Couverture de CRII_040

Article de revue

Les organisations de « promotion de la démocratie » et la construction des bureaucraties électorales indonésiennes

Pages 51 à 72

Notes

  • [1]
    Je préfère le terme générique d’organisation à celui d’ONG pour qualifier des organismes tels que le NDI (National Democratic Institute), l’IFES (International Foundation for Election Systems) ou l’Open Society Institute. La plupart de ces instituts et fondations sont en effet très fortement liés à des agences gouvernementales et bénéficient d’importants subsides publics.
  • [2]
    Voir Nicolas Guilhot, The Democracy Makers : Human Rights and International Order, New York, Columbia University Press, 2005, ainsi que les travaux connexes de Sandrine Lefranc sur les ONG de « prévention de conflit » et de « construction de la paix » (« Convertir le grand nombre à la paix. Une ingénierie internationale de pacification », Politix, 80,2007, p. 7-29), et de Tom Medvetz, sur les think tanks néoconservateurs (Hybrid Intellectuals : Toward a Social Praxeology of US Think-Tank Experts, Berkeley, University of California, Center for Culture, Organization and Politics, Working Papers n? 9,2006).
  • [3]
    L’expression est de Guy Hermet (Le passage à la démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, 1996). Pour une étude ethnographique de l’action des ONG, voir Laetitia Atlani, Au bonheur des autres : anthropologie de l’aide humanitaire, Nanterre, Société d’ethnologie, 2005.
  • [4]
    Les réflexions qui suivent sont le fruit d’une recherche menée à Djakarta en 1998,1999 et 2000, et tirent parti des discussions collectives qui se sont tenues dans le cadre du projet « Experts, médiateurs et courtiers de la bonne gouvernance : étude comparative des pratiques transnationales de démocratisation », coordonné par Boris Petric (LAIOS).
  • [5]
    Plus précisément : la Loi n? 1/1999 sur les partis politiques, la Loi n? 2/1999 sur les élections générales, la Loi n? 3/ 1999 sur la composition et le statut des chambres et les Lois n? 4/ et n? 5/1999 sur la participation des fonctionnaires aux activités des partis politiques. Faute de place, nous ne pouvons prendre en compte ici les divers textes législatifs ou réglementaires qui ont substantiellement retouché et consolidé ce dispositif de normes initial, notamment en 2002 et 2004.
  • [6]
    Cf. David Bourchier, « Habibie’s Interregnum : Reformasi, Elections, Regionalism and the Struggle for Power », dans Chris Manning, Peter Van Diermen (eds), Indonesia in Transition : Social Aspects of Reformasi and Crisis, Singapour, Institute of Southeast Asian Studies, 2000, p. 15-37.
  • [7]
    Ces lois avaient été votées durant les massacres anticommunistes de 1965-1966, afin de doter d’une base pseudo-juridique les arrestations, déportations et assassinats de militants supposés du Parti communiste indonésien (PKI).
  • [8]
    Romain Bertrand, « La démocratie à l’indonésienne. Bilan critique d’une transition qui n’en finit pas de commencer », Revue internationale de politique comparée, 8 (3), 2001, p. 435-459.
  • [9]
    Entretien, Djakarta, mai 1999.
  • [10]
    Aux termes de l’article 8 alinéa 2 de la Loi n? 3/1999, la KPU est un organisme « libre et indépendant, composé de [représentants des] partis politiques participant aux élections ainsi que de représentants du gouvernement responsables devant le Président ». L’article 9 précise que les membres de la KPU sont au nombre de 53, choisis pour cinq ans : 48 représentants des partis (1 par parti légalisé) et 5 « personnes du gouvernement », avec un système de « vote équilibré » entre les deux groupes. La KPU élit en son sein son bureau exécutif (1 président et 2 vice-présidents).
  • [11]
    Les Pancasila (Cinq principes) furent énoncés en août 1945 par Sukarno en guise de compromis entre les nationalistes républicains et les milieux religieux, et inclus dans le préambule de la Constitution. Ils énoncent comme « principes fondateurs de l’Etat » : 1. la croyance en un dieu unique ; 2. une humanité juste et civilisée ; 3. l’unité de l’Indonésie ; 4. la démocratie par recherche de l’unanimité au terme d’un processus de délibération collective ; 5. la justice sociale.
  • [12]
    Sur la période de démocratie parlementaire de 1949-1957, voir Herbert Feith, The Decline of Constitutional Democracy in Indonesia, Ithaca, Cornell University Press, 1962.
  • [13]
    Pour une présentation détaillée de la pensée mystique et politique de Ki Hadjar Dewantara (1899-1959), voir Kenji Tsuchiya, Democracy and Leadership : The Rise of the Taman Siswa Movement in Indonesia, Honolulu, University of Hawaii Press, 1988. Pour une sélection de textes de Raden Soepomo (1903-1958), voir Herbert Feith, Lance Castles (éditeurs et traducteurs), Indonesian Political Thinking, 1945-1965, Ithaca, Cornell University Press, 1970. L’ouvrage clé de Soepomo en la matière est son Hubungan Individu dan Masjarakat dalam Hukum Adat, Djakarta, Yayasan Dharma, 1952.
  • [14]
    Raden Soepomo, « Discours prononcé le 31 mai 1945 devant le Comité d’études pour la préparation à l’Indépendance », dans H. Feith, L. Castles (eds), Indonesian Political Thinking, 1945-1965, op. cit., p. 188-192.
  • [15]
    David Reeve, Golkar of Indonesia : An Alternative to the Party System, Oxford, Oxford University Press, 1985.
  • [16]
    Il n’est de meilleure introduction à l’historiographie récente de l’Ordre Nouveau que la biographie de Suharto écrite par Robert Elson, Suharto : A Political Biography, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. Pour un aperçu ethnographique des pesta-pesta demokrasi, cf. John Pemberton, « Notes on the 1982 General Elections in Solo », Indonesia, 41,1986, p. 1-22.
  • [17]
    Sur la genèse idéologique du système corporatiste de l’Ordre Nouveau, voir D. Reeve, Golkar of Indonesia : An Alternative to the Party System, op. cit..
  • [18]
    Jim Schiller, The 1997 Indonesian Elections : « Festival of Democracy » or Costly Fiction ?, Victoria, Center for Asia Pacific Initiatives, Occasional Paper n? 22,1999.
  • [19]
    Informations recueillies auprès du ministère de l’Intérieur et de la KPU, Djakarta, septembre 1999.
  • [20]
    Les régences (kabupaten) sont une subdivision administrative des provinces (propinsi). Le système a très fortement évolué depuis 1999, avec la mise en œuvre d’élections locales directes (Pilkada, de Pemilihan Kepala Daerah dan Wakil Kepala Daerah) permettant la désignation des gouverneurs de région au suffrage universel direct.
  • [21]
    Solidarity Center (ACILS), Summary of Election Monitoring Reports. Ujung Pandang Monitoring Team (March-first week of May 1999), Djakarta, 1999.
  • [22]
    Jean-Louis Briquet, Philippe Garraud (dir.), Juger la politique. Entreprises et entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
  • [23]
    Le National Democratic Institute for International Affairs se donne pour mission de « renforcer la démocratie et de contribuer à son expansion dans le monde » en promouvant une party-based approach (faisant de la consolidation du système de partis la condition préalable de tout processus de « passage à la démocratie »). Très proche du Parti démocrate, il est aujourd’hui présidé par Madeleine Albright et Rachelle Horowitz (wwww. ndi. org).
  • [24]
    Election Facilitation Center, International Observers to the June 7,1999 Elections, PNUD, Djakarta, 2 juin 1999. Le document précise que le décompte n’inclut pas « les observateurs non officiels du corps diplomatique » (id est les « missionnaires » hors cadres des différentes administrations centrales et les agents sous couverture des services de renseignement).
  • [25]
    Samuel Huntington avait publié, en 1993, The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century, dans lequel il prophétisait qu’après l’Europe et l’Amérique latine au XIXe siècle et après l’Europe de l’Est dans les années 1980, l’Asie connaîtrait dans les années 1990 une vague de « passages à la démocratie ».
  • [26]
    Cette antenne du PNUD publia, à destination de la communauté diplomatique et des journalistes étrangers, un bulletin intitulé Election Update.
  • [27]
    Election Update. Official Newsletter of UNDP Indonesia’s Electoral Assistance Programme, 1 (9), 7 juin 1999, p. 2, section « Donor News ».
  • [28]
    Cf. Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 71-72,1988, p. 22-45, et « La construction sociale du vote. Fétichisme et raison instrumentale », Politix, 6 (22), 1993, p. 5-42.
  • [29]
    Monitoring Form. Vote Casting and Counting Process, 1999 General Election. Election Monitor. HONEST, Rectors’ Forum Indonesia, mai 1999, sections E et F.
  • [30]
    International Republican Institute, Buku Panduan Saksi Partai Pemilu 1999 (Livret de directives pour les observateurs des partis lors des élections de 1999), Djakarta, mai 1999, p. 23-24. Le terme indonésien saksi, par lequel est traduit le terme « observateur », désigne usuellement un témoin lors d’un mariage ou d’un procès.
  • [31]
    National Election Commission, Election Day Instructions for KPPS Members, Djakarta, mai 1999, p. 20-25.
  • [32]
    C’est paradoxalement à Menteng, quartier chic du centre ville de Djakarta peuplé de pejabat (fonctionnaires), que prit place cette querelle, vraisemblablement du fait de la personnalité autoritaire du Chef de voisinage local (observations personnelles, Djakarta, mai-juin 1999).
  • [33]
    Pour des données sur le profil social des députés de la DPR lors de la mandature 1999-2004, voir Wajah Dewan Perwakilan Rakyat Republik Indonesia. Pemilihan Umum 1999 (« Profil de la DPR. Élections de 1999 »), Djakarta, Penerbit Harian Kompas, juillet 2000. Il faut noter l’absence quasi totale d’études consacrées au personnel et aux pratiques parlementaires dans la littérature scientifique consacrée à la Reformasi.
  • [34]
    Le Center for Democratic Institutions est un organisme quasi gouvernemental financé par l’Australian Agency for International Development (AusAID), qui se donne pour objectif de promouvoir la « bonne gouvernance » dans les pays de la zone Asie-Pacifique.
  • [35]
    Center for Democratic Institutions, Monitoring the Indonesian Elections, Djakarta, 3-9 juin 1999, p. 6.
  • [36]
    L’IFES se définit comme une « organisation d’assistance à la démocratie et à la gouvernance ». Créée en 1987 et financée, inter alia, par USAID et l’OSCE, l’IFES emploie 150 personnes et intervient, directement ou par financement croisé, dans une centaine de pays.
  • [37]
    Statement of the AAEA Observer Delegation, National Parliamentary Elections, Republic of Indonesia, June 7 1999, Djakarta, 9 juin 1999.
  • [38]
    Statement of the National Democratic Institute and the Carter Center International Election Observation Mission. Indonesia’s June 7,1999 Elections, Djakarta, 20 juin 1999, p. 1.
  • [39]
    Entretiens avec des membres d’organisations internationales participant au CGI, Paris, juillet 1999. Entretiens avec des membres d’organisations internationales participant au CGI, Paris, juillet 1999.
  • [40]
    Informations extraites du site d’IDEA (wwww. idea. int). Sur le modèle des fondations nord-américaines, l’IDEA est présidé par un board de directeurs composé de « personnalités internationales » issues pour la plupart du monde de la politique et de la haute diplomatie. L’IDEA a été créé en 1995 et son quartier général est installé à Stockholm.
  • [41]
    Entretiens avec un diplomate français ayant participé, dans le cadre d’une mission de l’Union européenne, aux opérations de surveillance électorale du scrutin législatif de 2004, Paris, juillet 2004.
  • [42]
    Données issues du curriculum vitae d’Andi Mallarangeng, fourni à l’auteur par ce dernier, Djakarta, 1999.
  • [43]
    Le Centre Carter a été inauguré en 1984. Son mot d’ordre est Waging Peace, Fighting Disease, Building Hope (wwww. cartercenter. org).
  • [44]
    Informations issues de son curriculum vitae (wwww3. niu. edu/ acad/ polisci/ faculty/ king).
  • [45]
    Voir par exemple Coll., Demokratisasi Pengelolaan Sumber Daya Alam, Djakarta, ICEL, 1999.
  • [46]
    G. Hermet, Le passage à la démocratie, op. cit., et « Le charme trompeur des théories : un état des travaux », dans Christophe Jaffrelot (dir.), Démocraties d’ailleurs, Paris, Karthala, 2000, p. 315-342 ; Michel Dobry, « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », Revue française de science politique, 50 (4-5), 2000, p. 585-614.
  • [47]
    Entretiens avec des membres de la KPU, Djakarta, avril 1999.
  • [48]
    Entretiens au Deplu ainsi qu’avec des membres de représentations diplomatiques occidentales, Djakarta, 2003.
  • [49]
    « Ryaas Rasyid’s Party Proclaims Real Meaning of Autonomy », The Jakarta Post, 14 février 2004.
  • [50]
    « Marty Natalegawa », Ensiklopedi Tokoh Indonesia (équivalent du Who’s Who) (wwww. tokohindonesia. com).
  • [51]
    « Kabinet Persatuan Nasional Periode 1999-2004 », Kompas, 27 octobre 1999.
  • [52]
    Cette marginalisation des professionnels du droit avait commencé dès 1957, lorsque plusieurs des associations nationales d’avocats avaient protesté contre la dérive autoritaire de Sukarno, en passe d’instituer la « démocratie guidée ». Voir Daniel Lev, Lawyers as Outsiders : Advocacy versus the State in Indonesia, Londres, SOAS, 1992. Pour une série d’études détaillées concernant le renouveau des associations professionnelles d’avocats et la transformation du milieu constitutionnaliste indonésien à compter de la chute de Suharto, voir D. Lev, Legal Evolution and Political Authority in Indonesia : Selected Essays, Leyde, Brill, 2000.
  • [53]
    Sebastian Pompe, The Indonesian Supreme Court : A Study of Institutional Collapse, Ithaca, Cornell University Press, 2005.
  • [54]
    Bernard Quinn, « Indonesia : Patrimonial or Legal State ? The Law on Administrative Justice of 1986 in Socio-political Context », dans Timothy Lindsey (ed.), Indonesia : Law and Society, Sydney, Federation Press, 1999, p. 11-20.
  • [55]
    On trouvera des versions apologétiques, pro- Gus Dur, de ce combat entre Abdurrahman Wahid et le Parlement dans Greg Barton, Abdurrahman Wahid : Muslim Democrat, Indonesian President. A View from the Inside, Honolulu, University of Hawaii Press, 2002, et Wimar Witoelar (ex-porte-parole de Gus Dur), No Regrets. Reflections of a Presidential Spokesman, Singapour, Equinox, 2002.
  • [56]
    L’ensemble des textes régissant le fonctionnement de la Mahkamah Konstitusi est consultable sur le site de celle-ci (wwww. mahkamahkonstitusi. go. id).
  • [57]
    Putusan n? 003/PUU-II/2004, à propos d’une requête émanant du Partai Reformasi Indonesia et en conformité avec la Loi n? 31-2002 sur les partis politiques, et Putusan n? 020/PUU-I/2003, à propos d’une requête émanant de 8 dirigeants de partis et en conformité avec la même Loi (mais avec avis minoritaires).
  • [58]
    Putusan n? 005/PUU-I/2003, à propos d’une requête émanant d’associations de professionnels de la presse écrite, radiophonique et audiovisuelle.
  • [59]
    Par exemple Putusan n? 044/PHPU.A-II/2004, concernant un candidat à la DPD (Chambre régionale) de Sumatra Nord.
  • [60]
    Putusan n? 016/PHPU.C1-II/2004, à propos d’une requête du Parti de la justice et de la prospérité (PKS) concernant 22 circonscriptions.
  • [61]
    Yves Dezalay, Bryant Garth, « L’impérialisme moral. Les juristes et l’impérialisme américain (Philippines, Indonésie) », Actes de la recherche en sciences sociales, 171-172,2008, p. 54.
  • [62]
    Il s’agit plus précisément du décret MPR n? II de 1978, mis en application à compter de 1980. Ces cours de « P4 » sont détaillés dans Michael Morfit, « Pancasila: The Indonesian State Ideology According to the New Order Government », Asian Survey, 21 (8), août 1981, p. 838-851. Pour une étude ethnographique des techniques de normalisation idéologique et comportementales mises en œuvre sous l’Ordre Nouveau dans les salles de classe, et ce dès le primaire, cf. Saya S. Shiraishi, Young Heroes. The Indonesian Family in Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1997, p. 123-143.
  • [63]
    Y. Dezalay, B. Garth, La mondialisation des guerres de palais : la restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Le Seuil, 2002.
  • [64]
    Cf. R. Bertrand, État colonial, noblesse et nationalisme à Java : la Tradition parfaite, Paris, Karthala, 2005, chap. 6-8.

