Notes
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[1]
Comme le rappelle le cardinal Poupard dans sa conférence publiée par la Documentation catholique (DC) n° 2478, p. 993.
-
[2]
Ibidem.
-
[3]
DC n° 1308, col. 907.
-
[4]
DC n° 1368, col. 97-104.
-
[5]
DC n° 1385, col. 1217-1222.
-
[6]
Cette distinction ad intra, ad extra, sera reprise par les cardinaux Suenens et Montini, à la fin de la première session pour mettre de l’ordre dans la masse des schémas les plus divers qui accablait les Pères conciliaires.
-
[7]
DC n° 1383, col. 1377-1386.
-
[8]
Le texte de ce discours fut distribué aux évêques en un magnifique fascicule de 44 pages. Voir DC n° 1410, col. 1345-1361.
-
[9]
Ce sont les mêmes catégories auxquelles le Concile adressera un message avant de se séparer, en décembre 1965.
-
[10]
Voir DC n° 1415, col. 32.
-
[11]
DC n° 1433, col. 1217-1224.
-
[12]
DC n° 1437, col. 1537-1546.
-
[13]
DC n° 1456, col. 1663-1668.
-
[14]
DC n° 1460, col. 2045-2052.
-
[15]
DC n° 1462, col. 59-66.
-
[16]
Paul VI se réfère à Matthieu 25, 40 et cite Jean 14, 9 : « Qui me voit, dit Jésus, voit aussi le Père ».
-
[17]
DC n° 1462, col. 74-76.
-
[18]
Voir Documents conciliaires 6, Discours au concile, Paris, Éd. du Centurion, p. 223. Il donne comme exemples : la constitution de l’Église, « définition détaillée de l’Église », le décret sur la charge pastorale des évêques qui « détermine le rôle des évêques dans leur diocèse, en vertu de la définition de l’épiscopat, telle que la formule la Constitution de l’Église ». Exemples de déclarations : liberté religieuse, rapports avec les non-catholiques, etc. Voir aussi la conférence donnée par le cardinal Poupard, le 29 septembre 2011, dans DC n° 2478, col. 995.
-
[19]
Voir les analyses de Mgr Joseph Doré, texte publié le 16 novembre par DC n° 2476, col. 908-910.
-
[20]
Voir Bilan du concile Vatican II, Paris, Éd. du Seuil, p. 42-45.
-
[21]
Paul VI poursuit : « la prière est notre premier devoir ; la liturgie est la source première de ce divin échange par lequel la vie divine nous est communiquée… » Discours pour la clôture de la 2e session.
-
[22]
« La seule constitution qu’il ait vraiment voulue » d’après le cardinal Garrone, rapporteur du projet.
-
[23]
DC n° 1387, col. 1407-1410.
-
[24]
Textes français publiés par L’Osservatore romano, 10 décembre 1965. Chaque message est lu par un cardinal entouré de deux autres cardinaux et d’un groupe de laïcs.
-
[25]
Gaudium et spes, n° 19-21.
-
[26]
Discours du 7 décembre 1965.
-
[27]
L’intitulé de l’encyclique est ainsi libellé : « Lettre encyclique de S. S. le pape Paul VI à l’épiscopat, au clergé, aux fidèles, à tous les hommes de bonne volonté sur les voies par lesquelles l’Église doit aujourd’hui accomplir sa mission ».
-
[28]
La majorité suffisait désormais pour accepter un schéma comme base de discussion, les deux tiers étant réservés pour l’adoption définitive. Voir Philippe Levillain, La Mécanique politique de Vatican II. La majorité et la minorité dans un concile, Paris, Beauchesne, 1975.
-
[29]
Les cardinaux Agagianian, Lercaro, Suenens, Döpfner. Voir René Laurentin, Bilan de la deuxième session et Bilan du Concile, Paris, Éd. du Seuil.
-
[30]
R. Laurentin, Bilan du concile, p. 17. On reprocha au pape d’être trop attentif aux requêtes de la minorité.
-
[31]
Au vote d’ensemble : sur 2216 votants, 1954 placet, 249 non placet ; au vote de promulgation, sur 2386 votants, 2308 placet, 70 non placet.
-
[32]
DC n° 1457, col. 1720-1738.
-
[33]
Mystici corporis est de 1943. Selon le père Congar, l’ecclésiologie était devenue une « hiérarchologie ».
-
[34]
Lumen gentium n° 4 cite ici saint Cyprien.
-
[35]
Le synode des évêques, réuni à Rome en 1985, pour le 20e anniversaire de la clôture du Concile, a insisté sur « l’ecclésiologie de communion ».
-
[36]
Lumen gentium n° 1.
-
[37]
Voir Lumen gentium n° 22. Il est même dit que le collège apostolique « persévère » dans l’ordre des évêques uni avec sa tête, le pape.
-
[38]
Voir la présentation du décret par le père Congar dans Documents conciliaires 1, Paris, Éd. du Centurion, p. 165-192.
-
[39]
Encyclique Mortalium animos du 4 janvier 1928.
-
[40]
Il s’inscrivait dans la suite de l’initiative, lancée en 1908, par Paul Watson et Spencer Jones. Voir René Girault, L’Œcuménisme, où vont les Eglises ?, p. 82-85.
-
[41]
Instruction Ecclesia catholica, datée du 20 novembre 1949. Voir ouvrage cité, p. 89-90.
-
[42]
Le père Congar a jugé cette formule plus juste que la sienne : « principes d’un œcuménisme catholique ».
-
[43]
Lumen gentium n° 23 cite ici saint Hilaire.
-
[44]
Décret n° 7, 8, 9. Voir DC n° 1438, col. 1649-1658.
-
[45]
Le cardinal Langénieux, archevêque de Reims, légat pontifical au Congrès eucharistique de Jérusalem, avait remis au pape un rapport secret sur la situation des Églises catholiques orientales et sur les relations avec les orthodoxes.
-
[46]
Instituée par Pie IX le 6 janvier 1862, cette section, devenue Congrégation pour l’Église orientale, est chargée « des Églises orientales » au pluriel, depuis la décision prise par Paul VI le 15 août 1967.
-
[47]
Notre traduction renvoie, avec des modifications, à celle donnée par Roger Aubert, p. 282, de Vatican I, Histoire des conciles œcuméniques, n° 12, Éd. de l’Orante, 1964, et à celle de Jean-Michel-Alfred Vacant, p. 10, de La Constitution Dei Filius, t. 1, Delhomme et Briguet éditeurs, 1895.
-
[48]
C’est l’expression retenue dans la titulature de la constitution.
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[49]
Voir Vatican II, La Révélation divine, t. 1, p. 20, Unam sanctam 70 A, Paris, Éd. du Cerf, 1968. Le texte s’achève en se référant à S. Augustin, L’Enseignement religieux des simples, IV, 8. PL, 40, 316.
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[50]
Tous les documents du Concile portent en tête : « Paul évêque, Serviteur des serviteurs de Dieu, avec (una cum) les Pères du Concile, en perpétuelle mémoire ».
-
[51]
Voir la conférence déjà citée du cardinal Paul Poupard, DC n° 2478, col. 997.
-
[52]
Voir article cité, DC n° 2476, col. 908.
-
[53]
En Pologne, par exemple, et en France, avec les Mouvement des Équipes Notre-Dame, fondé en 1947 par le père Caffarel. En 1975, Paul VI prononça un discours remarqué aux Équipes Notre-Dame rassemblées à Rome.
-
[54]
GS n° 48. Ce 1er paragraphe se conclut ainsi : « Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité. »
-
[55]
GS n° 57-59.
-
[56]
Après Mater et magistra et Pacem in terris de Jean XXIII, rappelons entre autres Populorum progressio et Octoginta adveniens de Paul VI, puis Laborem exercens et Centesimus annus de Jean-Paul II, enfin Caritas in veritate de Benoît XVI.
-
[57]
Voir le Décret Ad gentes sur la mission de l’Église « tout entière missionnaire ».
-
[58]
Paru en 1986, Éd. Nouvelle Cité. La réflexion de l’auteur fait suite au Synode des évêques convoqué en 1985 par Jean-Paul II, pour célébrer le 20e anniversaire de l’ouverture du Concile.
-
[59]
Voir la conférence citée, DC n° 2478, col. 1002.
-
[60]
Lumen gentium, n° 48.
-
[61]
Gaudium et spes, n° 45.
