Critique internationale 2010/4 n° 49

Couverture de CRII_049

Article de revue

« L'axe du Mal », entre burlesque et carnaval : les images de la Corée du Nord dans la culture populaire sud-coréenne

Pages 73 à 89

Notes

  • [1]
    Roy Richard Grinker, Korea and Its Futures : The Unfinished War, New York, St Martin’s Press, 1998, p. XI.
  • [2]
    Filiale du groupe Hyundai spécialement créée pour les projets de coopération économique ou touristique avec la Corée du Nord (NdT).
  • [3]
    Voir l’article de Leonid Petrov dans ce dossier.
  • [4]
    Sabine Burghart, Rüdiger Frank, « Inter-Korean Cooperation 2000-2008 : Commercial and Non-Commercial Transactions and Human Exchanges », Vienna Working Papers on East Asian Economy and Society, 1 (1), 2008, p. 19.
  • [5]
    Pour une discussion précise de la terminologie concernant les Nord-Coréens résidant actuellement en Corée du Sud, et une mise à jour des chiffres récents, voir l’article de Danielle Chubb dans ce dossier.
  • [6]
    Le succès croissant de la culture populaire sud-coréenne sous toutes ses formes à l’étranger et surtout en Asie (NdT).
  • [7]
    Andrew Eungi Kim, « Demography, Migration and Multiculturalism in South Korea », The Asia-Pacific Journal : Japan Focus, 9 février 2009 (http://www.japanfocus.org/-Andrew_Eungi-Kim/3035) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [8]
    Jih-Un Kim, Dong-Jin Jang, « Aliens among Brothers ? The Status and Perception of North Korean Refugees in South Korea », Asian Perspective, 31 (2), 2007, p. 5-22 ; Suk-young Kim, « Crossing the Border to the Other Side : Dynamics of Interaction between North and South Koreans in Joint Security Area and Spy Li Chul-jin », dans Frances Gateward (ed.), Seoul Searching : Culture and Identity in Contemporary Korean Cinema, Albany, SUNY Press, 2007, p. 219-242 ; Lee Hye-Ryoung, « The Transnational Imagination and Historical Geography of 21st Century Korean Novels », Korea Journal, 47 (1), 2007, p. 50-78.
  • [9]
    Kyung Hyun Kim, The Remasculinization of Korean Cinema, Durham/Londres, Duke University Press, 2004 ; Suk-young Kim, « Crossing the Border to the Other Side : Dynamics of Interaction between North and South Koreans in Joint Security Area and Spy Li Chul-jin », cité. Voir également l’article de Roland Bleiker dans ce dossier.
  • [10]
    Hwang Jongyon, « A Postmodern Turn in Korean Literature », Korea Journal, 47 (1), 2007, p. 5-7.
  • [11]
    Le tallae (allium monanthum) est une plante sauvage vernaculaire ressemblant à la ciboulette et dont la racine est utilisée dans la cuisine coréenne (NdT).
  • [12]
    http://www.youtube.com/watch?v=L6aMmhMOvTc (consulté le 23 septembre 2010).
  • [13]
    Ce costume est composé d’une jupe longue à taille très haute surmontée d’un petit corsage (NdT).
  • [14]
    Célèbre monument à proximité immédiate de la ligne de démarcation, côté sud (NdT).
  • [15]
    Réalisé par Pak Kwang-hy?n, 2005.
  • [16]
    Mikhaïl Bakhtin, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1982 (édition russe originale, 1965).
  • [17]
    Dans un processus de transformation, moment où le sujet a abandonné son ancien état sans être encore installé dans le nouveau (NdT).
  • [18]
    http://www.youtube.com/watch?v=zKoXG0RjC7E (consulté le 23 septembre 2010).
  • [19]
    Yi Chae-w?n, Tallae ?maktan ‘t’ongil?i hyangi ch?nhallaeyo (Tallae ?maktan : We Want to Convey the Fragrance of Unification), 18 juillet 2006 (http://sports.hankooki.com/lpage/music/200607/sp2006071807335458550.htm) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [20]
    Ibid..
  • [21]
    Sheila Miyoshi Jager, « Women, Resistance and the Divided Nation : The Romantic Rhetoric of Korean Reunification », Journal of Asian Studies, 55 (1), 1996, p. 3-21.
  • [22]
    http://www.snwedding.co.kr (consulté le 23 septembre 2010).
  • [23]
    Anthony Faiola, « What Do They Want in South Korea ? Unification ! », Washington Post, 8 septembre 2003, p. A1 ; Sohn Jie-ae, « Shock Over Korean Beauties’ Rage », 9 septembre 2003 (http://edition.cnn.com/2003/ WORLD/asiapcf/east/09/09/nkorea.cheerleaders/index.html) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [24]
    On le trouve pour la première fois dans une monographie de 1927 (Chos?ny?sokko, de Yi N?ng-hwa).
  • [25]
    R.R. Grinker, Korea and Its Futures : The Unfinished War, op. cit., p. 51.
  • [26]
    Ibid., p. 171.
  • [27]
    Yi Chae-w?n, Tallae ?maktan ‘t’ongil?i hyangi ch?nhallaeyo (Tallae ?maktan : We Want to Convey the Fragrance of Unification), op. cit..
  • [28]
    Anonyme, « Myubitchij?n Tallae ?maktan » (The Tallae ?maktan on the Video Set), 21 juillet 2006 (http:// www.chosun.com/se/news/200607/200607210318.html) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [29]
    http://www.youtube.com/watch?v=4MQFgyc6AzU ; http://www.youtube.com/watch?v=hzLrXMRTkL4 (consultés le 23 septembre 2010).
  • [30]
    En version anglaise, Love Impossible, Spy Girl et North Korean Guys, respectivement réalisés par Ch?ng Ch’o-shin, Pak Han-jun et An Chi-u.
  • [31]
    Le plus important royaume coréen de l’époque dite « Des Trois Royaumes » (Ier siècle avant - IIIe siècle après Jésus-Christ) (NdT).
  • [32]
    Par exemple Chop’ok manura (My Wife is a Gangster, de Cho Chin-gyu, 2001) et Y?pkij?gin k?ny? (My Sassy Girl, de Kwak Chae-yong, 2001).
  • [33]
    La mer du Japon, dont les Coréens contestent l’appellation (NdT).
  • [34]
    Situé en Corée du Nord, à la frontière avec la Chine (NdT).
  • [35]
    Lee Hye-Ryoung, « The Transnational Imagination and Historical Geography of 21st Century Korean Novels », art. cité, p. 59.
  • [36]
    En français, poisson-globe ou poisson-lune (NdT).
  • [37]
    Chanteur pop sud-coréen des années 1950 (NdT).
  • [38]
    T?lgukhwa en coréen, nom d’un groupe de pop sud-coréen des années 1980 (NdT).
  • [39]
    Musicien et compositeur pop des années 1990, parfois présenté comme « le Michael Jackson sud-coréen » (NdT).
  • [40]
    R.R. Grinker, Korea and Its Futures : The Unfinished War, op. cit., p. 222.
  • [41]
    Ibid., p. 269.
  • [42]
    A. Eungi Kim, « Demography, Migration and Multiculturalism in South Korea », art. cité.
  • [43]
    Dans le texte original : « unitary race » (NdT).
  • [44]
    Notamment Kukky?ng-?i namtchok, Ch??m mannan saramd?l (Over the Border de An Pan-s?k, 2006, Hello Stranger de Kim Dong-hyun, 2007) et K’?roshing (The Crossing de Kim T’ae-gyun, 2008).
  • [45]
    http://www.youtube.com/watch?v=uFVRPXJA2K4 (consulté le 23 septembre 2010). On notera en particulier la réaction dégoûtée d’une femme dans le public vers la fin du clip (3 : 10-3 : 13).
  • [46]
    La version originale de cet article a été publiée sous le titre « The Axis of Vaudeville : Images of North Korea in South Korean Pop Culture », dans The Asia-Pacific Journal (10 (2), 7 mars 2009) (http://japanfocus.org/-Stephen-Epstein/3081).

