Notes
-
[2]
Robinson W. I., Harris J., “Towards a global ruling class? Globalization and the transnational capitalist class”, Science & Society, vol. 64, n°1, printemps 2000, pp. 11-54 ; Van Apeldoorn B., “Transnational class agency and European governance: The case of the European Round Table of Industrialists”, New political economy, vol. 5, n°2, juillet 2000, pp. 157-181 ; Sklair L., The transnational capitalist class, Malden et Oxford, Blackwell, 2001 ; Van Apeldoorn B., “Theorizing the transnational: A historical materialist approach”, Journal of International Relations and Development, vol. 7, n°2, 2004, pp. 142-176.
-
[3]
Dezalay Y., Garth B., La mondialisation des guerres de palais, Paris, Le Seuil, 2002.
-
[4]
Aron R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984 [1962] ; Keohane R. O., Nye J. S., Transnational Relations and World Politics, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1972.
-
[5]
Bourdieu P., La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1989.
-
[6]
Sur ces aspects, on renverra le lecteur à Dezalay Y., « Une leçon de réflexivité », in Mauger G., Rencontres avec Pierre Bourdieu, Paris, Éditions du Croquant, 2005, ainsi que Dezalay Y., Bigo D., Cohen A., « Enquêter sur l’internationalisation des Noblesses d’État. Retour réflexif sur des stratégies de double jeu », Cultures & Conflits, n°95, été 2015, pp. 15-52.
-
[7]
Voir notamment Badie B., Smouts M.-C., Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de la FNSP, Dalloz, 1992 ; Colonomos A., « Sociologie et science politique. Les réseaux, théories et objets d’études », Revue française de science politique, vol. 45, n°1, 1995, pp. 165-178. ; Devin G., « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », Revue française de science politique, vol. 45, n°2, 1995, pp. 305-327.
-
[8]
Outre les travaux d’Yves Dezalay, voir Broady D., Saint-Martin M. de, Palme M. (dir.), Les élites. Formation, reconversion, internationalisation, Colloque de Stockholm, 24-26 septembre 1993, Paris, Stockholm, Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, École des hautes études en sciences sociales, Forskningsgruppen för utbildnings- och kultursociologi, Lärarhögskolan, 1995 ; Broady D., Chmatko N., Saint Martin M. de (dir.), Formation des élites et culture transnationale, Colloque de Moscou, 27-29 avril 1996, Paris, Uppsala, Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, École des hautes études en sciences sociales, SEC, ILU, Université d’Uppsala, 1997 ; Dossier « Les ruses de la raison impérialiste », Actes de la recherche en sciences sociales, n°121-122, mars 1998 ; Wagner A.-C., Les nouvelles élites de la mondialisation. Une immigration dorée en France, Paris, PUF, 1998. Pour une mise en perspective de cette époque, voir tout particulièrement Cohen A., “Pierre Bourdieu and International Relations”, in Medvetz T., Sallaz J. J. (eds.), The Oxford Handbook of Pierre Bourdieu, New York, Oxford University Press, 2018.
-
[9]
Bigo D., Polices en réseaux. L’expérience européenne, Paris, Presses de Sciences-Po, 1996.
-
[10]
Lénine V., L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Paris, Le Temps des cerises, 2001 [1917] ; Gramsci A., Écrits politiques (vol. 1), Paris, Gallimard, 1974 [1923-1926].
-
[11]
Arrighi G., Essays on the Political Economy of Africa, New York et Londres, Monthly Review Press, 1973 ; Amin S., Le développement inégal. Essais sur les formations sociales du capitalisme périphérique, Paris, Éditions de Minuit, 1973 ; Amin S., Saigal J. C., L’échange inégal et la loi de la valeur. La fin d’un débat, Paris, Éditions Anthropos-IDEP, 1973.
-
[12]
Aron R., op. cit. ; Djelic M.-L., Sahlin-Andersson K. (eds.), Transnational Governance: Institutional Dynamics of Regulation, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Zeitlin J., “SASE Annual Meeting 2010, Philadelphia, USA: Pragmatic transnationalism: governance across borders in the global economy”, Socio-Economic Review, vol. 9, n°1, January 2011, pp. 187-206 ; Djelic M.-L., Sahlin K., “Reordering the World: Transnational Regulatory Governance and its Challenges”, in Levi-Faur D. (ed.), The Oxford Handbook of Governance, Oxford University Press, 2012, pp. 745-758.
-
[13]
Kaiser K., “Transnational Relations as a Threat to the Democratic Process”, International Organization, vol. 25, n°3, été 1971, pp. 706-720 ; Kaiser K., “Transnational Politics Toward a Theory of Multinational Politics”, International Organization, vol. 25, n°4, automne 1971, pp. 790-817 ; Nye J. S., Keohane R. O., “Transnational relations and world politics: An introduction”, International Organization, vol. 25, n°3, été 1971, pp. 329-349 ; Nye J.S., Keohane R.O., ibid., pp. 721-748.
-
[14]
Dezalay Y., Marchands de droit. La restructuration de l’ordre juridique international par les multinationales du droit, Paris, Fayard, 1992.
-
[15]
Dezalay Y., Bigo D., Cohen Y., op. cit.
-
[16]
D. Kircher synthétisait cette première vague de travaux en définissant ce type d’entreprise comme détenue par des actionnaires de pays multiples, encadrée par des personnes de nationalités multiples, fonctionnant dans l’ensemble du monde qui lui est politiquement ouvert, menée par des dirigeants formés et expérimentés à concevoir le monde comme une unité économique, diversifiée en termes de produits et de centres d’intérêt, sans sacrifier aux principes unificateurs qui les façonnent comme organisations uniques. Kircher D., “And now the transnational entreprise”, Harvard Business Review, vol. 42, n°2, mars-avril 1964, pp. 6-10.
-
[17]
Sagafi-Nejad T., Dunning J. H., The UN and Transnational Corporations: From Code of Conduct to Global Compact, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 2008.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Arrighi G., Amin S., op. cit. ; Wallerstein I., The Modern World-System, Vol. I: Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century, New York et Londres, Academic Press, 1974 ; Wallerstein I., “The rise and future demise of the world capitalist system: Concepts for comparative analysis”, Comparative studies in society and history, vol. 16, n°4, septembre 1974, pp. 387-415.
-
[20]
Braudel F., La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p. 68.
-
[21]
Chase-Dunn C., Rubinson R., “Toward a structural perspective on the world-system”, Politics & Society, vol. 7, n°4. 1977, pp. 453-476 ; Chase-Dunn C., Global Formation: Structures of the World Economy, Cambridge Mass., Basil Blackwell 1989 ; Wright E. O., Class counts: Comparative Studies in Class Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1997; Burawoy M., Wright E. O., “Sociological marxism”, in Turner J. H. (ed.), Handbook of Sociological Theory, Boston Mass., Springer US, 2001, pp. 459-486.
-
[22]
Hymer S. H., The International Operations of National Firms: A Study of Direct Foreign Investment, thèse de doctorat soutenue en 1960 et publiée à titre posthume en 1976 chez MIT Press, Cambridge Mass. Hymer déclara officiellement sa proximité avec les thèses marxistes en 1969 au MIT lors d’une conférence de l’Union for Radical Political Economics.
-
[23]
Robinson W. I., Harris J., op. cit. ; Van Apeldoorn B., op. cit. ; Sklair L., op. cit.
-
[24]
M. Hardt et A. Negri renouent néanmoins avec cette question de l’impérialisme, mais sur des bases beaucoup plus philosophiques. Hardt M., Negri A., Empire, Cambridge Mass., Harvard University Press, 2000. Samir Amin ne pose la question que plus tardivement, dans une tribune pour le collectif Valmy, en 2012, dont le titre est évocateur : Amin S., « Capitalisme transnational ou Impérialisme collectif ? », Comité Valmy, 22.01.2011 : http://www.comite-valmy.org/spip.php?article2271 (consulté le 13 novembre 2019).
-
[25]
Lénine V., op. cit.
-
[26]
Gramsci A., op. cit.
-
[27]
Cox R., “Gramsci, Hegemony and International Relations: An Essay in Method”, Millennium, vol. 12, n°2, juin 1983, pp. 162-175 ; Overbeek H., “Transnational Historical Materialism”, in Palan R. (ed.), Global Political Economy: Contemporary Theories, Londres, Routledge, 2000, pp. 168-183.
-
[28]
Sklair L., op. cit.
-
[29]
Amin S., « Capitalisme transnational », op. cit.
-
[30]
Fennema M., International Networks of Banks and Industry, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1982 ; Carroll W., The making of a transnational capitalist class. Corporate power in the twenty-first century, Londres et New York, Zed Books, 2010 ; Burris V., Staples C. L., “In search of a transnational capitalist class: Alternative methods for comparing director interlocks within and between nations and regions”, International Journal of Comparative Sociology, vol. 53, n°4, 2012, pp. 323-342.
-
[31]
Peetz D., Murray G., Nienhüser W., “The New Structuring of Corporate Ownership”, in Struna J., Global Capitalism and Transnational Class Formation, New York, Routledge, 2015.
-
[32]
Sklair L., “The Transnational Capitalist Class and the Discourse of Globalization”, Cambridge Review of International Affairs, vol. 14, n°1, 2000, pp. 67-85.
-
[33]
Bourdieu P. « L’internationalisation et la formation des cadres dirigeants », in de Saint Martin M., Gheorghiu M. D. (dir.), Les Institutions de formation des cadres dirigeants, Paris, MSH, 1992, pp. 281-283.
-
[34]
Selon l’expression d’Antoine Vauchez : Vauchez A., « Le prisme circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique internationale, n°59 (2), 2013, pp. 9-16.
-
[35]
Wallerstein I., The Modern World-System…, op. cit.
-
[36]
Voir notamment dans Actes de la recherche en sciences sociales, n°121-122, mars 1998, les contributions de : Vasconcellos M. D., « L’internationalisation des écoles de gestion au Brésil », pp. 62-65 ; Lebaron F. « L’impérialisme de l’économie. Éléments pour une recherche comparative », pp. 104-108 ; Bourdieu P., Wacquant L., « Sur les ruses de la raison impérialiste », pp. 109-118.
-
[37]
Dezalay Y., Garth B., « Le “Washington consensus”. Contribution à une sociologie du néolibéralisme », Actes de la recherche en sciences sociales, n°121-122, mars 1998, pp. 3-22.
-
[38]
Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, economists, and the contest to transform Latin American states, Chicago, University of Chicago press, 2002.
-
[39]
Dezalay Y., Garth B., « Le “Washington consensus” », op. cit.
-
[40]
Krasner S. D., “Structural causes and regime consequences: regimes as intervening variables”, International Organization, vol. 36, n°2, 1982, pp. 185-205 ; Keohane R. O., After Hegemony: Cooperation and discord in the world political economy, Princeton, Princeton University Press, 1984.
