmans, quand bien même parmi eux se trouvent beaucoup de gens qui ne sont ni étrangers, ni arabes, ni musulmans, car il n’en demeure pas moins qu’ils sont perçus comme tels dans l’opinion publique formée (formatée ?) par les médias. Et en définitive, au plan des affects sociopolitiques, peu importe ce que les gens sont, ce qui compte est la manière dont ils sont perçus – même si c’est injuste pour les singularités, mais les singularités sont exactement ce qui n’est pas pris en compte dans l’ordre sociopolitique. Donc, les étrangers qui nous posent problème sont les Arabo-musulmans. Or, malgré un certain discours ambiant sur leur incompatibilité avec les valeurs occidentales, les Arabo-musulmans sont ce qu’il y a de plus proche de l’Occident. Ne serait-ce que par l’histoire : c’est au minimum depuis le viii e siècle que ces univers se côtoient, et même s’interpénètrent, aux plans religieux, philosophique et scientifique autant qu’économique, militaire et politique. Les Arabo-musulmans sont, comme les Occidentaux, des monothéistes, des rationalistes et des théoriciens du politique (la place éminente d’Aristote dans le christianisme et l’islam médiévaux est à cet égard symptomatique [44]). Ils sont également des universalistes, des colonisateurs et des impérialistes (empires omeyyade et ottoman, Saint Empire romain germanique, empires espagnol et britannique). Bref, ils sont notre double, et c’est à ce titre qu’ils sont pour nous objet à la fois de fascination, de crainte et de haine – comme nous le sommes pour eux. Encore une fois, on ne hait pas un pur étranger avec qui l’on n’a rien en commun : on ne hait que son frère (et nous savons bien cela depuis Caïn). Dit autrement, l’alternative « lui ou moi » ou « eux ou nous » ne se pose en ces termes que parce que l’étranger nous est suffisamment proche pour que la question se pose. Ainsi, la haine fratricide s’origine-t-elle dans la porosité de la frontière qui sépare les uns des autres, dans la menace (réelle ou fantasmée) de sa disparition. Haïr est donc reconnaître – certes sous une forme négative – le frère en tant que frère. Haïr est prendre acte de l’existence du frère, c’est-à-dire de celui qui m’est le plus proche et qui, à ce titre, doit m’être aussi le plus lointain.

44 – Les terroristes qui ensanglantent le continent européen ces dernières années sont pratiquement tous de jeunes Occidentaux. Dans leur immense majorité, ils ne viennent pas d’ailleurs, mais d’ici. C’est précisément ce que s’évertue à dénier une certaine classe politique en brandissant la menace stérile de la déchéance de nationalité. Ces jeunes gens sont donc guidés par la haine de soi autant que par la haine de l’autre, c’est même à mon sens la haine de soi (de soi-même comme un autre !) qui est le carburant de leur haine de l’autre, et qui les pousse à tuer en se tuant. Il y a une différence fondamentale entre le soldat de la guerre classique et le soldat de la guerre postmoderne : le poilu de 1917 montait au front parce qu’il savait que s’il restait planqué dans sa tranchée il était bon pour être fusillé, autrement dit il acceptait d’aller faire la guerre pour sauver sa peau – parce qu’il y a une toute petite chance d’échapper aux balles de l’ennemi, tandis qu’il n’y en a aucune d’échapper à celles du peloton d’exécution. Mais le terroriste postmoderne, lui, accomplit sa sinistre besogne pour se faire trouer la peau, sans aucune illusion sur la possibilité d’en réchapper, sans même à mon avis le désir d’en réchapper – on est dans une forme de suicide par meurtre interposé, et il serait peut-être plus juste de parler ici de suicide-attentat plutôt que d’attentat-suicide. La ligne ne sépare plus les amis des ennemis, elle passe au sein du camp ami : ce sont de jeunes Français arabo-musulmans – nos frères en la République – qui ont assassiné le père Jacques Hamel le 26 juillet 2016 dans une église dont les médias ont abondamment précisé que seul un mur mitoyen la sépare de la mosquée où ils allaient prier. Ce mur mitoyen pourra-t-il devenir citoyen par une réactivation du paradigme politique au niveau de nos manières de pratiquer et de penser le lien à autrui ? Sera-t-il l’occasion de tracer ensemble une frontière où nous pourrons nous accueillir mutuellement, ou est-il condamné à être une ligne de front, théâtre d’affrontements aussi fratricides que suicidaires ?


