Couverture de REDP_234

Article de revue

Compétition académique et modes de production scientifique des économistes français

Pages 469 à 494

Notes

  • [*]
    Doctorant contractuel à l’Université de Lyon, Lyon, F-69007, France ; CNRS, GATE Lyon St-Etienne, Ecully, F-69130, France. Adresse : Groupe d’Analyse et de Théorie Economique, UMR 5824 du CNRS – Université Lumière Lyon 2, 93, chemin des Mouilles, 69130 Ecully – France, Tel : + 33 (0) 4 72 86 60 21, Email : kossi@gate.cnrs.fr
  • [**]
    Professeur à l’Université de Lyon, Lyon, F-69007, France ; CNRS, GATE Lyon St-Etienne, Ecully, F-69130, France. Adresse : Groupe d’Analyse et de Théorie Economique, UMR 5824 du CNRS – Université Lumière Lyon 2, 93, chemin des Mouilles, 69130 Ecully – France, Tel : + 33 (0) 4 72 86 60 84 (Bureau GATE), + 33(0) 4 78 78 76 68 (bureau direction Ecole Doctorale SEG), + 33(0) 6 86 14 15 08 (portable), Email : lesueur@gate.cnrs.fr
  • [***]
    Professeur à l’Université de Savoie, IREGE, IAE Savoie – Mont Blanc BP 80439 – 74944 Annecy-le-Vieux Cedex – France. Adresse : Université de Savoie – IREGE, BP 80439 – 74944 Annecy-le-Vieux Cedex – FRANCE, Tel : + 33-(0)4-50-09-24-59, E-mail : mareva.sabatier@univ-savoie.fr La base de données originale mobilisée dans cet article concerne les candidatures aux campagnes nationales de la Prime d’Excellence Scientifique 2009 et 2010 en économie. Elle a pu être constituée grâce à l’accord de la DGESIP du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Les éventuelles imperfections restent toutefois de la seule responsabilité des auteurs.
  • [1]
    La commission nationale délivre une évaluation globale (A, B ou C) qui synthétise les quatre critères qui sont privilégiés dans l’évaluation des candidatures à savoir les publications, l’encadrement doctoral, le rayonnement scientifique et les responsabilités scientifiques.
  • [2]
    De manière générale, la loi de Lotka s’écrit : f (n) = ankf (n) est la proportion d’auteurs ayant écrit n articles, a et k étant les paramètres estimés de la loi. Dans son article de 1926 Lotka observe que pour 100 chercheurs produisants chacun un article, il y en a à peu près 100 /22, soit 25 qui produisent 2 articles de sorte que k = 2.
  • [3]
    Traduction directe de « Matthew effect » il trouve son origine dans l’évangile selon St. Matthieu où l’on peut en effet lire «Celui qui a, on lui donnera et il aura un surplus, mais celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé »!
  • [4]
    A titre d’exemple s’il fallait à peu près 9 mois en 1970 pour qu’un article proposé à la revue Econometrica soit publié, le temps d’attente est passé à plus de 26 mois en 1999. Pour l’American Economic Review, dans la même période, la durée est passée de 13,5 mois en 1980 à plus de 21 mois en 1999. Un article dans Economic Inquiry demandait 3,4 mois en moyenne d’arbitrage avant publication en 1980 contre 13 mois en 1999.
  • [5]
    Calcul effectué une fois déduit les effectifs relatifs aux 4 établissements RCE n’ayant pas eu recours à l’instance nationale.
  • [6]
    Le traitement du biais de sélection par une procédure de type Heckman nécessite l’accès à l’échantillon complètement renseigné de la population « mère » dont sont issus les candidats à la PES, ce dont nous ne disposons pas. En effet, le tableau de classement des enseignants-chercheurs de la section 5, bien que représentatif de la population « mère », ne donne que des informations très sommaires sur les enseignants-chercheurs, ce qui limite les possibilités de traitement du biais de sélection. Or, la condition d’identification des procédures de type Heckman usuellement retenue dans ce domaine nécessite de respecter une condition d’exclusion. Il s’agit de disposer de variables instrumentales fortement corrélés à la décision de participation (équation de sélection) mais faiblement corrélées à la variable d’intérêt (la production scientifique en l’occurrence). Le domaine de choix de telles variables est donc très restreint ou relève pour l’essentiel de caractéristiques individuelles qui restent inobservables par l’économètre.
  • [7]
    Notre critère de mesure n’est pas très éloigné de celui qui a été utilisé par le jury du concours national d’agrégation de l’enseignement supérieur 2007-2008 présidé par Louis Lévy Garboua [2008].
  • [8]
    Le h index des citations ou encore appelé indice h de Hirsch [2005] est construit sur la base du nombre de citations des articles publiés. Ainsi, un chercheur est affecté d’un indice de niveau h si h de ses n articles ont au moins h citations chacun et ses autres articles (nh) ont au plus h citations. Un chercheur dont l’indice h est de 6 aura donc publié au moins 6 articles qui auront été cités chacun au moins 6 fois. Ainsi plus le h index est élevé et plus le chercheur est productif au sens de la citation de ses travaux.
  • [9]
    Notons que l’existence d’une distribution asymétrique des aptitudes inobservables entre les chercheurs est parfois avancée dans la littérature comme facteur explicatif des rendements croissants de la production scientifique. Si l’on suppose que cette composante inobservable est permanente et non transitoire, son effet est alors fortement corrélé à notre h index retardé. De fait, la présence de cette variable de contrôle dans nos équations par quartile peut également contrôler cette source d’hétérogénéité inobservable.
  • [10]
    Les résultats des régressions Tobit sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
  • [11]
    Les estimations par quartiles ont été effectuées à partir de la procédure Bootstrap (bsqreg) du logiciel STATA.
  • [12]
    Une méthode d’estimation par variables instrumentales, sous réserve de leur caractère observable, permettrait de renforcer ces résultats.
  • [13]
    L’effet spécifique positif et statistiquement significatif de JEL 1 peut apparaitre plus surprenant que les deux autres. On pourrait associer à cette dynamique particulière plusieurs effets liés. La taille relativement limitée et la forte concentration spatiale en France des chercheurs très actifs en histoire de la pensée, méthodologie et histoire de l’économie, est un premier élément d’explication. Le faible nombre de supports de publication internationaux spécialisé dans ce domaine, comme la faible variété des réseaux internationaux dans lesquels leurs travaux sont présentés conduisent sans doute également à une plus forte auto-sélection de leur part lors des campagnes PES.

Introduction

1 Les effets d’annonce du classement de Shanghai et une concurrence plus marquée entre les universités ont stimulé les réflexions sur l’évaluation de la production scientifique. La littérature actuelle laisse apparaître dans ce domaine une certaine controverse, tant dans le choix des indicateurs de production scientifique (Courtault, Hayek, Rimbaux et Zhu [2010], Tombazos [2005], Combes et Linnemer [2003, 2001]), que sur les limites du recours à ce type de critère comme méthode d’évaluation de l’activité scientifique (Hendrick, Dalen Klamer [2005], Gingras [2008], Frey [2009]). Le cas français est d’autant plus stimulant à étudier que les réformes institutionnelles (mise en place de l’AERES, de l’ANR, loi LRU, etc.) en vue d’améliorer la position des universités dans la compétition internationale, se sont succédées à un rythme rapide depuis 2007. Ces réformes poursuivent globalement deux objectifs. D’une part, elles visent à constituer sur la carte nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, quelques grands pôles d’excellence permettant de générer les effets d’agglomérations attendus d’une concentration spatiale des compétences. D’autre part, ces réformes souhaitent instiller progressivement, au niveau individuel comme collectif, une culture de l’évaluation de la production scientifique fondée sur la concurrence par comparaison.

