Couverture de CRII_079

Article de revue

Les « regroupements » de la guerre d’Algérie, des « villages stratégiques » ?

Pages 25 à 43

Notes

  • [1]
    Cette note a depuis fait l’objet d’une réédition critique. Michel Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2003.
  • [2]
    Fabien Sacriste, « Les camps de “regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », thèse de doctorat en histoire, Université de Toulouse II Jean Jaurès, 2014. L’auteur remercie les trois évaluateurs et évaluatrices de Critique internationale. Leurs lectures attentives et leurs conseils avisés ont largement contribué à donner à cet article sa forme présente.
  • [3]
    J’utiliserai désormais le terme de « regroupement » sans guillemets, afin de ne pas alourdir le texte.
  • [4]
    Pierre Bourdieu, Abdelmalek Sayad, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964.
  • [5]
    Michel Cornaton, Les regroupements de la décolonisation en Algérie, Paris, Les Éditions ouvrières, 1967.
  • [6]
    Voir par exemple Michel Lesne, « Une expérience de déplacement de population : les centres de regroupement en Algérie », Annales de géographie, 388, 1962, p. 567-603 ; Keith Sutton, « The Influence of Military Policy on Algerian Rural Settlement », The Geographical Review, 71 (4), 1981, p. 379-394.
  • [7]
    Charles-Robert Ageron, « Une dimension de la guerre d’Algérie : les “regroupements” de populations », dans Maurice Vaïsse, Jean-Charles Jauffret, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Paris, André Versaille Éditeur, 2001, p. 327-362 ; Moritz Feichtinger, « “A Great Reformatory” : Social Planning and Strategic Resettlement in Late Colonial Kenya and Algeria, 1952-63 », Journal of Contemporary History, 52 (1), 2017, p. 45-72.
  • [8]
    Elizabeth van Heyningen, The Concentration Camps of the Anglo-Boer War : A Social History, Johannesburg, Jacana Media, 2013 ; Iain R. Smith, Andreas Stucki, « The Colonial Development of Concentration Camps (1868-1902) », The Journal of Imperial and Commonwealth History, 39 (3), 2011, p. 417-437.
  • [9]
    Karl Hack, « The Malayan Emergency as a Counter-Insurgency Paradigm », Journal of Strategic Studies, 32 (3), 2009, p. 383-414 ; Caroline Elkins, Imperial Reckoning : The Untold Story of Britain’s Gulag in Kenya, New York, Henry Holt and Company, 2005 ; Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), Paris, La Découverte, 2011, p. 264-276 ; Élie Tenenbaum, « Les déplacements de populations comme outil de contre-insurrection : l’exemple du programme des hameaux stratégiques au sud-Vietnam », Guerres mondiales et conflits contemporains, 239, 2010, p. 119-141.
  • [10]
    Même si des transferts de pratiques ne sont pas attestés. Ainsi, en Algérie, les premiers regroupements firent l’objet d’une « réinvention » sans imitation du précédent indochinois. F. Sacriste, « Les camps de “regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », cité, chap. I, « Le repli des douars de l’Aurès », p. 135-216.
  • [11]
    Christian Gerlach, Extremely Violent Society. Mass Violence in the 20th Century World, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
  • [12]
    D’où le terme qu’il utilise pour les décrire de « violence durable ». C. Gerlach, « Sustainable Violence : Mass Resettlement, Strategic Villages, and Militias in Anti-Guerrilla Warfare », dans Richard Bessel, Claudia B. Haake, Removing Peoples. Forced Removal in the Modern World, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 361-393.
  • [13]
    Annette Wieviorka, « L’expression “camp de concentration” au XXe siècle », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 54 (1), 1997, p. 4-12.
  • [14]
    F. Sacriste, « La “Méthode Mao” contre les “Mille Villages” ? Réflexion sur l’historiographie des camps de regroupement », dans Aïssa Kadri, Moula Bouaziz, Tramor Quemeneur (dir.), La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards, Paris, Karthala, 2015, p. 179-186.
  • [15]
    Dans ma thèse, je me suis concentré sur les interactions au sein de l’État pour écrire l’histoire des regroupements, au détriment de l’enquête orale auprès des populations anciennement regroupées, travail nécessairement complémentaire, mais impossible à réaliser dans un temps aussi court. Je me suis dès lors appuyé sur un corpus hétérogène d’archives provenant du Service historique de la Défense (SHD), particulièrement précieuses pour l’histoire militaire des camps, et surtout sur les fonds de l’administration, conservés aux Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM) d’Aix-en-Provence, qui permettent d’écrire cette histoire sous un nouvel angle. La gestion du regroupement a été le plus souvent déléguée aux administrations territoriales, dominées pendant une grande partie de la guerre par les militaires. Parmi ces archives, celles des officiers des Sections administratives spécialisées (SAS), peu utilisées (excepté par Grégor Mathias, Les Sections administratives spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), Paris, L’Harmattan, 1998, qui en livre une lecture souvent proche de la rhétorique du pouvoir colonial), permettent d’étudier les regroupements à l’échelon le plus local.
  • [16]
    Le terme d’urbanisation, qui désigne le processus de croissance de la population urbaine et d’extension des villes, correspond mal aux enjeux du regroupement. Ce dernier contribue plus à un phénomène proche de ce que certains géographes qualifient de « rurbanisation », « processus d’urbanisation rampante de l’espace rural » (voir le dictionnaire de géographie proposé par geoconfluences.ens-lyon.fr) qui favorise une transformation des modes de vie dans les campagnes par l’introduction de pratiques sociales, économiques et culturales propres à l’espace urbain. Laurence Thomsin, « Un concept pour le décrire : l’espace rural rurbanisé », Ruralia, 9, 2001, en ligne). Si le terme est anachronique dans le contexte algérien des années 1960, le regroupement n’en contribue pas moins à la diffusion d’un modèle culturel urbain en milieu rural, à la différence près qu’ici cette « rurbanisation » n’est pas rampante, mais dirigée et autoritaire, inscrite dans un rapport de domination propre à la situation coloniale.
  • [17]
    Ce terme désigne un processus consistant à regrouper des habitations dispersées en milieu rural et à les équiper selon certains critères. Il est utilisé notamment par James C. Scott pour la Tanzanie. James C. Scott, Seeing Like a State. How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, New Haven, Yale University Press, 1998.
  • [18]
    Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Paris, Fayard, 2002.
  • [19]
    Dalila Aït El -Djoudi, La guerre d’Algérie vue par l’ALN (1954-1962). L’armée française sous le regard des combattants algériens, Paris, Autrement, 2008.
  • [20]
    Situées dans le Sud-Est algérien, ces régions furent les plus touchées par l’insurrection de novembre 1954. Mohammed Harbi, 1954. La guerre commence en Algérie, Paris, Éditions Complexe, 1998.
  • [21]
    Le 20 août 1955, le Nord-Constantinois fut le théâtre d’une insurrection populaire suivie d’une importante répression menée par l’armée française et les milices européennes. Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2010.
  • [22]
    La région géographique entourant la « ligne Morice », nom du barrage électrifié construit pour gêner les passages du FLN-ALN entre l’Algérie et la Tunisie, fut en effet totalement vidée de sa population après 1957.
  • [23]
    Denis Leroux, « La “Doctrine de la guerre révolutionnaire” : théories et pratiques », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale, Paris, La Découverte, 2014, p. 532.
  • [24]
    Né en 1914, Paul Delouvrier fut inspecteur des Finances en 1941, directeur du cabinet de René Mayer (ministre des Finances et des Affaires économiques) en 1947, et membre de l’équipe de Jean Monnet, président de la Haute Autorité de la CECA à Luxembourg, de 1955 à 1958. En décembre 1958, le général de Gaulle lui demanda de prendre la tête de la Délégation générale en Algérie, fonction qu’il occupa jusqu’en novembre 1960.
  • [25]
    Le « plan Challe » consista en une vaste série d’opérations menées d’est en ouest entre 1959 et 1960, et dont le but était de réduire au maximum les maquis de l’ALN pour affaiblir le FLN.
  • [26]
    Le Corps d’armée de Constantine est l’échelon militaire couvrant tout le territoire de l’Est algérien.
  • [27]
    Corps d’armée de Constantine, Cabinet civil, Lettre du général de division Gilles, commandant le CAC et Ex-PCM pour l’Est algérien, aux généraux commandants de zones, 14 juin 1958, SHD/1H3614.
  • [28]
    « Le procédé le plus courant des populations voulant échapper à l’emprise rebelle est de se regrouper sous protection de nos postes », déclare l’Igame (Inspecteur général de l’Administration en mission extraordinaire) Maurice Papon à la radio, le 17 septembre 1957, ANOM/93202-16.
  • [29]
    Mechta Kasbah est le nom d’un village qui fut le lieu d’un massacre, par l’ALN, de la population masculine du douar Beni Ilmane, proche d’un mouvement nationaliste concurrent, le Mouvement national algérien. La population de Beni Ilmane demanda ensuite son regroupement auprès d’une unité militaire, fait qui fut particulièrement exploité par les services d’information du Gouvernement général. Jacques Simon, Le massacre de Melouza. Algérie, juin 1957, Paris, L’Harmattan, 2006.
  • [30]
    Cette méthode fut utilisée dans l’Aurès en 1954, ou dans le Nord-Constantinois, où la fabrication de tracts était inscrite au budget civil (voir les dossiers relatifs à la question dans ANOM/93-348).
  • [31]
    SAS de Catinat, Rapport mensuel, mai 1957, ANOM/8SAS-63.
  • [32]
    Terme utilisé ici dans son acception militaire désignant une « opération consistant à faire circuler de petites unités d’infanterie à l’intérieur d’une zone où des éléments adverses sont supposés présents ».
  • [33]
    Le 10 juillet par exemple, à la mechta Mahcene, « la 10e Cie trouve du bétail qu’elle tue, des cachettes de blé et de vêtements qu’elle détruit. Aucune trace d’occupation à part une vieille femme. (...) La 9e Cie fouille la crête au sud de la mechta Mahcene et brûle les mechtas qui restent ». Quartier de Taher, 13e DBLE, CR de l’opération des 10-11-12 juillet 1957, SHD/1H-4420.
  • [34]
    P. Bourdieu, A. Sayad, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, op. cit., p. 26.
  • [35]
    Deux blockhaus furent construits dans le camp de Méziet (SAS d’Oued Mouger, Nord-Constantinois) avec deux tours, le système comptant six militaires à chaque extrémité du camp (ANOM/8SAS-130).
  • [36]
    La Zone Nord-Constantinois est un échelon militaire inférieur au Corps d’armée de Constantine, regroupant les Secteurs et départements du Nord-Est algérien (Constantine, Philippeville, Collo, etc.).
