Notes
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[*]
Première version septembre 2006, version révisée décembre 2006.
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[1]
- Économies générales imputables à la taille et à la densité urbaine, à distinguer des externalités de Marshall qui relèvent des échanges et des dynamiques au sein d’une même filière économique et qui découleraient de la concentration spatiale des établissements et acteurs de cette filière (voir Shearmur et Polèse, 2005).
-
[2]
- Ces infrastructures sont l’installation d’un maréomètre en 1894 et la construction d’un quai de 800 pieds de long de 1901 à 1905 autour de Rimouski. Un télégraphe sans-fil fut installé en 1907 et en 1909, la construction du phare fut complétée. À compter de 1905, le ministère de la Marine mis à la disposition des pilotes cinq bâtiments qui œuvraient également pour d’autres ministères fédéraux tels que les Douanes, l’Immigration, l’Agriculture et les Postes. Cependant, à partir de 1934, les navires abandonnèrent progressivement le chenal du Sud pour longer la rive Nord du fleuve et la station de pilotage fut officiellement transférée aux Escoumins en 1961.
-
[3]
- Plusieurs politiques et programmes ont été initiés par les gouvernements dans le but de renverser les tendances lourdes qui affectaient les économies du Québec maritime et de mettre en valeur les ressources maritimes. Parmi les principales politiques influentes à l’émergence du cluster maritime, il y a l’Initiative Régionale stratégique, la Planification stratégique régionale, et Plein Cap sur la Mer.
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[4]
- L’éloignement par rapport aux grands marchés, la taille relativement petite de son économie locale, et sa grande dépendance envers les activités économiques maritimes - exception faite, depuis environ 5 années, des activités pétrolières offshore – étant semblables.
- 1 - Introduction
1 Le phénomène de cluster a pris une dimension importante dans les stratégies de développement régional depuis les années 1990. Cependant, dès que nous tentons de comprendre les différentes formes que peut prendre un cluster, nous remarquons que les trajectoires de développement et d’insertion dans les régions varient d’un cluster à l’autre. L’analyse détaillée des expériences des clusters, de leur processus de constitution, de développement et d’opération présente des trajectoires irréductiblement singulières dans les formes empruntées et dans leur déploiement (ASHEIM et al, 2003 ; ISAKSEN, 2005).
2 La littérature sur les clusters rassemble une quantité importante d’études qui cherchent à comprendre l’influence de l’environnement d’affaires et institutionnel sur les activités innovantes des entreprises ou encore les effets de la proximité géographique des acteurs sur l’établissement de relations systémiques entre eux (ASHEIM et al., 2006 ; ASHEIM et COENEN, 2005 ; BAPTISTA, 2001 ; BRITTON, 2006 ; CHIARONI et CHIESA, 2006 ; DOLOREUX, 2006 ; FROMHOLD-EISEBITH et EISEBITH, 2005 ; HOLBROOK et WOLFE, 2002 ; IAMMARINO et MCCANN, 2006 ; JACOBS et DE MAN, 1996 ; MCCANN et ARITA, 2006 ; ROMIJN et ALBALADEJO, 2002 ; ROSENFELD, 1997 ; TÖDTLING et TRIPPL, 2004). Les principaux aspects étudiés dans ces analyses successives portent sur les modalités de fonctionnement et les dynamiques qui caractérisent différents clusters industriels. Il est à noter que l’objet principal de ces études – le cluster – est un secteur économique (ou un ensemble de secteurs inter reliés). La région dans son ensemble reste en arrière-plan, et, en général, contribue à l’analyse en tant que support au cluster et facilitant les interactions.
3 Malheureusement, relativement peu d’analyses ont été entreprises dans le but de mieux comprendre le phénomène de cluster dans le secteur maritime, notamment en ce qui a trait aux principaux mécanismes qui expliquent leur développement et le fonctionnement, de même que les trajectoires de développement qui les caractérisent et leur insertion au sein des économies régionales. Ce secteur nous intéresse pour deux raisons principales. D’une part, c’est un secteur qui est implanté dans plusieurs régions à caractère très différent : cela nous permet d’analyser comment un même secteur s’insère dans différents contextes régionaux. D’autre part, c’est un secteur diversifié dans lequel on retrouve des activités anciennes (pêche, construction de navire...) et nouvelles (aquaculture, biologie marine, instruments de navigation...) : ce type de diversité au sein d’un même secteur se retrouve dans plusieurs autres filières a priori traditionnelles comme la sidérurgie et les industries du plastique, et l’analyse de clusters dans le secteur maritime pourrait donc porter un éclairage sur l’insertion et le développement d’autres filières.
4 Quelques tentatives ont été faites afin d’appliquer la notion de cluster à l’industrie maritime (ALDERTON et WINCHESTER, 2002 ; BENITO et al., 2003 ; GRAMMENOS et CHOI, 1999 ; JENSSEN, 2003 ; VITTANEN et al., 2003). Ces études apportent de précieuses informations et se sont avérées très utiles pour identifier les impacts majeurs des clusters maritimes dans plusieurs pays, mais elles demeurent moins efficaces quand il s’agit de capter les explications en ce qui concerne leurs facteurs de développement et de croissance. En effet, ces différentes études ne précisent pas les conditions permettant aux clusters de se développer dans le temps, l’influence des gouvernements dans la création et le soutien de l’industrie maritime et des clusters, et les facteurs clés affectant leur croissance : ces études font souvent abstraction du contexte géoéconomique dans lequel le cluster évolue. Par ailleurs, des études et rapports de niveau national ou continental (Pêches et Océans Canada, 2002 ; Union Européenne, 2006) se penchent sur l’avenir des secteurs maritimes sans analyser leurs dimensions et dynamiques régionales : souvent, ces dimensions n’y sont qu’implicites dans la mesure où ces secteurs tendent à se localiser en régions côtières.
5 Cet article analyse et compare la trajectoire et les processus de développement de six clusters maritimes, deux canadiens (le Québec maritime et St-John’s) et quatre européens (Copenhague, Turku, Brest et Tromso). Avec l’appui de documents récents sur les clusters et le développement économique de ces régions, nous cherchons à identifier et à dégager des éléments-clés entourant la mise en place des différentes stratégies de développement de ces clusters et de leur fonctionnement. La description et l’analyse des expériences retenues permettront d’énumérer les déterminants-clés en ce qui concerne la création et le développement des clusters maritimes, et de revenir, en conclusion, sur le concept de cluster.
- 2 - Clusters régionaux, stratégies de développement et régions d’accueil
6 Il n’est pas question ici de développer une théorie du phénomène de cluster et d’énoncer les principaux questionnements de sa portée et de ses limites (MARTIN et SUNLEY, 2003), mais plutôt de présenter le cadre général de développement et d’implantation des clusters, afin d’y situer ultérieurement les analyses de cas comparés sur les clusters maritimes du Canada et de l’Europe.
2.1. Le concept de cluster
7 Selon PORTER (2003), les avantages compétitifs sont souvent à caractère profondément local, provenant de la concentration de connaissances et de savoir-faire hautement spécialisé et de la présence d’institutions, de rivaux, d’entreprises partenaires et de consommateurs. Il définit le cluster comme étant :
« a geographic concentration of inter-connected companies and institutions in a particular field. Clusters encompass an array of linked industries and other entities important to competition. They include, for example, suppliers of specialized inputs such as components, machinery, and services, and providers of specialized infrastructure. Clusters also often extend downstream to channels and customers and laterally to manufacturers of complementary products and to companies in industries related by skills, technologies or common inputs. Finally, many clusters include governmental and other institutions - such as universities, standard-setting agencies, think tanks, vocational training providers, and trade associations - that provide specialized training, education, information, research, and technical support » (PORTER, 2003).
9 PORTER avance que la dynamique d’un cluster résulte de la combinaison des quatre facteurs suivants : 1) la présence de clients locaux ; 2) la présence de fournisseurs locaux spécialisés ; 3) l’interdépendance des industries ; 4) et la présence d’un certain degré de rivalité entre les entreprises. La notion centrale de cette définition est celle des inter-connected companies d’entreprises liées entre elles. La proximité géographique (geographic concentration) permettrait l’échange d’informations, de personnel, les complémentarités et rivalités énumérés par PORTER : c’est la combinaison de ces facteurs sur un territoire donné qui permettrait d’augmenter la compétitivité et l’innovation dans les entreprises d’un secteur d’activité donné. Par ce biais, les régions qui comprennent ces clusters rentreraient dans une logique de concurrence entre elles. L’innovation dans les clusters dépend donc de la capacité des entreprises à susciter des interactions avec des partenaires externes. Ces interactions sont facilitées et intensifiées par la proximité géographique et sectorielle, et la présence d’une infrastructure locale de soutien et de recherche.