2 Les études réalisées sur la production scientifique des enseignants-chercheurs en économie restent relativement limitées à ce jour (Frey [2009], Morrisey et Cawley [2008], Rauber et Ursprung [2008], Taylor, Fender et Burke [2006]), Siegfried [2006]), a fortiori lorsqu’il s’agit d’étudier le cas français (Combes et Linnemer [2001], [2003], Bosquet et Combes [2011], Lesueur [2012]). Or, à l’exception de Lesueur [2012], ces travaux partagent une limite importante dans leurs méthodes d’évaluation. Alors que l’activité d’un enseignant-chercheur est multitâches (Aghion et al. [2009], Gary-Bobo et Trannoy [2009]) et que les pondérations accordées à chacune d’entre elles évoluent au cours de la carrière, les bases de données utilisées ne permettent pas de contrôler l’impact, sur la quantité ou la qualité des publications, du temps consacré aux autres activités associées au métier d’enseignant-chercheur. Le développement des mécanismes d’évaluation ouvre toutefois un changement structurel profond dans la gestion des ressources humaines au sein des universités françaises. Dans un environnement de concurrence par comparaison, la politique de recrutement, de promotion, mais aussi le développement d’incitations monétaires (primes) ou non-monétaires (décharges de services), sont devenus des instruments stratégiques pour fidéliser et attirer les talents source d’avantages comparatifs. Dans ce contexte, l’évaluation des performances relatives des enseignants-chercheurs en matière de publication conditionne désormais, non seulement une partie de leur rémunération individuelle (Prime d’Excellence Scientifique – PES –, nomination à l’Institut Universitaire de France), mais également les dotations de leurs laboratoires. La mise en relation des inputs de la production scientifique et des outputs évalués devient cruciale. Or force est de constater que si ces derniers sont mis sous le feu des projecteurs, les inputs qui ont contribué à leur réalisation sont, faute d’informations disponibles, très rarement contrôlés lors de l’évaluation.

3 L’étude présentée dans cet article mobilise des données originales qui assurent de dépasser ces difficultés. Ces données permettent d’observer les 287 enseignants-chercheurs de la 5e section du CNU (sciences économiques) ayant candidaté aux deux premières campagnes de la Prime d’Excellence Scientifique (2009 et 2010). De fait nous élargissons le champ d’analyse des données utilisées par Lesueur [2012] en y intégrant les données issues de la deuxième vague d’évaluation 2010 de la PES. Ce dispositif a pour objectif d’évaluer l’activité scientifique des candidats et de sélectionner les plus méritants à travers plusieurs indicateurs. Ainsi, les données issues des campagnes PES apportent des informations individuelles, souvent inobservées dans d’autres bases de données, sur les caractéristiques individuelles et les publications, mais aussi les activités d’enseignement, les responsabilités collectives et les trajectoires au cours de la carrière. En outre, l’évaluation des candidatures à la PES s’inscrit dans un contexte de tournoi bien connu des économistes du travail. En effet, les règles essentielles d’un tel mécanisme de compétition académique sont respectées puisque les différentes dimensions de l’évaluation [1] sont observées dans une fenêtre d’observation temporelle identique pour tous les candidats, à savoir du 01/01/2005 au 01/01/2009 pour la strate 2009 de l’échantillon et du 01/01/ 2006 au 01/01/2010 pour la strate 2010. De plus concernant le seul critère de la production scientifique qui sera privilégié dans cet article, une grille d’évaluation homogène des publications est retenue à travers le classement CNRS des revues.

4 A partir de ces données, notre objectif est d’analyser quels sont les déterminants de la production scientifique des enseignants-chercheurs en sciences économiques. Notre contribution s’avère originale à deux niveaux. D’une part, nous contrôlons l’influence du multitâche et la possibilité donnée à chaque enseignant-chercheur de revoir la composition de son portefeuille d’activités au cours de la carrière. D’autre part, nous évaluons les effets d’externalités liés à l’environnement de la recherche, effets qui peuvent-être à l’origine d’un biais dynamique (connu sous le nom d’effet Matthieu) lors des mécanismes de promotion (Merton [1968], Carayol [2006]).

5 L’article est structuré en quatre sections. Dans une première section, nous présentons un survol de la littérature portant sur les déterminants de la production scientifique. Nous centrons particulièrement l’éclairage sur les deux dimensions qui animent l’orientation de cet article : le multitâches et les effets d’externalités de l’environnement de la recherche. La deuxième section offre une présentation statistique de l’échantillon mobilisé. Nous proposons un critère de mesure de la production scientifique tenant compte à la fois de la qualité des supports de publication et du nombre de co-auteurs. Nous réalisons alors dans une troisième étape des estimations économétriques par quantiles qui permettent d’identifier l’effet discriminant des déterminants de la production scientifique des enseignants-chercheurs, selon leur position dans la distribution de la production scientifique observée de 2005 à 2010. Nos résultats économétriques mettent clairement en évidence les effets du multitâche et des externalités, sur le dualisme du système de production scientifique qui semble caractériser les économistes français candidats à la PES. En nous référant à la typologie proposée par Lindbeck et Snower [2000], nous identifions une opposition sensible entre le régime « tayloriste » des plus publiants et le régime « holiste » dans lequel s’inscrivent les plus polyvalents. La dernière section de l’article résume les principaux résultats obtenus et les prolongements envisageables.

1. Les déterminants de la production scientifique

1.1. Cycle de vie de la production scientifique et contrôle du multitâche

6 Deux faits stylisés particulièrement robustes accompagnent les travaux empiriques sur la production de connaissances.

7 Dès 1926, Lotka a mis en évidence l’existence d’une relation inverse entre le volume de la production scientifique et le nombre de chercheurs. Cette loi, qui est un cas particulier de la loi de puissance inverse [2], n’est pas réfutée par les travaux qui se sont développés pour évaluer la production scientifique, que ce soit au niveau des laboratoires de recherche, des universités ou des chercheurs. Narin et Breitzman [1995] ont même étendu la robustesse empirique de cette loi au cadre des inventeurs prolifiques et de la production de brevets. Ainsi, un petit nombre de chercheurs publient beaucoup alors qu’un grand nombre produit peu.

8 Au-delà de la loi de Lotka, les travaux empiriques sur la production scientifique font régulièrement état d’un cycle de vie de la production scientifique. L’effort de production scientifique serait plus élevé en début de carrière qu’il ne l’est une fois atteint le niveau de promotion désiré. A partir d’un modèle de choix inter-temporel dans lequel les agents cherchent à allouer de manière optimale leur temps disponible entre la recherche et les autres activités, Levin et Stephan [1991] ont proposé un fondement théorique à l’existence de ce cycle de vie. Leurs estimations économétriques réalisées à partir de données américaines mesurant la production scientifique des doctorants en sciences physiques et biochimie confortent cette hypothèse. Ce cycle de vie a également été mis en évidence par Taylor, Fender et Burke [2006] chez des enseignants-chercheurs en économie en poste dans les universités et collèges américains en 2003. Dans leur étude sur la production scientifique de 359 économistes de la santé aux États-Unis, Morrisey et Cawley [2008] obtiennent un effet quadratique de l’expérience professionnelle avec un extrémum atteint au voisinage de 24 années d’expérience professionnelle.

9 Des études récentes soulignent de fortes interactions entre ce cycle de vie de la production scientifique et d’autres facteurs plus institutionnels comme les perspectives de recrutement ou de promotion. Dans une étude mobilisant les données de panels (2004-2005) d’enseignants-chercheurs français et italiens en physique, Lissoni, Mairesse, Montobbio et Pezzoni [2011] confirment l’existence de ce cycle et montrent les effets néfastes de l’augmentation conjoncturelle brutale du nombre de postes vacants mis aux concours en 1980 en Italie et en 1985 en France. Leurs résultats des estimations économétriques révèlent que la plupart des enseignants-chercheurs recrutés dans cette période manifeste en moyenne, une production scientifique plus faible et une progression plus lente en termes de promotion au cours de la carrière que leurs collègues de même grade (ou corps) recrutés les autres années.

10 Rauber et Ursprung [2008] identifient, quant à eux, des effets de générations marqués concernant les publications des chercheurs et enseignants-chercheurs économistes allemands ayant obtenus leur doctorat entre 1963 et 1998 et en poste dans une université allemande en 2004. La date de réalisation de la thèse de doctorat permet d’identifier un effet de cohorte lors de l’estimation économétrique d’un modèle Tobit dans lequel la variable expliquée est un indice de production scientifique construit à partir des publications répertoriées dans EconLit. Leurs résultats économétriques sur l’ensemble de l’échantillon, montrent l’existence d’un pic dans la production scientifique après huit années d’expérience professionnelle, soit au voisinage de la titularisation comme full professor. Les résultats des estimations économétriques par quantiles réalisées par cohorte, témoignent d’une déformation du cycle de production scientifique avec des courbes de plus en plus marquées en faveur d’une production scientifique forte en début de carrière pour les jeunes générations.