Citer cet article


  • Epstein, S.
(2010). « L'axe du Mal », entre burlesque et carnaval : les images de la Corée du Nord dans la culture populaire sud-coréenne. Critique internationale, 49(4), 73-89. https://doi.org/10.3917/crii.049.0073.

  • Epstein, Stephen.
« “L'axe du Mal”, entre burlesque et carnaval : les images de la Corée du Nord dans la culture populaire sud-coréenne ». Critique internationale, 2010/4 n° 49, 2010. p.73-89. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-critique-internationale-2010-4-page-73?lang=fr.

  • EPSTEIN, Stephen,
2010. « L'axe du Mal », entre burlesque et carnaval : les images de la Corée du Nord dans la culture populaire sud-coréenne. Critique internationale, 2010/4 n° 49, p.73-89. DOI : 10.3917/crii.049.0073. URL : https://shs.cairn.info/revue-critique-internationale-2010-4-page-73?lang=fr.

https://doi.org/10.3917/crii.049.0073


Notes

  • [1]
    Roy Richard Grinker, Korea and Its Futures : The Unfinished War, New York, St Martin’s Press, 1998, p. XI.
  • [2]
    Filiale du groupe Hyundai spécialement créée pour les projets de coopération économique ou touristique avec la Corée du Nord (NdT).
  • [3]
    Voir l’article de Leonid Petrov dans ce dossier.
  • [4]
    Sabine Burghart, Rüdiger Frank, « Inter-Korean Cooperation 2000-2008 : Commercial and Non-Commercial Transactions and Human Exchanges », Vienna Working Papers on East Asian Economy and Society, 1 (1), 2008, p. 19.
  • [5]
    Pour une discussion précise de la terminologie concernant les Nord-Coréens résidant actuellement en Corée du Sud, et une mise à jour des chiffres récents, voir l’article de Danielle Chubb dans ce dossier.
  • [6]
    Le succès croissant de la culture populaire sud-coréenne sous toutes ses formes à l’étranger et surtout en Asie (NdT).
  • [7]
    Andrew Eungi Kim, « Demography, Migration and Multiculturalism in South Korea », The Asia-Pacific Journal : Japan Focus, 9 février 2009 (http://www.japanfocus.org/-Andrew_Eungi-Kim/3035) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [8]
    Jih-Un Kim, Dong-Jin Jang, « Aliens among Brothers ? The Status and Perception of North Korean Refugees in South Korea », Asian Perspective, 31 (2), 2007, p. 5-22 ; Suk-young Kim, « Crossing the Border to the Other Side : Dynamics of Interaction between North and South Koreans in Joint Security Area and Spy Li Chul-jin », dans Frances Gateward (ed.), Seoul Searching : Culture and Identity in Contemporary Korean Cinema, Albany, SUNY Press, 2007, p. 219-242 ; Lee Hye-Ryoung, « The Transnational Imagination and Historical Geography of 21st Century Korean Novels », Korea Journal, 47 (1), 2007, p. 50-78.
  • [9]
    Kyung Hyun Kim, The Remasculinization of Korean Cinema, Durham/Londres, Duke University Press, 2004 ; Suk-young Kim, « Crossing the Border to the Other Side : Dynamics of Interaction between North and South Koreans in Joint Security Area and Spy Li Chul-jin », cité. Voir également l’article de Roland Bleiker dans ce dossier.
  • [10]
    Hwang Jongyon, « A Postmodern Turn in Korean Literature », Korea Journal, 47 (1), 2007, p. 5-7.
  • [11]
    Le tallae (allium monanthum) est une plante sauvage vernaculaire ressemblant à la ciboulette et dont la racine est utilisée dans la cuisine coréenne (NdT).
  • [12]
    http://www.youtube.com/watch?v=L6aMmhMOvTc (consulté le 23 septembre 2010).
  • [13]
    Ce costume est composé d’une jupe longue à taille très haute surmontée d’un petit corsage (NdT).
  • [14]
    Célèbre monument à proximité immédiate de la ligne de démarcation, côté sud (NdT).
  • [15]
    Réalisé par Pak Kwang-hy?n, 2005.
  • [16]
    Mikhaïl Bakhtin, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1982 (édition russe originale, 1965).
  • [17]
    Dans un processus de transformation, moment où le sujet a abandonné son ancien état sans être encore installé dans le nouveau (NdT).
  • [18]
    http://www.youtube.com/watch?v=zKoXG0RjC7E (consulté le 23 septembre 2010).
  • [19]
    Yi Chae-w?n, Tallae ?maktan ‘t’ongil?i hyangi ch?nhallaeyo (Tallae ?maktan : We Want to Convey the Fragrance of Unification), 18 juillet 2006 (http://sports.hankooki.com/lpage/music/200607/sp2006071807335458550.htm) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [20]
    Ibid..
  • [21]
    Sheila Miyoshi Jager, « Women, Resistance and the Divided Nation : The Romantic Rhetoric of Korean Reunification », Journal of Asian Studies, 55 (1), 1996, p. 3-21.
  • [22]
    http://www.snwedding.co.kr (consulté le 23 septembre 2010).
  • [23]
    Anthony Faiola, « What Do They Want in South Korea ? Unification ! », Washington Post, 8 septembre 2003, p. A1 ; Sohn Jie-ae, « Shock Over Korean Beauties’ Rage », 9 septembre 2003 (http://edition.cnn.com/2003/ WORLD/asiapcf/east/09/09/nkorea.cheerleaders/index.html) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [24]
    On le trouve pour la première fois dans une monographie de 1927 (Chos?ny?sokko, de Yi N?ng-hwa).
  • [25]
    R.R. Grinker, Korea and Its Futures : The Unfinished War, op. cit., p. 51.
  • [26]
    Ibid., p. 171.
  • [27]
    Yi Chae-w?n, Tallae ?maktan ‘t’ongil?i hyangi ch?nhallaeyo (Tallae ?maktan : We Want to Convey the Fragrance of Unification), op. cit..
  • [28]
    Anonyme, « Myubitchij?n Tallae ?maktan » (The Tallae ?maktan on the Video Set), 21 juillet 2006 (http:// www.chosun.com/se/news/200607/200607210318.html) (consulté le 23 septembre 2010).
  • [29]
    http://www.youtube.com/watch?v=4MQFgyc6AzU ; http://www.youtube.com/watch?v=hzLrXMRTkL4 (consultés le 23 septembre 2010).
  • [30]
    En version anglaise, Love Impossible, Spy Girl et North Korean Guys, respectivement réalisés par Ch?ng Ch’o-shin, Pak Han-jun et An Chi-u.
  • [31]
    Le plus important royaume coréen de l’époque dite « Des Trois Royaumes » (Ier siècle avant - IIIe siècle après Jésus-Christ) (NdT).
  • [32]
    Par exemple Chop’ok manura (My Wife is a Gangster, de Cho Chin-gyu, 2001) et Y?pkij?gin k?ny? (My Sassy Girl, de Kwak Chae-yong, 2001).
  • [33]
    La mer du Japon, dont les Coréens contestent l’appellation (NdT).
  • [34]
    Situé en Corée du Nord, à la frontière avec la Chine (NdT).
  • [35]
    Lee Hye-Ryoung, « The Transnational Imagination and Historical Geography of 21st Century Korean Novels », art. cité, p. 59.
  • [36]
    En français, poisson-globe ou poisson-lune (NdT).
  • [37]
    Chanteur pop sud-coréen des années 1950 (NdT).
  • [38]
    T?lgukhwa en coréen, nom d’un groupe de pop sud-coréen des années 1980 (NdT).
  • [39]
    Musicien et compositeur pop des années 1990, parfois présenté comme « le Michael Jackson sud-coréen » (NdT).
  • [40]
    R.R. Grinker, Korea and Its Futures : The Unfinished War, op. cit., p. 222.
  • [41]
    Ibid., p. 269.
  • [42]
    A. Eungi Kim, « Demography, Migration and Multiculturalism in South Korea », art. cité.
  • [43]
    Dans le texte original : « unitary race » (NdT).
  • [44]
    Notamment Kukky?ng-?i namtchok, Ch??m mannan saramd?l (Over the Border de An Pan-s?k, 2006, Hello Stranger de Kim Dong-hyun, 2007) et K’?roshing (The Crossing de Kim T’ae-gyun, 2008).
  • [45]
    http://www.youtube.com/watch?v=uFVRPXJA2K4 (consulté le 23 septembre 2010). On notera en particulier la réaction dégoûtée d’une femme dans le public vers la fin du clip (3 : 10-3 : 13).
  • [46]
    La version originale de cet article a été publiée sous le titre « The Axis of Vaudeville : Images of North Korea in South Korean Pop Culture », dans The Asia-Pacific Journal (10 (2), 7 mars 2009) (http://japanfocus.org/-Stephen-Epstein/3081).