1Dans le sillage de la sociologie des normes internationales, les recherches portant sur les organisations  [1] dites de « promotion » et de « construction de la démocratie » se sont multipliées au cours de ces dernières années. Qu’elles s’intéressent aux trajectoires idéologiques des nouveaux promoteurs du démocratiquement correct  [2] ou qu’elles privilégient une approche ethnographique de leur action en situation de « passage à la démocratie  [3] », ces recherches insistent le plus souvent sur le versant exogène d’une intervention qualifiée, en langage indigène, de « démocratisante ». En scrutant les discours et les pratiques – de « notation », de « surveillance électorale » ou de « training civique » déployés par le personnel statutaire de ces organisations, il s’agit le plus souvent de les rapporter à une vision idéologique, donc biaisée, des réalités politiques extra-occidentales, et ce faisant de dénoncer en termes moralisateurs l’hypocrisie d’une hégémonie impérialiste ou la naïveté coupable d’un altruisme déplacé. La cible de l’analyse est dès lors le rapport ambigu du monde occidental aux « pays émergents », rapport actualisé en la personne du représentant itinérant du NDI ou de la Fondation Soros.

2Je souhaite privilégier ici une autre piste d’analyse, plus attentive au versant et à l’historicité « vernaculaires » de ces situations, et notamment considérer la séquence d’intervention in situ des organisations de « promotion de la démocratie » non pas seulement comme un épisode de rupture avec les passés autoritaires, mais aussi comme un moment dans une histoire locale – plus longue – de construction de dispositifs d’encadrement bureaucratique et juridique de l’acte électoral. En d’autres termes, je voudrais réinsérer l’action exogène de ces organisations dans une histoire endogène de fabrique administrative et politique du rapport au vote. J’évoquerai pour cela la venue à Djakarta, au lendemain de la démission forcée du Président Suharto en mai 1998, de « missionnaires » de bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux ainsi que de représentants de diverses organisations de « promotion de la démocratie » ou « d’aide à la transition »  [4]. Ce faisant, j’aimerais montrer que l’influence de ces représentants et de leurs alliés objectifs locaux a été d’autant plus grande que leur propos réformateur est, paradoxalement, entré en résonance avec une tradition de pensée juridique locale, hostile au multipartisme concurrentiel et corrélativement favorable à une forte restriction du nombre de compétiteurs partisans, tradition née dans les années 1930 et réactivée sous le régime de l’Ordre Nouveau. L’intervention des experts ès démocratisation du NDI et de l’IDEA (International Institute for Democracy and Electoral Assistance) a en outre permis à des segments jusque-là dominés du monde du droit et des administrations centrales (en particulier au sein du ministère des Affaires étrangères) de reconvertir en capital technocratique – et parfois même en capital politique – des compétences autrefois dépréciées. Tout s’est joué, en somme, au point d’intersection entre le champ transnational de l’expertise démocratisante et le champ domestique des luttes internes à certains espaces socioprofessionnels – luttes dotées de leur historicité propre, et donc en prise sur des répertoires locaux spécifiques du rapport au droit et au vote.

