Connexions 2012/1 n° 97

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Article de revue

Aujourd'hui, nommer la perversion...

Pages 93 à 118

1 Diversement identifiée et qualifiée, la problématique de la perversion est omniprésente dans toutes les approches critiques de l’hypermodernité libérale, des destructions et des mutations anthropologiques qu’elle engendre. L’horreur économique se double aujourd’hui, comme au temps des plus obscures barbaries, d’une haine létale de la pensée, de la culture et de la transmission. Les corps, les esprits et les liens sont en souffrance. La perversité des principes, des discours et des pratiques qui dominent la société contemporaine soumise au capitalisme financier et à la logique du profit est cependant l’objet d’une communauté de déni qui l’organise et la supporte : entre banalisation, séduction ou mise sous terreur, les sujets, les groupes ou les institutions qui fonctionnent à la disqualification, l’emprise et la désubjectivation, trouvent dans la crise des métacadres et des organisateurs culturels et psychiques, dont ils sont pour partie responsables, l’occasion de déstabiliser l’ensemble des fondements du lien social et de la subjectivation. Tout se passe comme si la généralisation du malaise dans la culture et de la violence sociale avait pour effet paradoxal la difficulté, voire l’impossibilité d’oser nommer pour ce qu’ils sont l’arrogance, le cynisme, les manipulations, les chantages, les clivages et les dénis qui s’affichent désormais sans la moindre vergogne, et jusqu’au sommet de l’état, comme les nouvelles valeurs et les bonnes pratiques exigées par le divin marché.

2 Dans ce contexte, dès qu’elle se formule, la problématique de la nomination de la perversion, de ses origines et de ses conséquences se révèle en tant que telle porteuse de très complexes doubles contraintes, de paradoxalités dirimantes, de délicates questions éthiques, techniques et théoriques que je me propose ici d’essayer de déployer. Les réflexions qui suivent trouvent leur origine dans la reprise après-coup de ce que j’ai, ces dernières années, vécu, perçu et entendu dans les différents espaces et dispositifs de ma pratique analytique, de la cure-type à l’analyse de pratique, du groupe interculturel à la supervision institutionnelle. Les échanges dont ces expériences cliniques furent l’occasion avec mes amis et collègues de Transition (notamment S. Blondeau, G. Gaillard et J.-P. Pinel), du CIPA et de l’ARIP-CHR (Rouen) et aussi avec O. Douville, A. Eiguer, R. Kaës, J.-P. Lebrun, S. Lesourd, J. Puget, J.-P. Vidal et G. Zimra ont, comme le dialogue quotidien avec A.-L. Diet, largement contribué à l’élaboration des analyses et hypothèses ici proposées.

3 Il faut, pour commencer, comprendre que les indignations médiatiques prétendant dénoncer, en les personnalisant, les scandales sexuels ou financiers en battant le tambour des banalités moralisantes ont pour conséquence – voire pour finalité – l’occultation des véritables enjeux politiques et anthropologiques qui doivent être analysés en termes de logique et de structure. Aussi coupables qu’ils puissent être, la désignation à la vindicte publique de boucs émissaires est le plus sûr moyen de passer sous silence la destructivité du système qui a permis, soutenu ou organisé leurs transgressions et d’effacer les pactes inconscients dont ils sont la conséquence ou l’occasion… Il est, par exemple, indispensable d’identifier la filiation entre le développement du harcèlement direct ou par Internet dans le cadre scolaire et la banalisation des pratiques policières persécutives ou la généralisation du harcèlement moral comme méthode managériale, entre le développement des incivilités et le mépris, l’arrogance et la vulgarité des prétendues élites. Il convient donc de resituer les problèmes sociétaux dans toute leur dimension historique et politique, et d’inscrire et décrire les influences et manipulations frauduleuses dans leur contextualité et leur dynamique. Cela pose donc la question des incorporations, introjections et identifications proposées, imposées ou permises dans le transsubjectif par le contexte social-historique.

4 On remarquera tout d’abord que, précisément, l’injonction perverse implique toujours l’interdit de dire et de nommer, qu’elle prenne dans son emprise sur l’autre et les autres, la forme d’une secrète et séduisante complicité d’encryptage, d’un clivage imposé ou de l’arrogance sidérante du cynisme proclamé. Ou, bien entendu, la candide apparence de la vertu outragée. Le discrédit, la déshérence ou l’effondrement des valeurs et des repères symboliques fournissent d’emblée aux logiques déstabilisantes des pervers et des perversions individuelles, groupales ou institutionnelles, étayage, contenance et légitimité dans une circularité dynamique où s’actualise la pulsion de mort. La crise des métacadres et la superposition conflictuelle de logiques contradictoires sont à l’origine d’une anomie généralisée dans laquelle oxymores destructeurs et paradoxes structurels attaquent les possibilités de symbolisation et renvoient les sujets à l’impuissance néoténique. La superposition, l’emboîtement, la confusion ou le clivage de métacadres antinomiques sont à l’origine d’un chaos axiologique et praxéologique sans limite. L’anomie créée par la confusion des mondes superposés est comme telle occasion et origine de toutes les transgressions. Elle ne saurait pour autant tout excuser.

5 De morcellement en massification, de laxisme en répression sécuritaire, l’oscillation stochastique de la « gouvernance » permet tous les abus, tous les outrages, toutes les incohérences aux nouveaux chiens de garde directement asservis à la perversité intrinsèque des logiques libérales. Brouillage de la pensée et excitation pulsionnelle s’opposent ici au magistère de la parole. Les vécus mélancoliques et paranoïdes se développent dans ce contexte d’angoissante incertitude. Et, conformément à leur essence, la perversion et le pervers destinent à la dérision toute pensée et tout discours qui tentent de les définir et de les assigner : la récusation fluctuante de toute position subjective et de toute proposition théorique les concernant pourrait même valoir comme indice paradoxal d’identification. Il s’agit en l’occurrence d’interdire et d’empêcher toute assignation de responsabilité ou de causalité qui permettrait de percevoir et d’identifier les transgressions agies en toute banalisation du mal.

