Couverture de ECOFI_139

Article de revue

Cassandre, le climat et la Covid-19

Pages 201 à 210

Notes

1Dans la mythologie grecque, Cassandre reçoit d’Apollon le don de prédire l’avenir, mais comme elle se refuse à lui, le dieu assortit sa lucidité d’une terrible malédiction : personne ne croira ses prophéties. La leçon reste d’actualité : avertis d’un grave danger, les êtres humains, le plus souvent, n’entendent pas. Certains s’enferment dans le déni.

2C’est vrai pour le climat. Depuis des années, les experts mesurent les dégradations climatiques et lancent des cris d’alerte [Giec, 2018]. Une prise de conscience est intervenue, notamment lors des accords de Paris de 2015, mais les déclarations ne sont pas toujours suivies d’effets, soit que certains se soient retirés de l’accord, soit que les actions restent en deçà des promesses. Si la tendance actuelle se poursuit, le total des émissions mondiales devrait atteindre 60 Gt éq-CO2 en 2030, alors qu’il faudrait les contenir à 25 Gt pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5° C [Pnue, 2019].

3L’aveuglement vaut également pour la pandémie de la Covid-19 qui, au début de 2020, a pris la planète par surprise. Certaines voix avaient pourtant dénoncé les risques aggravés d’épidémies dans un monde ouvert [Destoumieux-Garzón et al., 2018] ; certains épisodes (du SRAS, de la grippe A (H1N1) et du MERS, ou Ebola) auraient dû alerter. Malheureusement, ils n’ont pas suscité de réaction à la hauteur des enjeux, quand ils n’ont pas conforté l’illusion d’être à l’abri.

4Les origines du changement climatique et de la pandémie de la Covid-19 présentent des similitudes, au premier rang desquelles figurent la surexploitation de la nature et la courte vue. Alors même que le concept de développement durable a été formalisé à la fin du xxe siècle [Brundtland, 1987], les émissions de gaz à effet de serre, les défrichements des forêts tropicales et la disparition de la biodiversité ont augmenté depuis lors, comme la sédentarité et l’obésité. En outre, des analogies existent entre la crise sanitaire et celles que pourrait causer le changement climatique. La pandémie a d’ores et déjà montré que l’imprévoyance peut forcer les dirigeants à prendre des décisions qui étaient auparavant inimaginables, telles que l’arrêt quasi total de l’activité économique ou une augmentation brutale de la dette. Nous vivons ainsi actuellement une sorte de stress test de la capacité d’adaptation de nos sociétés, fort utile pour envisager la réaction aux chocs climatiques à venir. En sens inverse, la prise en compte croissante, bien qu’encore insuffisante, des risques climatiques par la finance pourrait inspirer des efforts similaires dans le domaine de la santé, consistant, par exemple, à intégrer un nouveau risque sanitaire dans les évaluations de la résilience du système financier.

5Enfin, la Covid-19 et le climat, deux urgences vitales, différentes dans leurs manifestations, appellent tous deux une réforme profonde des politiques publiques et des mécanismes de marché ainsi que de la gouvernance mondiale. Elles demandent une coopération internationale radicalement nouvelle, une remise en question des chaînes de valeur actuelles, très efficientes, mais relativement peu résilientes [Pereira da Silva, 2020] ainsi qu’une remise à plat des incitations existantes à la production et à la consommation.

6La Commission paneuropéenne sur la santé et le développement durable [2] mise en place à l’été 2020 par l’OMS-Europe, présidée par l’ancien Premier ministre italien Mario Monti, a pour objectif de « repenser les priorités des politiques publiques à la lumière de la pandémie », en utilisant une approche interdisciplinaire, holistique et notamment celle du concept « One Health » (ou « une seule santé »). Celui-ci met en relief les interconnexions entre environnement, santé humaine et animale. La solution d’un problème tel que la récurrence de pandémies suppose d’en régler d’autres tels que la perte de biodiversité, elle-même liée au changement climatique, ou encore les défaillances du marché et de la gouvernance internationale.

