Claude Lanzmann a longtemps été un journaliste. Il a rejoint très jeune l’équipe des Temps modernes avant de prendre la direction de la revue de Sartre et Simone de Beauvoir, mais il gagnait sa vie comme correcteur-rewriter pour France-Dimanche sous la férule de Roger Grenier et la haute autorité de Pierre Lazareff. Il a écrit des reportages publiés dans Le Monde, Elle ou L’Express, travaillé à la télévision (pour Emmanuel Todd ou Daisy de Galard, la productrice de Dim Dam Dom), et ce n’est qu’avec Pourquoi Israël en 1970 qu’il commença à faire des films. Le Lièvre de Patagonie est d’abord une assez grandiose traversée du siècle, à mi-chemin entre l’autobiographie (contrat de sincérité oblige) et les mémoires, genre plus vivace qu’on ne le croit en dépit de la perte de légitimité qui lui fut signifiée en un siècle qui fut en ces matières celui des Mots de Sartre et plus encore de La Règle du jeu de Michel Leiris – mais aussi celui de Charles de Gaulle, André Malraux et… Simone de Beauvoir. Mais plutôt qu’un simple (ou complexe) « récit de soi », le livre de Claude Lanzmann se double d’une forme d’« universel reportage », si l’on veut bien entendre avec quelque bienveillance le mot de Mallarmé : Lanzmann fait travailler une riche matière documentaire, d’évidence recentrée sur sa vie, et cependant toujours ouverte sur le monde. Il n’est pas « lui-même la matière de son livre » ; il n’est pas non plus un « Grand Paon » (comme Chateaubriand selon Julien Gracq) ou un « minutieux bourreau de soi-même » (Claude Roy à propos de Leiris) ; il est pourtant toujours un peu frimeur, et n’hésite jamais non plus à s’accabler d’insignes fautes morales ou défauts de courage…