6 Dans ce même mouvement d’ailleurs, les repères symboliques étant effacés, il devient impossible de reconnaître face au pervers ses propres fautes ou insuffisances, puisque le refus de toute culpabilité partageable et partagée voue celle ou celui qui s’engagerait dans la voie d’une élaboration de ses erreurs et d’une interrogation de sa responsabilité – c’est-à-dire à la reconnaissance de sa castration symbolique – à la destitution de tout droit à la parole et à l’anéantissement narcissique. Aucune confession n’est ici possible, puisqu’il faudrait pour nommer la faute, reconnaître l’interdit, alors que le jeu pervers désigne la Loi non simplement pour la braver, l’éviter ou la transgresser mais bien pour la récuser jusqu’à effacer la possibilité même de nommer la transgression. Dans un monde sans foi ni loi, organisé par la philosophie sadienne, les promesses n’engagent que les naïfs qui accordent encore crédit à la parole de l’autre, et la réussite et l’efficacité sont les seuls critères d’évaluation des actes et des personnes. Dans la logique des séductions publicitaires, tous les fantasmes sont désormais susceptibles d’obtenir le droit à la réalisation et les pulsions à leur décharge directe. C’est ainsi qu’à tous niveaux, peuvent, entre terreur et fascination, se constituer des noyaux pervers et des pactes inconscients qui, comme dans l’aliénation sectaire et l’alliance psychopathique, ligaturent le bourreau, la victime et le témoin dans la banalisation du crime.

7 Dans le renversement stratégique dont le pervers est le brillant spécialiste, la victime devient le bourreau, celui qui dénonce le scandale et démonte les mécanismes de la sujétion, le paranoïaque persécuteur s’acharnant sur l’innocent, le sujet qui proteste et se plaint de la violence subie, l’excité hystérique qui dramatise et ne sait pas se contrôler. Mozart et Da Ponte ont, notamment dans « Don Giovanni », merveilleusement mis en scène les stratégies de séduction, de déni, de démenti et de menace qui constituent l’emprise perverse et ses conséquences aliénantes et destructrices. Ils ont décrit les ambiguïtés, les ambivalences et les tergiversations que suscite la perversion, la fascination, la séduction et la sidération qu’elle produit, sa contagiosité et la difficulté à la nommer et à rompre son emprise, alors même qu’elle est reconnue. L’actualité politique, notamment médiatisée, en donne chaque jour d’extraordinaires exemples et la perversité des débats et des déclarations révèle au quotidien la crise des métacadres et des organisateurs culturels et psychiques, lorsque, contre toute évidence, s’énoncent sans problème des contrevérités, que l’insulte remplace l’argument, le déni et la projection, le jugement critique.

8 Comme l’analysent, chacun à sa manière, J.-L. Beauvois ou P. Bourdieu, l’emprise des influences frauduleuses est désormais l’organisateur de la communication médiatique et de la majorité des discours journalistiques, les nouveaux mercenaires idéologiques ayant abandonné la vindicte paranoïaque pour de plus subtiles manipulations. Le discours pervers, friand de procès d’intention et de suspicion disqualifiante, est d’abord perversion du discours qui, en se diffusant, attaque les moyens et possibilités de penser et de dire en imposant duplicité et faire-semblant comme normes de légitimité. L’attaque méthodique de toute parole subjective est ici ce qui fait loi, l’utilisation obligée des signifiants de la doxa la norme de la légitimité. L’anesthésie affective et l’invocation de la rationalité « scientifique » s’imposent comme la juste posture qu’exige la logique du profit désormais devenue la norme de référence, tandis que l’imposition des novlangues procédurales donne à la propagande glauque une efficacité inconnue depuis les indoxications totalitaires.

9 Dans l’anomie contemporaine, le politiquement correct oscille entre la banalisation des pires transgressions au nom de la démocratie et de l’individualisme libéral et une moralisation sécuritaire et normative mobilisant tous les intégrismes au service d’une chasse aux sorcières mettant elle-même en œuvre ce qu’elle prétend dénoncer. La société de surveillance en vient ainsi à légaliser l’arbitraire et jusqu’à la torture au nom de la sécurité et les démocraties empruntent aux états totalitaires leurs plus abominables méthodes au nom de la défense de la liberté. Dans un monde où tout se vaut parce que tout se vend, l’abandon des références axiologiques et rationnelles laisse la place à tous les laxismes et à toutes les suspicions dans la confusion engendrée par la généralisation de la violence symbolique secondaire destructrice des liens et du contrat narcissique. Le prix des choses possédées ou produites devient l’aune de la valeur des personnes. Et le bonheur du marché, l’ultime, sainte et réaliste justification des génocides et des ethnocides nécessaires à la mondialisation capitaliste. Quitte à ce que le bienvenu retour du religieux voile d’un petit supplément d’âme spiritualiste l’horreur sordide de l’exploitation quotidienne…

10 Lorsque la société se structure sur les logiques de la perversion et se trouve dominée par les représentations phalliques-anales dans le déni de la dette symbolique, de la différence des sexes et des générations, la confusion du monde sans limites, sa capacité à réduire les têtes engendrent l’indifférenciation qui donne aux grands pervers l’occasion de séduire le petit pervers potentiellement présent en chaque sujet. Comme I. Bergman nous l’avait rappelé, L’œuf du serpent n’en finit pas d’éclore, et, en toute méconnaissance, les sociétés démocratiques qui, comme les États-Unis, ont sous le prétexte de leur lutte contre le totalitarisme « communiste » discrètement intégré les personnes et en partie les pratiques du nazisme, actualisent les ferments de leur autodestruction en réalisant l’abominable équation qui réduit les humains à l’état de marchandise en identifiant leur être et leur valeur aux profits qu’ils permettent d’engendrer. Subtilement et progressivement, il devient impossible de repérer et d’identifier ce qui est transgressif et ce qui ne l’est pas, de penser la réalité des liens et de se référer aux exigences du symbolique, de s’étayer sur ses principes et ses éprouvés, et plus simplement de différencier le vrai du faux, l’efficacité et l’utilité s’imposant comme seules valeurs. Le pervers-puritain confond Kant avec Sade dans le déni de toute loi symbolique. Comment nommer la perversion lorsque la perversion est, dans l’indifférence générale, la logique structurant le social et que son polymorphisme infantile se donne pour idéal ? D’autre part, comment échapper à la tentation des anathèmes et des excommunications sans renoncer à l’éthique de la vérité lors de la rencontre de mécanismes, de discours, de pratiques et de postures dont la destructivité psychique et symbolique s’impose à l’évidence des souffrances engendrées ?

