Notes
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[1]
National Society for the Promotion of Occupational Therapy (nspot). Aujourd’hui l’Association est connue sous le nom de l’aota (American Occupational Therapy Association).
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[2]
Personnes possédant une formation dans l’enseignement ou dans les soins (infirmiers, ergothérapeutes, enseignants d’art…).
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[3]
Après la création des ife à Paris et Nancy en 1954 sont arrivés Lyon en 1965, Montpellier en 1971, Berck en 1972, Créteil et Rennes en 1973, Bordeaux en 1974. Depuis 2009 ont ouvert quinze nouveaux ife à Meulan-Les Mureaux, Alençon, Saint-Sébastien-de-Morsent, Hyères, Marseille, Saint-Denis à la Réunion, Tours, Mulhouse, Cébazat, Rouen, Laval, Limoges, Poitiers, Toulouse, Amiens.
1 Depuis quelques années des ergothérapeutes rejoignent les équipes des camsp et prennent une part active aux missions de ces centres. L’enquête nationale auprès des établissements et services pour les enfants et adultes handicapés de 2010 mentionne les ergothérapeutes comme étant représentés dans les camsp à hauteur de 8 % du temps de travail paramédical (Makdessi et Mordier, 2013). À l’origine issue de l’institution hospitalière, comment l’ergothérapie s’est-elle progressivement inscrite dans le champ médico-social ? En quoi le regard ergothérapique porté sur les situations des personnes accompagnées a-t-il évolué à travers le temps en même temps que cette diversification des lieux d’exercice ? Nous apporterons des éléments de réponse à ces questions en retraçant l’histoire de l’ergothérapie et de ses fondements et en identifiant quelques enjeux d’actualité pour le métier.
L’émergence d’une perception de l’activité comme outil thérapeutique
2 L’étymologie grecque du mot ergothérapie, εργοѵ, « ergon » accolé à « therapia », nous indique que c’est « par l’action » que l’ergothérapeute effectue son intervention thérapeutique (Pibarot, 2013, p. 53). L’activité est le concept central de l’ergothérapie qui se fonde au départ sur le principe que l’être humain est un être d’agir et que les activités peuvent être utilisées pour améliorer la santé.
3 Les ergothérapeutes aiment à se référer aux sources des cultures égyptienne, chinoise et grecque pour décrire les origines de ce principe fondateur. En effet, ces civilisations observaient déjà les bénéfices des activités physiques, productives et culturelles. En 3400 av. J.‑C., pour la classe dominante égyptienne, être en activité, tel que jardiner ou jouer de la musique, équivalait à être en bonne santé (Kristensen et Frydendal, 2007). En 2600 av. J.‑C., la culture chinoise valorisait l’exercice physique comme moyen de conserver la santé (Détraz, 1992). Dans la Grèce antique, des activités de loisirs, qui procuraient du repos et du bien-être, pouvaient être utilisées pour soigner (McDonald cité par Wilcock, 2001). Nous retrouvons cette même idée des bienfaits de l’activité chez Hippocrate qui observait les vertus de l’exercice sur la condition physique et sur le psychisme (Dubochet, Fragnière cité par Détraz, 1992).
4 Au-delà de ces traces lointaines, nous pouvons retrouver plus récemment, dans l’histoire française, des expériences s’appuyant sur ces mêmes constats. L’anthropologue H.‑J. Stiker (1997) a mis en évidence le recours à l’activité productive au xviie siècle pour traiter les personnes infirmes ou pauvres. À cette période, les hôpitaux généraux sont créés dans un double souci de charité et d’ordre public. La préoccupation d’occuper le pauvre et l’infirme apparaît et, à titre d’exemple, une manufacture est créée à l’hôpital des Invalides pour que ces personnes puissent tirer les bénéfices d’un travail.