La libéralisation politique de 1998-1999

3Le pluripartisme concurrentiel a été rétabli en Indonésie par les Lois de 1999  [5] votées à l’initiative de Bacharuddin Jusuf Habibie, qui assuma la présidence par intérim du pays du 22 mai 1998 (après la démission forcée du Président Suharto) au 20 octobre 1999. Pour élaborer le texte de ces lois, B. J. Habibie nomma une équipe d’experts baptisée « Équipe des Sept », composée d’universitaires et présidée par le directeur du département de l’Administration et de l’autonomie régionale du ministère de l’Intérieur, le professeur Ryaas Rasyid  [6]. Les « lois Habibie » de 1999 restaurèrent pleinement les libertés de réunion et d’association politique, rognées par les lois anticommunistes de 1966 et par trois décennies de mise au pas autoritaire de la vie publique  [7]. Désormais, il était à nouveau possible pour des citoyens majeurs (âgés de plus de 21 ans et non déchus de leurs droits civiques) de créer un parti politique (ils devaient être pour cela au mois 50) sans risque d’être inquiétés par la police ou par les services de renseignement.

4Au cours du second semestre 1998, après que le nouveau président eut confirmé son intention d’organiser des élections libres, plus de 200 nouveaux partis virent le jour. La plupart d’entre eux n’étaient que des coteries de notables d’ancien régime qui cherchaient à surseoir à leur éviction du système de pouvoir ou les émanations d’organisations religieuses et de grands groupes d’intérêt en quête d’un surcroît de visibilité médiatique et d’un accès privilégié aux ressources publiques  [8]. Le vice-président du bien nommé PAY (Partai Abul Yatama, Parti père des orphelins) expliquait ainsi candidement qu’il était certain de ne pas remporter un seul siège au Parlement, mais qu’il souhaitait profiter du temps d’antenne offert à tous les partis sur les chaînes publiques afin de promouvoir sa « fondation caritative »  [9], laquelle était en fait liée à l’armée de terre et visait à prendre soin des enfants victimes des violentes campagnes de répression menées par celle-ci en Aceh (Sumatra) en 1989-1992. Il n’empêche que ce moment d’efflorescence partisane a accéléré l’enracinement du nouvel ordre politique parmi les élites sociales. Pour gérer l’organisation pratique du scrutin et en surveiller au plus près le déroulement, la Loi n? 3/1999 (complétée par la Décision présidentielle n? 16/1999)  [10] créa une Commission nationale des élections (Komisi Pemilihan Umum, KPU). Afin de restreindre le nombre des partis autorisés à concourir, la KPU édicta des règles strictes. Les nouveaux partis devaient disposer de branches dans au moins la moitié des 27 provinces de l’archipel, ne pas contrevenir dans leurs professions de foi aux principes fondamentaux de l’État (les Pancasila, énoncés en préambule de la Constitution de 1945)  [11] et « ne pas mettre en péril l’unité et l’intégrité nationales » (donc ne pas relayer de discours séparatistes ou islamistes radicaux). Ils devaient en outre rendre leurs comptes de campagne publics. Les donations de personnes physiques et morales étaient limitées à 15 millions de roupies (1 500 euros). Les 48 partis accrédités par la KPU au terme d’un processus « d’auditions » reflétaient un large éventail d’options idéologiques, depuis les partis nationalistesrépublicains (héritiers du Parti nationaliste indonésien (PNI) de Sukarno) jusqu’aux partis musulmans (traditionalistes et réformistes), en passant par des partis ouvriéristes (tel le Parti des travailleurs).

5Il faut insister ici sur la continuité paradoxale entre ces nouveaux dispositifs bureaucratiques et les formes antérieures du rapport au vote. Si l’Indonésie n’a connu, de son indépendance en 1949 à la chute du régime de l’Ordre Nouveau en 1998, qu’un seul scrutin législatif « libre et honnête » (les élections de 1955  [12] ), le régime autoritaire de Suharto a massivement investi dans l’édification d’une démocratie de façade et, pour ce faire, a pris appui sur un stock de discours préconstitués hérités de la période nationaliste. À la nette différence d’autoritarismes latino-américains qui ne s’embarrassaient guère de la question du respect apparent des formes internationalement consacrées de la légitimité diplomatique, l’Indonésie s’évertua, dès l’aube des années 1970, à imaginer une version spécifique de l’ordre parlementaire : la « démocratie Pancasila ». Pensée comme l’antithèse du « multipartisme anarchique » et du parlementarisme « décadent » de l’Occident, qui étaient censés avoir mené l’Ordre Ancien (Orde Lama) de Sukarno à la faillite, cette « démocratie Pancasila » célébrait les valeurs « typiquement indonésiennes » de l’harmonie sociale, de l’obéissance au Père de la Nation et du dévouement à la cause du développement national. Legs de la théorie politique des grands maîtres de mystique des années 1930 (tel Ki Hadjar Dewantara) et variation sur la conception de « l’État-famille » développée dans les années 1940 par le constitutionnaliste Raden Soepomo  [13], la « démocratie Pancasila » impliquait une vision particulière de l’acte électoral. Celui-ci n’était nullement pensé comme un geste de libre expression d’une opinion individuelle, mais comme un témoignage collectif de dévouement total envers l’État. La notion de « devoir social » l’emportait sur celle, honnie par les maîtres de mystique, de « droits individuels ». Ainsi Soepomo affirmait-il en mai 1945, durant les débats du Comité d’études pour la préparation à l’Indépendance : « L’esprit intime et la structure sociale de l’Indonésie se caractérisent par l’idéal de l’unité de la Vie, de l’unité kawula-gusti, c’est-à-dire de l’unité du monde intérieur et du monde extérieur, du macrocosme et du microcosme, du peuple et de ses chefs. Tous les hommes en tant qu’individus, chaque groupe ou groupement d’hommes dans une société et chaque société au sein de la vie de l’univers tout entier sont considérés comme ayant leur propre place et leurs propres obligations (dharma), dictées par la Loi de la Nature, selon laquelle l’Être dans son ensemble est voué à se réaliser dans son équilibre matériel et spirituel. L’homme en tant qu’individu n’est pas séparé de ses semblables ou du monde extérieur. (…) Voici ce qu’est l’idée totalitariste, l’idée intégraliste du peuple indonésien telle qu’elle s’est incarnée dans les formes de gouvernement indigènes. Dans le système indonésien de gouvernement qui a survécu jusqu’à nos jours dans les villages aussi bien à Sumatra qu’à Java ou en d’autres lieux de l’archipel, les fonctionnaires sont des chefs qui ne font qu’un avec le peuple et qui sont sans cesse obligés de maintenir l’unité et l’harmonie de leur société. (...) Aussi est-il clair que si nous désirons établir un État indonésien conforme aux traits caractéristiques de la société indonésienne, cet État doit être fondé sur la philosophie d’un État intégraliste, sur l’idée d’un État uni avec son peuple, d’un État qui transcende tous les groupes dans tous les domaines. Selon cette philosophie, le chef de l’État et les organes de gouvernement doivent disposer des attributs d’un véritable commandement afin de montrer la voie aux dignes idéaux et aux nobles aspirations du peuple. L’État doit être un agent exécutif, un législateur émergeant des tréfonds du peuple en son entier. Selon cette théorie telle que je l’interprète, et c’est une théorie conforme à l’esprit indonésien originel, l’État n’est autre que la société tout entière, ou le peuple indonésien tout entier, ainsi qu’une unité structurée, ordonnée. (...) Selon la vision de l’État intégraliste comme une nation ordonnée, comme un peuple uni d’une manière structurée, il n’existe aucune dualité entre l’État et l’individu, aucun conflit entre l’organisation d’État, d’une part, l’ordre juridique des individus, de l’autre, aucune dualité de l’État et de la Société horsl’État (Staat und staatsfreie Gesellschaft). Il n’y a aucune raison de garantir les droits et libertés fondamentaux des individus contre l’État puisque l’individu est une partie organique de l’État qui doit contribuer, selon sa position, à réaliser la grandeur de l’État, et aussi parce que l’État n’est pas un centre de pouvoir ou un géant politique se dressant en dehors de l’environnement de la liberté de l’individu. (...) L’État reconnaît l’existence des groupes réels dans la société et les respecte. (…) Mais tous les individus et tous les groupes doivent être conscients de leur qualité d’éléments organiques de l’État comme Tout, c’est-à-dire doivent être conscients de leur obligation de renforcer l’unité et l’harmonie entre les différentes parties composant le Tout »  [14].

6La vision organiciste de l’État de Raden Soepomo inspira très directement la rédaction de la Constitution de 1945 (toujours en vigueur, malgré plusieurs amendements majeurs). Et l’on sait que le régime de Démocratie guidée (Demokrasi Terpimpin) institué par Sukarno en 1957 – lequel mettait un terme brutal à l’expérience parlementaire en prononçant la dissolution du PSI (Parti socialiste indonésien) et du Masjumi (parti social-démocrate musulman) – fut inspiré à ce dernier par les doctrines mystiques de Ki Hadjar Dewantara  [15]. Le principe de l’élection acclamative, visant à consacrer l’emprise incontestée d’un chef sur son peuple et non pas à permettre l’expression de divergences idéologiques, s’inscrivit ainsi, dès les années 1930, au cœur même de l’énonciation nationaliste du paradigme constitutionnel. L’idéal corrélatif de la « démocratie à l’indonésienne », antidote indigéniste au « poison » du multipartisme dérégulé, refit ensuite surface aussi bien sous le règne de Sukarno que dans le discours des stratèges de Suharto.

7Les lois de 1999 ne créaient donc pas un système électoral ex nihilo. Elles en abrogeaient un : le système tripartite créé en 1973 par l’Ordre Nouveau au moyen de la « simplification » du paysage partisan. À l’issue de cette opération de regroupement forcé des formations politiques préexistantes, seuls le Parti démocratique indonésien (PDI), le Parti du développement unitaire (PPP) et le Golkar (quasi parti-État) eurent le droit de prendre part, tous les cinq ans, à des scrutins baptisés ironiquement du nom de « fêtes de la démocratie » (pesta-pesta demokrasi). Et seul le Golkar, symbole de l’allégeance au gouvernement, remportait la victoire, avec des scores qui dépassaient habituellement les 70 %  [16]. Entre les élections, toute activité politique était interdite dans les villages au nom du principe de la « masse flottante », qui représentait le peuple sous les traits d’une « foule » (massa) crédule, prompte aux emportements criminels. Aux termes de la loi de 1970 sur la monoloyalitas, les fonctionnaires étaient d’office membres du Golkar, qui régentait une pyramide d’associations corporatistes  [17]. Pour gérer l’organisation des « fêtes de la démocratie », l’Ordre Nouveau institua même un service des élections au sein du ministère de l’Intérieur. Une sous-direction de ce service rendait un rapport détaillé sur les scrutins. En 1997, quelques mois seulement avant le début des troubles qui menèrent à la chute de Suharto, cette sous-direction remit au Parlement un « Rapport sur les élections » (laporan Pemilu) passant au crible les « irrégularités » recensées en amont du scrutin, et majoritairement attribuées au « défaut de civisme » des agents électoraux du PDI et du PPP  [18]. Malgré ces « regrettables incidents », le Golkar remporta le scrutin avec 74 % des voix, son meilleur score depuis 1971.