10 L’intérêt grandissant pour les clusters témoigne d’une redécouverte par plusieurs chercheurs de l’importance de la région comme unité d’analyse des phénomènes économiques et technologiques et de l’importance des ressources spécifiques localisées nécessaires aux entreprises pour innover. Cependant, il n’y a pas consensus sur la nature de la proximité géographique (parle-t-on d’une proximité très locale – de quelques pâtés de maisons – ou d’une proximité assez large – présence dans une même région, dans la même partie d’un pays ?), ni sur l’importance des contacts internes par rapport aux contacts externes au cluster (BRITTON, 2004 ; ECHEVERRI-CARROLL et BRENNAN, 1999). Il y a donc des ambiguïtés qui entourent ce terme, et même si nous n’allons pas nous y attarder (voir MARTIN et SUNLEY, 2003), nous y reviendrons en conclusion.
11 Une autre limite des analyses se servant du concept de clusters est leur manque de contenu théorique. MASKELL et KÉBIR (2006) écrivent que « the theoretical underpinning of the recent deluge of cluster studies is often less than totally clear ». Cependant, ils soulignent que, derrière la nature principalement descriptive de ces analyses, plusieurs théories y sont sous-jacentes mais n’y sont pas intégrées de manière systématique. Ils suggèrent que l’on peut identifier trois familles de théories qui pourraient aider à mieux comprendre la nature et la dynamique des clusters : 1) les externalités de MARSHALL ; 2) les facteurs de compétitivité de PORTER ; et 3) le rôle des territoires tels que décrit dans les travaux du GREMI sur les milieux innovateurs. MARKUSSEN (1999), plus critique à l’égard des analyses portant sur les clusters, leur reproche un manque de généralisation qui découle d’une approche souvent portée sur les études de cas.
12 Une des limites les plus importantes du concept de cluster réside, selon nous, dans le fait que l’on n’y intègre pas, ou peu, les connaissances et théories tirées de la géographie économique. Le territoire (ou la région) est présenté comme un creuset d’interactions et de potentiels, mais un creuset qui fonctionnerait en vase clos par rapport au reste de l’espace économique. Or, même si l’idée de vase clos permet à chaque région d’envisager et de générer une dynamique de cluster locale (après tout, si le développement relève principalement des capacités locales cela permet aux acteurs locaux d’agir), elle fait abstraction de facteurs de développement classiques tels les coûts de transport, l’accès aux marchés, les cycles industriels, les économies d’urbanisation [1], et la circulation de l’information tacite entre industries et régions différentes. Mais toutes les régions ne sont pas sur un pied d’égalité face à de tels facteurs (POLÈSE et SHEARMUR, 2006), et nonobstant les trois approches théoriques mises en avant par MASKELL et KÉBIR (2006), le contexte géo-économique plus large empiète aussi de manière très significative sur le développement régional et sur les clusters territorialisés.
13 Malgré ces ambiguïtés et un manque de contenu théorique, le concept de cluster est souvent utilisé dans un contexte de politique de développement régional. Dans ce contexte un cluster prospère rassemble, par définition, des entreprises dynamiques et compétitives, et celui-ci rassemble souvent, au niveau local, des institutions de formation et d’enseignement, des infrastructures et un environnement politique favorable au développement de l’industrie ciblée. Plusieurs études de cas confirment que ces éléments réunis peuvent favoriser l’atteinte de meilleurs niveaux d’innovation et de compétitivité (WOLFE et GERTLER, 2004), mais il n’est pas encore évident que ces résultats soient généralisables (MARKUSSEN, 1999). Autrement dit, même s’il est indéniable que la concentration spatiale de ces éléments peut mener dans certains cas à un cluster dynamique, elle n’y mène pas nécessairement (et ce, peut-être, pour des raisons plus larges de contexte géo-économique).
2.2. Les stratégies de développement des clusters régionaux
14 De plus en plus de gouvernements ont orienté leurs politiques de développement de manière à considérer la spécificité de l’environnement au sein duquel opèrent les acteurs de l’innovation et à valoriser les clusters comme stratégie de développement économique régional. L’attrait des politiques de cluster – politiques visant à générer les interactions et synergies d’un cluster au sein d’une région donnée – repose sur le fait qu’elles s’articulent autour d’un secteur ou d’une filière assez précis dans un contexte local maîtrisable par les intervenants locaux. De ce fait, les interventions peuvent être ciblées, une image concrète peut être associée à la politique, et cette image peut souvent relever du patrimoine économique de la région visée.
15 De manière générale, ces politiques visent à soutenir les clusters déjà existants, soit ceux qui bénéficient déjà de la présence d’une masse critique d’acteurs et de conditions jugées favorables à leur développement. Dans d’autres cas, les politiques sont directement en relation avec la volonté des gouvernements de stimuler le développement de clusters de façon à créer et soutenir les conditions initiales au développement d’un cluster spécifique (ISAKSEN, 2005). En général, la poursuite d’une stratégie politique de clusters implique trois objectifs de développement (HOMMEN et DOLOREUX, 2005 ; TÖDTLING et TRIPPL, 2005). Les deux premiers objectifs visent à accroître l’innovation alors que le troisième cherche à améliorer l’environnement d’affaires des entreprises. Les recherches traitant des clusters ne précisent pas, cependant, la manière dont devrait être élaborée une politique régionale de cluster et comment celle-ci devrait être implantée (NAUWELAERS et WINTJES, 2002).
16 Le premier objectif est soutenir les entreprises par l’offre de subventions et de ressources à la production dans le but de stimuler l’innovation dans les entreprises du cluster visé et de les aider à surmonter les barrières reliées à l’innovation. Ces mesures sont diverses et comprennent les crédits d’impôts, le financement, l’aide à la formation et à l’achat d’équipement, de même que l’aide au démarrage de laboratoires de recherche ou d’incubateurs technologiques (MAILLAT et KÉBIR, 2001).
17 Le second est d’accroître le développement de relations systémiques entre les différents acteurs privés et publics de l’innovation. Les gouvernements soutiennent le développement et l’établissement de réseaux, de sorte à favoriser une utilisation plus efficace des ressources et des compétences publiques et privées dans l’activité d’innovation. Les stratégies portent surtout sur des mesures de coordination régionale pour favoriser l’ancrage territorial des entreprises et leur rapprochement avec les institutions de recherche et les organisations de soutien local à l’innovation de sorte à les encourager à travailler ensemble dans le cadre des activités d’innovation (SMITH, 2003).
18 Le troisième, et dernier objectif, vise à soutenir et accroître la compétitivité régionale via le développement de l’infrastructure de la connaissance et de l’élaboration de stratégies territoriales pour mettre en place des trajectoires innovantes. Le but est d’accroître les compétences et les savoir-faire des acteurs de l’innovation et de profiter des ressources dont disposent les régions et de les focaliser autour d’une infrastructure de soutien local (ISAKSEN, 2005).
2.3. Les régions d’accueil des clusters régionaux
19 Dans la littérature sur les clusters, bien que l’essentiel des exemples cités porte sur des clusters localisés dans des régions urbaines, on retrouve des clusters dans les régions métropolitaines et à l’extérieur de celles-ci. Cependant, comme le soulignent MALECKI et al (2004, p. 2) :
21 En somme, même si l’on identifie des clusters dans des régions périphériques et dans des petites villes, il est possible que cette identification soit plus souvent le fait d’une volonté politique que d’une réelle dynamique de synergie et d’innovation. MALECKI et al. (2004), mais aussi HALL (1999), SIMMIE (2001), JACOBS (1984), et CREVOISIER et CAMAGNI (2000), soulignent que les conditions économiques, institutionnelles et culturelles de l’innovation et de la croissance sont le plus souvent réunies dans les grandes régions métropolitaines. Ceci revient, en somme, à reconnaître l’influence de facteurs géo-politiques plus larges, sans toutefois le faire directement ni l’intégrer à la théorie des clusters.