-
[41]
“What is different in our approach however is that we try to uncover the links between the micro and the macro positions. As the few others have noted with different but complementary approaches the mechanisms of interchange are crucial to explain domestic transformations […]. The domains we consider – especially law, knowledge, institutions, the State – are symbolic fields with specific logics. The story, therefore, is much more complicated than the stories of power and hegemony that are so pronounced in world systems theory”, Dezalay Y., Garth B., The internationalization of Palace Wars, op. cit., p. 13. Notre traduction.
-
[42]
Van der Pijl K., The Making of an Atlantic Ruling Class, New York et Londres, Schoken Books Inc. and Verso, 1984.
-
[43]
On ne trouve, par exemple, aucune référence à une Panamerican ruling class, ou à une Panamerican elite, dans leurs travaux sur l’Amérique du Sud.
-
[44]
Meynaud J., Sidjanski D., L’Europe des affaires. Rôle et structures des groupes, Paris, Payot, 1967 ; Courty G., Les groupes d’intérêt, Paris, La Découverte, 2006 ; Georgakakis, D., « La sociologie historique et politique de l’Union européenne : un point de vue d’ensemble et quelques contre points », Politique européenne, vol. 25, n°2, 2008, pp. 53-85 ; Laurens S., Les courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone, 2015.
-
[45]
Cette perspective analytique inspire un ensemble de travaux récents, par exemple Martin-Mazé M., « L’extension transnationale du domaine de la lutte. Comment les savoirs d’État sur les frontières passent-ils les frontières de l’État ? », Cultures & Conflits, 2015, n°98, pp. 53-70 ; Diaz P., « La réforme de la protection sociale aux Philippines, un tournant global. Le cas du Pantawid Pamilyang Pilipino Program », Revue française des affaires sociales, n°3, 2014, pp. 48-65.
-
[46]
La pensée élitiste est particulièrement hétérogène et éclatée. Yves Dezalay fait plutôt référence au sens produit par la sociologie américaine des années 1930-1960 qui associe l’élite aux minorités qui de tout temps et en tout lieu dirigent la société, quels que soient ses mérites. Voir notamment Lasswell H. D., Politics: who gets what, when, how, New York, Whittlesey House, 1936 ; Burnham J., The Machiavellians: Defenders of freedom, New York, The John Day Company, 1943 ; Hunter F., Community Power Structure: A Study of Decision Makers, Chapel Hill, University of North Carolina, 1953 ; Mills C.W., The Power Elite, New York, Oxford University Press, 1956, et plus particulièrement Baltzell E. D., The Protestant Establishment: Aristocracy and Caste in America, New Haven, Yale University Press, 1964 et Domhoff W., Who Rules America?, Englewood Cliffs NJ, Prentice-Hall, 1967. Pour une synthèse de cette question : Dudouet F.-X., L’élite et le pouvoir. Contribution à une sociologie des concepts sociologiques, mémoire inédit pour l’habilitation à diriger des recherches, École normale supérieure de Paris-Saclay, 2018.
-
[47]
Sur les usages de la notion de champ du pouvoir dans les relations internationales voir notamment Bigo D., “Pierre Bourdieu and International Relations : Power of Practices, Practices of Power”, International Political Sociology, vol. 5, n°3, pp. 225-258 ainsi que Cohen A., op. cit.
-
[48]
Raymond Aron contribua au renouvellement de la pensée élitiste en France après la seconde guerre mondiale, notamment en publiant dans la collection qu’il dirigeait chez Calmann-Lévy le fameux ouvrage de James Burnham (Les Machiavéliens…, op. cit.) dans lequel l’auteur théorise le pluralisme élitiste. Bien que Raymond Aron abandonnât le terme élite au profit de l’expression classes dirigeantes dès le milieu des années 1960 (Aron R., « Catégories dirigeantes ou classe dirigeante ? », Revue française de science politique, vol. 15, n°1, 1965, pp. 7-27), son nom reste attaché à la réintroduction du concept dans les sciences sociales françaises (Rioux J. P., « Les élites en France au xxe siècle : remarques historiographiques », Mélanges de l’école française de Rome. Moyen-Âge. Temps modernes, tome 95, n°2, 1983, pp. 13-27.
-
[49]
“Our focus on international strategies emphasized the national fields of power they are embedded in. We cannot look at importers and exporters without seeing how their strategies are shaped and determined by their position in the national fields of the North and the South. International strategies are not end in them self. They reshaped and redefined the national fields of state power according to agendas of both the North and the South. The focus on international strategies, therefore, leads toward an understanding of the construction and redefinition of the State and the hegemonic processes and new universal that are so important in that transformation”. Dezalay Y., Garth B., The internationalization of Palace Wars, op. cit., p. 8. Notre traduction.
-
[50]
Georgakakis D., « Quel pouvoir de “l’eurocratie” : Éléments sur un nouveau champ bureaucratique transnational », Savoir/Agir, vol. 19, n°1, 2012, pp. 49-59 ; Hibou B., La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte, 2012.
-
[51]
Devin G., Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2002, p. 46.
-
[52]
Putman R., “Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of Two-Level Games”, International organization, vol. 42, n°3, 1988, pp. 427-460.
-
[53]
Burnham J., op. cit.
-
[54]
Riesman D., The Lonely Crowd: A Study of the Changing American Character, in collaboration with Denney R. & Glazer N., New Haven et Londres, Yale University Press, 1950.
-
[55]
Dahl R. A., Who Governs? Democracy and Power in an American City, New Haven, Yale University Press, 1961.
-
[56]
Lipset S. M., Political Man, New York, Doubleday, 1960.
-
[57]
Stark D., Vedres B., Bruszt L., “Rooted transnational publics: Integrating foreign ties and civic activism”, Theory and Society, vol. 35, n°3, 2006, pp. 323-349.
-
[58]
Dezalay Y., Madsen M. R., « Espaces de pouvoir nationaux, espaces de pouvoir internationaux », in Cohen A., Lacroix B., Riutort P., Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, Grands repères, 2009, pp. 681-693.
-
[59]
David T., Davoine E., Ginalski S., Mach A., « Élites nationales ou globalisées ? Les dirigeants des grandes entreprises suisses entre standardisation et spécificités helvétiques (1980-2000) », Revue suisse de sociologie, vol. 38, n°1, 2012, pp. 57-76 ; Davoine E. et Ravasi C., “The Relative Stability of National Career Patterns in European Top Management Careers in the Age of Globalisation : A Comparative Study in France/Germany/Great Britain and Switzerland”, European Management Journal, vol. 31, n°2, 2013, pp. 152-163 ; Dudouet F.-X., Grémont E., Joly H., Vion A., « Retour sur le champ du pouvoir économique en France. L’espace social des dirigeants du CAC 40 », Revue française de socio-économie, vol. 13, n°1, 2014, pp. 23-48 ; Chardavoine J., Les dirigeants de grandes entreprises au Mexique au xxie siècle. La résistance du capitalisme familial face à la mondialisation, thèse de doctorat en sociologie, Université PSL, 2019.
-
[60]
Sur la montée en puissance des formations managériales et la transformation de la valeur des diplômes, on verra notamment Lazuech G., L’exception française. Le modèle des grandes écoles à l’épreuve de la mondialisation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999, ainsi que Serre D., Wagner A.-C., “For a Relational Approach to Cultural Capital: A Concept Tested by Changes in French Social Space”, The Sociological Review, vol. 63, 2015, pp. 433-450.
-
[61]
Dezalay Y., « Les courtiers de l’international. Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et missionnaires de l’universel », Actes de la recherche en sciences sociales, n°151-152, 2004, p. 8.
-
[62]
Scarfi J.P., The hidden history of international law in the Americas: Empire and legal networks, New York, Oxford University Press, 2017.
-
[63]
Serre D., Wagner A.-C., op. cit., Chardavoine J., op. cit. observent ainsi que les héritiers des grandes fortunes mexicaines doublent leur capital économique d’un capital scolaire élevé obtenu aux États-Unis afin d’asseoir leur légitimité à la tête de l’entreprise familiale.
-
[64]
C’est au fond la vision d’Elias avec son modèle de jeux à plusieurs étages. Pour une analyse empirique entre différents champs du pouvoir économiques, voir Dudouet F-X., Grémont E., Vion A., Pageaut A., “European Business Leaders: A Focus on the Upper Layers of the European Field Power”, in Georgakakis D., Rowell J. (eds.), The Field of Eurocracy: Mapping EU actors and professionals, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, p. 296.
-
[65]
Sur la comparabilité de l’UE et du Mercosur, voir Oelsner A., Vion A., “Friends in the region: A Comparative Study on Friendship Building in Regional Integration”, International Politics, vol. 48, n°1, 2011, pp. 129-151.
-
[66]
Vauchez A., Witte B. de, Lawyering Europe. European Law as a Transnational legal field, Oxford, Portland, Hart Publishing, 2013 ; Vauchez A., Brokering Europe. Euro-lawyers and the making of a transnational polity, Cambridge, Cambridge University Press, 2015.
-
[67]
Blau P. M., op. cit.
-
[68]
Naudet J., Entrer dans l’élite. Parcours de réussite en France, aux États-Unis et en Inde, Paris, Presses Universitaires des France, 2012.
-
[69]
In Dézalay Y., Bigo D., Cohen A., op. cit., p. 40.
-
[70]
Lot F., La fin du monde antique et le début du Moyen Âge, Paris, Albin Michel, 1989 [1927]. p. 271.
-
[71]
Weber M., Économie et société, traduit de l'allemand sous la direction de J. Chavy et E. de Dampierre, Paris, Plon, 1971 [1922] pp. 95-96 ; p. 285-290.
-
[72]
Bourdieu P., La noblesse d’État, op. cit., p. 377.
-
[73]
Voir Dezalay Y., Bigo D., Cohen A., op. cit.
-
[74]
Yves Dezalay admet volontiers que pour tirer le maximum de ses entretiens, il devait lui-même devenir un agent double : « Si on observe des agents doubles, il faut devenir soi-même […] un agent double », ibid., p. 40.