-
[62]
Evangelii nuntiandi, n° 2.
1Deux papes ont présidé le concile de Vatican II, ouvert le 11 octobre 1962 et clôturé, au terme de quatre sessions, le 8 décembre 1965. Le premier, Jean XXIII, l’a convoqué et inspiré ; le second, Paul VI, l’a conduit avec détermination à son heureux aboutissement. Pourtant, on ne peut imaginer personnalités plus différentes : l’un, d’origine paysanne, de forte corpulence, de tempérament bonhomme et pragmatique ; l’autre, d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle, à la silhouette fragile, diplomate et réfléchi. Qui songeait à un Concile, en cette fin pénible du règne de Pie XII, dont le successeur, « un pape de transition », était âgé de 78 ans ?
Un événement inattendu
2L’annonce de la convocation d’un concile œcuménique par Jean XXIII, le 25 janvier 1959, à Saint-Paul-hors-les-Murs, fut une surprise considérable, d’autant plus que certains pensaient que, depuis le dogme de l’infaillibilité pontificale promulgué au concile de Vatican I, les conciles n’étaient plus nécessaires [1].
3Le pape a confié que cette décision, communiquée aux cardinaux, était le fruit d’une inspiration personnelle qui avait mûri en lui. À tous ceux qui s’interrogeaient sur ce que pouvait être ce futur concile, il répondait, à sa manière familière et imagée, par des confidences en privé comme en public : le concile serait une joie pour l’Église, une fenêtre ouverte, la fleur spontanée d’un printemps inattendu [2]. Que signifiait, exactement, l’aggiornamento qu’il évoquait ?
4Une commission anté-préparatoire, puis une douzaine de commissions préparatoires se mirent activement au travail. Dans l’encyclique Ad Petri cathedram, du 29 juin 1959, le pape assignait au Concile le but suivant :
Promouvoir le développement de la foi catholique, le renouveau moral de la vie chrétienne des fidèles, l’adaptation de la discipline ecclésiastique aux besoins et aux méthodes de notre temps,
6et il ajoutait :
Ce sera assurément un admirable spectacle de vérité, d’unité et de charité, dont la vue sera, Nous en avons confiance, pour ceux qui sont séparés de ce Siège apostolique, une douce invitation à rechercher et à trouver cette unité pour laquelle Jésus Christ a adressé à son Père une si ardente prière [3].
8Le 25 décembre 1961, le pape publia la Bulle d’indiction du concile. Dans sa forme canonique, elle s’ouvrait sur une constatation :
Tandis que l’humanité est au tournant d’une ère nouvelle, de vastes tâches attendent l’Église, comme ce fut le cas à chaque époque difficile. Ce qui lui est demandé maintenant, c’est d’infuser les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l’Évangile dans les veines du monde moderne ; ce monde qui est fier de ses dernières conquêtes techniques et scientifiques, mais qui subit les conséquences d’un ordre temporel que certains ont voulu réorganiser en faisant abstraction de Dieu [4].
10Il insistait sur deux points : d’une part, le Concile doit faire la clarté sur la doctrine et être un exemple de charité fraternelle « pour que les chrétiens séparés du Siège apostolique aspirent plus vivement à l’unité et que le chemin qui y conduit soit aplani pour eux » ; d’autre part, « faire naître et encourager chez tous les hommes de bonne volonté des pensées et des résolutions de paix ». Appelant à la prière non seulement les fidèles catholiques, mais aussi les chrétiens séparés, il évoquait pour finir une « nouvelle Pentecôte ».
11L’intense travail préparatoire, qui aboutissait à la rédaction de 70 schémas, révélait des réticences, des résistances, des conservatismes. Aussi, juste un mois avant l’ouverture officielle, Jean XXIII adresse-t-il « un message au monde entier », au titre significatif : Ecclesia Christi lumen gentium [5]. Tout est prêt, assure-t-il, pour le Concile, qui doit être « une véritable joie pour l’Église universelle du Christ ». Il précise la double tâche du Concile : « L’Église veut être cherchée telle qu’elle est, dans sa structure intime – sa vitalité ad intra – » et elle doit être considérée « sous le rapport de sa vitalité ad extra [6] ». Il ajoute que le Concile « pourra proposer, en un langage clair, les solutions que réclament la dignité de l’homme et sa vocation chrétienne ». En face des pays sous-développés, l’Église veut être « l’Église de tous et particulièrement l’Église des pauvres ». Enfin, il souligne l’importance de la liberté religieuse « qui ne se réduit pas à la liberté de culte », de la paix, de la fraternité humaine et de l’unité chrétienne.
Le discours d’ouverture
12Par étapes, Jean XXIII a donc évoqué les thèmes soumis au Concile, et surtout l’esprit dans lequel il doit les aborder. Il restait à conduire à son terme cette progressive pédagogie avec le fameux discours d’ouverture du Concile, le 11 octobre 1962 [7]. Après avoir rappelé que tous les conciles « attestent clairement la vitalité de l’Église catholique et sont comme des flambeaux jalonnant son histoire », il indiquait que l’idée du présent concile lui était venue de façon « tout à fait imprévue », avant d’affirmer avec force son « complet désaccord avec ces prophètes de malheur qui annoncent toujours des catastrophes (…) et qui se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur apprendre ». Il préférait « reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui (…) disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événement contraires ».
13Quelle est donc la principale tâche du Concile ? Conserver le dépôt sacré de la doctrine chrétienne et le présenter d’une façon plus efficace. Pour cela, si l’Église ne doit pas détourner son regard de l’héritage des anciens, il importe qu’elle se tourne vers les temps présents qui « entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie et ouvrent de nouvelles voies à l’apostolat catholique ». Qu’il faille transmettre la doctrine dans son intégrité n’implique pas qu’il suffit de répéter plus abondamment ce qui a déjà été dit. La célèbre distinction entre « le dépôt lui-même de la foi » et « la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée » introduit la conclusion : « recourir à une façon de présenter qui corresponde mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral ». En effet,
ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est l’adhésion de tous, dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans sa plénitude, transmise avec cette précision de termes et de concepts qui a fait la gloire particulièrement du concile de Trente et du 1er concile du Vatican.
15Restait à préciser l’attitude du Concile vis-à-vis des erreurs, auxquelles l’Église n’a jamais cessé de s’opposer. Le choix de Jean XXIII est net :
Aujourd’hui, l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine.
17Citant saint Augustin, il pouvait conclure :
Voilà ce que propose le IIe concile œcuménique du Vatican. En unissant les forces majeures de l’Église, et en travaillant à ce que l’annonce du salut soit accueillie plus favorablement par les hommes, il prépare en quelque sorte et il aplanit la voie menant à l’unité du genre humain, fondement nécessaire pour faire que la cité terrestre soit à l’image de la cité céleste « qui a pour roi la vérité, pour loi la charité et pour mesure l’éternité ».
19Même si la portée de ce discours ne fut pas saisie sur le moment, le pape venait de donner au Concile un objectif général, un esprit d’ouverture à l’égard du monde, une approche des problèmes dans un climat de bienveillance, de paix et de confiance sereine en la Providence.
20Le monde entier suivit avec émotion l’agonie du « bon pape Jean », mort le 3 juin 1963, lendemain de la Pentecôte. Il revenait à son successeur Paul VI d’assumer l’héritage, en précisant le travail des Pères, en canalisant, si l’on ose dire, l’élan donné, d’autant plus que les difficultés étaient apparues au cours de la première session.
La charte de Paul VI
21Le 29 septembre 1963, le discours d’ouverture de la deuxième session était donc très attendu.
Cette réunion solennelle et fraternelle, où se rencontrent les représentants de la terre entière (…) mérite vraiment le nom prophétique d’Église, c’est-à-dire de rassemblement, de convocation (…) Un mystère d’unité resplendit au-dessus d’un mystère de catholicité, et le spectacle d’universalité que nous offrons rappelle l’origine apostolique (…) Il rappelle aussi la mission sanctificatrice de l’Église.
23Successeur de Pierre, le pape remercie ses frères, les évêques, « héritiers authentiques du Collège apostolique », de leur témoignage d’obéissance et de confiance. Et il précise que cette allocution pourrait « servir de prélude non seulement au Concile, mais aussi à Notre Pontificat », comme une encyclique adressée de vive voix [8].
