Couverture de CRIS_1226

Article de revue

Rex 1936-1940

Flux, reflux, tensions et dislocations

Pages 1 à 40

Notes

  • [1]
    Souvent, des rexistes qui prirent leurs distances avant la guerre se rapprochèrent de Rex et/ou de son chef fin 1940-1941, après que la victoire allemande leur eut donné le sentiment que seul Rex ou la collaboration leur procuraient une chance nouvelle de carrière administrative ou politique. Ces "retours" à Rex furent, dans certains cas, payés par la vie de leurs auteurs ou par des jugements d’une sévérité extrême lors de la répression fin 1944-1945.
  • [2]
    Les élections auraient dû avoir lieu à l’automne. Rex décida de se constituer en parti et de se présenter comme tel fin février 1936. On peut estimer qu’au moins en partie, la décision d’anticiper le scrutin avait comme souci de ne pas laisser trop de champ et de temps à Rex.
  • [3]
    Sommets atteints dans les quatre cantons suivants : canton de Bruxelles : 18,73 %, canton d’Ixelles : 21,34 %, canton de Saint-Josse : 23,97 %, canton de Schaerbeek : 19,58 %.
  • [4]
    Au sein de la Droite catholique, les démocrates-chrétiens sauvèrent leurs effectifs d’élus (24 en 1938 comme en 1932). Les élus catholiques furent alors des Flamands, à concurrence de 50 sur 63.
  • [5]
    Jean Stengers, La droite en Belgique avant 1940, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 468-469, 30 janvier 1970.
  • [6]
    Parmi les publications de Rex depuis 1931 où s’opéra une extraordinaire rotation rédactionnelle à travers le temps : Soirées (périodique familialiste) ; Rex qui fut, dans un premier temps, un supplément de Soirées ; Vlan, bi-mensuel à contenu politique et polémique ; Foyer ; Le Pays réel, organe de combat, créé le 3 mai 1936 au moment où le parti Rex s’engageait dans la campagne électorale. Outre les organes de presse pour la Flandre et les cantons de l’Est et la tentative avortée d’un Rex pour la France du Nord, Léon Degrelle, directeur des éditions dès juillet 1933, édita diverses collections de livres et de brochures populaires, bénéficiant pour son entreprise à rendement en dents de scie, d’étranges complaisances - matérielles et autres - d’aumôniers et religieux en Flandre (dont les aumôniers d’Averbode) et d’industriels désireux d’avoir plusieurs fers au feu pour faire pression sur l’opinion et sur le pouvoir (cas de Launoit).
  • [7]
    Sur les relations entre le Rex et l’Allemagne de 1933 à 1940, on lira utilement l’étude et les documents publiés à ce sujet par Emile Krier dans les Cahiers d’histoire de la seconde guerre mondiale, No 5, décembre 1978, Bruxelles.
  • [8]
    II est souvent dit que José Streel fut le penseur de Rex et de sa doctrine. En fait, il est difficile de voir dans ses textes de l’époque un véritable exposé de doctrine et d’objectifs.
  • [9]
    Nombre de livres ont paru sur Degrelle, de laudateurs candides, d’anciens collaborateurs en rupture avec le chef. On y trouve généralement quelques éclairantes informations sur sa pré-carrière politique : étudiant peu édifiant, animateur doué, gestionnaire aux capacités douteuses, homme d’initiatives extraordinaires mais souvent extravagantes.
  • [10]
    Inédit - Lettre de L. Degrelle à P. Daye.
  • [11]
    C.H. Höjer, Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940, réédition par le CRISP, 1969, p. 246.
  • [12]
    En fait, on voit mal sur quelles idoles la droite conservatrice catholique pouvait compter en 1935-1936. A l’occasion de son coup de Courtrai (novembre 1935), Degrelle avait traité un parlementaire de la Droite "d’excrément vivant". La victime était loin d’être une "idole".
  • [13]
    Maurice Vaussard, Histoire de la Démocratie chrétienne France, Belgique, Italie, collection Esprit, Ed. du Seuil, 1956, p. 167.
  • [14]
    Jacques Willequet, in Histoire de la Belgique contemporaine, Renaissance du Livre, Bruxelles, 1974, p. 133.
  • [15]
    Giovanni Carpinelli, Cahiers marxistes, No 18, 1973.
  • [16]
    Sur la responsabilité du monde catholique dans la naissance et l’essor de Rex, voir Emmanuel Gérard, La Revue Nouvelle, No 1, 1987, pp. 67-77.
  • [17]
    L’Union catholique belge-UCB, mise en place le 29 août 1921, est en fait une fédération ambiguë où se retrouvent la Fédération des associations et cercles catholiques (Droite conservatrice), la Ligue nationale des travailleurs chrétiens, la Fédération des associations paysannes, Boerenbond et Alliance agricole, et la Fédération chrétienne des classes moyennes. L’UCB se dénomma en 1936 le Bloc catholique belge, bloc entamé - faut-il le dire - par la percée rexiste de l’époque.
  • [18]
    La question de savoir, sur base sociologique, quels types d’électeurs belges adhéraient à Rex n’a guère trouvé de réponse précise, sinon partiellement dans une étude de Danièle Wallef, The Composition of Christus Rex, in Who were the Fascists, Universitets forlaget, Bergen, 1980, pp. 517-523. Voir aussi, dans le même ouvrage l’étude de Luc Schepens, Fascists and Nationalists in Belgium 1919-1940, pp. 501-516. Le nombre d’adhérents-cotisants reste une inconnue.
  • [19]
    Martin Conway, Le rexisme de 1940 à 1944 : Degrelle et les autres, Cahiers du Centre de recherches et d’études historiques de la seconde guerre mondiale, No 10, novembre 1986.
  • [20]
    Voir La situation politique en Belgique : la question flamande (memorandum von Falkenhausen du 31 juillet 1941, traduit de l’allemand par N. Schumacher), Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 581, 1er décembre 1972.
  • [21]
    Confédération rexiste du travail, Confédération agricole rexiste, Centrale corporative des ouvriers rexistes, Corporation rexiste des musiciens professionnels, Syndicat des taximen bruxellois, Confédération rexiste du commerce, artisanat et professions libérales. Avec une mutuelle rexiste, on tend dès 1937 à la création d’un Ordre du travail, appelé à jouer un rôle corporatiste. En fait, ces tentatives sont des échecs relatifs.
  • [22]
    Cette ardeur ne suffit pourtant pas à assurer le succès de la marche rexiste sur Bruxelles le 25 octobre 1936. Au lieu des 250.000 marcheurs annoncés, il n’y eut que quelques milliers à se heurter à la gendarmerie.
  • [23]
    Il était difficile de présenter Van Zeeland comme l’homme de Moscou, comme l’auraient souhaité les rexistes.
  • [24]
    Cet accord, dont une version fut publié tardivement par Le Pays réel en avril 1937 prévoyait une transformation du régime unitaire belge en Etat plutôt fédéral, le Grand-Bruxelles constituant une aire où le déploiement des habitants flamands serait garanti. Le VNV acceptait le fédéralisme au sein de l’Etat belge mais il n’abandonnait pas pour autant ses conceptions thioises. L’ordre corporatif et l’anticommunisme constituaient un ciment entre les signataires. La convention devait, en principe, rester secrète jusqu’au moment où chaque signataire estimerait une publication nécessaire. A noter que Degrelle s’engageait à faire tous ses discours en Flandre en néerlandais.
  • [25]
    Avant 1940, les attaques antisémites de Rex ne dépassaient guère le ton des journaux de droite, hostiles à toute immigration juive ne Belgique. Sous l’occupation, Rex soutint d’abord la Ligue pour la défense du peuple anti-juive. Ordre fut donné le 1er juin 1942 aux rexistes de quitter cette ligue. Le chef a.i. V. Matthijs justifia la décision par le fait que Rex entreprendrait "désormais lui-même la lutte anti-juive" (Lettre-circulaire, E.M. de Rex, 1er juin 1942).
  • [26]
    Document inédit.
  • [27]
    Allusions, entre autres, à la politique d’indépendance, la reconnaissance de l’Espagne de Franco (affaire de Burgos),…
  • [28]
    A ce moment, 8 députés sur 21 et 3 sénateurs sur 12 ont démissionné et aucun dirigeant régional de 1936 n’est plus en fonction.
  • [29]
    Lettre de Léon Degrelle à Pierre Daye, 9 mars 1939, document inédit.
  • [30]
    L’affaire Martens et Rex-Flandre : le Docteur Martens fut partisan de l’autonomie flamande et collaborateur des Allemands en 1914-1918. Condamné à mort par contumace en 1920 par la Cour d’assise du Brabant puis amnistié, il rentre des Pays-Bas et reprend ses tâches médicales. Le cas Martens se pose politiquement fin 1938 : un arrêté royal le fait membre de l’Académie flamande de Belgique. Degrelle veut que Rex manifeste au Parlement son opposition à une décision qui indigne les anciens combattants et les belgicistes rigoureux. La consigne n’est pas suivie par l’élu rexiste Convent qui bénéficie dès ce moment de l’appui de Rex-Flandre. Paul De Mont, sénateur, et Convent démissionnent de Rex. Degrelle décrète la radiation des élus qui ont soutenu le vote Convent.
  • [31]
    A Liège, Rex ne fut pas frappé par l’opération "suspects" de mai 1940. Les autorités judiciaires se justifièrent ultérieurement, au nom d’un critère social : les rexistes étaient des notables (professeurs d’université, médecins, artistes,…). Ailleurs, les critères furent différents : Degrelle fut arrêté mais aussi en Wallonie, des rexistes de 1936 qui avaient rompu, entretemps, avec le chef et le parti. Parmi ces derniers, nombre regagnèrent la "famille rexiste", après arrestation, déportation et souffrances.
  • [32]
    Concernant cette affaire Daye, voir J. Gérard-Libois et José Gotovitch, L’An 40, la Belgique occupée, Edition du CRISP, 6ème tirage, p. 33.
  • [33]
    En 1936-1937, le comte de Grunne, arrière petit-fils de Montalembert, ami du Roi Albert et frère du Grand Maître de la Maison de la Reine Elisabeth, se déclarait essentiellement hostile à la dictature de la finance et de l’hypercapitalisme. Il avait un moment espéré trouver en Degrelle un chef "capable de libérer l’Eglise de la politique" et de briser l’influence "des hommes du politico-catholicisme". Royaliste et léopoldiste rigoureux, il voulut fonder en juillet 1940 une "Phalange", fidèle au Roi et composé d’anciens combattants "prêts à obéir sans discussion aux directives données par le chef hiérarchique" (voir son appel dans Le Soir du 12 juillet 1940). Il assura, à l’été 1941, l’édition et une large diffusion d’une brochure intitulée La Belgique loyale, de petit format mais comptant 168 pages où l’Allemagne était certes désignée comme l’ennemie, où les collaborateurs de type Degrelle étaient dénoncés mais où prévalait un souci de ménager Henri De Man, de ne pas paraître comme lié aux garants de 1940 ni aux Belges de Londres. Le comte est mort en 1944 au camp de Gross Strelitz.
  • [34]
    L’uniforme de la garde : blouse bleu-mécanicien, pantalon long bleu-foncé, béret alpin, cravate grenat, ceinturon et boutons aux armes de Rex. Outre ces gardes communaux, Rex disposait d’une garde mobile. Document interne de Rex, s.d.
  • [35]
    Parmi ces degrelliens durs figurent Victor Matthijs, Serge Doring, Jean Denis, Max Hodeige, José Streel,…
  • [36]
    Lettre de P.J. Teughels à Pierre Daye, 30 avril 1940, document inédit.
  • [37]
    Lettre de Pierre Daye à P.J. Teughels, 7 mai 1940, document inédit.
  • [38]
    Même lettre de Pierre Daye.
  • [39]
    Le 14 septembre 1938, Degrelle signe dans le Pays réel, un éditorial significatif : "La Tchécoslovaquie, on s’en f… !".
  • [40]
    Léon Degrelle, La Cohue de 1940, Robert Crausay, Lausanne, 1950, p.11.
  • [41]
    Le 2 novembre 1935, lors d’un congrès de la fédération des cercles catholiques, L. Degrelle prit la parole d’autorité, dénonça les collusions politico-financières dans lesquelles étaient, disait-il, compromis des politiciens catholiques. Cette affaire marqua la rupture de Rex avec la fédération des cercles ; elle est connue dans l’histoire du rexisme sous l’appellation de "coup de Courtrai".
  • [42]
    Déclaration du cardinal Van Roey, primat de Belgique, le 9 avril 1937.
  • [43]
    Démission de Charles d’Ydewalle, rédacteur du Pays réel, et de R. Lust, chef de Rex-Bruxelles, en juin 1937 ; rupture entre le parti et X. de Grunne, chef du groupe sénatorial en septembre 1937 ; démission du député Raphaël Sindic en décembre 1938 et prolongements en une "affaire Sindic" ; démission du sénateur De Mont et du député Convent et "décapitation" de Rex-Flandre par L. Degrelle en février 1939 ; conflit ouvert entre le groupe parlementaire avec P. Daye, d’une part, et L. Degrelle, d’autre part, au début de 1939, démission des sénateurs Vigneron et Boon en avril 1940.
  • [44]
    Lettre du général Reeder au Haut Commandement allemand, 26 janvier 1943 (document fourni aux auteurs par M. Hubert Halin).
  • [45]
    Un comité belge pour "le prix Nobel à Chamberlain" se constitua fin 1938 - début 1939, sous la présidence de Pierre Daye : "L’illustre homme d’Etat britannique (…) (ayant) sauvé la paix mondiale", à la fois par son rôle à Munich et par "son action" en faveur de la non-intervention en Espagne.
  • [46]
    14 septembre 1938.
  • [47]
    APC, séance du 15 décembre 1939.
  • [48]
    Le Pays réel, 28 mars 1940.
  • [49]
    Ce ralliement s’opéra par adhésion à l’Association catholique de l’arrondissement de Bruxelles. P. Daye fut invité à préciser par lettre qu’il serait fidèle au point 3 des statuts, lequel interdit de "s’inscrire à aucune autre association politique autonome". Le bureau de l’Association marqua son accord sur la candidature de P. Daye le 18 mars 1940 et un dirigeant estima cette décision particulièrement heureuse : pour le parti et pour la cause catholique qui bénéficiaient ainsi d’une recrue de choix (archives privées de Pierre Daye).
  • [50]
    Léon Degrelle, Hitler pour mille ans. La Table Ronde, Paris, 1969, p. 60.
  • [51]
    Le grand-maître trésorier du parti nazi en Allemagne, F.-X. Schwartz, recevait les rappports et relevés des services centraux de la SS. Rapport du 11 octobre 1943, Bundesarchiv, Coblence, NS 1/vorl. 524.
  • [52]
    "J’ai décidé d’accorder de nouveau leurs subsides aux rexistes : 250.000 lires par mois" (Ciano, Journal politique 1937-1938, éd. de Paris, 1949, p. 28).
  • [53]
    Pierre Daye, Mémoires, in Dossier du mois, décembre 1963.
  • [54]
    von Bülow-Schwante à l’Auswärtiges Amt, Documents on German Foreign Policy, Département d’Etat, Washington, série d, vol. 8, p. 724.