5 C’est à la fin du xviiie siècle que l’utilisation de l’activité dans un but thérapeutique acquiert un statut légitime dans les institutions. En 1780, Tissot, médecin du roi, écrit un traité sur la gymnastique médicinale. Il y fait valoir l’utilité du mouvement et des exercices du corps dans le soin (Pierquin et coll., 1980). En 1786, le médecin aliéniste Philippe Pinel introduit le « traitement moral » à l’hôpital de Bicêtre (Détraz, 1992), inspiré par l’asile de Saragosse en Espagne (Licht, 1948). Les aliénés participent au travail dans les hôpitaux et les fermes attenantes en effectuant des activités quotidiennes et domestiques. Ces activités génèrent un profit financier pour l’institution, permettent de garantir l’ordre public, mais sont également instaurées dans un but d’humanisation et pour le bien-être de la personne. Persuadé de l’intérêt thérapeutique de cette méthode auprès des aliénés, P. Pinel favorise son développement et son application à grande échelle. Au cours du xixe siècle, dans toute l’Europe, les psychiatres s’y intéressent de plus en plus. Ils en observent des bénéfices et s’en saisissent comme d’un moyen de traitement. Ils mettent en place différentes activités telles que des activités manuelles comme de la vannerie ou du tissage, des activités corporelles comme de la natation, de la gymnastique ou de la danse, ou encore des activités expressives comme du théâtre, du chant et de la musique (Licht, 1948). Cependant la méthode n’est pas encore nommée « ergothérapie » ou « Occupational Therapy », mais plutôt « travail thérapeutique ».
L’ergothérapie devient un métier
6 C’est aux États-Unis que vont être nommés les premiers Occupational Therapists. En 1906 les premières formations en Occupational Therapy sont organisées pour des infirmières travaillant dans les hôpitaux psychiatriques. Une association [1] est créée en 1917 (Schwartz Barker, 1998). Le métier se fonde sur quatre principes : en premier lieu celui du traitement moral introduit par P. Pinel reposant sur l’idée que la routine des activités quotidiennes peut permettre le rétablissement ; en second lieu l’idée que l’art et les activités manuelles peuvent procurer de la satisfaction et concourir à la guérison, que la dimension thérapeutique réside à la fois dans l’occupation, la création et l’exercice physique. Le métier repose aussi sur les valeurs de rationalité et d’efficacité propres à la médecine. Enfin, il invite les femmes à intégrer le monde du travail : ayant pour but de « rendre service », il s’ajoute à la liste des métiers perçus comme féminins tels qu’infirmière et institutrice (ibid.).
7 En Europe, au début du siècle, les activités commencent à faire partie du traitement dans des hôpitaux, notamment en Grande-Bretagne, premier pays européen à établir une formation professionnelle, The Dorset House School, en 1930 (Wilcock, 2002). Les rencontres et les échanges autour de la méthode permettent sa promulgation. Un des psychiatres américains pionniers en matière d’Occupational Therapy, Adolf Meyer, rencontre en 1908 le Dr Henderson, médecin anglais qui sera le premier à embaucher une ergothérapeute au Royaume-Uni quelques années plus tard (ibid.). En effet, alors que l’utilisation de l’activité débute au Royaume-Uni à la fin du xixe siècle chez les activistes sociaux, le métier s’y développe rapidement au début du xxe siècle avec l’installation de services d’Occupational Therapy dans plusieurs établissements de santé.
8 En France, les premières activités ergothérapiques sont identifiées au cours du xxe siècle dans le milieu de la psychiatrie. Les premières traces écrites du mot « ergothérapie », en 1904, sont du psychiatre Marco Levi Bianchini (Bodin, 2014). Selon P. Coupechoux (2006), le terme désignait d’abord les infirmiers qui animaient des ateliers d’ergothérapie organisés par les médecins ou par des artisans.
9 Les Occupational Therapists arrivent en France pour travailler à la Pitié-Salpêtrière et à l’hôpital des Invalides lors de la Première Guerre mondiale (Pierquin et coll., 1980). Susan Tracy, considérée comme la première ergothérapeute française formée aux États-Unis, « s’occupe des blessés de guerre à l’hôpital des Invalides à Paris » (Gable, 2008, p. 86). Certaines femmes, parmi les reconstructing-aides [2] américaines venues en France avec l’armée américaine, étaient Occupational Therapists (Drake, 2003). Elles proposaient des activités manuelles dans le curative workshop auprès des hommes ayant un syndrome post-commotionnel.