22 Les régions métropolitaines : les études nationales sur les systèmes régionaux d’innovation en Europe (ISAKSEN, 2005) et au Canada (WOLFE et GERTLER, 2004) ont ainsi démontré que ceux-ci sont principalement localisés dans de grandes villes ou dans des régions munies d’universités, de prestigieuses organisations de recherche et d’hôpitaux. Elles étaient identifiées comme étant les lieux les plus propices à l’innovation et à l’émergence de clusters dynamiques. Elles concentrent majoritairement les activités de RD, brevets et les innovations majeures (BROUWER et al., 1999) ; les effets de débordements des connaissances sont perceptibles seulement dans les grappes industrielles et agglomérations et ne peuvent être diffus au-delà d’une certaine distance géographique (FELDMAN et AUDRETSCH, 1999). L’ensemble des avantages concurrentiels des économies métropolitaines s’expliquent par le fait qu’elles sont mieux disposées et mieux équipées pour stimuler l’innovation. En plus de compter sur la présence du marché et d’un grand nombre d’acteurs économiques – clients et fournisseurs diversifiés et de services – de même que sur la présence d’institutions importantes (universités, bureaux gouvernementaux, institutions culturelles, etc.), les régions métropolitaines sont, en outre, des lieux où se localisent les multinationales étrangères ou domestiques, des petites et moyennes entreprises innovantes, et les institutions d’enseignement et de recherche qui sont liées à des entreprises mondiales (SIMMIE, 2001). Par ailleurs, ces régions offrent une densité de population, une diversité démographique, une synergie organisationnelle et une riche interaction entre acteurs et constituent ainsi le cadre idéal type pour l’innovation et le développement technologique.
23 Les régions non métropolitaines : une caractéristique fondamentale des régions non métropolitaines serait que les éléments nécessaires à l’animation et au fonctionnement d’un cluster y sont peu développés et les dynamiques de réseautage et le soutien à l’innovation beaucoup moins apparents (ISAKSEN, 2001 ; HALL, 1999 ; SIMMIE, 2001 ; JACOBS, 1984 ; CREVOISIER et CAMAGNI, 2000). De plus, le tissu institutionnel et les réseaux d’échange d’information n’y sont pas, en comparaison, aussi bien développés (MORGAN et NAUWELAERS, 1999). Les clusters dans les régions non métropolitaines sont vus comme étant moins innovants que ceux dans les régions métropolitaines, que ce soit en termes d’intensité de RD et d’activités d’innovation, alors que leur tissu industriel est généralement caractérisé par la prédominance d’industries matures ou contrôlées par l’extérieur ou d’entreprises œuvrant dans les secteurs traditionnels tournées surtout vers la production d’innovation incrémentale et d’innovation de procédés (DOLOREUX, 2003 ; MALECKI et OINAS, 1999). Les entreprises affichent une plus faible propension à innover et elles ont des difficultés à croître et à exporter ou encore à s’intégrer dans les chaînes de production. De plus, les clusters dans ces régions affichent certaines faiblesses en ce qui concerne la recherche et la valeur ajoutée, et ne présentent pas un tissu institutionnel développé, notamment en ce qui concerne l’offre d’éducation supérieure, la présence de centres de recherche d’envergure et l’accès aux capitaux. En effet, les ingrédients requis pour le développement d’un cluster dynamique (connaissance, capital humain, collaborations, masse critique d’entreprises et d’institutions, etc.) sont peu développés et ces régions ne disposent pas des conditions initiales généralement décrites comme propices à l’émergence de l’innovation et du développement technologique.
24 À la lumière de ces constats, il devient difficile de séparer conceptuellement les clusters de leur environnement géo-économique : or, pour que le concept de cluster apporte des éléments nouveaux à la géographie économique plus classique, il serait important de distinguer les éléments de la dynamique des clusters qui relèvent effectivement de dynamiques et d’institutions locales de ceux qui relèvent de la fonction économique régionale et de la position de cette région dans l’économie nationale et globale. Notre examen de six clusters localisés dans des contextes géo-économiques différents permettra d’éclaircir certaines de ces questions.
- 3 - Méthodologie
25 Notre démarche vise à identifier et caractériser des cas canadiens et européens de clusters maritimes significatifs. Nous cherchons à dégager des éléments clés entourant la mise en place des différentes stratégies de développement de ces clusters et de leur fonctionnement. La description des expériences retenues fournira des informations pertinentes en matière de développement, de stratégies et de soutien, en matière de développement économique régional de l’industrie maritime.
26 Dans cette étude comparative des clusters maritimes, les régions étudiées sont :
- Québec maritime (Québec, Canada)
- St-John’s (Terre-Neuve-et-Labrador, Canada)
- Copenhague (Danemark)
- Turku (Finlande)
- Brest (France)
- Tromso (Norvège)
28 Ce choix de lieux correspond aux nombreux contextes de l’industrie maritime européenne, notamment en ce qui a trait aux différences de taille régionale. Nous avons ainsi recensé un cluster maritime situé à proximité d’une métropole (Copenhague), actif surtout dans les industries de transport maritime et des technologies maritimes. D’autres clusters, plus excentriques et donc éloignés des centres d’activité industriels, sont davantage portés sur la pêche, l’aquaculture et la recherche, notamment en biologie maritime (St-John’s, Tromso, Québec maritime). Les deux autres cas se situent entre ces deux extrêmes (Turku et Brest).
29 Nous présenterons donc pour chaque pays les éléments suivants : 1) localisation du cluster – ville, région et spécialisation, 2) activités et historiques de ces activités dans la région, 3) principaux acteurs économiques et institutionnels, 4) politiques régionales et nationales en appui au cluster, 5) soutien et promotion du cluster maritime et 6) évaluation des autres forces et défis contribuant au développement (ou à la décroissance) du cluster.
- 4 - Analyse comparative des clusters maritimes au Canada et en Europe
4.1. Le cluster maritime du Québec (Canada)
30 Le cluster maritime du Québec est compris dans le territoire incluant les régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord qui s’étend sur près de 3 600 kilomètres de côtes, le long du golfe du Saint-Laurent. Parmi les principaux indicateurs économiques et de l’économie du savoir (croissance d’emplois, revenus, niveaux d’éducation), les régions du Québec maritime sont en retard par rapport au reste du Québec (POLÈSE et SHEARMUR, 2002). Les principales caractéristiques du cluster sont présentées dans le tableau 1.
Principales caractéristiques du cluster maritime du Québec
Nombre d’entreprises* | 96 |
Nombre d’employés | 7 563 |
Spécialisation des activités maritimes | 1, 2, 3, 4, 5 |
Nombre d’organisations publiques | 23 |
Universités et collèges associés | 4 |
Principales caractéristiques du cluster maritime du Québec
* 1 = aquaculture, 2 = pêche et transformation, 3 = construction navale, 4 = équipements maritimes, 5 = sciences et
technologies marines, 6 = autres activités connexes
31 L’émergence et le développement du cluster maritime du Québec ont été affectés par deux principaux éléments : (I) la présence d’institutions d’enseignement et de recherche, et (II) les politiques publiques.
32 Les activités du cluster maritime dans la région sont ancrées territorialement et peuvent être liées au développement des infrastructures maritimes précédant la Deuxième guerre mondiale [2]. Le développement du secteur maritime à Rimouski se poursuivit avec la création en 1944 de l’Institut maritime du Québec, un centre technique de formation, et la création d’un programme de maîtrise en océanographie offert au Centre d’études universitaires de Rimouski (CEUR) de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) en 1972. Historiquement, le développement de l’axe des sciences de la mer à l’UQAR a démarré avec la création de ce programme de maîtrise en océanographie, mais il s’est accrû suite à la venue d’une nouvelle institution de recherche en océanologie (INRS-Océanologie) en 1972, la création d’un département d’océanographie (1978) et d’un programme de doctorat (1983). À la même époque, l’Institut national de la recherche scientifique implantait un centre d’océanographie à Rimouski qui, plus tard deviendra l’Institut des sciences de la mer. En 1987, la venue de l’Institut Maurice-Lamontage, un des douze centres de recherche de Pêches et Océans Canada, a permis d’accroître significativement les activités de recherche et de renforcer la base institutionnelle du secteur maritime en offrant une expertise de recherche dans les domaines halieutiques et des sciences océaniques et de l’environnement.
