Pour continuer à construire tout en répondant aux défis de notre temps, il faut constamment innover. Les entreprises du bâtiment et de la construction ont une tradition d’innovation. Qu’il s’agisse de produits, de matériaux, de procédés, de services mais aussi de management et de modèles économiques, l’innovation est partout. Mettre en place un véritable management de l’innovation, avec des retours d’expérience, nécessite aussi de mieux s’organiser.
1 Le secteur du bâtiment a toujours su évoluer pour répondre aux attentes sociétales, économiques comme architecturales ainsi qu’aux enjeux démographiques et géographiques. Au cours des siècles, il a intégré des innovations techniques et technologiques. Certaines ont eu une portée incrémentale : celles des isolants, équipements techniques et procédés constructifs de rupture de ponts thermiques, qui ont permis de diviser par dix les consommations énergétiques de la construction neuve depuis 1974. D’autres ont été considérées comme des innovations de rupture : béton armé, lamellé-collé, double vitrage, photovoltaïque, etc.
2 Le secteur poursuit ses évolutions. On note toutefois quelques accélérations, voulues ou induites. Alors que les enjeux environnementaux se font de plus en plus pressants, le secteur se trouve à un carrefour critique, son modèle économique étant même remis en question. Dans cette ère de transformations rapides, l’innovation, technologique, numérique, organisationnelle, mais aussi sociale, managériale et économique émerge comme le moteur essentiel qui propulsera le secteur vers un avenir durable et résilient.
Défis et opportunités, intelligence artificielle et cycle de vie
3 La France, tout comme le reste du monde, est confrontée à des défis majeurs. Les impératifs écologiques nécessitent des solutions novatrices pour réduire l’empreinte carbone des constructions. La décarbonation, la gestion intelligente des ressources et la résilience face aux changements climatiques deviennent des impératifs incontournables. Le vieillissement de la population et l’évolution des modes de vie doivent aussi être pris en compte. Il est important de les anticiper si les entreprises du secteur veulent être les leaders mondiaux de demain et ne pas voir leur valeur comme leur savoir-faire captés par d’autres. L’innovation devient la clé pour créer de nouveaux services et adapter la conception et les modes de production de bâtiments neufs comme de rénovation.
4 Dans ce contexte, le numérique et l’intelligence artificielle s’affirment comme une force structurante dans le domaine de la construction. Des algorithmes sophistiqués peuvent optimiser la conception des bâtiments pour répondre à des réglementations de plus en plus complexes et des objectifs toujours plus élevés. Le numérique dopé à l’intelligence artificielle va devenir incontournable, tant lors de la conception des projets, pour maximiser leur efficacité écologique et économique, que pour optimiser la phase de construction, favoriser l’utilisation rationnelle d’un bâtiment et même prédire les besoins de maintenance. Ces avancées doivent permettre non seulement des économies substantielles, mais aussi contribuer à la création de structures plus durables et intelligentes.
5 Parallèlement, avec une réglementation environnementale 2020 qui est sans doute la plus exigeante au monde en termes de carbone, la France impose à l’industrie de la construction une accélération sans précédent de sa décarbonation.
6 Les matériaux biosourcés, à base de bois, de chanvre ou de lin, par exemple, se développent et s’industrialisent. Les systèmes d’énergie renouvelable et les pratiques de construction durable gagnent et vont continuer à gagner du terrain, entraînant également une révolution des matériaux traditionnels, qui n’ont d’autre choix que de se réinventer très vite s’ils veulent rester dans la course. À titre d’exemple, l’industrie cimentière française s’est engagée, au prix d’investissements conséquents, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030 et de 90 % d’ici à 2050, par rapport à 2015. Le président de la République prévoit de tripler la production de pompes à chaleur en France d’ici à 2027.
7 Le changement climatique va, en outre, induire des épisodes de sécheresse, de vent ou d’inondation probablement plus fréquents et plus forts que ceux sur lesquels sont basées nos règles de l’art actuelles. Là encore, des recherches vont être indispensables pour définir les nouvelles hypothèses à prendre en compte et, ensuite, définir les adaptations nécessaires dans une logique d’optimisation technico-économique.
8 L’innovation dans tous ces domaines offre la promesse d’une empreinte carbone réduite, d’une consommation d’énergie plus efficace et d’une plus grande résilience aux chocs environnementaux.
Nouveaux besoins, nouvelles solutions
9 Si elle est la plus visible, la transformation écologique n’est pas la seule attente sociétale forte qui imposera à notre secteur d’évoluer : la démographie et la diversité grandissante des structures familiales et des modes de vie vont nous amener à changer notre conception de l’habitat pour concilier vieillissement de la population et maintien à domicile, diminution de la taille des foyers et raréfaction du foncier. Des conceptions adaptées et des systèmes constructifs plus souples et évolutifs, permettant de reconfigurer les murs, les planchers et les câblages et, donc, de modifier dans le temps les usages d’un bâtiment, seront nécessaires.