10 C’est en 1943 que le terme d’« ergothérapie » est retenu par Georges Duhamel, secrétaire général de l’Académie française, pour remplacer celui de « travail thérapeutique » (Pibarot, 2013). Le métier trouvera véritablement sa légitimité à partir de la Seconde Guerre mondiale. À la fin des années 1940, les services de rééducation français commencent à employer des Occupational Therapists formés dans les écoles anglo-saxonnes. Le contexte socio-économique laisse aux futurs ergothérapeutes un territoire à exploiter et un rôle dans le milieu du soin. L’organisation internationale autour de la santé facilite la reconnaissance des nouveaux métiers paramédicaux. Les instances internationales telles que la League of Nations et l’Organisation mondiale de la santé (oms, 2012) ont la volonté de rassembler les pays dans le but de garantir collectivement la sécurité et la paix, mais également la prévention et le contrôle des maladies. Dans l’évolution de la société la protection sociale, l’organisation du travail, le regard porté sur les personnes malades ou vulnérables sont autant de facteurs favorables à l’officialisation de ces métiers. Les médecins reconnaissent l’effet des techniques et les instances étatiques voient un bénéfice économique à appliquer l’ergothérapie comme moyen de réhabilitation au travail.
11 Tous ces paramètres permettent l’ouverture d’écoles françaises privées, reliées au départ à des écoles de kinésithérapie. Les deux premières écoles, situées à Nancy et à Paris, sont créées en 1954 : celle de Paris à l’initiative du Pr Fèvre, vice-doyen de l’hôpital Necker--Enfants malades, et du Pr Hindermeyer, spécialiste des enfants ayant une malformation physique ; celle de Nancy à l’initiative du Pr Pierquin, du Dr Poulizac, et du doyen J. Parisot, président du comité exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (Charret, 2015a).
12 La spécialisation dans les divers champs de la médecine et la délégation du travail des médecins contribuent aussi à la légitimation des rééducateurs. Parmi les métiers de rééducation qui fleurissent à cette époque se trouvent le métier de masseur-kinésithérapeute réglementé depuis 1946 (Monet, 2003), celui d’ergothérapeute avec l’ouverture d’écoles en 1954, puis celui de psychomotricien qui obtient la reconnaissance d’un certificat de capacité en rééducation psychomotrice en 1963 (Ballouard, 2008).
13 À travers le temps, les ergothérapeutes bénéficient d’instances professionnelles qui servent à promouvoir l’ergothérapie et à garantir la qualité des interventions. La Fédération mondiale des ergothérapeutes, World Federation of Occupational Therapists, fondée en 1952, offre son soutien aux ergothérapeutes dans le monde entier. Au départ, le but de cette organisation est de soutenir la création des formations et des services d’ergothérapie et de garantir la qualité des prestations professionnelles (Mendez, 1986). En 1961, l’Association nationale française des ergothérapeutes est fondée et celle-ci devient membre de la Fédération mondiale en 1964. Le diplôme d’État est créé en 1970 et un premier décret de compétences est publié en 1986.
14 Le cotec, Council of Occupational Therapists for European Countries, institué en 1986, regroupe toutes les associations européennes en ergothérapie. Ses objectifs sont de permettre aux différentes associations nationales de travailler ensemble afin de développer, harmoniser et améliorer les critères de pratique professionnelle. L’enothe, European Network of Occupational Therapy in Higher Education, existe depuis 1995 à l’initiative du cotec. C’est un réseau thématique créé initialement à partir d’un financement erasmus. Il a pour objectifs principaux d’unifier les programmes d’enseignement afin d’améliorer la formation et le corpus de connaissances, et de promouvoir l’enseignement en ergothérapie en Europe.
15 Les politiques de santé ont modifié le paysage sanitaire et social depuis les années 1970. Le modèle hospitalo-centré a laissé peu à peu la place à un modèle centré sur le domicile (Trouvé et coll., 2015). En pédiatrie par exemple, les ergothérapeutes travaillaient depuis le début du métier principalement dans des institutions pour enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale ou de poliomyélite. Puis, avec le développement des établissements médico-sociaux, l’ouverture de structures de soins en ambulatoire ou à domicile, l’avènement de l’exercice libéral, les zones d’activités et les territoires de l’ergo--thérapie en pédiatrie se sont multipliés (Samson, 2009). Aujourd’hui, les ergothérapeutes sont représentés dans ces divers établissements et services. Mais, comme pour les autres paramédicaux, ils restent plus nombreux dans les structures accueillant des enfants ayant une déficience motrice ou un polyhandicap (Makdessi et Mordier, 2013).