1.2. Effets de voisinage, externalités de coopération scientifique et pression par les pairs

11 On peut s’interroger sur les fondements qui pourraient expliquer l’observation conjointe et régulière des deux faits stylisés que nous venons d’évoquer, à savoir la loi de Lotka et un cycle de vie de la production scientifique en lien avec la promotion au cours de la carrière. L’effet de l’environnement de la recherche peut-être avancé à ce niveau comme facteur susceptible d’affecter à la fois la dynamique individuelle de production scientifique comme la concentration de celle-ci entre un faible nombre de chercheurs.

12 Dans le contexte de la compétition académique qui nous intéresse dans cette étude, l’environnement de la recherche lors de la réalisation du doctorat peut générer des effets de « dépendance de sentier » tels que celui connu sous le nom d’effet Matthieu et initialement développé par Merton [1968]. La littérature moderne sur les tournois dynamiques a poursuivi cette intuition en s’intéressant aux effets d’interaction dynamique entre compétition pour le recrutement puis compétition pour la promotion, sur l’évolution des performances individuelles (Carayol [2006], Ederer [2010]). Les propriétés d’équilibre de ces modèles soutiennent l’existence d’un biais dynamique, connu sous le nom « d’effet Matthieu [3] ». L’environnement scientifique serait propice à un traitement inégalitaire des chercheurs au cours de leur carrière. Les chercheurs les plus réputés bénéficieraient dès le départ d’un environnement de recherche plus favorable (recrutement initial plus rapide dans des universités de qualité, accès à de bonnes conditions de travail et opportunités de coopération au niveau international, valorisation rapide de la recherche réalisée en doctorat,…), ce qui accélérerait leur recrutement puis leur promotion pour l’accès aux grades les plus élevés (effet fast track).

13 La coopération scientifique et les externalités associées à l’environnement de la recherche dans lequel est inséré un enseignant-chercheur jouent donc un rôle décisif dans sa propre production individuelle, que ce soit au niveau quantitatif comme au niveau qualitatif. Les possibilités de co-publication constituent à ce titre l’un des vecteurs d’externalités attendues de l’intégration d’un enseignant-chercheur dans un laboratoire réunissant des compétences dans un ou plusieurs domaines. Sur les données des enseignants-chercheurs en physique, Lissoni, Mairesse, Montobbio et Pezzoni [2011] confirment l’impact positif des publications en co-auteurs sur la production individuelle. La contribution marginale de cette variable au score de publication individuelle varie de 0,1 à 0,17 en moyenne, respectivement pour les professeurs et maîtres de conférences. Dans leur étude portant sur les enseignants-chercheurs en économie en poste dans les universités et collèges américains en 2003, Taylor, Fender et Burke [2006], estiment à 22,5 % l’amélioration de la production scientifique annuelle apportée en moyenne sur la période par chaque co-auteur supplémentaire. En contrôlant le biais d’endogénéité de cette variable, Lee et Bozeman [2005] sur les chercheurs en sciences exactes et sciences de l’ingénieur aux États-Unis, et Lesueur [2012] sur les enseignants-chercheurs en économie candidats à la PES en 2009, confirment l’impact favorable de la co-publication sur la production scientifique. La co-publication semble aussi affecter la qualité de cette production. Kocher et Sutter [2004] montrent ainsi que la co-publication, que ce soit entre chercheurs d’une même institution ou entre chercheurs relevant d’établissements différents, s’accroit de manière sensible avec le classement de la revue visée. Rauber et Ursprung [2008] obtiennent également un effet positif du nombre moyen de coauteurs sur la qualité des publications (mesurée par le facteur impact de chaque publication) au cours de la carrière.

14 Mais les effets d’externalités associés au rattachement d’un chercheur à un laboratoire peuvent être d’intensité différente selon le stock de compétence accumulé à un moment du temps au sein d’un laboratoire, d’un département ou d’une université de rattachement. Un effet seuil peut en effet exister en dessous ou au-delà duquel deux régimes de production scientifique peuvent se mettre en œuvre : L’un consistant à concentrer la production scientifique sur des supports de publications bien classés, l’autre au contraire à privilégier la quantité à la qualité. Telles sont les propriétés du modèle principal-agent de Manes et Shapira [2011], qui prennent en compte deux faits stylisés en matière de production scientifique : 1) L’observation d’une relation croissante entre le taux de co-publication et la qualité des revues (Kocher et Sutter [2004]) ; 2) Une augmentation de la durée d’arbitrage des articles [4] dans les dix meilleures revues internationales en économie (Ellison [2002]). Le coût d’opportunité d’un projet de publication dans une revue très bien classée a donc considérablement augmenté. Seuls les chercheurs qui peuvent compenser ce coût par de fortes externalités issues de la coopération avec ceux de leur département qui y ont déjà publié, peuvent s’engager dans une telle stratégie de publication. De fait, les départements qui disposent d’un stock de talents suffisant génèrent des externalités qui, par un mécanisme de pression par les pairs, leur permet d’atteindre un cercle vertueux où la qualité des articles devient prédominante sur la quantité. En revanche, dans les départements où le stock de compétence est insuffisant, le coût d’opportunité de l’investissement conduit à privilégier plutôt la quantité de publication dans des revues moins bien classées. Mettant en relation le taux de publication (toutes revues confondues) par chercheur dans chaque université avec le taux de publication par chercheur de ces mêmes université, mais dans les seules revues de rang A, Manes et Shapira [2011] font clairement apparaitre sur le plan statistique les deux « régimes » de publication en question. Leur modèle apporte un fondement à l’existence d’un système dual de production scientifique, certains départements privilégiant la qualité et d’autres la quantité de publication.

15 Si l’intuition semble cohérente avec la structuration des universités américaines et des logiques de leurs départements d’économie, on peut s’interroger sur une transposition directe au cas français. D’une part, le modèle suppose que selon le stock de talents accumulés, et de fait le niveau des externalités, les départements vont converger exclusivement vers l’un ou l’autre des régimes. D’autre part, le modèle retient l’hypothèse que, par la pression par les pairs, talentueux et moins talentueux peuvent coopérer au sein d’un même département. Dans l’hypothèse où la diffusion des externalités se trouverait enrayée, une superposition des deux régimes au sein d’un même département ou d’un laboratoire ne pourrait être exclue. Cette hypothèse est d’autant plus défendable, que l’étude de Manes et Shapira [2011] ne contrôle pas les autres activités des enseignants-chercheurs qui sont donc supposées également distribuées quels que soient les individus.

2. Une base de données inédite : les candidatures à la PES 2009 et 2010 en économie

16 Sur l’application mise en ligne par la DGESIP, les candidats à la PES doivent renseigner un dossier et joindre un CV résumant leurs activités sur les quatre années passées. La période d’évaluation est donc bien délimitée, soit du 01.01.2005 au 01.01.2009 pour ce qui concerne la campagne-PES 2009 et du 01.01.2006 au 01.01.2010 pour les candidats de la campagne 2010. C’est sur la base de ces informations et des évaluations décidées par la commission nationale, qu’une base de données a pu être codée et constituée pour les 287 candidatures cumulées. Notons qu’au sein de ces 287 candidatures, 50 d’entre elles qui n’avaient pas obtenues la PES suite à la décision de leur établissement en 2009, ont à nouveau déposé leurs candidatures en 2010. Seules les informations concernant leur situation en 2010 ont été reportées dans le fichier et une variable dichotomique de vague a été systématiquement introduite dans les estimations économétriques qui suivent.

17 L’échantillon ainsi constitué représente près de 14,7 % de la population totale des enseignants-chercheurs de la section 05 du CNU [5]. Notons que comme dans l’étude de Combes et Linnemer [2001], notre échantillon n’est pas insensible au problème de biais de sélection. Compte tenu de son origine, sa composition ne peut-être issue d’un tirage aléatoire, mais relève d’une procédure d’auto-sélection de la part des candidat(e)s. Les résultats statistiques et économétriques qui suivent ne peuvent donc être interprétés que relativement à la composition de notre échantillon [6].

18 Le tableau 1 donne une illustration de la représentativité de notre échantillon par grade, en comparaison de la distribution de l’effectif des enseignants-chercheurs de la section 05 du CNU recensée au 31.12.2008.

