Arras dans la tourmente de la Grande Guerre
1Dès le début du mois d’octobre 1914, la « course à la mer » entraîne Arras dans le premier conflit mondial. De violents combats se déroulent devant Arras à partir du 6 octobre et sont le point de départ des bombardements subis quotidiennement par la ville pendant quatre ans. La crainte de voir la ville anéantie sous les coups répétés de l’artillerie adverse a pour conséquence le départ massif des civils dont le nombre passe de 26 080 habitants à moins de 1000 au cours de l’été 1915. Cet exode de la population et le départ des administrations favorisent la mise sous tutelle de la cité par l’autorité militaire. Celle-ci ne tarde pas à transformer la ville en véritable camp retranché (Jacques, 2002). Cette militarisation s’accentue avec l’arrivée en mars 1916 des troupes britanniques venues relever l’armée française qui a, en ce début d’année, besoin de tous ses effectifs pour contenir l’avance allemande dans la région de Verdun. S’ouvre alors pour ces soldats de l’Empire britannique une quotidienneté de l’ombre : ils vivront dans les carrières souterraines pendant des mois.
La planification et les préparatifs de l’offensive du printemps 1917
2Lors de la conférence de Chantilly le 16 novembre 1916, les états-majors alliés décident des grandes orientations militaires de 1917 : le général français Joffre et le général anglais Haig jettent les bases d’une action commune pour rompre le front allemand. Dans la droite ligne des combats d’Artois de 1915 et pour tirer parti de l’avance anglaise en Picardie, le général en chef Joffre préconise Arras comme pivot de la future offensive de printemps (Jacques, 1997).
3La ville d’Arras située en zone britannique fut pressentie pour être la base de départ d’une offensive de diversion. Cette action combinée avec une attaque d’envergure dans le secteur français, sur le chemin des Dames, situé à proximité de la ville de Laon devait attirer les troupes de réserve allemandes. L’offensive d’Artois est alors confiée au haut commandement britannique en la personne du maréchal Haig. Les stratèges anglais, avec à leur tête le général Allenby, allaient rapidement percevoir l’intérêt de faire d’Arras la base de départ de leurs attaques. Le site convenait parfaitement à la concentration discrète de troupes et à leur hébergement sans attirer l’attention des Allemands. Le lieu de la bataille était dès lors fixé et l’objectif serait la prise des villes de Cambrai et de Douai. Le choix d’Arras allait d’ailleurs se révéler judicieux, notamment après le retrait allemand amorcé entre Arras et Soissons en février 1917. Le secteur d’Arras demeure en effet le seul en contact direct avec les lignes adverses. Les Alliés disposant de trop peu de temps pour reconstituer de nouvelles bases pour une attaque dans ces régions certes libérées, mais sciemment dévastées par l’ennemi lors de l’opération Alberich qui voit le retrait des troupes allemandes sur la ligne Hindenburg.
4Lors des préparatifs de l’attaque de diversion, l’une des principales préoccupations du haut commandement britannique est de concentrer les troupes en grand nombre sans attirer l’attention de l’adversaire. En effet, pour éviter les grandes hécatombes survenues au cours des batailles de Verdun et de la Somme, l’année précédente, l’état-major britannique élabore un plan ambitieux. Un vaste réseau souterrain (environ 20 km), intégrant une partie des carrières médiévales permettra aux troupes de surgir à quelques dizaines de mètres devant les premières lignes ennemies.
Arras 1917, le rôle des carrières dans la Bataille d’Arras
5Comme de nombreuses villes du nord de la France, Arras a exploité son sous-sol pour extraire la pierre calcaire. Ces carrières se sont révélées être un atout majeur dans la préparation de la Bataille d’Arras, programmée pour le 9 avril 1917. Les travaux d’aménagement confiés aux tunneliers néo-zélandais transforment ces souterrains en un cheval de Troie qui devait permettre aux troupes britanniques de surgir à quelques mètres des lignes allemandes. L’étude des archives réalisée conjointement au travail de terrain, a révélé que ces lieux avaient fait l’objet d’importants aménagements dans la perspective de cette offensive. C’était les premiers pas vers la redécouverte d’une histoire oubliée : la Bataille d’Arras. Une bataille qui place l’impressionnant réseau souterrain exploité sous la ville depuis le Moyen Âge au cœur de la stratégie menée par les troupes du Commonwealth (Jacques et al., 2007).