1 En 1998, l’anthropologue Roy Richard Grinker a montré comment les Sud-Coréens manifestaient collectivement le désir de continuer à rêver de la réunification plutôt que de la réaliser, et s’entêtaient à imaginer la nation coréenne comme un ensemble homogène, malgré les preuves évidentes du contraire qui leur venaient du Nord. Selon lui, l’ignorance dans laquelle se trouvaient la plupart des habitants du Sud de ce qu’était la vie au Nord permettait à la « Corée unifiée » de fonctionner dans leur imaginaire comme « un écran blanc sur lequel ils pouvaient [se] projeter [avec] leurs illusions »  [1], tandis que le discours sur la prétendue « homogénéité » (tongjils?ng) supposée perdurer malgré la division fonctionnait comme un obstacle à la réunification.

2 Cette thèse doit aujourd’hui être réexaminée. Dix ans de Sunshine Policy (1998-2008) ont permis de multiplier les contacts entre les deux Corées. Les Sud-Coréens ont appris à mieux connaître ceux du Nord, leur attitude à leur égard est devenue plus complexe et leurs jugements plus nuancés. À partir de 1998, l’agence de voyages Hyundai Asan  [2] a organisé des circuits touristiques au Mont K?mgang  [3] ; à la fin de l’année 2007, ces circuits ont été étendus jusqu’à Kaes?ng, la ville qui fait face à Séoul de l’autre côté de la ligne de démarcation. Même s’il était interdit aux visiteurs d’être en contact direct avec les habitants, c’était la première fois que des gens du Sud pouvaient, en grand nombre, observer de près une ville du Nord. Jusqu’à la suspension des voyages organisés en 2008, environ 1,9 million de touristes ont ainsi pu avoir un aperçu du Nord, et environ 500000 autres personnes ont traversé la zone démilitarisée dans les deux sens pour des motifs officiels ou semi-officiels, contre seulement 2980 pour toute la période 1989-1997 [4]. Enfin, en 2007, plus de 10000 réfugiés du Nord (t’albukcha), appelés aussi saet’?min (nouveaux résidents) vivaient au Sud [5]. Le nombre de Sud-Coréens qui ont vu le Nord de leurs propres yeux ou qui ont été en contact direct avec des gens élevés dans la République populaire de Corée (RPDC) a donc augmenté de manière exponentielle pendant la décennie 1998-2008.

3 Non moins importantes sont les évolutions dans la perception que les Coréens du Sud ont de leur propre pays. Depuis le début du millénaire, la « vague coréenne »  [6], la Coupe du monde de football en 2002 et les percées de la Corée du Sud dans le domaine des technologies digitales ont profondément modifié la vision que ses habitants ont de leur place dans la région et dans le monde. L’accroissement de l’immigration et l’explosion du nombre de mariages internationaux ont par ailleurs modifié la composition ethnique de la Corée du Sud et la perception qu’elle a de son identité [7]. Au-delà de la nostalgie pour une « coréanité » plus pure et non polluée par la globalisation, le Sud affiche désormais une confiance absolue dans la supériorité de son système sur celui du Nord. La perception du danger que représente ce dernier a également changé : il n’est plus question d’une menace idéologique, mais de l’instabilité que provoquerait la RPDC si elle venait à imploser ou provoquait un conflit armé avec les États-Unis.

4 Nous analyserons ici comment la perception de la Corée du Nord a évolué au Sud depuis dix ans, comment la culture populaire du Sud reflète cette évolution et comment, ce faisant, elle la modifie encore. Si l’analyse de R.R. Grinker il y a dix ans était juste, ces évolutions vont avoir des implications politiques significatives : l’imaginaire collectif sud-coréen est-il en train de s’élargir pour laisser apparaître une identité coréenne englobante mais hétérogène, qui accepterait pleinement l’idée que la nation comprend deux composantes ? Ou assistons-nous au contraire à un raidissement dans la perception des différences culturelles et sociales à mesure que progresse, fût-ce de façon chaotique, le rapprochement politique et économique des deux pays ? Nous examinerons ces questions à travers des exemples tirés des médias dans lesquels l’imaginaire collectif du Sud s’exprime le mieux : la musique, la publicité, les séries télévisées, le cinéma et la littérature.