24Marchant sur la voie tracée par Jean XXIII, qui a appelé ses frères « à poursuivre l’étude doctrinale interrompue (depuis Vatican I) et le travail législatif suspendu », Paul VI rappelle l’autre objectif voulu par son prédécesseur : « Tout en marquant de la sorte l’objectif le plus élevé du Concile, vous lui avez joint un autre but plus urgent et de nature actuellement plus bienfaisante, le but pastoral », avec la conviction que la doctrine catholique « ne doit pas être seulement vérité à explorer par la raison sous la lumière de la foi, mais parole génératrice de vie et d’action ».
25Le pape s’interroge alors sur la marche à poursuivre, sur son début et sa fin, et il apporte une seule réponse solennelle qui recentre la tâche du Concile :
C’est le Christ, le Christ qui est notre principe, le Christ qui est notre voie et notre guide, le Christ qui est notre espérance et notre fin.
27Et Paul VI évoque la magnifique mosaïque de Saint-Paul-hors-les-Murs représentant le Christ Pantocrator en majesté, avec, à ses pieds, tout petit, le pape Honorius III prosterné en signe d’adoration.
28Une fois posé le fondement, le pape présente en quatre points les buts principaux du Concile : « la connaissance, ou, si l’on préfère, la conscience de l’Église, son renouveau, le rétablissement de l’unité de tous les chrétiens, le dialogue de l’Église avec les hommes d’aujourd’hui ». Chacun de ces points est alors développé. En voici quelques citations.
291. « L’Église est un mystère, c’est-à-dire une réalité imprégnée de présence divine et qui peut toujours être l’objet de nouvelles et plus profondes recherches. » La vérité concernant l’Église du Christ est au cœur du travail du Concile, car elle doit être explorée, ordonnée et exprimée « non pas peut-être en ces formules solennelles qu’on nomme définitions dogmatiques, mais en des déclarations par lesquelles l’Église se dit à elle-même, dans un enseignement plus explicite et plus autorisé, ce qu’elle pense d’elle-même ». Tout en sauvegardant les déclarations dogmatiques de Vatican I sur le Pontife romain, il faudra approfondir la doctrine sur l’épiscopat, ses fonctions et ses rapports avec Pierre.
302. Renouveau et tradition. Seule l’imitation du Christ et l’union mystique avec lui peuvent accroître la perfection et la sainteté de l’Église : une étude plus assidue de la Parole de Dieu et une éducation à la charité seront au cœur de son perfectionnement. Aussi :
le renouveau visé par le Concile ne consiste donc pas en un bouleversement de la vie présente de l’Église, ni en une rupture avec sa tradition dans ce que celle-ci a d’essentiel et de vénérable, mais elle est plutôt un hommage rendu à cette tradition, dans l’acte même qui veut la débarrasser de tout ce qu’il y a en elle de caduc et de défectueux, pour la rendre authentique et féconde.
323. Unité dans la diversité et pardon réciproque. L’unité peut se vérifier « dans une large diversité de langues, de rites, de traditions historiques, de prérogatives locales, de courants spirituels, d’institutions légitimes, d’activités préférées ». À l’égard des frères séparés, ce sera un « Concile d’invitation, d’attente, de confiance dans une future participation plus large et fraternelle à son œcuménicité authentique ». Ayant salué les observateurs représentants des autres communautés chrétiennes, Paul VI poursuit :
Si, dans les causes de cette séparation, une faute pouvait nous être imputée, nous en demandons humblement pardon à Dieu et nous sollicitons aussi le pardon des frères qui se sentiraient offensés par nous. Et nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à pardonner les offenses dont l’Église catholique a été l’objet et à oublier les douleurs qu’elle a éprouvées dans la longue série des dissensions et séparations.
344. Mission de l’Église et dialogue avec le monde. Le pape relève d’abord un phénomène singulier :
Tandis que l’Église, en animant toujours davantage sa vie interne de l’Esprit Saint, se différencie et se détache de la société qui l’entoure, elle apparaît en même temps comme un levain vivifiant et un instrument de salut pour ce même monde. De même, elle découvre et confirme la vocation missionnaire qui est essentielle pour elle.
36La persécution des frères chrétiens et les progrès de l’athéisme sont des sujets d’amertume ; cependant, le pape affirme avec force :
Que le monde le sache : l’Église le regarde avec une profonde compréhension, avec une admiration vraie, sincèrement disposée non à le subjuguer, mais à le servir ; non à le déprécier, mais à accroître sa dignité ; non à le condamner, mais à le soutenir et à le sauver.
38Paul VI conclut en énumérant les catégories de personnes auxquelles le Concile est attentif [9]. Le 4 décembre, il clôt la deuxième session en soulignant son bilan positif et en annonçant le pèlerinage en Terre Sainte [10].
Discours aux troisième et quatrième sessions
39Le 14 septembre 1964, le discours d’ouverture de la troisième session [11], consacrée surtout aux schémas touchant l’Église, permet au pape de souligner que, cependant, l’Église n’a pas en elle-même sa propre fin :
Qu’on ne croie pas qu’en agissant ainsi l’Église s’attarde dans quelque acte de complaisance en elle-même en oubliant, d’une part, le Christ, dont elle reçoit tout et à qui elle doit tout et, d’autre part, l’humanité qu’elle a mission de servir. L’Église vient prendre place entre le Christ et le monde : elle n’est pas satisfaite d’elle-même, elle n’est pas un écran opaque, elle n’est pas à elle-même sa propre fin, mais elle désire avec ardeur être tout entière du Christ, dans le Christ et pour le Christ ; tout entière également des hommes, parmi les hommes et pour les hommes, comme une humble et glorieuse médiation entre le Sauveur et l’humanité, afin de conserver et de répandre la vérité et la grâce de la vie surnaturelle.
41Le discours se conclut sur une évocation lyrique des Églises séparées et sur un salut au monde, rappelant ainsi les autres préoccupations du Concile.
42Comme pour la session précédente, le discours de clôture [12] fait un bilan et rappelle les sujets encore à traiter, puis soulève l’enthousiasme des Pères par la proclamation de « Marie Mère de l’Église, c’est-à-dire de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que des pasteurs ».
43Ouverte le 14 septembre 1965, la quatrième session est la dernière ; par respect pour la liberté des évêques, le pape ne dit rien des schémas importants – la liberté religieuse, la Révélation, l’Église et le monde – qu’il faut encore discuter et achever, mais il insiste sur l’écoute de l’Esprit-Saint et sur la marque d’un triple amour qu’il faut imprimer au Concile : envers Dieu, envers l’Église, envers l’humanité. Il annonce la création du Synode des évêques et le voyage à l’onu [13]. À mi-parcours d’une session riche en décisions, Paul VI prépare l’après-Concile en précisant le sens véritable de l’aggiornamento dans son discours du 18 novembre 1965 :
Il signifiera donc désormais pour nous pénétration éclairée dans l’esprit du Concile et fidèle mise en application des directives qu’il a tracées d’une manière si heureuse et si sainte. Nous pensons que c’est dans cette ligne que doit se développer l’esprit nouveau de l’Église : clercs et fidèles trouveront un magnifique programme de travail spirituel pour le renouvellement de leur vie et de leur activité selon le Christ [14].
45Le 7 décembre 1965, veille de la clôture du Concile, Paul VI s’interroge sur la valeur religieuse du Concile [15] ; il répond ainsi aux objections de ceux qui pensent que les Pères ont passé trop de temps à s’occuper de questions temporelles et contingentes. Si plusieurs documents « laissent clairement transparaître cette intention religieuse », il est vrai que le Concile « s’est très vivement intéressé à l’étude du monde moderne ». Mais il l’a fait sous l’impulsion de l’Esprit-Saint « qui donne à l’Église la vision à la fois profonde et totale de la vie et du monde », si bien que « grâce au Concile, la manière de concevoir l’homme et l’univers en référence à Dieu comme à leur centre et à leur fin s’est élevée devant l’humanité, sans craindre l’accusation d’être dépassée et étrangère à l’homme ».
46Le Concile a certes porté sur l’homme un regard de sympathie, volontairement optimiste, car il a voulu le servir ; cependant, « l’Église se penche sur l’homme et sur la terre, mais c’est vers le royaume de Dieu que son élan la porte » car « la religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu ». Ce nouvel humanisme est-il anthropocentrique ? Non pas, puisque « pour connaître l’homme, l’homme vrai, l’homme tout entier, il faut connaître Dieu », mais il faut rappeler que
à travers le visage de tout homme (…) Nous pouvons et devons reconnaître le visage du Christ, le Fils de l’homme, et si sur ce visage du Christ, nous pouvons et devons reconnaître le visage du Père céleste, notre humanisme devient christianisme, et notre christianisme se fait théocentrique, si bien que nous pouvons également affirmer : pour connaître Dieu, il faut connaître l’homme [16].
