Notes
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[*]
Professeur associée à l’Université de Genève, CEPR et FERDI, Celine.Carrere@unige.ch
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[1]
Voir la description en ligne http://www.cepii.fr/anglaisgraph/bdd/baci.htm
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[2]
Cottet et al. (2012) proposent une très bonne revue critique des bases de commerce disponibles dans le cas particulier des pays de la Zone franc (cf. leur section 2).
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[3]
Dans cet article nous suivons les définitions de produits de l’OMC, basées sur la classification HS-6 digits. Ainsi, les produits agricoles incluent les chapitres 1 à 24 à l’exception des produits de la pêche (chapitre 3 et une partie du chapitre 16) et incluent certains produits assimilés agricoles dans les chapitres 9, 33, 35, 38, 41, 43, 50, 51, 52 et 53 (voir l’annexe 1 de l’accord sur les produits agricoles de l’OMC). Les produits pétroliers couvrent les lignes 270900 «Petroleum oils and oils obtained from bituminou » et 271000 « Petroleum oils, etc, (excl. crude); preparation ». Les produits industriels couvrent le reste de la classification (il s’agit donc d’une définition large).
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[4]
L’indice de Theil est calculé pour chaque pays et chaque année comme suit:xk étant la valeur des exportations du produit k et n le nombre de produits exportés (à des fins de simplification nous omettons les indices pays et année).
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[5]
Disponible en ligne sur le site de la FERDI, http://www.ferdi.fr/indicateurs-innovants.html
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[6]
Nous utilisons ici la dimension la plus désagrégée possible afin d’identifier l’apparition de « nouveaux produits ». Toutefois l’utilisation de la classification HS6, mise en place à des fins de tarification douanière et non de classification économique, peut dans certains cas mésestimer la diversification. En effet, certaines catégories de biens, comme le textile, comprennent plus de « lignes tarifaires » et donc de « produits » que d’autres. Afin de déterminer le biais engendré par la classification HS6, Cadot et al. (2011) proposent une nouvelle classification qui réagrège certaines catégories en HS4. Les résultats concernant l’indice de Theil apparaissent inchangés.
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[7]
Un “nouveau produit” correspond à une ligne d’exportation HS6 qui était inactive depuis au moins 2 ans (c’est-à-dire avec un flux d’exportation nul) et qui devient active et le reste pendant au moins 2 ans (cf. Cadot et al., 2011).
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[8]
Nous remercions Julie Régolo pour l’accès à ses données.
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[9]
Une partie de cette diversification, due à l’exportation de « nouveaux » produits sur le marché régional, peut être due à l’« officialisation » de flux de commerce existants mais qui étaient auparavant informels et donc non pris en compte dans les données officielles de commerce. Cependant, même s’il ne s’agit pas d’une création de commerce proprement dite, cette « officialisation » constitue un gain important du processus d’intégration régionale.
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[10]
En effet, les échanges agricoles intra-pays et entre pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, relèvent pour l’essentiel du secteur informel et sont très mal mesurés. C’est pourquoi, faute de données sur les flux commerciaux, la majorité des analyses du commerce agricole en Afrique, commerce intra-pays et commerce multilatéral, utilisent des approches indirectes basées sur l’étude des mouvements de prix. Pour une évaluation de l’effectivité de l’intégration des pays de la Zone franc par les échanges agricoles à travers une analyse des prix des principaux produits vivriers sur les deux dernières décennies, cf. Araujo Bonjean et Brunelin (2013).
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[11]
Il s’agit de procéder à une log-linéarisation puis une expansion de Taylor de premier ordre du système d’équation composé des 2N équations définissant les termes multilatéraux (équation (2) – N étant le nombre total de pays dans l’échantillon).
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[12]
Nous introduisons par la suite des effets spécifiques aux paires de pays qui permettront de contrôler pour toutes les autres caractéristiques spécifiques aux paires de pays et invariantes dans le temps telles que les éventuels liens coloniaux, le partage d’une frontière ou d’une langue commune, etc.
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[13]
Le détail de l’expansion de Taylor est proposé par Baier et Bergstrand (2009) ou, pour la version adaptée à l’introduction d’une dimension temporelle, dans l’annexe de Carrère, de Melo et Wilson (2013).
-
[14]
Et disponibles en ligne à l’adresse suivante : http://www.nd.edu/~jbergstr/#Links
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[15]
La création de commerce étant définie comme la part de l’augmentation de commerce intra-régional qui n’est pas due à du détournement, cf. Carrère (2004, 2006).
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[16]
Nous revenons plus en détail sur l’interprétation des coefficients des variables d’infrastructure lors de l’exercice de statique comparée.
-
[17]
100*(Exp(-0.23)-1), coefficient de la colonne (2) du Tableau 3.
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[18]
Nous avons conscience que l’impact de l’union douanière est alors surévalué car une partie des effets de la monnaie unique tels que la suppression des coûts de conversion n’est pas captée par la variable de volatilité des changes et reste ainsi dans le coefficient de ARijt. Voir la discussion dans Carrère (2004).
-
[19]
le niveau du taux de change bilatéral entre i et j au mois m de l’année t-1.
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[20]
Cette conclusion rejoint celle de Venables (2003) sur les risques de divergence du fait de la mise en place de préférences commerciales au sein de l’UEMOA.
-
[21]
Le classement proposé dans le Tableau 5 correspond à celui d’autres études utilisant des bases de données différentes notamment de qualité de route, cf. Buys et al. (2006).
1 – Introduction
1Cet article a pour objectif de cerner les performances en matière de commerce obtenues jusqu’alors au sein de l’UEMOA (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) et de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, République Centrafricaine, Tchad). L’un des principaux effets économiques attendu de la mise en place d’un accord régional est de stimuler la croissance et le développement via l’intensification et la diversification des flux commerciaux au sein des unions. L’élimination des droits de douanes et autres coûts au commerce entre les pays membres d’un même accord permet aux pays d’accéder à un marché plus vaste que les marchés nationaux tout en restant partiellement protégés de la concurrence des importations hors zone. Depuis Viner, les effets d’une union douanière sur la création et le détournement de commerce sont bien connus. Il est important de quantifier ces phénomènes tout en identifiant la part de ces réorientations de flux commerciaux attribuable à la mise en place des accords commerciaux d’une part et l’existence d’une monnaie unique d’autre part.