Introduction

1Au scrutin communal du 9 octobre 1988, deux partis d’extrême-droite ont obtenu 23 élus en Flandre (sur 7.106 sièges de conseillers communaux) avec le Vlaams Blok (présent déjà au Parlement avec 2 députés et 1 sénateur) et 1 à Molenbeek avec le Front national qui fait sa première entrée dans un conseil communal. Le score de l’extrême-droite est dérisoire en Wallonie et dans l’agglomération de Bruxelles, même dans les communes à forte population immigrée, Molenbeek étant le cas unique.

2L’extrême-droite qui obtient quelque succès est ultra-flamingante, résolument en faveur de l’amnistie et en faveur des inciviques de 1940-1945 et anti-immigrés. Elle récolte sans doute les voix des électeurs/électrices qui lui ont donné 2 députés et 1 sénateur en décembre 1987 et celle de citoyens qui ne pardonnent pas à la Volksunie d’avoir avalisé le programme gouvernemental qui la lie au CVP, au PS, au SP et au PSC.

3Les commentateurs politiques ont souligné avec inquiétude la percée du Vlaams Blok, spécialement à Anvers, Malines et Gand ainsi que son score-record de 18,7 % à Anvers. Ces mêmes commentateurs s’interrogent sur l’avenir de ce parti qui, par manque d’enracinement-organisation et de candidats locaux, était absent de très nombreuses communes en Flandre mais qui pourrait être omniprésent en Flandre et à Bruxelles avec ses quelques "ténors" aux élections européennes de juin 1989.

4x

5x x

6Dans le cadre des travaux du CRISP sur l’extrême-droite, nous traitons ici de Rex, un phénomène de l’avant-guerre dont l’ampleur électorale fut - en 1936 - considérablement plus large que celle évoquée aujourd’hui pour le Vlaams Blok, Rex dont l’espace politique fut principalement francophone mais sans, pour autant, être négligeable ou sans portée en Flandre.

7Au-delà du succès électoral du parti de Léon Degrelle en 1936, l’attention est centrée dans ce Courrier hebdomadaire sur le rapide reflux de Rex de 1937 à 1940 ainsi que sur les tensions internes et les dislocations que ce parti a connues pendant cette période.

8Entre le Rex des élections législatives de 1936 qui obtint plus de 11 % des suffrages à l’échelle nationale et le Rex de la collaboration ouverte et inconditionnelle avec les nazis, qu’officialisa le Heil Hitler de Degrelle du début janvier 1941, les différences sont plus que notables :

  • dans l’idéologie (pro-hitlérienne) de plus en plus affirmée par la plupart de ceux qui ont constitué le "noyau dur" du mouvement ;
  • dans la détérioration, quantitative et qualitative, de son audience et de son membership ;
  • dans le type de recrutement qu’il opéra pour occuper des postes administratifs, pour être en mesure d’aligner des hommes et des femmes acceptant de servir le IIIème Reich sous les uniformes les plus variés (de la Garde wallonne à la Légion et à la SS), pour se militariser lui-même et se doter de services de police autonomes, pour mener le combat contre les résistants, les juifs et les francs-maçons ;
  • dans les objectifs proclamés pour la prise de pouvoir : création d’un Etat grand-bourguignon ; identification avec la SS et les formes d’encadrement forcé, copiées sur celles du parti national-socialiste ; projet de création d’une "Gau" fondée sur "la germanité des Wallons", aux mains du parti unique et plus encore de ceux qui de Berlin viendraient et tireraient les ficelles.

9L’analyse des années 1937-1940 ne fournit pas toute l’explication des errements, des crimes, des drames de la période de guerre. Elle permet pourtant de mieux enregistrer les déviances croissantes de la direction rexiste dès que le slogan Rex Vaincra s’érode et s’effondre dans l’opinion belge et au sein même du parti. Les voies sous-jacentes du noyau dur de Rex s’esquissent, se révèlent plus ouvertement. Les victoires hitlériennes de 1940-1941 apparaissent alors, à certains rexistes et néo-degrelliens [1] comme le choc permettant de tout tenter pour une relance virulente d’anciens et de nouveaux objectifs à réaliser avec l’appui des vainqueurs provisoires, dans le cadre d’un Grand Reich européen.

1 - La montée rexiste

10Le 24 mai 1936, des élections législatives anticipées [2] assurèrent aux listes de Rex - dont c’était la première épreuve dans un scrutin - 11,49 % des votes valables au niveau national et 21 députés sur 202 (contre 187 députés à élire en 1932).

11Les voix - à l’époque masculines et adultes (21 ans) - se portèrent sur Rex à concurrence de 271.491 électeurs mais avec de notables distorsions régionales : 18,50 % dans les cantons bruxellois [3] qui - on le sait - dépassent les limites des 19 communes de l’agglomération ; en Wallonie, la moyenne de Rex se situait à 15,16 % mais dans quelques cantons luxembourgeois et namurois, le parti de Léon Degrelle frôlait la majorité absolue ou atteignait la majorité relative alors que dans les cantons industriels des provinces de Liège et de Hainaut, Rex se situait à un niveau très en-deçà de sa moyenne wallonne.

12En Flandre, avec 7,01 % des voix, ce n’était certes pas le succès escompté par le catholique-clérical Léon Degrelle, jeune chef wallon du nouveau parti. On ne peut toutefois affirmer avec certitude, comme le font les commentateurs flamingants, que les 83.139 voix rexistes en Flandre provenaient - exclusivement ou presque - des francophones de Flandre : à la rigueur, on pourrait l’estimer ou le croire pour Renaix et Mouscron-Comines ; certes pas pour le littoral et l’axe Gand-Anvers.

13Ainsi, en 1936, Rex réussit à se hisser pratiquement au même niveau que le parti catholique [4] dans l’agglomération de Bruxelles (une différence de 1.100 voix) et l’écart en Wallonie était limité (-2,3 %). En Flandre, Rex obtint alors plus de 50 % par rapport aux résultats du VNV de Staf De Clercq, les nationalistes thiois dont l’ambition était d’être les porte-parole de la Flandre "profonde" dans ses aspirations culturelles, politiques et territoriales.

Ce qu’etait Rex en 1936

14Rex n’était pas à son origine un parti politique à définition fixe, ni dans ses proclamations ni dans les analyses que les historiens en ont faites depuis lors. Ses supports pour la propagande et l’appui au chef étaient fondamentalement ceux de jeunes cléricaux, souvent sans droit de vote mais non sans influence.

15Selon Jean Stengers [5], le succès électoral des listes de Rex en 1936 - 1 voix francophone sur 6 ; 1 voix belge sur 9 -ne s’explique guère par la grande dépression économique qui frappa la Belgique comme l’ensemble des pays occidentaux dans les années trente. Les douze mois qui précédèrent le scrutin de 1936 coïncidèrent, en effet, avec une phase de rapide et sensible redressement économique du pays encore que les "aigris de la dévaluation du franc" étaient nombreux. Selon le même historien, l’électorat rexiste de l’époque ne peut être taxé de fasciste, ni dans son ensemble, ni même dans sa majorité. La plupart de ceux qui votèrent pour Rex, précise Jean Stengers, étaient des citoyens ordinaires, désireux - entre autres - de purification politique (symbole : le balai rexiste chassant "les pourris" figurant, selon Degrelle, sur toutes les autres listes).

16Serait-il imaginable, demande l’historien, de considérer comme fascistes ou philo-fascistes les 48 % de citoyens masculins qui dans le canton de Laroche en Ardenne portèrent leurs suffrages à Rex ? Aux yeux de J. Stengers, il s’agissait là de "naïfs enthousiastes", victimes inconscientes d’une duperie dont Léon Degrelle était le maître-trompeur, le mégalomane que l’Action catholique de la jeunesse belge-ACJB de Mgr. Picard avait placé sur l’orbite de la notoriété.

17Mgr. Picard avait cru découvrir en ce jeune catholique de Bouillon (né en 191), orateur doué, clérical rigoureux, reporter prolixe sinon objectif et crédible, une étoile capable de faire triompher le concept ambigu de Christus-Rex, aux dépens de ses ennemis spirituels et temporels. Ces ennemis étaient certes les communistes, les francs-maçons ainsi que ceux que Degrelle dénommait les "pourris" du Parti ouvrier belge, les "banksters" de l’hyper-capitalisme et d’une Droite catholique, trop corrompue et pervertie. Ces ennemis constituaient aux yeux de Degrelle, de ses amis et protecteurs, ce que J.M. Le Pen appellerait aujourd’hui le sida social de l’époque. Pour porter ses thèses dans la campagne électorale, Degrelle pouvait compter sur le réseau des diffuseurs des éditions et périodiques de Rex.

18A l’extérieur du pays, des amis ou des groupes modèles aux yeux de Degrelle s’étaient montrés capables de prendre le pouvoir, notamment en Italie et au Portugal. Ce serait sous peu le cas en Espagne avec la Phalange, l’armée et Franco. En France s’exprimaient des "voix de son maître" avec Charles Maurras et ses compagnons et les groupes d’extrême-droite y pulullèrent, disposés aux affrontements violents contre la gauche et l’ensemble des républicains.

19Certes, Rex et ses publications multiples [6] désignaient encore, à l’époque, le Reich nazi comme un champ du totalitarisme athée mais déjà, des dirigeants de Rex - le chef L. Degrelle, le journaliste P. Daye, l’industriel J. Wijns -voyaient dans le national-socialisme de Hitler, un régime bénéfique pour les Allemands et un rempart contre l’Est bolcheviste dont l’Occident serait forcément l’heureux privilégié. Les mêmes dirigeants rexistes commençaient à croire que le système nazi comme les fascismes latins constitueraient l’ultime recours, en Belgique et en France notamment, contre les tares imputées au régime des partis et à la démocratie parlementaire. Pour eux, la notion de société égalitaire et pluraliste était à honnir et seul pouvait se justifier un Etat fondé sur une hiérarchie élitaire et autoritaire, disposant des pouvoirs les plus étendus.

20Des premiers contacts furent pris par Rex, secrètement, à Berlin et Nuremberg, au plus haut niveau du Reich nazi [7]. A l’époque, certains adversaires de Rex le dénonçaient déjà comme un fascisme à la belge, visant à la conquête du pouvoir mais la plupart, dans la sphère laïque, étaient surtout hostiles à son hyper-cléricalisme, aux proclamations d’obéissance inconditionnelle de ses chefs, aux évêques (et surtout au Cardinal-Archevêque Van Roey), à son recours systématique aux liturgies et manifestations de masses cléricales dont s’inspirait, avec un don peu niable, le chef de Rex avec l’aide de ses fidèles.

21Sa "mystique" lui valait autant de réserves de ses adversaires que son langage politique, d’ailleurs peu cohérent, peu structuré, plus enflammé que rigoureux et peu sérieux en termes de prospectives ou de programmatique réaliste [8]. Ses actions et entreprises de presse étaient à la fois de "bonnes affaires" pour sa notoriété mais aussi des gouffres psychologiques et financiers pour ses protecteurs.

22Dans son interprétation de Rex, nous l’avons souligné déjà, J. Stengers qualifie Léon Degrelle de "maître-trompeur" et il en trace un portrait qui fait essentiellement de Rex "l’affaire d’un seul homme", Léon Degrelle, cet homme capable de mobiliser des enthousiasmes, voire des hystéries que l’historien définit comme spécifiquement féminines. Le chef, "l’intrépide croisé mégalomane" en appelait au sens de la pureté et dénonçait violemment et essentiellement le gang des politiciens que seul Rex pouvait exclure et balayer de la vie publique nationale [9].