  • [37]
    Zone Nord-Constantinois, « Regroupements de populations », SHD/1H-2030. Les citations qui suivent en sont extraites.
  • [38]
    François-Xavier Hautreux, La guerre d’Algérie des harkis, Paris, Perrin, 2013.
  • [39]
    Les SAS furent créées afin de compléter et aider l’administration coloniale algérienne au cours du conflit : en 1961, plus de 700 d’entre elles quadrillaient ainsi le territoire. À l’exception de G. Mathias (Les Sections administratives spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), op. cit.), peu de chercheurs ont travaillé sur cette administration militaire permettant d’aborder les parcours, souvent diversifiés, de ces officiers aux expériences coloniales parfois prononcées (Maroc, Indochine), mais aussi engagés de fraîche date dans le but de mener une autre forme de guerre en Algérie.
  • [40]
    Inspection générale des Regroupements, « Les regroupements de population en Algérie. Rapport du chef de Bataillon Florentin, de l’Inspection générale des Regroupements », 11 décembre 1960.
  • [41]
    F. Sacriste, « Les camps de “regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », cité, p. 772-780.
  • [42]
    Les Affaires indigènes du Maroc étaient « la colonne vertébrale du Maroc lyautéen » : ses officiers administrateurs, chargés notamment du renseignement, représentaient l’administration coloniale en milieu rural. Daniel Rivet, Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc (1912-1925), Paris, L’Harmattan, 1988.
  • [43]
    Engagé volontaire en 1915, Gaston Parlange (1897-1972) termina la Grande Guerre à la tête d’un Régiment de tirailleurs marocains, ce qui l’incita à solliciter son affectation au Maroc. Il intégra le Service de renseignements créé par Lyautey (1924) puis fut nommé chef d’un important bureau indigène (Tounfit, 1931) où il dut assurer la « pacification » du versant nord du Haut Atlas. Après la seconde guerre mondiale, il gravita dans les hautes sphères des AIM : il fut commandant de la Subdivision d’Agadir et des confins algéro-mauritano-marocains en 1955, date à laquelle le Président du Conseil réclama sa présence dans l’Aurès où il souhaitait le voir transférer les méthodes de la « pacification lyautéenne » (Dossier de carrière du général : SHD/Yd 542).
  • [44]
    Cette expérience déboucha, après 1956, sur la création des SAS.
  • [45]
    Sous-préfecture de Batna, « Regroupement de populations isolées », 16 septembre 1955, ANOM/932-45.
  • [46]
    Commandement civil et militaire des Aurès-Nemencha, « Directives politiques », janvier 1956, ANOM/93-139.
  • [47]
    Né en 1904, ce Saint-Cyrien mena surtout sa carrière en colonies. Affecté à Oran pendant la seconde guerre mondiale, il fut nommé capitaine au début de la guerre d’Indochine (1947), et général de Brigade à la fin (1954). Mis à la disposition de la Xe RM en 1955, il fut nommé adjoint du général Parlange, mais les relations entre les deux hommes étaient souvent tendues en raison de leurs conceptions divergentes de la guerre. Proche des partisans de la DGR, Paul Vanuxem reçut en 1957 la responsabilité de l’une des zones clés du conflit : la frontière tunisienne où se déroulait alors la « bataille des frontières » (SHD/Yd 901).
  • [48]
    Né en 1918, Jacques Lenoir débuta sa carrière de haut fonctionnaire dans l’administration marseillaise en 1944. D’abord sous-préfet d’Apt, il partit pour l’Algérie en 1952, où il fut successivement sous-préfet de Batna (Aurès), puis de Sétif, poste qu’il occupait encore en octobre 1955, lorsque le préfet Pierre Dupuch lui proposa de revenir dans l’Aurès. Adjoint du général Parlange, il joua dès lors un rôle prépondérant dans l’évolution de la politique de « pacification », mais, privé du poste de préfet qui lui avait été promis, il quitta l’Aurès et rejoignit en 1957 le cabinet du ministre résident à Alger (Dossier de carrière : ANOM/GIE-312).
  • [49]
    Préfecture de Batna, « Instructions relatives au regroupement des populations », 1957, ANOM/6SAS-49.
  • [50]
    Ce fut en tout cas ce qu’il advint dans l’immédiat dans le Sud-Est algérien, où cette distinction servit à justifier le regroupement de plus de 15 000 personnes dans les Nemencha, selon le programme prévu par P. Vanuxem (Zone opérationnelle des Aurès-Nemencha, Rapport n° 162, 14 janvier 1957, in ANOM/3R/430), et ce sans attendre la réception des crédits préfectoraux, qui ne vinrent jamais...
  • [51]
    Le général Raoul Salan, commandant du Commandement supérieur interarmées, craignait les conséquences négatives du déracinement sur la psychologie des populations dans une guerre qu’il envisageait d’abord comme « psychologique ». Commandement supérieur interarmées, « Regroupement de populations », SHD/1H-2030.
  • [52]
    En février 1956, après la victoire du Front républicain et la formation d’un nouveau gouvernement par le socialiste Guy Mollet, un ministère de l’Algérie fut créé et confié à Robert Catroux, puis à Robert Lacoste, qui prit ainsi la suite du gouverneur général Jacques Soustelle. Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions 1945-1962, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 38.
  • [53]
    Pour aménager les camps, l’administration locale commença en effet à puiser dans les crédits destinés à concrétiser différentes réformes du milieu rural, cœur de la politique algérienne de Robert Lacoste.
  • [54]
    Direction des Affaires politiques et de la Fonction publique du Gouvernement général en Algérie, « Regroupements de populations », 12 novembre 1957, ANOM/13Cab-56. Les citations qui suivent en sont extraites.
  • [55]
    J. Lenoir, l’adjoint civil du général Parlange, dirigeait alors la Direction des Affaires politiques et de la Fonction publique du GGA. C’est lui qui fut chargé par R. Lacoste de préparer le texte de la directive.
  • [56]
    Direction des Affaires politiques et de la Fonction publique du Gouvernement général en Algérie, « Regroupements de populations », cité.
  • [57]
    Délégation générale du Gouvernement en Algérie, « Reconstruction et habitat. Conférence de presse de M. Louis Gas. Alger, 23 février 1960 », brochure éditée par les services de la DGGA (archives personnelles).
  • [58]
    Il est difficile de retracer le parcours de ce fonctionnaire algérien, dont le dossier ne semble pas avoir été conservé aux Archives nationales d’Outre-Mer.
  • [59]
    Commissariat à la Reconstruction et à l’Habitat rural, « Application de l’arrêté du 25/09/1956 relatif à l’amélioration de l’habitat traditionnel des populations rurales d’Algérie », septembre 1956, ANOM/932-119.
  • [60]
    Il entendait substituer au « gourbi » un habitat standardisé (« des maisons qui ont 18 m2, 2 pièces, une cour qui fait à peu près 20 m2 avec un appentis dans la cour ») et peu coûteux, afin de « comprimer la dépense pour qu’elle soit dans la mesure des possibilités de l’État ». DGGA, « Reconstruction et habitat. Conférence de presse de M. Louis Gas. Alger, 23 février 1960 », cité.
  • [61]
    Préfecture d’Oran, Lettre de l’Igame au préfet de Tiaret, 14 janvier 1958, Archives nationales d’Algérie (n/c).
  • [62]
    Délégation générale du Gouvernement, Décision n° 10.786/CC, 9 novembre 1959, SHD/1H-1119.
  • [63]
    Délégation générale du Gouvernement, « Mille Villages », mai 1960, SHD/1H-2574.
  • [64]
    Sur le Plan de Constantine, voir Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie, Paris, Flammarion, 2002.
  • [65]
    D’après une étude statistique des questionnaires de la SAS de Philippeville (ANOM/8SAS-108).
  • [66]
    D’après une étude statistique des questionnaires de la sous-préfecture de Tébessa (ANOM/9336-14).
  • [67]
    IGA, « Rapport à Monsieur le délégué général », 1958, ANOM/15CAB-129.
  • [68]
    Lorsque les habitations étaient construites à partir d’une structure métallique distribuée par l’administration.
  • [69]
    Le regroupement de Médina est un exemple très documenté, du fait de la bonne conservation des archives de la SAS et du département aux ANOM. Il est également possible de lire l’histoire de ce « village » dans Fanny Colonna, Le meunier, les moines et le bandit. Des vies quotidiennes dans l’Aurès (Algérie) du XXe siècle, Arles, Actes Sud, 2010, « Dans la tornade de la révolution », p. 122-130.
  • [70]
    Unique, même, dans tout le Sud-Est algérien, où il servit de vitrine à la politique des « Mille Villages » après 1959.
  • [71]
    SAS de Médina (Aurès). « Le village de Médina », 1962, SHD/1H-1213. Ce document est extrait d’une série de témoignages recueillis par le Service des Affaires algériennes dans les derniers mois de la guerre afin d’illustrer l’action des officiers et leur contribution à la « pacification ». Ce fonds se révèle particulièrement partial si l’on veut aborder la guerre proprement dite, mais il présente un intérêt certain lorsqu’il s’agit d’étudier une certaine « mythologie » qui insiste sur l’action sociale et économique de l’armée au détriment de l’action militaire et policière.
  • [72]
    IGRP, « Rapport du général Parlange », 15 décembre 1960, SHD/1H-1119.
  • [73]
    Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962, p. 212.
« Regroupement ne signifie pas camp d’internement mais village ou hameau : un foyer de vie locale organisé et destiné à trouver, dans la paix et la sécurité restaurées, son plein épanouissement. »
La Dépêche de Constantine, 13 juin 1961

1 ll peut sembler étonnant de parler de « villages » pour désigner les « regroupements » créés par l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), tant ce terme fut alors utilisé pour atténuer la violence de ces déplacements massifs et forcés de populations rurales. Plus de 2,5 millions d’Algériens furent en effet « regroupés » au cours de ce conflit dans l’un des 2 000 « centres de regroupement » créés, surveillés et encadrés par l’armée française. Destinée à lutter contre la guérilla de l’Armée de libération nationale (ALN), cette pratique à la fois militaire, politique et administrative, entraîna le déracinement et la précarisation des communautés paysannes, populations déjà fragilisées dans le contexte colonial. La situation resta inconnue de l’opinion publique jusqu’à la publication, dans Le Monde en mars 1959, d’une note de Michel Rocard, alors stagiaire de l’ENA [1]. Le scandale qui s’ensuivit incita le gouvernement français à lancer la politique des « Mille Villages », dont l’ambition affichée était de faire de ces « regroupements » des lieux de vie destinés autant à combattre l’ALN qu’à favoriser le développement du milieu rural. Le martèlement de ce mot d’ordre par l’administration et la presse contribua à substituer l’image du « village » à celle du « camp », bien que la grande majorité des regroupements aient relevé bien plus des seconds que des premiers à la fin du conflit [2].