1Yves Dezalay ne s’est jamais présenté comme un théoricien des relations internationales, mais il a incontestablement contribué à renouveler la manière d’envisager les rapports de domination sur la scène mondiale. L’originalité de sa contribution à la compréhension des dynamiques impériales est importante à double titre. En premier lieu, il a travaillé cette question au moment où elle tendait à sortir de l’agenda académique des marxistes. Ensuite, il l’a fait en dépassant une lecture économiciste pour souligner la force d’autres logiques sociales que sont la reproduction scolaire, la doxa et le droit. À cette fin, il a mené une comparaison internationale des restructurations occasionnées par les réformes néolibérales, ce qui tranche nettement avec les études relatives à l’émergence d’une classe capitaliste transnationale axée sur les firmes [2]. Surtout, il nous a invités à penser la continuité entre le national et l’international, pour saisir finement comment des individus peuvent naviguer, tels des agents doubles, entre des espaces sociaux différents et, a priori, hermétiques à ceux qui ne possèdent pas justement ces ressources redoublées. À l’encontre des approches transnationales, l’approche d’Yves Dezalay et de Bryant Garth [3] les conduit à récuser l’idée d’une société transnationale ouverte qui serait le décalque, sur la scène mondiale, du pluralisme américain [4]. Pour résumer, il s’agit d’assumer l’existence d’un impérialisme américain, qui passerait cependant moins par l’émergence d’une classe capitaliste transnationale que par l’enrôlement de soutiens locaux véhiculant les valeurs et les modes de pensées états-uniens.
2Il faut ici porter attention à la manière dont sont articulées dans une même approche sociologique les dimensions nationales et internationales. Cette sociologie emprunte à Pierre Bourdieu [5] la notion du champ du pouvoir afin de mettre en branle le jeu subtil sur la valeur des différentes espèces de capital, et, de là, la fonction faîtière du champ du pouvoir dans la production de l’ordre social. Chez Yves Dezalay il n’y a pas un seul champ du pouvoir mais plusieurs qui entrent eux-mêmes dans des rapports de domination et exercent les uns sur les autres des influences structurelles majeures. Le concept intervient comme une matrice capitalistique du changement, c’est-à-dire comme l’espace social par lequel la valeur des capitaux nationaux sera modifiée, en raison même de la présence des agents doubles, au point d’engager les élites locales dans un nouveau rapport de soumission avec l’étranger. L’État national n’est plus le seul détenteur du méta-capital qui fixe le taux de change des différents types de capitaux, mais il le partage au moins avec le champ international de l’expertise par lequel s’organisent les rapports de domination et leur légitimation à l’échelle internationale. Si la question chère à Pierre Bourdieu du rapport entre habitus et capitaux scolaires trouve dans cette analyse des développements originaux, notamment sur l’habitus cosmopolite, l’usage du terme « agent double » pose néanmoins des questions sociologiques assez vives. Nous proposons ainsi de questionner l’agency de l’agent double autour de trois hypothèses théoriques : celle d’un jeu à plusieurs étages, celle de l’équivocité et des tensions psychiques, ou celle de la duplicité. Il s’agit finalement de faire ressortir un apport théorique original à la pensée de l’impérialisme.
3Cet article n’est pas un texte de sociologie des intellectuels, nous ne resituerons donc pas systématiquement la pensée d’Yves Dezalay par rapport à sa trajectoire et à l’état des espaces intellectuels dans lesquels il travaillait [6]. Toutefois, il nous paraît important de rappeler que ses travaux s’inscrivent dans une dynamique de sociologisation des études internationales qui s’est développée, en France, dans les années 1990. Ce mouvement s’est déployé depuis deux pôles académiques distincts. D’un côté, on a assisté à une ouverture croissante à la démarche sociologique de certains politistes qui cherchaient à renouveler théoriquement l’approche des relations internationales [7]. D’un autre côté, des sociologues, et particulièrement ceux proches de Pierre Bourdieu, investissaient de plus en plus les objets internationaux, ainsi qu’en témoignent les nombreux travaux réalisés autour du Centre de sociologie de l’éducation et de la culture [8]. À la croisée de ces deux mouvements s’affirmait avec Didier Bigo [9] une sociologie constructiviste des questions internationales, qui est à l’origine de nouvelles revues comme Cultures & Conflits et International Political Sociology. Cette dynamique a décloisonné les études internationales en les ouvrant aux méthodes d’enquêtes et aux théories de la sociologie.
4Tout en cultivant son autonomie, Yves Dezalay a apporté une contribution majeure à cette dynamique. Nous l’aborderons suivant trois plans : l’analyse des logiques impériales, la reprise des rapports centre-périphérie dans une perspective non-marxiste, en comparant les rapports de domination dans les cadres nationaux où ils s’exercent, et enfin l’attention portée aux jeux d’acteurs sur la scène internationale, par lesquels transitent et s’expriment, en pratique, les rapports de domination.
L’esquisse d’une approche alternative de l’impérialisme entre libéralisme et marxisme
5Si on veut comprendre l’originalité et les apports de l’œuvre d’Y. Dezalay à la pensée des relations internationales, il convient de rappeler les grands courants intellectuels qui dominaient lorsqu’il a commencé à s’intéresser aux juristes d’affaires en Europe au début des années 1980, à savoir : les analyses marxistes classiques de l’impérialisme [10] ou de l’échange inégal [11] d’une part, et, d’autre part, les analyses transnationalistes définies par les institutionnalistes libéraux, de Raymond Aron aux travaux actuels sur la gouvernance transnationale [12], en passant par l’école des relations internationales d’Harvard [13]. Ces deux grands courants de pensée qui ont largement structuré la pensée des rapports de pouvoir mondiaux durant les années 1970-1990, ont ceci de commun d’avoir placé au centre de leur réflexion la montée en puissance des grandes firmes multinationales et ses conséquences pour les États. Or, c’est aussi ce qui intéresse Yves Dezalay lorsqu’il étudie les intermédiaires des grandes OPA (offres publiques d’achat) qui accompagnent la construction du marché unique en Europe, et dans lesquelles les firmes de juristes américains jouent un rôle de premier plan [14]. Certes, il fait assez peu référence à ces débats entre transnationalistes et marxistes, se positionnant plutôt vis-à-vis de la sociologie des professions juridiques de l’époque [15]. Toutefois, le rappel du contexte intellectuel apparaît nécessaire pour souligner l’originalité de son approche.
La montée en puissance de l’institutionnalisme libéral
6Raymond Aron avait posé en 1962 une première définition assez lâche de la « société transnationale », qui avait pour mérite d’inscrire dans une perspective sociologique les travaux économiques sur les firmes transnationales [16], dont la sphère d’expertise auprès des Nations Unies s’institutionnalisait progressivement [17]. Karl Kaiser, qui a étudié à Grenoble et Oxford, et commence sa carrière à Harvard au début des années 1960, joue un rôle de passeur du texte de Raymond Aron qu’il fait connaître aux membres du Center for International Affairs de cette université. Ce centre va élaborer un cadre d’analyse institutionnaliste et libéral sur la base de l’hypothèse de l’émergence d’une société transnationale qui donnera lieu à une série d’articles publiés dans International Organization au printemps et à l’automne 1971 [18]. En 1972, Robert O. Keohane et Joseph S. Nye publient, aux presses universitaires d’Havard, Transnational Relations and World Politics, qui deviendra l’opus magnum du paradigme transnationaliste dans l’analyse des relations internationales. La proposition des auteurs consiste à dire que les conséquences institutionnelles de la croissance des relations transnationales entre acteurs non étatiques seraient de cinq ordres : premièrement, elle change les attitudes des acteurs ; deuxièmement, elle induit un pluralisme des intérêts et des valeurs ; troisièmement, elle accroît les contraintes des États en termes d’interdépendances économiques et sociales ; quatrièmement, elle augmente la capacité de certains gouvernements à en influencer d’autres ; cinquièmement, elle fait émerger des acteurs autonomes capables de mener des « politiques étrangères privées » qui peuvent délibérément s’opposer à ou empiéter sur celles des États. Le projet des néo-institutionnalistes libéraux consistait à ouvrir la focale des institutions sociales pertinentes pour comprendre les rapports de pouvoir à l’échelle mondiale. Théoriquement, cette sociologie d’inspiration majoritairement nord-américaine a produit une euphémisation des dynamiques de domination impériale des États-Unis, en favorisant les représentations d’un monde ouvert et pluraliste. Ce faisant, elle a activement participé à fragmenter encore un peu plus la sociologie marxiste. En imposant progressivement un agenda de recensement des acteurs collectifs dans une logique d’analyse pluraliste, les transnationalistes ont rendu progressivement illégitime toute ambition de critique de l’impérialisme qui ne serait pas fondée sur l’analyse empirique de la pluralité des intérêts et des stratégies en présence, sans jamais rechigner pour autant à les essentialiser pour caractériser un système ouvert.
La sortie de l’impérialisme de l’agenda des études marxistes
7Dans le contexte des années 1970, les travaux marxistes sont marqués par un recul des conceptualisations de l’impérialisme au profit de problématiques en termes de world systems qui, en sociologie, remplacent l’antagonisme entre marxistes et libéraux. Pour le dire schématiquement, la question des grandes entreprises va poser le problème du sens de l’évolution du capitalisme mondial. D’un côté, les tenants de l’économie-monde [19] considèrent l’asymétrie du système global à partir du postulat braudélien d’une économie capitaliste historiquement mondialisée. Dans cette optique, les rapports de domination s’inscrivent dans des structures nationales où le capital est indissociable de l’État [20]. Cela s’est traduit en sociologie par une approche classiquement basée sur des rapports centre-périphérie entre des classes nationales [21]. De l’autre, Stephen Hymer, qui avait été l’un des premiers économistes à travailler dès le début des années 1960 sur les corporations transnationales pour les Nations-Unies, et n’avait annoncé sa conversion au marxisme qu’après 1968 [22], suggérait une émancipation de la classe dirigeante des managers de toute solidarité de classe avec les dirigeants politiques ou les autres capitalistes ayant des intérêts purement nationaux. Cette approche allait alimenter par la suite les tenants de la thèse de l’émergence d’une classe capitaliste transnationale [23], censée être notamment caractérisée par une forte cohésion idéologique. Il est frappant de constater que cette approche, si elle emploie parfois le qualificatif « hégémonique », a fortement laissé de côté la critique de l’impérialisme développée dans la première vague des travaux marxistes [24].
8Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme [25], Vladimir Ilitch Lénine définit l’impérialisme comme la conséquence de la lutte à mort que se livrent les pays capitalistes dans leur logique d’accumulation du capital. Dans le capitalisme monopoliste moderne, ce ne sont plus les marchandises qui sont exportées mais les capitaux, d’où la compétition que se livrent les grandes banques européennes et américaines pour développer des nouvelles activités partout dans le monde et bénéficier de l’écart des coûts de production entre les pays développés et les pays sous-développés. Il ne peut donc y avoir de classe capitaliste mondiale mais des capitalismes nationaux en lutte pour la captation de la plus-value produite par la division internationale du travail.
9Antonio Gramsci [26], de son côté, cherche à identifier un bloc constitutif d’une classe dominante, dont la domination ne s’assoit pas seulement sur le capital économique, mais également sur l’hégémonie culturelle, principalement via la monopolisation des moyens de propagande idéologique et de l’expression artistique ou esthétique. C’est dans cette veine que s’est construite, pour une part, la réflexion autour de l’émergence d’une classe capitaliste transnationale. En effet, les chercheurs néo-gramsciens [27] ont essayé de définir un bloc historique et les modes de domination culturelle par lesquels celui-ci se constitue. Leslie Sklair [28] identifie ainsi une classe dirigeante mondialisée qui associe les cadres dirigeants (« corporate executives ») des oligopoles majeurs, les classes politiques à leur service (« globalizing bureaucrats and politicians »), les technocrates également à leur service (« globalizing professionals ») et même, plus largement les couches sociales privilégiées, bénéficiaires de la mondialisation (« consumerist elites »).
10Samir Amin oppose à cette vue la question logique suivante : « Le fait de cette association n’est, par lui-même, guère discutable. Mais peut-on en déduire qu’il s’agit d’une seule classe (mondiale) ou d’un groupe de classes associées et constitutives d’un bloc historique (à la Gramsci) dominant à l’échelle mondiale ? Ou d’un groupe de classes (de nationalités différentes entre autres) à la fois conscients de la convergence de leurs intérêts mais tout également en compétition ? Cette troisième réponse, qui est celle de Pijl, est également la mienne [29]. »
11D’autres auteurs se sont essayés, cependant, à reconstruire une classe capitaliste transnationale à partir des réseaux transnationaux des dirigeants de grandes entreprises [30] ou encore depuis la composition de l’actionnariat des grandes firmes [31], mais quels que furent les résultats obtenus, il n’a jamais été possible de montrer que les logiques transnationales l’emportaient sur les déterminants nationaux. Les approches d’inspiration marxiste ne forment pas un front uni. Elles sont soumises à des forces centrifuges mais elles ont toutes pour point commun de faire assez peu de cas des jeux d’acteurs. De plus, l’usage quasi-généralisé par les marxistes, au-début des années 2000, de l’adjectif transnational, qui congédie l’idée d’impérialisme, indique, s’il était besoin, la domination intellectuelle exercée par les institutionnalistes néolibéraux dans l’analyse des relations internationales depuis 1968.
La domination impériale, en parler quand plus personne n’en parle
12Dans ce contexte, ce qui est tout à fait frappant dans la démarche d’Yves Dezalay est qu’elle n’a jamais été effarouchée par l’idée d’enquêter et de forger des concepts relatifs à la question de la domination impériale. En cela, elle ne pouvait que garder ses distances à l’égard des marxistes, puisque cette question tendait à sortir de leur agenda académique. Les agents dominants sur la scène internationale ne se confondent pas avec une classe capitaliste transnationale dont on serait bien en mal de saisir la cohésion. Celle-ci n’est pas fondée uniquement sur le capital économique ou même une conscience de classe de type consumériste [32]. Elle repose aussi sur des stratégies de reproduction bureaucratique qui passent par l’obtention d’un diplôme étranger, quitte à disqualifier d’anciennes pratiques de reproduction et à favoriser l’« unification du champ mondial de la formation des dirigeants [33] ».
13On voit également d’emblée quels sont les points de désaccord avec les transnationalistes. Théoriquement, toute la sociologie d’Yves Dezalay tend à désactiver l’entreprise d’occultation de la question impériale menée plus ou moins consciemment par les institutionnalistes libéraux, et à se placer ainsi beaucoup plus résolument du côté de la sociologie critique que du pluralisme. Elle tend en effet à dévoiler des rapports de domination et des mécanismes de reproduction sociale là où l’école d’Harvard raisonne en termes d’ouverture du jeu et d’autonomie des acteurs. Yves Dezalay propose d’identifier les mécanismes par lesquels certains acteurs clefs en viennent à se soumettre volontairement aux principes de domination d’un autre champ du pouvoir que leur espace social d’origine et importent, de facto, d’autres taux de changes des capitaux qui en viennent à bouleverser les équilibres autochtones. Là où le transnationalisme jongle élégamment avec les acteurs collectifs perçus comme des entités autonomes, ou cherche à se renouveler à travers un prisme circulatoire [34], Y. Dezalay introduit les agents du changement (ses fameux agents doubles).
Une critique originale de l’impérialisme
14Dévoiler les rapports de domination exercés à travers la construction d’une nouvelle doxa néolibérale par des groupes d’experts juridiques et économiques constitue une prise de distance autant vis-à-vis de l’analyse marxiste centrée sur l’accumulation du capital et la conscience de classe qu’avec l’approche transnationaliste qui tend à occulter les nouveaux rapports de domination sur la scène internationale.
La force de la doxa et du droit dans les rapports centre-périphérie
15Y. Dezalay développe une analyse sociologique du droit au plan international qui prend pour entrée principale l’action collective des producteurs de ce droit que sont les juristes et les experts économiques. L’intérêt de sa démarche est qu’il construit un champ de professionnels de l’expertise et du droit qui se situe d’emblée sur le plan international tout en l’articulant avec les champs nationaux du pouvoir. Les politiques de réformes économiques néolibérales ne sont pas importées telles quelles suivant un schéma interactionniste top-down et qui serait reproduit à l’identique dans tous les pays. Ce n’est pas non plus un schéma de concentration des ressources par le centre, ou d’absorption pure et simple de la périphérie. La périphérie reste la périphérie mais elle est articulée de manière plus étroite au centre, sans se confondre avec lui. Pour parler comme Norbert Elias, elle perd de l’autonomie tout en voyant ses relations de dépendance avec le centre augmenter.
16De ce point de vue le rapport centre-périphérie se distingue de la manière dont Immanuel Wallerstein le conçoit dans le cadre de l’économie-monde [35]. Le rapport de domination chez Y. Dezalay n’est jamais uniquement le produit d’un rapport de force économique. Celui-ci doit être légitimé par la force conjointe du droit et de l’expertise. Comme chez Pierre Bourdieu, la force de l’ordre économique tient avant tout dans une adhésion doxique et sa mise en ordre par le droit. C’est là un trait commun à de nombreux chercheurs proches du Centre de sociologie européenne (CSE) de la fin des années 1990 comme en témoigne le numéro spécial des Actes de la recherche en sciences sociales sur les ruses de la raison impérialiste qui souligne les enjeux intellectuels et culturels à l’œuvre dans la mondialisation [36]. Dans « Le Washington Consensus », qui ouvre justement le numéro suscité, Y. Dezalay et B. Garth rappellent que les politiques d’ajustement structurel portées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ne pourraient exister sans les discours techniques et juridiques qui les justifient et qui permettent à ceux qui les promeuvent comme à ceux qui les déploient de croire dans le bien-fondé de ce qu’ils font, alors même que ce n’est jamais que la raison des banques new-yorkaises qui est à l’œuvre [37].
17La restructuration des dettes chilienne ou mexicaine expliquée par Y. Dezalay et B. Garth [38] ne se limite pas à ce que Samir Amin aurait appelé un échange inégal ou un simple rapport de coercition impériale, mais elle repose sur des soutiens locaux qui alimentent les luttes au sein du champ du pouvoir national, contribuant à le modifier substantiellement.
18Surtout, Y. Dezalay montre que ce ne sont pas uniquement les pays périphériques qui entrent en réforme, mais aussi les agences internationales qui se voient réformées à l’occasion de leur intervention, comme ce fut le cas avec la Banque mondiale et le FMI avec la victoire des thèses libérales [39]. Nous ne sommes donc pas dans un simple rapport de coercition du haut vers le bas, mais dans une situation plus complexe où les modalités mêmes de la domination sont instillées pacifiquement parmi les élites nationales grâce au champ international de l’expertise. Dans The Internationalization of Palace Wars, Y. Dezalay et B. Garth décrivent bien comment les Chicago boys, qui sont au départ de purs outsiders dans le champ international de l’expertise économique, particulièrement à l’égard des politiques économiques sud-américaines, ont réussi à gagner en crédit à l’occasion de la restructuration de la dette chilienne et à s’imposer parmi les porteurs légitimes de la nouvelle doxa.
19Même si, à la différence d’I. Wallerstein, Y. Dezalay et B. Garth ne limitent pas le rapport de domination à un rapport économique, ils ont en commun avec lui de prendre au sérieux la question de l’exercice concret de l’hégémonie du centre sur les sociétés périphériques, et de traiter comparativement des rapports sociaux de l’économie mondialisée sans recourir à un discours globalisant sur la globalisation. De même que I. Wallerstein prend grand soin à comparer les capitalismes nationaux, Y. Dezalay et B. Garth entendent définir comment l’agenda des réformes néolibérales gagne en intensité dans les différents champs du pouvoir des pays qu’ils étudient (Chili, Mexique, Argentine, Brésil).
20Inversement, Y. Dezalay se distingue de la théorie des régimes qui a tenu le haut du pavé des études internationales durant les années 1980 et 1990 [40]. Défendue notamment par Stephen Krasner, cette théorie considérait qu’il n’existait pas de pouvoir hégémonique sur la scène internationale mais que celui-ci était réparti entre une myriade d’acteurs différents depuis les États en passant par les firmes multinationales jusqu’aux Organisations non gouvernementales et organisations internationales. Ce qui permettrait au monde de fonctionner à peu près de concert et de ne point sombrer dans un vaste chaos, ce sont l’élaboration consensuelle et pluraliste de régimes qui, dans chaque domaine, édifieraient des normes et des règlements : tels les accords de libre-échanges autour du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) puis de l’Organisation mondiale du commerce négociés dans le but de favoriser les échanges donc d’augmenter la prospérité mondiale. Y. Dezalay n’a jamais porté une grande attention à ces travaux. Toutefois, on voit chez lui un intérêt profond pour les phénomènes de circulation des idées et pour la diffusion de certaines représentations, qui sont, cependant de véritables matrices de la domination transnationale et non l’expression d’une démocratie mondialisée.
21Ici, le processus ne se résume pas à une lecture économiciste ou idéaliste des relations internationales. Il y a un jeu entre les différentes espèces de capitaux, qui sont converties opportunément, et conflictuellement, entre les agents en présence. Dans ce jeu, les détenteurs de ressources intellectuelles et des connaissances techniques du droit ne sont pas simplement assujettis au capital économique, mais contribuent à le construire en participant à la fixation des taux de conversion entre les différentes espèces de capitaux en présence. Dans ce processus, on perçoit clairement l’existence d’une autonomie relative des intellectuels par rapport au capital économique. Ainsi, tout en manifestant leur intérêt à l’égard des thèses d’I. Wallerstein, Y. Dezalay et B. Garth peuvent écrire :
« Ce qui est différent dans notre approche, cependant, c’est que nous essayons d’élucider les liens entre les positions micro et macro. Comme d’autres l’ont noté avec des approches différentes mais complémentaires, les mécanismes d’échange sont cruciaux pour expliquer les transformations internes […]. Les domaines que nous considérons – en particulier le droit, la connaissance, les institutions, l’État – sont des domaines symboliques avec des logiques spécifiques. L’histoire est donc beaucoup plus compliquée que les histoires de pouvoir et d’hégémonie qui sont si prononcées dans la théorie des systèmes mondiaux [41]. »
23Apparaît ainsi une conception plus subtile des relations internationales, qui ne repose ni sur un interactionnisme simpliste des rapports de pouvoir, ni sur une vision hégémonique des relations d’exploitation, mais bien sur une représentation plus complexe de la domination par laquelle c’est la nature même des relations entre les champs du pouvoir nationaux médiatisées par le champ international de l’expertise qui rend possible le consentement aux réformes structurelles.
Comparer les rapports de domination dans les cadres nationaux où ils s’exercent
24Pour bien comprendre comment s’opèrent dans un même mouvement les luttes professionnelles et politiques pour la production et l’imposition de nouvelles échelles et de nouvelles valeurs, et les processus sociaux d’adhésion à celles-ci, l’étude de l’internationalisation des guerres de palais ne se cantonne pas à la description d’interfaces transnationales ou de circulations de savoir, mais mobilise une comparaison internationale des restructurations occasionnées par les réformes néolibérales.
25Il n’est peut-être pas complètement absurde de rapprocher le travail d’Y. Dezalay et de B. Garth sur la manière dont s’est formé le consensus de Washington dans la restructuration des économies du Sud, de celui de Kees Van der Pijl [42] sur la façon dont l’Europe a été en partie construite par Washington après la seconde guerre mondiale, à travers l’étude à deux niveaux des institutions européennes et des sociétés nationales. Kees Van der Pijl défend l’idée d’une construction de l’Europe par une classe transatlantique de dirigeants d’États, d’organisations internationales et d’entreprises multinationales après la Seconde guerre mondiale, et compare leurs programmes d’action et leurs logiques d’intervention, comme le Plan Marshall, dans les pays fondateurs de la Communauté.
26Certaines différences d’approches doivent néanmoins être notées. Là où le sociologue néerlandais parle d’Atlantic ruling class, Y. Dezalay et B. Garth se refusent toujours à subsumer les groupes qu’ils étudient dans une classe dominante [43]. Par ailleurs, leur cadre comparatif est construit de façon plus systématique, à travers une analyse historique des champs du pouvoir nationaux (système des camarillas au Mexique, pouvoir des propriétaires fonciers au Chili, etc.). Mais surtout, l’analyse de Kees Van der Pijl relève souvent d’une illusion rétrospective : les études de la construction européenne dans les années 1950 [44] montrent toutes que le grand projet de Washington de création d’une grande zone de libre-échange transatlantique a largement été battu en brèche, tant par les nouveaux fonctionnaires européens que par les groupes dirigeants des États membres – son avènement étant bien plus tardif.
27Dans le travail d’Y. Dezalay et de ses collègues, l’analyse historique de la formation de ce que l’on appelle aujourd’hui le « consensus de Washington » rend compte du processus de construction d’un nouvel agenda international en resituant dans chaque champ national les opérations de construction des savoirs experts et la coproduction des réformes à travers la mise en forme juridique d’une doxa économique en évolution.
28Ce cadre comparatif suppose que le néolibéralisme ne se répande pas comme une croyance préconstruite, portée par les seules multinationales, une classe capitaliste en devenir, ou même une communauté transnationale gagnée par l’évidence de ces thèses, mais qu’il soit le produit d’échanges complexes entre des experts de l’économie et des juristes, à la fois dans le champ de l’expertise internationale et dans les champs du pouvoir nationaux. Les premiers s’appuient sur des agents doubles pour modifier les paradigmes économiques et affiner leur diagnostic des enjeux de politiques économiques propres à chaque pays. Les seconds reformulent les modes de raisonnement juridique et opèrent le travail de mise en forme qui permet dans chaque champ national de « dire le droit » au sens où l’entendent les Américains, c’est-à-dire, pour reprendre les mots de P. Bourdieu, de performer un ordre politique légitime.
29La production collective de cette domination néolibérale est exercée par des agents qui se situent aussi bien dans les institutions internationales que dans les administrations nationales, les universités, les multinationales, les cabinets d’avocats, d’audit et de conseil. Ensemble, ils contribuent à former ce champ international de l’expertise qui agit dans les différents champs du pouvoir nationaux [45]. La force de cette analyse multi-positionnée est d’introduire la nuance, la compétition, et d’expliquer des trajectoires nationales de réforme de façon originale. Celles-ci ne sont pas de simples variations d’un programme préétabli. Elles ne relèvent pas non plus d’un simple processus de convergence, déterminé par la dynamique du capital ou par la volonté des représentants des États. Elles sont sans cesse co-produites à travers l’échange et la conversion de capitaux dans un champ de forces complexe.
30Théoriquement, cela revient à penser le changement en termes d’équivocité plutôt que d’univocité. En effet, l’intérêt du travail d’Y. Dezalay est que, même si on connaît la fin de l’histoire, il n’est jamais téléologique. Il n’y a pas un type de causes produisant mécaniquement les mêmes effets, mais des configurations plus ou moins fluides et plus ou moins fermées qui doivent toujours être examinées pour elles-mêmes. Cela a des effets très concrets sur les stratégies d’enquête, puisque l’un des modes privilégiés du traçage de cette équivoque tient dans le repérage des agents qui en sont les principaux producteurs, et qu’Y. Dezalay nomme justement les agents doubles.
Rôle des agents doubles et morphologie des élites : une approche historicisée et localisée du changement
Au-delà de l’institutionnalisme libéral : une approche élitiste du jeu social
31Afin d’expliquer les différences de trajectoires nationales, Y. Dezalay s’appuie sur une sociologie du pouvoir qui emprunte à la fois à la pensée élitiste [46] et à P. Bourdieu. Dans la pensée élitiste, il va chercher ce que Digby Baltzell et William Domhoff désignaient par establishment, idée que l’on retrouve aussi chez P. Bourdieu dans La noblesse d’État, à savoir de grandes familles établies qui savent composer un savant mélange entre héritage et méritocratie pour occuper les positions de pouvoir les plus élevées au sein de la société américaine. À P. Bourdieu, il emprunte la notion de champ du pouvoir afin de disposer d’un cadre pour penser la valeur relative des différentes espèces de capitaux et l’espace social dans lequel se déroule l’accès aux positions dominantes [47]. En effet, pour P. Bourdieu le champ du pouvoir est d’abord le champ de bataille entre les différents prétendants à la domination qu’il préfère au terme « élite » sans doute trop associé au nom de R. Aron [48]. Le champ du pouvoir intervient chez Y. Dezalay comme une matrice capitalistique du changement, c’est-à-dire comme l’espace social par lequel la valeur des capitaux des élites nationales sera modifiée. C’est l’ouverture des champs du pouvoir nationaux qui permet la présence des agents doubles et met les pays aux prises d’un nouveau rapport de domination avec l’étranger.
32En définitive, l’État n’est plus autonome, il n’est plus le seul détenteur du méta-capital qui fixe le taux de change des différents types de capitaux, mais il le partage au moins avec le champ international de l’expertise :
« L’accent que nous avons mis sur les stratégies internationales a mis en évidence les domaines de pouvoir nationaux dans lesquels elles s’inscrivent. Nous ne pouvons pas regarder les importateurs et les exportateurs sans voir comment leurs stratégies sont façonnées et déterminées par leur position dans les domaines nationaux du Nord et du Sud. Les stratégies internationales ne s’arrêtent pas à elles-mêmes. Elles remodèlent et redéfinissent les champs nationaux du pouvoir de l’État en fonction des programmes du Nord et du Sud. L’accent mis sur les stratégies internationales conduit donc à une compréhension de la construction et de la redéfinition de l’État et des processus hégémoniques et du nouvel universel qui sont si importants dans cette transformation [49]. »
34Dans le cas du Mexique, Y. Dezalay et B. Garth montrent très bien comment le système des camarillas, qui organisait par des relations interpersonnelles la conversion des capitaux académiques et politiques, est transformé par l’évolution des carrières de juristes mexicains au contact des grands cabinets. Progressivement, les termes de l’échange politique quittent l’échange de bons procédés et passent par une formalisation du droit et une spatialisation de l’expertise, ce qui n’est pas sans rappeler la définition wébérienne de la bureaucratie. De ce point de vue, ils décrivent un processus de bureaucratisation influencée de l’extérieur par un complexe technocratique [50].
35L’intérêt de cette démarche est de nous inviter à penser la continuité entre différentes échelles. Il ne s’agit pas seulement d’articuler les élites internationales et nationales mais au contraire de saisir finement comment des individus peuvent être l’une et l’autre et de ce fait naviguer, tels des passeurs [51], entre des espaces sociaux différenciés, hermétiques à ceux qui ne possèdent pas justement ces ressources redoublées. Y. Dezalay nous propose d’articuler les espaces nationaux et internationaux dans une perspective beaucoup moins mécaniste et stato-centrée que celle que proposait, par exemple, Robert Putnam dans son fameux article : “Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of Two-Level Games [52]”, qui fut longtemps une référence obligée des études internationales.
Les agents doubles : transformation des capitaux et double jeu
36Un point commun entre cette approche sociologique originale et celle des transnationalistes est de ne pas croire à l’existence d’une classe capitaliste transnationale homogène. Mais, au contraire de ces derniers, l’élitisme d’Y. Dezalay et de B. Garth les conduit à récuser l’idée d’un espace international totalement pluraliste qui serait le décalque, dans les rapports de pouvoir mondiaux, du pluralisme américain défendu par James Burhnam [53], David Riesman [54], Robert Dahl [55], ou encore Seymour Martin Lipset [56].
37En mettant à jour de nouvelles dynamiques d’institutionnalisation et de nouveaux rapports de pouvoir entre acteurs collectifs (États, entreprises multinationales, organisations non-gouvernementales, mouvements sociaux, migrants entrepreneurs, etc.), la sociologie transnationaliste insiste, certes, sur les agents les plus visibles du nouvel ordre mondial en construction après 1968, mais en les agençant dans un ordre international conforme au crédo américain, c’est-à-dire suivant une logique interactionniste mettant aux prises des entités autonomes. Cette démarche ne peut finalement étudier les phénomènes de double jeu autrement que comme des sortes de perversions ou de corruptions, et non pas comme des processus structurants ainsi que le propose Y. Dezalay.
38Méthodologiquement, ce dernier a également très justement insisté sur le fait que dans cette sociologie, qui jongle avec les acteurs collectifs, comme d’ailleurs dans l’analyse structurale des réseaux transnationaux [57], les agents n’y sont « jamais situés – ou de manière très accessoire – dans les espaces nationaux où ils ont acquis des ressources, familiales, scolaires, professionnelles ou politiques, susceptibles d’influencer leurs parcours ultérieurs dans des espaces transnationaux, notamment en ce qui concerne leurs pratiques ou leurs choix stratégiques [58] ».