23On peut certes se demander comment un "chef", aspirant au pouvoir, se présentant comme le véritable épurateur in spe des écuries d’Augias de la politique belge, entouré de collaborateurs peu connus, jeunes loups et/ou idéalistes, parfois talentueux mais souvent médiocres, pouvait, même en 1936, ne pas apparaître à l’opinion comme un candidat-dictateur.

24Nourri de fascisme latin dont les maîtres à penser et à agir (Mussolini, Salazar, Maurras,…), le chef de Rex s’y réfèrait sans trop de complexes, se glissait dans l’entourage des dirigeants italiens ou portugais, en attendant de manifester sa foi en Franco et sa conception d’un Etat autoritaire, à parti unique, à idéologie nationaliste et corporatiste. Pouvait-on raisonnablement croire que s’il parvenait à une situation de force, Degrelle ne songerait pas à imiter ses modèles, à s’inspirer de leurs idéologues ?

25Certes, la jeunesse, la hardiesse et les dons d’orateur du chef ont pu séduire certains catholiques qui espéraient "la révolution des âmes" et croyaient en découvrir le prophète. Mais Rex a attiré sur ses listes électorales un public masculin adulte, y compris, au-delà des catholiques de droite ou traditionnalistes, une fraction non-négligeable de libéraux et de socialistes, spécialement à Bruxelles. Le charisme d’un homme serait-il l’explication du vote rexiste (11 %) sans que s’y mêle un certain attrait pour les idées et tendances fascisantes qu’exprimait Rex en 1936 ? Le mythe du chef-purificateur était dans l’air du temps. A l’époque, peu de Belges pouvaient imaginer ce que Degrelle prétendait incarner. Sait-on, aujourd’hui même, ce que le chef de Rex écrivait, fin 1949, à son ami Pierre Daye, journaliste et premier chef du groupe rexiste à la Chambre ? "Au fond, écrit Degrelle, c’est Himmler qui avait raison. (…) Nous (rexistes) étions trop civilisés, trop respectueux d’un tas de sentiments rétrogrades. Il fallait marcher dans tout cela avec de bonnes bottes à clous. Aux grandes époques du monde, la civilisation ne fut sauvée que grâce aux barbares qui la broyèrent. (…) Nous n’avons été au fond que des décadents comme les autres. (…) Il fallait être des liquidateurs, des profanateurs. (…) Himmler, rudimentaire, primitif, implacable (et si gentil pourtant) eût lui, bras droit de Hitler, opéré un malaxage terrible. Les os broyés eussent grincé. Mais, alors, déjà, au fond, c’était la vraie formule" [10].

26Certes, tel n’était pas le discours de Degrelle aux jeunes catholiques belges en 1936 et le chef lui-même n’en était pas à faire sienne une telle apologie de la cruauté et de la destruction.

27Mais entre le premier mythe de l’épuration et de la révolution des âmes et ce qui deviendra pour lui le culte de Himmler après ce qu’il appelle "ses expériences" de collaboration et de guerre, des historiens voient dans Rex avant 1940, deux périodes distinctes : une (1935-1936), antiparlementaire et anticorruption mais non-fasciste, puis une seconde, après avril 1937, évoluant de plus en plus nettement vers le fascisme, débouchant dès la fin de 1940 sur des formes patentes de collaboration avec l’hitlérisme et plus tard encore sur une identification avec la SS et Himmler.

28L’historien suédois, C.H. Höjer [11] voyait toujours en Rex d’avant-guerre "un mouvement populaire (…) surtout un état d’esprit, un mélange d’indignation sincère, d’attitude antidémocratique mais pas totalitaire - que l’on retrouvait chez bien des catholiques - et de joie juvénile de renverser les idoles" [12].

29Concernant la période suivant avril 1937, les historiens ont tendance à reconnaître plus formellement la tendance fasciste du mouvement : "Le mouvement rexiste qui avait pris alors, écrit notamment Maurice Vaussard [13], une couleur de plus en plus violente d’opposition aux anciens partis et affiché des sympathies fascistes non-équivoques". D’autres, tel l’historien flamand Luc Schepens, distinguent, dans l’après-avril 1937, les rexistes - électeurs de Rex et les "degrelliens", véritables fascistes. Pour Jacques Willequet, c’est en 1939 qu’on peut mesurer "l’aile marchante de la flambée rexiste (se montrant fidèle) à une option de plus en plus fasciste" [14].

30Cette césure entre un Rex non-fasciste ou non fascisant de 1936 et un Rex de 1937 nettement fasciste ou de plus en plus fasciste est-elle aussi réelle, aussi patente qu’on le prétend généralement ? Les textes de Brasillach sur Degrelle, les publications de Rex enthousiastes pour Franco dès la guerre civile, l’option clairement fasciste et parfois raciste du noyau dur du Pays réel laissent à tout le moins place à l’interprétation de G. Carpinelli [15] : "La constellation des forces qui préparèrent, accompagnèrent et constituèrent l’explosion rexiste de 1936 était certainement fasciste, même si elle ne présentait pas tous les traits, déployés et organisés, de ce qu’aurait pu être un régime fasciste belge".

31Une part notable de la bourgeoisie et la jeunesse catholique de l’ACJB [16] semblaient ne retenir de la personne du chef de Rex que sa capacité d’affronter l’adversaire, de prendre des risques physiques pour la cause, de séduire des foules enthousiastes et de diffuser la "bonne parole" avec sens de l’efficacité et de l’opportunité, même si l’occasion en était parfois douteuse, comme dans les brochures sur les apparitions de la Vierge en Belgique dont Degrelle fit une exploitation d’édition des plus rentables (Beauraing, Banneux, Scherpenheuvel).

32Les travailleurs chrétiens (LNTC-ACW) et la JOC-KAJ de l’Abbé Cardijn n’étaient pas disposés à laisser à Degrelle et ses cohortes ni le modeste champ qu’ils s’étaient assurés au sein de l’Action catholique belge [17] ni l’audience dont ils disposaient dans la jeunesse et le monde ouvrier chrétiens. Pour eux, Rex ne tarderait pas à être considéré comme dangereux pour la foi et le chef à être présenté en Fou-rex moralement et idéologiquement.

33Quoiqu’il en soit de la nature et des motivations des adhésions à Rex [18], le rôle que le parti rexiste a joué comme "dégoût collecteur" (selon l’expression de Maurice Barrès à propos des Boulangistes) n’explique pas tout. Dans l’air du temps, le fascisme avait bonne presse dans la droite et dans sa presse. Ainsi, l’ACJB ne s’engageait pas comme telle dans la politique mais nombre de ses affiliés, souvent encore des non-électeurs, cédaient au "Rex-appeal", au plan idéologique à tout le moins, tandis que d’autres s’abritaient derrière un concept de non-politisation mais sans remettre en cause l’unité souhaitée, la doctrine néo-corporative et l’existence d’un parti catholique, d’obédience confessionnelle patente.

34Plutôt que de voir dans Rex le parti d’un homme seul - même si cet homme, Léon Degrelle, y fut dominant, le plus prolixe, le plus connu - on ne peut pour la période 1936-1937 et a fortiori au-delà, ignorer le diagnostic de Martin Conway [19], même s’il situe le rôle de Degrelle sur un registre excessivement minimalisé : "Degrelle n’était qu’un de ses dirigeants et il existe une histoire de Rex qui devrait être séparée des ambitions personnelles de son chef. Le plus souvent, on représente Rex comme l’adjoint fidèle et passif des projets de plus en plus extravagants et fantastiques qui caractérisèrent l’aventure degrellienne. En réalité, en tant que chef de Rex, Degrelle était peu consciencieux et, souvent, ce ne fut pas ce chef négligent mais des individus moins en vue qui influencèrent l’évolution du mouvement (…)". Le jugement sur Degrelle était partiellement celui des autorités allemandes à la veille et au lendemain de mai 1940 [20].

35Le jugement de Martin Conway ne tient pas assez compte de faits qui assure la primauté du chef. Ainsi, les différents statuts dont Rex tenta de se doter avant-guerre sont révélateurs : les composantes du Front populaire de Rex - sauf peut-être "le syndicat" [21] - relèvent du chef de Rex, directement ou, en cascade, à travers des chefs d’échelons divers (régionaux et locaux, services féminins, service d’ordre et de protection, cadres actifs de propagande, jeunesses rexistes,…) dont la désignation, le maintien en fonction, le remplacement ou l’exclusion sont du ressort de L. Degrelle.

36Ce rôle premier du chef s’exerce en 1936-1937 au Conseil politique de Rex puis au bureau exécutif dont les 5 membres sont nommés par Degrelle lui-même. Même s’il existe un Rex-Flandre avec un chef et un Rex pour les cantons de l’Est, voire un chef de Rex-Wallonie, un chef domine l’ensemble, L. Degrelle. C’est lui aussi qui règne sur les finances, notamment celles collectées après septembre 1937 à travers "le Carré des 3.000", souscripteurs mensuels dont le nombre a fluctué et rarement après 1938, dans le sens souhaité par Degrelle.

2 - La tentative de coup de force électoral (Bruxelles, 1937)

37Pour présenter des listes rexistes en 1936 - législatives puis provinciales - Rex avait dû recourir à de très nombreux candidats dont la dénominateur commun était d’être des belgicistes anciens combattants décorés ou des militants éligibles, éblouis par "le coup de Courtrai" mais dont la notoriété et l’expérience politique étaient forcément plus que limitées. La locomotive Degrelle visait à tirer l’ensemble des candidats. Degrelle n’était pas candidat et ne voulait pas se retrouver au Parlement au lendemain des élections. Lui aussi avait sa "politique des mains libres".

38Il ne fallut guère de temps pour constater un très net décalage entre d’une part, les groupes parlementaires de Rex et d’autre part ceux qui, avec Degrelle, produisaient et diffusaient la presse de Rex et arguaient de leur ardeur pure et dure [22]. Entre les députés, sénateurs et conseillers provinciaux tenant leur mandat de ceux qui avaient voté pour Rex, quels que soient leur âge ou le statut social, et les "purs" Degrelliens, l’hiatus était énorme et insupportable pour le chef lui-même, trépignant de honte et de rage contre l’inefficacité relative de ses élus et le style conformiste adopté par la plupart (absentéisme, opposition hurlante mais non réellement agressive dans la ligne rexiste, mondanisation individuelle, faire-valoir en termes de notoriété plus que savoir-faire politique). La différenciation entre "rexistes" - électeurs et élus - et "degrelliens" ultras se marqua très rapidement et très durement.

39Cette situation conduisit Léon Degrelle à deux tentations, d’autant qu’il détenait de chaque élu rexiste une lettre de démission, signée mais non datée :

  • la première consista à tancer les mandataires rexistes et à les contraindre à un redressement dans le sens de la dureté antidémocratique. Le succès de cette tentative fut très limité, le chef de Rex à la Chambre, Pierre Daye, n’ayant guère d’emprise sur son groupe et n’ayant d’autre ambition en cette période que d’organiser, via Teughels, une meilleure administration des séances de groupe et de conforter son image de rexiste notable et mondain. Le rôle de Teughels était de rédiger, en calligraphie, des procès-verbaux des séances de groupe, sans diffusion ni impact ;
  • la seconde consista pour Degrelle à se faire élire à Bruxelles pour prendre, à la Chambre, la tête du groupe de Rex. Il provoqua - à la surprise et au dépit du député Alfred Olivier et de tous ses suppléants - une élection qui, selon Degrelle, marquerait la progression de Rex par rapport aux partis traditionnels, lui donnerait personnellement une force de frappe implacable face à des vaincus rendus plus timorés et amorcerait la voie vers la prise du pouvoir.

40L’élection eut lieu le 11 avril 1937. Les partis antirexistes soutinrent alors un candidat unique, le Premier ministre catholique Paul Van Zeeland [23], tandis que Degrelle ne put espérer que l’appui de ses propres fidèles et de nationalistes flamands du VNV de Staf De Clercq, avec lequel il avait passé un accord [24] en octobre 1936. Cet accord eut en fait un impact négatif, du côté des belgicistes francophones que ne compensa guère l’apport en voix flamingantes par le VNV.

41Pour Degrelle, ce fut l’échec. Van Zeeland l’emporta avec 75,8 % des voix contre 19 % à Degrelle, mais surtout le Cardinal Van Roey était entré clairement dans le jeu. Il avait condamné le vote rexiste ou l’abstention à la veille du scrutin (Rex, danger pour le pays et pour l’Eglise).

42Degrelle avait commis l’imprudence d’affirmer à ses fidèles, au cours d’un de ses spectaculaires spectacles dit des Six jours au vélodrome de Bruxelles, que rien n’empêchait un bon catholique de voter pour lui et que la hiérarchie n’avait pas émis d’objection à l’adhésion à Rex. Il y eut certes des catholiques qui préférèrent s’abstenir que donner leur voix à Van Zeeland mais dans l’ensemble, c’est le mot d’ordre de Malines qui fut suivi.