5 Il a été amplement démontré que la politique d’engagement a modifié l’image du Nord dans la population sud-coréenne [8]. Avant la présidence de Kim Dae-jung, la culture populaire diabolisait généralement le Nord sans aucune nuance, sur le mode de la crainte ou du mépris : les Nord-Coréens étaient presque toujours des espions ou des terroristes ; au pire, des méchants caricaturaux, au mieux, de misérables robots lobotomisés. Depuis le tournant du siècle cependant, un changement frappant s’est opéré avec des films à succès comme Swiri, de Kang Che-gyu (1999), et Joint Security Area (JSA), de Park Chan-wook (2000), où les adversaires nord-coréens sont présentés comme des êtres humains. Ces films ayant été déjà amplement commentés [9], je n’en parlerai pas ici.

6 À défaut d’être finement nuancée, l’image du Nord en Corée du Sud s’est beaucoup diversifiée ces dernières années. Passée relativement inaperçue, cette évolution n’en est pas moins remarquable : alors que les médias du monde entier continuent aujourd’hui à parler de la RPDC sur un ton dramatique, en se focalisant sur son programme nucléaire et sur les famines récurrentes, la culture populaire du Sud, elle, l’aborde souvent sur le mode de la comédie, de l’ironie, voire de la farce. Certes, cette tendance à la dérision est générale dans la culture populaire sud-coréenne postmoderne [10], mais l’on peut penser qu’en l’occurrence elle résulte de la reconnaissance croissante de l’hétérogénéité entre le Sud et le Nord : c’est parce qu’ils ne considèrent plus la Corée du Nord comme un « double malfaisant », mais comme un pays différent du leur, bien qu’ayant avec lui un lien spécial, que les Coréens du Sud se sentent désormais plus libres de présenter cette différence comme amusante plutôt que menaçante.

Danser sur la ligne de démarcation

7 Commençons par un exemple surprenant. En 2006, un groupe appelé Tallae ?maktan [11] fit une entrée remarquée sur la scène musicale sud-coréenne en quête perpétuelle de nouveaux talents. Ce groupe était formé de cinq jeunes réfugiées du Nord bien résolues à percer dans le milieu très compétitif de la K-pop (Korean pop). Premier groupe de saet’?min, elles jouaient de leur origine pour attirer l’attention des médias. Leurs compositions étaient inspirées du shinminyo (la « nouvelle ballade folk » nord-coréenne) et fortement marquées par le « trot » (t’?r?t’?), une forme plus ancienne de pop sud-coréenne.

8 Si le groupe est plus ou moins tombé dans l’oubli aujourd’hui, son existence même et son style léger, qui reflétait le vécu des chanteuses en fusionnant les influences du Nord et celles de la pop du Sud, méritent l’attention. Le clip de leur hit M?tchaengi [12] (L’élégant), qui parodie certaines scènes emblématiques de JSA, est révélateur de la réinvention de l’image du Nord, ne serait-ce que parce qu’il est joyeux au lieu de miser sur le stéréotype mélodramatique des réfugiés : on peut être t’albukcha sans être triste.

9 Réalisé dans un décor créé pour JSA, le clip s’ouvre sur l’image archétypale du point de contact entre les deux Corées : P’anmunj?m. La caméra zoome vers le Nord par-dessus la ligne de démarcation, montrant deux soldats sud-coréens de dos au premier plan tandis que, côté nord, un officier parade au pas de l’oie derrière deux autres gardes. Ce début semble inviter le spectateur, comme on pouvait s’y attendre, à se placer du point de vue du Sud. Mais voilà qu’une bannière rouge se déroule sur un côté de l’écran, affichant le nom du groupe dans une graphie typiquement nord-coréenne, tandis qu’un accordéon, autre symbole du Nord, joue en sourdine. Dans un médaillon, un speaker se met à déclamer, sur le ton emphatique caractéristique des émissions de propagande, un discours où se mêlent de manière incongrue des expressions venues tout droit de la RPDC (chos?n inmin tongmu : camarades nord-coréens ; ry?s?ng tongmu : camarades féminines) et le terme de pukhan que les gens du Sud utilisent plutôt que chos?n pour désigner le Nord. Puis la caméra passe de l’autre côté, au Nord, pour montrer les Tallae ?maktan vêtues d’un costume traditionnel [13] noir et blanc qui contemplent la scène depuis la Pagode de la Liberté [14] en faisant de grands gestes vers les soldats. Cette scène quasi surréaliste s’ajoute au mélange des points de vue et des vocabulaires pour mettre à mal tout cadre interprétatif prêt à servir.

10 La chanson commence. Pendant que le groupe rend hommage à l’élégant objet d’amour évoqué dans le titre, la tension monte entre les soldats dans une scène qui rappelle JSA. Un soldat du Nord s’en prend à son vis-à-vis du Sud parce que l’ombre de celui-ci traverse la ligne de démarcation ; de chaque côté, des hommes accourent et pointent leurs armes. Pourtant, cette scène est entrecoupée de plans où l’on voit d’autres soldats qui dansent à l’unisson avec le groupe, regardent les chanteuses avec concupiscence, l’un d’eux démontrant sa virilité en faisant des pompes devant elles. Le groupe est présenté à la fois comme objet de désir et comme instrument de réconciliation. Suit une autre scène reprise de JSA, et entrecoupée elle aussi d’images montrant les Tallae ?maktan en train de chanter, dans laquelle un soldat du Sud qui a posé le pied sur une mine est secouru par un soldat du Nord. La mine est finalement désamorcée, mais juste avant le « hey ! » qui marque la fin du premier refrain, elle explose quand même, dans un trait inattendu d’humour noir.

11 La scène du deuxième couplet évoque Welcome to Dongmakgol [15], film à succès dans lequel deux groupes de soldats nord et sud-coréens se retrouvent face à face dans un village tellement isolé que les habitants ne savent même pas que la guerre fait rage. Devant une taverne rurale traditionnelle, trois soldats du Sud sont en train de boire avec les villageois quand arrivent trois soldats du Nord, conduits par une jeune fille qui semble un peu simple d’esprit. Chacun saute sur son arme et les deux camps sont prêts à s’affronter, comme dans le film. La fille se met alors à danser entre eux, repoussant les armes avec désinvolture, et les villageois continuent à trinquer pendant que les soldats se toisent belliqueusement. Ici encore, la scène est entrecoupée de plans qui montrent les Tallae ?maktan en train de chanter, souriantes et vêtues cette fois de costumes traditionnels élégants et multicolores. Comme la chanson approche de la fin, les soldats des deux camps commencent à danser côte à côte devant les villageois, et comme dans la scène précédente, tout se termine par une explosion : la jeune fille insouciante a lancé une grenade en l’air… mais au lieu d’éclats mortels, c’est du pop corn qui arrose l’assistance, comme dans l’une des scènes les plus marquantes de Welcome to Dongmakgol.