Le jour J du scrutin

8Contrairement aux pronostics pessimistes de la plupart des chancelleries occidentales, les élections du 7 juin 1999 se déroulèrent dans le calme et sans incident technique majeur, en dépit de leur prodigieuse échelle territoriale et démographique (250 000 stations de vote pour plus de 130 millions d’électeurs, avec un taux d’inscription de 87,4 %)  [19]. Leur enjeu politique était également de taille. Aux termes de la Loi n? 4/1999,462 sièges de députés (wakil rakyat) devaient être pourvus au suffrage universel direct à la chambre basse de l’Assemblée (DPR) et 135 à la chambre haute (MPR, composée des DPRD 1 et DPRD 2 : représentants des conseils de province et des conseils de régence  [20] ). Au sein de la DPR, 38 sièges étaient réservés par décret aux représentants des forces armées et de la police, tandis qu’au sein de la MPR, une commission parlementaire mixte créée par la KPU devait nommer 65 « représentants des groupes fonctionnels » (ouvriers, paysans, étudiants, « minorités ethniques », handicapés, etc.).

9Les nombreuses agences de surveillance du scrutin firent toutefois état, dans leurs « rapports d’étapes », de tentatives de subornation d’électeurs au moyen de dons de nourriture, d’argent, de t-shirts et de cassettes de karaoke, ainsi que de quelques (rares) cas d’intimidation musclée. Plusieurs constats s’imposent à la lecture de ces rapports. En premier lieu, tous les partis sont incriminés : le PDI-P (Parti démocratique indonésien-Combat), organisation de la « Mère du peuple » Megawati Sukarnoputri, et le PPP d’Hamzah Haz pas moins que le Golkar d’Akbar Tandjung. Certes, ce dernier disposait de ressources plus étendues de patronage financier et administratif du fait de son ancienne position dominante, mais les nouveaux entrants dans le champ partisan eurent recours aux mêmes techniques d’achat de voix. Dans le cas de la province de Sulawesi Sud, on remarque ainsi que si les dirigeants locaux du Golkar « ont donné de l’argent à des chefs de village réunis à Janeponto », les délégués du Parti du mandat national (PAN) ont promis de « donner une chèvre à ceux qui voteraient pour leur parti » dans le district de Banggai, et que le PDI-P et le Parti du réveil national (PKB) ont « offert des vêtements aux gens, principalement des conducteurs de cyclopousses » dans le district de Biringkanaya  [21]. En second lieu, la plupart des méfaits pré-électoraux répertoriés relèvent moins de la criminalité politique proprement dite que de manifestations d’ethos clientélaire. La distribution de produits de première nécessité contre une promesse de vote n’induit de fait par elle-même aucune distorsion du résultat électoral, puisque le secret de l’isoloir garantit l’anonymat lors de l’expression des préférences réelles. On note ici l’influence prépondérante de grilles d’analyse de la fraude électorale élaborées par des experts étrangers – la criminalisation (ou plus exactement la judiciarisation) des faits de clientélisme politique ressortissant à l’évolution récente du débat public dans les démocraties occidentales  [22].

10Enfin, il convient de souligner que la présence massive d’observateurs électoraux en amont et en aval du scrutin constituait en elle-même une dimension nouvelle du processus électoral. Il faut notamment s’arrêter sur le nombre particulièrement élevé (près de 600) de représentants d’agences de surveillance électorale (monitoring) non indonésiennes. La Chambre américaine de commerce en avait déployés 26, le Réseau asiatique pour les élections libres (ANFREL), 69, le Conseil australien pour l’aide outremer (ACFOA), 17, l’Institut républicain international (IRI), 15, le Centre Carter et le NDI, 100  [23], le gouvernement japonais, 20 et l’Union européenne, 130  [24]. L’ex-président américain Jimmy Carter fit même une visite éclair à Djakarta pour souligner tout l’intérêt que la classe politique américaine, toujours sous le charme de la théorie huntingtonnienne des « démocraties de troisième vague », portait au « passage à la démocratie » de l’Indonésie  [25]. Dans la perspective de l’administration Clinton, le basculement du plus grand pays musulman du monde dans le camp des régimes libéraux devait inéluctablement provoquer une démocratisation en chaîne des sociétés d’Asie du Sud-Est, voire du Moyen-Orient. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) créa de surcroît une antenne d’assistance électorale à Djakarta  [26]. Grâce aux dons du Japon (plus de 35 millions de dollars), le PNUD finança dans leur intégralité les frais d’impression des 400 millions de bulletins de vote et des 2,8 millions de manuels de consignes pour les agents électoraux, ainsi que l’achat de 600 000 bouteilles d’une encre indélébile (destinée à éviter les votes multiples) et de 1 000 postes de radio longue distance pour les stations de vote des zones reculées  [27]. L’intérêt stratégique des États-Unis, du Japon et de l’Australie pour la stabilité politique de l’Indonésie trouva ainsi une traduction financière dans le soutien apporté à l’organisation matérielle du premier scrutin de « sortie d’autoritarisme ». Le moins que l’on puisse dire, au vu des vastes moyens mis à disposition par les agences multilatérales et les gouvernements étrangers, est que ces élections furent placées sous très haute surveillance par la communauté internationale. La plupart des analystes redoutaient en effet un déchaînement de violences militaires ou miliciennes le jour du scrutin.

Le « fétichisme de l’isoloir  [28] » : l’imposition d’une vision restrictive du processus politique ?

11Les bailleurs de fonds de la KPU portaient ainsi une attention maniaque à tous les indices potentiels d’une violence exercée contre l’électeur par des « éléments perturbateurs ». Ceux-ci étaient toujours représentés sous les traits de preman (voyous de quartier, souvent acoquinés aux forces de l’ordre). Dans le « formulaire de surveillance » remis par le réseau du Rectors’ Forum à tous ses personnels, l’essentiel des questions portant sur « les conditions prévalant durant le processus de dépôt de bulletin » avaient trait aux actes d’« intimidation » (violent physical threat, non-physical threat, intimidation from the security personnel, intimidation from unknown individuals)  [29]. Dans un opuscule en forme de bande dessinée, financé par l’IRI et distribué aux délégués des partis sur les lieux de vote, cette crainte de l’action d’« éléments perturbateurs » trouvait sa traduction graphique dans une série de vignettes croquant des « gueules cassées » qui menaçaient du poing une brave ménagère sur le point de rentrer dans l’isoloir ou dérobaient discrètement une urne  [30]. Le dessinateur Harnaeni Hamdan s’était visiblement inspiré des personnages de truands des komiks populaires pour doter d’une iconographie humoristique la hantise du désastre électoral qui taraudait les analystes du Centre Carter et de l’IRI.

12Toute une section du manuel de consignes publié par la KPU à l’intention de ses agents de surveillance électorale (KPPS) était par ailleurs consacrée au design des urnes (avec couvercle ouvrant), aux dimensions de l’isoloir (1,5 m de largeur x 2 m de hauteur x 1.5 m de profondeur) et au plan des stations de vote (emplacement des portes d’entrée et de sortie, des isoloirs, de la table d’observation). Les déplacements de l’électeur virtuel dans les stations de vote étaient eux aussi normés graphiquement par de petites flèches en enfilade, dessinant le parcours idéal du citoyen docile, arraché aux contingences de ses allégeances sociales par une définition purement technique de sa participation au scrutin  [31]. La veille et le jour du scrutin, la minutie de ces prescriptions technologiques plongea cependant dans l’embarras de nombreux petits fonctionnaires. Dans un quartier du sud-est de Djakarta, une violente polémique opposa par exemple les partisans d’un isoloir en carton à ceux d’un isoloir en contreplaqué. Les textes étaient muets sur le choix du matériau et le Chef de voisinage (Kepala RW) dut en appeler in fine à l’arbitrage du Chef de district (Camat). La question du lieu d’implantation de la station de vote provoqua également des litiges. Pour des raisons pratiques, les isoloirs furent généralement installés dans les lieux publics : écoles, dispensaires, etc., mais parfois aussi dans la cour même de la maison du Chef de voisinage local (qui se servait souvent de sa résidence privée comme permanence). Dans un district de Menteng, certains habitants se plaignirent aussitôt des risques de pression de la part de fonctionnaires depuis toujours acquis au Golkar, et souhaitèrent dissocier clairement le lieu de l’expression du vote des sites manifestant une présence administrative  [32]. Compte tenu du soutien sans faille apporté pendant trois décennies par les services administratifs locaux au Golkar, la méfiance des citoyens à l’égard d’un État partisan était compréhensible.

