Cela fait quelques années que j’ai pris la voie du baroud. J’ai
longtemps attendu mon heure et quand j’en ai eu le courage, j’ai
mis les voiles. Je suis un homme millénial, cis et français, privilégié
blanc parmi d’autres, cocktail socio-construit et déterminé très avantageux pour évoluer en paix dans ce bas-monde : je partais donc d’un
bon pied pour marcher dans le sillon de Jack Kerouac ; je n’avais
qu’à réserver un billet d’avion avec mes maigres économies d’étudiant, envoyer mon baluchon sur les épaules, tendre mon passeport
passe-partout à un douanier méticuleux, traverser le monde en survolant toutes ces régions où l’on vous kidnappe pour ci ou pour ça.
Au moment où j’écris, je vis sur Samos, une île de la mer Égée
où je travaille au contact de cinq mille errants des feus mondes colonisés stagnant dans l’attente des recours bureaucratiques de la politique migratoire de la Commission Européenne. Je n’ai pas pris de
billet de retour, mais je sais que je partirai bientôt – j’ai cette chance,
savoir que je partirai d’un claquement de doigts. J’ai conscience que
mes faits et gestes reflètent mon essence d’Occidental, de consommateur mondialisé : la feta que j’achète au supermarché, le chocolat
que je consomme sans modération, les choix que je fais, l’air que je
respire. « Sur cette planète globalisée, j’ai plus de valeur monétaire
que des milliards d’êtres humains coincés dans leurs conditions et
il n’y a rien que je puisse faire pour y échapper… C’est la seule
errance qui me soit impossible…
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