2Dans le cas de la CEMAC et de l’UEMOA, les chiffres avancés dans la littérature empirique en matière de parts de commerce intra-régional et de degré de diversification des exportations de leurs pays membres sont souvent très décevants compte tenu des efforts importants d’intégration régionale mis en place dans ces régions depuis de nombreuses années. Et aucune amélioration ne semble se dessiner sur les tendances de ces 15 dernières années. Cependant, il est nécessaire d’aller au-delà de ces chiffres globaux. En décomposant les mesures de diversification, nous mettons en évidence deux dynamiques. Tout d’abord il existe dans les deux unions une diversification très claire à la marge extensive, c’est-à-dire via l’exportation de nouveaux produits. Cette dynamique de diversification est masquée au niveau global par une reconcentration parallèle des exportations au sein des produits dits « traditionnels » (reconcentration à la marge intensive). De plus, les pays des deux unions présentent un panier d’exportations intra-régionales beaucoup plus diversifié qu’avec le reste du monde. Autrement dit, le marché régional permet l’échange de produits non (encore) exportés hors de l’union. Et cette tendance se renforce au sein de l’UEMOA depuis 15 ans.
3Ces effets sont conformes aux conclusions des récents modèles de firmes hétérogènes initiés par Melitz (2003) : une baisse des coûts à l’exportation permet à un plus grand nombre d’entreprises d’atteindre le seuil de productivité permettant l’exportation. Ainsi de nouveaux produits apparaissent dans le commerce intra-régional. Albornoz et al. (2012) développent un modèle expliquant que les gains à l’exportation étant incertains, les entreprises ont tendance à d’abord tester leurs produits – et ainsi acquérir de l’expérience – en exportant dans un premier temps de petites quantités sur des marchés « faciles » d’accès, donc potentiellement des pays voisins et avec lesquels un accord commercial est en place. Cette séquence dans les destinations de nouvelles exportations est validée empiriquement par Carrère et Strauss-Kahn (2013). Les marchés de l’UEMOA et de la CEMAC, qui partagent plus qu’une union douanière en ayant une monnaie unique mais également souvent une langue commune, semblent donc réunir les conditions nécessaires pour promouvoir cette diversification à la marge extensive. Cela rejoint l’argument plus ancien de l’« industrie naissante » souvent utilisé comme justification d’accords régionaux entre pays en développement.
4Cependant, les effets attendus en termes d’intensification et de diversification des flux commerciaux ne devraient pas être répartis équitablement entre les pays membres d’un même accord. Selon Venables (2009), on peut s’attendre à ce que les pays qui étaient déjà relativement diversifiés avant la mise en place de l’intégration régionale se développent en partie au détriment des pays présentant une économie plus concentrée sur certains produits, en particulier sur l’exportation de ressources naturelles. Sachant qu’une distribution inéquitable des gains peut remettre en cause la viabilité à long terme d’un accord, nous proposons une évaluation empirique de ces effets.
5À l’aide d’un modèle de gravité en panel, nous obtenons 3 principales conclusions : (i) en moyenne, l’UEMOA et la CEMAC ont engendré du détournement de commerce, un supplément de commerce intra-régional significatif apparaissant dans le cas de l’UEMOA mais pas dans celui de la CEMAC ; (ii) la stabilité des taux de change conférée par le partage d’une monnaie unique a permis aux pays de chaque union d’améliorer le commerce intra-régional tout en limitant le phénomène de détournement ; (iii) il existe une grande hétérogénéité des effets au sein de chaque union. Les pays relativement concentrés dans leur structure d’exportation subissent un fort détournement de commerce tandis que les pays les plus diversifiés bénéficient d’une augmentation substantielle de leurs exportations de biens industriels vers leurs partenaires sans subir de détournement de commerce.
6La structure de cet article se présente comme suit. Dans la section 2 nous présentons des faits stylisés sur le commerce intra-UEMOA et intra-CEMAC ainsi que sur la diversification bilatérale des exportations de ces pays. Il s’agit ensuite de définir un contrefactuel afin d’identifier la part des évolutions des flux commerciaux expliquée par l’intégration régionale (union douanière et monétaire, avec distinction de l’impact de chacune des composantes). Ce contrefactuel, basé sur un modèle de gravité en panel, est présenté dans la section 3. Les résultats sont reportés et interprétés dans cette section. Une conclusion est proposée dans la section 4.
2 – Intégration régionale, flux de commerce et diversification : quelques faits stylisés
2.1 – Évolution des flux de commerce de l’UEMOA et de la CEMAC
7Nous proposons tout d’abord une analyse de l’évolution du commerce de biens intra et hors Zone franc de 1995 à 2010 au niveau global, puis par principales catégories (produits agricoles, industriels et pétroliers). La base de données de commerce utilisée est BACI (Base pour l’analyse du Commerce International du CEPII). [1] L’utilisation de cette base est plus adaptée aux pays de la Zone franc comparée à d’autres bases disponibles telles que Comtrade des Nations Unies ou Dots du Fonds Monétaire International. Cette base couvre l’ensemble des pays de la Zone franc et réconcilie les données d’importations et d’exportations selon la méthode dite des « données miroirs ». [2] Une limite importante de ces bases est que, par définition, elles ne couvrent que les flux de commerce officiellement déclarés en douane, et donc ignorent les flux de commerce informel transfrontalier. De plus, ces bases de données n’enregistrent pas de manière exhaustive les flux de réexportation (cf. l’analyse de Cottet et al., 2012), même si l’utilisation des données miroirs atténue le problème.