11 Il y a, bien entendu, la part de lâcheté projective qui nous fait, selon les circonstances, condamner l’autre et en l’autre les agirs transgressifs qui nous tentent, ou, au contraire, dénier, sans états d’âme, l’effectivité du mal et de la destructivité dont nous sommes témoins ou acteurs. Sans doute conviendrait-il d’abord d’admettre l’existence, au moins dans nos fantasmes, de ce que nous reconnaissons et dénonçons chez les autres et identifier ce qui, au moins dans nos défenses, peut relever du registre pervers et des logiques de l’infantile. Car nous sommes aussi de ce monde et dans ce monde et ne saurions totalement échapper aux déliaisons et aux régressions qui s’y généralisent. Mais précisément pour cette raison, la dynamique, l’économique et la topologie de la perversion s’avèrent irréductibles à l’actualisation des fantasmes du sujet singulier. Il est au contraire nécessaire de les rapporter à la réalité objective de la casse des conteneurs symboliques, des attaques sur la pensée et les liens, à la déshérence socialement produite des organisateurs et des régulateurs symboliques, aux effets des transductions et inductions régressives. L’identification de ce que H. Marcuse avait nommé désublimation répressive est donc plus que jamais une nécessité vitale.

12 L’évidente fascination que produisent les discours, agirs et scénarios pervers – inépuisable fonds de l’imaginaire littéraire et filmique notamment dans les productions télévisuelles – trouve certes son origine dans la jouissance qu’éprouve le névrosé à voir se réaliser l’archaïque auquel il a dû renoncer, sans avoir à assumer la culpabilité de la transgression, mais aussi, au contraire, en pouvant s’assurer de sa moralité par la condamnation implacable de ce qui le tente le plus. Cela ne suffit pas à justifier le déni de l’impact de la violence sociale et la désorganisation éthique qu’elle produit. Combien de fois dans les films et séries, notamment américains, le justicier, indigné par l’horreur du crime, et face à l’impuissance ou au laxisme supposés de la justice et de la loi, en vient-il à transgresser les règles et les principes qu’il prétend défendre, à commencer par la loi commune ? Combien de fois présente-t-on la rétorsion et la vengeance accomplies par le héros sous leurs formes les plus archaïques comme légitimes ? Et que signifient les législations d’exception qui, dans des pays prétendument démocratiques, autorisent l’arbitraire et la torture pour lutter contre le terrorisme ? Quelle différence entre Guantanamo et la Rue Lauriston ou le Goulag ? Quel est cet imaginaire sécuritaire qui justifie le passage à l’acte arbitraire au nom de son efficacité supposée ? Quel terrible héritage vient ici trouver à déployer sa destructivité ? Quels secrets inavoués et quels dénis, quel envers noir de la République, ont protégé Bousquet et Papon et mené Bigeard aux Invalides…?

13 Il n’empêche, si le fantasme n’est pas l’agir, et s’il est plus que jamais nécessaire de laisser toute sa place à la créativité artistique souvent seule en mesure de mettre en représentation et en mots ce qui est dénié, forclos, en latence ou en gestation dans le social-historique, la banalisation des crimes d’état et de la rétorsion dans un monde en crise n’est pas sans conséquence. De fait, l’appel à la régression qui oscille entre séduction compassionnelle, retrait cynique et incitation à la vengeance, trouve chez les sujets en désarroi une trop facile complicité, car la destructivité constatée – y compris et surtout lorsqu’elle n’est pas mentalisée – est bien réelle. Et il faut s’inquiéter lorsque les maltraitances, les abus, les mensonges et les manipulations, et les souffrances qui en sont la conséquence ne sont plus objets d’indignation, ni même perçus et identifiés. Ce qui est notamment le cas dans le champ du travail soumis au management néolibéral le plus souvent d’origine directement sectaire. Le pervers-puritain de l’hypermodernité libérale joue et jouit sur les deux tableaux, tel Tartuffe faisant de sa dévotion l’instrument de sa séduction, l’Inquisiteur mobilisant la loi divine pour exercer son sadisme et satisfaire ses pulsions, ou l’accusateur public du tribunal révolutionnaire exerçant son pouvoir au service de sa vengeance et de son intérêt sous couvert de justice. Il faut tenter ici de saisir et penser l’implacable couplage entre perversion et paranoïa, présent jusque dans les avatars de la géopolitique, notamment dans l’affrontement entre libéralisme et intégrismes mais aussi structurellement présent dans les mouvements sectaires dont, malgré et à cause de leur instrumentalisation, le foisonnement fait symptôme dans le social-historique. D’une certaine manière, d’ailleurs, et notamment dans la formation des dirigeants, la perversion du totalitarisme sectaire est désormais le paradigme implicite – et parfois explicite – des cultures d’entreprise et de la communication politique.

14 On voit bien comment se met en place un indécidable dans les projections réciproques et comment s’effectue le brouillage des repères dès lors que chacun accuse l’autre de ce dont il est en réalité, en pensée, en action ou en omission, précisément coupable. Cet infernal engrènement exige beaucoup de prudence, car l’identification se réalise vite entre le repérage de la perversion et l’identification du pervers, puis de l’identification du pervers à sa stigmatisation réifiante en mauvais objet absolu, incarnation diabolique de la mauvaiseté morale. Ou, au contraire, hallucinations négatives, clivages et dénis font disparaître jusqu’à la possibilité de penser l’existence d’un problème. Le risque est alors de méconnaître radicalement les dynamiques groupales et institutionnelles à l’œuvre, et plus encore, d’effacer les logiques culturelles et politiques à l’origine de la destructivité constatée. Il apparaît au contraire nécessaire, avec J. Puget, J.-P. Vidal et R. Kaës de prendre la mesure des différences de registres, de niveaux et de logiques, et plus encore des résonances, traductions, confusions, clivages, anamorphoses à l’œuvre dans la réalité et de donner droit à la complexité des modes superposés dans l’interprétation comme dans l’action. La condamnation morale du sujet et de l’agir pervers, souvent agie et formulée dans le registre de la certitude paranoïaque, n’obéit pas seulement aux logiques de la projection. Elle est un très paradoxal moyen de dénier en quoi et pourquoi la perversion concerne tous les sujets de l’humaine condition et s’inscrit, en instrumentalisant l’infantile, d’abord et essentiellement dans le registre politique et le contexte de la mise à mal des métacadres symboliques. Mais elle est aussi souvent un facile repoussoir permettant aux belles âmes de se dégager de toute empathie et de toute prise de position sous l’invocation, en l’occurrence effectivement perverse, d’une neutralité d’indifférence prétendument caractéristique de la pureté analytique, mais aussi symptôme et prétexte de dépolitisation.