39Les études nationales ou internationales menées sur les dirigeants de grandes entreprises [59] offrent des résultats convergents sur le processus d’internationalisation des parcours scolaires, et sur le mouvement de déplacement des diplômes du droit vers les diplômes d’économie et de management [60]. Il n’est en effet pas rare que les diplômés de droit fassent l’acquisition de diplômes complémentaires de type MBA (Master of Business Administration) ou certificat de grande business school.
40Ces études tendent à confirmer un phénomène observé par Y. Dezalay sur les différents terrains d’enquête sud-américains : « Il existe une barrière aussi discrète qu’infranchissable entre une petite élite qui accède par la “grande porte” à un titre international et se réserve les positions d’autorité, et tous ceux qui, du fait de leur diplôme local, sont cantonnés à des carrières de seconde classe [61]. »
41Il reste sans doute à étudier en retour comment cela a modifié le champ international de l’expertise, notamment en termes de réseaux d’expertise. Les travaux sur le panaméricanisme juridique [62] montrent que des réseaux continentaux se sont structurés dès le début du xxe siècle parmi les juristes en droit international. Ces réseaux, de nature académique et diplomatique, ont été progressivement disqualifiés par un double mouvement : 1/ l’emprise croissante des formes de connaissance économique et managériale sur les professionnels du droit : économicisation du raisonnement juridique, valorisation de doubles diplomations droit-MBA, institutionnalisation de grandes corporations multinationales du droit, etc. ; 2 / la marchandisation du droit international, qui marginalise les formes traditionnelles de l’expertise juridique internationale de caractère diplomatique, au profit de la montée en puissance des grandes organisations à visée économique.
42Si les agents doubles ont certainement toujours existé, Y. Dezalay observe les changements opérés sur la valeur des capitaux dans les champs du pouvoir nationaux en modifiant profondément ces derniers. Il nous rappelle que les élites nationales ont toujours augmenté leurs ressources légitimes nationales de ressources légitimes internationales. En cela, il est possible de mettre à jour en quoi l’habitus cosmopolite des élites nationales justifie à chaque époque leur prétention aux plus hautes fonctions, et soutient un processus vertueux d’accumulation des capitaux, lui-même légitimé par un discours sur le talent. Le phénomène massif auquel on assiste avec la mondialisation des quarante dernières années est que, parmi ces capitaux légitimes, le capital scolaire tend à devenir le capital le plus valorisé. Il ne suffit plus de faire le tour des bonnes familles pour s’imposer, il faut surtout avoir été dans une université prestigieuse, si possible américaine et avoir suivi une formation d’économie [63]. De ce point de vue, la toile de fond de l’internationalisation des guerres de palais des dernières décennies est le déplacement du centre de production des capitaux académiques les plus légitimes de l’Europe vers les États-Unis, qui se double d’un changement de nature des savoirs de gouvernement et des capitaux scolaires qui les sanctionnent.
L’agency des agents doubles : trois lectures
43Si la question chère à P. Bourdieu du rapport entre habitus et capitaux scolaires trouve ici des développements originaux, l’usage du terme « agent double » pose néanmoins des questions sociologiques assez vives. Trois possibilités semblent en effet ouvertes quant à l’agency des agents doubles :
- C’est un joueur qui intervient à plusieurs niveaux, dans le cadre d’un jeu à plusieurs étages. Dans ce cas, il s’avèrera sans doute être, finalement, un agent d’intégration régionale ou internationale, dans la mesure où il mobilise des ressources pour consolider sa double position en renforçant les interdépendances entre les collectifs qu’il met en relation [64]. De ce point de vue, un angle, resté peu étudié par Y. Dezalay et ses collègues sur l’Amérique du Sud, est la manière dont les juristes ont institutionnalisé le Mercosur et construit dans ce cadre un sous-champ particulier d’expertise juridique, d’une façon sans doute différente, mais néanmoins comparable [65], à la construction du champ du droit européen [66].
- Il est ambivalent, ce qui est au cœur de l’hypothèse d’équivocité. Agissant de manière ambivalente, l’agent double construit autant qu’il répond à des injonctions contradictoires. Une question qui se pose alors en termes d’habitus est de savoir comment peuvent-être surmontées des injonctions contradictoires entre des espaces sociaux différents, parfois opposés, un peu à la manière dont Peter Blau [67] avait essayé de penser les tensions psychiques générées par la mobilité sociale ascendante. En effet, le passage d’un espace social à un autre n’est pas neutre. L’incorporation dans un nouvel espace se fait bien souvent par l’abandon et le renoncement à certaines valeurs et accointances [68]. Or, à la différence de la mobilité sociale qui postule un milieu de départ et un milieu d’arrivée, la mobilité des agents doubles est constante. Leur statut même d’agents doubles présuppose cette stase entre deux mondes, au moins sur le plan intellectuel. Toutefois, on est en droit de s’interroger sur la survenue éventuelle d’habitus clivés dans les champs du pouvoir nationaux et sur la manière dont ils sont dépassés ou non par les agents. Plus profondément, on peut se demander si l’ambivalence est tenable sur le long terme, ou si l’agent n’en vient pas, nolens volens, à choisir implicitement un camp au fil du temps.
- Il est double par duplicité, c’est-à-dire qu’il prétend servir un camp en servant un autre. Cette interprétation renvoie à une vision duale des relations internationales qui voudrait une nette démarcation entre le national et l’international, sous la forme d’intérêts divergents. Or, c’est bien tout ce qu’Y. Dezalay tente justement d’éviter. S’il y a duplicité de l’agent double ce n’est pas tant sous la forme d’un agent circulant entre deux puissances équivalentes et radicalement opposées, sous le modèle des agents secrets de la guerre froide par exemple, mais bien comme l’expression d’un rapport de domination, au sens wébérien du terme, impliquant la participation active du dominé. L’agent double devient alors le vecteur par lequel s’installe le rapport de domination internationale. S’il est « démasqué » avant que le rapport soit établi, alors il risque d’être accusé de trahison ; en revanche, une fois le rapport de domination établi, la nature même de ses capitaux en feront un agent incontournable, à la fois dominé dans le champ du pouvoir de la puissance dominante et dominant dans le champ du pouvoir de la puissance dominée.
45Un très bon exemple de cette position intermédiaire de dominant-dominé est fourni à propos de Christine Lagarde comme exemple d’étrangère parvenue au sommet de l’establishment juridique américain. Y. Dezalay précise : « Baker & McKenzie, dont elle a été manager, est une law firm de second rang, aux antipodes des White-Shoe Law firms de Wall Street ou Washington. […] C’est un assemblage de petites boutiques, Baker & McKenzie n’est à peu près jamais dans les grandes affaires. Sa notoriété et sa rentabilité sont très loin derrière les grandes firmes comme Cravath ou Sherman Sterling. Un bon exemple des effets de confusion liés à l’internationalisation ; c’est comme si vous compariez Rolls Royce à… – Peugeot proposent les interviewers… – Oh, même pire encore, Dacia [69] ! »
46Y. Dezalay nous invite à penser les rapports hiérarchiques aux intersections des champs du pouvoir, basés sur des processus d’assujettissement, qui font que l’on peut rester dominant en son pays tout en étant dominé dans ses rapports avec les autres agents internationaux. Un peu à la manière dont le roi des Burgondes Sigismond décrivait sa position vis-à-vis de l’empereur romain d’Orient Anastase : « Mon peuple vous appartient. Je vous obéis en même temps que je lui commande et j’ai plus de plaisir à vous obéir qu’à lui commander. Je parais roi au milieu des miens, mais je ne suis que votre soldat [70]. »
47Nous forçons le trait mais la portée d’une pensée ne vaut pas seulement par ce qu’elle dit mais aussi par la réflexion qu’elle génère et les liens qu’elle permet de créer avec d’autres situations similaires. La sociologie d’Yves Dezalay permet justement de penser les homologies entre des expériences impériales très éloignées dans le temps et dans l’espace. La soumission contemporaine de nombreux champs du pouvoir nationaux à la domination américaine ne se fait certainement pas sans heurts ni résistances, mais c’est bien le processus que Bryant Garth et lui décrivent depuis une trentaine d’années. À bien des égards les agents doubles sont dans ce type de relation de commandement-obéissance, que Max Weber [71] avait mis en évidence pour définir les rapports de domination. Assurément, les rapports de domination n’ont pas toujours besoin d’être explicites et d’ailleurs, pour Pierre Bourdieu, citant Max Weber [72], ils sont d’autant plus efficaces que les dominés ignorent l’arbitraire qui est au fondement du discours de légitimation des dominants et qu’ils ont l’impression d’adhérer librement à la doxa.
48***
49Avec près de 4 000 entretiens [73] réalisés avec Bryant Garth, Yves Dezalay aime à se présenter et est volontiers présenté comme un sociologue de terrain. Cependant, il ne faudrait pas réduire sa sociologie à ce goût de l’enquête et sous-estimer la portée théorique de son œuvre, qui est bien réelle et à laquelle nous souhaitions rendre hommage. Son œuvre profuse présente en effet trois qualités rares pour une analyse sociologique de l’impérialisme.
50La première tient à son refus d’essentialiser les organisations internationales et les classes sociales. Yves Dezalay a toujours préféré se centrer sur les agents et leurs parcours, quitte ensuite à reconstruire les ressorts de leur cohésion. Cette orientation lui a permis d’échapper à l’alternative formée par les courants libéraux et marxistes entre société transnationale et classe capitaliste transnationale pour produire une nouvelle manière de penser l’impérialisme.
51La deuxième qualité est celle d’offrir une sociologie attentive aux conditions de possibilité des rapports de domination entre espaces nationaux, prenant en compte les différences structurelles entre les champs du pouvoir mais aussi les points sur lesquels ils parvenaient à s’articuler et à échanger des capitaux communs comme l’éducation et l’expertise professionnelle. La force de cette pensée de l’impérialisme est de montrer que ce dernier ne repose pas uniquement sur des conditions matérielles mais bien aussi sur des ressorts idéologiques et culturels.
52La troisième qualité est de placer la focale sur l’agent double, une notion essentielle à sa sociologie tant sur le plan de la pratique [74] que sur le plan théorique. La notion d’agent double peut être envisagée sous trois aspects : l’intermédiarité entre le national et l’international, l’ambivalence entre des espaces sociaux différents ou la duplicité d’acteurs affidés à deux champs du pouvoir distincts. Dans la troisième acception, l’agent double est vu comme la cheville ouvrière de la domination impériale, il est dominant dans son pays mais dominé vis-à-vis de la puissance centrale. C’est un grand commis dont la pleine efficacité et l’autonomie relative reposent justement sur la duplicité dont il peut faire preuve autant vis-à-vis de ceux dont il reçoit les ordres que vis-à-vis de ceux à qui il en donne. On renoue ainsi avec la conception wébérienne de la domination, qui est fondamentalement un rapport de commandement-obéissance, mais en lui donnant une portée internationale qu’elle n’avait pas. Ainsi, bien qu’elle n’ait jamais prétendu s’y livrer, l’œuvre d’Yves Dezalay offre, par sa rigueur sociologique, une contribution majeure au renouvellement des théories des relations internationales.
Mots-clés éditeurs : impérialisme, réformes néo-libérales, expertise, champ du pouvoir, transnationalisme, agent double, marxisme, doxa
Date de mise en ligne : 15/03/2021
https://doi.org/10.4000/conflits.22068Notes
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[2]
Robinson W. I., Harris J., “Towards a global ruling class? Globalization and the transnational capitalist class”, Science & Society, vol. 64, n°1, printemps 2000, pp. 11-54 ; Van Apeldoorn B., “Transnational class agency and European governance: The case of the European Round Table of Industrialists”, New political economy, vol. 5, n°2, juillet 2000, pp. 157-181 ; Sklair L., The transnational capitalist class, Malden et Oxford, Blackwell, 2001 ; Van Apeldoorn B., “Theorizing the transnational: A historical materialist approach”, Journal of International Relations and Development, vol. 7, n°2, 2004, pp. 142-176.
-
[3]
Dezalay Y., Garth B., La mondialisation des guerres de palais, Paris, Le Seuil, 2002.
-
[4]
Aron R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984 [1962] ; Keohane R. O., Nye J. S., Transnational Relations and World Politics, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1972.
-
[5]
Bourdieu P., La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1989.
-
[6]
Sur ces aspects, on renverra le lecteur à Dezalay Y., « Une leçon de réflexivité », in Mauger G., Rencontres avec Pierre Bourdieu, Paris, Éditions du Croquant, 2005, ainsi que Dezalay Y., Bigo D., Cohen A., « Enquêter sur l’internationalisation des Noblesses d’État. Retour réflexif sur des stratégies de double jeu », Cultures & Conflits, n°95, été 2015, pp. 15-52.
-
[7]
Voir notamment Badie B., Smouts M.-C., Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de la FNSP, Dalloz, 1992 ; Colonomos A., « Sociologie et science politique. Les réseaux, théories et objets d’études », Revue française de science politique, vol. 45, n°1, 1995, pp. 165-178. ; Devin G., « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », Revue française de science politique, vol. 45, n°2, 1995, pp. 305-327.
-
[8]
Outre les travaux d’Yves Dezalay, voir Broady D., Saint-Martin M. de, Palme M. (dir.), Les élites. Formation, reconversion, internationalisation, Colloque de Stockholm, 24-26 septembre 1993, Paris, Stockholm, Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, École des hautes études en sciences sociales, Forskningsgruppen för utbildnings- och kultursociologi, Lärarhögskolan, 1995 ; Broady D., Chmatko N., Saint Martin M. de (dir.), Formation des élites et culture transnationale, Colloque de Moscou, 27-29 avril 1996, Paris, Uppsala, Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, École des hautes études en sciences sociales, SEC, ILU, Université d’Uppsala, 1997 ; Dossier « Les ruses de la raison impérialiste », Actes de la recherche en sciences sociales, n°121-122, mars 1998 ; Wagner A.-C., Les nouvelles élites de la mondialisation. Une immigration dorée en France, Paris, PUF, 1998. Pour une mise en perspective de cette époque, voir tout particulièrement Cohen A., “Pierre Bourdieu and International Relations”, in Medvetz T., Sallaz J. J. (eds.), The Oxford Handbook of Pierre Bourdieu, New York, Oxford University Press, 2018.
-
[9]
Bigo D., Polices en réseaux. L’expérience européenne, Paris, Presses de Sciences-Po, 1996.
-
[10]
Lénine V., L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Paris, Le Temps des cerises, 2001 [1917] ; Gramsci A., Écrits politiques (vol. 1), Paris, Gallimard, 1974 [1923-1926].
-
[11]
Arrighi G., Essays on the Political Economy of Africa, New York et Londres, Monthly Review Press, 1973 ; Amin S., Le développement inégal. Essais sur les formations sociales du capitalisme périphérique, Paris, Éditions de Minuit, 1973 ; Amin S., Saigal J. C., L’échange inégal et la loi de la valeur. La fin d’un débat, Paris, Éditions Anthropos-IDEP, 1973.
-
[12]
Aron R., op. cit. ; Djelic M.-L., Sahlin-Andersson K. (eds.), Transnational Governance: Institutional Dynamics of Regulation, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Zeitlin J., “SASE Annual Meeting 2010, Philadelphia, USA: Pragmatic transnationalism: governance across borders in the global economy”, Socio-Economic Review, vol. 9, n°1, January 2011, pp. 187-206 ; Djelic M.-L., Sahlin K., “Reordering the World: Transnational Regulatory Governance and its Challenges”, in Levi-Faur D. (ed.), The Oxford Handbook of Governance, Oxford University Press, 2012, pp. 745-758.
-
[13]
Kaiser K., “Transnational Relations as a Threat to the Democratic Process”, International Organization, vol. 25, n°3, été 1971, pp. 706-720 ; Kaiser K., “Transnational Politics Toward a Theory of Multinational Politics”, International Organization, vol. 25, n°4, automne 1971, pp. 790-817 ; Nye J. S., Keohane R. O., “Transnational relations and world politics: An introduction”, International Organization, vol. 25, n°3, été 1971, pp. 329-349 ; Nye J.S., Keohane R.O., ibid., pp. 721-748.
-
[14]
Dezalay Y., Marchands de droit. La restructuration de l’ordre juridique international par les multinationales du droit, Paris, Fayard, 1992.
-
[15]
Dezalay Y., Bigo D., Cohen Y., op. cit.
-
[16]
D. Kircher synthétisait cette première vague de travaux en définissant ce type d’entreprise comme détenue par des actionnaires de pays multiples, encadrée par des personnes de nationalités multiples, fonctionnant dans l’ensemble du monde qui lui est politiquement ouvert, menée par des dirigeants formés et expérimentés à concevoir le monde comme une unité économique, diversifiée en termes de produits et de centres d’intérêt, sans sacrifier aux principes unificateurs qui les façonnent comme organisations uniques. Kircher D., “And now the transnational entreprise”, Harvard Business Review, vol. 42, n°2, mars-avril 1964, pp. 6-10.
-
[17]
Sagafi-Nejad T., Dunning J. H., The UN and Transnational Corporations: From Code of Conduct to Global Compact, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 2008.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Arrighi G., Amin S., op. cit. ; Wallerstein I., The Modern World-System, Vol. I: Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century, New York et Londres, Academic Press, 1974 ; Wallerstein I., “The rise and future demise of the world capitalist system: Concepts for comparative analysis”, Comparative studies in society and history, vol. 16, n°4, septembre 1974, pp. 387-415.
-
[20]
Braudel F., La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p. 68.
-
[21]
Chase-Dunn C., Rubinson R., “Toward a structural perspective on the world-system”, Politics & Society, vol. 7, n°4. 1977, pp. 453-476 ; Chase-Dunn C., Global Formation: Structures of the World Economy, Cambridge Mass., Basil Blackwell 1989 ; Wright E. O., Class counts: Comparative Studies in Class Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1997; Burawoy M., Wright E. O., “Sociological marxism”, in Turner J. H. (ed.), Handbook of Sociological Theory, Boston Mass., Springer US, 2001, pp. 459-486.
-
[22]
Hymer S. H., The International Operations of National Firms: A Study of Direct Foreign Investment, thèse de doctorat soutenue en 1960 et publiée à titre posthume en 1976 chez MIT Press, Cambridge Mass. Hymer déclara officiellement sa proximité avec les thèses marxistes en 1969 au MIT lors d’une conférence de l’Union for Radical Political Economics.
-
[23]
Robinson W. I., Harris J., op. cit. ; Van Apeldoorn B., op. cit. ; Sklair L., op. cit.
-
[24]
M. Hardt et A. Negri renouent néanmoins avec cette question de l’impérialisme, mais sur des bases beaucoup plus philosophiques. Hardt M., Negri A., Empire, Cambridge Mass., Harvard University Press, 2000. Samir Amin ne pose la question que plus tardivement, dans une tribune pour le collectif Valmy, en 2012, dont le titre est évocateur : Amin S., « Capitalisme transnational ou Impérialisme collectif ? », Comité Valmy, 22.01.2011 : http://www.comite-valmy.org/spip.php?article2271 (consulté le 13 novembre 2019).
-
[25]
Lénine V., op. cit.
-
[26]
Gramsci A., op. cit.
-
[27]
Cox R., “Gramsci, Hegemony and International Relations: An Essay in Method”, Millennium, vol. 12, n°2, juin 1983, pp. 162-175 ; Overbeek H., “Transnational Historical Materialism”, in Palan R. (ed.), Global Political Economy: Contemporary Theories, Londres, Routledge, 2000, pp. 168-183.
-
[28]
Sklair L., op. cit.
-
[29]
Amin S., « Capitalisme transnational », op. cit.
-
[30]
Fennema M., International Networks of Banks and Industry, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1982 ; Carroll W., The making of a transnational capitalist class. Corporate power in the twenty-first century, Londres et New York, Zed Books, 2010 ; Burris V., Staples C. L., “In search of a transnational capitalist class: Alternative methods for comparing director interlocks within and between nations and regions”, International Journal of Comparative Sociology, vol. 53, n°4, 2012, pp. 323-342.
-
[31]
Peetz D., Murray G., Nienhüser W., “The New Structuring of Corporate Ownership”, in Struna J., Global Capitalism and Transnational Class Formation, New York, Routledge, 2015.
-
[32]
Sklair L., “The Transnational Capitalist Class and the Discourse of Globalization”, Cambridge Review of International Affairs, vol. 14, n°1, 2000, pp. 67-85.
-
[33]
Bourdieu P. « L’internationalisation et la formation des cadres dirigeants », in de Saint Martin M., Gheorghiu M. D. (dir.), Les Institutions de formation des cadres dirigeants, Paris, MSH, 1992, pp. 281-283.
-
[34]
Selon l’expression d’Antoine Vauchez : Vauchez A., « Le prisme circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique internationale, n°59 (2), 2013, pp. 9-16.
-
[35]
Wallerstein I., The Modern World-System…, op. cit.
-
[36]
Voir notamment dans Actes de la recherche en sciences sociales, n°121-122, mars 1998, les contributions de : Vasconcellos M. D., « L’internationalisation des écoles de gestion au Brésil », pp. 62-65 ; Lebaron F. « L’impérialisme de l’économie. Éléments pour une recherche comparative », pp. 104-108 ; Bourdieu P., Wacquant L., « Sur les ruses de la raison impérialiste », pp. 109-118.