8La Figure 1 donne la part des exportations et importations des pays de l’UEMOA (traits pleins) et de la CEMAC (traits pointillés) dans les flux mondiaux. Ces parts s’avèrent très faibles.
Évolution des flux de commerce totaux de l’UEMOA et la CEMAC en % des flux mondiaux, 1995-2010
Évolution des flux de commerce totaux de l’UEMOA et la CEMAC en % des flux mondiaux, 1995-2010
9De plus, dans le cas des exportations de l’UEMOA, la tendance depuis le début des années 2000 est plutôt à la baisse (de 0.15 % en 2002 à 0.12 % en 2008) et le redressement observé en 2009 et 2010 s’explique par le fait que, durant la crise, les exportations de l’UEMOA ont relativement moins baissé que celle du reste du monde. Concernant la CEMAC, l’augmentation apparente de ses exportations durant la dernière décennie tient essentiellement aux exportations pétrolières. Ceci apparaît clairement dans la Figure 2 qui reporte les parts mondiales d’exportations et d’importations de produits industriels, agricoles et pétroliers pour chacune des zones. [3]
Évolution des parts mondiales d’exportations par principales catégories de biens, 1995-2010
Évolution des parts mondiales d’exportations par principales catégories de biens, 1995-2010
10La Figure 3 reporte la part du commerce intra-régional (totale et de produits industriels) de chacune des zones. Il apparaît tout d’abord clairement que le commerce intra-régional est très limité dans les deux unions, même s’il est tout de même en moyenne 5 fois plus élevé dans le cadre de l’UEMOA que de la CEMAC.
Evolution des parts de commerce intra-régional, 1995-2010
Evolution des parts de commerce intra-régional, 1995-2010
11Il est à noter que les variations de flux commerciaux sont difficiles à interpréter à partir de 2007 et reflètent une instabilité internationale conjoncturelle liée à la crise financière. Pour cette raison, nous limiterons notre analyse économétrique à la période pré-crise, i.e. 1995-2006.
12Si ces figures permettent de donner un premier aperçu des flux de commerce intra-régionaux, elles ne permettent pas d’inférer quoi que ce soit sur l’effet de l’intégration régionale. De nombreux facteurs influencent ces évolutions de parts de commerce comme le développement des infrastructures des pays membres, la croissance économique des pays partenaires ou encore l’évolution de leur compétitivité prix via les fluctuations du taux de change nominal. Il est donc nécessaire de tenir compte de l’évolution de ces facteurs afin d’identifier l’impact propre de l’intégration. Ainsi, en période de baisse de la demande mondiale ou de forte instabilité des marchés des changes, il est vraisemblable que l’intégration commerciale et la monnaie unique dont bénéficient les pays de l’UEMOA et de la CEMAC atténuent la chute de commerce, révélant ainsi un impact positif malgré les baisses de commerce observées dans les figures précédentes. Il est donc nécessaire de définir un contrefactuel, ce qui est proposé dans la section 3. Avant de passer à l’analyse économétrique, nous présentons maintenant quelques faits stylisés sur la diversification des exportations des pays de la Zone franc.
2.2 – Diversification des exportations de l’UEMOA et de la CEMAC
13Afin de définir quelques faits stylisés sur le degré de concentration des exportations des pays de l’UEMOA et de la CEMAC, deux indicateurs sont utilisés: le nombre de produits exportés (basé sur la classification de commerce la plus désagrégée à notre disposition, c’est-à-dire le système harmonisé à 6 digits, HS-6) et l’indice de concentration des exportations de Theil. [4] Ce dernier offre en effet l’avantage de pouvoir être décomposé en marge extensive (Theil-between) et marge intensive (Theil-within) – nous revenons sur cette décomposition plus tard. La base de données utilisée dans cette section est celle de Cadot, Carrère et Strauss-Kahn (2011). [5] Tous les pays de l’UEMOA et de la CEMAC sont inclus dans cette base sur la période pré-crise de 1995 à 2006.
14L’indice de concentration des exportations (mesuré par l‘indice de Theil) et le nombre de produits exportés (correspondant au nombre de lignes actives dans la classification HS-6) de l’année 2006 sont reportés, pour chaque pays de la Zone franc, dans le Tableau 1.
Diversification des exportations dans les pays de l’UEMOA et de la CEMAC, 2006
Diversification des exportations dans les pays de l’UEMOA et de la CEMAC, 2006
15Il apparaît clairement que les exportations des pays de la CEMAC sont en moyenne plus concentrées que celles de l’UEMOA. La classification proposée dans ce tableau rejoint les conclusions de Cottet et al. (2012). Mais cette diversification est-elle « anormalement » élevée compte tenu des niveaux de PIB par tête des pays ? Nous reportons dans la Figure 4 l’indice de concentration des exportations (mesuré par l’indice de Theil) en fonction du PIB par tête en parité de pouvoir d’achat. Nous reportons également la relation quadratique estimée entre ces deux variables ainsi que l’intervalle de confiance à 95 %. Une courbe en U-inversé apparaît avec un point de retournement aux alentours de 25 000 dollars conformément aux estimations de Cadot, Carrère et Strauss-Kahn (2011).
Indice de concentration des exportations en fonction du niveau de PIB par tête, 1995-2010
Indice de concentration des exportations en fonction du niveau de PIB par tête, 1995-2010
16Dans l’ensemble, tous les pays de la Zone franc apparaissent très concentrés, même une fois pris en compte leur niveau de développement. Seul le Sénégal semble significativement plus diversifié que son niveau de développement ne le laisserait présager, la Côte d’Ivoire et le Togo étant conformes au niveau attendu (ils se situent tous les deux dans l’intervalle de confiance). Tous les autres pays sont significativement plus concentrés que prédit par leur PIB par tête. Ces conclusions sont robustes à l’utilisation d’autres indicateurs de concentration des exportations tels que l’indice de Gini ou encore celui de Herfindahl-Hirschman.