15 Pourtant, l’aveuglement des communautés de déni instituées dans le social et relayées par et dans les appartenances groupales, ne suffit évidemment pas à supprimer la destructivité traumatique des pratiques réellement perverses. En réalité, ce qui fait souvent là problème aux cliniciens, c’est l’incapacité d’oser reconnaître l’existence avérée de dérives et de postures perverses chez certains psychanalystes ou psychistes – et souvent non des moindres – et leur difficulté à penser la complémentarité entre la réalité psychique, le contexte et l’évènement. Comme la pédophilie des prêtres ou des éducateurs, les compromissions des journalistes et la corruption des politiques, cet indicible est impensable autrement que dans le registre de l’anecdote obscène qui le banalise en le dramatisant. Outre l’omerta incestuelle des establishments, toujours susceptible de se renverser en dénonciations calomnieuses, ce qui fait ici souvent difficulté, c’est que, de manière clivée, les psychanalystes qui s’avèrent pervers, figures d’emprise aliénante pour leurs patients, se trouvent aussi parfois être ou avoir été de subtils cliniciens et de remarquables théoriciens. Ce qui pose plusieurs questions de désignation : la perversion est-elle de structure, de circonstance, de défense, de discours ou d’agir, d’emprise ou d’abus sexuel ? S’agit-il d’un sujet, d’un lien, d’un processus, d’une situation, d’une intentionnalité, d’une dérive, d’une conséquence ou d’une finalité ? Et dans tout cela, comment penser la dimension métapsychologique dans les relations entre instances, la psychopathologie des liens et le destin des pulsions ? Qu’en est-il du désir du pervers ? Qu’est-ce qu’un désir pervers ? Que désire – veut – le pervers, et que fait-il désirer ?

16 Les choses seraient simples si le ou les pervers l’étaient tous, toujours et totalement, méchants et sans talent, nous permettant bonne conscience et tranquillité par un simple dégagement projectif nous mettant hors de cause, et pouvaient être facilement identifiés en contraste avec une éthique culturelle suffisamment fiable, impeccable et implacable Mais en réalité, jusque dans les plus abominables de ses transgressions et de ses violences symboliques ou matérielles, le sujet pervers demeure, malgré sa trahison des lois du langage, sujet de l’humaine condition qu’il prétend récuser et bien proche des agirs ordinaires de ses contemporains, ou du moins, de leurs fantasmes… Quoi qu’il en soit de ses dénis, de ses clivages et de ses hallucinations négatives, jusque dans l’obscénité de sa jouissance, le sujet ou le groupe fonctionnant dans le registre pervers demeure un objet d’horreur séduisant, humain trop humain, parce qu’il met en scène la part obscure que nous nous efforçons de méconnaître par le refoulement et qu’il nous propose, par la séduction de la voie courte, de nous dispenser du nécessaire renoncement pulsionnel à l’origine de la culture. Il faudrait ici oser sans doute identifier et nommer une fascination traumatique objet et prétexte d’une paradoxale jouissance.

17 Mais aussi parce que la dérive est souvent discrète et la transgression apparemment banale. Comment nommer de manière convaincante dans les mots de la tribu ce qui s’énonce dans le chatoiement flatteur du faire-semblant, manières de dire pour séduire, faire faire et faire taire, évitement et disqualification du dire vrai, fallaces de l’illusion, de l’autoengendrement et de la toute-puissance ? Comment résister aux effets de jouissance d’une mise en acte manipulatoire des fantasmes originaires ? Comment soutenir le travail de la culture quand la civilisation s’organise, jusque dans le quotidien, selon les logiques de la désublimation régressive identifiée par H. Marcuse ? Le pouvoir de la parole vraie n’est pas tel, qu’il suffise de dire que le roi est nu pour être cru… Sans compter qu’on accusera l’énonciateur de voir le mal partout et de trouver jouissance à contempler en voyeur une exhibition par ailleurs si bénigne, alors que la pudeur commande de détourner le regard d’aussi obscènes évidences… Combien savent ou savaient des incestes, des maltraitances et des abus pédophiles, des collusions et des concussions, des transgressions et des trahisons, et se taisent ou n’ont rien dit, complices souvent jusqu’à s’interdire de voir et de penser ce dont ils furent ou sont les témoins sidérés ?

18 Il y a plus de vingt ans que certains psychistes, enseignants et sociologues tentaient, par exemple, d’attirer l’attention sur l’infanticide symbolique et la déculturation à l’œuvre dans le pédagogisme hypermoderne : ces mises en garde argumentées n’ont pu être entendues dans la contextualité idéologique contemporaine du déclin de l’image paternelle, de la récusation de la transmission et de la démagogie consumériste. Toute critique se voyait dès lors taxée de misonéisme ou pire, attribuée à une très réactionnaire position « déclinologique ». Ce qui n’est pas sans évoquer ce que P.-C. Racamier a décrit des logiques de l’incestualité remplaçant l’interdit de l’inceste par l’interdit de nommer l’inceste. On remarquera d’ailleurs que ce renversement est caractéristique de toutes les emprises et de tous les totalitarismes, et qu’il est de fait omniprésent dans notre société libérale sous le couvert de la « bienpensance » hypermoderne. Les logiques de la perversion se soutiennent des jouissances qu’elles promettent et permettent dans la dynamique des désublimations régressives et des séductions narcissiques. Elles ne sauraient supporter la moindre contestation, sauf à exploser en terrifiantes et destructrices rages narcissiques. Mobilisant toute la force de l’infantile, elles nourrissent et légitiment toutes les résistances à l’épreuve de réalité en promettant l’évitement de la castration sur fond de son déni.