Tableau 1

Représentativité de l’échantillon

PRCE PRC1 PRC2 MCHC MCCN Total
Effectif section CNU 05 au
31.12.2008
125 264 196 231 1140 1956
Répartition (%) 6,4 13,5 10,0 11,8 58,3 100
Effectif échantillon cumulé
PES 2009-2010
26 57 62 22 120 287
Répartition en % 9,0 19,9 21,6 7,7 41,8 100
figure im1

Représentativité de l’échantillon

Calcul des auteurs à partir des données DGES IP.

19 Comme on pouvait s’y attendre eu égard au critère d’encadrement doctoral qui reste attaché aux principes d’attribution de la PES, le tableau fait clairement apparaître une sur-représentativité des professeurs dans chaque grade dans notre échantillon (50,5 % de notre échantillon), contre une représentativité de 29,9 % au niveau de la section CNU 05. Les écarts sont en particulier sensibles pour les professeurs de deuxième classe qui se trouvent fortement sur-représentés.

20 Les informations collectées dans cette base de données et dont les statistiques sont présentées dans le tableau 2 sont très riches. Les données couvrent, outre les caractéristiques individuelles comme l’âge, le sexe, l’expérience accumulée depuis l’entrée dans l’enseignement supérieur comme l’ancienneté dans l’établissement actuel. Les femmes représentent près de 25 % de l’échantillon soit une proportion légèrement plus faible que leur réelle représentativité dans l’ensemble des enseignants-chercheurs de la section CNU 05 en 2009 (29 %).

21 L’âge moyen est de presque 45 ans. Des informations sur les dates d’entrée dans chaque corps (maitre de conférences ou professeur) ou dans chaque classe au sein de chaque corps sont également renseignées. Il est donc possible de décomposer de manière assez fine l’expérience accumulée, en tenant compte des mobilités enregistrées au cours de la carrière comme des promotions. Si l’expérience accumulée depuis la date d’entrée dans la profession est de plus de 13 ans, l’ancienneté moyenne dans le dernier établissement d’affectation est elle de 10 ans. Ainsi près de 54 % des candidats ont connu au moins une mobilité au cours de leur carrière.

22 Les informations collectées à partir de la base de données PES permettent désormais de quantifier les déterminants de la production scientifique dont les fondements théoriques ont été avancés dans la première section.

Tableau 2

Statistiques descriptives de l’échantillon

Variables Définition Moyenne ou % Ecart-type Mini Maxi
GEN Genre (Hommes = 1) 74,9 % 0 1
AGE Age 44,94 9,76 30 68
EXP Expérience professionnelle depuis l’entrée dans l’enseignement supérieur (années) 13,88 8,75 1 40
ANCET Ancienneté dans l’établissement (années) 10,02 7,63 1 37
MCCN Maitre de Conférence Classe Normale 41,8 % 0 1
MCHC Maitre de Conférences Hors Classe 7,7 % 0 1
PR2C Professeur 2e Classe 21,6 % 0 1
PR1C Professeur
1re Classe
19,9 % 0 1
PRCE Professeur Classe
Exceptionnelle
9,0 % 0 1
PRP Prime de Responsabilité Pédagogique 9,40 % 0 1
PCA Prime de Charge
Administrative
5,57 % 0 1
PEDR Prime d’Encadrement Doctoral et de
Recherche
21,60 % 0 1
NHEML Nombre d’Heures
Moyen Enseignées en Licence (équivalent TD)
90,99 67,10 0 347,5
NHEMM Nombre d’Heures
Moyen Enseignées en Master (équivalent TD)
95,26 59,54 0 334
NHEMD Nombre d’Heures
Moyen Enseignées en Doctorat (équivalent TD)
6,04 16,13 0 100,5
figure im2
Variables Définition Moyenne ou % Ecart-type Mini Maxi
NMHC Nombre Moyen d’Heures Complémentaires de 2007 à
2009 (équivalent TD)
22,49 41,18 0 309,5
NMHDS Nombre Moyen d’Heures de
Décharge de Service (équivalent TD)
22,27 40,21 0 192
UMR Le laboratoire du candidat est une
Unité Mixte de
Recherche CNRS
60,97 % 0 1
EA Le laboratoire du candidat est une
Equipe d’Accueil
36,93 % 0 1
IPS Indice de Production
Scientifique
5,71 5,52 0 40,59
HI0506 H Index des candidats sur la période 1980-2005 (resp. 1980 – 2006) 4,35 4,40 0 30
CITU-
NIVPC
Indice de citation moyen des établissements (2004 –
2008)
14,41 12,99 0,9 76,65
SCORUP Etablissement ayant enregistré une amélioration de son score de citation de plus de 3 points de
2004 à 2008
35,54 % 0 1
figure im3

Statistiques descriptives de l’échantillon

2.1. Le contrôle des activités multitâches

2.1.1. La production scientifique

23 Sur la base des CV des candidats à la PES, il est possible d’évaluer, en quantité et en qualité, le volume de production scientifique de chaque candidat dans une même fenêtre temporelle. L’évaluation qui sera retenue dans cette étude a été basée sur le classement CNRS des revues et a conduit à la construction d’un indice de production scientifique (IPS).

24 Le calcul de cet indice a été réalisé sur la base des seuls articles publiés sur la période du 01.01.2005 au 01.01.2009, pour les candidats de la campagne 2009, et du 01.01.2006 au 01.01.2010 pour les candidats de la campagne 2010. Seules les publications dans des revues répertoriées dans le classement du CNRS (juin 2008) ont été retenues. Les publications annoncées comme à paraître n’ont pas été prises en compte dans le calcul de notre indice de production scientifique. Ce dernier a été calculé de manière assez simple [7]. Dans une première étape nous avons affecté des points en fonction du classement de la revue en reprenant la hiérarchie du dernier classement des revues effectué par le CNRS. Les revues classées 1* ont été affectées de 5 points, puis 4 points pour les entrées dans des revues classées 1, puis 3 points pour les revues classées 2 et ainsi de suite jusqu’à 1 point pour les revues classées en catégorie 4. Chaque note, pour chaque publication, a été divisée par la racine carrée du nombre de co-auteurs, et toutes les valeurs obtenues pour chacune des publications et pour chaque candidat ont été agrégées pour évaluer leur indice de production scientifique.

25 Les valeurs obtenues de cet indice qui sont consignées dans le tableau 2 varient entre 0 et 40,59 avec une moyenne autour de 5,71. La prise en compte du nombre de co-auteurs dans le calcul de cet indice présente deux avantages pour les estimations économétriques qui suivent. Le premier est de ne pas avoir à contrôler la nature endogène de cette variable, lors de l’estimation économétrique d’une fonction de production. Le deuxième est de pouvoir évaluer l’effet net des externalités liées à l’indice de citation de l’établissement de rattachement, lequel aurait pu être affaibli en présence d’une variable contrôlant le nombre de co-auteurs sans doute fortement colinéaire.

Figure 1

Distribution par classe de l’IPS et loi de Lotka

figure im4

Distribution par classe de l’IPS et loi de Lotka

26 La figure 1 présente l’histogramme, par classes regroupées, de la distribution de l’indice de production scientifique obtenu à l’issue de nos calculs.

27 On retrouve bien une forte concentration des candidats autour des valeurs faibles de l’IPS, comme le suggère la loi de Lotka : 24 % de l’échantillon manifeste un IPS compris entre 0 et 2, contre 4,5 % seulement de candidats dont l’IPS est supérieur à 16.

2.1.2. Les activités pédagogiques et administratives

28 Un des atouts de la base de données PES que nous avons constituée est de délivrer des informations précises, non seulement sur la production scientifique, mais aussi sur les implications en matières pédagogiques et administratives dans les deux dernières années qui ont précédé la candidature.