2 Depuis la publication de la note de Michel Rocard, l’histoire de ces regroupements [3] a suscité l’intérêt de nombreux chercheurs, soucieux d’objectiver surtout leurs conséquences humaines sur le moyen et le long terme. Les sociologues Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad ont souligné la déstructuration économique et sociale des ruraux « déracinés » [4], perspective reprise par Michel Cornaton qui a également proposé une première approche historique de la pratique [5], tandis que des géographes confirmaient les conséquences spatiales de cette stratégie et la pérennité des regroupements après l’indépendance [6]. L’ouverture des archives a favorisé un renouveau de la recherche historienne, qui s’était peu intéressée à la question depuis l’indépendance [7]. Ce renouveau s’inscrit dans un regain d’intérêt de la recherche internationale pour la pratique des déplacements forcés qui, loin de se limiter à l’Algérie, a largement marqué les conflits du XXe siècle, des « premiers camps » d’Afrique du Sud, de Cuba ou des Philippines [8], à ceux des guerres de décolonisation en Malaisie, au Kenya, au Cameroun ou au Vietnam [9]. Désignés par des noms qui les inscrivent dans le champ sémantique du village (« villages d’autodéfense » au Cambodge, « hameaux stratégiques » au Vietnam), les camps postérieurs à la seconde guerre mondiale ont donné lieu à des pratiques souvent proches [10], qui tendent à constituer un nouveau type d’institution que Christian Gerlach a qualifié de « village stratégique » [11]. Créé dans un contexte d’insurrection ou de lutte de guérilla, celui-ci implique le transfert autoritaire de populations civiles vers des lieux où elles sont soumises à une surveillance administrative et militaire constante, mais aussi relativement prises en charge afin de résorber les difficultés nées de leur déracinement. Cette politique implique des violences directes (destruction de villages) et indirectes (précarisation, surmortalité) mais induit également une transformation globale des communautés rurales [12], du fait des actions sociales, économiques et politiques entreprises au sein des « villages ». Ces derniers viseraient alors aussi à « moderniser » la société paysanne pour mieux assurer la souveraineté de l’État protagoniste sur le territoire qui lui est disputé en lui donnant une assise paysanne.

3 Une telle perspective n’est pas sans questionner la catégorisation de cette pratique et de ces lieux, tant elle les distingue de cette famille de dispositifs concentrationnaires propres à l’ère contemporaine que sont les « camps ». L’usage du mot « village » dans le contexte des guerres de décolonisation vise en effet à éviter celui de « camp », moins de dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, qui a profondément transformé la charge sémantique de ce terme [13]. Or son utilisation historiographique peut impliquer l’idée que ces lieux furent bel et bien des villages, ou qu’à tout le moins leurs concepteurs envisagèrent la mise en camp comme une forme d’urbanisation du milieu rural visant à contrôler la population autant qu’à la « conquérir » par un effort de développement de son mode de vie. Cette problématique a déjà suscité des divergences d’analyses des regroupements en Algérie, notamment entre P. Bourdieu et A. Sayad et M. Cornaton, au sujet de l’intentionnalité de la pratique [14]. Elle prolonge un débat né dans le contexte même de la guerre où le regroupement fut l’enjeu d’une lutte entre acteurs de l’État, donnant l’impression d’une contradiction entre une pratique stratégico-militaire assumée par les autorités militaires et l’ambition affichée par l’administration de « moderniser » la société rurale algérienne. Les archives civiles et militaires, qui se caractérisent par leur profusion – écho de l’ampleur démographique d’un phénomène qui toucha la moitié de la population rurale et suscita une intense activité bureaucratique – sont fortement marquées par ces tensions et offrent la possibilité d’une étude empirique abordant la pratique au prisme de la multiplicité des points de vue des acteurs impliqués [15].

4 Dans cette perspective étatique, le regroupement peut-il être considéré comme l’un de ces « villages stratégiques » qui consacrent une certaine forme d’urbanisation [16] comme arme de guerre, visant autant à lutter contre une guérilla nationaliste qu’à favoriser le développement d’un milieu rural pour s’assurer une assise paysanne ? Le fait d’adopter ce terme de « village » comme catégorie d’analyse historiographique ne conduit-il pas à donner, dans l’analyse de l’intentionnalité de la pratique, une importance disproportionnée à l’ambition de transformation sociétale du milieu rural ? Avant de tenter de répondre à ces questions, il convient de rappeler que le « village » n’apparaît que tardivement en Algérie, dans un paysage où le « regroupement » est déjà bien installé : il désigne alors une pratique de déplacement forcé de civils et le lieu qui permet leur encadrement, au prix bien souvent de leur stabilité économique. Certains acteurs étatiques mettent en avant l’idée que ces regroupements, à condition d’être convenablement pensés et aménagés, pourraient donner naissance à de véritables lieux de vie modernisés. Une idée dont les usages sont cependant multiples, oscillant entre la justification pratique d’opérations strictement militaires et la croyance en la possibilité réelle de transformer le milieu rural par un développement autoritaire. La mise en œuvre de cette idée est pourtant très loin de se concrétiser, sur le terrain, par la « villagisation » [17] de l’Algérie rurale : bien plus que de nouveaux « villages », ce sont des camps d’un nouveau type qui couvrent ce territoire colonial entre le début et la fin de la guerre d’indépendance.

Des « centres » de regroupement ?

5 Le « regroupement » de populations civiles fut l’un des principaux moyens utilisés par la France pour combattre le Front de libération nationale (FLN) en milieu rural, où ce parti avait pris dès 1955 l’ascendant sur les populations algériennes [18]. Le Congrès de la Soummam (août 1956) permit au FLN de s’organiser en véritable contre-État et d’homogénéiser les structures de l’ALN. La guérilla rurale gagna en efficacité et les actions des nationalistes se multiplièrent [19]. Les combattants algériens possédaient une connaissance du terrain que n’avait pas l’armée, et celle-ci avait les plus grandes difficultés à obtenir de la population les renseignements nécessaires à ses opérations. Progressivement, le FLN réussit à s’imposer comme un concurrent sérieux de l’État colonial. À cette montée en puissance répondit jusqu’en 1957 l’envoi toujours plus massif de troupes, un quadrillage militaro-administratif du territoire toujours plus poussé et certaines innovations stratégiques, en l’occurrence le regroupement, tout d’abord expérimenté à petite échelle, puis codifié et diffusé dans toute l’Algérie de 1957 à 1959.

6 D’un point de vue stratégique, le regroupement consista à interdire toutes présence et circulation humaines dans les zones favorables aux nationalistes, puis à déplacer les populations qui y vivaient vers des lieux surveillés par l’armée. La géographie des regroupements dépendit, dans les premières années de la guerre (1954-1957), de l’évolution des principaux théâtres opérationnels. C’est dans le Constantinois (Est algérien), où l’insurrection fut la plus forte, que la mesure se développa : dans l’Aurès et les Nemencha [20], puis dans le Nord-Constantinois après l’insurrection d’août 1955 [21], ou sur la frontière algéro-tunisienne transformée en un vaste no man’s land lors de la « bataille des frontières » [22]. Dès 1957, la pratique se répandit sur l’ensemble du territoire, parallèlement à l’arrivée des officiers d’Indochine et à la montée en puissance de la « Doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR) dans les cercles de réflexion et de décision militaires [23]. Face à cette « guerre révolutionnaire » – qui, pour les théoriciens français, avait pour objectif « le contrôle absolu des cœurs et des esprits », le fait « de s’emparer du pouvoir en s’assurant progressivement le contrôle physique et psychologique des populations » –, le regroupement apparaissait comme un instrument permettant de retourner contre les révolutionnaires leurs propres armes. De 1957 à 1959 – et notamment après les événements de mai 1958 au cours desquels les militaires se substituèrent à l’autorité civile à tous les niveaux –, un million d’Algériens furent ainsi « regroupés » dans un millier de ces « centres ». La situation le plus souvent misérable de ces derniers poussa Paul Delouvrier [24], délégué général du Gouvernement après 1959, à interdire la création de nouveaux regroupements. Vaine mesure : c’est pendant le « plan Challe » [25] que la pratique atteignit son paroxysme, l’armée procédant alors au déplacement d’un autre million d’individus.