-
[37]
Dezalay Y., Garth B., « Le “Washington consensus”. Contribution à une sociologie du néolibéralisme », Actes de la recherche en sciences sociales, n°121-122, mars 1998, pp. 3-22.
-
[38]
Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, economists, and the contest to transform Latin American states, Chicago, University of Chicago press, 2002.
-
[39]
Dezalay Y., Garth B., « Le “Washington consensus” », op. cit.
-
[40]
Krasner S. D., “Structural causes and regime consequences: regimes as intervening variables”, International Organization, vol. 36, n°2, 1982, pp. 185-205 ; Keohane R. O., After Hegemony: Cooperation and discord in the world political economy, Princeton, Princeton University Press, 1984.
-
[41]
“What is different in our approach however is that we try to uncover the links between the micro and the macro positions. As the few others have noted with different but complementary approaches the mechanisms of interchange are crucial to explain domestic transformations […]. The domains we consider – especially law, knowledge, institutions, the State – are symbolic fields with specific logics. The story, therefore, is much more complicated than the stories of power and hegemony that are so pronounced in world systems theory”, Dezalay Y., Garth B., The internationalization of Palace Wars, op. cit., p. 13. Notre traduction.
-
[42]
Van der Pijl K., The Making of an Atlantic Ruling Class, New York et Londres, Schoken Books Inc. and Verso, 1984.
-
[43]
On ne trouve, par exemple, aucune référence à une Panamerican ruling class, ou à une Panamerican elite, dans leurs travaux sur l’Amérique du Sud.
-
[44]
Meynaud J., Sidjanski D., L’Europe des affaires. Rôle et structures des groupes, Paris, Payot, 1967 ; Courty G., Les groupes d’intérêt, Paris, La Découverte, 2006 ; Georgakakis, D., « La sociologie historique et politique de l’Union européenne : un point de vue d’ensemble et quelques contre points », Politique européenne, vol. 25, n°2, 2008, pp. 53-85 ; Laurens S., Les courtiers du capitalisme. Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Marseille, Agone, 2015.
-
[45]
Cette perspective analytique inspire un ensemble de travaux récents, par exemple Martin-Mazé M., « L’extension transnationale du domaine de la lutte. Comment les savoirs d’État sur les frontières passent-ils les frontières de l’État ? », Cultures & Conflits, 2015, n°98, pp. 53-70 ; Diaz P., « La réforme de la protection sociale aux Philippines, un tournant global. Le cas du Pantawid Pamilyang Pilipino Program », Revue française des affaires sociales, n°3, 2014, pp. 48-65.
-
[46]
La pensée élitiste est particulièrement hétérogène et éclatée. Yves Dezalay fait plutôt référence au sens produit par la sociologie américaine des années 1930-1960 qui associe l’élite aux minorités qui de tout temps et en tout lieu dirigent la société, quels que soient ses mérites. Voir notamment Lasswell H. D., Politics: who gets what, when, how, New York, Whittlesey House, 1936 ; Burnham J., The Machiavellians: Defenders of freedom, New York, The John Day Company, 1943 ; Hunter F., Community Power Structure: A Study of Decision Makers, Chapel Hill, University of North Carolina, 1953 ; Mills C.W., The Power Elite, New York, Oxford University Press, 1956, et plus particulièrement Baltzell E. D., The Protestant Establishment: Aristocracy and Caste in America, New Haven, Yale University Press, 1964 et Domhoff W., Who Rules America?, Englewood Cliffs NJ, Prentice-Hall, 1967. Pour une synthèse de cette question : Dudouet F.-X., L’élite et le pouvoir. Contribution à une sociologie des concepts sociologiques, mémoire inédit pour l’habilitation à diriger des recherches, École normale supérieure de Paris-Saclay, 2018.
-
[47]
Sur les usages de la notion de champ du pouvoir dans les relations internationales voir notamment Bigo D., “Pierre Bourdieu and International Relations : Power of Practices, Practices of Power”, International Political Sociology, vol. 5, n°3, pp. 225-258 ainsi que Cohen A., op. cit.
-
[48]
Raymond Aron contribua au renouvellement de la pensée élitiste en France après la seconde guerre mondiale, notamment en publiant dans la collection qu’il dirigeait chez Calmann-Lévy le fameux ouvrage de James Burnham (Les Machiavéliens…, op. cit.) dans lequel l’auteur théorise le pluralisme élitiste. Bien que Raymond Aron abandonnât le terme élite au profit de l’expression classes dirigeantes dès le milieu des années 1960 (Aron R., « Catégories dirigeantes ou classe dirigeante ? », Revue française de science politique, vol. 15, n°1, 1965, pp. 7-27), son nom reste attaché à la réintroduction du concept dans les sciences sociales françaises (Rioux J. P., « Les élites en France au xxe siècle : remarques historiographiques », Mélanges de l’école française de Rome. Moyen-Âge. Temps modernes, tome 95, n°2, 1983, pp. 13-27.
-
[49]
“Our focus on international strategies emphasized the national fields of power they are embedded in. We cannot look at importers and exporters without seeing how their strategies are shaped and determined by their position in the national fields of the North and the South. International strategies are not end in them self. They reshaped and redefined the national fields of state power according to agendas of both the North and the South. The focus on international strategies, therefore, leads toward an understanding of the construction and redefinition of the State and the hegemonic processes and new universal that are so important in that transformation”. Dezalay Y., Garth B., The internationalization of Palace Wars, op. cit., p. 8. Notre traduction.
-
[50]
Georgakakis D., « Quel pouvoir de “l’eurocratie” : Éléments sur un nouveau champ bureaucratique transnational », Savoir/Agir, vol. 19, n°1, 2012, pp. 49-59 ; Hibou B., La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte, 2012.
-
[51]
Devin G., Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2002, p. 46.
-
[52]
Putman R., “Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of Two-Level Games”, International organization, vol. 42, n°3, 1988, pp. 427-460.
-
[53]
Burnham J., op. cit.
-
[54]
Riesman D., The Lonely Crowd: A Study of the Changing American Character, in collaboration with Denney R. & Glazer N., New Haven et Londres, Yale University Press, 1950.
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[55]
Dahl R. A., Who Governs? Democracy and Power in an American City, New Haven, Yale University Press, 1961.
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[56]
Lipset S. M., Political Man, New York, Doubleday, 1960.
-
[57]
Stark D., Vedres B., Bruszt L., “Rooted transnational publics: Integrating foreign ties and civic activism”, Theory and Society, vol. 35, n°3, 2006, pp. 323-349.
-
[58]
Dezalay Y., Madsen M. R., « Espaces de pouvoir nationaux, espaces de pouvoir internationaux », in Cohen A., Lacroix B., Riutort P., Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, Grands repères, 2009, pp. 681-693.
-
[59]
David T., Davoine E., Ginalski S., Mach A., « Élites nationales ou globalisées ? Les dirigeants des grandes entreprises suisses entre standardisation et spécificités helvétiques (1980-2000) », Revue suisse de sociologie, vol. 38, n°1, 2012, pp. 57-76 ; Davoine E. et Ravasi C., “The Relative Stability of National Career Patterns in European Top Management Careers in the Age of Globalisation : A Comparative Study in France/Germany/Great Britain and Switzerland”, European Management Journal, vol. 31, n°2, 2013, pp. 152-163 ; Dudouet F.-X., Grémont E., Joly H., Vion A., « Retour sur le champ du pouvoir économique en France. L’espace social des dirigeants du CAC 40 », Revue française de socio-économie, vol. 13, n°1, 2014, pp. 23-48 ; Chardavoine J., Les dirigeants de grandes entreprises au Mexique au xxie siècle. La résistance du capitalisme familial face à la mondialisation, thèse de doctorat en sociologie, Université PSL, 2019.
-
[60]
Sur la montée en puissance des formations managériales et la transformation de la valeur des diplômes, on verra notamment Lazuech G., L’exception française. Le modèle des grandes écoles à l’épreuve de la mondialisation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999, ainsi que Serre D., Wagner A.-C., “For a Relational Approach to Cultural Capital: A Concept Tested by Changes in French Social Space”, The Sociological Review, vol. 63, 2015, pp. 433-450.
-
[61]
Dezalay Y., « Les courtiers de l’international. Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et missionnaires de l’universel », Actes de la recherche en sciences sociales, n°151-152, 2004, p. 8.
-
[62]
Scarfi J.P., The hidden history of international law in the Americas: Empire and legal networks, New York, Oxford University Press, 2017.
-
[63]
Serre D., Wagner A.-C., op. cit., Chardavoine J., op. cit. observent ainsi que les héritiers des grandes fortunes mexicaines doublent leur capital économique d’un capital scolaire élevé obtenu aux États-Unis afin d’asseoir leur légitimité à la tête de l’entreprise familiale.
-
[64]
C’est au fond la vision d’Elias avec son modèle de jeux à plusieurs étages. Pour une analyse empirique entre différents champs du pouvoir économiques, voir Dudouet F-X., Grémont E., Vion A., Pageaut A., “European Business Leaders: A Focus on the Upper Layers of the European Field Power”, in Georgakakis D., Rowell J. (eds.), The Field of Eurocracy: Mapping EU actors and professionals, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, p. 296.
-
[65]
Sur la comparabilité de l’UE et du Mercosur, voir Oelsner A., Vion A., “Friends in the region: A Comparative Study on Friendship Building in Regional Integration”, International Politics, vol. 48, n°1, 2011, pp. 129-151.
-
[66]
Vauchez A., Witte B. de, Lawyering Europe. European Law as a Transnational legal field, Oxford, Portland, Hart Publishing, 2013 ; Vauchez A., Brokering Europe. Euro-lawyers and the making of a transnational polity, Cambridge, Cambridge University Press, 2015.
-
[67]
Blau P. M., op. cit.
-
[68]
Naudet J., Entrer dans l’élite. Parcours de réussite en France, aux États-Unis et en Inde, Paris, Presses Universitaires des France, 2012.
-
[69]
In Dézalay Y., Bigo D., Cohen A., op. cit., p. 40.
-
[70]
Lot F., La fin du monde antique et le début du Moyen Âge, Paris, Albin Michel, 1989 [1927]. p. 271.
-
[71]
Weber M., Économie et société, traduit de l'allemand sous la direction de J. Chavy et E. de Dampierre, Paris, Plon, 1971 [1922] pp. 95-96 ; p. 285-290.
-
[72]
Bourdieu P., La noblesse d’État, op. cit., p. 377.
-
[73]
Voir Dezalay Y., Bigo D., Cohen A., op. cit.
-
[74]
Yves Dezalay admet volontiers que pour tirer le maximum de ses entretiens, il devait lui-même devenir un agent double : « Si on observe des agents doubles, il faut devenir soi-même […] un agent double », ibid., p. 40.