12 Ce clip peut laisser perplexe. Comment donner un sens à sa manière farfelue de traiter des contacts entre les deux Corées ? Certes, les conventions des clips vidéo et leur montage abrupt rendent souvent futile toute tentative d’y chercher une logique. C’est sans doute encore plus difficile pour M?tchaengi, pastiche de citations très postmoderne, qui relève du surréalisme, mais aussi du carnaval, tel que l’a analysé Mikhaïl Bakhtin [16] : un moment où l’organisation politique du monde fait place au défoulement collectif, comme l’attestent les scènes où l’on boit, mange, danse et chante. Le conflit est désamorcé par l’abandon aux plaisirs du corps et par l’intercession des musiciennes, médiatrices entre le Nord et le Sud en leur triple qualité d’artistes, de réfugiées et de femmes – un point sur lequel nous reviendrons. Les membres du groupe occupent un espace liminal [17], entre leur passé en RPDC et leur présent au Sud. Cette liminalité est explicitement mise en scène quand on les voit chanter à P’anmunj?m, du côté sud de la ligne de démarcation bien visible juste un mètre derrière elle.

13 L’utilisation de P’anmunj?m et de la zone démilitarisée est révélatrice du changement des représentations concernant la relation entre les deux Corées. Ce site se prête tout particulièrement à la manipulation artistique, parce qu’il offre la représentation la plus littérale possible de l’interface entre le Nord et le Sud : un espace partagé où les deux camps se jaugent de part et d’autre d’une ligne bien visible. On a beau jeu de souligner le caractère paradoxal de l’appellation « zone démilitarisée » pour un lieu où se concentrent tant d’armements ; mais la culture populaire sud-coréenne la « démilitarise » vraiment en en faisant un décor de comédie. Le réalisateur américano-canado-coréen Benson Lee a lui aussi utilisé le décor de P’anmunj?m créé pour JSA dans la séquence « Run-DMZ » de son documentaire Planet B-Boy (2007), où deux groupes de breakdancers coréens en costumes de soldats du Nord et du Sud se défient dans un esprit de compétition, avant de se serrer finalement la main en signe de solidarité [18]. P’anmunj?m, miroir déformant des relations entre les deux Corées, peut désormais être utilisé comme une sorte d’attraction foraine du genre « train fantôme géopolitique ».

14 M?tchaengi et Planet B-Boy montrent également comment ces diverses représentations du Nord fonctionnent sur le mode d’une intertextualité à base de citations multiples. La culture populaire sud-coréenne évolue sans pouvoir se déprendre de l’histoire des représentations successives qu’elle a données du Nord, ni des visions divergentes sur ce qu’est la péninsule divisée. M?tchaengi et Planet B-Boy font directement référence à JSA déjà élevé au rang de classique, mais commentent aussi indirectement un demi-siècle de représentations et leur plasticité. Et si les Sud-Coréens contestent aujourd’hui l’image dominante de la RPDC qu’on leur a imposée d’en haut pendant si longtemps, les réfugiés et les Coréens de la diaspora contribuent eux aussi, avec leur subjectivité particulière, à redéfinir cette image.

15 À cet égard, le fait que les chanteuses réfugiées de Tallae ?maktan soient à la fois « nous » et « autres » est particulièrement significatif. Les commentateurs évoquent à propos du groupe une homogénéité épicée de différences attractives : « Hors leur façon de s’exprimer et leur accent du Nord, rien ne distingue les filles de Tallae ?maktan des jeunes femmes du Sud »  [19]. Les chanteuses et tous ceux qui ont travaillé avec elles ont bien fait la distinction entre ce qu’ils devaient à la culture du Nord et ce qu’ils devaient à celle du Sud, tout en soulignant leur volonté de les mêler. Le compositeur de M?tchaengi a déclaré : « Certains jugent la musique du Nord peu raffinée [ch’ons?r?pta], alors qu’elle est d’un très haut niveau artistique. Nous voulons donner l’exemple d’une fusion entre la haute qualité artistique du Nord et le cool sophistiqué du Sud »  [20]. Cette déclaration montre que si le discours sur l’unification met souvent l’accent sur l’homogénéité, le Nord et le Sud peuvent aussi désormais être présentés comme différents et complémentaires, pas seulement sur le plan idéologique, et pas toujours au détriment du Nord [21].

16 Cette idée de complémentarité est présente depuis longtemps dans l’expression traditionnelle namnam pungny?, qui suggère que le couple coréen idéal est celui que forment un homme du Sud (namnam) et une femme du Nord (pungny?). On trouve cette expression dans le titre de deux films et d’un sitcom radiophonique récents (avec Im Yu-gy?ng, des Tallae ?maktan). Elle est aussi utilisée par des agences matrimoniales d’un genre nouveau telles que Consulting Matrimonial Homme du Sud, Femme du Nord (Namnam pungny? ky?rhon k’?ns?lt’ing) [22], dont la propriétaire est une réfugiée. Son succès est dû à des facteurs divers : le très grand nombre de femmes parmi les saet’?min, la très forte impression que les cheerleaders du Nord ont faite sur les hommes du Sud lors des Universiades de Taegu de 2003 [23] et l’augmentation du nombre de mariages entre des Coréens et des femmes d’autres pays d’Asie. L’expression namnam pungny? existait déjà avant la division de la péninsule  [24], mais à mesure que les parcours des deux Corées divergeaient, il s’y est ajouté l’idée sous-jacente d’une relation hiérarchique : « Le Sud-mâle a pris métaphoriquement le rôle du colonisateur et le Nord-femelle celui de l’Autre »  [25]. Aujourd’hui, au Sud, cette expression est en train de se charger d’un nouveau sous-texte, où l’imaginaire distingue de plus en plus une beauté du Nord symbole de « pureté innocente » (sunsuhada) et une beauté du Sud plus sexy ou sexuelle. Le concept de sunsuhada, avec ses connotations positives et nostalgiques, fonctionne aujourd’hui sur trois plans : pour opposer les citadins aux ruraux, la Corée du Sud développée à l’Asie en voie de développement, et le Sud au Nord  [26]. Les Tallae ?maktan ont joué sur ce contraste, par exemple en expliquant le choix de leur nom : « Le tallae est une plante pleine de fraîcheur (…). Nous voulons donner à nos fans sud-coréens le genre de bien-être et de pureté qui émane du tallae »  [27] ; et plus encore quand elles ont distingué leurs « fraîches » chorégraphies de celles des méga-stars de la K-Pop : « Notre style est classique. En fait, nous ne savons pas grand-chose de la manière dont on danse en Corée du Sud ; Lee Hyori danse bien, il nous semble… »  [28]. Le contraste ne pouvait être plus frappant : Lee Hyori est le symbole par excellence du caractère de plus en plus sexuellement provocant de la culture populaire sud-coréenne.