13Il est en outre frappant de constater que la quête de la perfection technique lors du scrutin de juin 1999 en a paradoxalement grevé la lisibilité pour les citoyens. La complexité du mode de scrutin et l’autorisation des apparente-ments jusqu’au dernier jour de la campagne (au motif de la transparence totale des candidatures) ont généré un profond sentiment d’incompréhension, voire de duperie chez les électeurs, qui dès lors ont relativisé grandement la portée de la Reformasi. En second lieu, le Parlement issu de ce scrutin ne reflétait absolument pas, au plan de sa composition sociologique, le corps électoral réel. Une écrasante majorité des députés étaient issus du milieu entrepreneurial et de la petite et moyenne bourgeoisie citadine. Aucun représentant originaire du monde des usines, issu du « petit peuple » des cahutes et des faubourgs, n’a siégé à la DPR de 1999 à 2004. La grande majorité des élus du PDI-P, le parti de la Mère du Peuple Megawati Sukarnoputri, étaient de petits patrons d’entreprises du textile et du transport, des professeurs, des avocats, des fonctionnaires et des ingénieurs  [33]. Mais les organisations de « promotion de la démocratie » prirent d’autant moins conscience de ce fait qu’elles avaient presque toutes quitté Djakarta sitôt les premiers résultats annoncés. Seule importait, pour décerner à l’Indonésie le brevet d’entrée en démocratie qui lui ouvrirait toutes grandes les portes de l’aide internationale, l’absence de violences à grande échelle le jour J du scrutin. Un observateur du Center for Democratic Institutions  [34] concluait par exemple avec emphase au terme de sa journée d’observation : « En règle générale, le sentiment prédominait que la démocratie était en train d’être mise en place (democracy was being put into place) »  [35]. Dans un communiqué de presse, l’Association of Asian Elections Authorities (AAEA) – dont la mission avait été financée par l’IFES  [36] – « exprimait son approbation [au gouvernement indonésien] pour avoir choisi la voie de la démocratie en ayant autorisé et facilité ce scrutin libre et ouvert »  [37]. Le NDI saluait pour sa part « l’engagement en faveur de la démocratie, de l’ouverture et de la transparence démontré avec tant d’enthousiasme par le peuple indonésien le 7 juin »  [38]. En donnant ainsi publiquement quitus à l’Indonésie de son entrée en démocratie, ces organisations levaient les derniers obstacles pesant sur le décaissement des aides promises par le Fonds monétaire international, la Banque asiatique de développement et le CGI (Consultative Group for Indonesia, consortium de pays donateurs d’aide à l’Indonésie), afin de tenter d’endiguer les effets dévastateurs de la crise financière de la fin de l’année 1997  [39]. Les questions de la formation d’une majorité stable de gouvernement, des rapports entre pouvoir civil et pouvoir militaire ou de la reprise du débat autour de l’islamisation de la vie publique n’étaient même pas évoquées. Seul comptait le moment du vote, érigé en « alpha et oméga » de la libéralisation politique.

14L’indifférence manifeste des diverses agences d’aide au « passage à la démocratie » à l’égard des dynamiques sociales du politique ne s’explique pas uniquement par des raisons d’ordre théorique ou idéologique : elle est aussi la conséquence d’un mode pratique de structuration. La plupart de ces agences ont en effet vocation à travailler simultanément sur plusieurs pays. L’IDEA, qui possède un représentant permanent à Djakarta, se donne par exemple pour objectif d’« aider à développer les institutions et la culture de la démocratie » et publie à cet effet des handbooks comparatifs sur « le financement des partis politiques », « les femmes au Parlement » ou « la création des systèmes électoraux » (electoral systems design). Il est financé par une vingtaine d’États et travaille en étroit partenariat avec d’autres organismes internationaux (comme la Banque mondiale, l’Union interparlementaire, l’International Press Institute et Transparency International). Il dispose de bureaux et finance des projets au Nigeria, au Burkina Faso, en Afrique du Sud, au Mozambique, au Pérou, au Guatemala, en Birmanie et en Géorgie  [40]. Jusqu’à de récentes réformes, les programme officers de l’IDEA avaient ainsi vocation à changer fréquemment de site d’intervention, tout comme les senior advisers de l’IRI ou les chargés de mission de la Commission européenne en charge des équipes de surveillance électorale. Et, comme ces derniers, ils se plaignaient du caractère expéditif de la formation qui leur était dispensée en amont de leur arrivée sur le terrain  [41]. L’IDEA agissait par conséquent tel un opérateur de standardisation internationale du langage de la gestion technique du processus de « passage à la démocratie ». La définition exclusivement procédurale du système démocratique dont il était porteur dans les années 1990 était adaptée à des comparaisons éclairs entre des sociétés politiques aux trajectoires historiques éminemment dissemblables. La démocratie était ici affaire de spécialistes : son institution et sa consolidation étaient censées découler du strict respect d’un ensemble de recettes universelles.

15Il nous faut maintenant examiner plus en détail l’hypothèse selon laquelle la présence massive de représentants d’organisations de « promotion de la démocratie » à Djakarta au premier semestre 1999 a eu un effet sur la définition du processus politique légitime, c’est-à-dire sur la vision même du changement politique désirable. La réticence à l’égard du multipartisme non limitatif dont ont fait montre certains membres de la KPU, qui ont milité avec succès pour l’adoption de dispositifs restreignant fortement le nombre de formations partisanes dans l’espoir de parvenir à un système stable d’alliances gouvernementales, n’est de fait peut-être pas entièrement étrangère à leur intime familiarité avec les bastions nord-américains de l’expertise démocratique. Il n’est pas anecdotique, par exemple, que l’un des membres les plus écoutés de la KPU, Andi Mallarangeng, ait obtenu son master de sociologie (1991) puis son doctorat de science politique à la Northern Illinois University (1997)  [42]. Sa thèse, influencée par les travaux de Dwight King, avait pour objet « une analyse contextuelle du comportement électoral indonésien ». Dwight King, indonésianiste renommé, spécialiste des élections sous l’Ordre Nouveau, avait été lui-même consultant de la Banque mondiale sur l’Indonésie (en mars 1989, février et mai 1990, janvier 1991, novembre 1992 et janvier 1997). Il fut en outre l’un des conseillers (senior adviser) du Centre Carter de février à juin 1999, puis devint election monitor au Timor Est en 2001 lors de l’élection de l’Assemblée constituante  [43]. Décrivant son rôle de consultant politique à Djakarta, il écrit, dans un inimitable parler bureaucratico-académique : « Duties : Provided weekly analysis and background papers on political developments and the transition process in Indonesia, wrote press releases, gave oral briefings to Carter Center personnel, including former President and Mrs. Carter, participated in high level interviews (as translator and/or co-questioner) between Jimmy Carter and high level Indonesian government officials, including President, Foreign Minister, and Commander in Chief of the Armed Forces, and leaders of major political parties. Recruited and helped screen/select members of the election monitoring delegation »  [44].

16La préférence explicite d’Andi Mallarangeng pour un système de « grands partis » pourrait donc avoir été pour partie dictée par l’influence sur sa pensée du modèle du « deux partis et demi », présenté par la théorie nord-améri-caine comme un gage de stabilité politique à long terme. Cette théorie était alors accessible, en Indonésie même, à un public lettré : dès la fin de l’année 1998, certains ouvrages majeurs de la « transitologie » avaient été traduits en indonésien et les analyses de Philippe Schmitter et de Juan Linz reprises dans des essais et des manuels de science politique publiés à Djakarta  [45]. Or l’on sait, notamment depuis les analyses critiques de Guy Hermet sur cette école de pensée, que la « transitologie » affichait dans les années 1970 et 1980 une préférence marquée pour les scrutins de type ou à effets majoritaires, au motif que les situations de « sortie d’autoritarisme » nécessitent la conclusion de « pactes » entre ennemis idéologiques et que les « partis attrape-tout » peuvent favoriser ces transactions  [46]. Cependant, au sein même de la KPU, un profond clivage apparut entre les représentants des partis (les « politiques », qui étaient presque tous favorables à un mode de scrutin augmentant la représentation proportionnelle) et les « technocrates » (professeurs de droit et experts, qui penchaient pour un mode de scrutin majoritaire)  [47]. Le débat, tel du moins que l’on peut le reconstituer par l’examen des minutes des réunions, fut extrêmement vif. Comme nous l’avons vu, il s’acheva par la victoire des « bureaucrates » : la KPU opta pour un scrutin de liste avec « prime au premier » et édicta une gamme de clauses restreignant la participation aux élections à un quart seulement des formations en lice, instituant de ce fait un pluripartisme limité.

La poursuite de la construction des bureaucraties électorales et le retour en politique des professionnels du droit

17Les organisations de « promotion de la démocratie » présentes à Djakarta au premier semestre 1999 ont eu pour interlocuteurs privilégiés un groupe assez restreint de professionnels du droit et de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et du ministère des Affaires étrangères (le Deplu). Ce n’est pas seulement que les membres de ce groupe avaient un intérêt particulier au contact avec les organisations étrangères : ils y étaient aussi, d’une certaine façon, prédisposés de par le type de compétences dont ils étaient porteurs. La rencontre avec les « ingénieurs de la démocratie » survalorise de fait des savoirs linguistiques et techniques spécifiques (maîtrise de l’anglais et d’autres langues européennes, connaissance du droit administratif). Elle tend ce faisant à modifier les hiérarchies préétablies dans tel ou tel secteur bureaucratique.

18Les interlocuteurs privilégiés du NDI ou de l’IFES au sein du Deplu étaient ainsi les sous-directeurs Amérique du Nord et Europe de l’Ouest et leurs rédacteurs pays, pour la plupart à peine trentenaires, et non les « grands ambassadeurs » passés par New York ou Londres, qui avaient tous été nommés sous l’Ordre Nouveau et dont le capital politique s’était délité avec la chute de Suharto. Par voie de conséquence, des fonctionnaires de rang intermédiaire jouaient un rôle plus important que leurs supérieurs hiérarchiques directs dans les rencontres régulières avec les représentants des organisations de « promotion de la démocratie ». Cela bouleversait profondément le champ des relations hiérarchiques internes au Deplu : dans les années 1980 et 1990, le ministère était tout entier tourné vers l’ASEAN, dont Ali Alatas, le puissant ministre des Affaires étrangères de Suharto (1987-1999), avait fait la priorité de la politique étrangère indonésienne. Les fonctionnaires en charge de la zone européenne étaient alors relégués dans des positions marginales. La structure du Deplu reflétait cette prééminence absolue des affaires régionales aux dépens des dossiers multilatéraux ou du rapport bilatéral aux pays européens : jusqu’en 1999, il n’existait pas de départements géographiques, mais seulement des départements thématiques déclinant tous les aspects de l’insertion du pays dans l’ASEAN (dont le Secrétariat permanent était installé à Djakarta). Le nouveau sous-directeur du département des Organisations internationales du Deplu, Marty Natalegawa, reçut pour mission de réorganiser le ministère en fonction des nouvelles priorités de relations renforcées avec le Japon, l’Europe et les États-Unis, principaux bailleurs de fonds du processus électoral. Natalegawa, qui devint Secrétaire général (Kepala Biro Administrasi) du Deplu de 2002 à 2004, puis accéda en 2005 au poste prisé d’ambassadeur en Grande-Bretagne, avait le profil de sa mission. Né en 1963, diplômé de l’Australian National University, de Cambridge et de la LSE, entré dans la carrière en 1986, membre influent de la délégation indonésienne auprès de l’ONU à New York de 1994 à 1999  [48], il favorisa très fortement la progression de carrière de jeunes diplomates possédant des diplômes acquis à l’étranger (MA, MSc., Ph D) et maîtrisant couramment l’anglais et les langues européennes (français, allemand)  [49]. Ce sont ces jeunes diplomates, fer de lance de la réorganisation du Deplu à une époque de complète redéfinition des impératifs diplomatiques, qui devinrent les « points de contact » attitrés des ambassades occidentales, qui « rabattaient » vers eux les « missionnaires » de passage à Djakarta.