17Quelles ont été les tendances de cette diversification ces dernières années ? Nous reportons dans la Figure 5, pour un pays « moyen » de l’UEMOA et de la CEMAC respectivement, l’évolution de l’indice de Theil et du nombre de produits exportés depuis 1995. Une légère diversification (diminution du Theil) apparaît dans le cadre de l’UEMOA associée à une augmentation importante du nombre moyen de produits exportés. Du côté de la CEMAC, il ne semble pas se dessiner de tendance à la diversification (augmentation de Theil global) même si une croissance du nombre de produits exportés est à noter [6].
Évolution de la diversification des exportations des pays de l’UEMOA et de la CEMAC, 1995-2006
Évolution de la diversification des exportations des pays de l’UEMOA et de la CEMAC, 1995-2006
18Afin de mieux comprendre les forces sous-jacentes à cette diversification (ou non-diversification) des exportations, nous proposons dans la Figure 6 une analyse des composantes de cette évolution (base 1 en 1995). Il apparaît que les deux unions présentent les mêmes caractéristiques : une diversification via l’exportation de nouveaux produits (diversification à la marge extensive – mesurée par le Theil-between) mais une reconcentration au sein des produits dits « traditionnels » (reconcentration à la marge intensive – mesurée par le Theil-within) [7]. Dans le cas de la CEMAC, et contrairement à l’UEMOA, cette reconcentration au sein des produits traditionnels est suffisamment forte pour surpasser la diversification qui s’opère à la marge extensive et ainsi annuler toute tendance globale. Cependant, il y a bien dans les deux unions une dynamique de diversification avec l’exportation de nouveaux produits. Quel est le rôle des flux intra-régionaux dans cette dynamique ?
Évolution de la marge extensive et intensive des pays de l’UEMOA et de la CEMAC, 1995-2006
Évolution de la marge extensive et intensive des pays de l’UEMOA et de la CEMAC, 1995-2006
Note : indicateurs base 1 en 1995.19Nous décomposons à présent le Theil selon les partenaires commerciaux. L’ensemble des Theil bilatéraux sur la période 1995-2006 a été calculé par Régolo (2011) à partir de la base de données BACI du CEPII toujours désagrégée au niveau HS-6. [8] Les données de la Guinée-Bissau et du Burkina Faso pour l’UEMOA, de la Guinée Équatoriale et du Tchad pour la CEMAC ne sont malheureusement pas disponibles.
20Dans le Tableau 2 nous reportons, pour chaque pays concerné (et ayant des données disponibles), la moyenne de la concentration de ses exportations avec les pays hors de sa zone et avec les pays du même accord. Pour tous les pays reportés dans le tableau, sans exception, le commerce intra-régional apparaît comme significativement plus diversifié (le test de différence de moyenne est toujours significatif à 1 ou 5 %). Ainsi, dans l’UEMOA, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou encore le Togo exportent en moyenne 15 % plus diversifiés vers leurs partenaires régionaux que vers le reste du monde. Au sein de la CEMAC, les différences sont moins prononcées, même si elles restent toujours significatives. Le Cameroun bénéficie de la plus grande diversité de ses exportations sur le marché régional.
Diversification des exportations intra-régionales vs. extra-régionales, en moyenne sur la période 2000-2006
Diversification des exportations intra-régionales vs. extra-régionales, en moyenne sur la période 2000-2006
Note : * signifie que le test de différence de moyenne conclut à un rejet de l’hypothèse nulle (égalité des moyennes intra et extra-régionales) à 1 %, ** à 5 %.21Il est également important de noter que les pays qui présentent le plus grand écart de leur indice de Theil entre les deux marchés (extra et intra-régional) sont également ceux qui apparaissent comme les plus diversifiés dans leurs exportations vers le reste du monde. Nous revenons sur ce point important dans la troisième section.
22L’évolution temporelle de ces indices de concentration des exportations intra et extra-régionales sur la période 1995-2006 révèle également une tendance intéressante : dans l’UEMOA comme dans la CEMAC, alors que le degré de diversification des exportations vers le reste du monde reste constant sur la période, une amélioration substantielle (baisse de l’indice de concentration de Theil) est observée sur la période (Figure 7). [9]
Évolution de la diversification des exportations intra-régionales vs. extra-régionales sur la période 1995-2006
Évolution de la diversification des exportations intra-régionales vs. extra-régionales sur la période 1995-2006
23Ainsi, si nous mettons en parallèle les différents faits stylisés présentés en matière de diversification, il semble que dans le cadre de l’UEMOA, et dans une moindre mesure de la CEMAC, il existe ces dernières années une dynamique de diversification via l’exportation de nouveaux produits, essentiellement dirigés vers le marché régional. Cela correspond aux prédictions du modèle d’Albornoz et al. (2012) : les nouveaux produits sont d’abord exportés vers le marché régional, plus facile d’accès notamment du fait de l’élimination des droits de douane et du partage d’une monnaie unique.
24Il semblerait également que les pays qui présentent la plus forte dynamique en ce sens soient les pays qui exportaient déjà de manière relativement diversifiée lors de la mise en place des accords. Nous revenons plus en détail sur ce dernier point dans la deuxième section mais cela semble confirmer les prédictions théoriques de Venables (2009) : les pays qui disposent de relativement moins de ressources naturelles et d’un appareil productif plus diversifié sont ceux qui bénéficient le plus de la mise en place d’un accord régional.
3 – Impact de l’intégration régionale sur le commerce de biens industriels
25Nous nous concentrons ici sur les échanges de produits industriels, c’est-à-dire excluant les produits pétroliers et agricoles (cf. définition exacte dans la section 2). C’est au niveau des produits industriels que l’on attend le plus de gains d’une intégration régionale en termes de diversification et qu’il existe le plus de risque de divergence intra-union. Nous nous concentrons donc sur ces points dans cette section. C’est également sur ces flux que la part de commerce informel est la plus faible, rendant plus pertinente l’estimation d’un modèle de gravité. [10]
3.1 – Présentation du modèle de gravité utilisé et des données
26Afin d’estimer l’impact des accords régionaux sur le commerce international des pays membres nous utilisons le modèle bien connu de gravité qui explique les flux de commerce bilatéraux. Depuis quelques années, de nombreux articles concernant ce modèle aident à sa bonne définition tant au niveau théorique (cf. Anderson et Van Wincoop, 2003) qu’au niveau empirique (cf. Carrère, 2006, Silva et Tenreyro 2006).