29 Nous avons pu mesurer le nombre d’heures moyen assurées dans chaque niveau de formation (Licence, Master et Doctorat), voire le volume des décharges de service obtenu ou à l’opposé le montant des heures complémentaires réalisées lors des deux dernières années. La distribution du volume moyen des heures d’enseignement dans les trois niveaux de formation correspond bien au service statutaire, soit assez proche des 192 heures en équivalents TD, avec une répartition en moyenne quasi équilibrée entre le niveau Licence et le niveau Master. La dispersion observée à ce niveau est toutefois très forte comme en témoigne les valeurs extrêmes de la distribution tant dans les enseignements de licence que de master. Le volume moyen de décharge de service comme d’heures complémentaires est proche de 23 heures mais ici encore, la variance observée est forte, qui couvre des cas de décharge d’un semestre liés à des Congés de Recherche pour Conversion Thématique voire des mises en disponibilités ou détachement qui ont pu couvrir plusieurs semestres. Cette observation sur les activités d’enseignement renforce notre intuition sur l’existence de stratégies multitâches hétérogènes entre des candidats soumis à un même contexte de tournoi.

30 Les implications dans les responsabilités collectives au niveau local sont identifiables par les informations délivrées sur la perception de primes de responsabilité pédagogique (plus de 9 % de l’échantillon), ou de primes de charges administratives (5,57 %). Enfin, l’information sur les candidats qui étaient titulaires d’une Prime d’Encadrement Doctoral et de Recherche arrivée à échéance, a également pu être exploitée, ce qui couvre 21,6 % de l’échantillon.

2.2. Le contrôle de l’environnement de la recherche

31 Pour contrôler les effets d’environnement de la recherche nous avons mobilisé plusieurs variables de contrôle.

32 Pour tenir compte de la dépendance de sentier dont il a été fait allusion dans la première section au travers de l’effet « Matthieu », nous avons évalué pour chaque candidat, le facteur d’impact de leurs citations, en mobilisant leur h index [8] mesuré avant leur date de candidature à la PES. Cet indice a été calculé par le logiciel « Publish or Perish » de Harzing [2010] qui se base sur les informations de Google Scholar. Il a donc été mesuré pour les années avant la période de comptage des publications retenue pour l’évaluation de la PES, soit avant 2005 pour les candidats à la PES 2009 et avant 2006 pour les candidats à la PES 2010 [9]. La valeur moyenne du h index des candidats de l’ordre de 4,35 est assortie d’une très forte dispersion allant de 0 à 30.

33 Le rattachement de chaque candidat à une équipe de recherche et à un établissement nous a permis de contrôler, outre l’éventuel effet de labellisation CNRS de l’équipe (près de 61 % des candidats concernés) sur la production scientifique individuelle, l’effet d’externalité lié aux compétences accumulées dans le laboratoire de rattachement. Pour cela nous avons exploité les résultats de l’étude de Bosquet et Combes [2011]. Ces derniers ont construit à partir de Google Scholar, des indicateurs d’impact des laboratoires d’économie et de leurs universités de rattachement calculés à partir des citations de leurs membres (citunivpc). Les indices moyens de citations pour tous les établissements couverts par notre base de données ont donc été retenus pour évaluer les effets d’externalités. La base de données constituée par Bosquet et Combes [2011], porte sur la période 2004-2008, soit une période très proche de la dimension temporelle dans laquelle les publications des candidats à la PES sont mesurées (années 2005 à 2009). Elle permet également d’identifier, parmi les établissements recensés dans leur étude, ceux qui ont vu leurs scores de citation s’améliorer d’au moins 3 points dans la période. Un indicateur binaire (scorup) a été construit sur la base de cette information dont la valeur 1 a été associée à chaque individu de notre échantillon rattaché à une université ayant enregistré une progression de son indice. Cette situation d’amélioration très sensible de l’environnement de la recherche concerne 35,5 % des établissements représentés dans notre échantillon.

3. Les résultats des estimations économétriques par quantiles

34 Si la littérature propose une variété de déterminants de la production scientifique (cf. section 2), nous pouvons suspecter que ces déterminants ne soient pas de même nature et n’aient pas le même impact selon le niveau de production scientifique. Nous proposons donc de mobiliser non pas des régressions Tobit [10] mais des régressions par quantiles (Koenker et Basset [1978], Koenker et Hallock [2001]), qui permettent une analyse discriminante des facteurs explicatifs de la production scientifique, en particulier aux points extrêmes de la distribution. En effet, sachant que la variable à expliquer, logIPS, est une variable continue, le recours à l’estimateur des MCO ou aux modèles de type Tobit ne permettraient de caractériser que l’impact moyen des différents déterminants de la production scientifique, en supposant que cet effet est le même sur l’ensemble de la distribution des scores de publication. Nous proposons ici de dépasser cette hypothèse en testant si l’effet des variables explicatives du score de publication est homogène selon les quantiles de score de publications, c’est-à-dire pour les 25 % les moins publiants, les 50 % les plus publiants et les 25 % les plus publiants. Pour ce faire, nous mobilisons les techniques des régressions quantiles qui vont donc permettre de tenir compte de la distribution de la variable à expliquer [11]. Les résultats des estimations économétriques sont présentés dans le tableau 3.

35 Nous commençons par quelques commentaires transversaux avant d’analyser les résultats obtenus par quartile.

36 L’effet genre est régulièrement contrôlé dans les travaux empiriques portant sur la production scientifique pour tester en quoi la participation plus intense des femmes à la production domestique du ménage ou les interruptions d’activité à l’occasion des naissances peuvent affecter l’intensité de leur production scientifique. Nos estimations économétriques font clairement apparaitre l’absence d’un tel effet pour notre échantillon des candidatures à la PES. Ce résultat converge vers ceux obtenus par Fox et Mohapatra [2007] et Morrisey et Cawley [2008] sur données américaines. A priori, les candidates à la PES ne semblent pas avoir souffert du temps consacré à la production domestique dans leur activité de publication. On ne peut toutefois exclure qu’un effet d’auto-sélection plus marqué ait pu jouer chez les femmes que chez les hommes, ce qui aurait pu neutraliser cet effet. Cet effet d’auto-sélection a pu s’effectuer au moment de la décision de participation au tournoi, mais peut-être également plus en amont en début de carrière. En effet, on ne peut rejeter l’hypothèse d’une discrimination « à la Becker » par laquelle les contraintes familiales plus ténues des femmes, affecteraient leur choix de trajectoire professionnelle dès le début de carrière. La plus faible participation des femmes au concours d’agrégation externe dans les disciplines des sections 1 à 6 du Conseil National des Universités peut d’ailleurs nourrir cette intuition.