10 Au-delà du bâtiment, on ne réussira pas la transformation écologique sans repenser les quartiers, les villes et les centres-bourgs en lien avec une évolution des moyens de transport, du numérique et de la production – partielle – d’énergie et des besoins en services partagés. L’atteinte de la neutralité carbone passe non seulement par une plus grande mixité des usages des bâtiments, mais aussi par la redéfinition de la ville et des interconnexions entre les différents lieux de vie. La contribution à la décarbonation audelà de la composante bâtimentaire stricto sensu, par la réduction des transports et un aménagement durable des territoires permettra de connecter les différents lieux consacrés à différents usages (travailler, étudier, produire et stocker de l’énergie, se soigner…). L’intelligence artificielle est appelée à jouer un rôle central dans la maintenance et la gestion de l’eau, de l’énergie et des data des villes et des bâtiments. Là encore, l’innovation, urbanistique et technologique, est au coeur du débat.
11 Au sein des entreprises aussi, nos collaborateurs ont des attentes en constante évolution : rapport au travail, quête de sens, citoyenneté écologique, etc. Là encore, l’innovation, l’écologie et le numérique constituent des vecteurs formidables pour améliorer les conditions de travail, donner encore plus de sens à nos métiers et au travail de nos collaborateurs et leur permettre d’accéder à de nouvelles compétences.
L’enjeu majeur de la productivité
12 Il ne faut toutefois pas se voiler la face : répondre à toutes ces attentes, aussi légitime et souhaitable que cela soit, aura un coût que l’ensemble de nos clients et nos entreprises ne peuvent pas toujours accepter. La rentabilité à long terme passe par un investissement immédiat qui n’est pas à la portée de tous. D’où la nécessité de trouver une trajectoire qui concilie ambition et soutenabilité, mais aussi, en parallèle, d’améliorer la productivité de l’ensemble de la filière, et en particulier des entreprises, sans sacrifier l’architecture et la qualité de vie. Là encore, l’innovation sera la clé. Un changement de modèle économique ne peut pas se produire en six mois. Il faut penser aux temps moyens et longs, d’autant que, de manière générale, un bâtiment est construit pour cent ans. Les expérimentations dans le secteur doivent être appréhendées avec savoir-faire et précaution.
13 La construction numérique révolutionne la façon dont les projets sont planifiés, conçus et réalisés. Cette approche collaborative permet une visualisation en 3D des bâtiments, aide à anticiper et à résoudre, en amont plutôt que sur le chantier, les contradictions et imprécisions inhérentes aux projets de plus en plus complexes du fait de l’accroissement exponentiel des réglementations et des exigences parfois contradictoires. Elle facilite la gestion de projet et son appropriation par l’ensemble des intervenants.
14 En phase de développement, son adoption se pratique aujourd’hui généralement au sein d’une même structure (cabinet d’architectes, bureau d’études, entreprise, etc.) et permet à chacun d’améliorer sa gestion du projet et donc de gagner en délai, en coût et en qualité.
15 Après cette phase d’appropriation individuelle, la généralisation d’un véritable BIM (building information modeling) collaboratif, qui permettra à terme à l’ensemble des acteurs d’accéder à l’ensemble des données actualisées d’un projet en fonction de ses besoins, de l’avant-projet à la maintenance, révolutionnera la conception, la réalisation et la maintenance des ouvrages avec un nouveau gain significatif de productivité – et cela dès le permis de construire –, d’autant plus élevé que la construction numérique sera dopée à l’intelligence artificielle et que la blockchain permettra de sécuriser les échanges, les validations et les transactions.
Des freins à lever
16 Si les bénéfices de l’innovation ne sont pas à démontrer, force est de constater – et sans mettre de côté une résistance naturelle au changement – qu’elle se heurte, en France, à de nombreux freins.
17 Tout d’abord, réglementaires : les normes et réglementations en matière de construction sont aussi nombreuses que strictes. Si la réglementation peut forcer l’industrie à accélérer sa R&D, comme c’est le cas avec la réglementation environnementale 2020, sa complexité et le carcan administratif induit limitent la liberté d’expérimenter de nouvelles technologies et de nouveaux procédés constructifs.
18 Certes, il est nécessaire de garantir la sécurité et la durabilité d’un bâtiment, qui est par essence construit au minimum pour des décennies, et à l’égard duquel un sinistre, a fortiori sériel, a un coût élevé. Nonobstant, la recherche du risque zéro constitue un frein à l’innovation, et les processus français actuels de validation, longs et coûteux, méritent sans doute d’être revisités pour un meilleur équilibre risque-bénéfice si nous ne souhaitons pas que notre pays perde la bataille de l’emploi associée à la transformation du secteur.