7Il est encore trop tôt pour faire état des travaux de cette commission, mais son caractère interdisciplinaire laisse entrevoir des raisonnements possibles sur les connexions (première partie) et les analogies (deuxième partie) entre les deux sujets qui permettront peut-être, à l’été 2021, d’esquisser quelques pistes de solutions (troisième partie).

Des connexions existent entre risques environnementaux et risques sanitaires

Des risques environnementaux aux risques sanitaires

8Le changement climatique ne concerne pas seulement « la planète mais aussi la vie animale et la santé humaine » [Giec, 2014]. D’après de nombreux experts de la santé et de l’environnement, la pandémie de la Covid-19 confirme l’existence d’un lien entre la santé humaine et animale ainsi que la situation environnementale [FRB, 2020], même si la prudence reste de mise quant aux origines et à la circulation du virus. En particulier, la destruction de la biodiversité causée par les activités humaines, aggravée par le changement climatique, lui aussi provoqué par l’homme, est à l’origine de plusieurs maladies animales [Wolfe et al., 2007].

9L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres organisations internationales ont reconnu ces liens, et mettent en garde contre l’irruption de virus plus contagieux et plus létaux alors que nous pourrions être entrés dans l’ère des pandémies [IPBES, 2020]. Les précédents du VIH et d’Ebola invitent à prendre ces avertissements au sérieux, que la cause soit la destruction des habitats naturels, la consommation d’animaux sauvages ou des formes intensives d’élevage. A la fin de 2020, des millions de visons élevés en cage ont été abattus après avoir entraîné des contaminations liées à une forme mutante du virus Covid-19. Ces situations fort différentes ont un point commun : un rapport non durable à la nature.

10Le changement climatique pourrait fortement augmenter ces risques environnementaux et sanitaires. La fonte des glaciers et du permafrost pourrait relâcher dans l’environnement des virus enfermés dans la glace depuis des milliers d’années [Legendre et al., 2015], tandis qu’à la faveur des changements de climat, des maladies habituellement tropicales pourraient se développer en Europe [Smith et al., 2014]. Enfin, pour prendre un exemple plus près de nous, le trafic automobile et la pollution industrielle contribuent, par leurs émissions, à des pathologies respiratoires graves [CE Delft, 2020].

11Ainsi, ne pas s’occuper du climat et de l’environnement, c’est prendre le risque d’affronter non seulement les conséquences directes de l’élévation des températures (ouragans, inondations, etc.), mais aussi d’exposer l’humanité à des pathologies graves, voire inconnues.

Des risques sanitaires aux risques climatiques

12La pandémie a contraint de nombreux gouvernements à arrêter l’économie et à prendre des mesures drastiques de restriction des déplacements. Ces décisions ont eu pour effet, un temps, de ralentir la production de CO2, mais surtout, elles ont montré l’ampleur des efforts qui restent à accomplir pour respecter les accords de Paris. Même un confinement mondial quasi total, impossible à prolonger, n’a eu qu’un effet limité, les émissions n’ayant baissé que de 6,3 % entre janvier et septembre 2020 par rapport à la même période en 2019 [3].

13Dans une crise aussi violente, les politiques de relance des gouvernements, destinées à sauver les entreprises et les emplois, comme les soutiens des banques centrales visant à éviter la déflation, étaient indispensables. Toutefois, le risque serait grand en « sauvant l’appareil productif » d’hier, encore largement carboné, d’empêcher des transitions indispensables. Il ne peut s’agir de perpétuer un modèle condamné.

14C’est pourquoi le fonds de relance européen prévoit 30 % au moins de financement pour des projets bénéfiques pour l’environnement. Le plan français de septembre 2020 envisage, quant à lui, d’investir 30 Md€ (sur un total de 100 Md€) dans la transition écologique, dans un horizon de trois ans (dont 11 Md€ pour les transports et 7 Md€ pour la rénovation thermique des bâtiments).

One Planet, One Health

15Il n’y a qu’une seule planète pour une population mondiale encore en expansion d’ici à 2050. Aucun Etat, même le plus puissant, ne peut dissocier son destin et ses responsabilités de ceux des autres, d’où des interactions globales complexes, à des échelles géographiques inconnues auparavant dont nous commençons seulement à prendre conscience [Bolton et al., 2020a].

16Un concept semble particulièrement pertinent pour saisir la nature de la crise sanitaire en cours et tenter d’en atténuer les conséquences : celui de « One Health ». Ce concept, formulé en 2004 [4], repris à partir de 2008 par plusieurs organisations internationales [FAO, OIE, OMS, Unsic, Unicef et Banque mondiale, 2008] ayant reconnu un caractère de bien public international à la prévention et au contrôle des maladies émergentes, connaît un vif regain d’intérêt. Il est désormais présenté comme « essentiel pour assurer un futur sain et durable pour la planète » [Amuasi et al., 2020].

17L’approche One Health invite à aborder l’ensemble des questions qui sont devant nous comme un tout, à faire tomber les nombreuses barrières existant entre disciplines qui conduisent à ignorer certaines connexions ou à en minorer l’importance.

18Les changements requis ne sont donc pas des modifications à la marge (par exemple, un changement de taux d’actualisation dans un modèle économique), mais une disruption. Pour prendre un exemple concret, certains spécialistes appellent à décloisonner médecine humaine et médecine vétérinaire.

19Les Nations unies ont d’ailleurs identifié dix-sept objectifs nécessaires pour favoriser le développement durable, en vertu desquels le verdissement de l’économie et la préservation de la santé humaine sont indissociables de considérations sociales, d’équité et même de genre. Bien des travaux de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international (FMI) ou d’universitaires [Duflo, 2012] montrent que les politiques de transformation et de développement gagnent à reposer sur les femmes. Le mythe grec punissait Cassandre de s’être refusée à Apollon. Peut-être faut-il – sans boutade – libérer Cassandre de l’emprise patriarcale pour sortir du déni sur le carbone et engager une nécessaire mutation.

20Les interdépendances ont un côté positif quand elles facilitent la mise en commun des ressources intellectuelles et matérielles de la planète entière : le partage des données par-delà les frontières permettra de mieux connaître et mesurer les risques ; la coopération de scientifiques éparpillés dans le monde est essentielle à la production de vaccins et de traitements. Au sein de l’Union européenne, le projet d’une « union de la santé » [Commission européenne, 2020] vise à tirer les leçons du printemps 2020, en créant des solidarités, en remédiant aux pénuries et en harmonisant les ripostes.

21Dans le domaine de la finance aussi, les interdépendances entre systèmes peuvent devenir positives. En fournissant des ressources aux entreprises et aux ménages, le système financier peut apporter une contribution significative à la transition vers une économie bas-carbone. Limiter le réchauffement à moins de 1,5° C ou 2° C suppose d’assurer la cohérence de nos choix d’investissement et de notre allocation globale du capital avec ces objectifs. A cet égard, l’augmentation de la demande de green bonds et des actifs verts sont des nouvelles encourageantes. Sur ce plan, l’Europe (Union européenne et Royaume-Uni) entend jouer un rôle de leader : l’épargne y est abondante et une partie des épargnants demande des investissements pourvus de sens, comme le montre le succès de l’émission d’obligations vertes par l’Allemagne. La classification des activités économiques (taxonomie) adoptée par l’Union européenne constitue une étape clé vers la réallocation massive et rapide de ressources. Le Royaume-Uni a annoncé, au début de novembre 2020, vouloir rendre obligatoire la publication de l’impact climatique de l’activité des entreprises britanniques. Le contenu de cette exigence, comme le degré de contrainte qu’elle comporte, est l’objet de vifs débats sur le plan mondial qui seront au cœur de la COP 26 de 2021 à Glasgow.