Tableau 3

Résultat des estimations économétriques par quantiles

Equation (3) estimée par quartiles d’IPS
Variable expliquée : logIPS Q25 Q50 Q75
Cycle de vie
Genre (= 1 si homme) – 0,155 (– 1,02) ns – 0,018 (– 0,13) ns 0,016 (– 0,10) ns
Age – 0,031 (– 2,99)** – 0,025 (– 2,76)*** – 0,013 (– 1,64) ns
Ancet – 0,069 (– 2,37)** – 0,035 (– 1,18) ns – 0,024 (– 0,84) ns
Ancet2 0,0021 (2,24)** 0,0006 (0,76) ns 0,0004 (0,52) ns
Effet Lotka
Hindex (2005/2006) 0,032 (1,72)* 0,035 (1,87)* 0,025 (1,11) ns
Effets d’externalités
log Citun : indice de citation de l’université de rattachement 0,591 (1,75)* 0,915 (2,52)** 0,856 (2,43)**
(log Citun)2 – 0,105 (– 1,44) ns – 0,184 (– 2,59)*** – 0,164 (– 2,39)**
Scorup : être membre d’une université qui a vu son score de citation augmenter – 0,190 (– 1,23) ns – 0,320 (– 2,09)** – 0,156 (– 0,98) ns
Umr : être membre d’une
Umr CNRS
– 0,062 (– 0,36) ns – 0,053 (– 0,37) ns – 0,030 (– 0,22) ns
Contrôle multitâche
log (heml) : nombre d’heures moyen d’enseignement en licence (log) – 0,112 (– 1,73)* – 0,859 (– 2,07)** – 0,056 (– 1,49) ns
Ds : Décharge de service – 0,0021 (– 1,73)* – 0,0016 (– 1,37) ns – 0,0001 (– 0,11) ns
figure im5
Equation (3) estimée par quartiles d’IPS
Variable expliquée : logIPS Q25 Q50 Q75
Pca : Prime de charge administrative – 0,536 (– 1,52) ns – 0,582 (– 1,85)* – 0,547 (– 1,21) ns
Incitation / promotion passée
Pedr (– 1) : avoir eu la PEDR avant 0,345 (1,66)* 0,518 (2,87)*** 0,439 (2,02)**
D2010 : vague PES 2010 0,145 (0,87) ns 0,166 (1,15) ns 0,038 (0,33) ns
Effets spécifiques JEL
JEL 1 : Histoire de la Pensée économique et Méthodologie 0,467 (0,73) ns 0,715 (1,91)* 0,317 (0,94) ns
JEL 2 : Méthodes mathématiques et quantitatives 0,732 (1,42) ns 0,507 (1,38) ns 0,0044 (0,01) ns
JEL 3 : Microéconomie 0, 331 (0,59) ns 0,360 (0,74) ns 0,342 (0,88) ns
JEL 4 : Macroéconomie et
Economie Monétaire
0,243 (0,56) ns – 0,051 (– 0,13) ns – 0,028 (– 0,09) ns
JEL 5 : Economie Internationale 0,175 (0,32) ns – 0,133 (– 0,37) ns – 0,282 (– 0,79) ns
JEL 6 : Economie Financière 0,503 (1,00) ns – 0,027 (– 0,07) ns – 0,191 (– 0,53) ns
JEL 7 : Economie
Publique + l’économie et le juridique
0,789 (1,82)* 0,184 (0,49) ns – 0,223 (– 0,67) ns
JEL 8 : Santé, Education et
Bien Etre + Economie du travail et démographie
0,678 (1,64) ns 0,246 (0,70) ns 0,012 (0,04) ns
JEL 10 : Organisation industrielle 0,674 (1,72)* – 0,041 (– 0,97) ns – 0,089 (– 0,25) ns
JEL 11 : Histoire économique 0,930 (1,66) ns 0,285 (0,76) ns – 0,122 (– 0,33) ns
JEL 12 : Economie du développement, changement technologique et croissance – 0,095 (– 0,02) ns – 0,411 (– 0,97) ns – 0,286 (– 0,82) ns
figure im6
Equation (3) estimée par quartiles d’IPS
Variable expliquée : logIPS Q25 Q50 Q75
JEL 13 : Economie urbaine, rurale et régionale 0,118 (0,24) ns 0,093 (0,20) ns – 0,049 (– 0,13) ns
JEL 15 : Economie de l’agriculture et des ressources naturelles (Réf.) - - -
Constante 2,15 (2,49)** 2,10 (3,44)** 2,13 (3,95)***
Pseudo R2 0,229 0,171 0,165
Nombre d’observations 287
figure im7

Résultat des estimations économétriques par quantiles

37 Comme Lissoni, Mairesse, Montobbio et Pezzoni [2011], nous introduisons l’âge dans nos estimations pour contrôler les effets de générations. La production scientifique serait en effet négativement corrélée avec l’âge, les jeunes générations ayant bénéficié des efforts croissants réalisés pour leur meilleure insertion dans les réseaux de recherche internationaux, de l’amélioration des conditions de financement de leur thèse, de l’ouverture internationale de plus en plus forte de leur formation doctorale et des laboratoires d’accueil… L’ancienneté accumulée dans l’établissement actuel a pour but de contrôler l’effet du cycle de vie de la production scientifique. Son introduction en niveau et de manière quadratique, vise à identifier un éventuel seuil au-delà duquel, l’ancienneté manifesterait à nouveau un effet positif sur la production scientifique. Cet effet non linéaire pourrait s’expliquer par les choix en matière de portefeuille d’activités au cours de la carrière, choix qui affectent directement le temps et l’intensité de l’effort consacrés à la production scientifique.

38 Nos résultats semblent en outre supporter l’hypothèse d’un effet « loi de Lotka » du moins pour les deux premiers quartiles de notre échantillon. En effet, le h index des candidats mesuré dans la période qui a précédé celle concernant la mesure de leur IPS, produit un effet statistiquement significatif et positif mais au seuil de 90 % de confiance seulement. Ce résultat confirme l’existence d’un biais dynamique par lequel les chercheurs les plus réputés (les plus cités), continuent de manifester le niveau de publication le plus élevé.

39 Le rattachement à une équipe UMR n’exerce aucun effet statistiquement significatif, que cette variable soit introduite avec ou sans l’indice de citation de l’université de rattachement (logcitun). Ce résultat est en première lecture assez inattendu. Les efforts manifestés en France par les instances d’évaluation pour favoriser la concentration des moyens autour d’un faible nombre de laboratoires atteignant une certaine taille critique au niveau international, laissaient anticiper un effet spécifique positif du rattachement des enseignants-chercheurs à une équipe reconnue CNRS par référence aux autres types de rattachement. Tel n’est pas le cas dans notre échantillon dont pourtant près de 61 % de l’effectif relève d’une telle structure de recherche. Ce résultat montre l’importance majeure qu’il faut attribuer au score de publication des laboratoires de recherche de l’établissement, plutôt qu’à leur labellisation institutionnelle. Nos résultats éclairent d’ailleurs ce point. Nous mettons en évidence un effet quadratique du logarithme du score de citation (citun) des établissements sur la production individuelle et concluons, du moins pour les deux derniers quartiles, à l’existence d’un seuil critique au-delà duquel, l’accumulation des performances collectives pourrait exercer un effet négatif sur les performances individuelles. Le seuil se situe aux environs de 12 pour le quartile médian et de 13,58 pour le quartile des plus publiants, soit légèrement en dessous de la moyenne de la distribution de citun. Malgré le décalage temporel entre notre variable d’intérêt (IPS) et le score de citation censé mesurer la qualité des départements, il faut bien entendu se montrer prudent sur ces premiers résultats obtenus dans une estimation économétrique en coupe. On ne peut ignorer que compte tenu des délais de publications, les citations des documents de travail précurseurs dont ils sont issus ont pu également contribuer à la mesure du score de citation « collectif ». Compte tenu du calendrier des candidatures à la PES, la représentativité des individus de notre échantillon dans l’effectif total de chacun des départements concernés est toutefois suffisamment faible pour modérer les risques de biais statistiques à ce niveau [12].

40 Pour compléter ces résultats généraux, nous avons, comme Rauber et Ursprung [2008], également évalué l’effet de la thématique de recherche sur le niveau de production scientifique. Il s’agit de contrôler plusieurs facteurs à ce niveau. D’une part, l’effet d’externalité dont peut bénéficier un enseignant-chercheur du fait du développement accéléré de la littérature internationale dans son domaine à un moment donné du temps, ou à l’opposé, l’effet néfaste de son isolement dans la recherche compte tenu du caractère spatialement très concentré de la recherche dans certains domaines très spécialisés. D’autre part, la thématique de recherche peut offrir des opportunités d’usage alternatif du temps (enseignements, expertises, consultations dans le secteur privé au niveau national ou international), qui peuvent affecter le temps consacré à la recherche académique et de fait réduire la production scientifique. Pour contrôler ces facteurs nous avons attribué à chaque individu de l’échantillon un effet spécifique (variable dichotomique) à sa thématique de recherche en reprenant la codification proposée par le Journal of Economic Litterature. Nos résultats par quartiles montrent que seuls quelques domaines de recherche semblent manifester, par rapport à la référence JEL 15 (Economie de l’agriculture et des ressources naturelles), un avantage comparatif dans la production scientifique. Tel semble être le cas des candidats du quartile Q50 spécialisés dans le domaine de l’histoire de la pensée économique, de la méthodologie et de l’histoire économique (JEL 1), ou de l’organisation industrielle (JEL 10), de l’économie publique et de l’économie du droit (JEL 7) pour le premier quartile [13].

41 L’analyse plus spécifique des résultats obtenus par quartiles sont particulièrement intéressants surtout lorsque l’on contrôle l’effet du multitâches. Ils permettent de faire apparaitre deux régimes explicatifs de la production scientifique des enseignants chercheurs lorsque l’on évolue du quartile le plus bas de la distribution de l’IPS au plus élevé.