33 Les premiers signes visibles de la création du cluster maritime viennent cependant entre 1998 et 2002 avec une série d’investissements du secteur public dans les établissements de recherche et l’enseignement. Le but visé de ces investissements est de stimuler la compétitivité et l’innovation dans les régions du Québec maritime (Bas-Saint-Laurent, Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, et Côte-Nord) et d’accroître la base de connaissance et l’infrastructure de soutien au développement de l’industrie maritime de ces régions. Derrière la mise en place du cluster maritime se trouve une volonté politique des différents gouvernements à favoriser le développement d’un créneau d’excellence que constituent les sciences et technologies marines et d’accroître la masse critique d’entreprises et d’organisation de soutien, le tout afin de stimuler le développement de l’industrie maritime et de la rendre plus compétitive [3].
34 Cependant, l’émergence du cluster maritime et la création d’une base institutionnelle dédiée à cette industrie n’auraient pas vu le jour sans la participation financière du Gouvernement fédéral par l’entremise de son programme Initiative Régionale Stratégique (IRS). La politique de l’IRS vise à augmenter, entre autres, la capacité technologique régionale dans le but de favoriser l’utilisation de technologies plus appropriées et leur adoption et utilisation par les entreprises. Un autre objectif consiste à contribuer au renouvellement et à la mise en valeur et l’établissement de projets ou d’initiatives ayant un impact significatif sur le développement et la compétitivité de secteurs porteurs dans certaines régions. Ce programme a soutenu la création de plusieurs organismes et a entraîné des investissements considérables de plus de 65 millions de dollars. Ces organismes sont le Centre Interdisciplinaire de cartographie des océans, le Centre de recherche sur les biotechnologies marines, Technopole maritime du Québec et Biotechnologies Océanova.
35 L’histoire récente du cluster maritime du Québec représente un exemple au Canada d’un cluster qui a été créé au travers d’un ensemble de politiques et de programmes stratégiques liés aux activités maritimes, mais qui s’appuie sur une spécialisation économique, des infrastructures et des institutions pré-existantes. Les acteurs publics ont cherché à redynamiser ce tissu économique traditionnel et à créer des conditions favorables au développement du cluster maritime à travers des investissements directs qui visaient à accroître la base technologique régionale dédiée à l’industrie maritime. Il est important de mentionner cependant que les investissements se sont concentrés surtout sur la filière des sciences et technologies marines et que les filières de l’aquaculture, la pêche et la transformation des produits de la mer, et la construction navale et l’équipement maritime ont été négligées, malgré le fait que celles-ci contribuent pleinement au secteur maritime.
36 Cet exemple démontre que malgré une grande volonté politique et un tissu économique préexistant, il n’est pas toujours possible d’insuffler dans un milieu les éléments nécessaires à un cluster dynamique. L’extrême diffusion géographique de ce cluster remet d’ailleurs en question l’utilisation de ce terme – si l’on s’en tient à la définition de PORTER (2003) – pour décrire le secteur maritime dans la région maritime du Québec. Malgré les interventions gouvernementales, il est difficile d’y générer un dynamisme interne, et l’éloignement de cette région par rapport aux grands centres économiques Nord-américains rend l’interaction répétée avec des acteurs extérieurs problématique.
4.2. St-John’s (Canada)
37 La région métropolitaine de St-John’s, qui comprend environ 170 000 habitants en 2001, est la capitale administrative et économique de Terre-Neuve-et-Labrador. Centré autour de cette métropole, le cluster maritime a comme principales activités l’exploitation pétrolière offshore, les technologies marines, la pêche, l’enseignement et la recherche. Tout comme le cluster du Québec maritime, les institutions d’enseignement et les politiques publiques ont fortement façonné les activités maritimes, quoique de façon plus tardive. Mais ici aussi, ces politiques reposent sur un socle économique et institutionnel pré-existant. La pêche et ses activités connexes (transformation de poisson, construction d’embarcations, équipement professionnel lié à la pêche) ont été les principales composantes du secteur maritime jusqu’aux débuts de la crise du poisson de fond il y a une quinzaine d’années ; depuis les activités d’enseignement et de recherche y ont cru fortement (autour d’une importante université régionale, l’Université Memorial, fondée en 1925). Les principales caractéristiques du cluster maritime sont présentées dans le tableau 2.
Principales caractéristiques du cluster maritime à St-John’s
Nombre d’entreprises* | 40 |
Nombre d’employés | n.d. |
Spécialisation des activités maritimes** | 2-5-6 |
Universités et collèges associés | 1 |
Principales caractéristiques du cluster maritime à St-John’s
* Entreprises spécialisées dans les technologies maritimes, excluant celles dans les domaines de la pêche et des activités
offshore. ** 1 = aquaculture, 2 = pêche et transformation, 3 = construction navale, 4 = équipements maritimes,
5 = sciences et technologies marines, 6 = autres activités connexes
38 Seul établissement d’enseignement supérieur de Terre-Neuve-et-Labrador, l’Université Memorial abrite depuis 1964 le Marine Institute (MI). Comprenant aujourd’hui plus de 1 200 étudiants et 170 professeurs, le MI offre, entre autres, des programmes en génie maritime, en sciences nautiques, en architecture navale, en aquaculture et en gestion côtière. Plusieurs centres de recherche en ressources aquatiques, technologies maritimes et sécurité navale sont aussi intégrés au MI.
39 Mais si le développement de ces programmes d’enseignement est de juridiction provinciale, l’implication du gouvernement fédéral a été, comme au Québec, déterminante dans la formation du cluster maritime. En plus de soutenir la recherche par l’entremise du Conseil national de recherche (CNRC), le fédéral a établi en 1985 à St-John’s l’Institut des technologies océaniques (ITO). Responsabilité de Pêches et Océans Canada, l’Institut compte 25 chercheurs et techniciens et a comme objectif la recherche, le développement et l’application de technologies maritimes : navigation, rendement en milieu océanique, utilisation des véhicules sous-marins, hydrodynamique appliquée et sécurité maritime.
40 Le cluster de St-John’s bénéficie également des activités d’Oceans Advance, une association d’acteurs publics et privés impliqués dans l’innovation et le développement des technologies marines. Au total, bénéficiant de l’enseignement et de la RD effectués dans la région de St-John’s, une quarantaine d’entreprises seraient impliquées de façon directe et indirecte dans les technologies marines. La somme de l’emploi de ces entreprises demeure cependant faible en comparaison avec les activités gouvernementales de recherche publique et d’enseignement. Finalement, la municipalité de St-John’s est elle-même directement impliquée par l’entremise de son Department of Economic Development, qui offre un soutien aux entreprises désireuses de s’installer ou d’accroître leur présence dans la région, et particulièrement à celles liées au domaine maritime.
41 En termes économiques, il est clair que malgré la croissance des activités de recherche et d’enseignement, l’industrie offshore représente désormais le fer de lance des activités maritimes locales. En 2004, les retombées de l’extraction extra-côtière, qui employait directement 6 % de sa main-d’œuvre, représentaient plus de 15 % du PIB de la région. Entre 2001 et 2004, les secteurs énergétiques ont représenté presque 30 % du PIB provincial, alors que l’ensemble des activités de pêche (récolte et traitement), pourtant le plus important jusqu’en 1993, ne représentaient plus que de 6 % du PIB mais 12 % de l’emploi. La rente économique provenant des secteurs énergétiques stimule le développement économique de St-John’s, et son secteur maritime, de deux façons. La plus importante provient de l’activité générée par l’exploitation pétrolière et gazière dans des secteurs connexes. Les entreprises du secteur maritime bénéficient ainsi des besoins de l’industrie pétrolière, particulièrement en équipement et en construction navale spécialisée.