Des analogies peuvent permettre d’avancer

22Au-delà des connexions et des interdépendances entre finance, environnement, santé humaine, décrites ci-dessus, il est possible d’exploiter certaines analogies entre eux, une partie du chemin parcouru sur le climat pouvant inspirer le secteur de la santé.

Où nous en sommes

23Les questions climatiques n’ont pas encore trouvé toutes leurs réponses politiques, mais des progrès considérables ont été faits dans l’analyse socioéconomique du changement climatique : le rapport de Stern [2006] a permis de sortir de la question de l’opportunité à agir, tandis que les travaux de la Commission mondiale sur l’économie et le climat, présidée par Felipe Calderón et Nicholas Stern de 2014 à 2018, ont permis d’intégrer la question de la transition bas-carbone comme l’une des dimensions d’un agenda de croissance.

24Dans la sphère financière, la prise de conscience s’est cristallisée avec le discours du gouverneur Mark Carney sur la tragédie de l’horizon [Carney, 2015]. Les initiatives se sont ensuite multipliées. Tout d’abord, le Financial Stability Board du G20 a lancé un groupe de travail ad hoc chargé d’examiner les informations nécessaires à la prise en compte des risques climatiques par le secteur financier (Task Force on Climate-related Financial Disclosure – TCFD) qui, in fine, encourage la publication, par certains secteurs critiques dont le secteur financier, de données relatives à leur impact climatique. Les initiatives ont foisonné aussi dans le secteur privé, avec un contenu plus ou moins substantiel, sous l’impulsion notamment d’investisseurs de long terme tels que les sociétés d’assurance ou les gestionnaires d’actifs.

25Naturellement, la responsabilité première pour lutter contre le changement climatique relève, en démocratie, des gouvernements élus, responsables devant les électeurs. L’absence de prix du carbone est une lacune considérable dans le dispositif de lutte pour la transition bas-carbone ; sans être la panacée, un tel pas, dans une économie de marché, paraît souhaitable à l’échelle globale, car il permettrait de faire payer aux pollueurs et aux consommateurs de CO2, le coût véritable des externalités négatives que génèrent leurs activités [Tirole, 2016 ; Akerlof et al., 2019].

26Ceci posé, les banques centrales ont considéré qu’il leur appartenait de prendre leurs responsabilités. Tout en restant dans le cadre de leur mandat, elles se sont penchées sur les connexions entre l’environnement et la stabilité financière (par la modification de la valeur des actifs) ou la formation des prix (liée à la fluctuation du coût de l’énergie ou de la production alimentaire, par exemple). En 2017, le réseau pour le verdissement du système financier (Network for Greening the Financial System – NGFS) a été créé par une dizaine de banques centrales, dont la Banque de France qui en assure le secrétariat. Ce réseau, désormais mondial (75 membres et 13 observateurs), a établi que les risques liés au climat sont bien des risques pour la stabilité financière [NGFS, 2019].

27Son but est de travailler sur les risques, sur l’identification des données et des outils de supervision financière à utiliser pour faire face à ce défi. A travers la supervision des établissements de crédit et des organismes d’assurance, les autorités ont un impact indirect, mais tout à fait significatif sur le financement de l’économie. En veillant à une juste prise en compte des risques, elles permettent ainsi d’éviter l’instabilité, tout en canalisant le capital vers des projets d’avenir [Villeroy de Galhau, 2020].

28Enfin, les banques centrales de ce réseau commencent à étudier comment elles pourraient tenir compte des ambitions climat dans leur cœur de métier qu’est la politique monétaire [Villeroy de Galhau, 2018 ; Cœuré, 2018 ; Lagarde, 2020]. Des réflexions émergentes cherchent à évaluer comment le changement climatique pourrait impacter les taux d’intérêt [NGFS, 2020], ou comment le choix des garanties que les banques centrales acceptent de la part des banques (le « collatéral ») pourrait intégrer les risques climatiques [Oustry et al., 2020].