17 Cette différence entre les représentations idéalisées des femmes du Nord et du Sud est utilisée dans des clips publicitaires Samsung de 2005 pour Anycall, un système vidéo sur téléphone portable [29]. L’un d’eux met précisément en scène Lee Hyori avec la danseuse nord-coréenne Cho Myung-ae à l’occasion d’un joint concert Nord-Sud à Shanghai. Les deux femmes, chacune entourée d’une meute de reporters, se croisent dans un grand hall et, sans un mot, échangent un long regard. Une voix off théâtrale chargée de sous-entendus quasi érotiques dit : « On peut parler sans rien dire. Un regard suffit pour que votre pouls s’accélère. Digital Exciting. Anycall ». Scène suivante : Lee a offert un téléphone satellite DMB-Samsung en cadeau à Cho. Celle-ci est en scène ; elle tourne sur elle-même vêtue d’un élégant costume traditionnel, avec un vase sur la tête. Dans sa loge, Lee s’échauffe, vêtue d’un jean et d’un petit haut qui découvre son ventre. Ses mouvements de hanches ne laissent aucun doute sur son statut de sex symbol. Puis les deux stars tiennent une conférence de presse. Lee demande son âge à Cho et remarque qu’elle est « la sœur aînée » (?nni) de la danseuse du Nord. Enfin, nous les voyons passer une journée ensemble, main dans la main, et échanger des cadeaux au moment de se séparer, en promettant de se revoir. Cette campagne publicitaire est remarquable parce qu’elle met en scène des femmes du Sud et du Nord ensemble, ce qui est rare ; mais si elle suggère entre elles un lien de sororité aussi intense que la fraternité des hommes dans JSA, elle les oppose aussi de manière flagrante. Tout en véhiculant parfois l’idée que le Nord et le Sud peuvent développer une amitié étroite, la culture populaire sud-coréenne souligne ici le fossé entre deux cultures et deux modes de vie, qui va bien au-delà des différences idéologiques.

L’État burlesque

18 Dans le registre « complémentarités et différences », en 2003, trois films de série B ont mis en scène des idylles Nord-Sud. Namnam pungny?, K?ny?r?l mor?my?n kanch’?p et Tonghaemulgwa Paektusan[30] sont des comédies à gros traits, mais cela même en fait des révélateurs des immenses changements en cours dans la manière dont les Coréens du Sud perçoivent le Nord. Certes, le Nord avait été quelquefois traité avec un peu de d’humour par les cinéastes du Sud, mais c’est le sommet de 2000 entre Kim Dae-jung et Kim Jong Il et l’optimisme suscité ensuite par la détente entre les deux camps qui ont ouvert la voie à un genre nouveau : celui de la farce romantique Nord-Sud où le Nord devient une source de comique et de rêverie amoureuses.

19 Namnam pungny? met en scène le fameux « couple coréen idéal » d’une manière burlesque, voire choquante, en racontant « l’impossible » idylle entre Ch’?l-su, un bel étudiant du Sud, dragueur impénitent, et Y?ng-h?i, une ravissante chercheuse du Nord surdouée. Ils se rencontrent en Chine, dans la région autonome coréenne de Yanbian, où les deux Corées fouillent ensemble des tombes de l’époque Kogury? [31]. Dans cette farce, la belle, malgré sa féminité éthérée, tient l’alcool mieux que n’importe quel homme, et son habileté aux arts martiaux laisse les spectateurs bouche bée. En dépit de sa fermeté idéologique (elle combat son attirance naissante pour Ch’?l-su en invoquant tout ce qu’elle doit à sa patrie), elle se révèle corruptible : elle écoute du rap en cachette à Pyongyang, se laisse entraîner dans une discothèque à Yanbian, et se maquille dès qu’elle le peut. Le comique du film repose principalement sur cette contradiction entre différence et similitude : présentée comme une extra-terrestre, Y?ng-h?i veut cependant s’amuser et consommer comme ses consœurs du Sud.

20 K?ny?r?l mor?my?n kanch’?p est une romance entre un jeune Sud-Coréen et une belle Nord-Coréenne, dont le visage angélique cache une espionne endurcie. Le film exploite la veine de la comédie romantique dont l’héroïne est une femme à poigne [32], mais le fait qu’elle soit du Nord en fait l’incarnation d’une nation qui est elle-même hors norme. En outre, la belle espionne du Nord a tout pour susciter la sympathie des spectateurs, alors que le Sud est représenté par de méchants gangsters ou des filles vaines et vénales qui monnayent leurs rendez-vous contre des cosmétiques de luxe. Le plus frappant dans ce genre de films est le fait que la Corée du Sud n’y tient plus toujours le beau rôle. Ainsi le contraste entre la permissivité sexuelle croissante au Sud et le puritanisme traditionnel du Nord n’est plus présenté comme une opposition entre la sophistication élégante et une rigidité archaïque : ce film le reformule en termes d’innocence attractive vs décadence.

21 Tonghaemulgwa Paektusan retrace les aventures de deux marins nord-coréens, qui, entraînés loin de leur route, se retrouvent au Sud. Tout en faisant vibrer la corde de l’unité nationale – le titre joue sur les prénoms des deux héros (Paek-tu et Tong-hun) en référence à la première phrase de l’hymne national du Sud évoquant la mer de l’Est (Tonghae) [33] et le Mont Paektu [34] –, le film utilise le choc des cultures comme ressort comique. Observant du haut d’un escarpement la plage sur laquelle ils ont échoué, les deux héros aperçoivent de beaux garçons flirtant ouvertement avec des filles en bikinis, des familles jouant gaiement dans l’eau et une joyeuse sarabande autour d’un ghetto-blaster, au milieu des boîtes de bière Hite, sur fond de musique rock. Bouche bée devant ce spectacle, ils comprennent qu’ils sont au Sud. Plus tard, on les retrouvera en train de chanter du rap, et caricaturant les aspects les plus occidentalisés de la culture populaire du Sud d’aujourd’hui.

22 Tonghaemulgwa Paektusan reprend nombre des recettes des deux films précédents, mais il inverse le stéréotype « homme du sud, femme du nord ». Le capitaine Ch’oe est présenté comme un chef intrépide –quoiqu’un peu brusque – un excellent combattant, chevaleresque et proche de la nature. Ces qualités font beaucoup d’effet sur une jeune femme du Sud significativement – et un peu lourdement – nommée Han Na-ra (« Grande Nation » ou « Une seule Nation »). Ils nouent une idylle. Vers la fin, alors que les deux marins s’apprêtent à repartir en canot pneumatique vers leur patrie, Ch’oe et Han se font des adieux émus, en jurant que quand ils se reverront ils pourront être amis sans arrière-pensées : « Nara » et « Paektu » seront enfin réunis. Au-delà de l’allégorie simplette de l’unification nationale destinée à la consommation populaire, le film contient un sous-texte révélateur : le Sud y est présenté comme le lieu naturel où réside la nation coréenne, en sorte que l’unification ne peut que signifier l’absorption du Nord. En outre, le happy end expédie les deux marins vers une troisième destination : comme ils ne pourraient plus se réadapter au Nord après avoir goûté aux charmes du Sud, et comme ce dernier n’est pas encore prêt à les accueillir, ils sont une nouvelle fois entraînés loin de leur route et vont s’échouer sur une plage tropicale. Dans la scène finale, alors que le générique commence sur fond de musique hawaïenne, deux femmes blanches en bikini passent en sirotant des cocktails près des deux hommes et leur sourient d’un air aguicheur.