42 Les candidats qui s’inscrivent dans le premier quartile de la distribution (Q25), sont les seuls pour lesquels l’effet de génération et le cycle de production scientifique semblent jouer au travers des deux variables âge et ancienneté dans l’établissement. Ce sont aussi les candidats dont la production scientifique est négativement et fortement sensible aux implications dans les tâches pédagogiques réalisées en licence (variable logheml), voire les responsabilités pédagogiques ayant donné lieu à décharges de service ( ds). Les externalités associées au rattachement à un laboratoire manifestant un score de citation élevé semblent également très limitées pour cette strate de l’échantillon des moins publiants, sans doute parce que leur implication dans les autres tâches les rend moins présents dans leur laboratoire. Leur régime de production scientifique s’inscrit dans une logique de polyvalence avec une répartition de leur activité entre les trois tâches qui président aux missions des enseignants-chercheurs comme à leurs critères d’évaluations lors des phases de promotion.

43 A l’opposé, le quartile des plus publiants de l’échantillon (Q75) ne manifeste aucune sensibilité au cycle de production scientifique, ni même à l’effet de génération. La production scientifique de ces candidats n’est pas affectée par les activités pédagogiques ou les responsabilités dans ce domaine comme dans le domaine administratif. Leur régime de production scientifique entre plutôt dans le cadre de la spécialisation des tâches, avec un centrage de leur activité sur la production scientifique. Cette strate de l’échantillon manifeste en revanche une forte sensibilité de la production scientifique aux effets d’externalités au sein des laboratoires de rattachement. Les candidats à la PES qui relèvent de cette strate semblent également fortement sensibles aux incitations par les primes, comme en témoigne le caractère statistiquement significatif de la variable PEDR.

44 Le calcul des valeurs moyennes de plusieurs indicateurs, au sein de chaque quartile extrême, confirme cette interprétation. On note que le quartile des plus publiants est composé de candidats plus jeunes (soit entre 42 et 43 ans contre près de 49 ans pour la strate des moins publiants), généralement beaucoup moins impliqués dans les enseignements de licence (25 % des plus publiants n’y assurent aucune heure d’enseignement contre seulement 5,5 % dans cette situation au sein du premier quartile). Enfin, si près de 11 % des candidats regroupés dans le premier quartile manifestent des responsabilités administratives, seuls 2,7 % du quartile des plus publiants témoignent d’une activité dans ce domaine. Le nombre moyen de co-auteurs de cette dernière sous-population se situe entre 4 et 5 contre une valeur juste au dessus de l’unité (1,31) pour la strate des moins publiants. On comprend alors que des règles de promotion ou d’accès à des primes par lesquelles, le critère de publication serait prépondérant, risquent de recevoir comme réponse, une spécialisation des tâches et une désertion des implications dans les deux autres activités de la profession. Une superposition de deux régimes, l’un obéissant à la spécialisation des tâches (tayloriste) et l’autre poursuivant la polyvalence (holiste), pourrait alors générer des tensions si le même critère de mesure de l’output était retenu face à une mobilisation hétérogène des inputs.

45 Le quartile médian de la distribution présente un profil « hybride », et sans doute instable au fil de la carrière, entre les deux régimes qui viennent d’être décrits. Les candidats qui s’inscrivent dans cette strate de la distribution continuent à être impliqués dans les formations de niveau L mais aussi et surtout dans des responsabilités administratives qui l’une et l’autre, affectent négativement leur production scientifique. Ils se rapprochent en ce sens encore d’une logique de polyvalence. Mais leur production scientifique reste fortement attachée à l’effort de production antérieur (h index) et semble attirée par le régime de production scientifique du quartile supérieur que leur niveau d’inputs ne leur permet pas d’atteindre. Ils se rapprochent d’ailleurs du profil du quartile supérieur à plusieurs titres : par leur insensibilité au cycle de production scientifique, le rôle influent des externalités qu’ils tirent de leur rattachement à un laboratoire ayant acquis une bonne réputation et générant des sources de co-publications, et leur forte sensibilité à la PEDR. Ici encore, l’analyse de quelques statistiques descriptives de cette sous-population ne réfute pas cette interprétation des résultats économétriques. Agés en moyenne de près de 45 ans, le poids de leurs enseignements en licence dans leur service est le plus élevé de tous les quartiles de la distribution (53 %). A cette implication pédagogique est associée une participation dans les responsabilités pédagogiques qui concerne plus de 4,2 % de leur strate. Sensibles également aux effets d’externalités dans leur production scientifique personnelle, le nombre moyen de co-auteurs dans cette strate reste élevé et se situe entre 3 et 4.

46 Un élément différencie toutefois fondamentalement le quartile médian des deux autres quartiles extrêmes. C’est en effet le seul quartile de la distribution à manifester un effet statistiquement significatif et négatif au seuil de 95 % de confiance, de la variable scorup. Pour cette strate de l’échantillon dont les performances de publication se situent au dessus du régime de production des polyvalents et en dessous du régime de production des spécialistes, l’observation d’une amélioration sensible du stock de talents au sein du laboratoire tend donc à réduire, et non à augmenter, leur productivité individuelle. L’observation de ce résultat qui mériterait une investigation économétrique plus poussée, conduit à s’interroger sur les politiques d’incitation différenciées que pose désormais la superposition dans une même profession, mais aussi dans un même laboratoire, de deux régimes de production scientifique, faisant appel à deux modes d’implication différents dans les activités multitâches des enseignants-chercheurs. Ce résultat peut mettre en évidence les limites aux effets d’externalités soulignés par Manes et Shapira [2011], ou du moins illustrer une situation encore transitoire en France par rapport aux États-Unis dans la restructuration des laboratoires de recherche ou des universités. La superposition à un moment donné du temps de deux profils de publiants qui ne peuvent mobiliser les mêmes inputs dans la production scientifique, peut générer des tensions ou des effets de découragement si dans ce contexte, leurs évaluations relatives sont basées implicitement sur le seul critère de la qualité des publications. Le développement de logiques de « clubs de spécialistes » ou d’insiders entre les meilleurs publiants au sein des structures de recherche pourrait également accentuer cet effet de tension.

47 Enfin, les résultats obtenus sur les candidats qui avaient précédemment bénéficié de la PEDR montrent que cet effet d’incitation agit d’autant plus favorablement sur la production scientifique que l’on se déplace vers les quartiles les plus élevés de la distribution de l’IPS. Les « spécialistes » semblent ainsi plus sensibles à l’individualisation de leur rémunération que les « polyvalents » pour lesquels l’effet de la PEDR n’est statistiquement significatif qu’au seuil de confiance de 90 %.

Conclusion

48 Nous étudions dans cet article les déterminants de la production scientifique des enseignants-chercheurs français en économie en mobilisant une base de données inédite, constituée dans un contexte de compétition académique à partir des deux premières vagues de candidatures (2009 et 2010) à la Prime d’Excellence Scientifique (PES). Notre échantillon couvre 287 enseignants-chercheurs en économie, ce qui couvre plus de 17 % de la population de la section 5 du CNU.

49 Les informations recueillies sur les publications nous ont permis de construire un indice de production scientifique (IPS) tenant compte du classement des revues et des effets de co-auteurs. Par rapport aux travaux délivrés par la littérature dans ce domaine, nous menons une analyse des déterminants de la production scientifique qui se veut originale à deux niveaux. Le premier consiste à contrôler le caractère multitâche des activités des enseignants-chercheurs dans l’étude de leur niveau de publication. Le deuxième est de centrer l’éclairage sur les effets structurels issus des externalités de l’environnement de la recherche des candidats à la PES, soit avant la période d’évaluation, soit pendant la période d’évaluation.

50 Les résultats des estimations économétriques par quantiles font clairement apparaitre une contribution statistiquement significative et négative sur la production scientifique des implications dans les domaines de l’enseignement au niveau licence et des responsabilités pédagogiques et administratives. Mais ces effets semblent toutefois n’affecter que les moins publiants de la distribution. Du point de vue des effets d’externalités, nos résultats ne réfutent pas l’existence d’une loi de Lotka. En effet, le h index des candidats mesuré dans la période qui a précédé celle concernant la mesure de leur IPS, produit un effet statistiquement significatif et positif. On confirme par ce résultat l’existence d’un biais dynamique par lequel les chercheurs les plus réputés (les plus cités), s’inscrivent dans une dépendance de sentier en maintenant le niveau de publication le plus élevé. Par ailleurs, le score de citation des universités de rattachement fait apparaitre un effet seuil dans les externalités attendues d’une accumulation de compétences dans le voisinage de chaque enseignant-chercheur.