43Du même coup, Rex au Parlement et dans la population fut affaibli. Le noyau dur du Pays réel ne put endiguer le reflux, même si le parti chercha à renforcer ses formations de combat, à s’aligner de plus en plus ouvertement sur les thèmes, formes et aides financières du fascisme latin, voire occasionnellement sur ceux du racisme [25]. Les élections communales de 1938 traduisirent un recul pour Rex. L’enjeu local lui est a priori défavorable mais le reflux - pourtant moins sensible que prévu - a eu d’autres causes. L’échec d’avril 1937 et la condamnation par l’épiscopat pesèrent sur le comportement électoral des catholiques et Rex accepta de nombreuses alliances avec des listes où les candidats rexistes s’étaient mêlés à des catholiques, des libéraux, des nationalistes flamands pour faire barrage aux socialistes. Ces alliances emportèrent parfois la victoire mais les communistes progressèrent. En octroyant à Rex, le "manque à gagner" ou les pertes catholiques et libérales sur les listes d’alliance communale furent limitées et le pourcentage que put y revendiquer Rex fut très inférieur à celui des législatives de 1936. Ainsi dans le canton de Bruxelles, Rex perdit plus d’un tiers des voix de 1936 et de 1937.

44Des positions et attitudes ambiguës de Degrelle, Daye et autres en matière internationale donnèrent plus de poids au slogan des adversaires "Rex = Hitler". L’accord avec le VNV fut loin d’être bénéfique à Rex en Wallonie, à Bruxelles et dans les milieux urbains francophones de Flandre. Les crises internes contribuèrent également au reflux, phénomène non prévu par le chef, d’autant qu’il s’amorçait à un moment où les thèses fascistes triomphaient ou progressaient ailleurs en Europe. L’ultra-franquisme ne fut pas l’apanage de Rex ni la promesse électorale escomptée. En effet, la droite et la majorité des journaux catholiques jouèrent la même carte avec la même vigueur.

45Le 2 mars 1938, la relation entre les parlementaires rexistes d’une part, Léon Degrelle et les journalistes-polémistes du Pays réel d’autre part, était à ce point détériorée qu’il fut convenu d’un protocole entre les parties :

46

"1° Les parlementaires rexistes défendent, à la Chambre et au Sénat, une politique conforme au programme général de Rex, selon des modalités qu’ils ont fixées eux-mêmes en conformité avec le programme ci-annexé et en accord, par l’intermédiaire du président de chaque groupe, avec le chef de Rex ou son représentant.
2° Le chef de Rex n’engagera pas la responsabilité des parlementaires par des initiatives politiques au sujet desquels ils n’auraient pas marqué leur accord préalable par l’intermédiaire des bureaux des groupes.
3° Les parlementaires rexistes n’assument en rien la responsabilité des articles publiés par "Le Pays réel" ou dans la presse rexiste, sauf ceux qui paraîtraient sous leur signature, ni des campagnes poursuivies en dehors d’eux dans des meetings".

47Le protocole, signé par le chef de Rex et les parlementaires, s’attache aussi aux problèmes de discipline : de présence, de parole, de vote et d’initiative législative. Du manifeste-programme joint au protocole, les signataires espèrent que les textes "portés à la connaissance de l’épiscopat belge" contribueront à "leur obtenir son adhésion ou sa neutralité". Le respect du trône et de l’autel, la paix sociale, scolaire et linguistique, l’unitarisme belge, le refus de la dictature et de la violence y sont affirmés et solennellement proclamés par chacun. Les adversaires de Rex lui reprochent au même moment ses méthodes et écrits. Il serait difficile de ne pas déceler, dans les méthodes, les objectifs et les modèles des contradictions flagrantes avec certains principes énoncés. C’est en effet la période où la collusion Degrelle-Mussolini est la plus patente sous forme d’aides financière et technique.

48Le protocole est loin de résoudre les problèmes internes de Rex, à tel point que la lettre [26] que Degrelle adresse à ses élus le 10 janvier 1939 est davantage une énumération de critiques et doléances que des voeux de Nouvel An pour la nouvelle législature qui s’annonce. Le chef de Rex écrit :

49"(…) Je désirerais que nos parlementaires se fassent remarquer, non seulement par leur sérénité mais surtout par leurs initiatives, par leur travail et par leur esprit combattif.

50Je vous dirai très simplement qu’un certain nombre d’attitudes de nos parlementaires ne concordent pas avec ces voeux. Trop souvent vous vous bornez à critiquer le mouvement, la presse et le chef de Rex, quelques soient même les circonstances. Les propos de certains d’entre vous pendant ma maladie étaient d’une incorrection et d’une ingratitude auxquelles je n’ai pas manqué d’être sensible. Je ne supporterai plus d’incidents pareils à l’avenir.

51Ces critiques seraient permises, peut-être, si le groupe parlementaire, lui, était à l’abri de tout reproche. Ce n’est pas le cas. Il manque encore, après trois ans, de cohésion, d’esprit d’initiative, de régularité dans le travail. Vous n’êtes pas parvenu à constituer une seule commission d’études sérieuse. Vous n’organisez pas vos positions. Vous n’avez pas d’archives. A peu près personne ne s’est spécialisé à fond dans certains domaines. On en est toujours à des généralités. Vous n’avez fourni ni chercheurs tenaces, ni organismes qui préparent et apportent dans tous les domaines, un ensemble de projets législatifs aussi précis qu’impressionnant. Beaucoup d’entre vous donnent l’impression de laisser-aller. On vit sa petite vie, sans tracas, sans se tenir au courant, sans se casser la tête à vouloir réformer les lois et les institutions.

52Dans ces conditions je trouve que nos parlementaires, au lieu de passer leur temps à déblatérer ce qui existe à Rex en dehors d’eux, feraient une besogne infiniment plus intelligente et plus sage en travaillant à leur propre réforme. On vous a laissé le temps, l’indépendance, l’autonomie même. Où sont les résultats ?

53Pendant que le reste de Rex (organismes financiers et journaux) s’améliore et progresse, où sont vos progrès ? Il est évident que si nous devions continuer à avoir ainsi un groupe parlementaire amorphe et disloqué, nous traînerions un poids mort que nous aurions tout intérêt à lâcher aux élections de l’année prochaine.

54Notez bien que ce n’est pas la tactique de ces mois derniers que je réprouve. Bien au contraire. Elle fut intelligente et a donné des résultats. Encore faudrait-il ne point en fausser le sens. Soutenir certaines initiatives nationales [27] n’implique pas un appui inconditionnel d’un gouvernement qui représente une formule incompatible avec notre doctrine. Il faut que l’on sente qu’il s’agit d’une opposition nationale : les deux mots ont leur valeur. Nous servons la Patrie par des votes positifs quand ils sont utiles. Nous la servons aussi en nous opposant avec énergie à un système politique qui est par essence antinational.

55La tactique actuelle est donc bonne, à condition de ne point faire figure de ralliés et de vaincus, mais de garder son indépendance et sa combativité.

56Mais le vrai problème, je le répète, est d’ordre intérieur. Vous devez vous réformer comme le reste de Rex se réforme, en vous occupant beaucoup moins des autres et beaucoup plus de vous mêmes. Vous devez travailler, piocher, consulter les archives, les bibliothèques, étudier les expériences du dehors ; vous devez être en contact avec vos électeurs, les éclairer, les former, être à leur disposition pour les aider ; vous devez donner à votre groupe la cohésion, l’allant, la jeunesse, la vigueur qui lui font défaut depuis des semaines.

57Pensez à cela d’abord. Vous critiquerez les autres quand, après avoir fait votre auto-critique, vous aurez apporté les remèdes à vos déficiences propres. L’histoire de la paille et de la poutre vaut en l’an 1939 comme en l’an 1 de l’Ere chrétienne.

58Et voilà, Messieurs, mes souhaits. Je vous les envoie avec mon salut. Rex vaincra ! Léon Degrelle"

59Ce texte critique, voire virulent, relatif au comportement des élus de Rex n’empêchera pas le chef d’espérer un retournement spectaculaire le 9 mars 1939. Avant la fin de la législature, à un moment où Degrelle fait un "nettoyage" des prochaines listes et où il doit bien constater que nombre d’élus et collaborateurs prennent à ce point leurs distances qu’ils se refusent d’être à nouveau candidats rexistes [28], Degrelle écrit à P. Daye : il veut lui "redire toute (son) affection et exprimer (sa) reconnaissance pour l’intelligence magnifique et le dévouement dont (il) a servi la cause de la patrie et celle de Rex au Parlement". Celui que Degrelle dénomme à ce moment "le guide parfait" des élus rexistes de la Chambre, s’il ne se porte plus candidat, c’est, selon le chef, qu’il a dû "braver là-bas tant d’injustices et de bassesse" et qu’il se refuse "à retourner une fois de plus dans ce Parlement abject". C’est l’heure où Degrelle, lui-même candidat aux législatives, "englobe dans une reconnaissance affectueuse" tous les parlementaires rexistes qui ne figureront pas sur les listes en 1939. Certains éprouvent, dit Degrelle, "les mêmes nausées (…) devant les bêtises et la mauvaise foi du Parlement. D’autres, moins actifs ont compris que mon devoir était de mettre à leurs places des éléments nouveaux". Degrelle se dit persuadé que "la seconde vague d’assaut rexiste au Parlement (…) obtiendra des résultats inespérés (…) [29]".

60Rex s’affirme alors comme un gardien vigilant d’une neutralité radicale du pays, ligne que Rex et le Pays réel suivront sans détours ni nuances, après l’annexion de la Tchécoslovaquie, l’invasion de la Pologne et même les agressions contre la Norvège et le Danemark. Ces positions sont loin de répondre aux voeux de nombreux militants et élus rexistes de 1936. Les affaires flamandes ont conduit déjà à des exclusions et à la mort politique de Rex-Flandre [30] et à des démissions en cascade. Le reflux a commencé à se traduire, non seulement en tensions internes, mais en ruptures et dislocations.

3 - Crises internes, démissions et dislocations

61Aux élections législatives de 1939, Rex subit un recul sévère, surtout en nombre de sièges : 4,4 % des électeurs masculins adultes votent pour ses listes mais, à la Chambre et au Sénat, les élus sont réduits à 4 unités alors que communistes et nationalistes flamands progressent en Belgique et que le fascisme est en phase ascendante en Europe. Quatre députés en 1939 contre 21 en 1936.

62Degrelle est député : il est plus durement neutraliste que le gouvernement mais ses "coups de voix" ne le conduisent pas pour autant à pratiquer une opposition ferme : ni sur le fond de l’indépendance, de la neutralité et de la politique dite des mains libres, ni sur les mesures qui vont être prises pour assurer en 1939-1940 la protection du pays contre les personnes suspectes de complicité avec les pays de l’Axe ou avec des adversaires résolus des thèses neutralistes.

63Pour Rex, les communistes et la gauche socialiste sont les cibles privilégiées, ainsi que les journaux et groupements d’Action wallonne ou ceux que Rex suspecte d’appuis de et en faveur de Londres et de Paris. Les ligues de défense antifascistes paraissent particulièrement dangereuses à Rex, d’autant qu’y figurent des personnalités d’appartenances partisanes diverses : de l’extrême-gauche qui a soutenu l’Espagne républicaine (avec des moyens dérisoires mais exigeant une motivation forte) à l’aile libérale wallonne avec Jean Rey, Auguste Buisseret et autres. Quiconque estimait que la seule menace venait de l’Est (le Reich) et qu’il fallait construire contre elle l’unique ou la principale chaîne de défense militaire était forcément, pour le chef de Rex, un dévoyé, dangereux, suspect, sinon agent de Londres ou de Paris.

64Le raisonnement était court : en effet, qui est suspect pour un Etat neutre en cas d’agression, sinon celui qui appartient au clan de l’agresseur, indéfinissable a priori par un gouvernement neutraliste ? Rex se croyait à l’abri de toutes mesures contre ses dirigeants, agents et militants notables : les services chargés d’établir des listes de suspects songeraient certes aux antifascistes, anciens des brigades internationales d’Espagne, aux dirigeants des Jeunes gardes socialistes, aux communistes, voire à des ultras du nationalisme flamand. Rex super-loyaliste à l’égard du Trône, serait obligatoirement épargné, même si de son côté le Pays réel, neutraliste de principe, se réjouissait du destin tragique de Dantzig, de Prague, de Copenhague et d’Oslo, voire de Varsovie.

65Degrelle, député, se croyait personnellement au-dessus de toute menace personnelle, immunisé par son statut parlementaire. Il se trompait : les listes de suspects à arrêter en cas d’agression se fondaient sur des références variables selon les lieux [31]. Ainsi, d’anciens rexistes, peu connus ou en situation d’échec politique au sein de leur parti, furent parmi ceux auxquels s’appliqua la loi de défense des institutions nationales au lendemain du 10 mai 1940.

66A propos de la croyance de Degrelle en la vertu de son immunité parlementaire, il n’avait pas compris que l’article 45 de la Constitution visait exclusivement les poursuites et arrestations en matière pénale alors qu’en temps de guerre ou d’état de siège, il s’agissait d’arrestations de caractère administratif pour lesquelles l’immunité n’était pas prévue.

67Au 10 mai 1940, Rex a donc vu fondre ses effectifs parlementaires et son public sous influence. Nombreux sont - on l’a vu - les élus de 1936 qui ont démissionné en cours de législature ou qui n’ont pas réellement souhaité être candidats en 1939. Nombreux aussi furent ceux que Degrelle éjecta ou radia selon ses humeurs et la nature des conflits (l’affaire de Rex-Flandre, certes, mais aussi celle de parlementaires, critiques envers le chef, absentéistes ou peu fiables aux yeux du noyau dur de Rex). Les vagues de démissions ou de rejets entraînèrent d’autres que les élus : des chefs régionaux et locaux, des responsables de presse rexistes comme de Vroylande, d’Ydewalle et Rust. Dans certains cas, la rupture conduisit à des polémiques publiques, comme l’affaire Sindic en décembre 1938.