27Traditionnellement, le modèle de gravité se définit comme suit :
29Mijt étant les importations du pays i en provenance du pays j à l’année t, Yi(j)t les PIB du pays i (j) à l’année t, Ywt le PIB mondial en t, ?ijt capture les coûts bilatéraux au commerce entre i et j en t, ? >1 est l’élasticité de substitution dans la fonction d’utilité CES. Les flux bilatéraux de commerce dépendent également des coûts relatifs au commerce notés et nommés « résistances multilatérales au commerce » par Anderson et Van Wincoop (2003). Ces termes se définissent comme suit :
31Estimer le système d’équations (1) et (2) présente deux difficultés. Tout d’abord, pour estimer les termes de résistance multilatérale (termes non linéaires) il est commun d’introduire des effets fixes exportateurs et importateurs dans l’estimation du modèle de gravité (cf. Anderson et Van Wincoop, 2003 ou Feenstra, 2004). Cependant cette stratégie ne peut être utilisée avec une dimension temporelle, les termes de résistance multilatérale étant eux-mêmes variables dans le temps (cf. Baldwin et Taglioni, 2006). De plus, l’utilisation d’effets fixes pour capter les termes multilatéraux pose un autre problème. La difficulté est alors de simuler l’impact d’une variation d’une composante des coûts au commerce, telle que la mise en place d’une union douanière, sur le commerce bilatéral. En effet, une baisse des coûts au commerce dans le pays i fera simultanément varier ?ijt et et . Pour remédier à ces deux difficultés, nous suivons la méthode originale proposée par Baier et Bergstrand (2009) que nous adaptons pour intégrer la dimension temporelle de notre étude [11]. Cela permet alors de définir une forme réduite du modèle de gravité qui a le mérite de pouvoir être estimé linéairement, d’être conforme au modèle théorique d’Anderson et Van Wincoop avec intégration des termes de résistance multilatérale tout en autorisant des exercices de statique comparée.
32Il s’agit maintenant de définir les coûts au commerce ?ijt. En l’absence de données temporelles sur les coûts de transport et de transaction, nous suivons la littérature (cf. Limao and Venables, 2001, Baier and Bergstrand, 2009, Carrère, de Melo et Wilson, 2012) et définissons la fonction de coût de transport suivante : [12]
34avec Dij la distance géographique entre les pays i et j, Ki(j)t un indice de développement des infrastructures du pays i en t (moyenne simple de la densité de rail, routes, routes pavées et lignes téléphoniques), ARijt une variable muette égale à l’unité si les pays i et j appartiennent à un même accord en t (0 sinon) et Vijt la volatilité du taux de change nominal entre i et j en t. Nous revenons sur ces deux variables propres à l’estimation des effets de l’UEMOA et de la CEMAC plus loin.
35Une fois le modèle transformé, la forme réduite s’écrit [13]:
37?t et ?ij étant des effets spécifiques années et paires de pays respectivement, ?ijt le terme d’erreur. Les termes multilatéraux ainsi introduits dans l’équation (4) – et très peu utilisés dans la littérature – présentent des interprétations tout à fait pertinentes. Ainsi le terme multilatéral propre à l’accord régional MAR permet de tenir compte de la concurrence existant entre les nombreux accords de préférences commerciales signés par un même pays et qui vient réduire l’effet escompté de l’accord considéré. De la même manière, le terme MV capture l’instabilité mondiale des marchés des changes venant ainsi renforcer ou relativiser les avantages du partage d’une monnaie unique.
38Les données que nous utilisons sont celles de la Banque mondiale (WDI) pour les données de PIB (en dollar constant 2000), les données du CEPII pour les flux de commerce et la distance géographique, les données d’infrastructure compilées par Carrère, De Melo et Wilson (2013) à partir des données de Canning (1998) et de la Banque mondiale (WDI), les données IFS pour les taux de change nominaux et enfin les données d’accords commerciaux (incluant les accords réciproques et non réciproques) construites par Bergstrand (mai 2011). [14]
3.2 – Quantification des effets de l’UEMOA et de la CEMAC sur le commerce
39Afin de mesurer les effets de l’intégration régionale sur le commerce dans le cadre de l’UEMOA et de la CEMAC, nous procédons en 3 étapes :
- Estimation des créations et détournements de commerce liés à la mise en place de l’UEMOA et la CEMAC sur la période 1995-2006.
- Identification de la part des effets sur le commerce – estimés dans la première étape – due à la stabilité des taux de change nominaux et à l’intégration commerciale.
- Mise en évidence de l’hétérogénéité de ces effets entre pays d’un même accord en fonction du degré initial de diversification des exportations.
Estimation des effets de création et de détournement de commerce de biens industriels dans l’UEMOA et la CEMAC
40Afin de mesurer l’effet global de l’UEMOA et de la CEMAC sur ses pays membres nous estimons l’équation (4) avec 3 modifications :
- nous décomposons la variable ARijt de manière à distinguer le commerce intra-UEMOA et intra-CEMAC, un coefficient positif révélant une augmentation de commerce intra-régional ;
- nous introduisons une variable muette prenant la valeur 1 lorsque le pays importateur appartient à l’accord (UEMOA ou CEMAC) et le pays exportateur au reste du monde, un coefficient négatif mettant en évidence l’existence de détournement de trafic ; [15]
- nous n’introduisons pas dans cette première étape la variable Vijt afin de mesurer l’impact global de l’union, monétaire comme douanière.