48Aux applaudissements des Pères, on apprend qu’au même moment, à Constantinople et à Rome, sont levées les excommunications réciproques de 1054. Le 8 décembre, le bref discours de clôture [17] évoque l’Église du silence, dont les évêques sont absents, et affirme que « pour l’Église catholique, personne n’est étranger, personne n’est exclu, personne n’est lointain ». Le salut adressé aux Pères conciliaires propose, pour finir, la beauté de Marie Immaculée comme modèle qui inspire et espérance réconfortante.
Cohérence de l’œuvre et des textes
49Conduit et orienté par Jean XXIII, qui l’a inauguré, et par Paul VI, qui l’a achevé, le Concile est parvenu, dans une dynamique qui s’est affirmée progressivement, à une cohérence de pensée inimaginable lorsque les Pères avaient reçu les soixante-dix schémas préparés avant l’ouverture. Ont été promulgués, au fil des sessions, seize documents : quatre constitutions, neuf décrets, trois déclarations.
50Comme l’explique le père Joseph Salaün, a.a. [18], ces textes ne sont pas à mettre sur le même plan.
Les constitutions sont des élaborations de vérités révélées (…) Les décrets prévoient des modifications pratiques (…) Les déclarations sont des prises de position sur des problèmes d’actualité et définissent des comportements sur des points précis.
52On le sait : deux des constitutions sont dogmatiques (L’Église, Lumen gentium, la Révélation, Dei Verbum), une est pastorale (L’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes), une n’a pas de qualificatif (La liturgie, Sacrosanctum concilium, à la fois doctrinale et pratique) [19].
53Reconnaissant que la constitution sur l’Église est la « pièce maîtresse » de l’œuvre conciliaire, l’abbé René Laurentin distribue, avec raison, les autres documents en « chartes de rénovation ou de réforme », d’une part, en « chartes du dialogue », d’autre part. [20]
54Si l’on se rappelle l’insistance de Paul VI sur l’Église, qui n’est pas à elle-même sa propre fin, car elle est tout entière du Christ, et tout entière des hommes, il semble pertinent d’ordonner les textes du Concile en fonction de cette double relation, la constitution Lumen gentium étant au centre de la pensée conciliaire. La relation avec Dieu et le Seigneur est manifeste avec la constitution sur la Révélation dont le Christ est « le médiateur et la plénitude », et celle sur la liturgie qui met « Dieu à la première place [21] ». La relation avec les hommes et le monde est explicitée par la constitution pastorale Gaudium et spes, les déclarations sur la liberté religieuse dans Dignitatis humanae et les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes dans Nostra aetate, le décret sur les communications sociales Inter mirifica. Le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio répond aux préoccupations œcuméniques exprimées par Jean XXIII et confirmées par Paul VI ; il promeut le dialogue de l’Église catholique avec les autres chrétiens, dont les relations avec l’Église catholique sont explicitées au chapitre II de Lumen gentium. Tous les autres décrets sont une application de tel ou tel chapitre de cette constitution dogmatique, qui est vraiment au cœur de l’œuvre du Concile : sept décrets traitent respectivement de la charge pastorale des évêques, du ministère et de la vie des prêtres, de leur formation, de l’apostolat des laïcs, de la rénovation et de l’adaptation de la vie religieuse, des Églises catholiques orientales, de l’activité missionnaire de l’Église. L’éducation chrétienne fait l’objet d’une déclaration.
55Le cheminement du Concile dans son travail, orienté par les discours du pape, est assez remarquable. Jean XXIII eut l’heureuse intuition de proposer comme premier schéma à étudier celui sur la liturgie, qui obtint un consensus surprenant, fruit du Mouvement liturgique depuis le début du xxe siècle, marqué par les réformes de Pie XII touchant la vigile pascale et le bréviaire ; la constitution fut donc promulguée dès le 4 décembre 1963. Venait ensuite le schéma sur la Révélation, qui fut rejeté et dut être radicalement retravaillé pour être promulgué le 18 novembre 1965. Au cœur des travaux des deuxième et troisième sessions, le schéma sur l’Église fut promulgué le 21 novembre 1964. Il fallut attendre la fin de la dernière session pour que soit promulgué, le 7 décembre 1965, le fameux « schéma XIII » sur l’Église dans le monde de ce temps, après cinq refontes successives. Cette constitution pastorale, si nouvelle dans son esprit et sa forme, mais qui répondait aux vœux de Jean XXIII [22], avait dû surmonter résistances et critiques grâce au soutien de Paul VI. Il n’était pas surprenant qu’elle fût la dernière à être votée.
Singularité du concile de Vatican II
56Pour la première fois dans l’histoire, un concile œcuménique rassemblait des évêques autochtones, représentant toutes les nations ; au concile de Vatican I, des nations autres que l’Europe et le monde méditerranéen étaient certes présentes, mais leurs évêques étaient des missionnaires occidentaux. Le nombre considérable des Pères convoqués, plus de deux mille huit cents, posait d’énormes problèmes d’organisation. Si les évêques des pays derrière le Rideau de fer furent empêchés de participer, les Pères conciliaires étaient quelque deux mille cinq cents à l’ouverture du Concile, et ils furent environ deux mille trois cents à prendre part habituellement aux sessions.
57Alors que, pour préparer le concile de Vatican I, une quarantaine d’évêques seulement avait été consultée, Jean XXIII voulut que la consultation fût étendue à tous les évêques, à tous les supérieurs majeurs, à toutes les Universités catholiques et aux Facultés ecclésiastiques. Le résultat fut une masse de documents consignés dans plusieurs volumes, que les commissions préparatoires durent classer, avant de les étudier pour préparer les soixante-dix schémas soumis aux Pères conciliaires.
58Une innovation frappante fut l’invitation adressée à des observateurs des Églises orthodoxes et protestantes. Pie IX avait certes invité les patriarches et évêques orthodoxes à participer au concile de Vatican I, à condition qu’ils fissent retour à l’Église romaine : il n’avait essuyé que silence ou mépris. Les Conciles d’union, Lyon II en 1274, et Ferrare-Florence en 1439, n’avaient pas porté de fruits. Conscient qu’il fallait procéder par étapes pour aplanir les voies de l’unité, Jean XXIII proposa des « observateurs », qui ne voteraient pas avec les Pères, mais auraient accès à tous les textes et participeraient aux travaux des commissions comme aux congrégations générales. Cette initiative fut un succès, apprécié de tous les observateurs.
59Même si, lors des conciles œcuméniques au premier millénaire puis des conciles réunis en Occident au second, les empereurs et les rois, « les princes temporels », étaient présents ou représentés (mais pas à celui de Vatican I), au concile de Vatican II furent invités des auditeurs laïcs, puis des auditrices. C’était là aussi une innovation.
60Enfin, pour la première fois de l’histoire, un concile de l’Église catholique voulut s’adresser au monde. Dès septembre, les pères Chenu et Congar avaient préparé un projet de message ; récrit par des évêques, Mgr Guerry, Garrone et Ancel, le « Message du Concile à tous les hommes » fut voté, peu après l’ouverture, le 20 octobre 1962. Assemblés sous la conduite de l’Esprit-Saint, les successeurs des apôtres cherchent d’abord à se renouveler eux-mêmes ; témoins de l’amour du Père et du Christ, ils assurent que, bien loin de les détourner de leurs tâches terrestres, leur adhésion au Christ dans la foi, l’espérance et l’amour, les engage tout entiers au service de leurs frères. Ils poursuivent :
Nous attendons d’ailleurs des travaux du Concile que, donnant à la lumière de la foi un éclat plus vif, elle procure un renouveau spirituel et, par répercussion, un heureux élan dont bénéficient les valeurs d’humanité : les découvertes de la science, le progrès technique et la diffusion de la culture [23].
62Sont relevés deux points sur lesquels Jean XXIII a insisté : la paix et la justice sociale.
