Un roman, pense-t-on, est fait pour tenir à distance le réel, la lourdeur du réel, le présent qui s’offre à nous. Pour s’en saisir et le faire passer du côté du rêve. Parler du réel sans être terre à terre. C’est tout l’enjeu des récits de vies, ces romans qui mettent en fiction des biographies. Genre immédiatement problématique : à la frontière de deux grands ensembles, la biographie et le roman, le récit factuel et le récit fictionnel. Mais après tout, pourquoi ne pas traiter de manière fictionnelle des vies réelles ? Quels problèmes cela pose-t-il ? Le mélange des genres intrigue, inquiète. Le lecteur aime savoir où il se situe. C’est non seulement le statut du texte qui est en jeu, mais plus encore la partition entre fiction et réel. Peut-on mélanger les genres à l’envi ? Peut-on faire un roman de personnes réelles ?
Il s’agit ici de mettre au jour l’actualité éditoriale d’un genre ancien : la vie rêvée. Écrire une vie rêvée, c’est raconter dans une fiction des événements réels. La biographie est réelle, mais traitée comme un roman. Les journalistes littéraires parlent souvent, à ce propos, de biographie romancée. Mais cette expression ne convient pas : car même si la biographie, réelle, est la base du récit, c’est le roman qui prime. Ce n’est pas une biographie que l’on romance, mais un roman que l’on fait à partir d’une biographie.Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Énard et Des éclairs de Jean Echenoz sont des romans. Des fictions infusées par des personnes réelles : leur portrait, quelques traits saillants de leur biographie, sont le support d’une rêverie…