Estimation du modèle de gravité avec variables régionales, importations de biens industriels, 1995-2006
Estimation du modèle de gravité avec variables régionales, importations de biens industriels, 1995-2006
Note : écarts-types robustes entre parenthèses, *** indique un coefficient significatif à 1 % ; ** à 5 %, * à 10 %.41Concernant les variables régionales, plusieurs conclusions émergent:
- L’UEMOA présente un supplément de commerce intra-régional de produits industriels sur la période 1995-2006 assez important. Ainsi les pays membres de l’UEMOA ont commercé 4 fois plus entre eux que prédit par le modèle de gravité en l’absence d’une telle intégration. En parallèle un détournement de trafic apparaît: les importations en provenance des pays hors de l’UEMOA sont inférieures de 20% [17] à celles prédites par le modèle.
- La CEMAC n’a pas permis de stimuler le commerce intra-régional sur la période 1995-2006 (coefficient non significativement différent de zéro) mais un détournement de commerce semble tout de même avoir lieu.
- Les autres accords de préférence commerciale (réciproques et non réciproques) impliquant des pays à revenus faibles ou intermédiaires ont permis une légère stimulation du commerce entre les pays signataires (coefficient de la variable « intra-AR autres » significatif).
- Il existe une concurrence entre les schémas de préférence commerciale: plus un pays est membre d’accords concurrents (variable MARi élevée) moins il importera du pays j toutes choses égales par ailleurs. Cet effet de concurrence est encore plus important sur les flux d’exportations (MARj).
Identification des effets sur le commerce due à la stabilité des taux de change nominaux et à l’intégration commerciale
42Il s’agit ensuite de distinguer l’effet qui tient de l’union monétaire de celui qui est engendré par l’union douanière. Sous l’hypothèse que le principal avantage de la monnaie unique en termes de coûts au commerce est la stabilité du taux de change qu’elle procure à ses exportateurs pour le commerce intra-union, l’introduction d’une mesure de la volatilité du taux de change nominal nous permet de « purger » le coefficient de la variable muette ARijt de l’effet de l’union monétaire (cf. Carrère, 2004). Le nouveau coefficient de ARijt mesure alors l’effet propre à l’union douanière. [18] Pour mesurer la volatilité du taux de change nominal bilatéral nous suivons Frankel (1997) ou Rose (2000) en prenant la variance de la différence première des taux de change mensuels de l’année précédente. [19]
43Nous estimons donc de nouveau l’équation correspondant à la colonne (2) du Tableau 3 en rajoutant 3 variables : la variable de volatilité bilatérale, notée Vijt dans l’équation (4) et les 2 variables mesurant la volatilité multilatérale, MVit et MVjt. Le résultat est reporté dans la colonne (3) du Tableau 3. Comme attendu, le coefficient de Vijt est négatif et significatif (une plus grande volatilité du taux de change bilatéral diminue les flux de commerce entre les deux pays) tandis que les variables MVit et MVjt ont un impact positif et significatif : plus il y a d’instabilité financière internationale (augmentation de la volatilité des changes avec l’ensemble des partenaires) plus il y aura de commerce entre i et j toutes choses égales par ailleurs.
44Notre principal intérêt dans cette régression est la variation des coefficients des variables régionales suite à l’introduction de ces variables de volatilité des changes. Ces différences dans les coefficients des variables régionales sont représentées dans la Figure 8.
Décomposition des coefficients des variables régionales (estimés dans le modèle de gravité) entre les effets liés à la stabilité des taux de change vs. intégration commerciale, 1996-2006
Décomposition des coefficients des variables régionales (estimés dans le modèle de gravité) entre les effets liés à la stabilité des taux de change vs. intégration commerciale, 1996-2006
Notes : décompositions des coefficients globaux reportés dans la colonne (2) du Tableau 3.45Dans les deux zones, la stabilité des taux de change nominaux permet :
- une augmentation significative du commerce intra-régional sur la période : la stabilité des taux de change nominaux explique un peu moins de 50 % du supplément estimé de commerce de biens industriels intra-UEMOA et est la source unique du supplément estimé de commerce intra-régional dans le cas de la CEMAC (le coefficient négatif associé à la mise en place de l’union douanière n’est en fait pas significativement différent de zéro). Ces résultats soulignent l’extrême importance de l’union monétaire en termes de commerce intra-régional.
- une atténuation importante du détournement de commerce ; dans les deux unions, la composante monétaire a légèrement favorisé les importations en provenance du reste du monde. Nous retrouvons ici les conclusions de Carrère (2004) même si l’impact de la stabilité des changes sur le commerce avec le reste du monde est ici de moindre ampleur. Cela est certainement dû à la différence dans la période d’étude, 1970-1996 vs. 1995-2006. Ces dernières années le commerce des pays de la Zone franc s’est beaucoup développé avec des partenaires tels que les États-Unis – via par exemple l’« African Growth Opportunity Act » – ou encore la Chine. Avec ces « nouveaux » partenaires, les pays de la Zone franc ne bénéficient pas du même avantage de stabilité de leur Franc CFA qu’avec le partenaire « traditionnel », l’Europe.
Distribution des effets entre pays membres selon le degré de diversification des exportations
46Dans cette étape nous revenons sur la question centrale de la diversification. Selon la théorie de Venables (2009), les pays qui sont initialement les plus diversifiés sont ceux qui devraient le plus bénéficier d’un accord régional. Prenons le cas extrême de 2 pays, un pays riche en ressources naturelles et donc ayant des exportations très concentrées comme le Gabon ou le Congo et d’autre part un pays possédant moins de ressources naturelles et un tissu économique plus diversifié comme le Cameroun. Dans un tel contexte, la mise en place de la CEMAC devrait permettre au Cameroun de développer ses exportations sur le marché régional et ainsi poursuivre sa diversification (notamment à la marge extensive) bénéficiant ainsi du détournement de commerce au détriment des pays moins diversifiés comme le Gabon et du Congo. Cet effet de redistribution entre pays d’un même accord en fonction de leur degré initial de diversification a été testé par Carrère, Gourdon et Olarreaga (2012) dans le cadre de PAFTA (Pan-Arab Free Trade Area). Nous reprenons ici leur méthodologie : il s’agit d’interagir la variable muette de commerce intra-régional et de détournement de commerce avec l’indice de Theil de chaque pays importateur pour la période pré-intégration, c’est-à-dire ici l’indice de Theil moyen sur la période 1990-1994.