7 Fruit d’une organisation séculaire dépendante de contraintes agraires et hydrauliques, l’éparpillement de l’habitat en une multitude de « mechtas » (petits groupes d’habitations rurales dans le Constantinois) servit le plus souvent de justification au regroupement des familles paysannes. Cette « dispersion » de l’habitat, selon le terme qui s’imposa alors avec toutes ses implications normatives, aurait constitué une entrave à la recherche du renseignement opérationnel comme à l’action administrative et politique devant favoriser la reprise en main des populations. Le général Gilles, commandant le Corps d’armée de Constantine [26], écrivait ainsi en 1958 : « La dispersion de l’habitat est telle qu’il faut envisager, parfois, des regroupements partiels afin d’assurer une protection efficace » [27]. Le terme de « protection » illustre bien le discours tenu par l’armée tout au long de la guerre pour justifier son action, au-delà d’une lutte contre la « dispersion » : la population était « favorable » à son propre regroupement et l’attendait même comme une protection contre la violence du FLN-ALN, qu’elle ne soutenait que contrainte et forcée [28]. Or, à l’exception de cas isolés – tel celui, célèbre, de Mechta Kasbah [29] –, la plupart des regroupements furent organisés et menés manu militari, selon des modalités très variables. Il était fréquent que l’armée et l’administration se contentent d’annoncer publiquement – par haut-parleurs ou, plus souvent, par lâchers de tracts –, la création de zones interdites que les populations devaient quitter pour se regrouper dans les « centres » [30]. Rarement suivie des effets escomptés, cette mesure s’accompagnait d’opérations de ratissage des zones interdites visant à ramener les populations récalcitrantes vers les postes militaires. Ce fut le cas du regroupement des deux douars M’Barek et Béni Sbihi, considérés comme des soutiens de l’ALN par le responsable de la SAS de Catinat (Nord-Constantinois). À sa demande, l’unité du Quartier (l’échelon militaire le plus local) mena plusieurs opérations nocturnes afin d’encercler les petits villages de montagne et d’empêcher la fuite de leurs populations : surprises à l’aube, celles-ci furent forcées de suivre les militaires jusqu’à une route où les attendaient des camions qui les transportèrent ensuite vers le camp de Catinat [31]. La plupart de ces opérations s’accompagnaient d’importantes destructions, comme dans la SAS voisine de Taher où les troupes du Quartier reçurent l’ordre, en juin 1957, de nomadiser [32] dans les montagnes afin de détruire les mechtas et les biens qui s’y trouvaient pour que les membres de l’ALN ne puissent les utiliser [33].

8 Le regroupement ne se limitait toutefois pas à une opération militaire : c’était un lieu qui rendait possible un encadrement total des ruraux. L’armée et l’administration utilisèrent le terme de « centre », qui relève de l’euphémisme administratif permettant d’éviter celui de « camp ». Reste que le « centre de regroupement » présentait le plus souvent l’allure d’un camp : un ensemble de bâtiments divers (militaires, administratifs, économiques et sociaux) et d’habitations, organisé sur le modèle de la « centuriation » romaine bien analysé par P. Bourdieu et A. Sayad [34] et entouré d’un dispositif sécuritaire constitué a minima d’un réseau de barbelés, parfois aussi de portiques, de tours de surveillance, de blockhaus[35]. Ce dispositif tenait grâce à la présence de l’armée qui gérait et encadrait le camp et imposait, là aussi avec d’importantes variations, des règles strictes d’entrée et de sortie, ou de discipline à l’intérieur des regroupements. Une directive de la Zone Nord-Constantinois [36] précise les contours de ce dispositif : « L’emplacement du regroupement doit se trouver au pied d’un poste, de manière à ce que la surveillance en soit assurée totalement de nuit par des projecteurs éclairant les abords par intermittence » [37]. À cette surveillance de l’espace s’ajoutait la discipline du corps social : « Chaque matin aussitôt le lever du soleil tous les hommes sont rassemblés et il est procédé à leur appel. Il en est fait de même chaque soir ». Les entrées et les sorties étaient strictement contrôlées : « Personne n’a le droit de quitter le regroupement sans l’autorisation du Chef de Poste. Les hommes se rendant aux travaux agricoles sont nommément désignés et ne peuvent emporter que les vivres qui leur sont indispensables pour la journée. Ils sont fouillés au départ et au retour ». La surveillance se prolongeait par des activités d’encadrement visant à embrigader la population, à la compromettre avec l’autorité coloniale, par l’enrôlement, surtout, dans les troupes supplétives [38]. Les actions à destination de la population ne se réduisaient toutefois pas à la contrainte, elles relevaient également d’une tentative globale de persuasion, assumée par les officiers des Affaires algériennes servant dans les SAS qui avaient la charge des camps [39]. Ces officiers, qui dépendaient à la fois de l’autorité civile et de l’autorité militaire, avaient auprès des populations rurales et urbaines des fonctions administratives multiples (état-civil et recensement, discipline et contrôle des populations, surveillance politique et économique), ainsi que des activités sociales (soins, scolarisation, prise en charge sportive de la jeunesse) et économiques (constructions de bâtiments, chantiers de chômage) destinées à persuader la population de l’intérêt de se détourner du FLN-ALN.

9 Cette entreprise de persuasion n’est pas sans paradoxes, tant ces activités socioéconomiques répondent souvent à la nécessité de résorber la crise sociale née du regroupement, ou du moins exacerbée par lui. Rarement planifié, le regroupement plongeait en effet les ruraux dans une précarité durable dont le facteur majeur restait le déracinement des communautés paysannes souligné par P. Bourdieu et A. Sayad. L’éloignement de la terre, les contraintes du camp et de la guerre pesaient sur la continuation des activités agricoles et contribuaient à la crise de la société rurale, bien que les situations soient très variables d’un regroupement à l’autre. Dans l’ensemble toutefois, les populations regroupées restèrent dépendantes, en totalité ou en partie, des ressources distribuées par l’administration : en 1961, 25 % de la population regroupée, environ 500 000 Algériens, dépendaient totalement des secours distribués par l’État, tandis que la majorité des 75 % restants vivaient dans une misère relative faite d’un équilibre toujours fragile entre assistance, emploi irrégulier sur des chantiers de chômage, mandats reçus de la métropole, culture de lots de jardins distribués par l’administration et, plus rarement, poursuite des activités antérieures [40]. Cette situation provoqua la précarisation généralisée de la population regroupée : sous-alimentée et affaiblie, elle était exposée aux maladies et aux épidémies qui trouvaient un terrain de prédilection dans ces lieux où régnaient l’insalubrité et la promiscuité. Malgré les mesures prophylactiques, l’insuffisance du dispositif médical, assuré par les médecins militaires, rendait toujours latente une crise sanitaire dont témoigne la surmortalité : près de 200 000 Algériens – pour l’essentiel des enfants de moins de 16 ans (un tiers) et de moins de 1 an (un tiers) – trouvèrent la mort dans ces lieux, bien qu’aucun bilan officiel n’ait été réalisé pendant la guerre [41].

Des « villages » de regroupement ?

10 Ainsi, les regroupements avaient non seulement l’allure mais aussi le fonctionnement de camps de réfugiés, malgré leur qualification de « centres ». Leur situation était en contradiction avec le discours officiel de l’État colonial qui, tout au long de la guerre, présenta la mesure comme l’élément d’une politique de développement économique et social du bled. Dans un pays à dominante rurale, la concentration des paysans dans de « nouveaux villages » dotés d’une infrastructure moderne devait être l’instrument privilégié de la construction d’une « nouvelle Algérie » permettant de dépasser les clivages de la situation coloniale et de rendre ainsi caduques les velléités indépendantistes du FLN.

11 C’est dans l’Aurès, où naquit la pratique, que cette idée du « village » fut d’abord pensée et mise en avant par les autorités administratives et militaires pour justifier leur action. Cette rationalisation était tributaire de l’expérience des officiers des Affaires indigènes du Maroc [42] (AIM) dont certains furent envoyés en renfort de l’administration coloniale dès 1955, sous la direction du général Gaston Parlange [43]. Ce dernier chercha à renforcer l’encadrement des Algériens par la multiplication de postes administratifs annexes, confiés à des officiers qui devaient « renouer le contact » avec la population pour mieux favoriser la recherche du renseignement [44]. Constatant toutefois l’insuffisance des moyens dont il disposait pour quadriller l’ensemble du massif aurésien, le général engagea une autre politique consistant à regrouper les populations rurales près des postes administratifs existants [45]. Plusieurs milliers d’Algériens, semi-nomades pour la plupart, furent ainsi provisoirement sédentarisés, mais leur précarisation rapide incita le général à en anticiper les conséquences sociales et politiques. Cet « officier-administrateur » conçut alors un projet qui consistait à multiplier les regroupements à des fins militaires et administratives, mais à condition qu’ils ne contribuent pas à appauvrir une population déjà fort pauvre, et dont la « reconquête » constituait pour lui l’enjeu fondamental de la guerre. Pour « réussir », le regroupement devait se faire parallèlement à l’aménagement minimum de « centres d’accueil » [46] : il fallait choisir un terrain propice à la surveillance militaire et aux activités administratives, donc à proximité des pôles urbains des vallées, puis définir les besoins économiques, sociaux et culturels des populations afin d’équiper les lieux préalablement à l’opération de déplacement. Abandonné faute de crédits, ce projet fut rapidement détourné par les subordonnés de G. Parlange, notamment son adjoint militaire, le général Paul Vanuxem [47], peu sensible aux réserves sociales de son supérieur. En l’absence de celui-ci, P. Vanuxem s’accorda avec le sous-préfet Jacques Lenoir, adjoint civil du général [48], pour élaborer une doctrine distinguant regroupements « provisoires » et « définitifs », et justifiant la création des premiers comme une étape possible dans la réalisation progressive des seconds [49]. Ces derniers furent alors présentés comme de possibles « centres ruraux » capables, par la concentration des moyens investis, de contribuer à l’essor d’une « Algérie nouvelle » que le ministre résident, Robert Lacoste, prétendait alors bâtir par un ensemble de réformes du milieu rural (réforme communale, réforme de l’habitat, petits travaux d’équipement). Projet militaro-administratif pour le général Parlange, le « regroupement définitif » devint l’élément d’une stratégie discursive devant convaincre l’autorité supérieure de l’intérêt à la fois militaire et civil du regroupement, mais permettant surtout, dans l’immédiat, de justifier la création des « regroupements provisoires » en fonction des urgences opérationnelles [50].