23 Le film donne une vision plaisante de la vie en Corée du Sud – loisirs et détente joyeuse à la plage, belles filles et beaux garçons peu vêtus – mais jamais il n’est question de liberté ou de démocratie. Mieux : les gangsters, la police et l’armée sont tous mis dans le même sac, et présentés comme des forces qui pourrissent la vie privée des gens ordinaires. Les gangsters occupent également une grande place dans K?ny?r?l mor?my?n kanch’?p. Et dans Namnam pungny?, le héros est aux prises avec un professeur despotique, et reçoit une correction plutôt comique de la part d’un père d’autant plus autoritaire qu’il est le directeur de l’Agence nationale du renseignement. À l’inverse, le système politique nord-coréen est présenté avec une sorte d’indulgence amusée, comme plus aberrant que vraiment inhumain. Dans ces films, la RPDC apparaît moins dangereuse que burlesque. Cette image rompt avec la vieille rhétorique anticommuniste et humanise les Nord-Coréens, mais du même coup, elle fait d’eux, plus que jamais, des « aliens ».

24 Si la comédie convient bien pour peindre à gros traits une nouvelle image des gens du Nord, la littérature convie de façon moins légère le lecteur à « se mettre dans la tête de quelqu’un du Nord ». Le meilleur exemple est peut-être Pit?i Cheguk (Empire de lumière, 2006), un roman de Kim Young-ha dont le héros, Ki-y?ng, est un agent dormant nord-coréen. Infiltré au Sud au milieu des années 1980, il n’a reçu aucun signe de vie de ses chefs depuis dix ans. Avec le temps, il s’est complètement assimilé, est devenu distributeur de films indépendants, et a épousé une ancienne militante étudiante qui lui a donné une fille, maintenant collégienne. Mais alors qu’il croit qu’on l’a oublié, il reçoit brusquement l’ordre de rentrer au Nord dans les vingt-quatre heures. Pit?i Cheguk veut faire partager au lecteur les réflexions d’un Nord-Coréen assimilé dans la société du Sud, aux prises avec la déconstruction et la reconstruction de son identité. Au-delà du premier degré, ce regard d’un Nord-Coréen sur le Sud devient un instrument pour analyser les changements de la société sud-coréenne depuis une génération.

25 Le roman est tout empreint d’une sensibilité urbaine teintée d’humour. Ses multiples références aux icônes de la culture populaire mondiale laissent deviner, entre autres, l’influence de la célébrissime série américaine Les Sopranos qui présente un parrain de la mafia sous les traits d’un père d’une famille moyenne dans une banlieue du New Jersey ; ici, c’est un espion nord-coréen qui est présenté comme le bon père d’une famille nucléaire typique de Séoul. À travers lui, l’auteur dépeint avec une froideur clinique une Corée du Sud décadente : le héros forme en toute connaissance de cause un triangle amoureux avec l’amant de son épouse, un étudiant ; un de ses collègues est « accro » à la pornographie sur Internet, et la meilleure amie de sa fille est connue dans tout le collège pour avoir montré ses seins sur le Web.

26 Alors que nos trois comédies se contentaient de montrer les excès et les charmes de la culture consumériste du Sud, Pit?i Cheguk offre une vision pénétrante du rôle que les modes de consommation y jouent pour structurer son identité même. Quand l’une de ses anciennes amantes tente de dissuader Ki-y?ng d’obéir, c’est son mode de consommation qu’elle met en avant pour le persuader que son identité est incontestablement sud-coréenne  [35] : « Je te connais. Tu aimes le saké dans lequel a mariné du fugu[36], le sushi et la bière Heineken. Les films de Sam Peckinpah et de Wim Wenders. Tu aimes ce roman de Camus où Meursault tue un Arabe. Tu soulignes les passages que tu trouves bien écrits dans les romans de Mishima, cet homosexuel réactionnaire. Tu manges des spaghettis aux fruits de mer pour ton brunch du samedi, et le vendredi soir, tu vas boire du scotch dans les bars près de l’université Hongik. Ce n’est pas vrai ? » (p. 289).

27 Ki-y?ng reste pourtant un outsider. Il n’est pas angoissé, mais paralysé par l’absence de valeurs, car son identité nord-coréenne lui colle à la peau. Même après plus de vingt ans passés au Sud, il ne s’est pas forgé une nouvelle identité cohérente ; il n’a pas comblé le fossé entre le Nord où il a été éduqué et la société sud-coréenne d’aujourd’hui. L’auteur met en lumière cette aliénation en évoquant la pop culture : « Ki-y?ng (…) avait grandi sans connaître King Kong ni Mazinger Z, Bruce Lee, Jackie Chan, Donald Duck et Woody Woodpecker, Superman et Spiderman. Au Sud, Papillon et The Great Escape avec Steve McQueen passaient à la télévision chaque jour férié, mais lui ne les avait vus que beaucoup plus tard, en vidéo… Au Bureau de liaison 130, semaine après semaine, il avait mémorisé des faits et passé des examens ; mais il avait tout appris avec sa tête. Il pouvait donner les bonnes réponses, mais cela ne signifiait rien au plus profond de lui. Il se voyait comme un cyborg fait de circuits électroniques et de microcomposants. Il en savait plus que n’importe qui sur Cho Yong-pil [37], Aster [38] et Seo Tae-ji [39] mais toute cette connaissance ne remplissait pas le vide qui était en lui » (p. 102).

28 Face à la culture consumériste infiniment diversifiée du Sud, Ki-y?ng se sent moins qu’un homme. En nous disant qu’un Nord-Coréen, même intelligent et bien entraîné, ne peut pas se sentir vraiment appartenir à la société sud-coréenne même après y avoir passé la moitié de sa vie, le roman répudie radicalement la vision idéalisée de la « nation coréenne homogène ». Kim Young-ha éclaire la cause essentielle de l’impossibilité de retrouver cette homogénéité perdue en insistant longuement sur le gouffre qui sépare la Corée du Sud des années 1980 – celle de la révolte étudiante – et celle de ce début de millénaire. Ki-y?ng lui-même remarque que le Sud des années 1980 avait plus de choses en commun avec la République populaire qu’avec le Sud d’aujourd’hui (p. 198). À mesure que l’engagement militant faisait place au consumérisme, le rêve de restaurer l’homogénéité perdue est devenu de plus en plus chimérique, tout comme – peut-être – l’unification elle-même. Vu sous cet angle, le problème n’est plus l’étrangeté radicale de la Corée du Nord, mais le divorce entre la Corée du Sud et son identité passée. Kim Young-ha raconte un souvenir de son personnage regardant la Coupe du monde de football 2002 à la télévision avec un autre agent, Chong-hun : « Quand Park Ji-sung [de l’équipe du Sud] marqua (…), ils avaient bondi ensemble du canapé en criant de joie. Mais quand il avait couru vers le banc et sauté dans les bras de Guus Hiddink, Chong-hun s’était assombri. Il s’était rassis et avait avalé une gorgée de sa bière : “Je ne comprends pas. Pourquoi ont-ils besoin d’un entraîneur étranger ? Des joueurs qui se teignent les cheveux et sont entraînés par un étranger. Comment peut-on prétendre que cette équipe représente la Corée ?”. Ki-y?ng n’était pas d’accord, mais il n’avait rien dit. Le nationalisme est le fluide vital de la politique, surtout au Nord. Même si le culte de la famille Kim venait un jour à disparaître, le nationalisme perdurerait » (p. 133-34).