47Les résultats présentés dans le Tableau 4 confirment la prédiction théorique : plus l’indice de Theil du pays est élevé (donc plus le pays a une structure d’exportation concentrée au début de la période d’intégration) plus il importera des autres pays membres du fait de la mise en place de l’accord et plus il subira de détournement de commerce.
Estimation du modèle de gravité avec décomposition des effets de l’UEMOA et de la CEMAC selon le degré de concentration des pays membres
Estimation du modèle de gravité avec décomposition des effets de l’UEMOA et de la CEMAC selon le degré de concentration des pays membres
Note : écarts-types robustes en italique, *** indique un coefficient significatif à 1 % ; ** à 5 %, * à 10 %. Seules les variables d’intérêt sont ici reportées, les autres variables ayant des coefficients très similaires à ceux présentés dans le Tableau 3.48Afin d’aider à l’interprétation des résultats nous reportons dans la Figure 9 l’impact marginal de l’union sur le commerce propre à chaque pays de l’UEMOA et de la CEMAC respectivement. Dans chaque graphique les pays sont classés selon leur niveau de concentration des exportations sur la période 1990-1994 (du pays le plus diversifié au plus concentré). Il apparaît très clairement que les bénéfices de l’union en termes de commerce ne sont pas équitablement répartis entre les pays membres. [20] Les pays les moins diversifiés connaissent un détournement de commerce important (accroissement des importations intra-zone au détriment des importations du reste du monde). Au contraire, les pays diversifiés accroissent simultanément leurs importations intra-zone et extra-zone.
Coefficients de commerce intra-régional et de détournement de commerce conditionnel au niveau initial de concentration des exportations des pays
Coefficients de commerce intra-régional et de détournement de commerce conditionnel au niveau initial de concentration des exportations des pays
Note : coefficients calculés par pays à partir des coefficients estimés du Tableau 4 et des niveaux de Theilit0.Quels gains attendus d’une amélioration des infrastructures de transport ?
49Quels sont les gains de commerce espérés si l’on harmonise les niveaux d’infrastructure au sein de chaque zone ? En d’autres termes quelle devrait être l’augmentation des exportations si l’indice d’infrastructure de chaque pays exportateur atteint le niveau de celui du pays de l’Union le mieux doté en 2006 (Togo pour l’UEMOA et Gabon pour la CEMAC) ? Le calcul, basé sur les coefficients estimés du Tableau 3 et les niveaux de Kj en 2006 est reporté dans le Tableau 5.
Effet en termes d’exportation d’une harmonisation du niveau des infrastructures au sein de chaque Union en 2006
Effet en termes d’exportation d’une harmonisation du niveau des infrastructures au sein de chaque Union en 2006
Note : coefficients calculés par pays à partir des coefficients estimés du Tableau 3 et des niveaux de Kj en 2006.50Ce tableau révèle tout d’abord la forte disparité intra-régionale dans les niveaux d’infrastructures ferroviaires, routières et de téléphonie. [21] Il apparaît que les gains potentiels en termes de commerce sont très élevés. L’exercice d’harmonisation sur le niveau le plus élevé intra-Union est certes excessif mais il permet de donner une idée des enjeux des projets d’amélioration/construction d’infrastructures de transport dans les pays de la Zone franc.
3 – Conclusion
51Compte tenu des avancées en matière d’élimination des droits de douane et de l’existence d’une monnaie unique, les résultats en termes de flux commerciaux et de diversification des exportations restent encore faible. Des efforts supplémentaires vers une intégration plus profonde doivent être accomplis. Nous avons vu qu’une amélioration des infrastructures de transport pourrait avoir un impact substantiel en termes de commerce. Comme indiqué dans le rapport sur le commerce international (OMC, 2011) « le faible développement des systèmes de transport, caractérisés par la faible densité par habitant des infrastructures ferroviaires et routières qui ont été conçues, à l’époque coloniale, pour le transport des produits primaires jusqu’aux ports » augmente considérablement les coûts logistiques du commerce de marchandises transnational (McCord et al., 2005). Compte tenu des externalités engendrées par l’amélioration des infrastructures, un effort supplémentaire au niveau régional serait particulièrement adapté.
52De manière générale, toute baisse des coûts de transport et de transaction, en particulier sur le commerce intra-régional, permettrait d’intensifier la dynamique de diversification à la marge extensive mise en évidence dans cet article. Plus les coûts d’accès au pays partenaire sont faibles, plus il y aura d’entreprises capables de tester leurs produits à l’exportation et ainsi d’acquérir l’expérience nécessaire pour ensuite développer leurs exportations en dehors de l’union. Des efforts sont donc à mener sur les obstacles au commerce (comme par exemple les nombreuses barrières non tarifaires encore existantes au sein de l’UEMOA et de la CEMAC).
53Cependant, il est nécessaire de garder en mémoire les risques de divergence au sein des unions du fait même du renforcement de l’intégration. Comme nous l’avons mis en évidence dans cet article, les effets en termes de commerce (création et détournement) ne sont pas équitablement répartis entre les pays membres, du fait de leur hétérogénéité en termes de diversité de leur appareil productif. Et une amélioration des infrastructures régionales peut venir encore renforcer cette divergence, via une intensification des forces d’agglomération, en favorisant le « centre » (qui a déjà un minimum d’infrastructure de transport et donc le faible coût d’accès aux marchés étrangers) au détriment des pays ou régions « périphériques » (cf. la revue de la littérature théorique et empirique sur les effets de redistribution spatiale de l’ouverture au commerce de Brülhart, 2011). Des efforts doivent donc être déployés en parallèle d’une intensification de l’intégration afin de compenser les divergences et ainsi assurer la viabilité à terme des unions. Ceci peut passer par les programmes d’« Aide au commerce » visant à renforcer les capacités d’offre des pays souffrant d’une concentration élevée de leur structure d’exportation (promotion des exportations de nouveaux produits, intégration de réseaux de production) leur permettant ainsi de bénéficier eux aussi des avantages offerts par le marché régional.