63La constitution Gaudium et spes réalisera la promesse contenue dans ce « Message à tous les hommes ». C’était à l’ouverture du Concile. À sa clôture, le Concile, s’inspirant du discours de Paul VI, a tenu à adresser des messages à diverses catégories de personnes : les gouvernants, les hommes de la pensée et de la science, les artistes, les femmes, les travailleurs, les pauvres, les malades et tous ceux qui souffrent, les jeunes [24]. Pourquoi ces messages ? Sans doute pour manifester que, si le Concile est achevé à Rome, commence dans le monde l’après-Concile, et sa mise en application. On ne veut oublier personne, et on adresse à tous des paroles de paix et de sympathie, conformément à l’esprit du Concile initié par le « bon pape Jean ».
Abandon des anathèmes et nouvelle démarche théologique
64Le Concile s’est conformé au vœu de Jean XXIII : user de miséricorde plutôt que de sévérité. S’il a dénoncé des erreurs comme, par exemple, l’athéisme dont il a analysé les diverses formes [25], il n’a pas prononcé d’anathèmes, contrairement à l’usage de tous les Conciles précédents. En conséquence, certains lui ont reproché un manque de rigueur dans l’exposé de la doctrine.
65Conformément aussi aux orientations de Paul VI, il a proposé un enseignement explicite et autorisé, mais pas avec ces formules solennelles qu’on nomme définitions dogmatiques. Pour la première fois dans l’histoire des Conciles, il a exposé son enseignement selon trois types de documents : constitutions, décrets, déclarations. Mais surtout, son attitude bienveillante et compréhensive à l’égard du monde l’a conduit à une démarche théologique « inductive », car elle part de l’observation des faits pour y discerner, à la lumière de la foi, ce qui est conforme ou non à l’Évangile. Il s’agit de scruter les « signes des temps ».
66Gaudium et spes expose cette approche :
Pour mener à bien cette tâche (poursuivre sous l’impulsion de l’Esprit consolateur l’œuvre du Christ venu servir et non être servi), l’Église a le devoir de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques.
68Allant plus loin, la constitution pastorale précise :
Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur, le Peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps auquel il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu.
70Largement orchestré par la constitution pastorale, cet effort de discernement se retrouve dans deux déclarations. Celle sur la liberté religieuse commence par cette constatation :
La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l’objet d’une conscience toujours plus vive ; toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l’homme la possibilité d’agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité.
72La première partie, doctrine générale sur la liberté religieuse, est suivie par une seconde : la liberté religieuse à la lumière de la Révélation.
73Le préambule de l’autre déclaration, sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, commence par ces mots :
À notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent, l’Église examine plus attentivement quelle est son attitude à l’égard des religions non chrétiennes.
75Suit une brève présentation de l’essentiel de chaque religion considérée et cette double affirmation :
L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions (…) (qui apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes). Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité, la vie ».
77Pour remplir la mission de l’Église, le concile de Vatican II « s’est très vivement intéressé à l’étude du monde moderne », remarque Paul VI, qui poursuit :
cette attitude, provoquée par l’éloignement et les ruptures qui séparèrent l’Église de la civilisation profane au cours des siècles derniers, surtout au xixe s. et en notre siècle, est toujours inspirée par la mission de salut qui est essentielle à l’Église [26].
79Le Concile marque donc une révolution dans l’attitude de l’Église à l’égard de la société et du monde modernes.
80Rien ne l’illustre mieux que deux documents, parus à un siècle de distance : le 8 décembre 1864, Pie IX promulgue le Syllabus, catalogue des quatre-vingts erreurs du monde moderne, dont la dernière est la plus célèbre : « Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et composer avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. » Le 6 août 1964, en plein Concile, Paul VI publie l’encyclique Ecclesiam suam dont la troisième partie est consacrée au dialogue : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation » ; puisque la Révélation à travers l’histoire du salut est comme un dialogue que Dieu a voulu nouer avec les hommes, l’Église est appelée à un dialogue dans la vérité et la charité, en quatre cercles concentriques : avec tous les hommes, y compris les athées, avec les croyants, avec les chrétiens, avec les fils de l’Église [27].
L’expérience de la responsabilité collégiale
81Avant que la doctrine sur la collégialité des évêques ne soit précisée au chapitre III de Lumen gentium, ce fut une expérience vivante. On sait l’importance de l’intervention des cardinaux Liénart et Frings obtenant le rejet par l’assemblée des commissions préparées par la Curie pour disposer du temps nécessaire à la constitution de commissions composées par le Concile. Ce fut un symbole de la volonté du Concile d’affirmer sa propre responsabilité.
82Venus de toutes les parties du monde, les évêques devaient apprendre à se connaître, à se rencontrer et à discuter ensemble, pas seulement dans les commissions qui avaient à travailler durant les intersessions. Le recours aux théologiens et aux experts permit aussi une collaboration fructueuse, dont certains regrettèrent de ne plus disposer, une fois le Concile terminé.
83La discussion engagée à propos du schéma « De fontibus » (les deux sources de la révélation) fit apparaître un clivage entre une majorité et une minorité, avec le risque d’un blocage, puisque le rejet du texte n’obtint pas la majorité suffisante prévue par le règlement. L’arbitrage de Jean XXIII permit de sortir de l’impasse : le 21 novembre 1962, le schéma fut retiré et sa refonte confiée à une commission mixte coprésidée par le cardinal Ottaviani, président de la Commission doctrinale, représentant la minorité, et le cardinal Béa, président du Secrétariat pour l’unité, représentant la majorité. Le dialogue fructueux entre les deux tendances aboutit à la remarquable constitution dogmatique Dei Verbum.
84L’incident révélait le défaut du règlement, qui fut changé par Paul VI, afin de ne pas supposer, quand un texte est proposé à l’examen, un consensus qu’il s’agit justement de construire [28]. Comme le Conseil de présidence était chargé seulement de veiller au respect du règlement, quatre modérateurs [29] furent désignés pour orienter les travaux du Concile. Ils avaient le droit de poser des questions pour trancher les débats. Ce fut fait, par exemple, le 29 octobre 1963, sur la consécration sacramentelle des évêques, le collège qu’ils forment unis au pape et leur pouvoir de droit divin, sur le diaconat et sur l’insertion du schéma sur Marie dans la constitution sur l’Église. En outre, le « plan Döpfner », réduisant le nombre des schémas à dix-sept, clarifia et accéléra le travail du Concile.
85Au concile de Vatican I, avec l’appui de Pie IX, la majorité avait triomphé de la minorité, qui avait préféré quitter l’assemblée avant le vote final sur l’infaillibilité pontificale. Paul VI voulut éviter la victoire d’une tendance sur une autre ; usant du droit de tout évêque de proposer des amendements, il intervint à plusieurs reprises, de façon discrète, « en modérant les plus avancés comme en stimulant les plus attardés » car il cherchait à rallier l’ensemble des Pères aux décisions prises [30]. Le résultat fut acquis, puisque tous les textes furent votés à une quasi-unanimité, même le plus contesté, celui sur la liberté religieuse [31].
86La recherche de l’unanimité fut favorisée par les voyages spectaculaires que Paul VI entreprit durant le Concile. Ils illustraient les grandes orientations explicitées par ses discours d’ouverture ou de clôture des sessions. Le premier pèlerinage d’un successeur de Pierre en Terre sainte, du 4 au 6 janvier 1964, marquait la volonté de marcher sur les pas du Christ et de retrouver les sources de la Révélation, puis de manifester l’importance de la recherche de l’unité lors de la rencontre avec le patriarche Athénagoras, que précédait l’entrevue avec les patriarches des Églises orientales catholiques. Avec le voyage à Bombay (2-5 décembre 1964), Paul VI signifiait que l’Église allait à la rencontre des grandes religions non chrétiennes et qu’elle se voulait proche des pauvres.
87La visite à l’onu, le 4 octobre 1965, fut tout aussi remarquable. Accompagné par huit cardinaux venus de toutes les parties du monde, le pape rencontrait pour la première fois les représentants de toutes les nations auxquelles les apôtres avaient été envoyés voilà près de vingt siècles. « Expert en humanité » en vertu de l’expérience historique de l’Église, Paul VI était porteur d’un message : une « ratification morale et solennelle » d’une institution qui fêtait son vingtième anniversaire et dont il était convaincu qu’elle représentait « le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale ». Puis, dans une démarche inductive, le pape analysait le statut de l’onu pour en montrer les développements nécessaires : l’édifice en construction ne pouvait reposer que sur des principes spirituels, la « conversion » des consciences pour « penser d’une manière nouvelle l’homme (…) la vie en commun des hommes (…) les chemins de l’histoire [32] ».