19 Comme Platon le savait déjà, la séduction du sophiste et du bateleur résiste au démontage des illusions qu’ils instrumentalisent pour assurer leur pouvoir et leur emprise, et la parole du sage, porteuse de limite et d’interdit, doit se soutenir d’un courage et d’une authenticité du dire qui ne sont pas sans risques. Mais à la perversion des sophistes, il ne sut proposer comme remède que la raison paranoïaque des philosophes-rois… Les pouvoirs ont une affinité particulière avec la perversion du discours qu’ils imposent et qui les soutient : langues de bois et novlangues assurent l’emprise de la pensée pourrie qui dit pour empêcher de penser, nomme pour interdire de percevoir, catégorise pour empêcher d’éprouver… De la manipulation des masses théorisée par E. Bernays aux mensonges des publicitaires et des conseillers en communication héritiers directs des monstruosités totalitaires, l’emprise du faire-semblant et du parler faux, relayée par les modernes technologies, semble n’avoir plus de limite. Les dissidents et résistants, quels que soient le registre et le lieu où ils tentent ou ont tenté de maintenir l’éthique de la pensée critique, savent d’expérience ce qu’il en coûte de nommer, et de dévoiler ce qui, secret de famille ou d’état, doit demeurer sous le boisseau… T. Vinterberg a, dans son remarquable film Festen, magnifiquement montré l’emprise exercée dans les familles par la loi du silence et l’imposition du clivage et du déni qui préservent les apparences et protègent le pervers et le clan. Dénoncer la perversion et nommer le pervers, c’est toujours prendre un risque éthique qui peut aussi très souvent conduire à l’isolement, à l’éviction et à l’élimination, comme le démontrent l’histoire et l’actualité. Mises au placard et harcèlement visent précisément dans la société néolibérale à faire taire et priver de parole ceux qui savent et pourraient dire ce qu’ils ont compris des dérives perverses, des mécanismes séducteurs et du fonctionnement désubjectivant des entreprises et de l’état… Quel prix à payer pour la dénonciation des manipulations frauduleuses ? Il est parfois, singulièrement, dans les antichambres des pouvoirs, de bien curieux suicides, de bien tristes affaires et de très curieux « classements sans suite »…

20 Dans l’anomie contemporaine où la critique du patriarcat prétend justifier l’éviction du paternel, où l’exigence démocratique abolit les différences de place et de valeur, où le quantitatif économique et statistique impose ses hiérarchisations formelles, la négociation généralisée – dont il faut bien saisir qu’elle est absolument destructrice de tout débat démocratique et de tout véritable échange intersubjectif – désormais directement référée aux enjeux de pouvoir et d’argent, abolit toute possibilité d’une tiercéité symbolique faisant barrage aux excès, aux abus et aux revendications du narcissisme hypermoderne. Dans la mesure même où cette psychopathologie des liens socialement produite par les déliaisons de l’hypermodernité se définit comme norme et paradigme du transsubjectif et modèle prescrit des (non) échanges intersubjectifs, lorsque l’idéologie de la communication se substitue à l’expérience du dialogue, de la copensée et du débat conflictuel, les frontières entre le permis et l’interdit, le transgressif et le légitime, le vrai et le faux, le bien et le mal tendent à disparaître : incestualité, séduction, emprise et manipulation structurent l’ensemble des relations sociales. Il apparaît impossible d’échapper à leurs logiques puisqu’elles travaillent à s’assurer la maîtrise des comportements, des éprouvés, des représentations et des discours qui assureront l’emprise perverse, notamment, en imposant les contenants, contenus et processus de pensée nécessaires à l’ordre libéral. Cet élément semble décisif, notamment pour donner son véritable sens à la souffrance psychique engendrée par le management libéral, la violence et le mépris qui le singularisent. Il est temps, grand temps, de reconnaître que les « suicides » au travail sont des meurtres et que le crime de bureau est désormais la bonne pratique du management hypermoderne.

21 L’imaginaire publicitaire, originairement dédié au service de la consommation, est devenu le vecteur privilégié de préconisations comportementales qui mettent directement en cause les valeurs traditionnelles : grâce à la voiture X, le malfaiteur peut échapper aux bandits, les enfants conseillent, critiquent, instruisent les parents infantiles (l’adolescent doit les décoller d’Internet où ils contemplent la voiture de leur rêve pour les appeler au dîner) ou ringards et séniles (le grand-père qui mange très salement son hamburger au fast-food), à moins qu’ils ne se rachètent en entrant dans les logiques adolescentes (la mère qui montre à sa fille dont elle aperçoit le tatouage que le sien est plus beau). Mais désormais aussi, un jeune homme ne raccompagne une fille après une soirée que pour jouir du plaisir de conduire sa nouvelle voiture, et, mufle branché, refuse l’invite (amoureuse…) de celle-ci à venir prendre un dernier verre… La consommation des choses l’emporte sur le désir des êtres, et la possession consumériste sur la sexualité… Mais, bien entendu, on peut aussi toujours, pour un parfum, un téléphone portable, la promotion d’un CD, un café ou une machine à laver, mobiliser toutes les formes de déclinaison érotique disponibles dans les supermarchés de l’imaginaire marchand. La marchandisation des corps et de la sexualité trouve dans la banalisation de la pornographie une expression privilégiée, machines à jouir et bêtes de sexe exposant sans vergogne l’idéalisation contemporaine des logiques du phallique-anal tandis que d’improbables prêtres-chanteurs, avec force profits, bêleront en les massacrant saintement de très commerciaux standards de la musique sacrée. L’emprise sur les esprits par l’imposition de fantasmatisations obligées, de représentations imposées, de comportements prescrits, de pression évaluative, d’incitation à jouir sans limites ni principes, d’interprétations régressives est la condition de la banalisation du mal et de la disqualification des métacadres symboliques. Ce qui agit ici, mine de rien, dans une répétition quotidienne de suggestions, de prescriptions et de réactions banalisées mélange et confond les valeurs et les registres, dissout les repères, disqualifie tradition, transmission et transformation, valorise les processus primaires et la jouissance d’organe.