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Mots-clés éditeurs : intégration régionale en Zone franc, modèle de gravité, diversification des exportations
Date de mise en ligne : 24/05/2013
https://doi.org/10.3917/edd.271.0033Notes
-
[*]
Professeur associée à l’Université de Genève, CEPR et FERDI, Celine.Carrere@unige.ch
-
[1]
Voir la description en ligne http://www.cepii.fr/anglaisgraph/bdd/baci.htm
-
[2]
Cottet et al. (2012) proposent une très bonne revue critique des bases de commerce disponibles dans le cas particulier des pays de la Zone franc (cf. leur section 2).
-
[3]
Dans cet article nous suivons les définitions de produits de l’OMC, basées sur la classification HS-6 digits. Ainsi, les produits agricoles incluent les chapitres 1 à 24 à l’exception des produits de la pêche (chapitre 3 et une partie du chapitre 16) et incluent certains produits assimilés agricoles dans les chapitres 9, 33, 35, 38, 41, 43, 50, 51, 52 et 53 (voir l’annexe 1 de l’accord sur les produits agricoles de l’OMC). Les produits pétroliers couvrent les lignes 270900 «Petroleum oils and oils obtained from bituminou » et 271000 « Petroleum oils, etc, (excl. crude); preparation ». Les produits industriels couvrent le reste de la classification (il s’agit donc d’une définition large).
-
[4]
L’indice de Theil est calculé pour chaque pays et chaque année comme suit:xk étant la valeur des exportations du produit k et n le nombre de produits exportés (à des fins de simplification nous omettons les indices pays et année).
-
[5]
Disponible en ligne sur le site de la FERDI, http://www.ferdi.fr/indicateurs-innovants.html
-
[6]
Nous utilisons ici la dimension la plus désagrégée possible afin d’identifier l’apparition de « nouveaux produits ». Toutefois l’utilisation de la classification HS6, mise en place à des fins de tarification douanière et non de classification économique, peut dans certains cas mésestimer la diversification. En effet, certaines catégories de biens, comme le textile, comprennent plus de « lignes tarifaires » et donc de « produits » que d’autres. Afin de déterminer le biais engendré par la classification HS6, Cadot et al. (2011) proposent une nouvelle classification qui réagrège certaines catégories en HS4. Les résultats concernant l’indice de Theil apparaissent inchangés.
-
[7]
Un “nouveau produit” correspond à une ligne d’exportation HS6 qui était inactive depuis au moins 2 ans (c’est-à-dire avec un flux d’exportation nul) et qui devient active et le reste pendant au moins 2 ans (cf. Cadot et al., 2011).
-
[8]
Nous remercions Julie Régolo pour l’accès à ses données.
-
[9]
Une partie de cette diversification, due à l’exportation de « nouveaux » produits sur le marché régional, peut être due à l’« officialisation » de flux de commerce existants mais qui étaient auparavant informels et donc non pris en compte dans les données officielles de commerce. Cependant, même s’il ne s’agit pas d’une création de commerce proprement dite, cette « officialisation » constitue un gain important du processus d’intégration régionale.
-
[10]
En effet, les échanges agricoles intra-pays et entre pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, relèvent pour l’essentiel du secteur informel et sont très mal mesurés. C’est pourquoi, faute de données sur les flux commerciaux, la majorité des analyses du commerce agricole en Afrique, commerce intra-pays et commerce multilatéral, utilisent des approches indirectes basées sur l’étude des mouvements de prix. Pour une évaluation de l’effectivité de l’intégration des pays de la Zone franc par les échanges agricoles à travers une analyse des prix des principaux produits vivriers sur les deux dernières décennies, cf. Araujo Bonjean et Brunelin (2013).
-
[11]
Il s’agit de procéder à une log-linéarisation puis une expansion de Taylor de premier ordre du système d’équation composé des 2N équations définissant les termes multilatéraux (équation (2) – N étant le nombre total de pays dans l’échantillon).
-
[12]
Nous introduisons par la suite des effets spécifiques aux paires de pays qui permettront de contrôler pour toutes les autres caractéristiques spécifiques aux paires de pays et invariantes dans le temps telles que les éventuels liens coloniaux, le partage d’une frontière ou d’une langue commune, etc.
-
[13]
Le détail de l’expansion de Taylor est proposé par Baier et Bergstrand (2009) ou, pour la version adaptée à l’introduction d’une dimension temporelle, dans l’annexe de Carrère, de Melo et Wilson (2013).
-
[14]
Et disponibles en ligne à l’adresse suivante : http://www.nd.edu/~jbergstr/#Links
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[15]
La création de commerce étant définie comme la part de l’augmentation de commerce intra-régional qui n’est pas due à du détournement, cf. Carrère (2004, 2006).
-
[16]
Nous revenons plus en détail sur l’interprétation des coefficients des variables d’infrastructure lors de l’exercice de statique comparée.
-
[17]
100*(Exp(-0.23)-1), coefficient de la colonne (2) du Tableau 3.
-
[18]
Nous avons conscience que l’impact de l’union douanière est alors surévalué car une partie des effets de la monnaie unique tels que la suppression des coûts de conversion n’est pas captée par la variable de volatilité des changes et reste ainsi dans le coefficient de ARijt. Voir la discussion dans Carrère (2004).
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[19]
le niveau du taux de change bilatéral entre i et j au mois m de l’année t-1.
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[20]
Cette conclusion rejoint celle de Venables (2003) sur les risques de divergence du fait de la mise en place de préférences commerciales au sein de l’UEMOA.
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[21]
Le classement proposé dans le Tableau 5 correspond à celui d’autres études utilisant des bases de données différentes notamment de qualité de route, cf. Buys et al. (2006).