Date de mise en ligne : 20/10/2017.

https://doi.org/10.3917/retm.296.0161

Notes

  • [1]
    Stanislas Breton, « Métaphysique de la limite », Autres temps. Les cahiers du christianisme social 33-34, 1992, p. 62-74.
  • [2]
    Svetlana Alexievitch, La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement (2013), Arles, Actes Sud, 2013, p. 279-280.
  • [3]
    Ibid., p. 355-356.
  • [4]
    Ibid., p. 359-360.
  • [5]
    Voir Michel Foucher, Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique (1988), chap. 14 : « Autour de la Russie. Des fronts, extérieurs, aux frontières, intérieures », Paris, Fayard, 19912, p. 431-470.
  • [6]
    Ibid., p. 470.
  • [7]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture (1929), Paris, PUF, « Quadrige », 1995, p. 56.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi » (1921), dans Id., Essais de psychanalyse, Paris, Payot, « Petite bibliothèque Payot », 1981, p. 162.
  • [10]
    Jacques Lacan, Séminaire XVII. L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Éd. du Seuil, « Le champ freudien », 1991, p. 131.
  • [11]
    Voir Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté » (1919), dans Id., L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1985, p. 212 (note liminaire du traducteur).
  • [12]
    Ibid., p. 215.
  • [13]
    Ibid., p. 246.
  • [14]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, p. 56. Freud avait déjà mentionné cela dans « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 163.
  • [15]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, p. 57.
  • [16]
    Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité » (1918), dans Id., Œuvres complètes, t. XV, Paris, PUF, 2006, p. 86-87.
  • [17]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 205.
  • [18]
    Ibid., p. 207.
  • [19]
    Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, p. 57.
  • [20]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 160.
  • [21]
    Slavoj Žižek, De la croyance (2009), Paris, Jacqueline Chambon – Actes Sud, « Rayon philo », 2011, p. 288-289.
  • [22]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 211. L’auteur souligne.
  • [23]
    Parmi les deux plus marquantes de ces dernières décennies, je retiens celles d’Alain Badiou, Saint Paul. La fondation de l’universalisme, Paris, PUF, « Essais du Collège international de philosophie », 1997, et de Giorgio Agamben, Le temps qui reste. Un commentaire de l’épître aux Romains (2000), Paris, Payot & Rivages, « Bibliothèque Rivages », 2000.
  • [24]
    Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste. Trois essais (1939), Paris, Gallimard, « Folio essais », 1986, p. 184.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    Sigmund Freud, Totem et tabou (1913), Paris, Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 1965.
  • [27]
    Voir Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste, p. 176-185.
  • [28]
    Jacques Lacan, « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 », dans Id., Écrits, Paris, Éd. du Seuil, « Le champ freudien », 1966, p. 459-491 (489). L’auteur souligne.
  • [29]
    Voir ibid., p. 479 et 489.
  • [30]
    René Diatkine, « La cravate croate : narcissisme des petites différences et processus de civilisation », Revue française de psychanalyse 57, 1993, p. 1057-1072 (1065).
  • [31]
    Ibid., p. 1066.
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Giorgio Agamben, La guerre civile. Pour une théorie politique de la stasis (2015), Paris, Points, « Essais », 2015, p. 22.
  • [34]
    Ibid., p. 16.
  • [35]
    André Green, « Culture(s) et civilisation(s), malaise ou maladie ? », Revue française de psychanalyse 57, 1993, p. 1029-1056 (1056).
  • [36]
    Communiqué de la Fédération protestante de France en réaction à l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, consulté sur http://www.protestants.org/fileadmin/user_upload/Protestantisme_et_Societe/documentation/160726-Attentat_St_Etienne_du_Rouvray_communique_FPF_01.pdf.
  • [37]
    Voir Sigmund Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort » (1915), dans Id., Essais de psychanalyse, p. 25 et 39.
  • [38]
    Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du Moi », p. 147.
  • [39]
    Ibid., p. 214.
  • [40]
    Ibid., p. 215.
  • [41]
    Jacques Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », dans Acte de fondation et autres textes, ECFP, p. 26, cité par Lina Velez, « La ségrégation », Psychanalyse 18, 2010, p. 73-79 (77).
  • [42]
    Voir Jacques Lacan, « Première version de la proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », Ornicar ? 8, 1978, p. 5-26 (22) ; « Conférence sur la psychanalyse et la formation du psychiatre à Sainte-Anne » (1967). Ces textes sont consultables sur http://www.valas.fr/IMG/pdf/Lacan_index_ecrits.pdf
  • [43]
    Giorgio Agamben, La guerre civile, p. 30.
  • [44]
    Voir par exemple André Vauchez, Bénédicte Sère, « Les chrétiens d’Occident face aux juifs et aux musulmans au Moyen Âge. xi e-xv e siècle », Recherches de science religieuse 100, 2012, p. 187-208.
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