68Dans d’autres cas, la discrétion prévalut : ainsi, Pierre Daye rallia le Parti catholique en mars 1940 mais apparemment avec l’accord - non sollicité et exprimé en termes ambigus - de Léon Degrelle [32]. Des divergences de fond expliquent d’autres cas en 1939 et début 1940 : les positions de Degrelle et du Pays réel sur le plan international et sur les initiatives-agressions-annexions décidées par Hitler apparaissant de moins en moins tolérables aux rexistes en cause.

69La dislocation qui s’est opérée à Rex, entre nombre de rexistes de 1936 et les degrelliens purs et durs, alignés sur le chef jusqu’à l’invasion nazie du pays, affaiblit certes la force de frappe de Degrelle et ses proches les plus fidèles mais elle se déroula dans une ambiguité extrême.

70Déjà, fin 1937, le chef du groupe sénatorial, le comte Xavier de Grunne [33] prit ses distances, se déclara sénateur "indépendant", mais au Parlement, le 8 décembre 1937, son texte préparé précisait que "nous sommes tous avec Léon Degrelle, avec ses qualités et ses innombrables défauts". Il se déclarait "en dehors ou plutôt à côté du mouvement, tout (son) cœur restant avec Rex" (Pays réel, 11 décembre 1937). Degrelle, de son côté, disait à ses lecteurs rexistes avoir "avec beaucoup de peine tranché de solides liens", reprochant essentiellement au comte, ses attaques contre Malines car "disciplinairement, nous ne voudrions jamais assumer en conscience, la responsabilité d’un désaccord entre les rexistes croyants et les autorités ecclésiastiques" (Pays réel, 10 décembre 1937). Rex se trouvait à ce moment entre le coup de crosse d’avril 1937 et la perspective du scrutin communal de 1938. Degrelle espérait encore un rôle efficace de ses "formations communales" qui, au-delà du Front populaire de Rex regroupant tous les adhérents, disposaient de noyaux d’activistes pour la propagande (CAP, cadres actifs de propagande, dont les effectifs étaient répartis par tranches d’âge à partir de 17 ans et incluant nombre de non électeurs), de services sociaux féminins (SSFR), d’une Garde communale rexiste-GCR dite "formation défensive disciplinée", chargée en premier chef, de "veiller à la sécurité des orateurs et du public des conférences et meetings rexistes". Ces GCR sont contraints de porter l’uniforme "pour unifier les différences sociales des hommes qui composent la garde" et le chef ne manque jamais de rappeler qu’ils sont "des citoyens d’élite dans le vaste public rexiste [34]".

71En fait, la dislocation en fera que s’accentuer jusqu’au 10 mai 1940 et le nombre d’élus étant réduit en 1939, c’est au niveau des cadres et des militants que le choc est le plus durement ressenti.

72Dans ce déchirement, la ligne de partage se situe entre d’une part ceux qu’inquiètent à la fois le reflux de Rex dans le public, les prises de position de plus en plus fascistes du Pays réel et du chef, et d’autre part, un noyau de fidèles degrelliens qui trouvent leur jubilation dans les victoires extérieures du fascisme et du nazisme, dans l’apparente ou réelle impuissance politique des partis démocratiques traditionnels et dans le fait que les positions dures de Degrelle et de ses proches [35] contribuent à débarrasser Rex de "cette mauvaise graisse" qui risquait d’en faire un parti comme les autres, électoraliste, ne cherchant guère à légiférer que pour une dérisoire protection des classes moyennes, sans souci réel pour la doctrine exposée par le Pays réel (Degrelle, José Streel, Jean Denis,…) et pour la constitution des formations rexistes en vue des chocs et des combats nécessaires.

73Si certains rexistes - démissionnaires, démissionnés, en rupture morale avec le Pays réel - affirment vouloir créer un Parti social belge, distinct de Rex, d’autres, désabusés, indignés par "l’ignoble attitude du chef de Rex à l’égard de ses anciens collaborateurs" [36] ou encore par "le manque d’habileté politique du chef [37]", ont songé à la constitution d’un Rex sans Degrelle ou, tout au moins, à un manifeste commun de ceux qui furent de fervents rexistes en 1936 et qui ont cessé d’être des degrelliens. Rien ne se réalisa dans ce sens.

74Entre autres, comme l’écrit P. Daye [38], parce que "après avoir tâté le terrain, (on) fut convaincu de l’impossibilité de faire quelque chose. Il y a trop peu d’entente (…) trop de rancœur, trop de points de vue divers". En fait, chez ces déçus du rexisme à la Degrelle, le sentiment était plus de mélancolie, de désabusement, de sentiment d’impuissance que de volonté de reprendre Rex en mains, sans le chef historique auquel la plupart avaient dû d’être élus, auquel les autres chefs nommés avaient prêté serment de fidélité. L’opération n’a pas été réalisée. On peut douter qu’elle ait pu, sur une telle base, obtenir audience et succès.

75Quelques-uns des anciens rexistes qui avaient pris ou dû prendre leurs distances à l’égard du chef se comportèrent, après l’agression et la défaite de mai 1940, comme des hommes portant une affection personnelle à Degrelle pour le faire libérer du camp du Vernet et assurer son retour au pays.

76D’autres - peu nombreux - allèrent ouvertement à Canossa, le pardon pouvant, comme dans le cas de Teughels, conduire à la fonction de bourgmestre d’ordre nouveau à Charleroi mais aussi à la mort violente assénée par des résistants. D’autres encore qui, rentrés dans l’ombre n’avaient pas cru devoir rompre avec Degrelle, le firent au lendemain du premier "Heil Hitler" du chef. Mais ceci est déjà l’histoire du Rex de guerre : une histoire sinistre pour ses acteurs, protagonistes et victimes.


Annexes

Annexe 1 : Elections legislatives de 1936 et 1939 - suffrages de rex

tableau im1
tableau im2
1936 1939 Suffrages exprimés En % Suffrages exprimés En % Anvers 19.213 5,86 6.414 1,95 Anvers 6.531 7,76 2.284 2,75 Malines 3.059 4,45 1.044 1,53 Turnhout 2.343 4,24 459 0,83 Brabant 68.685 14,22 30.501 6,32 Bruxelles 53.582 15,77 24.823 7,26 Louvain 6.959 8,15 2.060 2,44 Nivelles 8.144 14,09 3.618 6,46 Flandre occidentale 24.891 9,59 7.757 2,99 Bruges 4.695 9,46 1.361 2,73 Furnes, Dixmude, Ostende 3.413 6,73 1.375 2,69 Roulers, Tielt 5.687 11,08 947 1,88 Courtrai 8.146 10,99 3.402 4,59 Ypres 2.950 8,72 672 1,99 Flandre orientale 22.288 6,49 4.870 1,42 Alost 4.243 6,42 1.830 2,75 Audenarde 3.969 11,75 - - Gand, Eecklo 10.051 6,83 2.156 1,47 Saint-Nicolas 2.495 4,87 341 0,67 Termonde 1.530 3,38 543 1,22 Hainaut 33.961 8,72 14.830 3,95 Charleroi 11.746 8,60 4.155 3,17 Mons 6.215 7,45 2.850 3,55 Soignies 3.166 5,89 1.591 3,05 Thuin 5.070 12,18 2.517 6,31 Tournai, Ath 7.764 10,43 3.717 5,15 Liège 55.582 19,36 21.796 7,58 Liège 33.145 19,42 13.971 8,39 Huy, Waremme 8.688 15,85 3.019 5,71 Verviers 13.749 22,29 4.806 7,05 Limbourg 5.738 5,89 3.015 3,14 Hasselt 3.386 7,71 1.106 2,56 Tongres, Maaseik 2.352 4,39 1.909 3,60 Luxembourg 19.146 29,06 8.026 12,74 Arlon, Marche, Bastogne 10.457 28,60 4.899 13,99 Neufchâteau, Virton 8.689 29,65 3.127 11,19 Namur 21.987 20,35 6.612 6,38 Dinant, Philippeville 9.556 21,89 3.186 7,66 Namur 12.431 19,29 3.426 5,53

77Les estimations relatives aux transferts de suffrages sont toujours aléatoires. C’est le cas pour celles que nous faisons prudemment ici pour 1936.

78En 1936, c’est le parti catholique qui subit le plus durement une double érosion électorale : moins 11% des voix dont l’essentiel à concurrence de près de 8,5% au profit de Rex et de 1,5% à celui des nationalistes flamands. Pour les libéraux, le fléchissement d’électeurs vers Rex n’est très sensible qu’à Bruxelles : près de 7% alors que dans l’ensemble, le transfert de voix libérales vers Rex ne dépasse pas le demi pour cent. Si les socialistes (POB) sont en recul, c’est principalement les communistes qui en sont bénéficiaires (pour deux tiers, Rex pour le troisième tiers), mais en Wallonie, les votes socialistes passant à Rex sont très supérieurs au même phénomène observé à Bruxelles et surtout en Flandre où la gauche ne connaît qu’un recul peu significatif (moins de 1%). C’est aux dépens de la droite catholique que Rex obtient succès (1936) ou revers (1939) en Flandre. C’est sans doute le cas en Wallonie et à Bruxelles mais la droite catholique n’est pas seule à enregistrer l’effet électoral rexiste, même si socialistes et libéraux sont moins durement touchés par les listes rexistes.

Annexe 2 : Protocole d’accord entre degrelle et les elus de rex (mars 1938)

Partie intitulée : "Manifeste - programme"

"1)Le groupe parlementaire rexiste défend un mouvement politique et social qui entend poursuivre la réforme de l’Etat et la transformation du Régime suivant les principes fondamentaux et par les méthodes d’action suivante :
2)Rex ne veut pas de la dictature. Il ne la poursuivra ni directement ni indirectement. Il entend sauvegarder toutes les libertés traditionnelles du Peuple Belge telles qu’elles sont garanties par la Constitution.
3)Rex poursuit ses objectifs politiques par les voies légales, à l’exclusion de toute autre méthode. Il poursuivra la révision de la Constitution en observant les formalités énoncées par le Constituant, et telles qu’elles ont déjà été appliquées à deux reprises depuis un siècle.
4)En ce qui concerne l’Etat, Rex veut sa réorganisation et son adaptation aux nécessités de notre temps. Il réprouve également les errements auxquels aboutissent nécessairement l’anarchie libérale et la nationalisation marxiste. Les administrations doivent être organisées suivant des méthodes modernes. Les fonctionnaires doivent avoir un statut définissant vraiment leurs droits et obligations.
5)Rex veut le maintien de la Belgique, personne unique de droit public, et de la Monarchie. Il favorisera dans ce cadre tout effort organique de développement culturel et administratif de la Flandre, de la Wallonie et de Bruxelles. Rex veut la paix linguistique. Il poursuivra toute mesure propre à assurer le libre épanouissement des communautés nationales.
6)Rex veut la paix religieuse et le respect le plus scrupuleux des consciences. II adhère sans restriction ni réserve aux droits et prérogatives reconnues à l’Eglise catholique en toutes matières.
7)Rex veut la paix sociale. En ce qui concerne l’organisation des professions, il adhère pleinement aux principes corporatifs énoncés dans l’encyclique Quadragesimo Anno. Il veut le développement d’une législature du travail, pour la protection des travailleurs. Il entend défendre et organiser les classes moyennes.
8)Rex veut la paix scolaire. Il défendra l’égalité de traitement entre les enseignements officiels et libres.
9)Rex lutte contre tous les excès de l’hypercapitalisme.
10)Rex postule la Réforme du Parlement, par la réduction du nombre de ses membres, la limitation de la durée des sessions, une meilleure organisation du travail législatif. Il tend à faire de la Chambre la représentation politique de la Nation et du Sénat, sa représentation économique et sociale, grâce à l’organisation des professions.
11)Rex veut établir la hiérarchie : personne, famille, Etat. Il veut assurer le développement de la personnalité humaine par la protection morale et la protection matérielle des membres de la famille.
12)Rex préconise le vote féminin et le suffrage familial avec vote supplémentaire pour les familles nombreuses. Il veut l’abolition de la case de tête et de la Représentation proportionnelle et combat l’influence excessive des organisations électorales.
13)Rex veut une modernisation et un aménagement complet de l’économie nationale par l’implantation d’industries nouvelles, une politique cohérente d’expansion économique et coloniale, un plan de grands travaux d’utilité publique, etc. Il combat par ailleurs toute monopolitisation financière et industrielle et veut assurer le libre développement de toute activité productive, pour autant qu’elle ne nuise pas aux intérêts de la Communauté.
14)Rex entend poursuivre la réalisation de ce programme de réorganisation de l’Etat par les voies légales. Parti d’opposition, il entend combattre tout gouvernement et tout parti dont la politique ne coïncide pas avec les principes formulés ci-dessus. Mais il réprouve toute campagne d’agitation systématique et toutes attaques injustifiées. Il veut désormais placer la lutte des idées au-dessus de celle des personnes.

Partie intitulée : "Manifeste - programme"

79Tels sont les principes et les méthodes d’action auxquels les soussignés déclarent pleinement, sans réticence ni arrière pensée se soumettre.

80En conséquence, ils déclarent, sur ces bases principales, s’organiser en un groupe parlementaire divisé en un groupe du Sénat et un groupe de la Chambre ayant chacun à sa tête un président, un vice-président ainsi qu’un secrétaire et adoptent le statut du travail et d’organisation défini d’autre part.

81Bruxelles, le 2 mars 1938".

Annexe 3 : Chronologie de Rex

I – Avant la creation du parti rexiste

821930 - octobre

83Léon Degrelle obtient la direction des Editions de Rex, de l’aumonier général de l’Action catholique (ACJB), Mgr. Picard.

841931 - octobre

85Création du périodique Soirées dont Jean Denis est alors le rédacteur en chef.

861932 - septembre

87Lancement de Rex en supplément de Soirées. Rex devient autonome et bimensuel en janvier 1933.

881933 - février

89Lancement de Vlan, bimensuel politique alternant avec Rex (rôles de H. d’Ydewalle, R. de Vroylande, C. Jordan et R. Sindic). Vlan est fusionné avec Rex en mars 1934. Tensions entre ACJB et Degrelle, ce dernier refusant le sabordage de Vlan. Mgr. Picard démissionne des Editions nationales de Rex dont Degrelle est devenu propriétaire fin juillet 1933. La nouvelle société éditrice de Rex, écartée des locaux officiels de l’ACJB est créée en 1934. Parallèlement est créé un Fonds de combat Léon Degrelle. Sans les Prémontrés d’Averbode, Rex ne serait pas en mesure de se sauvegarder financièrement comme éditeur.

901935

91Premier grand meeting de L. Degrelle à Bruxelles, le 1 mai 1935. Création de premières sections rexistes avec Carlos Lermitte à Liège et le 2 novembre, "Coup de Courtrai", exprimant et entraînant la rupture ouverte avec la Fédération des Cercles catholiques. Le décret du Cardinal Van Roey du 10 novembre 1935 (pas de prêtre à Rex, pas de vente de Rex à la sortie des églises, maintien des collégiens hors agitation rexiste) reste en fait peu suivi, sinon lettre morte.

II – Rex, parti politique

921936

93Rupture du Parti catholique avec Rex, création d’un bureau politique de Rex, mise en garde (peu efficace) de l’ACJB contre les "entraînements rexistes" pour les jeunes. Le 3 mai, Rex se présente en vue des élections et crée son organe de propagande, Le Pays réel dont H. d’Ydewalle sera rédacteur en chef, pendant 13 mois. Le 24 mai, les élections assurent 21 sièges de députés à Rex sur 202, avec 271.491 voix masculines d’adultes (11,49% des voix).

94Rex soutient tardivement les grèves ouvrières en juin (après les avoir considérées comme "une attitude criminelle des syndicats socialistes"). Rex tente de constituer un "monde" en lui-même, à l’image des socialistes et des catholiques (jeunesse, syndicats et groupes professionnels puis mutuelles, à côté des services de propagande, de maintien de l’ordre, de quasi-milices, etc.). Dès août 1936, Mussolini amorce ses subventions à Rex. En Flandre, le quotidien est créé (De Nieuwe Staat, P. De Mont). L’industriel de Launoit souscrit 120.000 abonnements de 2 mois au Pays réel (2 millions de FB) dont l’essentiel est diffusé dans le bassin liégeois.

95Le 8 octobre, accord Rex-VNV. Degrelle vient de rencontrer Hitler à Berlin tandis que P. Daye et G. Wijns sont reçus par Von Ribbentrop. Rex soutient la thèse de l’indépendance belge ("les mains libres").

96Nombreux incidents entre Rex et ses adversaires de gauche : Jemeppe-sur-Meuse, Seraing, Binche, Jette, Hal, etc. Echec de la manifestation rexiste dite des 250.000 à Bruxelles : interdiction officielle, participation réduite, heurts avec la gendarmerie, démission forcée du Colonel Vigneron de la réserve de gendarmerie et dirigeant de groupes de choc à Rex (services d’ordre et protection) (arrêté royal du 30 décembre 1936). Vigneron, dit-on, avait les moyens - avec des militaires et gendarmes - de s’emparer du pouvoir en faveur de Rex. Si la possibilité exista peut-être, la réalisation n’eut pas lieu et ce qu’on peut savoir d’une préparation laisse sceptique sur le risque réel pour le régime. Les mesures prises contre certains meneurs rexistes, en dehors de Vigneron, se limitèrent à des arrestations sans portée de S. Doring et Max Hodeige et des peines limitées (2 mois avec sursis) pour H. Leynen, V. Matthys et M. Hodeige.

971937

98Rex tente d’échapper aux mesures antimilices pouvant frapper son SOP puis ses gardes rexistes mais sans exclure violences et affrontements.

99En avril, épreuve électorale à Bruxelles dont Degrelle sort vaincu, malgré l’appui du VNV et des dirigeants "Croix de Feu". Le Cardinal Van Roey use du "coup de crosse" contre Rex, à la veille du scrutin. Degrelle obtient 69.000 voix alors qu’en 1936, son score était de 53.000 voix et celui du VNV de 22.000. Contre Degrelle : une action convergente des autres partis en faveur du candidat Van Zeeland.

100Le comte de Grunne quitte la présidence du groupe rexiste au Sénat et se définit comme indépendant, sans rompre avec Degrelle, Daye, De Mont,… Les structures de Rex sont revisées (le chef nomme les 5 membres d’un bureau exécutif). Le VNV dénonce son accord avec Rex. Le parti cherche un second souffle mais entre le noyau dur du Pays réel et les élus de Rex, c’est la tension, le conflit qui s’inscrit le plus clairement.

1011938

102Degrelle et le Pays réel s’affirment de plus en plus ouvertement en faveur de Franco et d’initiatives hitlériennes - Anschluss de l’Autriche, dispositif anti-soviétique pour le Reich [39] - ainsi qu’en faveur d’une "forte discipline intérieure" à imposer par de nouvelles Chambres et des forces nouvelles. L’antisémitisme trouve un porte-parole dans le Pays réel en la personne de Serge Doring : son opinion n’est qu’officieuse mais José Streel lui-même (qui se dit hostile à l’antisémitisme) admet qu’il y a, en Belgique, "une question juive".

103Les élections communales du 16 octobre 1938 se traduisent par un recul et des résultats décevants pour Rex.

1041939

105En dehors de démissions et de mutations (changements de "chefs" à Liège, à Bruxelles et pour la Wallonie), Degrelle radie pratiquement l’essentiel des élus flamands (Parlement et provinces), suite à un vote qu’il ne peut admettre dans l’affaire Martens (vote Convent, approuvé par Rex-Flandre). C’est, pour l’aile flamande de Rex, une réelle décapitation. Le chef de Rex-Flandre, P. De Mont avait lui-même démissionné ainsi que Convent, sans attendre la radiation officielle par Degrelle (Pays réel, 14 février).

106Les élections législatives du 2 avril réduisent à 4 le nombre de députés rexistes (au Sénat, également 4). Un seul flamand représente encore Rex au Parlement. Degrelle fait son entrée à la Chambre. Les plus purs fidèles sont mobilisés en raison de leur âge et du contexte international. Degrelle, ultra-neutraliste, fait la quête pour un Pays réel en perte de tirage et vise essentiellement à sauvegarder, outre quelques fidèles notoires, un noyau de jeunes activistes, de plus en plus ouvertement favorables à l’Axe Rome-Berlin. L’espoir de Degrelle - obtenir des subsides nazis pour créer un journal populaire neutraliste à Bruxelles - ne se réalise pas, même si toutes les démarches possibles ont été faites vers Berlin.

1071940

108En avril, deux des quatre sénateurs rexistes démissionnent (Vigneron et Boon), refusant de se solidariser avec Degrelle au moment de l’invasion de la Norvège et du Danemark.

109Le 10 mai, arrestation de Degrelle et de certains rexistes au titre de suspects. Degrelle est libéré du camp français du Vernet le 22 juillet 1940. A ce moment, Rex en Belgique est encore d’une extrême discrétion : il est ultra-léopoldiste et anti-Pierlot mais le Pays réel n’a pas reparu. Pour le rôle de L. Degrelle à partir du 22 juillet 1940 et jusqu’à son "Heil Hitler" du 1 janvier 1941, voir l’An 40, op. cit.

Annexe 4 : Leon Degrelle et Rex avant la cohue de 1940

110"A peine la guerre eut-elle jeté son premier cri sauvage dans les pleines de l’Est (…), je demandai au Roi Léopold III de me recevoir (car j’étais le) leader du plus fort parti d’opposition en Belgique [40]"

111L’auteur de ces lignes - Léon Degrelle, chef de Rex - n’était plus à ce moment à la tête du "plus fort" groupe d’opposition au Parlement : le scrutin de 1939 avait ramené sa représentation à la Chambre de vingt et un à quatre députés.

112Rex s’était constitué à Louvain comme groupement de jeunes, décidés à renouveler la vie publique belge sous le signe du Christ Roi et à entraîner l’opinion par une activité débordante : publications les plus diverses et meetings dont la vedette était Léon Degrelle. Fin 1935 [41], ces rexistes -qui avaient pris ou qui avaient été invités à prendre leurs distances à l’égard de l’Action Catholique de la Jeunesse belge (ACJB) - provoquèrent la rupture entre eux et la vieille fédération des cercles catholiques, aile bourgeoise et conservatrice du cartel politique des catholiques.

113Or les élections législatives de 1936 avaient permis d’élire du premier coup 21 députés rexistes, aux dépens de tous les partis traditionnels mais surtout des partis à recrutement "classes moyennes" et "bourgeoisie". Même la Flandre n’avait pas été insensible. Rex y obtenait 7 pour cent des voix et trois sièges de députés. La campagne de Léon Degrelle - lui-même n’était pas candidat - avait été menée avec enthousiasme et avec des moyens spectaculaires, contre les "collusions politico-financières", contre le régime des partis et contre les hommes politiques "pourris". L. Degrelle avait exploité parallèlement la peur du bolchevisme athée, très vivace dans les milieux catholiques, et, envers les classes moyennes et les professions libérales, la hantise de la "collectivisation" par les socialistes. Pour Rex, parti nationaliste belge, la société devait retrouver son équilibre, dans l’ordre social nouveau, sous l’autorité incontestée du Roi, gardien de la nation belge et chef réel d’un exécutif qui n’aurait de comptes à rendre qu’à Lui.

114Le reflux pour Rex fut rapide. A l’occasion d’une élection partielle provoquée à Bruxelles par L. Degrelle en avril 1937, les partis traditionnels firent triompher leur candidat unique Paul Van Zeeland, Premier ministre, ne laissant au chef de Rex que 19% des voix malgré le soutient que lui donnait le VNV. L’amélioration de la situation économique pour les classes moyennes avait calmé la panique. L’Eglise avait clairement soutenu le parti catholique et mis en garde contre Rex "danger pour le pays et pour l’Eglise" [42]. En outre, à Rex les tensions internes étaient dissolvantes : conflit quasi permanent entre les propagandistes et rédacteurs du Pays réel d’une part, le groupe des élus d’autre part ; démissions nombreuses, se produisant avec éclat et aisément exploitées par les adversaires [43].

115Ainsi, tandis que les courants autoritaires marquaient des points et remportaient des victoires décisives ailleurs (Espagne, Autriche, par exemple), dans le cadre belge Rex était en déclin. Les élections de 1939 ne firent que traduire le phénomène, implacablement, dans les chiffres électoraux (4,44% des voix) et plus encore dans les effectifs parlementaires.

116Le général Reeder, chef de l’Administration militaire allemande à Bruxelles de juin 1940 à 1944, a fait à ce sujet à l’intention du Haut Commandement une analyse qui met en relief la signification réelle du reflux de 1939 : "Sous le nom de Rex, il (Léon Degrelle) fonda un mouvement politique, essentiellement catholique, autoritaire, qui connut en 1936 un succès considérable dans tous les milieux mécontents de la corruption des partis en Belgique. Degrelle (…) s’inspira essentiellement du fascisme italien, qui correspondait mieux (que le national-socialisme) à sa mentalité latine et à sa conception étatique (…). Après une ascension rapide (…) le parti rexiste, par suite du caractère inconstant de Degrelle, de sa façon peu systématique de diriger, de son maigre talent d’organisateur ainsi que de son manque de psychologie, subit bientôt une chute précipitée. L’élément le plus saillant ne fut pas que le mouvement rexiste vit, en 1939, sa représentation parlementaire réduite à quatre membres, mais bien de constater que la grosse majorité des personnalités sérieuses et avides de nouveauté, qui s’étaient ralliées au parti, s’en détournèrent à ce moment [44]".

117Ce reflux rexiste était surtout spectaculaire au plan parlementaire, mais L. Degrelle put malgré tout maintenir en 1939-1940 des groupes de jeunesse rexiste dont l’idéologie introduisait logiquement à celle de la Légion Wallonie de 1941 : ordre européen continental et antisoviétique ; Etat bourguignon à exécutif "fort" ; discipline dans le sillage du Chef…

118Partisan de Munich [45], L. Degrelle avait signé un éditorial du Pays réel [46] : "La Tchécoslovaquie, on s’en f.. !" et porté à l’actif du Reich le fait qu’il constituait à l’Est un rempart de plus en plus fort contre le communisme.

119Tout portait normalement le chef de Rex à soutenir, dès septembre 1939, la thèse de la neutraité stricte et à combattre, par une contre-propagande active, tout acte, discours ou écrit dans lequel il croyait ou affirmait déceler d’intolérables atteintes à la ligne définie par le Roi et ses ministres.

120Au Parlement, Rex adopta une position de confiance chaque fois qu’il s’agissait de politique étrangère et que P.-H. Spaak en était le porte-parole gouvernemental. Sans doute L. Degrelle insistait-il spécialement pour que le ministre ne soit pas trop "docile" en matière de blocus franco-britannique, mais l’essentiel, après la campagne de Pologne, était d’éviter que la guerre s’éternise : "La guerre totale, déclarait-il [47], frapperait atrocement la civilisation de l’Europe, son prestige spirituel, son rayonnement économique. Nos marchés mondiaux perdus seront repris par les Etats-Unis et par le Japon. Et, pour finir, le communisme, penché déjà sur l’Europe en armes, s’abattra à travers les ruines de l’Occident. (…)" "Seuls les pays neutres, ajoutait Léon Degrelle, peuvent encore faire entendre la voix de la raison et de l’ordre parmi les belligérants passionnés et jeter objectivement les bases de la réconciliation de l’Occident. Eux seuls peuvent, dans la sérénité, rechercher les lois d’un nouvel équilibre européen.

121Préparer cette paix nécessaire, infiniment plus efficace et plus humaine que celle des armes, est la plus belle mission de la Belgique. C’est parce que nous croyons que le gouvernement belge veut cette paix de toute son âme, fidèle en cela aux appels lancés par le Roi avant et depuis les hostilités, qu’au-dessus de vous, nous voterons pour la neutralité belge et pour la paix européenne".

122L. Degrelle et ses amis ne votèrent pas contre le projet de loi de défense des institutions nationales le 12 mars 1939, projet qui pourtant semblait dirigé contre les opposants au régime et donnait au pouvoir des armes contre la presse et les groupes hostiles. Les rexistes s’abstinrent sur ce projet, alors que les communistes et les élus VNV votaient contre. Toutefois, pour un parti comme Rex, l’analyse des positions prises au Parlement ne suffit pas si l’on veut connaître son action première, laquelle se situait sur le terrain de la propagande et de l’opinion publique.

123A ce moment, Le Pays réel était totalement aux mains de Degrelle : José Streel et d’autres collaborateurs étaient mobilisés. Son tirage était faible et son existence précaire, malgré les quotidiennes collectes d’argent dans le réseau du "Carré des 3.000" ou Fonds de Combat-Léon Degrelle, malgré quelques subventions extérieures et les "dépannages" assurés par un industriel de Courtrai. Dans le journal, Degrelle prit de plus en plus le contre-pied des thèses françaises et britanniques. Il polémiqua de plus en plus durement avec tous ceux qui en Belgique penchaient vers les alliés de 1914-1918 et se refusaient à mettre les belligérants sur le même pied -qu’il s’agisse des principes invoqués ou de la valeur des garanties données.

124Degrelle a expliqué son attitude par les excès des groupes, organes de presse ou personnalité pro-alliés : "On en a voulu au Pays réel au début d’avoir été si farouchement neutre et pacifiste. Certes, si tout le monde avait été raisonnable, en Belgique, nous eussions pu parler avec plus de nuance (…) mais on dénaturait systématiquement tout ce qui venait de Berlin ; on gonflait systématiquement tout ce qui venait de Paris ou de Londres. Nous avons dû avec chagrin souvent faire office de contreproids [48]".

125Cette explication n’eut pas l’air de suffire, même au sein de Rex : deux sénateurs sur quatre démissionnèrent en avril 1940, estimant intolérable la manière dont le chef de Rex avait réagi à l’invasion du Danemark et de la Norvège. D’anciens parlementaires de Rex comme Pierre Daye, Prosper Teughels, Paul De Mont, songeaient, à la veille du 10 mai 1940, à publier un manifeste en commun, qui eût expliqué pourquoi tant d’hommes parmi eux étaient désemparés, désabusés, cruellement blessés par l’attitude de L. Degrelle. Ces velléités ne débouchèrent sur rien, sinon sur des échanges de lettres entre anciens élus en désaccord politique et moral avec le Chef. La Cohue de 1940, ouvrage publié après la guerre par L. Degrelle, raconte aussi qu’il y avait, au sein même de Rex, des partisans de l’intervention française. Degrelle avait encore des amis, des fidèles - comme José Streel, Jean Denis, Victor Matthys, Joseph Mignolet, Serge Doring, entre autres -mais le cercle s’était réduit sous l’effet conjugué de l’affaire Martens et des campagnes du Pays réel sur la neutralité. Un homme comme Pierre Daye, ancien président du groupe rexiste à la Chambre, alla même jusqu’à rallier les rangs du parti catholique en mars 1940 [49]. Pendant cette période, Rex s’exprima très peu comme parti. Tout porte à croire qu’après le reflux de 1939, nombre de ceux qui se disaient encore rexistes refusaient d’être identifiés aux prises de position de Degrelle à l’égard du conflit international. Peu de rexistes suivaient le chef dans l’admiration qu’il manifestait déjà à l’époque pour le Führer…

126De septembre 1939 au 10 mai 1940, Rex bénéficia-t-il des fonds étrangers, italiens ou allemands ?

127Degrelle s’en est toujours défendu, au moins en ce qui concerne le Reich : "Ni en 1936, ni plus tard, ni jamais, je n’ai reçu d’Hitler ni un pfennig, ni une consigne. Jamais d’ailleurs, il n’a essayé de m’influencer en rien [50]". La dénégation de L. Degrelle est sans doute trop générale. Maintenant sont accessibles des relevés de subventions accordées par les SS Obergruppenführer Berger aux associations qui, en Belgique occupée, étaient jugées utiles des points de vue germanique et national-socialiste. Pour Rex, par exemple, la subvention mensuelle sous forme d’avances passa de 80.000 à 160.000 DM par mois en 1943, après la prise de position de Degrelle sur la "germanité" des Wallons qui signifiait, en termes clairs, qu’il acceptait l’intégration dans le Reich germanique. Dès 1940, par ailleurs, le rapport de la Propaganda Abteilung fait état du déficit du Pays réel et souligne que ce journal ne peut vivre que grâce à l’aide allemande [51].

128Mais avant-guerre ?

129Une aide italienne fut accordée à Rex : d’août 1936 à avril 1937, 2 millions de francs par mois, selon le sénateur Xavier de Grunne, qui fut élu de Rex avant de s’en "distancer" ; 250.000 lires par mois, selon Ciano [52] ; "une somme importante en millions que le chef du gouvernement italien fit remettre dans la main de Léon Degrelle", selon l’ancien chef du groupe rexiste à la Chambre, l’écrivain Pierre Daye [53]. Degrelle lui-même, dans La Cohue de 1940, écrit à ce sujet : "Sur le conseil de Mussolini (…) certains de nos camarades romains avaient financièrement épaulé nos jeunes organisations, matériellement dépourvues de tout". Tout ce qui concerne "l’argent italien" fut confirmé et précisé après la guerre, à l’époque de la répression, par l’industriel G. Wyns qui avait des raisons d’être bien informé sur la situation financière de Rex. On peut croire pourtant que l’époque fin 1939 - début 1940 fut loin d’être celle où coulait le plus aisèment ou le plus généreusement la manne des subventions italiennes en faveur de Rex.

130Qu’en est-il du Reich ? Degrelle a rencontré Hitler à Berlin, à la fin septembre 1936 ; deux élus rexistes furent à Nüremberg en septembre 1936, à l’invitation de Rudoph Hess, puis à Berlin où ils rencontrèrent Ribbentrop et prirent le thé avec Hitler lui-même (le 11 septembre) ; Pierre Daye raconte lui-même cet entretien à Berlin avec Himmler et une rencontre avec Hitler en 1938.

131On ne peut certes pas déduire de ces contacts qu’il y ait eu assistance financière nazie en faveur de Rex. Les seules affaires mettant en cause une possibilité d’aide financière du Reich à Degrelle se situent toutes deux au début de 1940, à un moment où les moyens financiers de Rex s’étaient considérablement réduits.

132La première se fonde sur un télégramme secret (No 56) adressé à Berlin le 1er février 1940 par M. von Bülow-Schwante, ambassadeur du Reich à Bruxelles [54] : "Le leader rexiste Degrelle désire publier un journal du soir, sans affiliation politique, sous le nom de Journal de Bruxelles, en plus du Pays réel. La ligne principale doit être la défense de la neutralité belge. Par sa liaison avec l’ambassade, Degrelle a demandé une subvention. Ce projet mérite considération, spécialement du fait que nous avons intérêt à ce qu’il y ait des violations de la neutralité par nos ennemis, et que les éventuels efforts antineutralistes de certains groupes belges soient systématiquement dénoncés par un quotidien belge. Le Pays réel est moins adapté à ce but, parce qu’il est l’organe du mouvement d’opposition rexiste. Comme l’ont montré les récentes perquisitions au domicile de quelques rexistes, il est sous la même menace que la presse nationaliste flamande et communiste, qui ont été interdites il y a quelque temps. Cependant, en apparence, le Journal de Bruxelles ne doit pas avoir de rapport avec Degrelle et le mouvement rexiste. Ceci offre de plus grandes possiblilités de défendre le point de vue allemand et de favoriser la propagande allemande. Du fait de l’exceptionnelle capacité de Degrelle comme journaliste et propagandiste, le nouveau journal a l’espoir de devenir un succès.

133"J’ai désapprouvé la requête initiale pour un subside sous forme d’une souscription de dix mille abonnements pour un an, pour des raisons de devises étrangères et dans le but d’éviter des engagements à long terme. Mais je recommanderais une subvention de dix mille abonnements de trois mois, payables par versements mensuels. Degrelle a accepté. Les fonds nécessaires seraient de 12.600 reichs marks par mois, en devises étrangères. Cependant, la prolongation de ce soutien doit être envisagée au-delà des trois premiers mois, parce que le journal ne sera pas capable d’exister autrement.

134Le montant dépendra alors du succès et de l’attitude du journal. Prière de télégraphier la décision".

135Signé : van Bülow-Schwante

136Trois semaines plus tard, l’ambassadeur allemand adressait un rappel à Berlin à propos de ce projet. Aucune réponse ne lui est probablement jamais parvenue. Le quotidien neutraliste - idée fort en vogue à l’époque - ne fut jamais créé, ni par Degrelle ni par aucun autre. De cette affaire, on retiendra que Degrelle avait demandé à un représentant du Reich une subvention sous forme de souscription de 10.000 abonnements pour un quotidien à créer. Selon toute vraisemblance, l’Auswärtiges Amt à Berlin ne partageait pas les vues optimistes de l’ambassadeur von Bülow sur le succès que rencontrerait ce Journal de Bruxelles sous l’impulsion de Léon Degrelle.

137La seconde affaire se fonde sur une dénonciation faite à la gendarmerie par un ancien mandataire rexiste de 1939 en rupture ouverte avec Degrelle. Selon lui, des livraisons de papier auraient été faites gratuitement pour Le Pays réel, en provenance d’Allemagne, et l’opération aurait été camouflée par de savantes manœuvres de clearing. La police judiciaire enquêta à ce propos en février 1940.

138C’est bien sur le terrin de la propagande que Degrelle croyait essentiel d’agir : les affaires de subventions le confirment. C’est aussi sur ce terrain qu’il faut placer les entreprises de Rex à l’époque. Rex avait cessé -pour autant qu’il le fût jamais - d’être un parti sérieusement organisé. Lui imputer l’organisation de réseaux opérationnels ou de cellules commandées par un centre ne correspondrait guère à sa capacité réelle du moment. L’action, pour Rex, c’est alors une influence à exercer par la presse, dans un sens que Degrelle qualifie de pur neutralisme et que ses adversaires dénomment plus volontiers défaitisme ou tentative de démoralisation de la nation".

139J. Gérard-Libois et José Gotovitch, L’An 40, la Belgique occupée, Edition du CRISP, 6ème tirage, pp. 29-36.


