Notes
-
[1]
Luce Giard, Pierre Mayol, L’invention du quotidien. Tome 2. Habiter, cuisiner, Paris, 10/18, 1980, p. 7.
-
[2]
Human Rights Watch, Liban : montée des violences à l’encontre des réfugiés syriens. Les autorités devraient protéger les Syriens et traduire en justice les agresseurs, rapport (https://www.hrw.org/fr/news/2014/09/30/liban-montee-des-violences-lencontre-des-refugies-syriens).
-
[3]
Ces tensions ont abouti en juin 2014 à la mise en place d’un couvre-feu par la municipalité de Bourj Hammoud interdisant aux Syriens de sortir de chez eux au-delà de 20 heures.
-
[4]
Le Liban est le pays du Proche-Orient qui reçoit le plus de réfugiés syriens proportionnellement à sa population. On estime à 1,2 million le nombre de Syriens présents dans le pays, ce qui représente un cinquième de la population libanaise.
-
[5]
Michel Agier, Campement urbain : du refuge naît le ghetto, Paris, Payot, 2013, p. 39.
-
[6]
Tania El-Alam, Planning for Simultaneous Transience and Stability : Neighborhood Transformations in Nabaa, Beirut, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, Department of Urban Studies and Planning, 2014.
-
[7]
Joanne Randa Nucho, Everyday Sectarianism in Urban Lebanon. Infrastructures, Public Services and Power, Princeton, Princeton University Press, 2016, p. 66-70.
-
[8]
Annie Tohmé Tabet, Choghig Kasparian, Retour des déplacés forcés dans leurs villages au Liban. Damour, Bireh et Kfar Qatra (1992-2009), Beyrouth, Presses de l’Université Saint-Joseph, 2015, p. 131.
-
[9]
Mohamed Kamel Doraï, « Les mutations récentes de l’espace migratoire syro-libanais », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 119-120, 2007, p. 139-155.
-
[10]
Assaf Dahdah, « Mobilités domestiques internationales et nouvelles territorialités à Beyrouth (Liban) : le cosmopolitisme beyrouthin en question », Espace, populations, sociétés, 2-3, 2010, p. 267-279.
-
[11]
Actuellement, 30 % à 35 % de la population du quartier et près de 60 % de celle du secteur central des souks et de la grande mosquée chiite, d’après un rapport de UN-Habitat, Nabaa. Neibourghood, Profile and Strategy, mars 2017, p. 10 (https://reliefweb.int/report/lebanon/nabaa-neighbourhood-profile-strategy-bourj-hammoud-lebanon-march-2017).
-
[12]
Henrik Vigh, « Motion Squared : A Second Look at the Concept of Social Navigation », Anthropological Theory, 9 (4), 2009, p. 419-438. Pour H. Vigh, l’expression « navigation sociale » désigne la façon dont les gens parviennent, dans des contextes d’incertitude, à se détacher de structures contraignantes et à améliorer leur situation.
-
[13]
Michel de Certeau, L’invention du quotidien. Tome 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.
-
[14]
Bruno Latour, « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », dans André Micoud, Michel Péroni, Ce qui nous relie, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2000, p. 189-208.
-
[15]
Nous adhérons à la définition du quotidien que propose H. Vigh : « Nous sommes face au quotidien dès lors que nous présumons la continuité. En tant que tel, le quotidien est ce qui nous libère de l’obligation d’évaluer constamment le monde social, sociétal, politique ou physique dans lequel nous vivons ». H. Vigh, Navigating Terrains of War : Youth and Soldiering in Guinea-Bissau, Oxford, Berghahn Books, 2006, p. 156-157. Pour nous, guerre et déplacements forcés provoquent dans la continuité du quotidien une rupture telle que l’environnement matériel et les engagements sociaux des individus en viennent à perdre familiarité, fluidité et évidence.
-
[16]
Les entretiens mobilisés dans cet article ont été conduits en arabe et traduits par nos soins. Nous traduisons également les citations en anglais.
-
[17]
Élu et préposé à l’état-civil.
-
[18]
Les témoignages accompagnés d’un astérisque* ont été recueillis en 2017-2018 par Lamis Nasard, anthropologue de l’USJ.
-
[19]
Les Syriens désignent ainsi les membres du groupe État islamique.
- [20]
-
[21]
M. Agier, Campement urbain : du refuge naît le ghetto, op. cit., p. 32.
-
[22]
L’accès à certains de ces mini-territoires est marqué par la présence de barrières.
-
[23]
Il s’agit de quelques grandes organisations internationales (Caritas, World Vision, JRS, YMCA), nationales (Mouvement social, Arc-en-ciel, AFEL) et locales (Dar el-Amal, Libami). Certaines associations sont davantage rattachées à une communauté (Beitouna, Ayadina, Grow, Spring of Life) ou à un groupe ethnique (Armenian Relief Cross-Lebanon, Howard Karagheusian).
-
[24]
Kamel Doraï, Nicolas Puig, L’urbanité des marges : migrants et réfugiés dans les villes du Proche-Orient, Paris, Téraèdre-Ifpo, 2012, p. 14.
-
[25]
« Par “home” nous entendons les pratiques du quotidien qui contribuent à faire du lieu de déplacement un lieu ayant une signification particulière. De telles pratiques impliquent à la fois des notions matérielles et imaginaires du chez-soi et peuvent être des améliorations, voire des investissements dans des logements temporaires ; elles incluent les routines quotidiennes que les gens mettent en place dans ces habitations ; et intègrent les relations sociales que les gens développent dans un quartier, dans la section d’un camp ou dans d’autres institutions chargées de “s’occuper” des réfugiés et des déplacés forcés. » Cathrine Brun, Anita Fábos, « Making Homes in Limbo ? A Conceptual Framework », Refuge, 31 (1), 2015, p. 12 (https://refuge.journals.yorku.ca/index.php/refuge/article/view/40138).
-
[26]
D’après Grow, une ONG évangéliste qui se consacre à l’accueil des enfants et à la prévention contre les violences, 75 % des femmes et 70 % des enfants syriens du quartier seraient victimes de violences domestiques.
-
[27]
Sur ces questions, voir l’enquête de Mona Fawaz, Nizar Saghiyeh, Karim Nammour, « Case Study of Refugees in an Urban Context : Al-Naba’a », dans Housing, Land and Property Issues in Lebanon. Implications of the Syrian Refugee Crisis, UN Habitat, UNHCR, août 2014.
-
[28]
Voir l’article de Jamil Mouawad dans ce dossier.
-
[29]
Les Libanais ne déclarent pas ces loyers afin d’échapper à la taxe municipale.
-
[30]
Dawn Chatty, Displacement and Dispossession in the Modern Middle East, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
-
[31]
Les pertes et effets résultant des déplacements forcés ont été identifiés par Michael Cernea : perte de terres, d’emplois, de domicile, augmentation de la morbidité et de la mortalité, insécurité alimentaire, perte d’accès aux ressources de la communauté, désagrégation de la communauté. Michael Cernea, « La sociologie des déplacements forcés : un modèle théorique », Autrepart, 5, 1998, p. 11-28.
-
[32]
« Les déplacements forcés détruisent le tissu social et les formes existantes d’organisation sociale. Ils fragmentent les communautés, démantèlent les systèmes de production, dispersent les groupes de parenté et les réseaux familiaux, perturbent les marchés du travail et remettent en cause l’identité culturelle des expulsés. Les réseaux informels d’entraide, les associations bénévoles autochtones, les services organisés par les communautés, etc., sont dispersés et rendus inopérants. » Ibid., p. 20.
-
[33]
Jean Métral, « Économie et sociétés : stratégies alternatives et cultures de l’aléatoire », dans Riccardo Bocco, Ronald Jaubert, Françoise Métral (dir.), Steppes d’Arabies. États, pasteurs, agriculteurs et commerçants : le devenir des zones sèches, Paris, PUF, 1993.
-
[34]
Jean-Baptiste Pesquet, « Les récits de souffrance chez les réfugiés syriens au Liban », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 138, décembre 2015 (en ligne le 16 février 2016, consulté le 13 juin 2018).
-
[35]
Thierry Boissière, « Précarité économique, instabilité de l’emploi et pratiques sociales en Syrie », dans Élisabeth Longuenesse, Myriam Catusse, Blandine Destremau (dir.), « Le travail et la question sociale au Maghreb et au Moyen-Orient », dossier, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 105-106, 2005, p. 109-131.
-
[36]
Sur cette notion d’enchâssement, voir Karl Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 (1944). Sur la question de l’économie dans les rapports de parenté, voir Florence Weber, Le sang, le nom, le quotidien. Une sociologie de la parenté pratique, Paris, Aux Lieux d’être, 2005.
-
[37]
Nous transposons ici dans le registre de la pauvreté ce que l’historienne Simona Cerutti développe au sujet des étrangers et de leur incapacité à accéder de plein droit aux ressources locales. Simona Cerutti, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2012.
-
[38]
Une enquête récente (2017), réalisée par l’UNHCR, l’UNICEF et le PAM, précise que 76 % des ménages de réfugiés syriens au Liban vivent avec moins de 3,84 dollars par personne et par jour (http://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2018/1/5a5647d7a/etude-refugies-syriens-liban-appauvris-devenus-vulnerables-2017.html).
-
[39]
Seuls 19 % des familles de réfugiés syriens « déclarent que tous leurs membres disposent d’un titre de séjour légal ». Ibid.
-
[40]
Seuls 17 % des réfugiés syriens parviennent à s’acquitter de toutes les formalités de la procédure d’enregistrement de leurs enfants. Ibid.