L’évolution des fondements conceptuels du métier
16 Depuis l’émergence du métier, ses fondements conceptuels ont évolué en même temps que la notion de handicap. Nous pouvons distinguer des paradigmes successifs qui recouvrent les concepts et les idées philosophiques sous-tendant l’apprentissage et l’exercice de -l’ergothérapie (Morel-Bracq, 2009).
17 Le premier paradigme, holistique, correspond à la pensée des pionniers du début du xxe siècle s’inspirant du « traitement moral » de Pinel. Selon eux, la mise en activité est bénéfique pour le fonctionnement global de la personne car elle génère des bénéfices à la fois physiques et mentaux. Elle est un moyen de « divertissement » en ce sens qu’elle détourne les patients de leur ennui ou de leur divagation en mobilisant le corps (Pibarot, 2013). Les prémisses sur lesquelles ils s’appuient sont le fait que la relation entre le corps et l’esprit est indissoluble, celle que l’être humain a un besoin vital de s’accomplir dans des activités qui ont du sens, celle que l’expérience vécue est prépondérante, notamment dans le processus d’apprentissage. Ces pionniers se sont inspirés des philosophes américains pragmatistes de cette période : John Dewey et William James (Lang-Étienne, 1990). Dans cette perspective, les activités proposées étaient des activités du quotidien et des activités de travail. L’ergothérapeute offrait aux patients « la possibilité de vivre une journée équilibrée, aussi près de la normale que possible, dans un milieu institutionnel » (LeVesconte, 1935, p. 6, cité par Polatajko, 2001).
18 Le second paradigme, biomédical, s’est progressivement superposé au premier. Il a fortement imprégné l’ergothérapie en France des années 1950 aux années 1990. Ce paradigme, qui correspond à celui de la rationalité médicale contemporaine, considère l’être humain comme un ensemble de structures et de fonctions sur lesquelles il est possible d’agir isolément les unes des autres. Une conception biomédicale du handicap se retrouve dans la Classification Internationale des -Handicaps : déficiences, incapacités, et désavantages (cih), publiée en 1980 par l’Organisation mondiale de la santé d’après les travaux de l’épidémiologiste et rhumatologue Philip Wood (who, 1980). Le handicap est représenté comme l’enchaînement causal d’une déficience, d’une incapacité et d’un désavantage social. « La cih a été directement appliquée à l’analyse des soins donnés à l’individu […]. Dans ces domaines, les utilisateurs (et les rapporteurs de cette utilisation) comptent surtout des ergothérapeutes, des médecins, du personnel infirmier, des kinésithérapeutes et des représentants d’autres catégories » (ctnerhi, 1988).
19 Fondé sur cette conception atomiste de la personne, l’ergothérapeute utilise l’activité dans le but de restaurer ou d’améliorer une ou des capacités physiques ou mentales ciblées. Les activités artisanales et manuelles prennent une place prépondérante. Une activité de tissage vise par exemple l’amélioration de l’amplitude des mouvements, une activité de menuiserie, le renforcement des membres supérieurs, etc. En cas d’incapacités résiduelles, des aides techniques sont proposées à titre de compensation. L’ergothérapeute, qui exerce la plupart du temps en institution, propose ces activités dans l’hypothèse qu’elles aident la personne à atteindre une indépendance et une autonomie dans sa vie personnelle et sociale.
20 La création des écoles d’ergothérapie françaises se fait au moment où le paradigme biomédical est prépondérant. Dans le premier programme de formation, les activités manuelles sont identifiées comme étant le noyau et la spécificité du métier (Charret, 2015b). Les ergothérapeutes, formés pour être de bons techniciens, créent la plupart des aides techniques et des appareils de rééducation inexistants sur le marché, ce qui leur vaut le surnom de « bricolothérapeutes » (Charret, 2016).
21 Cependant, à l’usage, le paradigme biomédical devient l’objet de controverses car il ne prend pas suffisamment en compte les aspects subjectifs et environnementaux du handicap. Des débats apparaissent dès la publication de la Classification Internationale du Handicap, et se retrouvent chez les ergothérapeutes à partir de la fin des années 1980.