6Pour effectuer ces travaux, l’état-major fait appel aux tunneliers néo-zélandais déjà en place pour des travaux de sape dans le cadre de la guerre des mines. Le journal de marche des tunneliers néo-zélandais nous permet de suivre les grandes étapes de la transformation des carrières. Les premiers travaux sont consacrés à la connexion des différentes carrières entre elles. Puis à la mise en sécurité des lieux, c’est-à-dire le boisage systématique des points faibles. La compagnie des tunneliers néo-zélandais est composée d’engagés volontaires et sont issus à plus de 85 % du secteur minier ou de l’exploitation de carrières. Ils sont soit nés en Nouvelle Zélande ou immigrés anglo-saxons de fraîche date. Le premier contingent d’environ 450 personnes est commandé par le Major Duigan. Il est au sein de ce groupe le seul militaire de carrière. Le corps des sous-officiers est constitué de géomètres, d’ingénieurs ou de mineurs d’expérience. On peut noter dans les effectifs du 3e et 4e renfort arrivé en novembre 1916 et février 1917 la présence de 43 tunneliers d’origine maorie. Avant de rejoindre le front, la compagnie a suivi une formation en Angleterre de quelques semaines, afin d’acquérir les notions directement liées aux nouvelles tâches qui vont leur être confiées, notamment dans l’utilisation des appareils d’écoute et de la détection des gaz.
7Pendant les six mois que vont durer les travaux, les trois équipes néo-zélandaises vont se succéder nuit et jour à raison de 8 heures de travail par poste. Dans les premières semaines, ce sont surtout les creusements de galeries de connexion qui occupent les tunneliers. Les tunnels de 2 m de hauteur sur 1,20 m de large sont réalisés au rythme de 80 à 90 m par jour, avec des records à plus de 100 mètres. Dès leur achèvement, ces galeries sont dotées à leurs extrémités de portes anti-gaz et d’une charge explosive destinée à faire effondrer la galerie, en cas de découverte des lieux par les allemands ; à l’exception d’un effondrement accidentel, survenu le 17 décembre 1916, et qui a fait quatre blessés légers, aucun incident majeur n’est à signaler durant cette période. On a également retrouvé, dans les archives néo-zélandaises la mention de mouvements d’humeur survenus au cours de ces travaux. Le premier concerne une demande menée auprès de l’état-major pour passer outre l’obligation de saluer systématiquement les officiers britanniques lors de leurs visites de contrôle, sous prétexte que cela retardait l’avance des travaux. La seconde revendication concerne les unités britanniques venues en soutien pour réaliser les terrassements et qui ne jouissaient pas des mêmes avantages que les tunneliers, notamment pour la nourriture. Dans les deux cas, les Néo-Zélandais ont obtenu satisfaction.
8Au début du mois de janvier, les gros travaux de terrassement en direction des lignes ennemies sont achevés. L’électrification du réseau commence le 15 janvier 1917. Cet éclairage est constitué d’ampoules disposées en moyenne tous les 12 mètres et alimenté par des groupes électrogènes ; l’installation électrique est surtout destinée à améliorer le flux des milliers de soldats et à éviter toute congestion des sorties lors de l’assaut prévu pour le 9 avril. Le transport des matériaux est facilité à compter du 25 du même mois par la mise en place de voies ferrées de 60 cm. Des panneaux permettent de se diriger dans ce réseau qui se développe sur plus de 20 km. Ces indications sont doublées par une numérotation alpha-numérique systématiquement apposée sur les piliers, et qui permettra une localisation précise des troupes stationnées dans ce dédale de galerie. Ces informations sont réalisées sur des supports en bois ou en tôle, à l’aide d’un pochoir, ou sur les parois calcaires suivant un tracé préparatoire repris au pinceau à la peinture noire. On a observé très peu de repentirs, ce qui sous-tend une minutieuse préparation pour la réalisation de cette signalisation. Avant l’installation de ce système de repérage, les tunneliers ont nommé les carrières à l’aide de noms de grandes villes néo-zélandaises avec la même disposition géographique que sur leurs îles natales. Cette initiative constitue un excellent moyen mémo-technique pour s’orienter dans ce vaste réseau souterrain.
9Les panneaux indiquent l’accès au poste de commandement, aux antennes médicales et aux cuisines. Ces deux dernières structures sont systématiquement placées à proximité l’une de l’autre, suivant en cela le règlement institué dans les casernements britanniques. La signalétique informe sur la localisation des points d’eau et des commodités, qui font l’objet d’un suivi sanitaire strict comme l’indique les recommandations retrouvées à proximité de ces lieux, telles que les mentions « No spitting allowed », « Boil or chlorinate-Add ½ measure Lime », qui préconise ici de faire bouillir l’eau ou l’utilisation de chlorure de chaux pour purifier l’eau. Ce produit est efficient dans les 30 minutes et détruit les micro-organismes. Pour désinfecter les latrines, on utilise du crésyl, comme en contenaient les fûts découverts à proximité et qui ont gardé l’empreinte olfactive de ce puissant produit à base de phénol. Ces directives, émanant directement du commandant de bataillon, sont appliquées par l’officier médical en charge du respect de ces règles sanitaires, aidé en cela par un « commandant de cave » disposant des forces de police nécessaires. Ce dernier a également la responsabilité de la répartition spatiale des différentes unités qui doivent séjourner dans ce cantonnement souterrain.
10Pour répondre aux besoins élémentaires des hommes, des douches et des réservoirs sont aménagés dont l’approvisionnement en eau est assuré par des canalisations ou des puits. Le débit se doit d’assurer la distribution quotidienne et par homme de 4,5 litres dans les cantonnements et d’1,5 litre sur le champ de bataille. Les latrines pour officiers et hommes du rang sont différenciées et installées dans chaque salle à proximité des accès, quand cela est possible, pour favoriser la ventilation. Réparties en deux séries de vingt places chacune, elles doivent suffire aux besoins d’un bataillon, soit 700 à 800 hommes. On crée également un nombre identique d’urinoirs et de douches. Sans satisfaire pleinement aux règles sanitaires en usage dans l’armée anglaise pour l’installation d’un campement provisoire, les carrières d’Arras offrent cependant une grande sécurité malgré la proximité du front et un relatif confort aux hommes avant leur montée aux lignes. La fin du mois de mars voit l’achèvement de ces travaux souterrains, les plus importants jamais réalisés par l’armée britannique dans ce domaine.
11Le 3 avril 1917, un premier bataillon peut utiliser les galeries et passer du centre de la ville aux carrières situées sous les quartiers Saint-Sauveur et Ronville, distants de quelques dizaines de mètres des lignes adverses. À partir de cette date, la présence des troupes combattantes qui se succèdent dans les sous-sols arrageois est de courte durée, comme l’attestent les journaux de marche. Les troupes britanniques vont se relayer dans cet immense abri et laisser des milliers de graffitis et de dessins. Ces écrits portent témoignage de cet épisode et nous renseignent sur l’état d’esprit qui régnait en ces lieux à la veille des combats. Il est intéressant de noter que ces inscriptions ne révèlent aucune critique de la hiérarchie, ni même d’invectives contre l’ennemi, à l’exception d’un « À mort les boches » écrit en 1916 par un fantassin français du 20e régiment d’infanterie de Marmande. On peut s’étonner également de ne trouver aucun pamphlet anti-guerre dans un lieu pourtant propice où il est aisé de s’isoler dans ces kilomètres de galeries, et où l’on peut donner libre cours à ses ressentiments de façon discrète et anonyme. Cette auto-censure est d’autant plus étonnante que les troupes britanniques ne sont plus en 1917 exclusivement constituées de soldats de métier ou de volontaires de l’armée Kitchener, mais d’un nombre de plus en plus important d’appelés, depuis que la conscription a été rendue obligatoire au début de l’année 1916. Un autre point peut être souligné et a contribué considérablement à la lecture de ces inscriptions, c’est l’absence de palimpseste sur les parois des galeries. Cette observation tend à prouver que les dizaines de milliers d’hommes qui se sont succédé dans les carrières entre 1916 et 1918 ont respecté et préservé les messages de leurs prédécesseurs, qui tentaient par ces quelques signes de laisser une trace de leur passage. L’inventaire actuel se compose d’indications patronymiques avec parfois l’appartenance régimentaire pour 53 %. Viennent ensuite les indications officielles (panneaux directionnels, localisations des cuisines, latrines, ainsi que des lieux de commandement) pour 29 %.
12Le thème religieux est abordé pour 7 % avec des prières, des remerciements tels que « Merci Dieu d’avoir créé cet abri contre les obus et les balles » ainsi que de citations bibliques ou sous la forme de dessins figurant des croix, des calvaires, des calices. Des découvertes de dépôts votifs qui font davantage appel à la superstition (monnaies, coquillage) viennent compléter ce registre. Les 11 % restants sont répartis en différents sujets, évoqués à travers des dessins et des inscriptions. On retrouve le cinéma, avec Charlot, dont la silhouette caractéristique a été composée dès 1914, mais aussi Krazycat, créé en 1913 par G. Herriman, et porté à l’écran en 1916. La bande dessinée est également présente avec la figuration de Jiggs, le père de la famille Illico. Elle est apparue sous la plume de G. Mc Manus en janvier 1913 et fait l’objet d’un court métrage en 1915. On peut également lire des plaisanteries concernant la valeur des différentes unités combattantes qui se succèdent dans les carrières, comme le 4e régiment de Londres, qui prétend être « The first on field, last off » ; cette assertion a été détournée par le régiment suivant en « Dernier sur le champ de bataille, et premier à le quitter ». Il en est de même pour cette autre division qui se qualifie de « Die hards », qui sera rapidement complétée par une surenchère tout aussi aléatoire durant cette période émise par une autre unité, autoproclamée les « Never dies ».
13Un nombre significatif de représentations féminines a également été observé. À côté de portraits très soignés de jeunes femmes, dont les traits figurent l’être aimé ou l’idéal féminin, on remarque des croquis où l’érotisme n’est pas absent. Nous avons classé dans ce registre les bustes masculins taillés en haut relief dans la craie, ainsi qu’un bestiaire composé de tigres, chevaux, chats, et d’un étonnant mammouth, transmis par un amateur d’art préhistorique, peut être inspiré par les récentes découvertes de cette période, effectuées au sud d’Arras lors du creusement de tranchées en août 1918, par la 42e division britannique.
Ambulances et services de santé
14La même campagne de travaux a vu se réaliser un véritable hôpital, situé sous le carrefour de la rue du Temple et de la rue de Saint Quentin. Lors de la préparation de la Bataille d’Arras, l’évacuation des blessés a également fait l’objet d’une attention particulière de la part du colonel A.G. Thompson, responsable du service médical du 6e corps de l’armée britannique. Son projet consiste à regrouper tous les moyens de transport des services de santé des différentes divisions. Cette mise en commun des véhicules motorisés et hypomobiles a permis des rotations plus rapides entre la ligne de front en constante progression et les bases médicales arrière. Ce dispositif est complété par la création d’une antenne médicale principale implantée dans les carrières souterraines d’Arras, avec une capacité d’accueil d’environ 700 blessés. Elle est gérée par la 7e, 8e et 142e Field ambulance de la 3e Division et secondée dans cette tâche par la 36e Field ambulance dépendant de la 12e Division.
15Elle est munie de tous les services nécessaires au personnel soignant, à savoir d’une salle d’opération, de salles d’attente, d’où l’on pouvait répartir au mieux les blessés, de lieux de repos pour les brancardiers, de réserves ainsi que d’une morgue. L’intendance est également assurée avec l’installation d’une cuisine dotée de l’eau courante. Un groupe électrogène fournit le courant nécessaire à l’éclairage de cet hôpital de campagne. Des panneaux indicateurs peints à même les parois calcaires per mettent un accès aisé à ces différents services. Il faut environ 2 heures pour effectuer le transfert des blessés du champ de bataille à l’antenne médicale ; la réduction des délais ainsi obtenue a permis de sauver de nombreuses vies. Ces informations recueillies au cours de ces recherches nous permettent également de mieux apprécier l’effort matériel et humain consenti par les forces britanniques pour faire de ces souterrains un véritable cantonnement capable d’accueillir plus de 24 000 hommes, soit l’équivalent de la population de la ville d’Arras à la veille du premier conflit mondial.
Un bilan mitigé
16Le bilan de la Bataille d’Arras qui s’est déroulé du 9 avril au 17 mai n’est cependant pas négligeable, au-delà des 20 000 prisonniers et de la saisie d’un important stock d’armes. Le gain de terrain a permis le recul de la zone de combat sur une profondeur d’une dizaine de kilomètres et le désenclavement de la ville d’Arras qui subissait des bombardements depuis octobre 1914. Il faut toutefois pondérer ce succès ponctuel par les pertes qu’il a engendrées dans les effectifs alliés. Un peu plus de 150 000 hommes ont été mis hors de combat durant les mois d’avril et mai 1917. Le total des pertes, du côté allemand, est plus difficile à évaluer faute de sources fiables, mais peut être estimé à 120 000. La grande offensive allemande de mars 1918 reprend le terrain durement acquis au printemps 1917 (Le Maner et Jacques, 2010).
17L’arrivée des troupes allemandes aux portes d’Arras provoque la réutilisation du réseau souterrain qui sert de base de départ à l’avancée canadienne lors de l’offensive de la fin du mois d’août 1918. Après la guerre, l’armée britannique assure la fermeture des accès. Il faut attendre le milieu des années 1930 pour que les carrières localisées dans le quartier de la gare soient aménagées par les services de la Défense Passive. Mais déjà la mémoire s’efface, ces souterrains sont associés à des moments tragiques de l’histoire d’Arras et en période de paix chacun s’efforce de les oublier…
18Les recherches menées en archives ont apporté des témoignages sur le quotidien dans les carrières. En voici quelques passages…
19Malcom Ross, correspondant de guerre pour la Nouvelle-Zélande, 1917 : Il y a quelques jours, je me suis rendu à Arras à la veille de la grande Bataille. Les troupes s’abritaient dans des cavernes dans les entrailles de la terre, où elles se tenaient prêtes, le moment venu, à partir en masse derrière le barrage assourdissant de l’artillerie et à travers les lignes allemandes. Nous nous approchâmes de l’une des entrées de tunnel, et descendîmes par pallier le long d’un plan incliné ; en moins de deux nous nous trouvâmes dans un autre monde, où les habitants allaient et venaient comme des abeilles dans une ruche. Le long des parois du tunnel étaient fixés des câbles pour l’éclairage électrique. De chaque côté il y avait de grandes pièces et des salles dont le plafond était très élevé. Dans l’une d’entre elles nous trouvâmes des Néo-Zélandais qui installaient une dynamo ! Je regardai le tableau électrique, et m’aperçus qu’il était en marbre. « Où diable avez-vous déniché ça ? » Demandai-je. Un ingénieur à lunettes qui vissait un boulon me répondit « Oh, on a trouvé ces dalles dans les toilettes de la gare ! » Un nouvel exemple de l’esprit d’initiative qui règne de l’autre côté du globe !
20John William Coverdale, 8e East Yorkshire Régiment (3e division), en date du 8 avril 1917 : Ma chère femme, Nous sommes dans une grande cave, attendant les évènements. Ce matin nous avons eu un service religieux qui m’a été d’un grand réconfort et qui réveille la foi que Dieu peut arranger toutes choses au mieux. Puisse-t-il te bénir toujours. Ton jack à jamais.
21E.H. Wanless, 5e Border Regiment, en date du 17 avril 1917 : De repos dans l’endroit le plus merveilleux que j’ai jamais vu. (Les caves d’Arras) 30 mètres sous terre. (qui va contenir une armée), l’électricité, les latrines et l’eau. Tout est en craie. Cette craie était utilisée pour bâtir la ville d’Arras (connue sous le nom de la ville de craie). Une belle ville en effet, avec de grands bâtiments. L’avancée fut effectuée sous le front, via cette cave, qui, semblerait-il, mesurait 18 kilomètres (C’est ce que tout le monde disait). Je viens juste d’écouter le groupe de musiciens de Durand, qui me fait penser que la vie vaut d’être vécue plus que tout. Personne ne saura jamais ce que les Tommies ont enduré et vécu. La boue, l’humidité, les obus, les mitrailleuses et les biscuits secs.
22M.W Littlewood, médecin au 47th Field Ambulance de la 15e division : Nous avons passé la nuit du 3 avril à nous installer dans les caves des n° 88, 89 et 90 rue de la Taillerie, qui relie la Petite à la Grand’Place d’Arras. Notre cave se trouvait sous un magasin de verreries. Mon ordonnance mit soigneusement de côté, un stock de coupes à champagne pour les officiers. (…) La ville est bâtie sur un véritable dédale de caves et de carrières dans la craie, un grand nombre d’entre elles datant de l’époque romane. On voyait partout des piliers sculptés et des inscriptions. Toutes ces cavernes étaient remplies de troupes destinées à émerger par les égouts principaux de la ville dans 6 jours. 21 ans plus tard, Nance et moi avons revisité ma cave, qui se trouvait alors sous une épicerie. Quand j’ai demandé au gérant si nous pouvions voir le passage menant aux égouts, il nia son existence mais fut très impressionné quand je déplaçais une étagère pour dévoiler sa présence.
23G. R. Downing, soldat au 13Rd London Regiment relate que lui et ses compagnons avaient atteint les faubourgs d’Arras, marchant en file indienne à travers des rues dévastées. La plupart des grands bâtiments étaient réduits à des décombres. Partout régnait un étrange silence. Ils s’arrêtèrent devant ce qui semblait être l’entrée d’un abri souterrain. Leur guide sortit des bougies de son sac et en donna une à un homme sur quatre, qui reçurent l’ordre de les allumer. Ils descendirent ensuite un escalier de pierre. C’était difficile car il y avait trois hommes entre lui et la bougie. L’escalier tournait tous les trois ou quatre mètres et il faisait très sombre. Ils atteignirent finalement le fond et entrèrent dans un passage droit, large d’environ 1,80 m au centre duquel des rails étaient installés. À la fin, ils arrivèrent dans une grande carrière de 12 m de haut et 18 m de large avec un plafond voûté. Ils apprirent que c’était une des nombreuses caves sous la ville d’Arras, qui sont toutes reliées par des portes en arcades. On leur montra leurs quartiers et leurs lits, qui étaient faits d’un cadre en bois recouvert d’un grillage en guise de sommier.
24Extrait de l’ouvrage Cannon Fodder, An Infantryman’s Life on the Western Front 1914-18 de A. S Dolden, 1st London Scottish Regiment : Nous sommes arrivés à Ronville, un faubourg d’Arras. (…) Nous sommes descendus à une profondeur considérable par un puits creusé dans la craie et arrivés au fond, nous avons longuement marché dans les entrailles de la terre. Nous avons été cantonnés dans une immense caverne qui s’ouvrait au bout du tunnel le long duquel nous avions marché. La brigade entière et aussi le quartier général de la brigade étaient cantonnés dans les nombreuses carrières aux alentours. Il y avait là de quoi loger au moins quatre mille hommes, l’eau courante et, suprême raffinement, la lumière électrique qui éclairait faiblement. Les carrières étaient si hautes de plafond par endroits qu’on aurait dit des cathédrales. L’étendue semblait illimitée et atteindre des kilomètres. On disait qu’ils allaient jusqu’à Wancourt, et c’était à 10 kilomètres de là. De plus, les Allemands étaient supposés être à l’autre bout. Il y avait un sérieux inconvénient, mis à part l’atmosphère malsaine, c’était que les carrières avaient été creusées de telle façon qu’il n’y avait pas de recoin, et donc, il était impossible de s’abriter des courants d’air. Des gros morceaux de craie tombaient de temps à autre du plafond sans le moindre avertissement. Il y avait aussi un petit chemin de fer qui courait dans le tunnel principal.
25Extrait d’un courrier d’un arrageois habitant le quartier Saint-Sauveur adressé à sa famille en 1919 : Le clou de tout cela c’est, devinez ? Un immense souterrain découvert par les anglais sous notre terrain dans les anciennes carrières qui ont été signalées à l’interprète de Frévent. On y descend par une entrée qui existe sur la lisière du jardin Fromont ; il y a cinquante marches environ. J’y suis descendu avec un long bout de bougie. Ce sont de magnifiques souterrains, on peut y passer avec de grands chariots, les voûtes sont taillées à même dans d’immenses blocs de pierres et sont parfois élevés de 10 à 15 mètres. Ces souterrains vont jusqu’à Tilloy. Je m’y suis promené un quart d’heure très prudemment pour ne pas m’égarer. Il y a des poteaux indicateurs : vers Tilloy, vers Arras, vers Beaurains. Il y a un de nos bancs de jardin qui se balade à un carrefour dans une autre galerie, j’ai rencontré la tête d’une de nos horloges à poids et une glace cassée et puis encore des tableaux encadrés méconnaissables détériorés par l’humidité. Des bancs, des tables, des chaises etc… L’autre coup, j’arrive à une grosse tour en briques ? Devinez ? C’est le cuvelage de notre puits qui passe à travers ces carrières. Les Anglais en gens pratiques, s’en sont servis tout bonnement comme cheminée. Comme il fait froid dans ces cavernes, ils avaient installé des calorifères et les tuyaux sont emmanchés dans la maçonnerie du puits qui servait ainsi de cheminée d’appel. Il y a encore tous les tuyaux mais les calorifères sont enlevés. Tu vois, ma chère Marguerite, nous pouvons créer une agence de tourisme pour la visite de cavernes qui abritèrent peut-être plus de 5 000 Anglais. Vous pourriez d’ailleurs les visiter lors de votre retour.
Bibliographie
Bibliographie
- Jacques A. 1997, La Bataille d’Arras, Document d’archéologie et d’histoire du xxe siècle, n° 5.
- Jacques A. 2002, Arras, géographie d’une ville assiégée, Actes du colloque La Grande reconstruction, Arras, 2000, pp. 361-370.
- Jacques A., Girardet J.-M., Letho-Duclos J.-L. 2007, « Somewhere on the western Front », dans Document d’archéologie et d’histoire du xxe siècle, n° 8.
- Le Maner Y., Jacques A. 2010, Combattants de la Grande Guerre – Photographies de l’enfer et du chaos – Combattants et paysages de la Grande Guerre dans le Nord-Pas de Calais, Catalogue de l’exposition présentée à la Coupole d’Helfaut 2008/2009, Éditions Ouest-France.