-
[41]
Les données relatives aux ONG et aux associations proviennent d’un travail d’enquête réalisé entre octobre 2017 et janvier 2018 par Salomé Jacquet, étudiante en master de l’IEP de Grenoble et stagiaire à l’Ifpo.
-
[42]
Serge Paugam, Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF, 2005.
-
[43]
Luce Giard, Pierre Mayol, L’invention du quotidien. Tome 2. Habiter, cuisiner, Paris, Union générale d’éditions, 1980, p. 158.
-
[44]
Cet appauvrissement des habitudes alimentaires s’observe bien entendu aussi en Syrie, dans les zones échappant au contrôle du régime et va de simples stratégies de restriction à des situations de quasi-famine. Voir l’article de Leïla Vignal dans ce dossier.
-
[45]
C. Brun, A. Fábos, « Making Homes in Limbo ? A Conceptual Framework », art. cité, p. 7 (nous soulignons).
-
[46]
UN-Habitat, Nabaa. Neibourghood, Profile and Strategy, cité.
-
[47]
OIT, UNICEF, SCI et ministère du Travail, Children Living and Working on the Streets in Libanon : Profile and Magnitude, 2015 (http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_345015/lang--fr/index.htm).
-
[48]
Cette insécurité économique est aggravée par le contexte juridique national. En effet, depuis février 2017 un arrêté (41/1) paru au Journal officiel (n° 7, jeudi 9 février 2017) limite les activités pouvant être exercées par les travailleurs syriens aux seuls secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’environnement (déchets). Tous les autres secteurs leur sont interdits, car explicitement réservés aux Libanais.
-
[49]
Une enquête du ministère libanais de l’Économie et du Commerce ainsi qu’un rapport de l’Organisation internationale du travail, réalisés l’un et l’autre en 2013, signalaient la multiplication des établissements commerciaux tenus par des Syriens. Ils étaient alors estimés à environ 1 200 sur l’ensemble du territoire libanais. Ils sont actuellement plusieurs milliers : 54 % se trouvent dans la Bekaa, 29 % à Beyrouth et sa banlieue proche (principalement à Hamra et à Bourj Hammoud - Nabaa), 9 % au Liban nord et 8 % dans le sud. Accusés de concurrence déloyale par les commerçants libanais, ces établissements font depuis deux ans l’objet de fermetures de la part de certaines municipalités.
-
[50]
Sur cette pratique informelle, voir Emmanuelle Durand, « Des routes migratoires aux rues marchandes. Vendeurs de rue syriens à Beyrouth », Hommes et Migrations, 1319, 2017, p. 125-134.
-
[51]
UN-Habitat, Nabaa. Neibourghood, Profile and Strategy, cité, p. 11.
-
[52]
L’investissement des Syriens dans le commerce est également observable dans d’autres quartiers, comme celui de Hamra étudié par Mona Harb, Ali Kassem et Watfa Najdi dans « Entrepreneurial Refugees and the City : Brief Encounters in Beirut », Journal of Refugee Studies, février 2018 (https://academic.oup.com/jrs/advance-article/doi/10.1093/jrs/fey003/4833579).
-
[53]
Sur ce contexte d’insécurité dans lequel vivent la plupart des Syriens au Liban et notamment les commerçants, voir M. Harb, A. Kassem, W. Najdi, « Entrepreneurial Refugees and the City : Brief Encounters in Beirut » art. cité, p. 13-14.
-
[54]
Mohammad Al-Dbiyat, « Pauvreté et aridité dans les marges arides syriennes. Le cas du village du Cheikh Hilal », dans Blandine Destremau, Agnès Deboulet, François Ireton (dir.), Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Paris, Karthala et URBAMA, 2004.
-
[55]
À ces deux grands profils, il conviendrait sans doute d’ajouter celui de quelques investisseurs syriens qui louent plusieurs locaux commerciaux et y font travailler des vendeurs syriens.
-
[56]
Franck Mermier, Michel Peraldi, « Introduction », dans F. Mermier, M. Peraldi, Mondes et places du marché en Méditerranée. Formes sociales et spatiales de l’échange, Paris, Karthala, 2005.
-
[57]
M. Agier, Campement urbain : du refuge naît le ghetto, op. cit., p. 21.
-
[58]
Chiffonniers fouillant dans les poubelles et récupérant les objets jetés, dont des vêtements.
-
[59]
La présence de ces produits syriens, dont les filières d’acheminement restent encore à étudier, témoigne de la persistance du commerce et de voies de circulation malgré la guerre, ainsi que de la capacité d’adaptation de certains industriels syriens qui produisent désormais à partir de la Turquie, de la Jordanie ou du Liban.
-
[60]
Cette recherche sur les pratiques économiques des Syriens de Nabaa ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous ignorons ainsi quelle place et quel rôle ceux-ci peuvent jouer dans les réseaux d’une certaine économie souterraine, celle de la mendicité, de la drogue et de la prostitution, présente à Nabaa et qui se déploie, à partir du quartier, en suivant des logiques et des filières partisanes et confessionnelles.
« Le quotidien, c’est ce qui nous est donné chaque jour (ou nous vient en partage), ce qui nous presse chaque jour, et nous opprime, car il y a une oppression du présent [1]. »
1 le 21 septembre 2014, Karim, un travailleur syrien rentrant chez lui à pied de son travail, se fait agresser dans une rue du quartier de Nabaa : « Ils m’ont donné des claques dans le cou, et puis des coups de pied dans le dos. “Tu es syrien, tu n’as pas le droit d’être ici”, ils ont dit. Des policiers étaient dans le coin, mais ils n’ont rien fait du tout. Je suis tombé au sol, dans la rue. Je ne peux pas me plaindre auprès de la police, parce qu’ici je n’ai pas de papiers. Si j’y vais, ils se contenteront de m’arrêter » [2]. Cette anecdote révèle certains aspects des rapports entre Libanais et Syriens dans le quartier de Nabaa, à l’est de Beyrouth, comme ailleurs au Liban. Ces tensions latentes remontent à l’époque de la guerre civile (1975-1990) et de la présence de l’armée syrienne au Liban ainsi que de son occupation du pays (1976-2005) [3]. Elles ont été réactivées depuis 2011 par l’arrivée massive des réfugiés syriens [4] et par une forme de concurrence de la misère dans un quartier où les ressources sont comptées pour l’ensemble des individus et des communautés. Proche du « campement urbain » décrit par Michel Agier [5], caractérisé par l’extrême pauvreté, le surpeuplement et certaines formes d’auto-organisation, Nabaa a pourtant accueilli depuis sa fondation dans les années 1920 plusieurs vagues migratoires [6] : Arméniens du camp d’Arakadz (années 1920) [7], migrants ruraux chiites (années 1950), déplacés forcés chrétiens (1976) [8], réfugiés irakiens, travailleurs égyptiens et syriens [9] (années 1990), puis asiatiques et africains (années 2000) [10]. Depuis 2011, les réfugiés syriens représentent une part de plus en plus importante de la population du quartier [11]. Physiquement présents dans l’espace public, ils occupent nombre de commerces et d’habitations, constituant ainsi comme un « petit morceau de Syrie ».
2 Nous essayons ici d’analyser la façon dont ces réfugiés syriens s’inscrivent dans un quartier pauvre de la proche banlieue beyrouthine et les types de dispositifs, notamment économiques, mis en place pour cela. Cette inscription passe bien sûr par des modes d’habiter et des pratiques qui contribuent à la construction d’un quotidien dans l’exil. Il s’agit ainsi de saisir comment les Syriens de Nabaa « naviguent socialement » [12] et développent, à travers des « arts de faire » [13], des stratégies de survie et d’adaptation, ainsi que des points d’ancrage (domicile, quartier et lieux ressources) à partir desquels ils parviennent (ou non) à produire de la normalité dans un contexte d’incertitude et de violence, mais aussi de mise à distance de la guerre. Si leur situation se caractérise par une grande instabilité tant au niveau du travail et du logement que des conditions de séjour, les Syriens de Nabaa produisent cependant des formes d’adaptation et surtout d’attachement [14] au quartier et à ses espaces. Notre hypothèse est que ces formes d’attachement, qui se traduisent par des parcours, des modes d’habiter, des interactions et des sociabilités de voisinage, des dépendances, des pratiques économiques et une capacité à investir l’espace marchand, produisent du quotidien [15] dans le temps présent, mais ne permettent pas pour l’instant de se projeter dans l’avenir en raison de l’incertitude et de la précarité dans laquelle se trouvent ces Syriens. Loin de constituer une communauté organisée et structurée, ceux-ci apparaissent plutôt comme une population « suspendue », en attente d’avenir. Nous suivrons la trajectoire de vie de ces réfugiés, depuis leur départ de Syrie jusqu’à leur installation à Nabaa et le lancement d’activités économiques et de survie.
Situation de Nabaa dans la commune de Bourj-Hammoud
Situation de Nabaa dans la commune de Bourj-Hammoud
Les conditions de l’enquête
3 À la jonction de l’anthropologie urbaine et économique, de la sociologie des migrations et d’une ethnographie des pratiques du quotidien, cette étude présente les premiers résultats d’un travail de terrain en cours qui s’inscrit depuis 2016 dans le cadre d’une collaboration entre l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et l’Université Saint-Joseph (USJ). Une première approche du quartier a consisté à suivre en juin 2016 une responsable d’ONG (Volunteers Together) dans ses visites auprès de familles libanaises vivant dans des conditions d’extrême pauvreté. Nous avons ensuite parcouru le quartier en multipliant observations flottantes, rencontres et discussions informelles auprès d’une dizaine de résidents libanais et syriens. Ces premières démarches nous ont permis de nous familiariser avec la géographie des lieux et de mieux comprendre la répartition des différentes populations. Le Jesuit Refugee Services (JRS) nous a facilité l’accès à des familles syriennes sunnites vivant au cœur du quartier. Les premiers entretiens [16] ont eu lieu dans les bureaux du JRS et ont été menés auprès de 11 femmes sous la forme de focus group. Nous avons ensuite pu nous entretenir avec ceux de leurs maris qui travaillaient dans le secteur du commerce. Le JRS a également assuré la diffusion auprès de 75 femmes de questionnaires portant sur la vie quotidienne, l’organisation familiale, l’économie domestique et les budgets familiaux. En novembre et décembre 2016, un premier atelier a été organisé avec sept étudiants de l’USJ, qui ont présenté à 72 commerçants et artisans syriens un questionnaire portant sur leurs conditions de vie en Syrie, leur trajectoire professionnelle et leurs activités économiques à Nabaa. Nous avons complété cette démarche en réalisant huit entretiens approfondis. Un second atelier réunissant huit nouveaux étudiants a été organisé en novembre 2017. Il a porté sur les modes d’habiter et le rapport au quartier de familles syriennes sunnites. Les étudiants, répartis en quatre groupes, munis d’un questionnaire et accompagnés par des membres du JRS, ont effectué 16 visites à domicile. Parallèlement nous avons réalisé deux entretiens approfondis, l’un avec le mukhtar [17] chiite, responsable du secteur du marché (souk), l’autre avec une personnalité ressource du quartier, liée au Hezbollah à la fois comme intermédiaire pour les ONG et comme informatrice pour le Parti.
Quitter la Syrie en guerre
4 Si certains Syriens sont présents à Nabaa depuis la fin de la guerre civile libanaise (1990), la plupart d’entre eux sont arrivés après 2011, seuls ou en famille, et cela en trois vagues successives. La première coïncide avec les débuts de la révolution et la répression des manifestations pacifiques (2011) ; la deuxième résulte du basculement d’Alep et de sa région dans la guerre (été 2012) ; la troisième est liée aux conquêtes territoriales de l’État islamique dans les régions de l’est de la Syrie (2014).
5 Il s’agit alors surtout de se mettre à l’abri des bombardements du régime syrien ou des exactions des groupes armés djihadistes. De nombreux jeunes tentent également d’échapper à l’enrôlement forcé dans l’armée du régime, tel cet ancien étudiant titulaire d’une licence de droit, travaillant au moment de notre enquête dans une quincaillerie et qui dit avoir « fui le pays en 2011 pour ne pas être mobilisé dans l’armée et [avoir] jeté son diplôme dans un puits ». D’autres sont des agents de l’État craignant d’être associés au régime par les rebelles, ou sont issus de populations menacées en raison de leur appartenance religieuse ou ethnique. Les causes économiques sont également très présentes, l’effondrement de l’économie syrienne et la baisse drastique des revenus poussant nombre de travailleurs à se rendre au Liban : « Je suis venue au Liban en septembre 2012. Nous sommes restés dans notre maison jusqu’au printemps 2012. Puis il y a eu des bombardements près de chez nous. Alors nous sommes partis à Soueida ainsi que mes parents et mes frères et sœurs. À Soueida, nous avons été accueillis dans les églises et nous y sommes restés près de deux mois. Mais il n’y avait pas de travail. Alors mon mari est venu au Liban. Dès qu’il a trouvé du travail et loué une maison, il nous a fait venir » (Sanaa, 33 ans, Deraa)* [18].
6 En fait, il n’y a pas une seule et unique cause de départ : violences, risques politiques et sécuritaires et difficultés économiques sont liés, mais en proportion variable selon les individus, les groupes, l’appartenance communautaire et la région d’origine. Certains font le choix de rester en Syrie tant que leurs capacités économiques le leur permettent. Le déclencheur est souvent moins le danger lié à la guerre que le constat d’une incapacité à subvenir à ses besoins. En dehors des cas de bombardements massifs et incessants, la guerre seule ne suffit donc pas à justifier un départ de Syrie.
7 Les itinéraires varient en difficultés selon la période et la région de départ. Alors que dans les premiers temps de la révolution, il était encore facile de se déplacer sur l’ensemble du territoire syrien et de passer rapidement la frontière libanaise, la militarisation du conflit, la fragmentation du pays en zones de guerre et en territoires contrôlés par les groupes armés rendent désormais les itinéraires beaucoup moins linéaires. Depuis 2012, les réfugiés qui veulent se rendre au Liban multiplient les étapes et empruntent des voies détournées qui, toutes, mènent à Damas, pourtant contrôlée par le régime. C’est le cas de ce fripier qui était agriculteur dans la région de Deir Ez-Zor : « Je cultivais du blé, du coton, des légumes et l’État achetait ma production. Je suis parti après l’arrivée de Daech qui a semé la terreur et imposé des règles et des sanctions. Je suis parti en 2015 par des chemins détournés, de Deir Ez-Zor à Alep, dont j’ai parcouru plus de 30 kilomètres à pieds, parce qu’il était interdit de quitter les régions dominées par Daech et que je risquais la prison. Puis d’Alep je suis allé à Damas par la route » (Ali, 30 ans, Jazarat Abou Hmeid).
8 À ces difficultés s’ajoutent aujourd’hui celles du passage de la frontière libanaise : « Je suis arrivé en 2016. Je suis parti parce que la vie était devenue difficile à cause des dawa’ech [19]. Personne ne pouvait plus sortir de chez soi. Je suis venu avec ma femme et mes enfants, mes parents sont restés au village. Nous sommes partis d’abord à Hassaké puis à Qamishli. Là, nous avons pris l’avion pour Damas et ensuite nous avons rejoint le Liban par des chemins de contrebande. J’aurais eu besoin d’un garant [kafil] pour passer [légalement] par Masnaa [poste frontière] » (Hassan, 42 ans, Jazarat Abou Hmeid).
9 En effet, depuis la fin de l’année 2014, le gouvernement libanais, qui avait jusque-là maintenu les frontières ouvertes à tous les Syriens, a imposé une règlementation visant à réduire leur accès à son territoire. Les ressortissants syriens doivent désormais s’assurer de l’intermédiation d’un « garant » libanais pour obtenir un visa de travail qui devra ensuite être renouvelé tous les 6 mois moyennant 200 à 300 dollars par personne. Les personnes refoulées des postes frontières peuvent tenter d’entrer illégalement, avec l’aide de passeurs syriens et libanais, et cela par des routes de montagnes difficiles d’accès [20].
10 Dans ces déplacements, les Syriens mobilisent le peu d’argent qu’ils possèdent encore, les faibles capacités financières de leur entourage – auprès duquel certains s’endettent pour payer leur voyage – et un capital social plus ou moins important selon les individus et selon leur origine sociale et régionale. Ces ressources déterminent en partie la légalité de leur statut en tant que résidents au Liban – les plus aisés ayant moins de difficultés à obtenir un titre de séjour – mais aussi leur insertion et leurs conditions de vie une fois arrivés.
Le choix de Nabaa
11 Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, Nabaa est un espace urbain marqué par la diversité des appartenances communautaires, ethniques et nationales, résultat d’une sédimentation de populations arrivées durant les périodes successives de son histoire. Le quartier a ainsi acquis dès sa fondation une « fonction de refuge » [21] pour les populations déplacées et pour les plus pauvres, accueillant Arméniens, chiites et maronites, tous libanais et qui occupent autant de micro-territoires identifiables dans le quartier [22]. Cette inscription communautaire est doublée par un contrôle politique exercé par des partis comme le Tashnag (arménien), les Forces libanaises (chrétien maronite), Amal (musulman chiite) et le Hezbollah (musulman chiite), dont l’implantation dans l’espace public se manifeste par une présence physique des militants et une forte visibilité : drapeaux, croix, banderoles, affiches de martyrs, de dirigeants politiques, tags (photo 1).
Ruelle décorée de calicots au nom de l’imam Hussein pendant l’Achoura (commémoration chiite)
Ruelle décorée de calicots au nom de l’imam Hussein pendant l’Achoura (commémoration chiite)
12 C’est dans ce dispositif à la fois communautarisé et fortement politisé que, depuis les années 1990, se sont immiscés migrants et réfugiés : Soudanais, Égyptiens, Irakiens, Éthiopiens, Asiatiques et, surtout, Syriens. L’ensemble constitue désormais une forme de cosmopolitisme des pauvres dans lequel les Syriens, majoritairement sunnites, arabes ou kurdes, occupent une place importante. Leurs relations avec les partis politiques présents oscillent entre rejet et acceptation : fortement marquées par la mémoire de la guerre du Liban, elles le sont également par l’implication actuelle du Hezbollah dans le conflit syrien, et par la gestion communautaire du territoire municipal par le Tashnag. Enfin, le fait que les Syriens occupent des espaces économiques revendiqués par les Libanais accroît les tensions, même si les Syriens y sont tout autant consommateurs que producteurs de ressources.