22 En 1987, Anne Lang-Étienne publie un article dans le Journal d’ergo-thérapie qui pose les bases d’une première remise en cause : « Si les ergothérapeutes défient le modèle médical atomiste, il semble que ce soit en toute modestie, dans l’ombre et le silence. Il est temps qu’ils se présentent comme des êtres d’autorité, qu’ils assument la marginalité de leurs convictions, qu’ils se fassent entendre. Il est temps qu’ils se montrent sûrs d’eux-mêmes dans l’humanité de leur approche […]. Ils seraient alors activement associés au mouvement holistique actuel » (Lang-Étienne, 1987, p. 17). Elle s’appuie sur les écrits du psychiatre et psychanalyste Carl Jung pour argumenter sa thèse. Elle inaugure une approche de l’ergothérapie renouant avec un regard plus holistique et puisant aux sources de la psychanalyse, en particulier celle de D. Winnicott. L’ergothérapeute s’y référant porte une attention toute particulière à la dimension subjective de l’activité humaine : la personne qui agit est en même temps un sujet qui s’exprime et établit des relations. Le thérapeute s’attache à percevoir la dynamique complexe s’instaurant entre le patient lui-même et l’activité de médiation. Isabelle Pibarot propose le terme d’« ergologie » comme une forme de connaissance de l’activité humaine s’intéressant « aux relations intimes, et de ce fait individuelles et singulières, des personnes avec leur environnement interne comme externe » (Pibarot, 2013, p. 175). Dans cette approche, l’ergothérapeute propose des activités thérapeutiques comme autant d’espaces relationnels où le patient peut mettre en jeu ses affects et ses représentations. Les activités proposées sont souvent des activités de création ou d’expression.
23 Au même moment, à la fin des années 1980, émerge une autre forme de remise en cause du modèle médical. « À une logique de la maladie, des soins, l’ergothérapeute doit substituer une logique systémique qui réunifie tous les aspects biologiques, psychologiques et sociaux qui caractérisent tout individu en tant que “système” » (Castelein et de Crits, 1990, p. 9). La théorie systémique conçoit l’être humain comme un système ouvert, vivant, en interaction avec un environnement. Il est formé de composantes qui sont reliées entre elles de manière complexe et ne peuvent être considérées isolément. Parmi les théoriciens de la systémie, se retrouvent en particulier l’anthropo--logue Gregory Bateson, le biologiste et épistémologue Jean Piaget, le sociologue Edgar Morin, le philosophe Gaston Bachelard. De nouveaux modèles et classifications du handicap relevant d’une vision systémique sont élaborés. Nous pouvons citer le Système d’Identification et de Mesure du Handicap (simh) publié en 1991 par Claude Hamonet, le Processus de Production du Handicap (pph) publié en 1998 par Patrick Fougeyrollas et ses collaborateurs, la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (cif) publiée en 2001 par l’Organisation mondiale de la santé, fruit d’un long travail de remaniement de la cih. Les ergothérapeutes français s’approprient ces modèles à partir de la fin des années 1990. Le pph sert de soubassement à la construction du dossier du patient en ergothérapie en 2001. Ce modèle « rencontre un succès d’estime dans les milieux francophones et internationaux associatifs, de travailleurs sociaux et d’ergothérapeutes » (Hamonet, 2012). Il en est de même, un peu plus tardivement, pour la cif. Le nouveau programme de formation publié par l’arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d’État d’ergothérapeute emprunte au langage de cette nomenclature. Ces modèles bio-psycho-sociaux conduisent l’ergothérapeute à appréhender le handicap de manière contextuelle et singulière. Il porte davantage attention aux activités que la personne réalise dans son environnement naturel, autrement nommées habitudes de vie ou participation. Les pratiques dites « écologiques » sont une application concrète de ce paradigme. L’analyse de 1 035 articles publiés entre 1968 et 1998 relatifs à l’ergothérapie fait bien état de ce changement de regard : le concept d’« écologie » est employé à partir de 1998 (Bourrellis, 2006).