De nouvelles perspectives
88Le travail collégial des Pères conciliaires, conduit par Jean XXIII et Paul VI, a sans aucun doute favorisé le renouveau de la conscience que l’Église avait d’elle-même. Dans ce but, le Concile a bénéficié non seulement des renouveaux liturgique, biblique et patristique qui s’étaient développés depuis le début du xxe siècle, mais aussi de l’expérience des mouvements de spiritualité ou d’apostolat, tels que l’Action catholique soutenue par Pie XI.
89Comme celles sur la liturgie et sur la Révélation, la constitution Lumen gentium en est le fruit. Même si Pie XII avait mis en valeur le Corps mystique du Christ, une conception juridique et hiérarchique de l’Église était encore habituelle [33]. Or, l’Église, « peuple uni de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit-Saint [34] », est un mystère de communion [35]. Selon l’éternel dessein de Dieu, l’Église est le « peuple de Dieu » qui chemine à travers l’histoire des hommes pour atteindre sa plénitude dans le Royaume de Dieu ; « peuple de Dieu » constitué hiérarchiquement, elle est, dans le Christ, comme le « sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union à Dieu et de l’unité du genre humain [36] ». En ce sens, l’Église est mystère. Ces affirmations fondamentales ont d’importantes conséquences.
90Les laïcs ne sont plus des « non-clercs », mais des baptisés qui exercent dans le monde les fonctions prophétique, sacerdotale et royale du Christ, à travers divers types d’apostolat. Les religieux et religieuses sont des signes de la radicalité de l’Évangile pour les membres du peuple de Dieu, tous appelés à la sainteté. La hiérarchie exerce, à sa manière propre, les trois fonctions du Christ au service de tout le peuple de Dieu. Quant au collège (une Nota praevia a précisé le sens du mot) que forment les évêques avec le pape, il succède au collège formé par Pierre et les autres apôtres [37]. C’est l’affirmation fondamentale de la collégialité qui équilibre et complète les définitions du concile de Vatican I sur la primauté du Pontife romain.
91La compréhension de l’Église comme Peuple de Dieu envoyé à toutes les nations, comme signe et ferment d’unité, fonde les relations avec tous les hommes, par-delà les distinctions juridiques.
Ainsi donc, à cette unité catholique du Peuple de Dieu, qui préfigure et promeut la paix universelle, sont appelés tous les hommes ; lui appartiennent de diverses façons, ou lui sont ordonnés, soit les fidèles catholiques, soit les autres qui croient au Christ, soit enfin tous les hommes universellement, qui, par la grâce de Dieu, sont appelés au salut
Le décret sur l’œcuménisme
93Cette ouverture théologique autorise la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, mais surtout le Décret sur l’œcuménisme. La cause de l’unité des chrétiens était chère à Jean XXIII qui, assimilant le Secrétariat pour l’unité aux Commissions conciliaires, lui a permis d’intervenir au Concile. Paul VI a fait du rétablissement de l’unité des chrétiens l’un des quatre objectifs qu’il assignait au Concile. En sa rédaction définitive, le décret assume trois textes antérieurs [38]. Il marque une évolution décisive de l’Église catholique, longtemps méfiante vis-à-vis du mouvement œcuménique lancé à Édimbourg, en 1910, et que, en 1928, Pie XI condamne comme « panprotestantisme » en interdisant aux catholiques d’y participer [39].
94Cependant, le père Congar avait entrepris ses recherches théologiques qui aboutissent, en 1937, à la publication de Chrétiens désunis, Principe d’un « œcuménisme » catholique. Dans le même temps, l’abbé Couturier inaugure dans l’Église une spiritualité œcuménique en proposant, à partir de 1935, la « semaine de l’universelle prière pour l’Unité chrétienne » selon la formule : « L’unité telle que le Seigneur la veut, dans le temps et avec les moyens qu’il voudra [40] ». Il est à l’origine, en 1937, du Groupe des Dombes qui, réunissant des théologiens catholiques et protestants, commence une recherche doctrinale commune dans un climat de prière. Alors que se développe le Mouvement œcuménique fondé à Amsterdam, en 1948, le Saint-Office publie une instruction [41] qui, après des mises en garde, reconnaît le mouvement œcuménique, autorise des rencontres prudentes et la récitation commune du Notre-Père.
95Promulgué le 21 novembre 1964, le décret du Concile va bien au-delà grâce à une réflexion fondamentale sur la véritable catholicité. Il expose d’abord « les principes catholiques de l’œcuménisme [42] », puis détaille « l’exercice de l’œcuménisme » : rénovation de l’Église, conversion du cœur, prière en commun, connaissance réciproque, formation, méthode pour exposer la doctrine en tenant compte d’une « hiérarchie des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne » (n° 11), collaboration avec les frères séparés. Une troisième partie examine deux sortes de scissions principales, celles des Églises orientales, puis celles des Églises et communautés ecclésiales séparées en Occident. Le décret se conclut sur la conscience que « la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité d’une seule et unique Église du Christ » dépasse les forces humaines, et sur l’espoir dans la prière du Christ, dans l’amour du Père et la puissance du Saint-Esprit.
Le décret sur les églises orientales catholiques
96La Constitution dogmatique sur l’Église a remis en valeur les Églises particulières (ou locales) dont chaque évêque est le pasteur. Corps mystique du Christ, l’Église est un « Corps fait d’Églises [43] » ; aussi les évêques, « en gouvernant bien leur Église propre comme une portion de l’Église universelle, contribuent efficacement au bien de tout le Corps ». Les relations mutuelles des évêques avec les Églises particulières et l’Église universelle sont ainsi exposées :
De même que le Pontife romain, comme successeur de Pierre, est le principe et le fondement perpétuel et visible de l’unité, tant des évêques que de la multitude des fidèles, de même les évêques, pris isolément, sont le principe visible et le fondement de l’unité dans leurs Églises particulières, formées à l’image de l’Église universelle, dans lesquelles et à partir desquelles existe la seule et unique Église catholique.
98À la suite de ces affirmations fondamentales, sont reconnues « diverses Églises instituées en divers endroits par les Apôtres et leurs successeurs » : elles sont constituées en plusieurs groupes unis organiquement qui, restant sauves l’unité de la foi et l’unique constitution divine de l’Église universelle, jouissent d’une discipline propre, d’usages liturgiques propres, d’un patrimoine théologique et spirituel.
Parmi elles, certaines, notamment les antiques Églises patriarcales, comme les matrices de la foi, en ont engendré d’autres qui sont comme leurs filles, avec lesquelles elles sont jusqu’à nos jours liées d’un lien de charité plus étroit dans la vie sacramentelle, et dans le respect mutuel des droits et des devoirs.
100À la suite de cette reconnaissance, le décret Orientalium Ecclesiarum, promulgué le 21 novembre 1964, apporte les précisions nécessaires, notamment sur les patriarches « pères et chefs » de leurs patriarcats, égaux en dignité, ayant juridiction sur tous les évêques, le clergé et les fidèles de leur territoire ou de leur rite.
C’est pourquoi le Concile a décidé que leurs droits et privilèges seraient restaurés, conformément aux anciennes traditions de chaque Église et aux décrets des Conciles œcuméniques [44].
102C’est là une décision très importante, qui met un terme à une longue période de méconnaissance, voire de mépris ; ainsi, lors du concile de Vatican I, Pie IX avait exigé du vieux patriarche chaldéen Audo une soumission humiliante. La politique de latinisation a culminé au xixe siècle. Léon XIII y a mis fin avec l’encyclique Orientalium dignitas [45] du 30 novembre 1894 ; le 1er mai 1917, Benoît XV érige enfin en Congrégation pour l’Église orientale, ce qui était une section de la Congrégation pour la propagation de la foi chez les infidèles [46]… Plus largement, les Orientaux sont appelés à « revenir à leurs traditions ancestrales » si, du fait des circonstances ou des personnes, ils s’en étaient écartés (n° 6).
Église et révélation
103L’orientation christocentrique de la pensée conciliaire, voulue par Paul VI, n’a pas manqué d’influencer la refonte du schéma préparatoire sur la révélation, qui reprenait la doctrine des « deux sources ». D’emblée, la constitution dogmatique affirme :
Par cette révélation, la vérité la plus profonde aussi bien sur Dieu que sur le salut de l’homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la révélation.
105En conséquence, la transmission de la révélation se fait par la Tradition et l’Écriture qui « toutes deux, jaillissant de la même divine source, s’unissent pour ainsi dire en un tout et tendent vers la même fin » (n° 9) ; elles constituent toutes deux « un seul dépôt de la Parole de Dieu confié à l’Église », si bien que, « selon le très sage dessein de Dieu, la sainte Tradition, la sainte Écriture et le Magistère de l’Église sont reliés et associés entre eux de telle sorte que l’un ne tient pas sans les autres et que tous ensemble, chacun à sa manière, sous l’action de l’unique Esprit Saint, contribuent efficacement au salut des âmes » (n° 10). Cette doctrine, selon le mot d’un observateur, met fin à l’ère de la Contre-Réforme qui opposait protestants se référant à l’Écriture seule et catholiques insistant sur la Tradition. De manière plus générale, le Concile substitue à une démarche d’opposition telle que « Écriture ou Tradition » une démarche de synthèse dans tous les domaines : Écriture et tradition, Parole de Dieu et sacrement, sacerdoce ministériel et sacerdoce baptismal, primauté et collégialité, etc.
106Les conciles de Vatican I et de Vatican II ont, tous deux, traité de la Révélation dans des constitutions dogmatiques : Dei Filius, du 24 avril 1870, Dei Verbum, du 18 novembre 1965. Le long prologue de la première et le court préambule de la seconde, dans leur cohérence respective, traduisent une vision de l’Église, de son autorité, de sa relation à la Parole de Dieu, de sa relation au monde. Voici la conclusion du prologue :
Mais à présent, au milieu des évêques du monde entier, siégeant et jugeant avec Nous, réunis dans le Saint-Esprit par Notre autorité en ce saint concile œcuménique, appuyé (que Nous sommes) sur la Parole de Dieu écrite et transmise, telle que Nous l’avons reçue, saintement conservée et fidèlement exposée par l’Église catholique, Nous avons résolu, du haut de cette chaire de Pierre, de professer et de déclarer à la face de tous la doctrine salutaire de Jésus-Christ, en proscrivant et condamnant les erreurs contraires, en vertu du pouvoir qui nous a été confié par Dieu [47].
108C’est le pape seul qui s’exprime, en vertu de son autorité, « avec l’approbation du saint Concile [48] » ; il s’appuie sur l’Écriture pour se dresser du haut de la chaire de Pierre en face du monde et condamner ses erreurs.
109Moins de cent ans après, on mesure l’évident changement d’image que donne l’Église. Paul VI avait marqué les esprits lors de son entrée dans Saint-Pierre : il portait solennellement l’Évangile pour l’introniser au milieu des Pères. Voici comment se situe le Concile :
Religieusement à l’écoute de la Parole de Dieu et la proclamant avec assurance, le saint Concile obéit aux paroles de S. Jean qui dit : « Nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous ; quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1, 2-3). C’est pourquoi, suivant les traces des conciles de Trente et de Vatican I, il entend proposer la doctrine authentique sur la Révélation divine et sa transmission, afin qu’à la proclamation du salut, le monde entier en entendant croie, en croyant espère, en espérant aime [49].
111C’est le Concile – le pape avec les évêques [50] –, qui s’exprime ; il est dans une attitude religieuse d’écoute de la Parole de Dieu et dans l’obéissance aux paroles apostoliques ; dans un désir de dialogue, il propose la doctrine, afin qu’à la proclamation du salut, le monde croie, espère et aime.
De la liturgie au dialogue avec le monde : la nouvelle évangélisation
112La réforme liturgique est le fruit le plus visible du Concile [51] qui a voulu :
organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités simples qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire.
114Mgr Joseph Doré souligne « le recentrage de tous les sacrements sur la célébration du Christ en son mystère pascal (…) La remise en valeur de la proclamation de la Parole de Dieu comme élément premier et structurant du culte chrétien, avec la conséquence que chacun puisse ”entendre annoncer dans sa langue les merveilles de Dieu“ [52]. » C’est la première constitution promulguée par le Concile.
115La dernière, la constitution pastorale Gaudium et spes, ouvre la perspective et la promesse d’un dialogue à maintenir avec le monde dans la succession des événements. À la suite des mouvements de spiritualité conjugale [53], le Concile s’est préoccupé « de la dignité du mariage et de la famille » : il a renouvelé la compréhension du mariage comme « communauté de vie et d’amour que forme le couple (…) établie sur l’alliance des conjoints (…) ordonnée à la procréation et à l’éducation [54] » (chap. 1). Il a traité de l’essor de la culture, définie en un sens large, de ses rapports avec la Bonne Nouvelle du Christ, de sa fin qui est le développement intégral de la personne et le bien de la communauté [55] (chap. 2). La constitution aborde ensuite « la vie économique et sociale » (chap. 3), puis « la vie de la communauté politique » (chap. 4) et, enfin, « la sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations » (chap. 5).
116En sa première partie (« L’Église et la vocation humaine »), la constitution pastorale expose les fondements théologiques des analyses et des directives des cinq thèmes retenus dans sa seconde partie (« De quelques problèmes plus urgents »). Analysant « la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui », elle traite successivement : 1. la dignité de la personne humaine, 2. la communauté humaine, 3. l’activité humaine dans l’univers, 4. le rôle de l’Église dans le monde de ce temps ; il est remarquable que chacun des quatre exposés se conclue par une réflexion sur l’un des aspects du mystère du Christ. Par l’ensemble des questions étudiées, le Concile donne ainsi de l’ampleur à l’enseignement social de l’Église, en s’inscrivant dans la tradition d’une doctrine progressivement explicitée par les encycliques pontificales.
117Dès 1967, Paul VI prend le relais avec Populorum progressio qui traite du développement « intégral et solidaire » de l’homme et dont il conclut que c’est le « nouveau nom de la paix ». Jean-Paul II, puis Benoît XVI, prennent la suite [56], car l’accélération du temps, la variété et la complexité des problèmes du monde poussent l’Église, au nom même de sa mission [57], à proposer à l’humanité l’éclairage de l’Évangile. Avec raison, René Coste publie, en 1986, un ouvrage intitulé : L’Église et les défis du monde, La dynamique de Vatican II [58].
118Contemporain d’une époque qui a vu la conquête de l’espace, l’émergence du Tiers-Monde à la conférence de Bandoeng de 1956 et le Traité de Rome de 1957, la crise de Cuba et le XXIIe Congrès du Parti communiste en 1961, l’essor économique de l’Occident et la IIIe Assemblée mondiale du Conseil œcuménique, à New Delhi, en 1961, le Concile a projeté la lumière de la foi sur les problèmes du monde tels qu’il les percevait. Pouvait-il imaginer la situation telle qu’elle se présente cinquante ans après, avec le « printemps arabe », la crise économique et financière qui, à partir de l’Occident, atteint le monde entier, la globalisation de l’information avec Internet, les progrès de l’informatique, les mouvements de solidarité, les élans de générosité ? Jean-Paul II a dénoncé des « structures de péché » et une culture de mort ; le cardinal Paul Poupard discerne une « culture du spectacle permanent et éphémère », une « culture marquée par les sciences et les techniques », une « culture écartelée et comme éclatée entre le relativisme et le fondamentalisme [59] ».
119À l’exemple des Pères du Concile, l’Église du troisième millénaire doit discerner les « signes des temps » de chaque époque, en analysant les aspects négatifs et positifs de la civilisation mondiale. « Sacrement universel du salut [60] », elle est appelée sans cesse à rendre témoignage au Christ, en se souvenant de la forte affirmation du Concile [61] :
Le Seigneur est le terme de l’histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l’histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les cœurs et la plénitude de leurs aspirations.
121Le 8 décembre 1975, Paul VI publie la remarquable Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, fruit du labeur du Synode des évêques réuni l’année précédente ; il a choisi la date du 10e anniversaire de la clôture du concile de Vatican II « dont les objectifs se résument, en définitive, en un seul : rendre l’Église du xxe siècle encore plus apte à annoncer l’Évangile à l’humanité du xxe siècle [62] ». On sait les appels vigoureux de Jean-Paul II à une « nouvelle évangélisation ». L’annonce de l’Évangile sera à nouveau au cœur du travail du prochain synode des évêques, convoqué par Benoît XVI pour célébrer, le 11 octobre 2012, le 50e anniversaire de l’ouverture du concile de Vatican II.
Notes
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[1]
Comme le rappelle le cardinal Poupard dans sa conférence publiée par la Documentation catholique (DC) n° 2478, p. 993.
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[2]
Ibidem.
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[3]
DC n° 1308, col. 907.
-
[4]
DC n° 1368, col. 97-104.
-
[5]
DC n° 1385, col. 1217-1222.
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[6]
Cette distinction ad intra, ad extra, sera reprise par les cardinaux Suenens et Montini, à la fin de la première session pour mettre de l’ordre dans la masse des schémas les plus divers qui accablait les Pères conciliaires.
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[7]
DC n° 1383, col. 1377-1386.
-
[8]
Le texte de ce discours fut distribué aux évêques en un magnifique fascicule de 44 pages. Voir DC n° 1410, col. 1345-1361.
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[9]
Ce sont les mêmes catégories auxquelles le Concile adressera un message avant de se séparer, en décembre 1965.
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[10]
Voir DC n° 1415, col. 32.
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[11]
DC n° 1433, col. 1217-1224.
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[12]
DC n° 1437, col. 1537-1546.
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[13]
DC n° 1456, col. 1663-1668.
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[14]
DC n° 1460, col. 2045-2052.
-
[15]
DC n° 1462, col. 59-66.
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[16]
Paul VI se réfère à Matthieu 25, 40 et cite Jean 14, 9 : « Qui me voit, dit Jésus, voit aussi le Père ».
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[17]
DC n° 1462, col. 74-76.
-
[18]
Voir Documents conciliaires 6, Discours au concile, Paris, Éd. du Centurion, p. 223. Il donne comme exemples : la constitution de l’Église, « définition détaillée de l’Église », le décret sur la charge pastorale des évêques qui « détermine le rôle des évêques dans leur diocèse, en vertu de la définition de l’épiscopat, telle que la formule la Constitution de l’Église ». Exemples de déclarations : liberté religieuse, rapports avec les non-catholiques, etc. Voir aussi la conférence donnée par le cardinal Poupard, le 29 septembre 2011, dans DC n° 2478, col. 995.
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[19]
Voir les analyses de Mgr Joseph Doré, texte publié le 16 novembre par DC n° 2476, col. 908-910.
-
[20]
Voir Bilan du concile Vatican II, Paris, Éd. du Seuil, p. 42-45.
-
[21]
Paul VI poursuit : « la prière est notre premier devoir ; la liturgie est la source première de ce divin échange par lequel la vie divine nous est communiquée… » Discours pour la clôture de la 2e session.
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[22]
« La seule constitution qu’il ait vraiment voulue » d’après le cardinal Garrone, rapporteur du projet.
-
[23]
DC n° 1387, col. 1407-1410.
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[24]
Textes français publiés par L’Osservatore romano, 10 décembre 1965. Chaque message est lu par un cardinal entouré de deux autres cardinaux et d’un groupe de laïcs.
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[25]
Gaudium et spes, n° 19-21.
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[26]
Discours du 7 décembre 1965.
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[27]
L’intitulé de l’encyclique est ainsi libellé : « Lettre encyclique de S. S. le pape Paul VI à l’épiscopat, au clergé, aux fidèles, à tous les hommes de bonne volonté sur les voies par lesquelles l’Église doit aujourd’hui accomplir sa mission ».
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[28]
La majorité suffisait désormais pour accepter un schéma comme base de discussion, les deux tiers étant réservés pour l’adoption définitive. Voir Philippe Levillain, La Mécanique politique de Vatican II. La majorité et la minorité dans un concile, Paris, Beauchesne, 1975.
-
[29]
Les cardinaux Agagianian, Lercaro, Suenens, Döpfner. Voir René Laurentin, Bilan de la deuxième session et Bilan du Concile, Paris, Éd. du Seuil.
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[30]
R. Laurentin, Bilan du concile, p. 17. On reprocha au pape d’être trop attentif aux requêtes de la minorité.
-
[31]
Au vote d’ensemble : sur 2216 votants, 1954 placet, 249 non placet ; au vote de promulgation, sur 2386 votants, 2308 placet, 70 non placet.
-
[32]
DC n° 1457, col. 1720-1738.
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[33]
Mystici corporis est de 1943. Selon le père Congar, l’ecclésiologie était devenue une « hiérarchologie ».
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[34]
Lumen gentium n° 4 cite ici saint Cyprien.
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[35]
Le synode des évêques, réuni à Rome en 1985, pour le 20e anniversaire de la clôture du Concile, a insisté sur « l’ecclésiologie de communion ».
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[36]
Lumen gentium n° 1.
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[37]
Voir Lumen gentium n° 22. Il est même dit que le collège apostolique « persévère » dans l’ordre des évêques uni avec sa tête, le pape.
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[38]
Voir la présentation du décret par le père Congar dans Documents conciliaires 1, Paris, Éd. du Centurion, p. 165-192.
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[39]
Encyclique Mortalium animos du 4 janvier 1928.
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[40]
Il s’inscrivait dans la suite de l’initiative, lancée en 1908, par Paul Watson et Spencer Jones. Voir René Girault, L’Œcuménisme, où vont les Eglises ?, p. 82-85.
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[41]
Instruction Ecclesia catholica, datée du 20 novembre 1949. Voir ouvrage cité, p. 89-90.
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[42]
Le père Congar a jugé cette formule plus juste que la sienne : « principes d’un œcuménisme catholique ».
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[43]
Lumen gentium n° 23 cite ici saint Hilaire.
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[44]
Décret n° 7, 8, 9. Voir DC n° 1438, col. 1649-1658.
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[45]
Le cardinal Langénieux, archevêque de Reims, légat pontifical au Congrès eucharistique de Jérusalem, avait remis au pape un rapport secret sur la situation des Églises catholiques orientales et sur les relations avec les orthodoxes.
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[46]
Instituée par Pie IX le 6 janvier 1862, cette section, devenue Congrégation pour l’Église orientale, est chargée « des Églises orientales » au pluriel, depuis la décision prise par Paul VI le 15 août 1967.
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[47]
Notre traduction renvoie, avec des modifications, à celle donnée par Roger Aubert, p. 282, de Vatican I, Histoire des conciles œcuméniques, n° 12, Éd. de l’Orante, 1964, et à celle de Jean-Michel-Alfred Vacant, p. 10, de La Constitution Dei Filius, t. 1, Delhomme et Briguet éditeurs, 1895.
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[48]
C’est l’expression retenue dans la titulature de la constitution.
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[49]
Voir Vatican II, La Révélation divine, t. 1, p. 20, Unam sanctam 70 A, Paris, Éd. du Cerf, 1968. Le texte s’achève en se référant à S. Augustin, L’Enseignement religieux des simples, IV, 8. PL, 40, 316.
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[50]
Tous les documents du Concile portent en tête : « Paul évêque, Serviteur des serviteurs de Dieu, avec (una cum) les Pères du Concile, en perpétuelle mémoire ».
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[51]
Voir la conférence déjà citée du cardinal Paul Poupard, DC n° 2478, col. 997.
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[52]
Voir article cité, DC n° 2476, col. 908.
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[53]
En Pologne, par exemple, et en France, avec les Mouvement des Équipes Notre-Dame, fondé en 1947 par le père Caffarel. En 1975, Paul VI prononça un discours remarqué aux Équipes Notre-Dame rassemblées à Rome.
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[54]
GS n° 48. Ce 1er paragraphe se conclut ainsi : « Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité. »
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[55]
GS n° 57-59.
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[56]
Après Mater et magistra et Pacem in terris de Jean XXIII, rappelons entre autres Populorum progressio et Octoginta adveniens de Paul VI, puis Laborem exercens et Centesimus annus de Jean-Paul II, enfin Caritas in veritate de Benoît XVI.
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[57]
Voir le Décret Ad gentes sur la mission de l’Église « tout entière missionnaire ».
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[58]
Paru en 1986, Éd. Nouvelle Cité. La réflexion de l’auteur fait suite au Synode des évêques convoqué en 1985 par Jean-Paul II, pour célébrer le 20e anniversaire de l’ouverture du Concile.
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[59]
Voir la conférence citée, DC n° 2478, col. 1002.
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[60]
Lumen gentium, n° 48.
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[61]
Gaudium et spes, n° 45.
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[62]
Evangelii nuntiandi, n° 2.