19La situation de contact avec les « ingénieurs de la démocratie » s’est ainsi traduite par l’appréciation (au sens monétaire) de certaines compétences ou particularités de trajectoire et par la dévaluation d’autres. Les juristes constitutionnalistes et les experts en droit électoral ont en effet acquis une position dominante dans le champ politico-administratif en 1999, alors qu’ils ne jouaient pratiquement aucun rôle sous le régime de l’Ordre Nouveau. Les agents du service des élections du ministère de l’Intérieur se trouvant discrédités par leur participation passée à l’organisation des « fêtes de la démocratie », ce sont de jeunes professionnels du droit public qui ont été nommés à la KPU. Pour certains, ce passage par la KPU a constitué un véritable tremplin politique. Avant d’en prendre la direction, Andi Mallarangeng était professeur de droit et de science politique à l’Université Hasanudin de Makassar. À partir de 2001, il devint consultant politique, chercheur associé au Freedom Institute (un think tank créé par son frère Rizal) et chroniqueur à la radio et à la télévision. En 2002, il fut l’un des fondateurs, aux côtés de Ryaas Rasyid, du Parti de l’unité démocratique nationale (PPDK), qui ne rassembla jamais plus de 200 membres, mais dont la création s’inscrivait dans un plan de reconversion politique de compétences techniques : Andi Mallarangeng avait en effet travaillé avec Rasyid à l’élaboration de la Loi sur le gouvernement régional de 1999. Or le nouveau parti militait pour une « réelle décentralisation » du pouvoir  [50]. En octobre 2004, fort de sa notoriété médiatique et de son réseau d’alliés issus de la KPU, Andi Mallarangeng fut nommé porte-parole (juru bicara) du Président S. B. Yudhoyono. La trajectoire de Ryaas Rasyid constitue un autre exemple d’ascension politique liée à la participation experte au programme de réforme du système électoral. Né à Gowa (Sulawesi) en 1949, Rasyid débuta sa carrière comme petit fonctionnaire local et gravit un à un les échelons de l’administration locale : de simple mantri polisi (assistant de police au niveau d’un village), il devint Camat (Chef de district). Après avoir intégré les rangs de l’administration régionale, il parvint, à 45 ans, à obtenir un diplôme en science politique de l’Université d’Hawaii. Avant d’être nommé en juillet 1998 au poste de directeur d’un tout nouveau département de l’Autonomie régionale au ministère de l’Intérieur, il fut directeur d’une École d’administration publique (Institut Ilmu Pemerintahan, IIP). Le Président B. J. Habibie le chargea en septembre 1998 de présider une équipe d’universitaires qui rédigea en quelques mois les nouvelles lois électorales. En octobre 1999, le Président A. Wahid le nomma au poste – alors politiquement périlleux – de ministre de l’Autonomie régionale  [51]. Fonctionnaire de carrière zélé et technicien du droit administratif, Rasyid put ainsi transformer, à la faveur de la Reformasi, son capital d’expertise juridique en capital politique.

20De façon générale, la création des institutions de tutelle juridique de la Reformasi (KPU, Cour constitutionnelle, Agence d’éradication de la corruption) a favorisé le retour en politique des professionnels du droit, qui avaient été fortement marginalisés sous l’Ordre Nouveau  [52]. Parce qu’il implique le traitement de dossiers de recours contre l’État, le métier d’avocat publiciste est de fait l’un des plus exposés en situation de clôture autoritaire du système politique. Sous le régime de Suharto, l’interprétation du droit administratif et de la Constitution de 1945 était devenue le privilège d’une caste de hauts fonctionnaires tenus sous très haute surveillance : la mise en doute de la légalité constitutionnelle des décisions présidentielles ou la critique voilée de la justesse de l’exégèse officielle des Pancasila menait systématiquement les juges de la Cour suprême ou des Hautes Cours à la destitution  [53]. La Loi sur les cours administratives de 1986, qui précisait les conditions de saisine de ces dernières en cas de contestation de la légalité d’une décision de l’État, n’est d’ailleurs entrée en vigueur qu’en 1991  [54]. Il n’existait pas auparavant de réel droit de recours contre l’État. Depuis le début de la Reformasi, en revanche, on a assisté à une progressive désacralisation du texte constitutionnel : outre qu’il a été amendé à plusieurs reprises à l’initiative du Parlement, son interprétation est redevenue un enjeu politique à part entière, notamment en 2001, lorsque les députés ont initié une procédure d’impeachment contre le Président Abdurrahman Wahid. Une bataille de constitutionnalistes s’est alors engagée, opposant adversaires et partisans de la légalité de la procédure, qui a eu pour effet de rouvrir la discussion sur l’équilibre des pouvoirs entre les institutions  [55].

21Ce n’est toutefois qu’en août 2003, avec la création par décret présidentiel de la Cour constitutionnelle (Mahkamah Konstitusi Republik Indonesia, MKRI), que le pouvoir exclusif d’établir l’interprétation en dernier ressort du texte constitutionnel a été imparti à une autorité. Composée de neuf juges choisis selon le modèle du Conseil constitutionnel français, la MKRI est dotée de la prérogative de trancher et de sanctionner les litiges électoraux, et notamment du pouvoir d’annuler un résultat de scrutin en cas de fraude avérée. Elle complète de la sorte le dispositif d’encadrement juridique et judiciaire du processus électoral, en « chapeautant » la KPU et ses agences régionales  [56]. La MKRI est ainsi devenue le bras judiciaire, et le garant en dernier ressort, de la KPU, dont elle entérine la légalité constitutionnelle et qu’elle épaule par voie de décisions suspensives. Allant parfois aux confins de son mandat, la MKRI s’est posée en gardienne sourcilleuse de la légalité électorale. Elle a ainsi rendu des décisions touchant, inter alia, au processus d’enregistrement des partis politiques  [57], à la liberté d’accès à (et de diffusion de) l’information électorale par les journalistes professionnels  [58] et à l’invalidation de résultats électoraux pour des scrutins de province  [59] et législatifs  [60]. Au cours du seul mois de juin 2004, à l’issue du second scrutin législatif post-Suharto, elle a rendu pas moins de 35 décisions concernant des scrutins de « niveau 1 » (députés à la chambre basse) et de « niveau 2 » (députés à la chambre haute). N’hésitant pas à exiger de nouveaux décomptes des voix et à publier des résultats modifiés (invalidant de facto des investitures), elle a opéré une interprétation très extensive de son rôle de défense des lois électorales, ne se contentant pas de citer la Constitution mais prenant également appui sur les Lois de 1999 et de 2002 ainsi que sur des Décisions de la KPU. La KPU elle-même a subi plusieurs réformes, se dotant de neuf Divisions spécialisées, d’un Centre d’information civique et de branches régionales. Sa composition actuelle reflète la victoire des « bureaucrates » à la veille du scrutin de 1999 : 70 % de ses membres sont titulaires de diplômes de droit public.

22Cette montée en puissance de la KPU et de la MKRI accentue fortement la judiciarisation (et donc la pacification) de la compétition partisane : le recours à l’arbitrage par le droit s’impose désormais comme une tactique ordinaire du combat politique. Au chapitre de la généalogie de ce processus, Yves Dezalay et Bryant Garth ont récemment insisté, à partir d’une enquête par entretiens avec les grands ténors du barreau indonésien, sur l’importance qu’a revêtue dans la carrière de ces derniers, à compter des années 1990, leur socialisation à la pratique états-unienne du droit (caractérisée surtout par l’importance du litige jurisprudentiel, des class actions et des stratégies de recours à l’arbitrage de la Cour suprême). Par l’entremise de leur formation sur les campus nord-américains, puis de leur participation aux associations d’aide juridique financées en Indonésie par la Fondation Ford et USAID (comme l’Institut d’aide juridique, Lembaga Bantuan Hukum, LBH), ces juristes de renom (tels Todung Mulya Lubis et Adnan Buyung Nasution) ont contribué à former un « réseau de juristes militants », caractérisés par leur « investissement dans la morale du droit »  [61].

23Il n’est pas dans notre intention de nier ici l’importance de la greffe, dans la pensée juridique indonésienne, de cette pratique militante du droit – paradoxalement favorisée par les liens coupables entre le régime de l’Ordre Nouveau et le cénacle de l’expertise militaire états-unienne au sortir d’un massacre considéré comme une victoire décisive du Monde libre contre le péril communiste (les tueries anti-PKI de 1965-1966, qui firent de 800 000 à 1,2 million de morts). Cependant, le monde du droit sous l’Ordre Nouveau ne se limitait pas à ces figures contestataires « internationalisées » : dans les tribunaux de province et les facultés, des centaines de juges et de professeurs ordinaires étaient contraints, qu’ils y aient adhéré ou non en leur for intérieur, d’appliquer et d’enseigner les principes incantatoires de la « démocratie Pancasila », lesquels étaient tout sauf propices à une réappropriation ou à une réinvention locale du répertoire des libertés publiques ou des « droits de l’homme ». Certes, l’interprétation des Pancasila offrait un espace minimal de luttes interprétatives – lesquelles reflétaient les luttes factionnelles internes aux strates supérieures de l’establishment présidentiel. Mais la contestation ouverte de leur exégèse officielle par des personnes externes à ces cénacles dirigeants menait inéluctablement celles-ci à être l’objet d’un intense harcèlement policier. Il ne faut pas sous-estimer par ailleurs l’emprise de la vulgate constitutionnaliste du régime sur des pans étendus de la population : rappelons à ce propos que les cours de « P4 » (Pedoman Penghayatan dan Pengalaman Pancasila, « Principes de compréhension et d’approfondissement des Pancasila ») furent rendus obligatoires dans les écoles et les universités, par décret, à compter de 1980  [62]. Des générations de jeunes Indonésiens furent ainsi obligées d’ânonner des préceptes civiques liberticides issus en droite ligne des théories organicistes de Soepomo. L’arbre ne doit donc pas cacher la forêt. Au fil des années 1970,1980 et 1990, le monde indonésien du droit public a continué à véhiculer le legs d’une pensée constitutionnaliste née dans les années 1930 et 1940 et marquée du sceau du refus de la reconnaissance d’une quelconque limite aux pouvoirs de l’État. Face à la masse des juges et des experts acquis, par conviction ou par opportunisme, au régime, Mulya Lubis et Nasution n’ont d’ailleurs dû leur salut politique et financier qu’à leur stratégie de repli intermittent sur la sphère du droit des affaires. La Reformasi a permis à cette génération de « juristes militants » de prendre l’ascendant, au terme de violentes luttes socioprofessionnelles, sur un autre segment, légitimiste, du monde du droit (dont certains des plus éminents représentants sont toujours en poste dans les cours de district de Djakarta). Mais la bataille fut rude, et la victoire n’est pas encore complètement acquise.

24O n ne peut assigner le processus de retour en politique des professionnels indonésiens du droit à leur seule rencontre en 1999 avec les « ingénieurs de la démocratie », quand bien même la venue à Djakarta de ces derniers a très certainement eu pour effet, en le dotant de ressources financières et de biens de prestige complémentaires, d’élargir et de consolider le champ d’intéressement local à la réussite de la réforme technique de l’ordre électoral. Il ne faut pas non plus penser le rapport entre experts indonésiens et organisations de democracy building seulement sous la rubrique d’une offre étrangère de ressources. Certains juristes et fonctionnaires du Deplu avaient en effet entamé dès le milieu des années 1990, par le choix de l’obtention de diplômes étrangers, des « stratégies d’internationalisation »  [63] que le contact avec ces organisations n’a fait que valider rétrospectivement. Cette « rencontre » n’a été pour eux qu’une ressource d’appoint dans une nouvelle arène, somme toute assez limitée, de jeux de pouvoir. L’apprentissage tactique du langage de la « bonne transition » a certes accéléré la formation de leurs réseaux transnationaux de soutien, leur permettant ainsi d’en appeler à l’arbitrage d’acteurs tiers pour faire prévaloir leurs choix dans des débats internes (à la KPU ou au Deplu). Mais s’il en est ainsi, c’est que l’action des « ingénieurs de la démocratie », loin de les avoir entièrement modelés, s’est « encastrée » dans des espaces locaux de concurrence bureaucratique (entre ministères et agences administratives autonomes) et de rivalités socioprofessionnelles (entre juristes surdiplômés et fonctionnaires de carrière). De façon générale, le choix indonésien du pluripartisme limité et de la judiciarisation accrue du jeu électoral n’est pas imputable uniquement au pouvoir d’influence des « ingénieurs de la démocratie » du NDI ou de l’IFES sur les membres de la KPU ou du gouvernement Habibie. Il s’inscrit également dans une veine idéologique « indigène », propre au « nationalisme aristocratique »  [64] de Ki Hadjar et de Raden Soepomo comme à ses avatars autoritaires postcoloniaux : celle d’une dévalorisation du multipartisme comme principe de « division » de la communauté nationale et d’une méfiance élitiste à l’égard de la « foule » politiquement immature.


Date de mise en ligne : 01/09/2008

https://doi.org/10.3917/crii.040.0051

Notes

  • [1]
    Je préfère le terme générique d’organisation à celui d’ONG pour qualifier des organismes tels que le NDI (National Democratic Institute), l’IFES (International Foundation for Election Systems) ou l’Open Society Institute. La plupart de ces instituts et fondations sont en effet très fortement liés à des agences gouvernementales et bénéficient d’importants subsides publics.
  • [2]
    Voir Nicolas Guilhot, The Democracy Makers : Human Rights and International Order, New York, Columbia University Press, 2005, ainsi que les travaux connexes de Sandrine Lefranc sur les ONG de « prévention de conflit » et de « construction de la paix » (« Convertir le grand nombre à la paix. Une ingénierie internationale de pacification », Politix, 80,2007, p. 7-29), et de Tom Medvetz, sur les think tanks néoconservateurs (Hybrid Intellectuals : Toward a Social Praxeology of US Think-Tank Experts, Berkeley, University of California, Center for Culture, Organization and Politics, Working Papers n? 9,2006).
  • [3]
    L’expression est de Guy Hermet (Le passage à la démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, 1996). Pour une étude ethnographique de l’action des ONG, voir Laetitia Atlani, Au bonheur des autres : anthropologie de l’aide humanitaire, Nanterre, Société d’ethnologie, 2005.
  • [4]
    Les réflexions qui suivent sont le fruit d’une recherche menée à Djakarta en 1998,1999 et 2000, et tirent parti des discussions collectives qui se sont tenues dans le cadre du projet « Experts, médiateurs et courtiers de la bonne gouvernance : étude comparative des pratiques transnationales de démocratisation », coordonné par Boris Petric (LAIOS).
  • [5]
    Plus précisément : la Loi n? 1/1999 sur les partis politiques, la Loi n? 2/1999 sur les élections générales, la Loi n? 3/ 1999 sur la composition et le statut des chambres et les Lois n? 4/ et n? 5/1999 sur la participation des fonctionnaires aux activités des partis politiques. Faute de place, nous ne pouvons prendre en compte ici les divers textes législatifs ou réglementaires qui ont substantiellement retouché et consolidé ce dispositif de normes initial, notamment en 2002 et 2004.
  • [6]
    Cf. David Bourchier, « Habibie’s Interregnum : Reformasi, Elections, Regionalism and the Struggle for Power », dans Chris Manning, Peter Van Diermen (eds), Indonesia in Transition : Social Aspects of Reformasi and Crisis, Singapour, Institute of Southeast Asian Studies, 2000, p. 15-37.
  • [7]
    Ces lois avaient été votées durant les massacres anticommunistes de 1965-1966, afin de doter d’une base pseudo-juridique les arrestations, déportations et assassinats de militants supposés du Parti communiste indonésien (PKI).
  • [8]
    Romain Bertrand, « La démocratie à l’indonésienne. Bilan critique d’une transition qui n’en finit pas de commencer », Revue internationale de politique comparée, 8 (3), 2001, p. 435-459.
  • [9]
    Entretien, Djakarta, mai 1999.
  • [10]
    Aux termes de l’article 8 alinéa 2 de la Loi n? 3/1999, la KPU est un organisme « libre et indépendant, composé de [représentants des] partis politiques participant aux élections ainsi que de représentants du gouvernement responsables devant le Président ». L’article 9 précise que les membres de la KPU sont au nombre de 53, choisis pour cinq ans : 48 représentants des partis (1 par parti légalisé) et 5 « personnes du gouvernement », avec un système de « vote équilibré » entre les deux groupes. La KPU élit en son sein son bureau exécutif (1 président et 2 vice-présidents).
  • [11]
    Les Pancasila (Cinq principes) furent énoncés en août 1945 par Sukarno en guise de compromis entre les nationalistes républicains et les milieux religieux, et inclus dans le préambule de la Constitution. Ils énoncent comme « principes fondateurs de l’Etat » : 1. la croyance en un dieu unique ; 2. une humanité juste et civilisée ; 3. l’unité de l’Indonésie ; 4. la démocratie par recherche de l’unanimité au terme d’un processus de délibération collective ; 5. la justice sociale.
  • [12]
    Sur la période de démocratie parlementaire de 1949-1957, voir Herbert Feith, The Decline of Constitutional Democracy in Indonesia, Ithaca, Cornell University Press, 1962.
  • [13]
    Pour une présentation détaillée de la pensée mystique et politique de Ki Hadjar Dewantara (1899-1959), voir Kenji Tsuchiya, Democracy and Leadership : The Rise of the Taman Siswa Movement in Indonesia, Honolulu, University of Hawaii Press, 1988. Pour une sélection de textes de Raden Soepomo (1903-1958), voir Herbert Feith, Lance Castles (éditeurs et traducteurs), Indonesian Political Thinking, 1945-1965, Ithaca, Cornell University Press, 1970. L’ouvrage clé de Soepomo en la matière est son Hubungan Individu dan Masjarakat dalam Hukum Adat, Djakarta, Yayasan Dharma, 1952.
  • [14]
    Raden Soepomo, « Discours prononcé le 31 mai 1945 devant le Comité d’études pour la préparation à l’Indépendance », dans H. Feith, L. Castles (eds), Indonesian Political Thinking, 1945-1965, op. cit., p. 188-192.
  • [15]
    David Reeve, Golkar of Indonesia : An Alternative to the Party System, Oxford, Oxford University Press, 1985.
  • [16]
    Il n’est de meilleure introduction à l’historiographie récente de l’Ordre Nouveau que la biographie de Suharto écrite par Robert Elson, Suharto : A Political Biography, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. Pour un aperçu ethnographique des pesta-pesta demokrasi, cf. John Pemberton, « Notes on the 1982 General Elections in Solo », Indonesia, 41,1986, p. 1-22.
  • [17]
    Sur la genèse idéologique du système corporatiste de l’Ordre Nouveau, voir D. Reeve, Golkar of Indonesia : An Alternative to the Party System, op. cit..
  • [18]
    Jim Schiller, The 1997 Indonesian Elections : « Festival of Democracy » or Costly Fiction ?, Victoria, Center for Asia Pacific Initiatives, Occasional Paper n? 22,1999.
  • [19]
    Informations recueillies auprès du ministère de l’Intérieur et de la KPU, Djakarta, septembre 1999.
  • [20]
    Les régences (kabupaten) sont une subdivision administrative des provinces (propinsi). Le système a très fortement évolué depuis 1999, avec la mise en œuvre d’élections locales directes (Pilkada, de Pemilihan Kepala Daerah dan Wakil Kepala Daerah) permettant la désignation des gouverneurs de région au suffrage universel direct.
  • [21]
    Solidarity Center (ACILS), Summary of Election Monitoring Reports. Ujung Pandang Monitoring Team (March-first week of May 1999), Djakarta, 1999.
  • [22]
    Jean-Louis Briquet, Philippe Garraud (dir.), Juger la politique. Entreprises et entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
  • [23]
    Le National Democratic Institute for International Affairs se donne pour mission de « renforcer la démocratie et de contribuer à son expansion dans le monde » en promouvant une party-based approach (faisant de la consolidation du système de partis la condition préalable de tout processus de « passage à la démocratie »). Très proche du Parti démocrate, il est aujourd’hui présidé par Madeleine Albright et Rachelle Horowitz (wwww. ndi. org).
  • [24]
    Election Facilitation Center, International Observers to the June 7,1999 Elections, PNUD, Djakarta, 2 juin 1999. Le document précise que le décompte n’inclut pas « les observateurs non officiels du corps diplomatique » (id est les « missionnaires » hors cadres des différentes administrations centrales et les agents sous couverture des services de renseignement).
  • [25]
    Samuel Huntington avait publié, en 1993, The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century, dans lequel il prophétisait qu’après l’Europe et l’Amérique latine au XIXe siècle et après l’Europe de l’Est dans les années 1980, l’Asie connaîtrait dans les années 1990 une vague de « passages à la démocratie ».
  • [26]
    Cette antenne du PNUD publia, à destination de la communauté diplomatique et des journalistes étrangers, un bulletin intitulé Election Update.
  • [27]
    Election Update. Official Newsletter of UNDP Indonesia’s Electoral Assistance Programme, 1 (9), 7 juin 1999, p. 2, section « Donor News ».
  • [28]
    Cf. Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 71-72,1988, p. 22-45, et « La construction sociale du vote. Fétichisme et raison instrumentale », Politix, 6 (22), 1993, p. 5-42.
  • [29]
    Monitoring Form. Vote Casting and Counting Process, 1999 General Election. Election Monitor. HONEST, Rectors’ Forum Indonesia, mai 1999, sections E et F.
  • [30]
    International Republican Institute, Buku Panduan Saksi Partai Pemilu 1999 (Livret de directives pour les observateurs des partis lors des élections de 1999), Djakarta, mai 1999, p. 23-24. Le terme indonésien saksi, par lequel est traduit le terme « observateur », désigne usuellement un témoin lors d’un mariage ou d’un procès.
  • [31]
    National Election Commission, Election Day Instructions for KPPS Members, Djakarta, mai 1999, p. 20-25.
  • [32]
    C’est paradoxalement à Menteng, quartier chic du centre ville de Djakarta peuplé de pejabat (fonctionnaires), que prit place cette querelle, vraisemblablement du fait de la personnalité autoritaire du Chef de voisinage local (observations personnelles, Djakarta, mai-juin 1999).
  • [33]
    Pour des données sur le profil social des députés de la DPR lors de la mandature 1999-2004, voir Wajah Dewan Perwakilan Rakyat Republik Indonesia. Pemilihan Umum 1999 (« Profil de la DPR. Élections de 1999 »), Djakarta, Penerbit Harian Kompas, juillet 2000. Il faut noter l’absence quasi totale d’études consacrées au personnel et aux pratiques parlementaires dans la littérature scientifique consacrée à la Reformasi.
  • [34]
    Le Center for Democratic Institutions est un organisme quasi gouvernemental financé par l’Australian Agency for International Development (AusAID), qui se donne pour objectif de promouvoir la « bonne gouvernance » dans les pays de la zone Asie-Pacifique.
  • [35]
    Center for Democratic Institutions, Monitoring the Indonesian Elections, Djakarta, 3-9 juin 1999, p. 6.
  • [36]
    L’IFES se définit comme une « organisation d’assistance à la démocratie et à la gouvernance ». Créée en 1987 et financée, inter alia, par USAID et l’OSCE, l’IFES emploie 150 personnes et intervient, directement ou par financement croisé, dans une centaine de pays.
  • [37]
    Statement of the AAEA Observer Delegation, National Parliamentary Elections, Republic of Indonesia, June 7 1999, Djakarta, 9 juin 1999.
  • [38]
    Statement of the National Democratic Institute and the Carter Center International Election Observation Mission. Indonesia’s June 7,1999 Elections, Djakarta, 20 juin 1999, p. 1.
  • [39]
    Entretiens avec des membres d’organisations internationales participant au CGI, Paris, juillet 1999. Entretiens avec des membres d’organisations internationales participant au CGI, Paris, juillet 1999.
  • [40]
    Informations extraites du site d’IDEA (wwww. idea. int). Sur le modèle des fondations nord-américaines, l’IDEA est présidé par un board de directeurs composé de « personnalités internationales » issues pour la plupart du monde de la politique et de la haute diplomatie. L’IDEA a été créé en 1995 et son quartier général est installé à Stockholm.
  • [41]
    Entretiens avec un diplomate français ayant participé, dans le cadre d’une mission de l’Union européenne, aux opérations de surveillance électorale du scrutin législatif de 2004, Paris, juillet 2004.
  • [42]
    Données issues du curriculum vitae d’Andi Mallarangeng, fourni à l’auteur par ce dernier, Djakarta, 1999.
  • [43]
    Le Centre Carter a été inauguré en 1984. Son mot d’ordre est Waging Peace, Fighting Disease, Building Hope (wwww. cartercenter. org).
  • [44]
    Informations issues de son curriculum vitae (wwww3. niu. edu/ acad/ polisci/ faculty/ king).
  • [45]
    Voir par exemple Coll., Demokratisasi Pengelolaan Sumber Daya Alam, Djakarta, ICEL, 1999.
  • [46]
    G. Hermet, Le passage à la démocratie, op. cit., et « Le charme trompeur des théories : un état des travaux », dans Christophe Jaffrelot (dir.), Démocraties d’ailleurs, Paris, Karthala, 2000, p. 315-342 ; Michel Dobry, « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », Revue française de science politique, 50 (4-5), 2000, p. 585-614.
  • [47]
    Entretiens avec des membres de la KPU, Djakarta, avril 1999.
  • [48]
    Entretiens au Deplu ainsi qu’avec des membres de représentations diplomatiques occidentales, Djakarta, 2003.
  • [49]
    « Ryaas Rasyid’s Party Proclaims Real Meaning of Autonomy », The Jakarta Post, 14 février 2004.
  • [50]
    « Marty Natalegawa », Ensiklopedi Tokoh Indonesia (équivalent du Who’s Who) (wwww. tokohindonesia. com).
  • [51]
    « Kabinet Persatuan Nasional Periode 1999-2004 », Kompas, 27 octobre 1999.
  • [52]
    Cette marginalisation des professionnels du droit avait commencé dès 1957, lorsque plusieurs des associations nationales d’avocats avaient protesté contre la dérive autoritaire de Sukarno, en passe d’instituer la « démocratie guidée ». Voir Daniel Lev, Lawyers as Outsiders : Advocacy versus the State in Indonesia, Londres, SOAS, 1992. Pour une série d’études détaillées concernant le renouveau des associations professionnelles d’avocats et la transformation du milieu constitutionnaliste indonésien à compter de la chute de Suharto, voir D. Lev, Legal Evolution and Political Authority in Indonesia : Selected Essays, Leyde, Brill, 2000.
  • [53]
    Sebastian Pompe, The Indonesian Supreme Court : A Study of Institutional Collapse, Ithaca, Cornell University Press, 2005.
  • [54]
    Bernard Quinn, « Indonesia : Patrimonial or Legal State ? The Law on Administrative Justice of 1986 in Socio-political Context », dans Timothy Lindsey (ed.), Indonesia : Law and Society, Sydney, Federation Press, 1999, p. 11-20.
  • [55]
    On trouvera des versions apologétiques, pro- Gus Dur, de ce combat entre Abdurrahman Wahid et le Parlement dans Greg Barton, Abdurrahman Wahid : Muslim Democrat, Indonesian President. A View from the Inside, Honolulu, University of Hawaii Press, 2002, et Wimar Witoelar (ex-porte-parole de Gus Dur), No Regrets. Reflections of a Presidential Spokesman, Singapour, Equinox, 2002.
  • [56]
    L’ensemble des textes régissant le fonctionnement de la Mahkamah Konstitusi est consultable sur le site de celle-ci (wwww. mahkamahkonstitusi. go. id).
  • [57]
    Putusan n? 003/PUU-II/2004, à propos d’une requête émanant du Partai Reformasi Indonesia et en conformité avec la Loi n? 31-2002 sur les partis politiques, et Putusan n? 020/PUU-I/2003, à propos d’une requête émanant de 8 dirigeants de partis et en conformité avec la même Loi (mais avec avis minoritaires).
  • [58]
    Putusan n? 005/PUU-I/2003, à propos d’une requête émanant d’associations de professionnels de la presse écrite, radiophonique et audiovisuelle.
  • [59]
    Par exemple Putusan n? 044/PHPU.A-II/2004, concernant un candidat à la DPD (Chambre régionale) de Sumatra Nord.
  • [60]
    Putusan n? 016/PHPU.C1-II/2004, à propos d’une requête du Parti de la justice et de la prospérité (PKS) concernant 22 circonscriptions.
  • [61]
    Yves Dezalay, Bryant Garth, « L’impérialisme moral. Les juristes et l’impérialisme américain (Philippines, Indonésie) », Actes de la recherche en sciences sociales, 171-172,2008, p. 54.
  • [62]
    Il s’agit plus précisément du décret MPR n? II de 1978, mis en application à compter de 1980. Ces cours de « P4 » sont détaillés dans Michael Morfit, « Pancasila: The Indonesian State Ideology According to the New Order Government », Asian Survey, 21 (8), août 1981, p. 838-851. Pour une étude ethnographique des techniques de normalisation idéologique et comportementales mises en œuvre sous l’Ordre Nouveau dans les salles de classe, et ce dès le primaire, cf. Saya S. Shiraishi, Young Heroes. The Indonesian Family in Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1997, p. 123-143.
  • [63]
    Y. Dezalay, B. Garth, La mondialisation des guerres de palais : la restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et « Chicago Boys », Paris, Le Seuil, 2002.
  • [64]
    Cf. R. Bertrand, État colonial, noblesse et nationalisme à Java : la Tradition parfaite, Paris, Karthala, 2005, chap. 6-8.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.85

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions