Corps 2014/1 N° 12

Couverture de CORP1_012

Article de revue

Les corps de pierre, de bronze ou de fonte des monuments aux morts

Pages 131 à 133

1C’est la Révolution qui donne une identité au soldat. Avant 1789, seuls les grands capitaines pouvaient marquer l’histoire et laisser, par les monuments une trace visible, dans la cité. Le principe d’égalité contient la nécessité de porter le fusil – et de mourir si nécessaire – pour défendre la patrie en danger. L’égalité confère donc au militaire, qui est aussi citoyen, une personnalité et il ne peut plus être possible d’inhumer, de manière anonyme dans une fosse commune, les soldats morts au combat. Il est d’abord envisagé d’élever des colonnes départementales avec le nom des soldats tués à l’ennemi. Un décret de 1804 stipule que chaque inhumation doit être faite dans une tombe nominative. Finalement et en dépit de ces idées égalitaires, la période des guerres de la Révolution et de l’Empire s’achève avec « seulement » les noms des généraux sur l’Arc de Triomphe. Plus tard, au début de la IIIe République, des monuments commencent à être érigés d’une part à la mémoire des héros et des victimes du coup d’État de 1851 ainsi qu’à celle des morts de la guerre contre la Prusse en 1870.

2L’année 1914 s’achève avec un total de 300 000 morts. Jamais la France n’avait connu une telle hécatombe guerrière en si peu de temps. Dès les premiers mois de 1915, de nombreuses communes rurales ou urbaines décident d’ouvrir un livre d’or des morts au combat. Les premières plaques en marbre avec le nom des morts sont aussi apposées dans les mairies et parfois dans les églises. Ces initiatives s’amplifient durant toute la guerre. La loi du 30 mai 1916 précise les conditions de mise sur pied obligatoire d’un comité communal pour la création d’un monument commémoratif présidé par le maire. Celle du 25 octobre 1919 définit le principe de l’aide financière qui peut être accordée par l’État.

3À la fin de la guerre, des stèles monumentales commencent à être construites. Néanmoins, une ordonnance de 1816, alors toujours en vigueur, interdit la construction de tout monument commémoratif sans l’aval de l’État. Il doit donc prendre à son compte l’initiative de l’érection de monument. Une circulaire ministérielle du 10 mai 1920 enjoint aux municipalités de fournir à l’État un dossier expliquant quel type de monument va être construit avec plan, dessin et devis. Il est nécessaire que la commune obtienne aussi l’avis d’une « Commission départementale chargée de l’examen de l’esthétique du monument du point de vue artistique ». En effet, il est apparu très vite que des sociétés commerciales proposaient des monuments dont la qualité architecturale et esthétique était douteuse et cherchaient principalement à faire des bénéfices sur le malheur des populations, rurales en particulier. Alors que la grande majorité des monuments est construite avec ou sans autorisation, le décret du 22 juillet 1922 assouplit la procédure puisque l’autorisation est déléguée au préfet dans chaque département.

4Quelques 36 000 monuments aux morts sont ainsi érigés dans les années vingt sur la place du village ou l’une de celles des villes ou encore dans les cimetières. Le financement est principalement réalisé par les budgets communaux avec parfois de généreux donateurs, souvent des familles qui ont perdu un ou des enfants durant le conflit. La participation de l’État est seulement d’environ 5 % ce qui explique que nombre de communes n’ont pas sollicité l’autorisation de l’État ou du préfet et l’avis de la commission artistique. La forme privilégiée est celle de l’obélisque, mais des stèles plus ou moins monumentales sont aussi érigées tout comme des portiques, parfois ce sont des colonnes brisées symboles du pacifisme. Les ornements sont assez répétitifs : couronnes de feuilles de chênes et de lauriers, palme, urne funéraire, croix de guerre. Outre les noms des morts, les inscriptions sont glorieuses souvent, grandiloquentes parfois, pacifistes aussi. Globalement, il n’y a pas une grande originalité dans ce type de monument. Les monuments qui font appel à des statues sont finalement minoritaires, mais ce sont souvent ceux-là qui sont remarqués aujourd’hui. Il en existe deux grands types : ceux exaltant la victoire et ceux rappelant le sacrifice et la douleur. La statuaire se décline ainsi sous ces deux formes.

5Lorsqu’il y a une seule statue, elle représente généralement un soldat debout tenant son fusil dans une attitude fière et martiale. Le soldat vainqueur ne peut être que debout. Il témoigne ainsi pour tous ses camarades dont les noms sont gravés sur des plaques de marbre fixées sur le socle du monument. Si quelques artistes connus ont pu réaliser certaines œuvres de ce type, c’est souvent une réalisation industrielle en fonte moulée. Généralement, tous les détails sont parfaitement figurés : les armes, le sac, les musettes, le brelage, les décorations. Ce soldat de métal est parfois peint de manière très réaliste.

6Lorsque le monument est plus complexe avec plusieurs statues, les références ne sont plus les mêmes et le message s’inscrit dans une logique plus importante que les témoignages glorieux. La figure du soldat est souvent alors accompagnée d’une figure féminine. C’est la mère, l’épouse qui pleure la mort de l’être cher. C’est aussi une allégorie de la République qui tient le soldat mourant dans ses bras. Les piétas des églises sont parfois des modèles pour des monuments où la grandeur et la douleur sont mises en scène. La statuaire n’est plus alors de la fonte moulée mais souvent du bronze, de la pierre, du marbre. La douleur a besoin de matériaux nobles et ne recherche pas un réalisme de détail. Le monument s’inscrit dans une religion laïque : la République est sensible à la douleur et à la mort de ses fils. « Dans toutes les villes et dans les villages les plus reculés, on ne compte plus les représentations calquées sur la descente de croix : le poilu git dans les bras de la République, Marianne remplace Marie. » (Deroo, 2013). En effet, il convient de donner un sens à la mort. La France, fille ainée de l’Église (apostolique et romaine) et de la Révolution, qui a promulgué la loi de séparation de l’Église et de l’État mais dont les clochers dominent toutes les villes et villages, a besoin de donner du sens – un sens – à la mort de ses fils.

7Le monument aux morts, et plus particulièrement ceux dont la statuaire fige les corps de ces héros dans le métal ou la pierre, donne à la fois du sens à la République et à la douleur des familles meurtries. Chaque statue anonyme porte le nom de l’un des fils de la République.

Bibliographie

Bibliographie

  • Mattone-Vastel S. et Meisonnier G., 1998, L’Art et le mémoire de 1914-1918 dans le Var, Commission départementale de l’information historique pour la Paix, ONACVG, Toulon.
  • Deroo E., 2013, « Quand les héros deviennent victimes », dans La Mort hier et aujourd’hui, Marianne, Hors série avril-mai.

Date de mise en ligne : 01/06/2017.

https://doi.org/10.3917/corp1.012.0131
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