12 L’année 1957 constitua un véritable tournant dans l’histoire des regroupements, tant elle fut marquée par la diffusion de la pratique – mais aussi par celle de l’usage biaisé de cette dialectique entre provisoire et définitif servant le plus souvent à justifier des opérations militaires. Partout cependant, les autorités civiles et militaires étaient confrontées au coût prohibitif et croissant de l’aménagement des « centres », ce qui les incita à se tourner vers les autorités centrales et à leur réclamer des crédits toujours plus importants. Cette dynamique suscita l’inquiétude des hauts responsables d’Algérie, notamment de la hiérarchie militaire qui fut la première à tenter d’encadrer les pratiques de ses officiers [51]. Le cabinet du ministre résident, R. Lacoste [52] – réticent pour des raisons budgétaires à l’augmentation des regroupements [53] – tenta d’en freiner la cadence de création, en s’appropriant le concept du « regroupement définitif » [54]. Reprenant la distinction élaborée dans l’Aurès [55], l’administration affirma vouloir procéder à la création de véritables « villages » disposant d’une infrastructure complète : rues, trottoirs, eau potable, mairies, bâtiments administratifs, centre médical, école. Leur réalisation fut confiée aux Services techniques départementaux et surtout au Commissariat à la Reconstruction et à l’Habitat rural (CRHR), qui disposait toutefois d’un budget limité [56]. Le « regroupement définitif » acquit dès lors une nouvelle fonction : il s’agissait bien plus d’un instrument de normalisation de l’action publique aux mains d’une autorité supérieure souhaitant reprendre le contrôle d’une politique qui lui avait été imposée par le bas et qui lui échappait. Et s’il dépassa le projet de Parlange pour l’inscrire dans celui d’une réforme totale du bled algérien, l’objectif du ministre résident n’était pas tant de concrétiser cette réforme par le regroupement que de limiter la multiplication des « centres » et leur charge budgétaire par la fixation d’impératifs qualitatifs – ceux du CRHR, notamment.

13 Le CRHR était en effet la pièce maîtresse de cette normalisation, même si celle-ci n’était pas sa mission première : cet organisme fut créé après le tremblement de terre qui frappa l’Algérie en octobre 1954, pour reconstruire notamment la cité d’Orléansville en grande partie détruite [57]. L’État désigna un Commissaire à la Reconstruction, Louis Gas [58], mais ce haut fonctionnaire transforma rapidement sa charge en une mission de lutte, à Orléansville, contre le « gourbi algérien », un anachronisme, selon lui, qu’il convenait de faire disparaître au profit de cités d’habitations groupées et standardisées. R. Lacoste approuva ces conceptions en lançant dès 1956 une réforme de l’habitat rural confiée à L. Gas, désormais placé à la tête du Commissariat à la Reconstruction et à l’Habitat rural [59].

14 Les critères « qualitatifs » du CRHR [60] furent alors utilisés pour tenter de limiter la création des regroupements : l’idée de R. Lacoste et de J. Lenoir était d’inciter les officiers à mieux planifier les opérations, afin d’éviter la profusion des dépenses publiques à laquelle la prolifération des centres ne pourrait que conduire. Pour y parvenir, la directive conditionna l’obtention de crédits publics au respect des procédures administratives, c’est-à-dire à la réalisation d’une étude de faisabilité d’un commun accord avec les experts du CRHR, et à l’obtention de l’aval de ce dernier. Mais cette procédure cadrait mal avec les contraintes rencontrées par les militaires dans leur action guidée par l’urgence opérationnelle que dictaient les rythmes de la contre-guérilla : agir le plus rapidement possible pour ne pas gâcher l’effet de surprise, en fonction de conditions locales qui pouvaient varier d’un jour à l’autre. Ce problème cristallisa les tensions entre l’administration centrale et les responsables – militaires, mais aussi civils – locaux, tensions que l’on put percevoir, par exemple, lors d’une conférence donnée par L. Gas à Oran, à la fin de l’année 1957. En effet, le Commissaire informa d’emblée les principaux responsables de la région que leurs moyens allaient être limités. Ce faisant, il suscita une levée de boucliers, ses interlocuteurs rejetant l’idée de faire du « regroupement définitif » la priorité de leur action : « Pour nous quel est le but ? Ce n’est pas de faire de l’habitat ; ce n’est pas l’objet que nous recherchons, ce que nous cherchons c’est à supprimer ce support, à la fois logistique et psychologique, que représente la population dans les douars isolés (…). Il s’agit de faire de ce support du rebelle un support pour nous », rappela le chef de l’état-major du général commandant le Corps d’armée d’Oran [61].

15 Sans contrôle réel des autorités locales, la mission normative du CRHR se révéla très rapidement inutile et n’empêcha en rien la création de regroupements qui s’accéléra dans les mois suivants, provoquant une précarisation toujours plus importante de la population rurale. Dès lors, la publication dans Le Monde de la note officieuse de Michel Rocard déclencha un scandale en métropole, où l’action de l’armée française, rapprochée via le regroupement des pratiques concentrationnaires de la seconde guerre mondiale, gênait l’action du premier gouvernement de la Ve République. Pour mettre fin au scandale, Paul Delouvrier décida de lancer sa politique des « Mille Villages » visant à transformer les mille regroupements en autant de « nouveaux villages » à même de favoriser la modernisation et le développement du milieu rural. Le « village », qui succéda au « regroupement définitif », fut alors un élément de propagande destiné à légitimer l’action du gouvernement pour mieux étouffer un scandale naissant – et il y parvint. Mais il fut également utilisé par P. Delouvrier dans la perspective qui avait été celle de R. Lacoste : la politique des « Mille Villages » devait aussi et surtout « civiliser » la pratique du regroupement, afin de contribuer à la reconquête des prérogatives administratives que l’armée s’était largement arrogées en Algérie depuis 1958. Le « village » fut donc, là encore, un instrument normatif visant à transformer les pratiques des militaires. Le lancement de cette politique s’accompagna d’une réforme des crédits d’équipement (les crédits de Dépenses d’équipement local, DEL), qui furent dès lors principalement utilisés pour financer l’aménagement des « centres » en fonction des décisions de Commissions mixtes réunissant les autorités militaires et civiles, mais aussi des avis de Groupes de travail itinérants dépendants d’Alger, qui entendaient ainsi garder la main sur les dépenses locales. La direction de cette politique revint à une Inspection générale des regroupements de populations (IGRP) confiée au général Parlange [62], qui reprit le projet qu’il avait abandonné dans l’Aurès. Pour lui, le « nouveau village » devait devenir une communauté à part entière répondant aux critères d’une ruralité moderne. Intégré à l’ensemble algérien et relié au reste du monde, le « village » devait être composé d’habitations modernes et en dur, mais respectueuses des conditions et des attentes locales, tout en disposant des infrastructures urbaines typiques de la modernité occidentale : rues alignées et électricité, réseaux hydrauliques et d’égouts, sanitaires collectifs et individuels, centre de soins et sociaux, école et lieux de formation professionnelle, équipements sportifs et culturels. Il devait disposer d’une économie agraire développée, ce qui supposait la formation poussée des paysans et la modernisation, par la motorisation collective notamment, de leurs techniques agraires [63]. Parlange concevait la création de ces « villages » comme le seul moyen de persuader la population de la volonté française de bouleverser la situation coloniale, qu’il considérait comme une profonde injustice. Dans cette perspective, il s’agissait aussi de préparer l’après-guerre : le « nouveau village » s’insérait dans le projet plus global d’une politique de « rénovation rurale » pensée comme complémentaire au Plan de Constantine (1959-1963), alors centré sur l’industrialisation des pôles urbains de la côte méditerranéenne [64]. Le général rassembla autour de lui un petit vivier d’acteurs provenant de la hiérarchie des Affaires algériennes et partageant ses convictions. Mais leur action fut de courte durée : l’IGRP fut dissoute un an après sa création, fin décembre 1960, ses acteurs estimant que leur mission était devenue impossible du fait de la multiplication des regroupements pendant le plan Challe. Durant ce court laps de temps, l’IGRP eut surtout un rôle d’inspection, d’évaluation globale et de conseil, bien en deçà des attentes exprimées par le général qui souhaitait voir l’Inspection devenir la tête de pont de la politique publique la plus ambitieuse menée par la France en Algérie : un vaste programme de réorganisation du peuplement pour lequel il envisageait le transfert, en cinq ans, de 3 millions d’Algériens dans 3 000 « nouveaux villages ». Or ses moyens, extrêmement limités – quatre inspecteurs, fin 1960 – contrastaient avec le nombre de regroupements créés de 1960 à 1961 : l’armée s’empara en effet du « nouveau village » pour justifier la création d’un nouveau millier de camps et le déplacement d’un million d’Algériens.

Des camps « villagisés » ?

16 Le « village » de la guerre d’indépendance algérienne est donc une figure aux contours multiples, mais d’abord une catégorie utilisée à différentes fins par les acteurs de l’État colonial en fonction de leurs intérêts, parfois divergents. À quels résultats, sur le terrain, leurs interactions concouraient-elles ? Il est fort difficile de faire le bilan de cette politique réellement lancée en 1960 et qui perdit de son sens pour ses acteurs dès 1961, alors que l’issue du conflit semblait se préciser avec la reprise des négociations entre la France et le FLN.

17 Les regroupements eux-mêmes étaient multiples, et si certains, notamment les plus récents, furent des foyers de misère à la fin de la guerre, la plupart furent aménagés par les officiers de SAS pour tenter d’améliorer le sort des populations déplacées. Cet aménagement se fit par étapes successives, en fonction des possibilités qu’avaient ses responsables d’accéder aux ressources matérielles, financières ou techniques de l’administration. Mais plus que le terme de « village », qui semblerait désigner un état de fait que le regroupement n’atteignit que très rarement, le terme de « villagisation » peut être mobilisé pour conceptualiser cet effort d’aménagement, dont le degré fut extrêmement variable d’un lieu à l’autre. Il faut toutefois noter d’emblée que l’armée et l’administration elles-mêmes considéraient la moitié des 2 000 regroupements créés pendant la guerre comme « provisoires » – non pas dans l’attente d’une évolution vers le « définitif », comme dans l’Aurès, mais dans l’attente de la fin des combats, prélude à un hypothétique retour des regroupés dans leurs mechtas. Pour ces regroupements, il ne fut jamais question de « village » : certes, ils firent l’objet d’un aménagement minimum, afin d’éviter la trop grande précarisation des regroupés, mais ils devaient rester les plus sommaires possible pour ne pas grever les dépenses publiques. Si les autres reçurent la qualification de « définitifs », voire le label des Groupes de travail itinérants ou de l’IGRP pour devenir des « nouveaux villages », la grande majorité se trouvaient toutefois dans une situation à peine meilleure que celle des « provisoires » : en 1961, ce fut leur potentiel que le terme de « village » sembla reconnaître, bien plus qu’une villagisation matériellement concrétisée.