29 En d’autres termes, même si le régime nord-coréen n’est pas éternel, l’attachement des gens du Nord à la vision d’une identité coréenne fondée sur la pureté ethnique peut empêcher un rapprochement avec une Corée du Sud qui a radicalement changé, et dont l’identité s’est ouverte au cosmopolitisme.

30 L ’imaginaire sud-coréen touchant la Corée du Nord est-il en train de s’élargir pour faire place à une identité hétérogène mais ouverte, capable d’inclure les deux composantes d’une nation divisée ? Avant même l’ère de la Sunshine Policy, R.R. Grinker le pressentait : « Le discours dominant sur la réunification semble évoluer (…). On commence à discuter plus ouvertement des obstacles qu’elle peut rencontrer »  [40]. Aujourd’hui, on n’hésite plus à débattre en public d’une manière critique de cette « vache sacrée » qu’est la réunification. L’étude de la culture populaire éclaire la question sous un jour nouveau. Dans sa conclusion, R.R. Grinker s’étonnait que « les Coréens n’envisagent jamais la différence sous l’aspect positif que les notions de “melting pot” ou de “multiculturalisme” ont aux États-Unis ou en Europe. La différence est toujours considérée sous l’angle négatif »  [41]. Il ne pouvait cependant pas prévoir à quel point la Corée du Sud allait changer en dix ans : aujourd’hui, l’idée d’une « nation multiculturelle » est évoquée avec le soutien des autorités, même si elle est loin de s’imposer et demeure très contestée [42]. Pourtant, ce nouvel imaginaire cosmopolite pourrait paradoxalement constituer un obstacle majeur – voire insurmontable – pour repenser l’homogénéité de la nation : aux yeux des Sud-Coréens, l’émergence de la vision d’une nation fondée sur la citoyenneté plus que sur l’ethnicité diminue ipso facto l’importance que le Nord peut avoir dans l’idée qu’ils se font de ce qu’est la « coréanité ». L’explosion du nombre de mariages internationaux en Corée du Sud remet en cause la précieuse notion de « peuple unitaire »  [43] (tanil minjok), d’autant que les femmes étrangères sont particulièrement nombreuses dans les campagnes, présentées par la tradition comme le cœur de la « coréanité ». La culture populaire reflète ce phénomène à sa manière : depuis 2007, l’émission Sadon ch’??m poepkess?mnida (Rencontre avec les beaux-parents) met en présence les parents de couples internationaux qui ne s’étaient jamais vus. L’émission veut donner un visage humain aux étrangères qui épousent des Coréens et favoriser la compréhension entre les cultures. En relativisant l’idée selon laquelle chacun des peuples qui composent l’Asie est homogène, elle renforce le sentiment naissant d’une « identité asiatique ». Or, si les Coréens du Sud se découvrent ainsi une identité commune avec les autres Asiatiques, qu’adviendra-t-il de l’idée d’« homogénéité » avec ceux du Nord ? À mesure que les mariages internationaux se multiplient et que le Sud s’implique davantage dans les affaires régionales, le sentiment de différence avec le Nord s’accroît. Malgré les liens du sang, de la langue et de l’histoire, il se pourrait que le Nord perde un jour sa centralité jusqu’à n’être plus, aux yeux des Sud-Coréens, qu’un pays comme un autre.

31 Dans Tonghaemulgwa Paektusan, les deux marins nord-coréens sont pris à diverses reprises pour des Chos?njok (Chinois d’origine coréenne). Le même gag se retrouve dans Kukky?ng-?i namtchok [44], et Namnam pungny? se passe en grande partie à Yanbian, où vit l’essentiel de la communauté sino-coréenne. Que signifie le fait de présenter ainsi des Nord-Coréens comme des membres de la diaspora plutôt que comme partie intégrante d’une nation coréenne homogène incarnée par le Sud ? Personne ne nie la « coréanité » des Chos?njok – on dit même souvent que ce sont eux qui en ont préservé le mieux certains aspects – mais cette « coréanité » est-elle encore compatible avec la « sud-coréanité » qui s’affirme ? Assurément, les Coréens du Sud s’ouvrent aujourd’hui sur ces frères de race, mais les visions du monde des uns et des autres sont tellement différentes que cette ouverture finit parfois par provoquer des tensions : les Sino-Coréens sont souvent traités comme des citoyens de seconde zone au Sud, où l’on découvre que beaucoup d’entre eux sont plus attachés à la République populaire de Chine qu’à une quelconque « nation coréenne » au sens large.

32 Notons également que dans les œuvres étudiées ici, le costume traditionnel, considéré comme l’emblème même de la « coréanité », est porté par les Tallae ?maktan et par Cho Myung-ae, la danseuse nord-coréenne… mais jamais par une Sud-Coréenne. Cette remarque vestimentaire peut s’appliquer aussi à un clip tourné lors du Concert pour l’Unification (t’ongil ?makhoe) organisé à Pyongyang en 2003, dans lequel le boys band sud-coréen Shinhwa chante « Perfect Man » sur un fond représentant la péninsule coréenne. Le titre est anglais, les paroles mêlent l’anglais et le coréen, et les costumes du groupe comme sa chorégraphie sont d’une inspiration très occidentale. Les réactions du public nord-coréen vont de l’ennui poli au mépris affiché en passant par la stupéfaction. La scène nous paraît aussi révélatrice qu’involontairement comique  [45].

33 Dans les années 1980, le poète militant sud-coréen Kim Nam-ju a écrit un poème célèbre intitulé Choguk?n hanada (La patrie est une). Peut-être en est-il toujours ainsi : la patrie coréenne donne encore l’impression d’être une, et l’aspiration à la réunification n’a pas disparu au Sud. Les films qui évoquent avec sympathie le sort des réfugiés nord-coréens y sont également très en vogue ; mais ils suggèrent en général que ces derniers auront beaucoup de mal à s’intégrer à la nation sud-coréenne, tant celle-ci est imprégnée par la culture globalisée du capitalisme consumériste à son stade avancé. Dans une société qui devient de plus en plus diversifiée sur le plan ethnique, les Sud-Coréens semblent de mieux en mieux disposés à faire une place aux spécificités de l’identité nord-coréenne. La grande difficulté sera probablement la capacité des Nord-Coréens à accepter la nouvelle identité que le Sud s’est forgée dans cette première décennie du XXIe siècle  [46]. ?


Date de mise en ligne : 13/12/2010

https://doi.org/10.3917/crii.049.0073

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