Date de mise en ligne : 30/07/2014.

https://doi.org/10.3917/cris.1226.0001

Notes

  • [1]
    Souvent, des rexistes qui prirent leurs distances avant la guerre se rapprochèrent de Rex et/ou de son chef fin 1940-1941, après que la victoire allemande leur eut donné le sentiment que seul Rex ou la collaboration leur procuraient une chance nouvelle de carrière administrative ou politique. Ces "retours" à Rex furent, dans certains cas, payés par la vie de leurs auteurs ou par des jugements d’une sévérité extrême lors de la répression fin 1944-1945.
  • [2]
    Les élections auraient dû avoir lieu à l’automne. Rex décida de se constituer en parti et de se présenter comme tel fin février 1936. On peut estimer qu’au moins en partie, la décision d’anticiper le scrutin avait comme souci de ne pas laisser trop de champ et de temps à Rex.
  • [3]
    Sommets atteints dans les quatre cantons suivants : canton de Bruxelles : 18,73 %, canton d’Ixelles : 21,34 %, canton de Saint-Josse : 23,97 %, canton de Schaerbeek : 19,58 %.
  • [4]
    Au sein de la Droite catholique, les démocrates-chrétiens sauvèrent leurs effectifs d’élus (24 en 1938 comme en 1932). Les élus catholiques furent alors des Flamands, à concurrence de 50 sur 63.
  • [5]
    Jean Stengers, La droite en Belgique avant 1940, Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 468-469, 30 janvier 1970.
  • [6]
    Parmi les publications de Rex depuis 1931 où s’opéra une extraordinaire rotation rédactionnelle à travers le temps : Soirées (périodique familialiste) ; Rex qui fut, dans un premier temps, un supplément de Soirées ; Vlan, bi-mensuel à contenu politique et polémique ; Foyer ; Le Pays réel, organe de combat, créé le 3 mai 1936 au moment où le parti Rex s’engageait dans la campagne électorale. Outre les organes de presse pour la Flandre et les cantons de l’Est et la tentative avortée d’un Rex pour la France du Nord, Léon Degrelle, directeur des éditions dès juillet 1933, édita diverses collections de livres et de brochures populaires, bénéficiant pour son entreprise à rendement en dents de scie, d’étranges complaisances - matérielles et autres - d’aumôniers et religieux en Flandre (dont les aumôniers d’Averbode) et d’industriels désireux d’avoir plusieurs fers au feu pour faire pression sur l’opinion et sur le pouvoir (cas de Launoit).
  • [7]
    Sur les relations entre le Rex et l’Allemagne de 1933 à 1940, on lira utilement l’étude et les documents publiés à ce sujet par Emile Krier dans les Cahiers d’histoire de la seconde guerre mondiale, No 5, décembre 1978, Bruxelles.
  • [8]
    II est souvent dit que José Streel fut le penseur de Rex et de sa doctrine. En fait, il est difficile de voir dans ses textes de l’époque un véritable exposé de doctrine et d’objectifs.
  • [9]
    Nombre de livres ont paru sur Degrelle, de laudateurs candides, d’anciens collaborateurs en rupture avec le chef. On y trouve généralement quelques éclairantes informations sur sa pré-carrière politique : étudiant peu édifiant, animateur doué, gestionnaire aux capacités douteuses, homme d’initiatives extraordinaires mais souvent extravagantes.
  • [10]
    Inédit - Lettre de L. Degrelle à P. Daye.
  • [11]
    C.H. Höjer, Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940, réédition par le CRISP, 1969, p. 246.
  • [12]
    En fait, on voit mal sur quelles idoles la droite conservatrice catholique pouvait compter en 1935-1936. A l’occasion de son coup de Courtrai (novembre 1935), Degrelle avait traité un parlementaire de la Droite "d’excrément vivant". La victime était loin d’être une "idole".
  • [13]
    Maurice Vaussard, Histoire de la Démocratie chrétienne France, Belgique, Italie, collection Esprit, Ed. du Seuil, 1956, p. 167.
  • [14]
    Jacques Willequet, in Histoire de la Belgique contemporaine, Renaissance du Livre, Bruxelles, 1974, p. 133.
  • [15]
    Giovanni Carpinelli, Cahiers marxistes, No 18, 1973.
  • [16]
    Sur la responsabilité du monde catholique dans la naissance et l’essor de Rex, voir Emmanuel Gérard, La Revue Nouvelle, No 1, 1987, pp. 67-77.
  • [17]
    L’Union catholique belge-UCB, mise en place le 29 août 1921, est en fait une fédération ambiguë où se retrouvent la Fédération des associations et cercles catholiques (Droite conservatrice), la Ligue nationale des travailleurs chrétiens, la Fédération des associations paysannes, Boerenbond et Alliance agricole, et la Fédération chrétienne des classes moyennes. L’UCB se dénomma en 1936 le Bloc catholique belge, bloc entamé - faut-il le dire - par la percée rexiste de l’époque.
  • [18]
    La question de savoir, sur base sociologique, quels types d’électeurs belges adhéraient à Rex n’a guère trouvé de réponse précise, sinon partiellement dans une étude de Danièle Wallef, The Composition of Christus Rex, in Who were the Fascists, Universitets forlaget, Bergen, 1980, pp. 517-523. Voir aussi, dans le même ouvrage l’étude de Luc Schepens, Fascists and Nationalists in Belgium 1919-1940, pp. 501-516. Le nombre d’adhérents-cotisants reste une inconnue.
  • [19]
    Martin Conway, Le rexisme de 1940 à 1944 : Degrelle et les autres, Cahiers du Centre de recherches et d’études historiques de la seconde guerre mondiale, No 10, novembre 1986.
  • [20]
    Voir La situation politique en Belgique : la question flamande (memorandum von Falkenhausen du 31 juillet 1941, traduit de l’allemand par N. Schumacher), Courrier Hebdomadaire du CRISP, No 581, 1er décembre 1972.
  • [21]
    Confédération rexiste du travail, Confédération agricole rexiste, Centrale corporative des ouvriers rexistes, Corporation rexiste des musiciens professionnels, Syndicat des taximen bruxellois, Confédération rexiste du commerce, artisanat et professions libérales. Avec une mutuelle rexiste, on tend dès 1937 à la création d’un Ordre du travail, appelé à jouer un rôle corporatiste. En fait, ces tentatives sont des échecs relatifs.
  • [22]
    Cette ardeur ne suffit pourtant pas à assurer le succès de la marche rexiste sur Bruxelles le 25 octobre 1936. Au lieu des 250.000 marcheurs annoncés, il n’y eut que quelques milliers à se heurter à la gendarmerie.
  • [23]
    Il était difficile de présenter Van Zeeland comme l’homme de Moscou, comme l’auraient souhaité les rexistes.
  • [24]
    Cet accord, dont une version fut publié tardivement par Le Pays réel en avril 1937 prévoyait une transformation du régime unitaire belge en Etat plutôt fédéral, le Grand-Bruxelles constituant une aire où le déploiement des habitants flamands serait garanti. Le VNV acceptait le fédéralisme au sein de l’Etat belge mais il n’abandonnait pas pour autant ses conceptions thioises. L’ordre corporatif et l’anticommunisme constituaient un ciment entre les signataires. La convention devait, en principe, rester secrète jusqu’au moment où chaque signataire estimerait une publication nécessaire. A noter que Degrelle s’engageait à faire tous ses discours en Flandre en néerlandais.
  • [25]
    Avant 1940, les attaques antisémites de Rex ne dépassaient guère le ton des journaux de droite, hostiles à toute immigration juive ne Belgique. Sous l’occupation, Rex soutint d’abord la Ligue pour la défense du peuple anti-juive. Ordre fut donné le 1er juin 1942 aux rexistes de quitter cette ligue. Le chef a.i. V. Matthijs justifia la décision par le fait que Rex entreprendrait "désormais lui-même la lutte anti-juive" (Lettre-circulaire, E.M. de Rex, 1er juin 1942).
  • [26]
    Document inédit.
  • [27]
    Allusions, entre autres, à la politique d’indépendance, la reconnaissance de l’Espagne de Franco (affaire de Burgos),…
  • [28]
    A ce moment, 8 députés sur 21 et 3 sénateurs sur 12 ont démissionné et aucun dirigeant régional de 1936 n’est plus en fonction.
  • [29]
    Lettre de Léon Degrelle à Pierre Daye, 9 mars 1939, document inédit.
  • [30]
    L’affaire Martens et Rex-Flandre : le Docteur Martens fut partisan de l’autonomie flamande et collaborateur des Allemands en 1914-1918. Condamné à mort par contumace en 1920 par la Cour d’assise du Brabant puis amnistié, il rentre des Pays-Bas et reprend ses tâches médicales. Le cas Martens se pose politiquement fin 1938 : un arrêté royal le fait membre de l’Académie flamande de Belgique. Degrelle veut que Rex manifeste au Parlement son opposition à une décision qui indigne les anciens combattants et les belgicistes rigoureux. La consigne n’est pas suivie par l’élu rexiste Convent qui bénéficie dès ce moment de l’appui de Rex-Flandre. Paul De Mont, sénateur, et Convent démissionnent de Rex. Degrelle décrète la radiation des élus qui ont soutenu le vote Convent.
  • [31]
    A Liège, Rex ne fut pas frappé par l’opération "suspects" de mai 1940. Les autorités judiciaires se justifièrent ultérieurement, au nom d’un critère social : les rexistes étaient des notables (professeurs d’université, médecins, artistes,…). Ailleurs, les critères furent différents : Degrelle fut arrêté mais aussi en Wallonie, des rexistes de 1936 qui avaient rompu, entretemps, avec le chef et le parti. Parmi ces derniers, nombre regagnèrent la "famille rexiste", après arrestation, déportation et souffrances.
  • [32]
    Concernant cette affaire Daye, voir J. Gérard-Libois et José Gotovitch, L’An 40, la Belgique occupée, Edition du CRISP, 6ème tirage, p. 33.
  • [33]
    En 1936-1937, le comte de Grunne, arrière petit-fils de Montalembert, ami du Roi Albert et frère du Grand Maître de la Maison de la Reine Elisabeth, se déclarait essentiellement hostile à la dictature de la finance et de l’hypercapitalisme. Il avait un moment espéré trouver en Degrelle un chef "capable de libérer l’Eglise de la politique" et de briser l’influence "des hommes du politico-catholicisme". Royaliste et léopoldiste rigoureux, il voulut fonder en juillet 1940 une "Phalange", fidèle au Roi et composé d’anciens combattants "prêts à obéir sans discussion aux directives données par le chef hiérarchique" (voir son appel dans Le Soir du 12 juillet 1940). Il assura, à l’été 1941, l’édition et une large diffusion d’une brochure intitulée La Belgique loyale, de petit format mais comptant 168 pages où l’Allemagne était certes désignée comme l’ennemie, où les collaborateurs de type Degrelle étaient dénoncés mais où prévalait un souci de ménager Henri De Man, de ne pas paraître comme lié aux garants de 1940 ni aux Belges de Londres. Le comte est mort en 1944 au camp de Gross Strelitz.
  • [34]
    L’uniforme de la garde : blouse bleu-mécanicien, pantalon long bleu-foncé, béret alpin, cravate grenat, ceinturon et boutons aux armes de Rex. Outre ces gardes communaux, Rex disposait d’une garde mobile. Document interne de Rex, s.d.
  • [35]
    Parmi ces degrelliens durs figurent Victor Matthijs, Serge Doring, Jean Denis, Max Hodeige, José Streel,…
  • [36]
    Lettre de P.J. Teughels à Pierre Daye, 30 avril 1940, document inédit.
  • [37]
    Lettre de Pierre Daye à P.J. Teughels, 7 mai 1940, document inédit.
  • [38]
    Même lettre de Pierre Daye.
  • [39]
    Le 14 septembre 1938, Degrelle signe dans le Pays réel, un éditorial significatif : "La Tchécoslovaquie, on s’en f… !".
  • [40]
    Léon Degrelle, La Cohue de 1940, Robert Crausay, Lausanne, 1950, p.11.
  • [41]
    Le 2 novembre 1935, lors d’un congrès de la fédération des cercles catholiques, L. Degrelle prit la parole d’autorité, dénonça les collusions politico-financières dans lesquelles étaient, disait-il, compromis des politiciens catholiques. Cette affaire marqua la rupture de Rex avec la fédération des cercles ; elle est connue dans l’histoire du rexisme sous l’appellation de "coup de Courtrai".
  • [42]
    Déclaration du cardinal Van Roey, primat de Belgique, le 9 avril 1937.
  • [43]
    Démission de Charles d’Ydewalle, rédacteur du Pays réel, et de R. Lust, chef de Rex-Bruxelles, en juin 1937 ; rupture entre le parti et X. de Grunne, chef du groupe sénatorial en septembre 1937 ; démission du député Raphaël Sindic en décembre 1938 et prolongements en une "affaire Sindic" ; démission du sénateur De Mont et du député Convent et "décapitation" de Rex-Flandre par L. Degrelle en février 1939 ; conflit ouvert entre le groupe parlementaire avec P. Daye, d’une part, et L. Degrelle, d’autre part, au début de 1939, démission des sénateurs Vigneron et Boon en avril 1940.
  • [44]
    Lettre du général Reeder au Haut Commandement allemand, 26 janvier 1943 (document fourni aux auteurs par M. Hubert Halin).
  • [45]
    Un comité belge pour "le prix Nobel à Chamberlain" se constitua fin 1938 - début 1939, sous la présidence de Pierre Daye : "L’illustre homme d’Etat britannique (…) (ayant) sauvé la paix mondiale", à la fois par son rôle à Munich et par "son action" en faveur de la non-intervention en Espagne.
  • [46]
    14 septembre 1938.
  • [47]
    APC, séance du 15 décembre 1939.
  • [48]
    Le Pays réel, 28 mars 1940.
  • [49]
    Ce ralliement s’opéra par adhésion à l’Association catholique de l’arrondissement de Bruxelles. P. Daye fut invité à préciser par lettre qu’il serait fidèle au point 3 des statuts, lequel interdit de "s’inscrire à aucune autre association politique autonome". Le bureau de l’Association marqua son accord sur la candidature de P. Daye le 18 mars 1940 et un dirigeant estima cette décision particulièrement heureuse : pour le parti et pour la cause catholique qui bénéficiaient ainsi d’une recrue de choix (archives privées de Pierre Daye).
  • [50]
    Léon Degrelle, Hitler pour mille ans. La Table Ronde, Paris, 1969, p. 60.
  • [51]
    Le grand-maître trésorier du parti nazi en Allemagne, F.-X. Schwartz, recevait les rappports et relevés des services centraux de la SS. Rapport du 11 octobre 1943, Bundesarchiv, Coblence, NS 1/vorl. 524.
  • [52]
    "J’ai décidé d’accorder de nouveau leurs subsides aux rexistes : 250.000 lires par mois" (Ciano, Journal politique 1937-1938, éd. de Paris, 1949, p. 28).
  • [53]
    Pierre Daye, Mémoires, in Dossier du mois, décembre 1963.
  • [54]
    von Bülow-Schwante à l’Auswärtiges Amt, Documents on German Foreign Policy, Département d’Etat, Washington, série d, vol. 8, p. 724.
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