18 En la matière, trois principaux cas de figure peuvent être retenus. Le premier rassemble une minorité de regroupements bénéficiant d’un investissement conséquent des services de l’administration, notamment du CRHR. Ces regroupements étaient souvent des « villages modèles » que l’armée faisait visiter aux journalistes pour contredire l’image du camp née avec le scandale de 1959 : ce fut par exemple le cas du regroupement de Zelatna, une cité de recasement construite par le CRHR avant 1959 et dont les photographies circulèrent dans la presse après la publication de la note Rocard. Ces cas restèrent toutefois extrêmement minoritaires, à l’instar d’ailleurs de ce que fut l’intervention du CRHR dans les camps. Le cas de l’arrondissement de Philippeville, où le regroupement fut presque systématique (130 000 regroupés sur une population de 160 000 individus) illustre bien ce fait : selon les recensements des officiers de SAS, les constructions du CRHR ne représentaient en effet que 2,2 % du total, la majorité étant des constructions sommaires réalisées par les regroupés eux-mêmes [65]. Si ces proportions étaient variables à l’échelle des arrondissements, la part minoritaire du CRHR fut une constante : elle atteignit au maximum 10 % des constructions, généralement dans des arrondissements où le regroupement était resté limité, comme à Tébessa [66] (Sud-Est, 8,7 %). La conclusion est valable pour toute l’Algérie, comme le souligna, dès 1958, un rapport de l’Inspection générale de l’Administration : « Si l’aménagement des centres n’a, pour le moment, pas été plus onéreux, c’est que l’habitat réalisé un peu partout est resté du “type traditionnel” (…) : les regroupés vivent dans des conditions proches de celles qu’ils ont toujours connues et (…) on s’efforce un peu partout d’améliorer avec les “moyens du bord” les abris de fortune dont le caractère précaire ne laisse pas, cependant, d’être inquiétant » [67].

19 Le deuxième cas rassemble une autre minorité de regroupements qui, parce qu’ils avaient fait l’objet soit d’un aménagement inscrit dans la durée, soit de l’investissement dynamique de leurs responsables, atteignaient un degré de villagisation élevé. Le troisième cas s’inscrit dans une même logique mais en présentant un degré d’équipement moindre, faute de moyens suffisants ou parce que le regroupement fut créé sur le tard. En dépit d’infinies variations, ces « villages » présentaient le même aspect global : un habitat plus ou moins développé mais quasi systématiquement aménagé par les regroupés, et d’ailleurs qualifié, dans les sources statistiques, de « gourbi » ou de « gourbi amélioré » [68] ; un accès à l’eau potable en règle générale suffisant mais toujours perfectible ; des chemins d’accès au monde extérieur, des rues, voire des trottoirs qui quadrillaient l’espace de la ville ; des infrastructures sanitaires, médicales et scolaires, mais là encore souvent insuffisantes et de plus temporaires puisqu’assurées par l’armée ; un équipement administratif et municipal basique ; quelques commerces tenus par les regroupés, parfois des organisations informelles d’exploitation collective de la terre. Toutes ces réalisations témoignent de l’activité multiforme des officiers de SAS, forcés de s’improviser urbanistes faute d’une aide suffisante de l’administration. Certes, ils étaient censés s’adresser pour ces travaux aux Services préfectoraux de l’Hydraulique, des Ponts et Chaussées ou de l’Inspection académique, mais les ressources et les moyens d’action de ces administrations – plus encore que ceux du CRHR qui disposait d’un budget autonome – furent rapidement dépassés par les besoins du regroupement. Leurs demandes étant rarement satisfaites, les officiers de SAS prenaient dans l’urgence l’initiative des travaux, en se débrouillant avec « les moyens du bord ». Cette situation, qui présentait d’importantes variations locales, n’en fut pas moins généralisée – a fortiori dans les régions où le regroupement était le plus massif, engendrant des besoins sans commune mesure avec les ressources disponibles. Elle favorisa l’essor d’une culture de l’initiative de la part de ces officiers, culture qui fut le principal facteur du degré d’équipement des camps.

20 Dans cette perspective, le « village » était surtout un camp amélioré. La première motivation était de trouver une solution à la crise née du déracinement : nourrir, soigner, abriter, construire pour faire travailler les regroupés. La violence et l’urgence dominent l’histoire de ces « villages », et il n’est pas anodin que le premier de ces camps aménagés considéré comme un « nouveau village » ait été celui de Médina, qui regroupait la population du douar Ichmoul, dans l’Aurès. Dès novembre 1954, ce douar avait été le plus important soutien de l’insurrection et avait subi en retour une répression féroce : transfert autoritaire vers les villages de plaine, ratissage des terres accompagné de violences interpersonnelles et de destructions de biens, puis regroupement sur un point central (Médina) du douar où ces semi-nomades, auparavant dispersés dans plusieurs mechtas montagnardes, végétèrent pendant plus de trois ans dans une forte précarité, jusqu’à ce qu’un officier décide d’améliorer leur sort par l’équipement du « centre » ainsi formé [69]. L’action entreprise à Médina permit la naissance d’un « village » de 2 000 habitants, avec des habitations en dur, des infrastructures communales (mairie, école, magasins, poste) et de nombreux bâtiments consacrés à des activités privées (logements, moulin, foyer sportif). Médina représente le type le plus répandu des « villages de regroupement », ces « camps villagisés » résultant d’une amélioration inscrite dans la durée de la guerre et d’un investissement conséquent du chef comme du personnel de la SAS, de la population déplacée, mais aussi des acteurs de l’armée et de l’administration. Il reste toutefois un cas exceptionnel [70] et, surtout, typique de l’amnésie de la genèse qui prévaut dans l’histoire des camps : l’historique de sa naissance, dressée à la fin de la guerre par l’officier qui fut chargé de son aménagement, occulte les violences subies par sa population qui fut la première déplacée de la guerre, au profit de la figure d’un village qui serait devenu la manifestation de bâtir là où « il n’y avait rien » [71].

21 Reflétant souvent un projet, le « nouveau village » était généralement très éloigné du modèle de l’IGRP, qui fut d’ailleurs la première à le constater, et à l’affirmer. Lorsqu’il remit sa démission en décembre 1960, le général Parlange réprouva le déplacement mené à des fins militaires, et sans la moindre prévision ni organisation préalables, de centaines de milliers d’Algériens au cours de l’année écoulée : « On peut affirmer que les 2/3 d’une vaste opération à faire, mais délicate et de longue haleine, ont été exécutés dans la hâte, sans études suffisantes, partant dans des conditions matérielles parfois lamentables. Il est surprenant que, étant donné cet état de choses, des résultats encourageants aient été enregistrés » [72]. Dans les semaines qui suivirent ce rapport, l’IGRP fut dissoute et une politique de « dégroupement » fut lancée par le nouveau délégué général, Jean Morin : sous couvert de désengorger les « regroupements provisoires » devenus trop nombreux, il s’agissait surtout pour Alger de priver l’autorité militaire de la gestion des derniers crédits civils qu’elle s’était arrogée et qui lui permettait alors d’envisager le regroupement de plusieurs centaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes sur l’exercice budgétaire de l’année 1961…

22 Les regroupements de la guerre d’Algérie révèlent les multiples usages de la villagisation comme arme de guerre et de « pacification », mais aussi et surtout les ambiguïtés du terme même de « village », tant ils furent loin d’être, justement, des villages, en termes de réalisation comme de motivations. Dans ce contexte, le « village » comme principe d’action se réfère en effet à trois niveaux d’intention : celui de la légitimité et de la propagande, à usage interne (justifier, auprès d’une autorité supérieure, l’action entreprise) comme externe (les « Mille Villages », pour l’opinion publique) ; celui de l’action publique, le « regroupement définitif » étant pour les hautes autorités de l’État un instrument normatif pour limiter l’action d’une autorité subalterne, afin de mieux en anticiper les conséquences budgétaires ; celui d’un projet de développement autoritaire défendant la nécessité d’une modernisation sociale et économique à marche forcée du bled algérien. Cependant, à l’exception d’une minorité d’acteurs persuadés de cette dernière conception (les membres de l’IGRP ou les officiers de SAS), est-il possible de considérer le regroupement comme un véritable programme de villagisation dont l’ambition aurait été de transformer durablement l’Algérie ? Certes, pour le pouvoir colonial, le regroupement put bel et bien favoriser la mise en œuvre des multiples réformes de la société algérienne qu’il envisageait, mais l’objectif principal du regroupement, pour la majorité des acteurs impliqués, et tout au long du conflit, n’était pas de mener à bien le développement et la modernisation du milieu rural, mais de gêner l’ALN et de mieux contrôler la population algérienne. Oscillant entre les dispositifs concentrationnaires – par le regroupement spatial et l’encadrement social, politique, disciplinaire qu’il imposait aux individus – et les camps de réfugiés – par la précarisation et l’exposition sanitaire dont étaient victimes les Algériens, mais aussi par la prise en charge dont ils faisaient l’objet –, le regroupement est difficilement assimilable à un « village ». Il s’agit plutôt d’un nouveau type de camp – ni camp d’internement ni camp de concentration – créé à des fins militaires et politico-administratives, qui fit du « village » un modèle permettant de justifier l’injustifiable (le déplacement forcé de populations civiles), mais dont la matérialisation s’opéra à des degrés variables et pour des résultats d’ensemble très faibles, du fait d’une prise en charge éclatée et de l’absence d’une véritable politique visant à concrétiser cette villagisation. Le « village » servit surtout, dans le cadre de ce conflit, de prétexte pour mener des opérations de guerre, jetant un voile socioéconomique sur le déplacement forcé du tiers de la population civile de l’Algérie. Il contribua toutefois aussi à nuancer la violence de l’armée française auprès de l’opinion publique, tant il est vrai que le regroupement semble avoir été oublié après l’indépendance, comme le soulignait dès 1962 l’historien Pierre Vidal-Naquet : « Rien, dans la guerre d’Algérie, n’est aussi important que le problème des regroupements. Rien aussi n’a été plus tardivement et plus mal connu de l’opinion française » [73].