24 S’appuyant sur ce même paradigme systémique, des ergothérapeutes, d’abord anglo-saxons, élaborent des modèles conceptuels propres à l’ergothérapie et centrés sur le concept d’occupation à partir des années 1980. Il est intéressant de noter que P. Fougeyrollas reconnaît s’en être inspiré pour élaborer le Processus de Production du Handicap : « Certains modèles plus génériques reliés à l’occupation humaine en ergothérapie ont posé les fondations de la perspective écologique en adaptation-réadaptation. Les modèles conceptuels proposés à partir de la fin des années 1980 sont contemporains de nos premières propositions de Processus de production du handicap […] et les ont influencées » (Fougeyrollas, 2010). Parmi ceux-ci, le Modèle de l’Occupation Humaine, publié en 1987 par l’ergothérapeute américain Gary Kielhofner, est aujourd’hui largement utilisé dans le monde de l’ergothérapie (Kielhofner, 2008). Le Modèle canadien de l’engagement et du rendement occupationnel publié en 1997 par l’Association canadienne des ergothérapeutes en est un autre exemple. Les ergothérapeutes français commencent à se familiariser avec ces modèles depuis quelques années. Leur adoption transforme la démarche de l’ergothérapeute qui n’évalue plus d’emblée l’atteinte des fonctions corporelles, mais commence par apprécier la participation occupationnelle : quelles sont les activités de travail, de loisirs, de soin personnel revêtant de l’importance, mais étant difficiles à réaliser et générant de l’insatisfaction ? L’ergothérapeute favorise l’engagement de la personne dans ces activités par des moyens de restauration, d’éducation et de compensation au plus proche de son contexte de vie (Fisher, 2009). L’adoption du paradigme systémique modifie le statut de l’activité qui n’est plus seulement un outil ou une médiation, mais devient un but à atteindre (Trouvé et coll., 2015). L’intervention se coconstruit et les objectifs posés prennent en compte les projets énoncés par la personne. L’autonomie ne se conçoit plus de manière individuelle mais par le fait d’être en relation avec l’autre (Zielinski, 2009).
25 Ce changement de paradigme est sensible dans le dernier programme de formation qui définit le rôle de l’ergothérapeute comme étant celui d’améliorer l’accès et la participation aux activités humaines dans l’environnement social de la personne (arrêté du 5 juillet 2010).
26 Notons enfin que, conjointement à l’édification des modèles centrés sur l’occupation, une Occupational Science est née à la fin des années 1980 aux États-Unis à partir des travaux de l’ergothérapeute E. Yerxa et de ses collègues. Cette science s’est construite comme support de l’ergothérapie. Son objet est d’étudier l’homme comme un être occupationnel et d’explorer le rapport entre l’activité humaine et la santé. Cette science a pris une envergure mondiale : des formations universitaires, des revues spécialisées et des conférences y sont dédiées. Des sociétés nationales et internationales en Occupational Science se sont créées (Quevillon, 2015).
Les enjeux actuels de l’ergothérapie
27 Le besoin de prestations en ergothérapie a considérablement augmenté ces dernières années [3] en France et le nombre des instituts de formation a plus que doublé depuis 2010. À la rentrée 2016, 23 instituts offrent 920 places de formation et plus de 10 000 ergothérapeutes sont recensés dont 87 % de femmes. La densité est de 15,8 ergo--thérapeutes pour 100 000 habitants (drees, 2016 ; Koch et Trouvé, 2015). Les évolutions du métier et de ses fondements permettent aujourd’hui d’identifier divers enjeux comme autant de défis à relever.
28 Comme nous l’avons vu, l’ergothérapeute qui était originairement rattaché aux établissements sanitaires s’inscrit peu à peu dans d’autres espaces : médico-social, libéral, social, éducatif. Il offre ses services à un éventail toujours plus large de personnes, les enfants présentant des troubles des apprentissages en sont un exemple. Parallèlement à l’élargissement de ce champ, les ergothérapeutes voient leur responsabilité professionnelle augmenter. Aujourd’hui ils agissent sur prescription médicale lorsque la nature des activités conduites l’exige (arrêté du 5 juillet 2010), ce qui signifie qu’ils peuvent s’en affranchir dans certains cas. Un des enjeux actuels est de répondre à cette imputabilité croissante, comme le prouve par exemple la mise en place d’un comité d’éthique et d’exercice par l’Association nationale française des ergothérapeutes. Cette autonomisation sensible des professionnels fait croître la nécessité de se référer à des preuves convaincantes dans l’exercice du métier. Elle s’actualise aussi dans la recherche de qualité des écrits professionnels qui sont autant de traces engageant la responsabilité de leurs auteurs.
29 À l’instar d’autres paramédicaux dans leur propre champ, les ergo--thérapeutes poursuivent à l’heure actuelle une réflexion sur ce qu’est le diagnostic ergothérapique. Sur quoi porte prioritairement leur discernement devant la complexité et la fragilité des situations rencontrées ? En quoi contribuent-ils au diagnostic des autres professionnels ? Autant de questions soulevées par la recherche d’un consensus sur ce sujet, dans un souci d’identité et de responsabilité.
30 L’élargissement des zones d’activité des ergothérapeutes se double, comme nous l’avons constaté, d’une évolution des fondements conceptuels du métier. Parmi les différents paradigmes évoqués, l’adoption d’un point de vue systémique sur le handicap modifie progressivement le rôle de l’ergothérapeute. Le fait d’intégrer l’influence des environnements sociaux et culturels dans son analyse des situations et d’élargir son action à la promotion de la participation le conduit à endosser une responsabilité citoyenne (Clavreul, 2015). Des ergothérapeutes s’inscrivent aujourd’hui dans des projets en lien avec des collectivités pour favoriser la participation et construire une ville plus inclusive (Pechoux, 2016). Ces pratiques suscitent le besoin de s’appuyer sur de nouveaux outils d’évaluation et d’intervention. Un des enjeux est ainsi de traduire ou de construire des outils permettant d’apprécier et de penser l’activité humaine dans différents contextes de vie, parfois communautaires.
31 Une autre évolution majeure traverse l’ergothérapie. Il s’agit de l’évolution rapide des technologies qui offre de nouvelles opportunités pour rééduquer et pour compenser les problèmes d’accès aux activités. La réalité virtuelle s’invite dans les services de rééducation--réadaptation, tout comme les robots de rééducation. La télémédecine se déploie dans certains territoires. Les nouvelles technologies telles que l’impression 3D permettent à l’ergothérapeute, renouant avec son côté « bricolothérapeute », de concevoir et de produire des objets finis. Les technologies de l’information et de la communication se développent sans cesse : le smartphone et la tablette sont devenus des outils de rééducation, de compensation, etc. Le premier enjeu pour l’ergothérapeute est d’assurer une veille technologique, le second est de s’approprier ces technologies lorsqu’elles peuvent être bénéfiques en tenant compte des nombreuses questions réglementaires et éthiques que leur utilisation en santé soulève (Trouvé et coll., 2015). Cette évolution s’accompagne d’un changement des modes de consommation s’illustrant entre autres par l’avènement de l’économie collaborative et de l’économie de la fonctionnalité. Un autre défi pour l’ergothérapeute est d’accompagner ces mutations qui questionnent elles aussi sa démarche et sa responsabilité (Samson, 2015).
32 Pour répondre à ces besoins et développer la qualité des prestations, le développement de la formation et celui de la recherche sont des enjeux majeurs. Les instituts de formation ont signé des conventions universitaires permettant aux étudiants diplômés d’obtenir le grade de licence. De plus en plus d’ergothérapeutes entreprennent des masters ou des doctorats. Une enquête commanditée par l’anfe en 2014 montre qu’un quart des 3 759 ergothérapeutes sondés ont un diplôme complémentaire (Koch et Trouvé, 2015). Se pose aujourd’hui la question de développer des laboratoires et des filières en sciences de l’activité humaine ou sciences de l’occupation, à l’image de l’Occupational Science des pays anglophones. Les travaux de recherche dans cette discipline contribueraient à renforcer l’assise scientifique et théorique du métier d’ergothérapeute en France.