19 La multiplicité des acteurs (maîtres d’ouvrage et assistants, architectes, bureaux d’études, maîtres d’oeuvre, industriels, négociants, contrôleurs, entreprises) qui doivent se coordonner et collaborer étroitement pour la mettre en oeuvre constitue un défi. Le nombre important d’opérateurs de toutes tailles et un manque de transparence sur le partage de la valeur, accentué par les procédures de passation de marché, ne facilitent pas l’émergence de solutions innovantes.
20 Enfin se pose la question du financement. Alors que les nécessaires investissements en recherche et développement, en nouvelles technologies ou dans l’amélioration des processus peuvent nécessiter des ressources financières importantes, notre secteur n’est pas immédiatement identifié comme axé sur la technologie ou l’innovation. De ce fait, on trouve moins de programmes de financement spécifiquement adaptés à ses besoins. De même, les critères d’éligibilité et le processus administratif du crédit d’impôt recherche ou innovation ne sont pas toujours adaptés aux entreprises de bâtiment. Les projets de construction, qui peuvent être perçus comme à risque et ne sont pas dans une logique de massification industrielle, rencontrent aussi des difficultés de financement privé.
Une affaire de filière
21 Nous disposons toutefois de nombreux atouts, avec des entreprises du CAC 40 telles que Schneider Electric, Vinci, Saint-Gobain, Legrand, Bouygues, leaders mondiaux dans leur domaine respectif, qui mettent l’innovation au coeur de leur stratégie, tout comme avec des ETI telles que Demathieu-Bard, Léon Grosse, Rabot Dutilleul mais aussi WIG France ou le groupe Réso Elec. D’autant que ces acteurs sont parfaitement conscients qu’ils ont besoin de partenariats avec des PME et des artisans pour mettre en oeuvre et massifier leurs innovations, voire pour les aider à les concevoir et à les optimiser.
22 De même, l’articulation entre les différentes contraintes (structurelles, écologiques, architecturales, organisationnelles, financières…) d’un projet nécessite, si l’on cherche le meilleur rapport qualité/coût, une optimisation de la conception ainsi qu’un dialogue et une parfaite coordination entre les équipes chargées de la conception et de la construction. Sur un chantier, que l’innovation puise son origine chez un industriel, un cabinet d’architecture, un bureau d’ingénierie ou une entreprise de construction, elle ne sera viable qu’avec l’appui de tous.
23 L’innovation ne peut non plus prospérer sans une base solide de connaissances et de compétences. Investir dans la formation et la recherche est essentiel pour garantir que les professionnels du bâtiment sont équipés pour adopter et intégrer les nouvelles technologies.
24 À tous les niveaux de la formation, il faut enseigner les techniques innovantes : nos jeunes, qu’ils soient issus des filières professionnelles ou universitaires, sont en quête de sens et à l’affût de nouvelles technologies. Ils seront les meilleurs vecteurs du déploiement de l’innovation au sein des entreprises, pour peu que nous soyons capables de faire évoluer les référentiels de formation et les matériels mis à leur disposition, en cohérence avec la réalité des chantiers d’aujourd’hui et de demain.
25 Il est donc indispensable de développer un écosystème d’innovation, qui existe parfois localement, associant les entreprises et les industries de construction, les instituts de recherche, les universités et autres institutions éducatives, les start-up et les pouvoirs publics. Seule une approche holistique, où la question du partage du risque et de la valeur ajoutée ne sera plus taboue, permettra d’accélérer le mouvement, de surmonter les défis, d’exploiter les opportunités et de favoriser une adoption réussie des innovations dans le secteur du bâtiment.
Un avenir bâti sur l’innovation
26 L’innovation est une réalité impérieuse plutôt qu’une option. Les avantages potentiels en termes de durabilité, d’efficacité et de compétitivité sont trop significatifs pour être ignorés. Certes, l’innovation n’est jamais sans défis : le coût initial élevé de certaines technologies, les réglementations et la résistance au changement sont autant d’obstacles à surmonter. Mais l’innovation est inscrite dans l’ADN des métiers du BTP.
27 Chaque jour, nous trouvons des solutions pour répondre à un manque de personnel, un délai raccourci par le maître d’ouvrage ou rallongé par le fournisseur ou à une contrainte imprévue sur le chantier.
28 En investissant dans la recherche, la formation et la mise en oeuvre de technologies de pointe, la France peut prendre de l’avance et façonner un avenir où chaque bâtiment sera une déclaration de progrès et de responsabilité envers les générations futures.