Date de mise en ligne : 30/05/2018

https://doi.org/10.3917/crii.079.0025

Notes

  • [1]
    Cette note a depuis fait l’objet d’une réédition critique. Michel Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2003.
  • [2]
    Fabien Sacriste, « Les camps de “regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », thèse de doctorat en histoire, Université de Toulouse II Jean Jaurès, 2014. L’auteur remercie les trois évaluateurs et évaluatrices de Critique internationale. Leurs lectures attentives et leurs conseils avisés ont largement contribué à donner à cet article sa forme présente.
  • [3]
    J’utiliserai désormais le terme de « regroupement » sans guillemets, afin de ne pas alourdir le texte.
  • [4]
    Pierre Bourdieu, Abdelmalek Sayad, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1964.
  • [5]
    Michel Cornaton, Les regroupements de la décolonisation en Algérie, Paris, Les Éditions ouvrières, 1967.
  • [6]
    Voir par exemple Michel Lesne, « Une expérience de déplacement de population : les centres de regroupement en Algérie », Annales de géographie, 388, 1962, p. 567-603 ; Keith Sutton, « The Influence of Military Policy on Algerian Rural Settlement », The Geographical Review, 71 (4), 1981, p. 379-394.
  • [7]
    Charles-Robert Ageron, « Une dimension de la guerre d’Algérie : les “regroupements” de populations », dans Maurice Vaïsse, Jean-Charles Jauffret, Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Paris, André Versaille Éditeur, 2001, p. 327-362 ; Moritz Feichtinger, « “A Great Reformatory” : Social Planning and Strategic Resettlement in Late Colonial Kenya and Algeria, 1952-63 », Journal of Contemporary History, 52 (1), 2017, p. 45-72.
  • [8]
    Elizabeth van Heyningen, The Concentration Camps of the Anglo-Boer War : A Social History, Johannesburg, Jacana Media, 2013 ; Iain R. Smith, Andreas Stucki, « The Colonial Development of Concentration Camps (1868-1902) », The Journal of Imperial and Commonwealth History, 39 (3), 2011, p. 417-437.
  • [9]
    Karl Hack, « The Malayan Emergency as a Counter-Insurgency Paradigm », Journal of Strategic Studies, 32 (3), 2009, p. 383-414 ; Caroline Elkins, Imperial Reckoning : The Untold Story of Britain’s Gulag in Kenya, New York, Henry Holt and Company, 2005 ; Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), Paris, La Découverte, 2011, p. 264-276 ; Élie Tenenbaum, « Les déplacements de populations comme outil de contre-insurrection : l’exemple du programme des hameaux stratégiques au sud-Vietnam », Guerres mondiales et conflits contemporains, 239, 2010, p. 119-141.
  • [10]
    Même si des transferts de pratiques ne sont pas attestés. Ainsi, en Algérie, les premiers regroupements firent l’objet d’une « réinvention » sans imitation du précédent indochinois. F. Sacriste, « Les camps de “regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », cité, chap. I, « Le repli des douars de l’Aurès », p. 135-216.
  • [11]
    Christian Gerlach, Extremely Violent Society. Mass Violence in the 20th Century World, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
  • [12]
    D’où le terme qu’il utilise pour les décrire de « violence durable ». C. Gerlach, « Sustainable Violence : Mass Resettlement, Strategic Villages, and Militias in Anti-Guerrilla Warfare », dans Richard Bessel, Claudia B. Haake, Removing Peoples. Forced Removal in the Modern World, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 361-393.
  • [13]
    Annette Wieviorka, « L’expression “camp de concentration” au XXe siècle », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 54 (1), 1997, p. 4-12.
  • [14]
    F. Sacriste, « La “Méthode Mao” contre les “Mille Villages” ? Réflexion sur l’historiographie des camps de regroupement », dans Aïssa Kadri, Moula Bouaziz, Tramor Quemeneur (dir.), La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards, Paris, Karthala, 2015, p. 179-186.
  • [15]
    Dans ma thèse, je me suis concentré sur les interactions au sein de l’État pour écrire l’histoire des regroupements, au détriment de l’enquête orale auprès des populations anciennement regroupées, travail nécessairement complémentaire, mais impossible à réaliser dans un temps aussi court. Je me suis dès lors appuyé sur un corpus hétérogène d’archives provenant du Service historique de la Défense (SHD), particulièrement précieuses pour l’histoire militaire des camps, et surtout sur les fonds de l’administration, conservés aux Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM) d’Aix-en-Provence, qui permettent d’écrire cette histoire sous un nouvel angle. La gestion du regroupement a été le plus souvent déléguée aux administrations territoriales, dominées pendant une grande partie de la guerre par les militaires. Parmi ces archives, celles des officiers des Sections administratives spécialisées (SAS), peu utilisées (excepté par Grégor Mathias, Les Sections administratives spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), Paris, L’Harmattan, 1998, qui en livre une lecture souvent proche de la rhétorique du pouvoir colonial), permettent d’étudier les regroupements à l’échelon le plus local.
  • [16]
    Le terme d’urbanisation, qui désigne le processus de croissance de la population urbaine et d’extension des villes, correspond mal aux enjeux du regroupement. Ce dernier contribue plus à un phénomène proche de ce que certains géographes qualifient de « rurbanisation », « processus d’urbanisation rampante de l’espace rural » (voir le dictionnaire de géographie proposé par geoconfluences.ens-lyon.fr) qui favorise une transformation des modes de vie dans les campagnes par l’introduction de pratiques sociales, économiques et culturales propres à l’espace urbain. Laurence Thomsin, « Un concept pour le décrire : l’espace rural rurbanisé », Ruralia, 9, 2001, en ligne). Si le terme est anachronique dans le contexte algérien des années 1960, le regroupement n’en contribue pas moins à la diffusion d’un modèle culturel urbain en milieu rural, à la différence près qu’ici cette « rurbanisation » n’est pas rampante, mais dirigée et autoritaire, inscrite dans un rapport de domination propre à la situation coloniale.
  • [17]
    Ce terme désigne un processus consistant à regrouper des habitations dispersées en milieu rural et à les équiper selon certains critères. Il est utilisé notamment par James C. Scott pour la Tanzanie. James C. Scott, Seeing Like a State. How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, New Haven, Yale University Press, 1998.
  • [18]
    Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Paris, Fayard, 2002.
  • [19]
    Dalila Aït El -Djoudi, La guerre d’Algérie vue par l’ALN (1954-1962). L’armée française sous le regard des combattants algériens, Paris, Autrement, 2008.
  • [20]
    Situées dans le Sud-Est algérien, ces régions furent les plus touchées par l’insurrection de novembre 1954. Mohammed Harbi, 1954. La guerre commence en Algérie, Paris, Éditions Complexe, 1998.
  • [21]
    Le 20 août 1955, le Nord-Constantinois fut le théâtre d’une insurrection populaire suivie d’une importante répression menée par l’armée française et les milices européennes. Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2010.
  • [22]
    La région géographique entourant la « ligne Morice », nom du barrage électrifié construit pour gêner les passages du FLN-ALN entre l’Algérie et la Tunisie, fut en effet totalement vidée de sa population après 1957.
  • [23]
    Denis Leroux, « La “Doctrine de la guerre révolutionnaire” : théories et pratiques », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale, Paris, La Découverte, 2014, p. 532.
  • [24]
    Né en 1914, Paul Delouvrier fut inspecteur des Finances en 1941, directeur du cabinet de René Mayer (ministre des Finances et des Affaires économiques) en 1947, et membre de l’équipe de Jean Monnet, président de la Haute Autorité de la CECA à Luxembourg, de 1955 à 1958. En décembre 1958, le général de Gaulle lui demanda de prendre la tête de la Délégation générale en Algérie, fonction qu’il occupa jusqu’en novembre 1960.
  • [25]
    Le « plan Challe » consista en une vaste série d’opérations menées d’est en ouest entre 1959 et 1960, et dont le but était de réduire au maximum les maquis de l’ALN pour affaiblir le FLN.
  • [26]
    Le Corps d’armée de Constantine est l’échelon militaire couvrant tout le territoire de l’Est algérien.
  • [27]
    Corps d’armée de Constantine, Cabinet civil, Lettre du général de division Gilles, commandant le CAC et Ex-PCM pour l’Est algérien, aux généraux commandants de zones, 14 juin 1958, SHD/1H3614.
  • [28]
    « Le procédé le plus courant des populations voulant échapper à l’emprise rebelle est de se regrouper sous protection de nos postes », déclare l’Igame (Inspecteur général de l’Administration en mission extraordinaire) Maurice Papon à la radio, le 17 septembre 1957, ANOM/93202-16.
  • [29]
    Mechta Kasbah est le nom d’un village qui fut le lieu d’un massacre, par l’ALN, de la population masculine du douar Beni Ilmane, proche d’un mouvement nationaliste concurrent, le Mouvement national algérien. La population de Beni Ilmane demanda ensuite son regroupement auprès d’une unité militaire, fait qui fut particulièrement exploité par les services d’information du Gouvernement général. Jacques Simon, Le massacre de Melouza. Algérie, juin 1957, Paris, L’Harmattan, 2006.
  • [30]
    Cette méthode fut utilisée dans l’Aurès en 1954, ou dans le Nord-Constantinois, où la fabrication de tracts était inscrite au budget civil (voir les dossiers relatifs à la question dans ANOM/93-348).
  • [31]
    SAS de Catinat, Rapport mensuel, mai 1957, ANOM/8SAS-63.
  • [32]
    Terme utilisé ici dans son acception militaire désignant une « opération consistant à faire circuler de petites unités d’infanterie à l’intérieur d’une zone où des éléments adverses sont supposés présents ».
  • [33]