13 Le choix de Nabaa a sans doute été déterminé par la présence plus ancienne d’un petit noyau de travailleurs syriens, installés depuis les années 1990 principalement dans le mini-territoire chiite. Le quartier constitue en tous les cas un lieu d’accueil connu de nombreux Syriens qui travaillaient quelques mois par an à Beyrouth avant 2011. La plupart des personnes interrogées affirment y avoir rejoint un parent, un ami ou un voisin déjà présent sur place, ce qui a facilité la recherche d’un logement et parfois d’un travail. L’attractivité du quartier tient sans doute aussi au fait qu’on y trouve, en raison des loyers réputés pour être les plus bas du secteur, au moins jusqu’en 2011, une population dont les caractéristiques sociales et économiques sont proches de celles des réfugiés syriens. Il s’agit également d’un quartier voisin des zones d’activités économiques que sont Bourj Hammoud, la zone industrielle (Sed el-Baouchrieh), Souk el-Ahad (Sin el-Fil), la zone portuaire ainsi que Beyrouth Municipe, Nabaa constituant lui-même un secteur économique important pour les Syriens, en particulier dans le commerce et l’artisanat. Enfin, le quartier est connu pour accueillir une trentaine d’ONG et d’associations qui constituent de fait une plateforme d’aide à laquelle les Syriens ont désormais recours [23].
L’installation à Nabaa
14 Nabaa apparaît ainsi comme un dispositif d’accueil, un carrefour de mobilités et un quartier ressource, associant des possibilités de logement, de travail et des facilités d’accès aux aides existantes. Un de ces « espaces écarts » constitués, tout comme les camps de réfugiés, « en régions morales spécifiques travaillées par des processus de différenciation et de catégorisation à la fois externes et internes » [24]. C’est dans ce cadre que les réfugiés syriens tentent de reconstruire un « chez-soi » (home) [25] s’inscrivant à la fois dans un rapport douloureux au passé (mémoire de l’habitat abandonné ou détruit en Syrie, parfois de la prison et des disparus laissés derrière soi) et dans un présent caractérisé par la précarité des modes d’habiter et par un temporaire destiné à durer. Ils tentent ainsi de produire une forme de routine fondée sur des pratiques quotidiennes et essentiellement orientées vers leur survie.
15 Le secteur central de Nabaa, désormais principalement occupé par les Syriens, présente un paysage de ruelles étroites et sombres aux chaussées défoncées et souvent inondées par des canalisations défectueuses. Ces ruelles sont bordées par des immeubles de quatre à cinq étages, datant des années 1950-1960, dégradés et peu entretenus. Chaque palier y dessert deux à trois logements, constitués d’une pièce, plus rarement de deux, où est rassemblé l’essentiel du mobilier : quelques matelas servant à la fois de sièges et de couchage, un ou deux tapis occupant le centre de la pièce. Une télévision et/ou un poste de radio et des téléphones portables permettent de se tenir informé de la situation en Syrie et de communiquer avec les membres de la famille et du voisinage restés dans le pays ou dispersés dans la région ou ailleurs. Ainsi la guerre syrienne s’invite-t-elle dans l’intimité des foyers. Malgré les efforts déployés pour la mettre à distance, elle demeure très présente dans le quotidien des réfugiés. La possession d’autres objets ou meubles (lits, canapés, réfrigérateur, cuisinière, table, chaises) dépend des moyens financiers de chacun. La pièce principale sert de lieu de réception, de salle à manger et de chambre à coucher. Le coin cuisine et les sanitaires sont en général relégués dans un petit couloir attenant. La promiscuité et l’impossibilité de préserver toute intimité aggravent les difficultés liées à la guerre et à l’exil, avec leur cortège d’agressions, de misère affective et de violence domestique, particulièrement à l’encontre des femmes et des enfants [26].
16 Les conditions d’accueil des Syriens à Nabaa varient selon leur pré-connaissance du quartier, la présence d’un proche déjà installé et leur situation financière. Les modalités d’occupation des logements changent aussi selon que l’on a affaire à des individus isolés ou à des familles. Ainsi, certains logements abritent des hommes seuls qui se regroupent parfois selon leur origine (région, localité, quartier ou famille), vivent à plusieurs par chambre et partagent les frais de location qui varient d’un mois à l’autre en fonction du nombre de locataires présents. Ce mode de logement collectif, devenu minoritaire, était pratiqué par les travailleurs syriens avant 2011. D’autres logements, désormais les plus nombreux, accueillent des familles monoparentales, nucléaires, voire plusieurs ménages. Ils présentent tous un taux d’occupation élevé pouvant aller jusqu’à 15 personnes dans quelques 30 m2 et ce pour des loyers allant de 400 à 600 dollars, auxquels il faut ajouter environ 100 dollars de frais d’électricité et d’eau [27].
17 Les locations, qui se font à l’année et sans contrat écrit, ce qui renforce le sentiment de vulnérabilité des locataires, contribuent à la mise en place d’une « économie de rente » [28] qui bénéficie surtout à des Libanais [29] ayant su exploiter les besoins en logements et en locaux commerciaux des Syriens. Depuis 2011, l’importance croissante de la demande a encouragé des propriétaires, souvent absents, à diviser leurs appartements en plusieurs logements séparés, à ajouter un étage à leurs immeubles et à aménager des garages ou des caves en magasins ou ateliers à louer. Elle a également poussé un groupe de promoteurs libanais, sunnites originaires de la Békaa-ouest mais installés au Brésil, à acquérir des immeubles à bas prix afin de les louer aux Syriens. Certains commerçants libanais ont fait le choix de cesser leurs activités et de louer leurs locaux. Ils s’assurent ainsi un revenu fixe que ne leur procuraient pas leurs activités commerciales antérieures. Enfin, les intermédiaires et courtiers (simsâr) libanais travaillant à la commission sont de plus en plus nombreux. Chargés de trouver des locaux disponibles à la location et de percevoir les loyers pour le compte de propriétaires absents, ils sont proches des partis politiques contrôlant le quartier et adoptent parfois le comportement brutal des miliciens.
Une difficile reconstruction du quotidien
18 Le départ de Syrie et les dispersions familiales et communautaires qui en résultent entraînent le plus souvent dépossession [30], appauvrissement [31] et rupture d’avec les traditionnelles formes d’entraide [32]. Les individus et les groupes passent alors d’une gestion solidaire des aléas de la vie quotidienne – relevant de ce que l’anthropologue Jean Métral appelait la « culture de l’aléatoire » [33] – à une gestion de plus en plus solitaire de l’incertitude et de l’insécurité sociale et économique. Guerre, départ, dispersion et exil produisent une rupture majeure dans le cours ordinaire de la vie sociale, lui faisant perdre sa cohérence et son caractère d’évidence. Le dénuement non seulement matériel, mais aussi affectif, dans lequel se trouvent les réfugiés reflète la précarité de leur situation au Liban, précarité qui rend plus difficile la réorganisation d’un quotidien normalisé [34].
19 Quelle qu’ait été leur situation sociale et économique dans leur pays avant 2011, les Syriens interrogés disposaient d’une maison ou d’un appartement et parfois d’un atelier, d’une boutique ou de terres cultivées et de revenus, autrement dit d’une situation économique qui, bien que souvent modeste, leur permettait de construire un quotidien décent et un avenir dans lequel ils pouvaient se projeter. Ils y bénéficiaient également de services de l’État (gratuité de l’école, coopératives d’achat, accès aux soins), même si ceux-ci n’ont cessé de se réduire depuis le début des années 1990 : « La vie au Liban est dure. Ici, il faut tout payer : le loyer, le médecin, l’école, l’hôpital. Il faut tout penser en termes d’argent, toujours demander. Nous nous sentons humiliés. En Syrie, tout était gratuit » (Aïsha, 20 ans, Deir Saliba)*. Surtout, ils bénéficiaient de formes anciennes et renouvelées de solidarités familiales, de voisinages et communautaires. Même les plus pauvres parvenaient à s’en sortir dans un pays où le coût de la vie était moins élevé qu’au Liban. Longtemps, les individus ont de fait initié ou partagé « des relations d’échange, d’entraide et d’obligation dans le cadre d’un lignage, d’un clan ou d’une tribu, d’un groupe professionnel mais aussi d’un quartier ou d’un village. Se développaient ainsi diverses formes de protections rapprochées permettant aux individus (…) de faire face aux aléas de la vie » [35]. On retrouve là l’un des paradigmes de l’anthropologie économique, celui de l’enchâssement des rapports économiques dans les rapports sociaux et en particulier dans les rapports de parenté [36]. Ces réseaux d’entraide se combinaient avec différentes formes de pluriactivité permettant de combiner, à l’échelle d’un individu ou d’un groupe familial solidaire, plusieurs sources de revenus complémentaires (taxi, petit commerce, atelier, exploitation agricole).
20 Les Syriens qui se sont installés à Nabaa ont connu, comme toutes les populations déplacées, une paupérisation brutale et accélérée. Celle-ci se traduit bien sûr par une diminution de leurs revenus et de leur capacité d’épargne, mais aussi par la perte de tout un environnement économique et social (boutiques, ateliers, terres) lié à leur situation antérieure en Syrie. À cela s’ajoute la désarticulation et parfois la disparition des réseaux d’entraide, familiaux ou élargis, sur lesquels s’appuyait leur économie, en particulier en milieu rural. Cette paupérisation se caractérise finalement autant par la faiblesse de leurs revenus que par leur absence de légitimité et d’ancrage dans le quartier, et sans doute aussi par une certaine difficulté à s’appuyer sur des réseaux sociaux élargis [37]. Ne pouvant compter que sur eux-mêmes, ils construisent désormais leur quotidien dans l’urgence d’une survie au jour le jour, sans pour l’instant beaucoup de perspectives d’avenir : « Avec les voisins, je n’ai pas réellement de relations. Notre appartement comporte une chambre unique et nous partageons la cuisine avec nos voisins de palier. Ils ne me dérangent pas, mais nous n’avons pas l’habitude de faire des visites, entre femmes » (Aïsha, 20 ans, Deir Saliba)*.
21 Cette difficile reconstruction du quotidien, marquée par l’isolement social et les difficultés financières, obéit de fait à des contraintes, tant en termes d’économie domestique, de rythmes de vie que de mobilisation des ressources, d’activités professionnelles ou encore de rapports à la société d’accueil et aux autorités gouvernementales. Elle passe notamment par la gestion de revenus et de ressources qui dépendent en partie du statut, officiel ou non, de réfugié. Ainsi, le budget familial est alimenté non seulement par un travail raréfié et le plus souvent non déclaré, mais aussi par les aides distribuées par les ONG. Le travail génère des revenus pouvant varier, à l’échelle d’une famille, de 400 à 700 dollars mensuels [38]. Les montants élevés des loyers en absorbent la quasi-totalité, laissant peu de marge pour les autres dépenses ordinaires (nourriture, vêtements, scolarisation des enfants, santé, déplacements, téléphonie, cigarettes). Ces familles sont dès lors plus dépendantes des rares aides disponibles et contraintes de développer des stratégies d’approvisionnement passant notamment par l’endettement : « Mon mari travaillait en Syrie dans un atelier de menuiserie. Il fait le même métier au Liban, il est ouvrier menuisier. Son patron lui donne 120 dollars par semaine, ce qui nous fait à peu près 500 dollars par mois. Les garçons travaillent aussi, l’un dans une épicerie, où il gagne 20 dollars par semaine, l’autre dans un garage, où il gagne 30 dollars par semaine. Nous avons aussi les cartes alimentaires, à raison de 27 dollars par personne et par mois. Nous payons 370 dollars le loyer et 50 dollars à peu près pour l’électricité » (Latifé, 30 ans, Tall Ibrine)* ; « Mon mari est technicien de réparation d’appareils ménagers. Il gagne 100 dollars par semaine. Parfois son patron lui demande de travailler le samedi et lui paie ses heures supplémentaires. Malheureusement, depuis plusieurs mois, le travail est au ralenti. Le salaire de mon mari nous suffit à peine. Nous dépensons en moyenne 50 dollars par semaine et nous essayons de nous suffire avec ce que nous avons. De temps en temps, mon mari s’endette auprès de ses amis, si nous sommes vraiment dans le besoin. Autrement, nous ne faisons pas de dépenses au-dessus de nos moyens » (Alaa, 22 ans, Al Bab)*.
22 Quelques familles reçoivent toutefois de l’argent de la part de parents déjà installés à l’étranger, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie. Cet apport leur permet de faire face aux dépenses quotidiennes et à l’imprévu, avant peut-être d’avoir à leur tour la possibilité de partir.
23 Cette fragilité économique est doublée d’une fragilité juridique. En effet, la plupart des Syriens de Nabaa n’ont pas les moyens de renouveler leur titre de séjour [39]. Des stratégies se mettent alors en place, comme celle qui consiste à n’obtenir ou à ne renouveler ce titre que pour ceux qui, ayant du travail en dehors du quartier, le plus souvent des hommes, sont les plus susceptibles d’être contrôlés ; ou encore à envoyer travailler à l’extérieur du quartier en priorité des enfants, moins soumis aux contrôles. Cette situation n’est pas sans effets sur l’organisation du quotidien. Ainsi, la majorité des Syriens limitent leurs déplacements et réduisent leur aire de chalandage au quartier et à son périmètre proche. La faiblesse des revenus rend également difficile l’enregistrement des naissances et des mariages, procédure longue et coûteuse [40].
24 Dans le cadre familial, approvisionner et nourrir reste la fonction première des femmes. Ce sont elles qui récupèrent les aides distribuées par les ONG et les associations [41]. Bien que modestes, ces aides représentent un apport substantiel au budget des familles : aide médicale, frais de scolarisation des enfants, support psychologique, aide alimentaire (provisions), dons matériels (vêtements) et financiers (petites sommes d’argent), formations, support juridique (légalisation des permis de séjour) et aide au logement.
25 Les femmes se chargent aussi des courses quotidiennes, nouant des relations de confiance et de dépendance avec des commerçants syriens et libanais. Ces relations construites sur la proximité résidentielle et, pour les commerçants syriens, sur une même appartenance nationale permettent de s’approvisionner à crédit. Les achats concernent de petites quantités de produits de première nécessité et sont remboursés d’une semaine à l’autre. Ces crédits insufflent souplesse et respiration dans un budget où les entrées d’argent sont modestes et irrégulières. On rejoint là une forme classique d’économie domestique de la pauvreté [42] qui consiste à vivre sans se projeter au-delà de la journée en cours, les dépenses se faisant chaque jour selon la somme dont on dispose à ce moment-là, priorité étant donnée aux dettes contractées auprès des commerçants, leur renouvellement dépendant du respect des engagements pris.
26 Lorsque ces familles vivaient en Syrie, la préparation de la nourriture suivait un calendrier à trois dimensions – quotidienne, saisonnière et festive – et s’articulait à un faisceau plus ou moins large, selon le contexte, de relations sociales (individu, famille et voisinage). « Faire la cuisine est (…) profondément enraciné dans le tissu des relations aux autres et à soi-même [43]. » Cuisiner et stocker s’inscrivaient ainsi dans des relations sociales impliquant tout un groupe, aussi bien de façon quotidienne qu’exceptionnelle ou cyclique. Il ne pouvait s’agir de pratiques isolées. La coopération entre hommes et femmes au quotidien pour l’approvisionnement et la préparation des repas, entre parents ou famille élargie et voisinage lors de la préparation des provisions hivernales (mûné), et surtout des repas de fêtes ou de cérémonies, faisait de la cuisine une pratique collective et partagée.
27 À Nabaa, les habitudes alimentaires se sont individualisées, réduites et appauvries, suivant ainsi le même processus que les relations sociales [44]. Le manque de place et l’absence de moyens et de certains produits limitent la pratique de la cuisine telle qu’elle pouvait être observée en Syrie. Les enquêtes révèlent la disparition de la préparation des conserves, ainsi que l’arrêt depuis 2014 des envois effectués par les parents restés en Syrie en raison de l’accroissement des difficultés de déplacement entre les deux pays. Nos enquêtes montrent aussi un appauvrissement des menus quotidiens, réduits aux aliments les moins coûteux (riz, pâtes, pommes de terre, bourghoul, lentilles) et constituant la base de plats permettant de tenir plusieurs jours. La viande et le poulet n’apparaissent qu’une à deux fois par mois. Durant le mois de Ramadan, les repas spéciaux (iftar), préparés pour la rupture quotidienne du jeûne, sont remplacés par un repas semblable à ceux réalisés tous les jours le reste de l’année. La célébration des fêtes religieuses, ordinairement onéreuse, est une source d’angoisse : la préparation du repas et des pâtisseries propres à ces occasions constitue une dépense que la plupart des familles ne peuvent désormais plus se permettre.
28 Nous avons affaire ici à un rétrécissement à la fois des espaces de vie et de la sphère sociale dans un contexte marqué par l’absence de désir et une forme de renoncement, ainsi que par une nostalgie des sociabilités antérieures : « Je ne suis pas heureuse. À aucun moment je ne ressens de la joie. Je reste silencieuse, je ne communique pas beaucoup avec les autres. Même lorsque ma sœur s’est mariée, je n’ai pas senti que j’étais heureuse. Tous les jours sont les mêmes pour moi » (Aïsha, 20 ans, Deir Saliba)*.
29 Comme le soulignent Cathrine Brun et Anita Fábos, « pour beaucoup, l’avenir est si incertain qu’ils ne savent pas comment s’engager dans des activités qui pourraient les aider à investir dans le futur. Pour les déplacés forcés, la perception du chez-soi s’appuie souvent sur le passé ; les gens regrettent le foyer qu’ils ont perdu, et leurs expériences antérieures influencent la façon dont ce chez-soi est envisagé dans l’avenir. Le déplacement prolongé conduit souvent au sentiment d’être bloqué dans le présent » [45]. Ce sentiment est partagé par toutes les femmes interrogées, qui nous disent à quel point elles ressentent avec douleur et angoisse leur difficulté à se projeter dans un avenir prévisible.
Travailler
30 L’insertion économique des Syriens à Nabaa passe par leur capacité à générer ou à capter des revenus à partir d’activités rémunérées. Celles-ci concernent l’ensemble des membres du groupe familial, hommes, femmes et enfants. Les revenus générés par les activités des femmes et des enfants ne constituent cependant qu’un appoint à un budget principalement alimenté par le travail masculin.
31 Longtemps confinées au foyer, les femmes commencent à intégrer le marché du travail, modifiant ainsi la traditionnelle répartition sexuée des activités économiques, même si, dans les campagnes, elles accomplissaient des travaux agricoles. Elles peuvent notamment mettre en pratique les courtes formations proposées par les ONG et les associations en travaillant à domicile en tant que couturières, coiffeuses, esthéticiennes, maquilleuses. On les retrouve aussi comme aides ménagères chez des particuliers et dans des associations. Les revenus ainsi générés sont modestes et irréguliers (une centaine de dollars par mois). Les entretiens montrent cependant que l’exil a aussi permis à certaines d’entre elles de sortir de chez elles et d’accéder, parfois pour la première fois de leur existence, à un travail ; elles se sentent libérées du contrôle du groupe patriarcal. C’est le paradoxe d’une situation de crise qui peut se révéler émancipatrice pour certaines femmes, surtout celles d’origine rurale : « Depuis que nous sommes au Liban les choses ont changé. Nous avons été obligées de ne compter que sur nous-mêmes. Les hommes vont au travail tôt le matin et ne rentrent que le soir. Alors nous, les femmes, nous avons pris les choses en main : nous accompagnons les enfants à l’école, nous faisons les courses, nos maris se sont rendu compte que nous pouvions être responsables et qu’ils pouvaient compter sur nous. On me dit maintenant : “Tu connais le quartier de Nabaa mieux que tu n’as connu les rues de ton village en Syrie”. Je peux vous dire où aller, chez quel marchand vous approvisionner. Je peux aussi aller rendre visite à mes amies chez elles. Au village, en Syrie, les femmes jeunes ne sortent pas seules dans la rue. J’apprécie ici le fait d’être libre, personne n’est là à m’observer tout le temps, et à me demander “avec qui tu as parlé, où es-tu allée” ? » (Mayssa, 34 ans, Idlib).
32 Cette émancipation, même relative, leur permet d’atténuer leur isolement à travers des relations sociales spécifiques, comme celles s’inscrivant dans le cadre des ONG et des associations, principaux lieux où elles peuvent communiquer avec d’autres Syriennes vivant dans les mêmes conditions, et acquérir de nouveaux savoir-faire qu’elles pourront ensuite négocier.
33 Ainsi, Fatmeh, 35 ans, originaire d’Alep, ne pratique pas d’activité rémunérée. Elle apprend cependant l’anglais au Jesuit Refugee Services avec pour objectif avoué de quitter le Liban et de se rendre en France ou en Allemagne. Elle y suit également des cours de couture afin de travailler à la maison. Enfin, ses enfants suivent des cours de français, également au JRS.
34 Les associations religieuses, en particulier celles des églises évangéliques, peuvent conditionner l’accès à leurs services à la participation à des réunions de formation religieuse, dans un objectif de clientélisation, voire de conversion. Les associations arméniennes ont tendance à communautariser leur aide en ouvrant leurs portes prioritairement aux Syriens arméniens. Tout cela n’empêche pas la plupart des Syriennes concernées de profiter de la concurrence existant entre ces différents acteurs associatifs, en passant de l’un à l’autre et parfois en développant des adhésions opportunistes.
35 Les enfants, dont la scolarisation est inégale et partielle, apportent également une petite aide à leurs familles. Nombre d’entre eux quittent l’école pour « travailler » [46]. Ils sont alors mis à contribution comme mendiants aux feux rouges ou, pour des revenus modestes (20 à 30 dollars par semaine), comme petits vendeurs à la sauvette sur le pont de Bourj Hammoud et dans ses environs. Une étude récente [47] signale que les enfants syriens forment ainsi 75 % des enfants vivant et travaillant dans les rues des villes libanaises. Ils peuvent également être employés comme vendeurs dans les magasins ou apprentis dans les ateliers de Nabaa ou de Bourj Hammoud : « Mes garçons (11 ans et 13 ans) ne sont pas allés à l’école depuis que nous sommes au Liban, parce que nous nous sommes déplacés [d’un quartier à l’autre]. À Nabaa, le directeur de l’école n’a pas accepté de les inscrire sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de place. Cela me fait mal au cœur, car ni leur père ni moi ne sommes instruits. Ils vont parfois quelques heures au Jesuit Refugee Services, mais cela ne remplace pas l’école. Ils travaillent, l’un dans une épicerie où il gagne 20 dollars par semaine, l’autre dans un garage où il en gagne 35 » (Latifé, 30 ans, Rif Haleb).
36 Quant aux hommes, lorsqu’ils peuvent travailler, ils le font dans un contexte de grande précarité de statut. Le plus souvent non déclarés, ils sont ouvriers du bâtiment, travailleurs journaliers, employés dans la restauration, manutentionnaires dans la zone portuaire, ouvriers dans la petite industrie ou encore chauffeurs dans le secteur des transports. Comme beaucoup de travailleurs étrangers au Liban, ils ne bénéficient d’aucune protection juridique et le versement de leur salaire dépend du bon vouloir de leurs employeurs [48] : « Mon mari est ouvrier journalier. Il peut travailler dans tous les domaines de la construction : la peinture, le carrelage... Mais, actuellement, il est sans travail. Il tourne dans les rues pour voir s’il y a un besoin d’ouvriers sur les chantiers. Lorsqu’il est engagé sur un chantier, il gagne 35 dollars par jour, mais cela devient de plus en plus rare. Et, souvent, quand il est engagé pour un jour ou deux, il n’est pas payé » (Aïsha, 20 ans, Deir Saliba)*.
37 Enfin, les résidents syriens de Nabaa sont aussi présents dans les secteurs du commerce, de l’artisanat [49] et de la vente à la sauvette [50], principalement dans le quartier (où 47 % des commerces et ateliers n’existaient pas avant 2011 [51]), mais aussi à Bourj Hammoud, dans le Souk el-Ahad à Sin al-Fil, ainsi qu’à Dora ou encore dans le quartier de Karm el-Zeitoun [52]. La plupart de ces commerçants et artisans établis disposent d’un associé ou d’un partenaire libanais, à la fois prête-nom et garant, avec lequel ils partagent les frais de location de la boutique ou de l’atelier (si toutefois l’associé libanais n’en est pas lui-même propriétaire) et une part des recettes. Quelques vendeurs syriens ne disposant ni de locaux ni d’associé exercent leurs activités directement dans la rue (étals et voitures à bras), stockant leurs marchandises dans des appartements. Régularisés ou non, les uns comme les autres sont cependant susceptibles de devoir abandonner leurs activités du jour au lendemain en raison du caractère très incertain de leur situation, les plus pauvres étant de ce point de vue les plus vulnérables [53].
38 La facilité avec laquelle les Syriens investissent ou non ces secteurs du commerce et de l’artisanat dépend de leur propre trajectoire socioprofessionnelle et de certains prérequis. Notre enquête, qui porte sur 72 commerçants et artisans, révèle des ruptures mais aussi des continuités au niveau professionnel. Notons d’abord que 38 % d’entre eux sont arrivés à Nabaa avant 2011. Beaucoup venaient alors de zones rurales, en particulier de la Jézireh syrienne, région la plus pauvre du pays et économiquement marginalisée depuis la fin des années 1990 [54]. À partir de 2011, ils ont été rejoints par un nombre croissant de réfugiés venant majoritairement d’agglomérations urbaines comme Alep, Idlib, Raqqa ou Deir Ez-Zor et qui ont ouvert à leur tour commerces et ateliers.
39 Ces commerçants et artisans se répartissent dans le souk en fonction de leur date d’arrivée et de leurs capacités financières, les plus anciens et les plus aisés occupant les artères centrales, les plus récents et les plus pauvres étant relégués à la périphérie du souk ou dans ses ruelles les moins fréquentées. À cette première assignation spatiale s’ajoute, assez classiquement, celle liée au degré de propreté et de nuisance des commerces et des artisanats, les activités considérées comme polluantes, bruyantes ou nécessitant plus d’espace (fripiers, récupération de meubles, réparation), se retrouvant à la périphérie de la zone marchande et du quartier. Commerçants et artisans syriens développent des activités de proximité répondant aux besoins d’une population en cours d’installation tant au niveau résidentiel que professionnel. Les artisans représentent 30 % de notre échantillon. Ils sont principalement coiffeurs (32 %), boulangers, pâtissiers, cafetiers et restaurateurs (32 %), mécaniciens et réparateurs (23 %). Notons que 60 % d’entre eux exerçaient déjà les mêmes métiers en Syrie. Quant aux 51 commerçants interrogés, ils occupent des rues et ruelles du souk de Nabaa et de ses environs. Ils sont 30 % à vendre des vêtements et des tissus, 18 % à tenir une épicerie et 10 % à vendre des ustensiles de cuisine et des produits ménagers. Le reste des commerçants (42 %) se répartissent dans divers secteurs : vendeurs d’appareils de téléphonie mobile, d’appareils électroménagers et électroniques, de parfums, de fruits et légumes, de volailles, de meubles, de CD-ROM et de jouets. On trouve également une agence de voyage. Deux grands profils de commerçants se dégagent de notre échantillon [55]. Une minorité d’entre eux (18,5 %, dont la moitié sont arrivés avant 2011) étaient déjà commerçants en Syrie et ont réinvesti leurs capitaux à Nabaa en s’appuyant sur des compétences relationnelles et techniques acquises en Syrie. On peut citer l’exemple de Seifeddine (45 ans) qui avait une petite entreprise de fabrication de jeans à Alep. En 2013, la situation s’étant aggravée, il a vendu ses biens et récupéré ses créances. Il est arrivé au Liban avec 50 000 dollars et de la marchandise (jeans, T-shirts, chemises). Son réseau commercial et relationnel dépasse le seul cadre de Nabaa. Ses six frères sont dans le commerce des jeans dans différents pays. Il a également des amis, anciens commerçants d’Alep, sur lesquels il dit pouvoir compter en Turquie, en Égypte, au Soudan, en Jordanie et jusqu’en Algérie. Les commerçants correspondant à ce profil sont ceux qui s’en sortent le mieux financièrement, même s’ils ne sont pas épargnés par le déclassement et la paupérisation.
40 La majorité d’entre eux cependant (82 %) sont devenus commerçants (ou vendeurs) par opportunité en arrivant au Liban. Exerçant d’autres activités en Syrie (agriculteur, étudiant, chauffeur de taxi, ouvrier, fonctionnaire), ils se sont saisis du petit commerce comme d’une activité de survie qui offre l’avantage de ne pas nécessiter une mise de fonds de départ importante [56]. C’est le cas déjà évoqué des fripiers originaires de la région de Deir Ez-Zor. Arrivés à Beyrouth sans ressources, ils se sont improvisés vendeurs de vêtements usagés, rejoignant ainsi le petit monde « du reste et du déchet » [57], le plus dévalorisé du souk et donc un des plus faciles d’accès. Ils ont acquis leurs fonds en travaillant sur les chantiers de construction ou en s’endettant. Ils rachètent les vêtements à des particuliers libanais ou syriens et aux « nakkachin » [58]. Ils se sont ainsi intégrés à un circuit d’approvisionnement et d’écoulement des marchandises très localisé.
41 Si les artisans et commerçants syriens de Nabaa ne constituent pas un groupe professionnel organisé, ils n’en forment pas moins un milieu d’interconnaissance relativement solidaire au moins à l’échelle d’un voisinage de boutiques, d’une rue ou d’un secteur d’activité (photo 2). Ils fonctionnent en tous les cas comme un milieu en soi. Ainsi, les commerces tenus par des Syriens n’emploient que des Syriens pour une clientèle majoritairement syrienne. Il semble également que, dans certains secteurs comme l’habillement ou l’alimentaire, nombre de commerçants s’approvisionnent auprès de grossistes syriens installés à Cola, Dora ou Dahyié. La plupart des produits sont importés de Chine ou de Turquie, mais une partie vient de Syrie, d’ateliers de la région d’Alep ou encore du quartier de Jarmana à Damas. Ils sont acheminés par camions via des sociétés de transports à partir de Damas et s’acquittent de droits de douane. Enfin, certains produits considérés comme typiquement syriens, comme la pâte d’abricot Qamar al-Din, sont désormais fabriqués en dehors de la Syrie [59]. Cette forme d’endogamie économique, même relative, renforce bien entendu le phénomène évoqué plus haut de « petit morceau de Syrie ». Elle alimente également l’hostilité dont les Syriens sont victimes de la part de certains partis politiques et de certains Libanais, ou des stratégies comme celle consistant, pour des commerçants libanais, à embaucher des employés syriens dans l’intention d’attirer la clientèle syrienne [60].
42 Les réfugiés syriens – à la fois économiques et politiques – marquent désormais le paysage de Nabaa de leur présence et ce malgré la résistance des Libanais. Si cette présence se pérennise, ce sera sans doute à leur insu, grâce aux routines, à la mise en place progressive bien que fragile d’un environnement matériel, social, économique et à la constitution d’un « chez-soi » qui, à terme, pourrait devenir viable et habitable, à défaut d’être hospitalier. Cependant, ce que nous voyons actuellement, ce sont des individus et des familles vivant dans une incertitude permanente, une grande précarité matérielle, sociale et statutaire, et fonctionnant selon une logique de survie au jour le jour, sans autre projet que de rendre leur quotidien le plus supportable possible et de maintenir la guerre à distance. À la différence de réfugiés plus anciens comme les Arméniens ou plus récents comme les Palestiniens des camps, les Syriens de Nabaa ne font pas encore société. Ils occupent massivement un espace urbain mais ne s’organisent pas pour autant autour d’institutions qui leur seraient propres, comme une mosquée (sunnite), une école ou des associations. Cette absence d’une entité syrienne plus structurée est sans doute en partie liée au contrôle jaloux que les partis politiques libanais présents sur place exercent sur le quartier. Elle est surtout la conséquence de la fragilité du statut juridique de ces Syriens au Liban, fragilité bien entendu intrinsèquement liée à l’état de guerre dans lequel se trouve leur pays. La majorité d’entre eux n’ont pas ou plus de visas de travail et sont donc à la merci des bailleurs, propriétaires immobiliers, intermédiaires commerciaux et employeurs libanais, sans parler de l’éventuelle décision d’expulsion que pourrait prendre l’État libanais à leur encontre. Occupés avant tout à survivre, ils vivent dès lors dans une situation paradoxale : tout en s’installant dans une logique de rattachement dans la durée à un espace urbain particulier, ils sont constamment menacés de procès en illégitimité et en illégalité, voire d’arrestations « au hasard » qui entraîneraient leur retour forcé en Syrie. Karim, le travailleur syrien évoqué au début de cet article, se retrouve dans l’incapacité de bouger, de se déplacer, voire de choisir entre rester ou partir. Bloqué dans le présent de sa survie quotidienne, il vit en même temps dans une situation d’assigné à résidence sur le territoire libanais. Ce qui est finalement une autre façon de vivre la guerre.
Notes
-
[1]
Luce Giard, Pierre Mayol, L’invention du quotidien. Tome 2. Habiter, cuisiner, Paris, 10/18, 1980, p. 7.
-
[2]
Human Rights Watch, Liban : montée des violences à l’encontre des réfugiés syriens. Les autorités devraient protéger les Syriens et traduire en justice les agresseurs, rapport (https://www.hrw.org/fr/news/2014/09/30/liban-montee-des-violences-lencontre-des-refugies-syriens).
-
[3]
Ces tensions ont abouti en juin 2014 à la mise en place d’un couvre-feu par la municipalité de Bourj Hammoud interdisant aux Syriens de sortir de chez eux au-delà de 20 heures.
-
[4]
Le Liban est le pays du Proche-Orient qui reçoit le plus de réfugiés syriens proportionnellement à sa population. On estime à 1,2 million le nombre de Syriens présents dans le pays, ce qui représente un cinquième de la population libanaise.
-
[5]
Michel Agier, Campement urbain : du refuge naît le ghetto, Paris, Payot, 2013, p. 39.
-
[6]
Tania El-Alam, Planning for Simultaneous Transience and Stability : Neighborhood Transformations in Nabaa, Beirut, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, Department of Urban Studies and Planning, 2014.
-
[7]
Joanne Randa Nucho, Everyday Sectarianism in Urban Lebanon. Infrastructures, Public Services and Power, Princeton, Princeton University Press, 2016, p. 66-70.
-
[8]
Annie Tohmé Tabet, Choghig Kasparian, Retour des déplacés forcés dans leurs villages au Liban. Damour, Bireh et Kfar Qatra (1992-2009), Beyrouth, Presses de l’Université Saint-Joseph, 2015, p. 131.
-
[9]
Mohamed Kamel Doraï, « Les mutations récentes de l’espace migratoire syro-libanais », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 119-120, 2007, p. 139-155.
-
[10]
Assaf Dahdah, « Mobilités domestiques internationales et nouvelles territorialités à Beyrouth (Liban) : le cosmopolitisme beyrouthin en question », Espace, populations, sociétés, 2-3, 2010, p. 267-279.
-
[11]
Actuellement, 30 % à 35 % de la population du quartier et près de 60 % de celle du secteur central des souks et de la grande mosquée chiite, d’après un rapport de UN-Habitat, Nabaa. Neibourghood, Profile and Strategy, mars 2017, p. 10 (https://reliefweb.int/report/lebanon/nabaa-neighbourhood-profile-strategy-bourj-hammoud-lebanon-march-2017).
-
[12]
Henrik Vigh, « Motion Squared : A Second Look at the Concept of Social Navigation », Anthropological Theory, 9 (4), 2009, p. 419-438. Pour H. Vigh, l’expression « navigation sociale » désigne la façon dont les gens parviennent, dans des contextes d’incertitude, à se détacher de structures contraignantes et à améliorer leur situation.
-
[13]
Michel de Certeau, L’invention du quotidien. Tome 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.
-
[14]
Bruno Latour, « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », dans André Micoud, Michel Péroni, Ce qui nous relie, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2000, p. 189-208.
-
[15]
Nous adhérons à la définition du quotidien que propose H. Vigh : « Nous sommes face au quotidien dès lors que nous présumons la continuité. En tant que tel, le quotidien est ce qui nous libère de l’obligation d’évaluer constamment le monde social, sociétal, politique ou physique dans lequel nous vivons ». H. Vigh, Navigating Terrains of War : Youth and Soldiering in Guinea-Bissau, Oxford, Berghahn Books, 2006, p. 156-157. Pour nous, guerre et déplacements forcés provoquent dans la continuité du quotidien une rupture telle que l’environnement matériel et les engagements sociaux des individus en viennent à perdre familiarité, fluidité et évidence.
-
[16]
Les entretiens mobilisés dans cet article ont été conduits en arabe et traduits par nos soins. Nous traduisons également les citations en anglais.
-
[17]
Élu et préposé à l’état-civil.
-
[18]
Les témoignages accompagnés d’un astérisque* ont été recueillis en 2017-2018 par Lamis Nasard, anthropologue de l’USJ.
-
[19]
Les Syriens désignent ainsi les membres du groupe État islamique.
- [20]
-
[21]
M. Agier, Campement urbain : du refuge naît le ghetto, op. cit., p. 32.
-
[22]
L’accès à certains de ces mini-territoires est marqué par la présence de barrières.
-
[23]
Il s’agit de quelques grandes organisations internationales (Caritas, World Vision, JRS, YMCA), nationales (Mouvement social, Arc-en-ciel, AFEL) et locales (Dar el-Amal, Libami). Certaines associations sont davantage rattachées à une communauté (Beitouna, Ayadina, Grow, Spring of Life) ou à un groupe ethnique (Armenian Relief Cross-Lebanon, Howard Karagheusian).
-
[24]
Kamel Doraï, Nicolas Puig, L’urbanité des marges : migrants et réfugiés dans les villes du Proche-Orient, Paris, Téraèdre-Ifpo, 2012, p. 14.
-
[25]
« Par “home” nous entendons les pratiques du quotidien qui contribuent à faire du lieu de déplacement un lieu ayant une signification particulière. De telles pratiques impliquent à la fois des notions matérielles et imaginaires du chez-soi et peuvent être des améliorations, voire des investissements dans des logements temporaires ; elles incluent les routines quotidiennes que les gens mettent en place dans ces habitations ; et intègrent les relations sociales que les gens développent dans un quartier, dans la section d’un camp ou dans d’autres institutions chargées de “s’occuper” des réfugiés et des déplacés forcés. » Cathrine Brun, Anita Fábos, « Making Homes in Limbo ? A Conceptual Framework », Refuge, 31 (1), 2015, p. 12 (https://refuge.journals.yorku.ca/index.php/refuge/article/view/40138).
-
[26]
D’après Grow, une ONG évangéliste qui se consacre à l’accueil des enfants et à la prévention contre les violences, 75 % des femmes et 70 % des enfants syriens du quartier seraient victimes de violences domestiques.
-
[27]
Sur ces questions, voir l’enquête de Mona Fawaz, Nizar Saghiyeh, Karim Nammour, « Case Study of Refugees in an Urban Context : Al-Naba’a », dans Housing, Land and Property Issues in Lebanon. Implications of the Syrian Refugee Crisis, UN Habitat, UNHCR, août 2014.
-
[28]
Voir l’article de Jamil Mouawad dans ce dossier.
-
[29]
Les Libanais ne déclarent pas ces loyers afin d’échapper à la taxe municipale.
-
[30]
Dawn Chatty, Displacement and Dispossession in the Modern Middle East, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
-
[31]
Les pertes et effets résultant des déplacements forcés ont été identifiés par Michael Cernea : perte de terres, d’emplois, de domicile, augmentation de la morbidité et de la mortalité, insécurité alimentaire, perte d’accès aux ressources de la communauté, désagrégation de la communauté. Michael Cernea, « La sociologie des déplacements forcés : un modèle théorique », Autrepart, 5, 1998, p. 11-28.
-
[32]
« Les déplacements forcés détruisent le tissu social et les formes existantes d’organisation sociale. Ils fragmentent les communautés, démantèlent les systèmes de production, dispersent les groupes de parenté et les réseaux familiaux, perturbent les marchés du travail et remettent en cause l’identité culturelle des expulsés. Les réseaux informels d’entraide, les associations bénévoles autochtones, les services organisés par les communautés, etc., sont dispersés et rendus inopérants. » Ibid., p. 20.
-
[33]
Jean Métral, « Économie et sociétés : stratégies alternatives et cultures de l’aléatoire », dans Riccardo Bocco, Ronald Jaubert, Françoise Métral (dir.), Steppes d’Arabies. États, pasteurs, agriculteurs et commerçants : le devenir des zones sèches, Paris, PUF, 1993.
-
[34]
Jean-Baptiste Pesquet, « Les récits de souffrance chez les réfugiés syriens au Liban », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 138, décembre 2015 (en ligne le 16 février 2016, consulté le 13 juin 2018).
-
[35]
Thierry Boissière, « Précarité économique, instabilité de l’emploi et pratiques sociales en Syrie », dans Élisabeth Longuenesse, Myriam Catusse, Blandine Destremau (dir.), « Le travail et la question sociale au Maghreb et au Moyen-Orient », dossier, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 105-106, 2005, p. 109-131.
-
[36]
Sur cette notion d’enchâssement, voir Karl Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 (1944). Sur la question de l’économie dans les rapports de parenté, voir Florence Weber, Le sang, le nom, le quotidien. Une sociologie de la parenté pratique, Paris, Aux Lieux d’être, 2005.
-
[37]
Nous transposons ici dans le registre de la pauvreté ce que l’historienne Simona Cerutti développe au sujet des étrangers et de leur incapacité à accéder de plein droit aux ressources locales. Simona Cerutti, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2012.
-
[38]
Une enquête récente (2017), réalisée par l’UNHCR, l’UNICEF et le PAM, précise que 76 % des ménages de réfugiés syriens au Liban vivent avec moins de 3,84 dollars par personne et par jour (http://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2018/1/5a5647d7a/etude-refugies-syriens-liban-appauvris-devenus-vulnerables-2017.html).
-
[39]
Seuls 19 % des familles de réfugiés syriens « déclarent que tous leurs membres disposent d’un titre de séjour légal ». Ibid.
-
[40]
Seuls 17 % des réfugiés syriens parviennent à s’acquitter de toutes les formalités de la procédure d’enregistrement de leurs enfants. Ibid.
-
[41]
Les données relatives aux ONG et aux associations proviennent d’un travail d’enquête réalisé entre octobre 2017 et janvier 2018 par Salomé Jacquet, étudiante en master de l’IEP de Grenoble et stagiaire à l’Ifpo.
-
[42]
Serge Paugam, Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF, 2005.
-
[43]
Luce Giard, Pierre Mayol, L’invention du quotidien. Tome 2. Habiter, cuisiner, Paris, Union générale d’éditions, 1980, p. 158.
-
[44]
Cet appauvrissement des habitudes alimentaires s’observe bien entendu aussi en Syrie, dans les zones échappant au contrôle du régime et va de simples stratégies de restriction à des situations de quasi-famine. Voir l’article de Leïla Vignal dans ce dossier.
-
[45]
C. Brun, A. Fábos, « Making Homes in Limbo ? A Conceptual Framework », art. cité, p. 7 (nous soulignons).
-
[46]
UN-Habitat, Nabaa. Neibourghood, Profile and Strategy, cité.
-
[47]
OIT, UNICEF, SCI et ministère du Travail, Children Living and Working on the Streets in Libanon : Profile and Magnitude, 2015 (http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_345015/lang--fr/index.htm).
-
[48]
Cette insécurité économique est aggravée par le contexte juridique national. En effet, depuis février 2017 un arrêté (41/1) paru au Journal officiel (n° 7, jeudi 9 février 2017) limite les activités pouvant être exercées par les travailleurs syriens aux seuls secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’environnement (déchets). Tous les autres secteurs leur sont interdits, car explicitement réservés aux Libanais.
-
[49]
Une enquête du ministère libanais de l’Économie et du Commerce ainsi qu’un rapport de l’Organisation internationale du travail, réalisés l’un et l’autre en 2013, signalaient la multiplication des établissements commerciaux tenus par des Syriens. Ils étaient alors estimés à environ 1 200 sur l’ensemble du territoire libanais. Ils sont actuellement plusieurs milliers : 54 % se trouvent dans la Bekaa, 29 % à Beyrouth et sa banlieue proche (principalement à Hamra et à Bourj Hammoud - Nabaa), 9 % au Liban nord et 8 % dans le sud. Accusés de concurrence déloyale par les commerçants libanais, ces établissements font depuis deux ans l’objet de fermetures de la part de certaines municipalités.
-
[50]
Sur cette pratique informelle, voir Emmanuelle Durand, « Des routes migratoires aux rues marchandes. Vendeurs de rue syriens à Beyrouth », Hommes et Migrations, 1319, 2017, p. 125-134.
-
[51]
UN-Habitat, Nabaa. Neibourghood, Profile and Strategy, cité, p. 11.
-
[52]
L’investissement des Syriens dans le commerce est également observable dans d’autres quartiers, comme celui de Hamra étudié par Mona Harb, Ali Kassem et Watfa Najdi dans « Entrepreneurial Refugees and the City : Brief Encounters in Beirut », Journal of Refugee Studies, février 2018 (https://academic.oup.com/jrs/advance-article/doi/10.1093/jrs/fey003/4833579).
-
[53]
Sur ce contexte d’insécurité dans lequel vivent la plupart des Syriens au Liban et notamment les commerçants, voir M. Harb, A. Kassem, W. Najdi, « Entrepreneurial Refugees and the City : Brief Encounters in Beirut » art. cité, p. 13-14.
-
[54]
Mohammad Al-Dbiyat, « Pauvreté et aridité dans les marges arides syriennes. Le cas du village du Cheikh Hilal », dans Blandine Destremau, Agnès Deboulet, François Ireton (dir.), Dynamiques de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Paris, Karthala et URBAMA, 2004.
-
[55]
À ces deux grands profils, il conviendrait sans doute d’ajouter celui de quelques investisseurs syriens qui louent plusieurs locaux commerciaux et y font travailler des vendeurs syriens.
-
[56]
Franck Mermier, Michel Peraldi, « Introduction », dans F. Mermier, M. Peraldi, Mondes et places du marché en Méditerranée. Formes sociales et spatiales de l’échange, Paris, Karthala, 2005.
-
[57]
M. Agier, Campement urbain : du refuge naît le ghetto, op. cit., p. 21.
-
[58]
Chiffonniers fouillant dans les poubelles et récupérant les objets jetés, dont des vêtements.
-
[59]
La présence de ces produits syriens, dont les filières d’acheminement restent encore à étudier, témoigne de la persistance du commerce et de voies de circulation malgré la guerre, ainsi que de la capacité d’adaptation de certains industriels syriens qui produisent désormais à partir de la Turquie, de la Jordanie ou du Liban.
-
[60]
Cette recherche sur les pratiques économiques des Syriens de Nabaa ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous ignorons ainsi quelle place et quel rôle ceux-ci peuvent jouer dans les réseaux d’une certaine économie souterraine, celle de la mendicité, de la drogue et de la prostitution, présente à Nabaa et qui se déploie, à partir du quartier, en suivant des logiques et des filières partisanes et confessionnelles.