51 Les résultats des estimations économétriques témoignent cependant d’une réelle hétérogénéité des techniques de production scientifique lorsque l’on évolue du quartile le plus bas de la distribution de l’IPS au plus élevé. Deux régimes explicatifs de la production scientifique des enseignants-chercheurs semblent se distinguer par la nature des inputs mobilisés. Le régime de production scientifique du premier quartile (Q25), les moins publiants, semble s’inscrire dans une logique de polyvalence des tâches où la recherche d’un certain équilibre dans les trois missions des enseignants-chercheurs pénalise les performances en matière de publication. A l’opposé, le quartile des plus publiants de l’échantillon (Q75) ne manifeste aucune sensibilité au cycle de production scientifique ni aux activités ou responsabilités pédagogiques ou administratives. Leur régime de production scientifique semble plutôt relever de la quasi-spécialisation des tâches, avec un centrage de leur activité sur la production scientifique. Leur niveau de publication individuel est également fortement sensible aux effets d’externalités liés à leurs laboratoires de rattachement mais également aux incitations par les primes, comme en témoigne le caractère statistiquement significatif de la variable PEDR. Le quartile médian de la distribution présente un profil « hybride » et sans doute instable entre les deux régimes « tayloriste » vs. « holiste ». Toutefois, pour cette sous-population de l’échantillon, dont les performances de publication se situent au dessus du régime de production des polyvalents et en dessous du régime de production des spécialistes, l’observation d’une amélioration sensible du stock de talents au sein du laboratoire tend à réduire, et non à augmenter, leur productivité individuelle. Ce résultat conduit à s’interroger sur les politiques d’incitation différenciées que pose désormais la superposition dans une même profession, mais aussi dans un même laboratoire, de deux régimes de production scientifique, faisant appel à deux implications différentes dans le métier d’enseignant-chercheur.

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : régressions quantiles, externalités de réseau, compétition académique, production scientifique, Tournois

Date de mise en ligne : 26/09/2013

https://doi.org/10.3917/redp.234.0469

Notes

  • [*]
    Doctorant contractuel à l’Université de Lyon, Lyon, F-69007, France ; CNRS, GATE Lyon St-Etienne, Ecully, F-69130, France. Adresse : Groupe d’Analyse et de Théorie Economique, UMR 5824 du CNRS – Université Lumière Lyon 2, 93, chemin des Mouilles, 69130 Ecully – France, Tel : + 33 (0) 4 72 86 60 21, Email : kossi@gate.cnrs.fr
  • [**]
    Professeur à l’Université de Lyon, Lyon, F-69007, France ; CNRS, GATE Lyon St-Etienne, Ecully, F-69130, France. Adresse : Groupe d’Analyse et de Théorie Economique, UMR 5824 du CNRS – Université Lumière Lyon 2, 93, chemin des Mouilles, 69130 Ecully – France, Tel : + 33 (0) 4 72 86 60 84 (Bureau GATE), + 33(0) 4 78 78 76 68 (bureau direction Ecole Doctorale SEG), + 33(0) 6 86 14 15 08 (portable), Email : lesueur@gate.cnrs.fr
  • [***]
    Professeur à l’Université de Savoie, IREGE, IAE Savoie – Mont Blanc BP 80439 – 74944 Annecy-le-Vieux Cedex – France. Adresse : Université de Savoie – IREGE, BP 80439 – 74944 Annecy-le-Vieux Cedex – FRANCE, Tel : + 33-(0)4-50-09-24-59, E-mail : mareva.sabatier@univ-savoie.fr La base de données originale mobilisée dans cet article concerne les candidatures aux campagnes nationales de la Prime d’Excellence Scientifique 2009 et 2010 en économie. Elle a pu être constituée grâce à l’accord de la DGESIP du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Les éventuelles imperfections restent toutefois de la seule responsabilité des auteurs.
  • [1]
    La commission nationale délivre une évaluation globale (A, B ou C) qui synthétise les quatre critères qui sont privilégiés dans l’évaluation des candidatures à savoir les publications, l’encadrement doctoral, le rayonnement scientifique et les responsabilités scientifiques.
  • [2]
    De manière générale, la loi de Lotka s’écrit : f (n) = ankf (n) est la proportion d’auteurs ayant écrit n articles, a et k étant les paramètres estimés de la loi. Dans son article de 1926 Lotka observe que pour 100 chercheurs produisants chacun un article, il y en a à peu près 100 /22, soit 25 qui produisent 2 articles de sorte que k = 2.
  • [3]
    Traduction directe de « Matthew effect » il trouve son origine dans l’évangile selon St. Matthieu où l’on peut en effet lire «Celui qui a, on lui donnera et il aura un surplus, mais celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé »!
  • [4]
    A titre d’exemple s’il fallait à peu près 9 mois en 1970 pour qu’un article proposé à la revue Econometrica soit publié, le temps d’attente est passé à plus de 26 mois en 1999. Pour l’American Economic Review, dans la même période, la durée est passée de 13,5 mois en 1980 à plus de 21 mois en 1999. Un article dans Economic Inquiry demandait 3,4 mois en moyenne d’arbitrage avant publication en 1980 contre 13 mois en 1999.
  • [5]
    Calcul effectué une fois déduit les effectifs relatifs aux 4 établissements RCE n’ayant pas eu recours à l’instance nationale.
  • [6]
    Le traitement du biais de sélection par une procédure de type Heckman nécessite l’accès à l’échantillon complètement renseigné de la population « mère » dont sont issus les candidats à la PES, ce dont nous ne disposons pas. En effet, le tableau de classement des enseignants-chercheurs de la section 5, bien que représentatif de la population « mère », ne donne que des informations très sommaires sur les enseignants-chercheurs, ce qui limite les possibilités de traitement du biais de sélection. Or, la condition d’identification des procédures de type Heckman usuellement retenue dans ce domaine nécessite de respecter une condition d’exclusion. Il s’agit de disposer de variables instrumentales fortement corrélés à la décision de participation (équation de sélection) mais faiblement corrélées à la variable d’intérêt (la production scientifique en l’occurrence). Le domaine de choix de telles variables est donc très restreint ou relève pour l’essentiel de caractéristiques individuelles qui restent inobservables par l’économètre.
  • [7]
    Notre critère de mesure n’est pas très éloigné de celui qui a été utilisé par le jury du concours national d’agrégation de l’enseignement supérieur 2007-2008 présidé par Louis Lévy Garboua [2008].
  • [8]
    Le h index des citations ou encore appelé indice h de Hirsch [2005] est construit sur la base du nombre de citations des articles publiés. Ainsi, un chercheur est affecté d’un indice de niveau h si h de ses n articles ont au moins h citations chacun et ses autres articles (nh) ont au plus h citations. Un chercheur dont l’indice h est de 6 aura donc publié au moins 6 articles qui auront été cités chacun au moins 6 fois. Ainsi plus le h index est élevé et plus le chercheur est productif au sens de la citation de ses travaux.
  • [9]
    Notons que l’existence d’une distribution asymétrique des aptitudes inobservables entre les chercheurs est parfois avancée dans la littérature comme facteur explicatif des rendements croissants de la production scientifique. Si l’on suppose que cette composante inobservable est permanente et non transitoire, son effet est alors fortement corrélé à notre h index retardé. De fait, la présence de cette variable de contrôle dans nos équations par quartile peut également contrôler cette source d’hétérogénéité inobservable.
  • [10]
    Les résultats des régressions Tobit sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
  • [11]
    Les estimations par quartiles ont été effectuées à partir de la procédure Bootstrap (bsqreg) du logiciel STATA.
  • [12]
    Une méthode d’estimation par variables instrumentales, sous réserve de leur caractère observable, permettrait de renforcer ces résultats.
  • [13]
    L’effet spécifique positif et statistiquement significatif de JEL 1 peut apparaitre plus surprenant que les deux autres. On pourrait associer à cette dynamique particulière plusieurs effets liés. La taille relativement limitée et la forte concentration spatiale en France des chercheurs très actifs en histoire de la pensée, méthodologie et histoire de l’économie, est un premier élément d’explication. Le faible nombre de supports de publication internationaux spécialisé dans ce domaine, comme la faible variété des réseaux internationaux dans lesquels leurs travaux sont présentés conduisent sans doute également à une plus forte auto-sélection de leur part lors des campagnes PES.

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