    Le 10 juillet par exemple, à la mechta Mahcene, « la 10e Cie trouve du bétail qu’elle tue, des cachettes de blé et de vêtements qu’elle détruit. Aucune trace d’occupation à part une vieille femme. (...) La 9e Cie fouille la crête au sud de la mechta Mahcene et brûle les mechtas qui restent ». Quartier de Taher, 13e DBLE, CR de l’opération des 10-11-12 juillet 1957, SHD/1H-4420.
  • [34]
    P. Bourdieu, A. Sayad, Le déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, op. cit., p. 26.
  • [35]
    Deux blockhaus furent construits dans le camp de Méziet (SAS d’Oued Mouger, Nord-Constantinois) avec deux tours, le système comptant six militaires à chaque extrémité du camp (ANOM/8SAS-130).
  • [36]
    La Zone Nord-Constantinois est un échelon militaire inférieur au Corps d’armée de Constantine, regroupant les Secteurs et départements du Nord-Est algérien (Constantine, Philippeville, Collo, etc.).
  • [37]
    Zone Nord-Constantinois, « Regroupements de populations », SHD/1H-2030. Les citations qui suivent en sont extraites.
  • [38]
    François-Xavier Hautreux, La guerre d’Algérie des harkis, Paris, Perrin, 2013.
  • [39]
    Les SAS furent créées afin de compléter et aider l’administration coloniale algérienne au cours du conflit : en 1961, plus de 700 d’entre elles quadrillaient ainsi le territoire. À l’exception de G. Mathias (Les Sections administratives spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), op. cit.), peu de chercheurs ont travaillé sur cette administration militaire permettant d’aborder les parcours, souvent diversifiés, de ces officiers aux expériences coloniales parfois prononcées (Maroc, Indochine), mais aussi engagés de fraîche date dans le but de mener une autre forme de guerre en Algérie.
  • [40]
    Inspection générale des Regroupements, « Les regroupements de population en Algérie. Rapport du chef de Bataillon Florentin, de l’Inspection générale des Regroupements », 11 décembre 1960.
  • [41]
    F. Sacriste, « Les camps de “regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », cité, p. 772-780.
  • [42]
    Les Affaires indigènes du Maroc étaient « la colonne vertébrale du Maroc lyautéen » : ses officiers administrateurs, chargés notamment du renseignement, représentaient l’administration coloniale en milieu rural. Daniel Rivet, Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc (1912-1925), Paris, L’Harmattan, 1988.
  • [43]
    Engagé volontaire en 1915, Gaston Parlange (1897-1972) termina la Grande Guerre à la tête d’un Régiment de tirailleurs marocains, ce qui l’incita à solliciter son affectation au Maroc. Il intégra le Service de renseignements créé par Lyautey (1924) puis fut nommé chef d’un important bureau indigène (Tounfit, 1931) où il dut assurer la « pacification » du versant nord du Haut Atlas. Après la seconde guerre mondiale, il gravita dans les hautes sphères des AIM : il fut commandant de la Subdivision d’Agadir et des confins algéro-mauritano-marocains en 1955, date à laquelle le Président du Conseil réclama sa présence dans l’Aurès où il souhaitait le voir transférer les méthodes de la « pacification lyautéenne » (Dossier de carrière du général : SHD/Yd 542).
  • [44]
    Cette expérience déboucha, après 1956, sur la création des SAS.
  • [45]
    Sous-préfecture de Batna, « Regroupement de populations isolées », 16 septembre 1955, ANOM/932-45.
  • [46]
    Commandement civil et militaire des Aurès-Nemencha, « Directives politiques », janvier 1956, ANOM/93-139.
  • [47]
    Né en 1904, ce Saint-Cyrien mena surtout sa carrière en colonies. Affecté à Oran pendant la seconde guerre mondiale, il fut nommé capitaine au début de la guerre d’Indochine (1947), et général de Brigade à la fin (1954). Mis à la disposition de la Xe RM en 1955, il fut nommé adjoint du général Parlange, mais les relations entre les deux hommes étaient souvent tendues en raison de leurs conceptions divergentes de la guerre. Proche des partisans de la DGR, Paul Vanuxem reçut en 1957 la responsabilité de l’une des zones clés du conflit : la frontière tunisienne où se déroulait alors la « bataille des frontières » (SHD/Yd 901).
  • [48]
    Né en 1918, Jacques Lenoir débuta sa carrière de haut fonctionnaire dans l’administration marseillaise en 1944. D’abord sous-préfet d’Apt, il partit pour l’Algérie en 1952, où il fut successivement sous-préfet de Batna (Aurès), puis de Sétif, poste qu’il occupait encore en octobre 1955, lorsque le préfet Pierre Dupuch lui proposa de revenir dans l’Aurès. Adjoint du général Parlange, il joua dès lors un rôle prépondérant dans l’évolution de la politique de « pacification », mais, privé du poste de préfet qui lui avait été promis, il quitta l’Aurès et rejoignit en 1957 le cabinet du ministre résident à Alger (Dossier de carrière : ANOM/GIE-312).
  • [49]
    Préfecture de Batna, « Instructions relatives au regroupement des populations », 1957, ANOM/6SAS-49.
  • [50]
    Ce fut en tout cas ce qu’il advint dans l’immédiat dans le Sud-Est algérien, où cette distinction servit à justifier le regroupement de plus de 15 000 personnes dans les Nemencha, selon le programme prévu par P. Vanuxem (Zone opérationnelle des Aurès-Nemencha, Rapport n° 162, 14 janvier 1957, in ANOM/3R/430), et ce sans attendre la réception des crédits préfectoraux, qui ne vinrent jamais...
  • [51]
    Le général Raoul Salan, commandant du Commandement supérieur interarmées, craignait les conséquences négatives du déracinement sur la psychologie des populations dans une guerre qu’il envisageait d’abord comme « psychologique ». Commandement supérieur interarmées, « Regroupement de populations », SHD/1H-2030.
  • [52]
    En février 1956, après la victoire du Front républicain et la formation d’un nouveau gouvernement par le socialiste Guy Mollet, un ministère de l’Algérie fut créé et confié à Robert Catroux, puis à Robert Lacoste, qui prit ainsi la suite du gouverneur général Jacques Soustelle. Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions 1945-1962, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 38.
  • [53]
    Pour aménager les camps, l’administration locale commença en effet à puiser dans les crédits destinés à concrétiser différentes réformes du milieu rural, cœur de la politique algérienne de Robert Lacoste.
  • [54]
    Direction des Affaires politiques et de la Fonction publique du Gouvernement général en Algérie, « Regroupements de populations », 12 novembre 1957, ANOM/13Cab-56. Les citations qui suivent en sont extraites.
  • [55]
    J. Lenoir, l’adjoint civil du général Parlange, dirigeait alors la Direction des Affaires politiques et de la Fonction publique du GGA. C’est lui qui fut chargé par R. Lacoste de préparer le texte de la directive.
  • [56]
    Direction des Affaires politiques et de la Fonction publique du Gouvernement général en Algérie, « Regroupements de populations », cité.
  • [57]
    Délégation générale du Gouvernement en Algérie, « Reconstruction et habitat. Conférence de presse de M. Louis Gas. Alger, 23 février 1960 », brochure éditée par les services de la DGGA (archives personnelles).
  • [58]
    Il est difficile de retracer le parcours de ce fonctionnaire algérien, dont le dossier ne semble pas avoir été conservé aux Archives nationales d’Outre-Mer.
  • [59]
    Commissariat à la Reconstruction et à l’Habitat rural, « Application de l’arrêté du 25/09/1956 relatif à l’amélioration de l’habitat traditionnel des populations rurales d’Algérie », septembre 1956, ANOM/932-119.
  • [60]
    Il entendait substituer au « gourbi » un habitat standardisé (« des maisons qui ont 18 m2, 2 pièces, une cour qui fait à peu près 20 m2 avec un appentis dans la cour ») et peu coûteux, afin de « comprimer la dépense pour qu’elle soit dans la mesure des possibilités de l’État ». DGGA, « Reconstruction et habitat. Conférence de presse de M. Louis Gas. Alger, 23 février 1960 », cité.
  • [61]
    Préfecture d’Oran, Lettre de l’Igame au préfet de Tiaret, 14 janvier 1958, Archives nationales d’Algérie (n/c).
  • [62]
    Délégation générale du Gouvernement, Décision n° 10.786/CC, 9 novembre 1959, SHD/1H-1119.
  • [63]
    Délégation générale du Gouvernement, « Mille Villages », mai 1960, SHD/1H-2574.
  • [64]
    Sur le Plan de Constantine, voir Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie, Paris, Flammarion, 2002.
  • [65]
    D’après une étude statistique des questionnaires de la SAS de Philippeville (ANOM/8SAS-108).
  • [66]
    D’après une étude statistique des questionnaires de la sous-préfecture de Tébessa (ANOM/9336-14).
  • [67]
    IGA, « Rapport à Monsieur le délégué général », 1958, ANOM/15CAB-129.
  • [68]
    Lorsque les habitations étaient construites à partir d’une structure métallique distribuée par l’administration.
  • [69]
    Le regroupement de Médina est un exemple très documenté, du fait de la bonne conservation des archives de la SAS et du département aux ANOM. Il est également possible de lire l’histoire de ce « village » dans Fanny Colonna, Le meunier, les moines et le bandit. Des vies quotidiennes dans l’Aurès (Algérie) du XXe siècle, Arles, Actes Sud, 2010, « Dans la tornade de la révolution », p. 122-130.
  • [70]
    Unique, même, dans tout le Sud-Est algérien, où il servit de vitrine à la politique des « Mille Villages » après 1959.
  • [71]
    SAS de Médina (Aurès). « Le village de Médina », 1962, SHD/1H-1213. Ce document est extrait d’une série de témoignages recueillis par le Service des Affaires algériennes dans les derniers mois de la guerre afin d’illustrer l’action des officiers et leur contribution à la « pacification ». Ce fonds se révèle particulièrement partial si l’on veut aborder la guerre proprement dite, mais il présente un intérêt certain lorsqu’il s’agit d’étudier une certaine « mythologie » qui insiste sur l’action sociale et économique de l’armée au détriment de l’action militaire et policière.
  • [72]
    IGRP, « Rapport du général Parlange », 15 décembre 1960, SHD/1H-1119.
  • [73]
    Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962, p. 212.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions