Le Goût de l’archive donnait à voir l’envers de l’ouvrage historien, la main qui caresse et qui recopie, les heures passées à transcrire rapports et documents au crayon à papier, l’ennui autant que l’émotion. Vies oubliées. Au cœur du xviiie siècle rassemble des chutes d’archives. Dans ce livre, qui inaugure la collection « À la source » dédiée au travail d’archives et dirigée par Clémentine Vidal-Naquet aux éditions de La Découverte, Arlette Farge invente une manière d’écrire avec ce qui reste du travail historiographique. Ce qui reste, ce sont les reliquats, ces documents souvent lacunaires, jugés impossibles à classer et à répertorier par les archivistes, tant la date ou la provenance en sont incertaines. Ce qui reste, ce sont aussi les déchets de l’historienne, ces fragments qu’elle a renoncé à intégrer à ses écrits, ce qui n’a su trouver sa place dans ses précédents livres. Ce butin négatif de plus de quarante ans de recherches dessine avec netteté ses objets de prédilection, tout en donnant une forme inédite, délicate et puissante, à la pensée de l’histoire qui sous-tend son travail.
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Percevoir la rumeur et le mouvement du siècle, serait-ce prêter l’oreille au « murmure du combat » comme on écoute le bruit de la mer ? Ce bruit, écrit Leibniz, n’est que la somme de cent mille « petites perceptions », nées chacune d’une vague qui se brise sur la grève et que, seule, nous n’entendrions pas. Trop infimes et en trop grand nombre, les parties qui composent ce tout ne nous deviennent audibles que dans la proximité confuse de leurs semblables…