42 En somme, le cluster de St-John’s souffre de son isolement géographique et du déclin de la pêche mais bénéficie d’activités d’enseignement et de recherche significatives ainsi que d’un secteur énergétique en plein essor. Selon des stratégies similaires à celles de Tromso, les revenus pétroliers aident à financer la recherche et l’innovation. Mais à St-John’s comme à Tromso, la question centrale (et pour l’instant sans réponse) est la contribution de cette manne pétrolière à la création d’une synergie et d’un dynamisme autonomes. C’est seulement si ce financement de la recherche et de l’innovation mène à des interactions locales et à la création d’un système régional d’innovation qui ne dépende plus d’un apport exceptionnel de fonds extérieurs que l’on pourra réellement conclure que le cluster de St. John’s répond aux normes proposées par PORTER (2003).
43 Les signes précurseurs ne sont pas prometteurs : malgré une activité publique importante, et malgré l’apport (en revenus et en activités économiques) du secteur pétrolier, le secteur privé des technologies marines demeure modeste. Le développement du cluster de St-John’s s’apparente en fait à celui du cluster québécois (implication du gouvernement fédéral, programmes favorisant la recherche et l’accroissement de la base technologique, priorité du soutien aux technologies marines), le contexte ne diffèrant que par l’activité offshore de St-John’s et par son contexte géographiquement plus compact (urbain) [4]. Ces deux facteurs réunis expliquent sans doute le dynamisme du pôle terre-neuvien par rapport à la stagnation du cluster québécois. Les politiques gouvernementales, présentes et semblables dans les deux cas, ne semblent donc pas avoir de grand impact.
4.3. Copenhague (Danemark)
44 Le cas de Copenhague diffère radicalement des deux cas précédents. En effet, Copenhague est la capitale et la métropole du Danemark, située sur la côte Est du pays, relié par pont aux régions dynamiques du Sud de la Suède. C’est donc une métropole d’envergure internationale avec une économie diversifiée, composée principalement – comme la plupart des métropoles – de services d’affaires, de services financiers, d’administration publique, et de services divers. Copenhague regroupe également la plus importante activité maritime du pays tant en taille qu’en diversité, mais ce secteur reste relativement modeste par rapport à l’ensemble de l’économie de la métropole. Les industries maritimes sont surtout présentes dans le transport maritime, l’activité portuaire (12e port d’Europe en 2001), les services maritimes, les firmes de technologie maritimes et l’enseignement. Nous n’avons pu cependant identifier d’agence coordonnatrice d’un cluster local.
45 Les principales caractéristiques du cluster sont présentées dans le tableau 3.
Principales caractéristiques du cluster maritime à Copenhague
Nombre d’entreprises | n.d. |
Nombre d’employés | n.d. |
Spécialisation des activités maritimes | 2, 3, 4, 5 |
Universités et collèges associés | 2 |
Principales caractéristiques du cluster maritime à Copenhague
* Personnes œuvrant uniquement dans des secteurs maritimes. 1 = aquaculture, 2 = pêche et transformation,
3 = construction navale, 4 = équipements maritimes, 5 = sciences et technologies marines, 6 = autres activités
connexes
46 Copenhague est le lieu de résidence de plusieurs regroupements et associations d’affaires parmi les secteurs maritimes danois. Leur présence découle à la fois de la prépondérance de la ville dans ces activités, de son rôle comme capitale et centre administratif. Copenhague abrite également un centre technique public de construction et conception navale : Produktivitet og Logistik, l’un des cinq départements du Danish Technological Institute, spécialisé dans la recherche et le développement commercial. Localisé en banlieue, à Taastrup, le département comporte environ 240 employés.
47 Haut lieu de l’éducation supérieure du pays, Copenhague possède également plusieurs établissements offrant de l’enseignement et de la recherche dans les domaines maritimes. À Lyngby, également en banlieue de Copenhague, se trouve le Technical University of Denmark, comprenant un département d’architecture navale et de génie offshore, avec trois niveaux de programme et des projets de recherche associés. Le département est actuellement fréquenté par une cinquantaine d’étudiants et une vingtaine de professeurs. Copenhague comprend également une organisation publique de recherche maritime, Force Technology, spécialisée dans la recherche en design et ingénierie pour les navires et les installations offshore. Au total, plus de 250 chercheurs et assistants de recherche y sont rattachés.
48 Le cluster de Copenhague bénéficie du statut de grand centre urbain de la ville avec les avantages que cela comporte. La ville se trouve également à proximité de plusieurs centres économiques européens tout en étant positionné sur l’une des principales routes commerciales du continent. Un des défis du cluster tient à la taille réduite de son marché national et, inversement, à sa forte dépendance envers l’extérieur, ce qui renforce d’autant l’importance de l’innovation. Autre particularité, le cluster maritime de Copenhague ne bénéficie pas d’un soutien spécifique des paliers gouvernementaux danois dans la mesure où les programmes publics dans ces domaines (comme l’agence de recherche FORSK) sont destinés à l’ensemble du pays. Deux éléments pourraient expliquer cet état de fait. D’abord, la dimension réduite du pays comparativement à d’autres comme la Norvège, la Finlande ou le Canada : dans des pays aux dimensions plus restreintes comme les Pays-Bas ou le Danemark, le concept de cluster tend à s’appliquer à l’échelle nationale plutôt que locale ou régionale. Ensuite, ce cluster se développe dans une importante métropole bien connectée aux réseaux européens et mondiaux, milieu propice au développement de synergies et d’interactions. Dans la mesure où des conditions propices existent pour l’épanouissement du cluster, il n’y a pas la nécessité de créer ou d’encourager ces conditions par le biais de politiques publiques.
4.4. Turku (Finlande)
49 Située sur la côte Sud-Ouest de la Finlande à 150 km de la capitale Helsinki, Turku est la troisième région métropolitaine en importance. La ville elle-même compte environ 320 000 habitants dans un pays de 5,4 million de personnes. Son économie repose principalement sur les activités maritimes (ports et construction navale), son port étant un des plus importants de la Baltique. Ce port est à la fois un port de marchandises et un port de passagers (surtout entre la Suède et la Finlande). 14 % de la main-d’œuvre est présente dans l’industrie (notamment les produits métalliques et la construction navale), alors que 9 % travaillent dans les services liés au transport (principalement les activités portuaires). Turku abrite aussi deux importantes universités, l’une de langue suédoise, et le Turku Science Park dominé par des activités en biotechnologie et en technologies de l’information. Turku est donc une ville universitaire dynamique située au nœud d’un système de transport de personnes et de marchandises qui existe de longue date (son port existe depuis le XIIe siècle).
50 Les activités maritimes (pêche et commerce) sont depuis le Moyen-âge au cœur de l’activité économique locale. À l’exception de la pêche quasi-disparue, le cluster maritime de Turku s’est développé informellement et façon complémentaire entre des entrepreneurs privés et un secteur public focalisé sur la promotion du savoir et l’innovation, notamment par la création et le soutien du parc technologique. Les principales caractéristiques du cluster maritime sont présentées dans le tableau 4.
Principales caractéristiques du cluster maritime à Turku
Nombre d’entreprises | 335 |
Nombre d’employés | 24 000 |
Spécialisation des activités maritimes* | 3-4-5 |
Université et collèges associés | 3 |
Principales caractéristiques du cluster maritime à Turku
* 1 = aquaculture, 2 = pêche et transformation, 3 = construction navale, 4 = équipements maritimes, 5 = sciences et
technologies marines, 6 = autres activités connexes ** Présents dans des activités directement liées aux domaines
maritimes.
51 Selon la municipalité de Turku, il y aurait environ 335 compagnies faisant affaire dans un des secteurs maritimes, employant au total 24 000 personnes (12 % de la population active). La construction navale est le secteur le plus important, suivi des firmes de technologie maritime et de l’activité portuaire (deuxième port du pays en 2001 avec 20 % du volume). En 2003, les chantiers navals Kvaerner Masa-Yards représentaient à eux seuls 14 % de la construction navale européenne. À noter, la mise en place en 2005 par l’agence nationale d’innovation Tekes d’un programme de technologie maritime (MERIKE), visant à assurer un réseautage plus efficace entre grandes et petites compagnies de construction maritime. Le Turku Science Park, qui compte déjà une trentaine d’entreprises liées aux secteurs maritimes, verra également, en 2007, l’implantation d’un centre d’innovation et de coopération spécialisé dans le domaine, le Meritech Centre.
52 Le cluster maritime de Turku repose aussi sur une activité académique significative par rapport à la taille de la ville. Fondée en 1920, l’Université de Turku possède, entre autres, une faculté de sciences et mathématiques, un programme spécialisé d’études sur la mer Baltique et, depuis 1984, un Center for Maritime Studies spécialisé sur les questions de navigabilité et de logistique marine. L’Université des sciences appliquées de Turku (polytechnique) offre pour sa part des programmes d’architecture navale, d’électronique et de biologie marine. Des programmes d’environnement et de biologie marine sont finalement donnés à l’Université Åbo Akademi.
53 Notons aussi deux instituts publics de recherche dans le domaine maritime : le Archipelago Research Institute, dont les recherches focalisent sur l’écologie et la biologie marine et le Finnish Game and Fisheries Research Institute. L’implication des pouvoirs publics dans le développement du cluster local se fait également par l’entremise d’agences dédiées à l’innovation comme Tekes (fondée en 1983), VTT (Technical Research Centre of Finland, fondé en 1942) et le Finnish Institute of Marine Research (FIMR, fondé en 1918). La politique de soutien finnoise à l’innovation a ainsi cherché à favoriser de longue date le renouvellement des activités économiques, ce qui peut expliquer en partie l’intensité technologique actuelle du cluster de Turku.
54 Si Turku présente toutes les caractéristiques associées à un cluster (concentration de firmes privées, présence de centres de recherche et d’établissements d’enseignement, parc industriel, implication d’agences innovantes), la reconnaissance officielle du cluster maritime local n’est pas encore chose faite. Ses activités maritimes ne se sont pas développées selon une politique globale mais plutôt selon le développement des activités privées soutenues par l’implication des pouvoirs publics dans la formation technique et professionnelle et l’aide à l’innovation. Une politique d’intervention spécifique au cluster n’a pas été jugée nécessaire, peut-être à cause de la bonne tenue du secteur maritime. Le port très actif et la diversité d’activités de soutien au transport maritime et à la navigation qui l’entourent spontanément font en sorte que les politiques plus générales de soutien aux entreprises et à l’innovation promulguées par les divers paliers gouvernementaux finlandais suffisent au développement du cluster maritime.
55 De plus, le cluster maritime de Turku bénéficie de certains avantages géographiques, sa localisation dans un nœud de transports maritimes, sa relative proximité aux marchés (Scandinavie, Côte Baltique), et son accès facile à Helsinki. Les défis associés au cluster maritime finlandais sont la concurrence étrangère (par exemple la concurrence asiatique dans le secteur de la construction navale) et l’accès aux marchés extérieurs, d’où la nécessité de l’apport public dans l’amélioration des programmes de RD et d’innovation destinés à l’industrie.
4.5. Brest (France)
56 Avec plus de 300 000 habitants, Brest est la seizième ville en importance en France. Située à la pointe Ouest de la péninsule bretonne, elle présente toujours une importante activité maritime, notamment dans les secteurs de la construction navale, des technologies maritimes et de la recherche. Son port, le port français le plus proche des Amériques, est dominé sur le plan du trafic commercial par ceux de Saint-Nazaire et de Nantes : le port de Brest reste, cependant, un des deux principaux ports d’attache de la Marine française. Les coupures dans le secteur de la Défense (Marine, construction de navires) ont fortement atteint Brest au cours des années 1990, et la ville tente de reconvertir cette partie de son économie vers des domaines civils (DE PENANROS et SERFATI, 2000). Bien qu’encore significatif, le secteur de la pêche est en déclin depuis une trentaine d’années. En somme, Brest est une petite agglomération, assez éloignée des principaux axes économiques européens, qui connaît des changements économiques structurels importants.
57 Les principales caractéristiques du cluster sont présentées dans le tableau 5.
58 Le pôle Mer Bretagne fait partie de l’un des 67 pôles de compétitivité retenus par l’État français depuis leur lancement en septembre 2004. Sous la responsabilité du Ministère du Commerce et de l’Industrie, le Comité interministériel de l’aménagement et du développement du territoire (CIADT) possède un budget d’environ 1,5 milliard d’euros sur trois ans pour le développement des pôles de compétitivité. Les subventions directes aux projets innovants et les mesures fiscales aux entreprises représentent les mesures les plus courantes.
Nombre d’entreprises* | 46 |
Nombre d’employés** | 5 000 |
Spécialisation des activités maritimes | 2-3-4-5 |
Université et collèges associés | 2 |
Principales caractéristiques du cluster maritime de Brest
* Données pour la seule technopole de Brest. 1 = aquaculture, 2 = pêche et transformation, 3 = construction navale,
4 = équipements maritimes, 5 = sciences et technologies marines, 6 = autres activités connexes ** Présents dans des
activités directement liées aux domaines maritimes.
59 Parmi les projets soumis, le pôle Mer Bretagne a été inscrit comme l’un des 15 pôles de vocation mondiale. Le pôle Mer Bretagne (www.pole-mer-bretagne.com) doit être considéré comme un pôle régional, dont fait partie le Technopôle Brest-Iroise, ce dernier représentant même la majorité des activités maritimes en plus de ses activités liées aux technologies d’information et aux sciences de la vie.
60 Le Technopôle Brest-Iroise agit comme la principale agence locale du développement et de l’innovation industrielle. Avec les technologies de l’information et les sciences de la vie, son troisième pôle d’activité est les sciences et technologies de la mer. En incluant les activités de Défense, les secteurs maritimes occupent le quart de la population active. Les activités de recherche y sont particulièrement développées. Outre les 630 chercheurs (sur 1 400) de l’Institut de recherche maritime national (IFREMER), Brest compte également l’Institut de recherche pour le développement (IRD) spécialisé en sciences environnementales, le laboratoire d’études et de recherche en pathologie des poissons (AFSSA) et le Laboratoire de mécanique des structures navales (ENSIETA). L’activité académique est concentrée à l’Institut universitaire européen de la mer (IUEM), centre de recherche et établissement d’enseignement supérieur en sciences de la mer pour 300 étudiants et une centaine de chercheurs et professeurs. Au total, plus de la moitié de la recherche française dans les secteurs maritimes est localisée à Brest : cependant, une partie importante de celle-ci s’effectue pour le Ministère de la Défense, et DE PENANROS et SERFATI (2000) soulignent le manque d’échange et de synergie entre ce secteur et le domaine privé.
61 La ville représente aussi un exemple de concentration géographique de l’activité maritime française, comme en témoignent le campus de l’IFREMER et le parc industriel du Technopôle. Celui-ci regroupe 46 compagnies employant plus de 5 000 salariés dans le seul domaine maritime. Notons cependant que les trois quarts de ces emplois (3 600 environ) sont le fait de deux firmes (DCN et Thales), constructeurs navals et fournisseurs de services d’ingénierie militaire, principalement pour la Marine française. Les autres entreprises, avec en moyenne une trentaine d’employés, sont surtout actives dans les domaines de l’agro-alimentaire et des technologies liées à l’exploration marine.
62 En définitive, s’il est certain que Brest représente un centre d’activité maritime important, il principalement axé sur la Défense. Il faut souligner les faibles niveaux tant d’entrepreneurship que d’innovation privée par rapport aux importantes activités publiques de recherche et d’enseignement, et les faibles échanges entre les activités publiques et privés. Le niveau d’activité du cluster maritime de Brest demeure donc fortement dépendant du soutien de l’État central (DE PENANROS et SERFATI, 2000). Dans la mesure où la grande partie de l’activité maritime de la ville est destinée au domaine public, le contexte protégé de Brest risque, à terme, d’entraîner des défis de compétitivité pour les entreprises dans des marchés élargis, notamment pour les secteurs des technologies maritimes.
4.6. Tromso (Norvège)
63 Sixième ville de Norvège avec ses 62 000 habitants, Tromso est située sur la côte Est du pays, au nord du cercle polaire. Fondée au Moyen-âge, Tromso est demeurée un village jusqu’au XIXe siècle avant de profiter de l’essor de la chasse nordique et du commerce maritime. Un chantier naval y a opéré entre 1848 et 1948. Le tourisme, la pêche, l’activité académique et la RD dans les domaines maritimes représentent aujourd’hui les principales activités économiques de la ville, qui joue le rôle de centre administratif et économique pour l’ensemble du nord de la Norvège. L’université représente à elle seule 10 % de l’emploi de la ville, et les étudiants en constituent 17 % de la population : l’économie de Tromso est donc fortement tributaire des activités publiques.
64 Les principales caractéristiques du cluster sont présentées dans le tableau 6.
Principales caractéristiques du cluster maritime à Tromso
Nombre d’entreprises | n.d. |
Nombre d’employés | n.d. |
Spécialisation des activités maritimes* | 1-2-5 |
Université et collèges associés | 1 |
Principales caractéristiques du cluster maritime à Tromso
* 1 = aquaculture, 2 = pêche et transformation, 3 = construction navale, 4 = équipements maritimes, 5 = sciences et
technologies marines, 6 = autres activités connexes ** Présents dans des activités directement liées aux domaines
maritimes.
65 Si un cluster maritime local est identifiable, celui-ci ne bénéficie pas d’une agence locale ou régionale de promotion. En revanche, par l’entremise de SIVA, une agence de développement industriel, l’État est présent dans l’organisation d’un parc industriel et de deux regroupements dédiés aux domaines maritimes : Fiskeriforskning et NorInnova. Les deux sont propriétés communes de SIVA et de l’Université de Tromso. Fiskeriforskning est une agence de RD spécialisée dans les domaines de la pêche et de l’aquaculture. Ses principales activités et son siège social sont localisés à Tromso. NorInnova est, pour sa part, impliquée dans la commercialisation des entreprises locales innovantes. Les activités du premier et la majorité des entreprises du deuxième touchent à la pêche ou à l’aquaculture, à la transformation alimentaire et aux technologies maritimes.
66 Le cluster maritime de Tromso comprend également l’Université de Tromso, fondée en 1972 dans le but explicite de soutenir le développement de la région. L’université comprend notamment le Norwegian College of Fishery Sciences (NCFS) avec 600 étudiants en biosciences, biotechnologie, économie et marketing et 110 professeurs et chercheurs. D’autres activités de recherche se poursuivent à l’Institute of Marine Research dont le siège social se trouve à Bergen mais qui compte un établissement à Tromso. L’institut poursuit des activités de RD dans les domaines des ressources marines, de l’environnement et l’aquaculture. Un autre centre de recherche présent à Tromso est le Norwegian Polar Institute, déménagé depuis à Oslo en 1998.
67 La stratégie gouvernementale norvégienne ne privilégie pas de regroupements sectoriels ou la formation officielle d’un cluster mais plutôt le soutien à l’innovation et à la mise en marché parmi les secteurs maritimes déjà présents, notamment ceux alimentaires (pêche, aquaculture). En plus de SIVA, le cluster local bénéficie des activités d’Innovation Norway, principal organisme gouvernemental pour le développement et l’application des politiques commerciales. Le cluster maritime de Tromso a également bénéficié d’une volonté politique de positionner la ville comme un centre d’enseignement et de recherche maritime malgré l’emplacement très périphérique de la ville et le grand éloignement des marchés. Notons finalement, que bien que la ville ne soit pas directement impliquée dans l’exploitation des secteurs énergétiques, leur apport dans le dynamisme économique de la Norvège (et notamment le financement qu’ils permettent pour les activités comme Innovation Norway) n’est pas étranger aux investissements significatifs entrepris par les pouvoirs politiques à Tromso.
- 5 - Conclusion
5.1. Discussion des cas comparés
68 Dans cet article nous avons passé en revue six exemples de clusters dans le secteur maritime. Ces six clusters s’articulent dans des contextes très différents et ne se ressemblent pas tous (tableau 7).
69 Nous pouvons séparer les exemples étudiés en deux catégories. Premièrement, les clusters spontanés, qui semblent se développer sans intervention publique particulière en réponse à des conditions locales et à des marchés propices. Dans cette catégorie se trouvent les clusters de Copenhague et de Turku, soit les deux clusters métropolitains. Ensuite, les clusters construits, c’est-à-dire ceux que l’on tente de stimuler par le biais de politiques publiques spécifiques. Parmi ceux-ci certains semblent avoir évolué vers un certain dynamisme propre (Tromso), et d’autres ne parviennent pas à générer les synergies et interactions nécessaires à un développement autonome (Québec maritime, Brest, St-John’s).
Secteurs maritimes dominants |
Implication gouverne mentale |
Niveaux politiques impliqués |
Présence d’un cluster institutionnalisé |
Taille de l’agglomé ration (isolement) |
Dynamisme de l’économie locale | |
Québec maritime |
Pêche, sciences et technologies marines | Forte |
National, provincial, régional, local |
Oui (Technopole maritime du Québec) |
50 000 (isolé) (Rimouski) |
Moyenne- faible |
St-John’s |
Offshore, pêche | Moyenne |
Fédéral, provincial, régional | Oui (Ocean Excellence) |
130 000 (isolé) | Moyenne |
Copenhague |
Transport, services | Faible | National | Non |
2 000 000 (capitale nationale) | Forte |
Turku |
Construction navale, technologies marines | Moyenne | National | Non |
320 000 (forts liens avec Helsinki) | Forte |
Tromso |
Recherche, education | Moyenne |
National, régional | Non |
62 000 (isolé) | Forte |
Brest |
Défense, recherché | Forte |
National, régional | Oui (Technopôle Brest) | 350 000 |
Moyenne- faible |
70 Les clusters spontanés se développent dans un cadre métropolitain, ou bien situé par rapport aux centres métropolitains locaux et par rapport aux axes de transports et aux marchés. Ceci vient conforter les observations de ISAKSEN (2001), HALL (1999), SIMMIE (2001), CREVOISIER et CAMAGNI (2000) et MALECKI et al. (2002) quant au rôle que jouent la taille urbaine et les conditions métropolitaines pour le développement de synergies et d’interactions menant à l’innovation. Ces conditions, sans être nécessaires ni suffisantes pour la création d’un cluster, en facilitent cependant grandement l’épanouissement. Tromso, qui ne bénéficie évidemment pas de conditions métropolitaines, est la seule autre ville qui a su générer un certain dynamisme au sein de son cluster maritime. Ce dynamisme est la conséquence d’interventions très lourdes et à long terme de l’État norvégien – interventions rendues possibles grâce aux revenus de pétrole. Ce type de politique à long terme, focalisé sur une petite capitale régionale (et qui dispose donc d’une certaine infrastructure administrative, de transport et de santé), pourrait donc réussir à générer un dynamisme endogène au sein d’un cluster en région éloignée.
71 St-John’s, qui commence tout juste à bénéficier de ses revenus pétroliers, vit une période charnière : soit ces revenus permettront le développement d’un cluster maritime autonome – qui réussit à innover, à attirer de la main-d’œuvre et à exporter indépendamment du secteur pétrolier –, soit la bonne santé apparente du secteur maritime ne repose que sur une hausse à court terme de la demande, et ce secteur périclitera une fois les travaux d’exploitation pétrolière terminés. Si l’exemple de Tromso nous apprend quelque chose, c’est l’importance d’un soutien et d’une vision à long terme : son université fut fondée en 1972 contre l’avis de plusieurs spécialistes (Université de Tromso, 2006), et ce n’est que petit à petit qu’une légère activité privée innovatrice dans le secteur maritime s’est développée autour.
72 Une différence fondamentale entre ces divers clusters concerne l’implication gouvernementale. Les clusters spontanés ne font pas l’objet de politiques publiques particulières. Le secteur maritime est un secteur comme un autre au sein d’économies locales dynamiques, et s’il bénéficie d’un support quelconque, ce support provient de politiques plus générales concernant l’innovation ou le développement d’entreprises. Par contre, au sein des clusters construits – notamment dans le Québec maritime, à St-John’s et à Brest – des politiques plus explicites ont été mises en place. Ces trois régions sont toutes des zones qui ont connu ou qui connaissent encore des problèmes de restructuration économique et d’éloignement par rapport aux principaux centres économiques. Tout semble indiquer que ces politiques explicites de cluster tentent de remédier au manque de conditions propices à l’émergence d’une réelle synergie entre les acteurs du secteur. À Tromso, où nous n’avons identifié aucune politique explicite, l’université elle-même se spécialise dans des domaines associés au secteur maritime. Bien que construite (l’université et le cluster de Tromso n’existeraient pas sans la volonté politique du gouvernement central de Norvège) Tromso se différencie par rapport aux trois autres clusters de ce type dans la mesure où on y trouve un certain dynamisme.
73 Aucun de ces clusters maritimes n’a été créé ex nihilo. Chacune des six localités possède, de longue date, des activités économiques liées à la mer. Les clusters qui s’y développent – qu’ils soient spontanés ou construits – reposent sur des industries maritimes et des savoir-faire traditionnels. La mise en place d’un milieu innovant dans tel ou tel domaine ne peut se faire que si le milieu et les innovations en question exploitent le savoir, les connaissances et les réseaux qui existent au préalable. Le secteur maritime est particulier dans la mesure où personne n’aurait idée de le développer dans une zone qui n’est pas côtière. Mais nous pensons que même pour les secteurs dont l’attache territoriale est moins apparente, un cluster ne pourra réellement se développer que s’il existe au préalable un terreau convenable. Les traditions industrielles et économiques locales sont tenaces, et même si elles peuvent être orientées vers des créneaux plus innovants et vers une organisation industrielle en réseau, elles ne peuvent pas être changées de fond en comble par le biais d’une politique.
5.2. Retour sur le concept de clusters
74 Certains chercheurs (MASKELL et KÉBIR, 2006 ; MARTIN et SUNLEY, 2003 ; MARKUSSEN, 1999) reprochent au concept de cluster un manque de contenu théorique et de généralité. Notre étude a permis d’illustrer la grande hétérogénéité de l’application de concept, même au sein d’un unique secteur économique. L’existence d’un cluster maritime dans un endroit donné ne semble pas de lui-même avoir une grande influence sur la trajectoire économique de la région, qui semble plutôt être influencée par des effets de métropolisation, d’accessibilité et de présence de ressources telles le pétrole. Les structures économiques héritées jouent aussi un rôle primordial dans la trajectoire économique des régions, et des clusters en leur sein.
75 Même si une théorie des clusters tenait compte des éléments suggérés par MASKELL et KÉBIR (2006) – c’est-à-dire des externalités, compétitivité et territoire –, cette théorie serait incomplète. En effet, un cluster, par définition, occupe une localisation géographique que l’on doit distinguer du territoire. Cette localisation est située par rapport aux grands marchés, est plus ou moins propice à tel ou tel type de développement économique, et répond plus ou moins bien aux besoins de tel ou tel secteur. Le cluster dépend autant de cette localisation que des dynamiques internes au territoire, et les deux ne peuvent pas être dissociées. Il est donc, selon nous, impossible de développer une théorie des clusters qui ne tiennent pas compte de la géographie économique. Nos résultats montrent que la trajectoire de chacun des six clusters étudiés est intimement liée à la trajectoire et l’histoire de la région dans laquelle elle se trouve, qui dépend elle-même, en partie au moins, de sa localisation et de ses caractéristiques géo-économiques. Autrement dit, même si, dans chaque territoire, on peut reconnaître un cluster (selon la définition de PORTER, 2003), le dynamisme de ce cluster est tributaire des attributs spatio-économiques de sa localisation relative. MARKUSSEN (1999), qui nous rappelle le manque de généralité des études sur les clusters, met peut-être en exergue l’impossibilité même de telles généralisations. Si chaque cluster est en fait une triade secteur/localisation/ institutions particulière, il sera très difficile de trouver deux clusters comparables.
76 Cela dit, la notion de cluster n’est pas sans intérêt comme grille d’articulation et de mise en vigueur de politiques publiques de stimulation économique. En effet, il est possible, par exemple, que les efforts pour en générer un à Brest soient un moyen intéressant de modifier la structure et les relations industrielles héritées, même si cela ne débouche pas nécessairement sur une panacée. De manière semblable, dans le Québec Maritime – région en difficulté – les efforts consentis pour développer un cluster servent à mobiliser et mettre en valeur les acteurs et institutions présentes sur le territoire : la situation serait peut-être encore plus difficile sans politique. Dans des cas comme ceux-ci, le manque de contenu théorique, qui est critiquable dans un contexte académique, privilégie une certaine flexibilité rendant possible l’élaboration de stratégies de développement dans des contextes territoriaux très diversifiés.
5.3. Les politiques de clusters
77 En somme, cette analyse de six clusters révèle l’hétérogénéité du concept même. Si on se limite à l’analyse pragmatique des politiques, ce terme sert autant à décrire un état de fait (un ensemble d’entreprises et d’institutions, concentrées géographiquement, qui répondent directement à la définition de PORTER, 2003) qu’un état espéré (par exemple dans le Québec Maritime). La confusion réside dans le fait que certaines politiques gouvernementales utilisent le terme pour nommer un ensemble d’entreprises et d’institutions qui ne répondent pas à la définition. Ces politiques ont pour but de générer les synergies locales diverses qui mèneraient à l’innovation et à la croissance du secteur.
78 La véritable question, en matière d’intervention, est de savoir s’il est possible de générer un cluster par le biais de politiques publiques, quel que soit le contexte territorial. Les exemples ci-dessus suggèrent que ceci est difficile, mais peut-être pas impossible. Le seul exemple de réussite partielle (le mot partiel est utilisé car le cluster repose encore sur un soutien publique) est Tromso. Cette ville, et son cluster maritime en particulier, ont bénéficié d’une intervention soutenue et à long terme du gouvernement norvégien, soutien qu’il serait difficile de répliquer ailleurs sans accès à la fois aux revenus pétroliers et à un contexte de redistribution régionale très marqué. À Brest, comme le soulignent DE PENANROS et SERFATI (2000), la scission entre les activités de Défense et les activités civiles, ainsi que la culture locale de la grande entreprise, rendent, pour l’instant, la création d’effets de milieu et de dynamisme difficiles. Dans le Québec maritime, l’absence d’une condition préalable à un cluster – celui de la concentration géographique – rend aussi difficiles les interventions politiques dans ce sens. Finalement, à St-John’s, les moyens sont là, à court terme, pour faire évoluer le secteur maritime vers une dynamique endogène. Cependant, l’éloignement des grands marchés et l’incertitude quant à la durée des revenus pétroliers font qu’il y sera tout de même difficile de générer de réels effets de milieu. Cependant, le cluster de St-John’s est à suivre de près, car, s’il parvient à démarrer, ce sera un autre contre-exemple à la règle générale qui semble vouloir que les clusters ne parviennent qu’à se développer et croître à proximité (ou au sein même) de grandes zones métropolitaines.
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Mots-clés éditeurs : Europe, clusters, institutions, Canada, trajectoires de développement, politiques
Mise en ligne 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/reru.073.0365Notes
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[*]
Première version septembre 2006, version révisée décembre 2006.
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[1]
- Économies générales imputables à la taille et à la densité urbaine, à distinguer des externalités de Marshall qui relèvent des échanges et des dynamiques au sein d’une même filière économique et qui découleraient de la concentration spatiale des établissements et acteurs de cette filière (voir Shearmur et Polèse, 2005).
-
[2]
- Ces infrastructures sont l’installation d’un maréomètre en 1894 et la construction d’un quai de 800 pieds de long de 1901 à 1905 autour de Rimouski. Un télégraphe sans-fil fut installé en 1907 et en 1909, la construction du phare fut complétée. À compter de 1905, le ministère de la Marine mis à la disposition des pilotes cinq bâtiments qui œuvraient également pour d’autres ministères fédéraux tels que les Douanes, l’Immigration, l’Agriculture et les Postes. Cependant, à partir de 1934, les navires abandonnèrent progressivement le chenal du Sud pour longer la rive Nord du fleuve et la station de pilotage fut officiellement transférée aux Escoumins en 1961.
-
[3]
- Plusieurs politiques et programmes ont été initiés par les gouvernements dans le but de renverser les tendances lourdes qui affectaient les économies du Québec maritime et de mettre en valeur les ressources maritimes. Parmi les principales politiques influentes à l’émergence du cluster maritime, il y a l’Initiative Régionale stratégique, la Planification stratégique régionale, et Plein Cap sur la Mer.
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[4]
- L’éloignement par rapport aux grands marchés, la taille relativement petite de son économie locale, et sa grande dépendance envers les activités économiques maritimes - exception faite, depuis environ 5 années, des activités pétrolières offshore – étant semblables.