22 Dans ces conditions, nommer la perversion devient une tâche impossible : soit les mots manquent au dire, soit, trop fort ou trop faible, trop précoce ou trop tardif, le discours ne peut être entendu, soit encore, la critique, elle-même reprise dans les incohérences et les ligatures qu’elle travaille à dénoncer, échoue à mobiliser contre la séduction perverse la dynamique éthique de la subjectivation. Cette dernière, en effet, exige pour prendre force, un étayage culturel permettant de renoncer, autant qu’il est possible, aux fantasmatisations obligées visant à éviter ou dénier toute castration symbolique. Face à la massivité du déni sociétal, nommer la perversion, ce n’est pas seulement risquer de déclencher la violence mortifère de la rage narcissique du pervers et de ses complices, c’est aussi, ce qui est peut-être psychiquement plus déstabilisant, assumer la possibilité d’un rejet, d’un désinvestissement et d’une perte d’étayage sur l’ensemble pour autant qu’on refuse l’illusion du déni partagé et l’instrumentalisation idéologique de la critique que l’on oppose aux complaisances de la masse fascinée par les exploits transgressifs du pervers et le charme de ses discours aussi fallacieux que séducteurs. Le destin de Cassandre menace toujours le premier qui dit la vérité. La clinique de l’aliénation sectaire ou idéologique révèle la force des séductions régressives quand un groupe les légitime et les impose et l’impuissance de l’argumentation rationnelle à démonter l’emprise de la perversion et même à simplement permettre de l’identifier comme telle, tant elle maîtrise l’art de transformer les victimes en complices enthousiastes. Car la séduction du pervers mobilise en chacun la trouble nostalgie de l’incestualité primaire et les éblouissantes fallaces du narcissisme originaire.

23 Il faut ici remarquer combien la destruction des métacadres culturels prend désormais une dimension anthropologique mettant en cause les fondements même de l’humanisation et de la subjectivation. Le déni pervers n’est pas simplement annulation/récusation du génital, de l’interdit œdipien et des lois du langage, il est radicalement refus de toute dette et de la dépendance néoténique originaire, démenti forcené de la Hilflosigkeit infantile, effacement, dans les parades du faire-semblant, des différences et des hiérarchies nécessaires à l’autonomie subjective. Dans cette perspective, il convient d’insister sur l’importance des logiques de dédifférenciation (faudrait-il dire, à la manière de J. Derrida, « dédifférAnce » ?) qui, à l’œuvre dans la réalité sociale-historique, mélangent, fusionnent ou clivent les catégories, les registres et les logiques, transforment en scripts les fantasmes originaires et opèrent la confusion entre imaginaire et réel, notamment par la mise en œuvre de l’opératoire technologique. Si le virtuel est sans doute potentiellement un support de créativité, voire un possible étayage de l’élaboration psychique, il est malgré tout aussi, et peut-être surtout, dans le contexte contemporain, gros de multiples dérives déréalisantes, et les sites du Web sont déjà l’occasion, le lieu et le moyen de multiples stratégies perverses, de la séduction à la persécution, de l’arnaque au chantage : la toile, en permettant la communication sans limites dans des univers où les catégories du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire perdent leur pertinence, ouvre un formidable espace de confusion au déploiement des stratégies d’emprise et d’attaques narcissiques. Même si nous avons sans doute, comme nous y invitent J. Puget et S. Tisseron, à interroger nos rejets, nos incompréhensions et nos indignations et à tenter de comprendre ce qui advient ou peut advenir dans et par la nouveauté et la rupture dont la révolution technologique est porteuse… Force est cependant de constater qu’Internet et les réseaux sociaux – même si heureusement ils ne s’y réduisent pas et semblent pouvoir être investis autrement – sont le lieu et le moyen d’une diffusion sans précédent de la pornographie et de la pédophilie, des idéologies les plus destructrices et les plus régressives, et surtout, l’instrument de persécutions et de dérives aux effets bien réels. Il y a désormais, notamment pour les adolescents et aussi entre adolescents, une telle perversité potentielle de la toile que pouvoirs publics et éducateurs s’inquiètent de la violence destructrice – et parfois mortelle – qui s’y déploie.

24 En effet, nous assistons aujourd’hui, au-delà de l’effondrement orchestré des catégorisations hiérarchiques définies dans le système patriarcal à une abolition de toutes les différences organisant la condition humaine dans le langage et le travail de la culture, et du même coup, contenance et régulation des pulsions font radicalement défaut. Il convient ici de s’arrêter à nouveau sur le travail de confusion et de déliaison à l’œuvre dans l’hypermodernité libérale et technologique. Les progrès des technologies informatiques et des biotechnologies effacent la différence entre vivant et non-vivant : entre avatars des mondes virtuels et prétendus dialogue hommes/machine, de problématiques couplages et branchements high-tech font vaciller les frontières, tandis que l’accouplement tératologique entre scientisme et deep ecology banalise la transgression des barrières interspécifiques au nom d’un matérialisme mécanique ignorant, au nom du légitime refus critique de la métaphysique et de la religion, la complexe singularité du néotène humain voué à l’histoire et au langage du fait de son originaire dépendance qui l’inscrit dans la culture (et non simplement dans l’attachement et le lien).

25 De fait, sans doute peut-on penser que la régression réductionniste permet en réalité, en abolissant la frontière entre humain et non-humain, de légitimer, en invoquant Darwin, le retour des stéréotypes racistes, d’en appeler aux gènes pour justifier la loi du plus fort, les exploitations et les exclusions nécessaires au fonctionnement de la domination. Car l’humanisation sans précaution du comportement des primates a vite fait de se renverser en animalisation des humains et en gestion policière d’une socialisation préalablement réduite à un dressage normatif. Entre l’apologie de l’homme-machine et l’idéalisation de l’homme-singe, la fantasmatique du plein s’impose dans la jouissance de l’indifférenciation du tout est possible et les algorithmes sont convoqués, sous prétexte de leurs capacités à résoudre les énigmes, à disqualifier le mystère des origines. De manière paradoxale, la théorie de l’évolution se trouve ainsi mobilisée pour dénier la perte de maîtrise dont elle est porteuse. Dans le même temps que cette régression biologisante, la haine du corps et des différences sexuelles et générationnelles se réalise dans les technologies de la sexuation, de la procréation et du vieillissement/rajeunissement prétendant, dans la réalité de leur efficacité, effacer les marques et les limites de l’humaine condition. Le déni de l’altérité se proclame dans le plaidoyer pour un droit à la différence qui abolit les sens des cultures, le métissage historique et la réalité conflictuelle du dialogue entre les hommes et les sociétés au profit de l’obscénité pornographique de l’échangisme sans frontières, du communautarisme imbécile ou de l’anonymat opératoire. Car la pensée perverse, riche en oxymores, clivages et paradoxes, ignore par nature l’histoire, l’altérité, le manque et la dialectique.