Où nous voudrions aller

29Certains membres du NGFS, dont la Banque centrale des Pays-Bas [DNB, 2020] et l’OCDE [2019], travaillent sur les risques liés à la perte de biodiversité et de capital naturel. C’est une nouvelle étape, cruciale et délicate car les données et les outils font défaut, mais l’agriculture, par exemple, aide à comprendre que des dégâts en matière de biodiversité (la disparition des abeilles) peuvent avoir des conséquences systémiques pour la production (sans pollinisation, pas de fruits).

30D’autres auteurs, à la Banque de France et à la Banque des règlements internationaux (BRI), ont développé le concept de « cygnes verts » qui est défini comme une crise financière systémique liée à des risques environnementaux interconnectés [Bolton et al., 2020b]. Même si cette étude a été publiée avant que l’épidémie de la Covid-19 ne s’étende, le raisonnement présente des similitudes frappantes avec la pandémie, et notamment sur trois caractéristiques [Bolton et al., 2020a] :

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  • en dépit de certaines incertitudes sur le lieu, le délai et le degré de leur impact, il est à peu près sûr que ces risques se matérialiseront tôt ou tard ;
  • les catastrophes que génèrent ces crises ont un caractère existentiel, qui n’entre pas dans les cadres habituels du raisonnement économique, ni dans les modèles financiers existants ;
  • un acteur isolé (par exemple, un investisseur) ne peut guère se couvrir individuellement contre de tels risques qui réclament, pour leur gestion, une transformation du système entier. L’épidémie de la Covid-19 montre qu’il est impossible de se prémunir contre toutes ses conséquences. De même, nul ne pourra faire face aux bouleversements induits par un événement climatique extrême déclenchant, par exemple, une migration massive. Dans les deux cas, seule une solution globale, supposant une coordination sans précédent entre de nombreux agents, est efficace.

32Avec la Covid-19, des risques considérés comme impossibles à démontrer, intangibles, se sont réalisés avec des conséquences humaines, économiques et sociales qui dépassent l’entendement. Cette expérience invite à agir avec humilité et sens de l’urgence.

Des pistes de solution

33Dans le domaine du climat, comme de la santé ou de la biodiversité, ce ne sont pas les déclarations solennelles des responsables politiques qui manquent. En septembre 2020, 78 dirigeants se sont encore engagés à mettre en œuvre une série d’actions afin de remédier à la perte de biodiversité d’ici à 2030, dans une approche One Health [Leaders’ Pledge for Nature, 2020]. C’est heureux, mais les promesses déçoivent si elles ne sont pas suivies d’effets d’où le succès de Greta Thunberg et la multiplication des recours en justice pour inaction climatique.

34Naturellement, il n’y a pas de solutions évidentes pour une transformation profonde devant toucher tous les secteurs d’activité et tous les pays, mais trois priorités peuvent être évoquées : améliorer la gouvernance globale, redonner aux marchés une rationalité perdue et rendre rentables les activités durables.

Améliorer la gouvernance mondiale

35Pour sauver « une seule planète » et préserver « une seule santé », le pouvoir politique est fragmenté entre 200 Etats souverains défendant jalousement leurs prérogatives et leurs droits de veto. Les organisations multilatérales ont du mal à faire émerger des consensus. Comment apporter des solutions à un problème urgent, existentiel et irréversible comme le climat (ou aujourd’hui la pandémie) en sacralisant une division des responsabilités manifestement inadaptée ? D’où un foisonnement d’idées, dont nous en donnerons ici quelques-unes à titre d’exemple sans forcément les reprendre à notre compte. Certaines propositions ont été faites de créer des droits de tirage spéciaux « verts » pour financer les mesures destinées à respecter les objectifs climatiques des accords de Paris [Bredenkamp et Pattillo, 2010 ; Aglietta et Coudert, 2019 ; Ocampo, 2019]. D’autres ont imaginé une organisation internationale d’assistance et de protection civile en cas d’événement climatique extrême [Bolton et al., 2018].

36Dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, des propositions de mécanisme de swap ont émergé afin d’identifier une dette spécifique liée aux mesures climat ou défendant la préservation de la nature [par exemple, Akhtar et al., 2020]. L’existence d’une épargne disponible significative y invite.

37L’épidémie de la Covid-19 aide à mesurer le changement de paradigme qu’exigent les risques liés au climat : il s’agit d’évolutions exponentielles, sur des périodes de temps assez courtes, de phénomènes de basculement, ou des chocs d’une magnitude telle que notre organisation socioéconomique et parfois nos démocraties sont mal équipées pour réagir [Davies, 2020].

Remédier aux failles du marché

38De nombreuses activités économiques ne prennent pas en compte les coûts liés aux atteintes qu’elles provoquent à l’environnement et à la santé. Au-delà du capital et du travail, les entreprises utilisent en effet un « capital naturel » qui jusqu’à ce jour a été considéré comme illimité. Ce capital naturel n’est par ailleurs pas substituable à d’autres formes de capital [Rambaud et Richard, 2015]. Cette logique pourrait aussi être étudiée dans le domaine de la santé, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) recommandant ainsi une meilleure comptabilisation des impacts sociaux des maladies émergentes, parmi une série d’autres recommandations visant à prévenir l’émergence d’une nouvelle pandémie [Pnue et Ilri, 2020].

Durable et rentable

39Enfin, la bataille sera gagnée quand il sera possible de convaincre les entreprises et les investisseurs qu’une activité respectueuse du climat et de la santé peut être rentable. Une tarification du carbone, une meilleure gouvernance internationale et le développement d’une comptabilité tenant compte des effets des activités sur l’environnement et sur l’homme pourront aider à atteindre cet objectif, mais d’autres efforts seront nécessaires pour rendre les horizons temporels des écosystèmes et du système financier compatibles. Une politique fiscale et budgétaire ambitieuse (comme celle visée par le Green Deal européen) permettrait de développer les infrastructures nécessaires à une activité privée dynamique décarbonée [Hepburn et al., 2020]. De même, les banques publiques de développement auront un rôle à jouer pour combiner soutiens publics et financements privés. En Europe, la BEI est active sur le front du climat comme de la santé.

Conclusion

40Sur le climat, le travail technique des financiers, dans les banques centrales, au FMI comme dans le secteur privé, a déjà bien progressé. L’année 2021, avec la COP 26 à Glasgow et deux présidences du G20 (Italie) et du G7 (Royaume-Uni) décidées à traiter ces sujets, ouvre de nouvelles perspectives de mobilisation et d’actions, surtout à l’occasion du changement d’administration aux Etats-Unis. Des rencontres importantes sur la biodiversité sont également prévues à Marseille (One Planet Summit) et en Chine (COP 15).

41La pandémie a ouvert les yeux sur des risques déjà identifiés, mais négligés par les responsables et les populations. Le Pape François [2015], auteur de la première encyclique entièrement dédiée au rapport de l’humanité avec la nature (Laudato sì), a évoqué à cet égard, avec ses mots mais de manière parlante pour tous, la nécessité d’ouvrir un « chemin de conversion ».

42Confrontés à des menaces graves, les êtres humains préféreront-ils continuer à les ignorer, comme ils l’ont largement fait jusqu’à ce jour ? Ou seront-ils enfin prêts à les affronter, dans une démarche plus collective et solidaire ? Grâce à la commission paneuropéenne de l’OMS-Europe, des efforts interdisciplinaires sont en cours.

43Le système de santé, l’économie et le cadre financier ont indéniablement un rôle à jouer pour préserver la planète et garantir notre santé, mais ces enjeux sont résolument à la croisée de l’action publique et de la responsabilité individuelle. Les efforts globaux ou techniques ne sont rien sans l’implication des personnes, le changement de nos habitudes et de nos certitudes, au risque de déranger.

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Notes

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