Conclusion
33 L’ergothérapie a des origines très anciennes, même si le métier ne s’est constitué officiellement qu’au cours du xxe siècle. Fondée au départ sur l’idée de remettre l’homme au travail dans un but thérapeutique, la méthode a d’abord été utilisée par d’autres professionnels tels que les infirmiers en institution psychiatrique. Les conséquences des guerres mondiales, la venue d’Occupational Therapists anglo-saxonnes, l’évolution du système de protection sociale et le contexte économique sont autant de phénomènes qui ont conduit l’ergothérapie à s’inscrire aussi dans le secteur de la rééducation en France. Le métier et la formation se construisent et s’organisent dans les années 1950, au moment où l’approche du handicap est fortement médicalisée. La partition des domaines sanitaires et sociaux dans les années 1970 et la diversifi-cation des structures qui en résulte élargissent les lieux possibles -d’intervention. En même temps, le regard porté sur le handicap évolue. Il n’est plus seulement le fait d’un corps déficient et privé de capacité, il relève aussi de la représentation du sujet et des opportunités offertes par l’environnement. Le point de vue de l’ergothérapeute sur les situations des personnes s’en trouve modifié. D’une activité utilisée essentiellement pour solliciter une ou des fonctions corporelles ciblées, il complexifie peu à peu son analyse pour tenir compte de l’activité de la personne dans son milieu de vie et de la représentation qu’elle s’en fait. Ainsi, au fil du temps, l’activité est restée au cœur du métier mais en plus d’un outil, elle est devenue un but à rechercher et à promouvoir. Les programmes successifs de formation sont témoins de ces changements de paradigme lorsqu’ils remplacent le terme de « patient » par « malade », « handicapé », pour finir par évoquer la « personne » dans sa dernière version. À l’origine, les enjeux des ergothérapeutes étaient principalement de mettre en place le métier et de se faire reconnaître dans le secteur de la santé. Les défis actuels s’orientent plutôt vers la capacité de répondre aux besoins des populations fragiles, de s’adapter aux évolutions socioculturelles et d’assurer la qualité de la formation et des prestations, ce dans un contexte de responsabilité professionnelle croissante.
Bibliographie
Bibliographie
- Ballouard, C. 2008. « Les fondements historiques de la psychomotricité », Contraste, n° 28-29, p. 17-26.
- Bodin, J.-F. 2014. « Ergothérapie, substantif féminin avant 1950 », ErgOThérapies, n° 54, p. 81-84.
- Bourrellis, C. 2006. « Développement de l’ergothérapie en France : de 1780 à 1998 ou des précurseurs aux écrits professionnels d’aujourd’hui », ErgOThérapie, n° 21, p. 33-40.
- Castelein, P. ; De Crits, D. 1990. « Réflexion sur un modèle systémique de l’ergothérapie », dans M.-H. Izard (sous la direction de), Expériences en Ergothérapie, 3e série, Paris, Masson, p. 9-23.
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- Arrêté du 1er septembre 1971 relatif aux conditions de fonctionnement des écoles préparant au diplôme d’État d’ergothérapeute.
- Arrêté du 21 juin 1972 relatif au programme des études du diplôme d’État d’ergothérapeute.
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- Décret du 21 novembre 1986 fixant les catégories de personnes habilitées à effectuer des actes professionnels en ergothérapie.
- Arrêté du 24 septembre 1990 relatif aux études préparatoires au diplôme d’État d’ergothérapeute, jo du 26 septembre 1990.
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Mots-clés éditeurs : histoire du métier, fondements conceptuels, évolution, Ergothérapie
Mise en ligne 27/04/2017
https://doi.org/10.3917/cont.045.0017Notes
-
[1]
National Society for the Promotion of Occupational Therapy (nspot). Aujourd’hui l’Association est connue sous le nom de l’aota (American Occupational Therapy Association).
-
[2]
Personnes possédant une formation dans l’enseignement ou dans les soins (infirmiers, ergothérapeutes, enseignants d’art…).
-
[3]
Après la création des ife à Paris et Nancy en 1954 sont arrivés Lyon en 1965, Montpellier en 1971, Berck en 1972, Créteil et Rennes en 1973, Bordeaux en 1974. Depuis 2009 ont ouvert quinze nouveaux ife à Meulan-Les Mureaux, Alençon, Saint-Sébastien-de-Morsent, Hyères, Marseille, Saint-Denis à la Réunion, Tours, Mulhouse, Cébazat, Rouen, Laval, Limoges, Poitiers, Toulouse, Amiens.