26 Dans l’oscillation entre le marquage de différences narcissiquement investies et choisies, et la confusion des genres alternativement récusés comme destin biologique et/ou détermination sociale, le déni de réalité et l’effacement de toute éthique deviennent idéologiquement légitimes comme le choix irrécusable de l’individu consommateur achetant au marché des identités, des sexualités et des places la possibilité de réaliser « pour de vrai » ce que le monde virtuel n’a pas suffi à lui fournir de manière satisfaisante. Et voici que la technique travaille à réaliser effectivement ce que les légendes et les mythes énonçaient : la sexuation oscillante de Tirésias, les grossesses de Sarah et Marie, la créature monstrueuse de Frankenstein, la normalisation pharmacologique du Meilleur des Mondes, l’automate androïde de Coppelius sont désormais des figures, des représentations et des scénarii qui hantent, jusqu’au délire, l’agir scientiste et l’hybris médicale. Emportés dans le flux des marchandises, comme autrefois les esclaves ou les déportés, les individus interchangeables, ayant perdu les différenciations symboliques qui leur permettaient de demeurer sujets, participent en toute méconnaissance à la disqualification des organisateurs qui étayaient leur subjectivité, quitte à se trouver, faute d’interdits et de limites structurantes, brutalement confrontés à l’impossible du réel.

27 Les choses se compliquent encore à remarquer que non seulement la perversion polymorphe de l’enfance demeure, chez et pour chacun, agissante dans l’infantile, mais qu’elle est aussi singulièrement humanisante : ainsi les jeux et les ris de l’érotique humanisent la pulsion et les fantaisies du désir s’opposent aussi bien à la bestialité pornographique qu’au naturalisme biologique. L’existence d’une perversion bien tempérée et subjectivante exige donc un examen attentif, car toute création comporte, au moins à son origine, la déviance ou la transgression qui, en faisant bouger horizon et limites, ouvre l’espace à de nouveaux possibles. Encore convient-il de ne pas confondre les fabrications fallacieuses des leurres idéologiques et culturels du royaume du semblant avec la créativité véritable dont la dynamique imaginaire d’angoisse et de désir ne récuse ni le sens ni la valeur de ce qu’elle remet en travail et en question. Les fantasmatisations régressives obligées par lesquelles, au mépris de l’œuvre, du texte, de la musique et des interprètes, certains scénographes transforment aujourd’hui des opéras du répertoire classique en guignolades pornographiques dans lesquelles se déploient sans vergogne les fantasmes les plus archaïques de leur perversion personnelle sont aussi à penser comme les symptômes de la confusion des genres et des désublimations contemporaines, telles qu’on les retrouve dans la vulgarité et l’obscénité des « talk-shows », l’intelligence frelatée des séductions publicitaires ou les élucubrations de la télé-réalité.

28 Il est ici évidemment nécessaire d’interroger ce qui se fait et se dit au nom de la liberté individuelle, du droit d’expression et de la démocratie, comme en politique où l’invocation des valeurs fondatrices donne lieu à de très habiles et destructeurs retournements du sens des mots, très au-delà des hypocrisies et duplicités constitutives de ce champ : que l’on songe, par exemple, à l’usage actuel du terme de « laïcité » comme vecteur légitimant du retour de l’emprise du religieux sur le politique et la société… La confusion des registres et des logiques, la distorsion du langage et la confiscation cynique des signifiants-maîtres sont les moyens privilégiés de la destruction du sens commun et de sidération de la pensée. Tout ce qui brille n’est pas d’or. Bien plutôt, l’abandon de tout critère axiologique ou esthétique au profit de la brutalité des séductions émotionnelles ou des excitations sensorielles dominées par l’intensité et l’effraction quantitative signe, sous prétexte de modernité, le retour innommé de la barbarie haineuse de toute création véritable et du travail qu’elle impose au sujet pour s’approprier le plaisir dont elle esquisse la promesse. L’intensité du jouir devient alors, avec le prix et l’insistance de la promotion, ce qui détermine immédiatement et totalement la valeur supposée des « produits culturels » que, sur fond d’inculture, la perversité médiatique prétend faire passer pour des œuvres d’art. Ainsi, l’audimat, le box-office et l’impact factor déterminent dans la pure logique quantitative et économique une hiérarchisation échappant à toute évaluation critique. L’anomie axiologique et culturelle contemporaine est ainsi une très féconde matrice pour toutes les perversions, et singulièrement, par l’abolition des frontières entre créer et produire, penser et calculer, faire de l’effet et avoir du sens. La banalisation de toutes les transgressions et de toutes les impostures trouve d’ailleurs en toute démocratie, sa légitimité idéologique dans l’invocation du droit à la différence et à la modernité… On peut ainsi déposer des baudruches dans la Galerie des Glaces, exposer des cadavres plastifiés et tomber en extase devant un tableau entièrement blanc ou constitué par des projections excrémentielles pourtant bien révélatrices de la véritable nature des « créations » en question…

29 À ce point de notre parcours, il apparaît clairement que le brouillage des limites et l’effacement des différenciations symboliques organisatrices de la psyché, du lien et de la pensée induisent une confusion et une anomie qui donnent aux logiques de désubjectivation et d’emprise une efficacité transsubjective qui tend à rendre impossible l’identification de la perversion : banalisée, généralisée, et dans le même temps, de ce fait, insituable et indicible, la perversion ne se laisse reconnaître que dans ce qu’en révèlent ses effets et conséquences, mais sa destructivité est le plus souvent soit méconnue dans le vague d’un malaise sans figure, soit l’objet d’une communauté de déni qui la renforce et l’entérine. Dans ces conditions, la dénonciation de l’emprise et de la manipulation à l’œuvre ne peut s’exprimer que dans les registres autodisqualifiants de la dramatisation hystérique ou de la persécution paranoïaque. L’inquisiteur se diabolise au moment même où il tente de dire ce qu’il en est de la destructivité à l’œuvre, et la mise en abyme et en miroir transforme l’accusation la plus légitime en condamnation de qui ose la proférer. Nos modernes sophistes de la communication, publicitaires, politologues et journalistes s’entendent à disqualifier tout discours de raison, toute argumentation, toute tentative de mise en sens critique pour imposer dans l’urgence leurs très séductrices flatulences. Comme Épiménide le crétois, qui dénonce la perversion du discours, se trouve pris dans une paradoxalité mortifère : n’est-il pas pervers, le discours qui dénonce la perversion du discours ? N’est-il pas pervers, celui qui nomme la perversion de l’autre ? Et d’où parle-t-il pour s’en trouver le droit ? C’est celui qui le dit qui l’est ?

30 Au moins pouvons-nous situer ici que la perversion, discours ou agir, pouvoir d’emprise ou séduction aliénante, n’existe que dans le lien où s’actualise la déliaison du symbolique, dans l’intersubjectivité paradoxale de son effectuation. Mais, dans le même temps, ce n’est que dans la mesure où, comme sujet, soumis à la castration symbolique, je reconnais en moi l’existence au moins potentielle de ce que je condamne en le nommant chez l’autre, que je peux échapper à la folie des intégrismes paranoïaques. Le déni pervers s’accommode parfaitement de la certitude paranoïaque qui, en le dénonçant, le conforte, en le nommant, le fait exister : c’est par exemple une stratégie éprouvée des mouvements idéologiques extrémistes et des sectes que de provoquer les persécutions qui, paradoxalement, sembleront les innocenter en en faisant des martyrs. La clinique analytique donne au quotidien l’occasion d’identifier les obscures jouissances de la position victimaire dont l’idéologie victimologique cautionne les souvent très problématiques revendications. Lorsque la contextualité sociale-historique, telle l’actuelle logique néolibérale, développe une confusion anomique favorable à toutes les manipulations, pire, tend structurellement à faire du cynisme, de la loi du plus fort et de l’utilitarisme le plus étroit les principes du fonctionnement social, la discrimination éthique et anthropologique entre le bien et le mal, le normal et le pathologique, le vrai et le faux devient si problématique que la notion même de perversion semble culturellement caduque, que la faculté et le droit de juger sont radicalement mis en question par les complaisances de la doxa dominante qui prétend du passé faire table rase, interdit d’interdire et enjoint de jouir sans entraves…

31 Faut-il dès lors se taire et, ne disant mot, consentir aux développements des logiques de mort ? Comment tracer la voie du sens entre vitupérations moralisantes, neutralité d’indifférence et lâches compromissions avec l’omerta socialement prescrite ? Faut-il renoncer à la notion même de perversion, ou à tout usage de ce concept ? Au terrorisme du tout ou rien comme au renoncement à penser, il convient sans doute de tenter d’opposer le travail de l’analyse. Comme il est déjà apparu, celui-ci ne saurait exister sans mise en œuvre de l’élaboration de ce qui se joue dans le lien, les enjeux du contre-transfert et la relation au contexte, mais aussi l’analyse critique de ce qui concrètement est à l’œuvre dans la réalité sociale. Plus encore que la folie, la perversion attaque directement ce qui étaye notre narcissisme, soutient et nourrit notre pensée, définit nos idéaux, constitue nos liens à nous-mêmes, à l’autre, aux autres et à l’ensemble. Elle sidère l’intellect, mobilise l’archaïque et laisse sans voix. Elle organise et impose sa très traumatique séduction. Aussi bien est-on ici, au-delà de la difficulté de dire, confronté à l’interdit, l’empêchement et l’impossibilité de dire. Les stratégies de brouillage sont d’ailleurs omniprésentes : la destruction programmée du service public (retrait des moyens financiers et en personnel, attaques sur les valeurs fondatrices) produit mécaniquement les dysfonctionnements qu’on invoquera ensuite pour justifier les privatisations, la disqualification des pratiques et des acteurs, la mise en cause des acquis sociaux et du droit du travail. Il se pourrait bien d’ailleurs que les nobles réserves éthiques récusant la nomination de la perversion trouvent dans cette difficile complexité une partie de leur force, pour autant que l’invocation du principe moral permet d’échapper à la confrontation avec ce qui, radicalement, le met en question, non point tant comme idée antagoniste que comme effrayante tentation ou radicale récusation…

32 L’horrifique de la jouissance transgressive, exhibition spectaculaire de l’obscénité triomphante ou silencieuse stratégie des déliaisons assassines, appelle en chaque sujet la complicité de l’infantile, la déréliction originaire et la crainte de l’effondrement, mais mobilise aussi les défenses héritées de la famille et de la culture d’appartenance. Aussi bien, la catégorisation du pervers et l’identification de la perversion ne sauraient se séparer des références axiologiques qui structurent et vectorisent leur détermination négative. Et, pour chacun, elles renvoient aux failles, aux fautes et aux secrets de ses objets originaires et du groupe d’appartenance primaire. En quoi, la tolérance, les capacités d’identification et de critique de la perversion renvoient aux identifications subjectivantes, aux incorporats culturels, aux valeurs et aux représentations normatives intégrées par chacun dans ses groupes d’appartenance, dans son parcours et son histoire. Mais aussi aux normes, aux complaisances et aux communautés de déni à l’œuvre dans sa famille, ses groupes de référence et dans la société. Et l’on sait combien l’appréciation axiologique et psychopathologique d’une conduite dépend de l’idéologie dominante, de l’origine de classe et de l’histoire familiale des sujets en cause, sans pour autant s’y réduire mécaniquement. D’où parle-t-on, de quelle place, dans quelle posture et de quelle position, pour énoncer et dénoncer le pervers, la perversion et la perversité ? Au nom de quoi, et pourquoi ? Selon quels critères et quels repères, quelles valeurs et quels principes ?

33 L’interrogation des critères et catégories présidant à la nomination de la perversion ne peut pourtant pas justifier de dissoudre ou disqualifier dans un relativisme culturel ou communautariste absolu l’indignation, le malaise ou le rejet qu’engendrent les agirs et discours pervers et leur destructivité. La référence au métaculturel anthropologique permet, en référence aux déterminants de la condition humaine et à la nécessité du travail de la culture pour humaniser le néotène, de mettre en travail préjugés et représentations idéologiques sans pour autant effacer la référence fondatrice à l’éthique de la subjectivation. C’est en effet une des innommables perversités de l’hypermodernité que de considérer comme insoutenable l’idée d’universalité héritée de l’Aufklärung, par exemple en disqualifiant l’impératif catégorique kantien, au lieu d’oser en penser la radicalité tragique qui, en cette formule morale, reconnaît l’arbitraire et la nécessité à l’origine de la loi symbolique, et l’interdit comme condition aussi nécessaire qu’infondée à l’existence du sujet de désir et du parlêtre. On dit classiquement, et non sans raison, que le pervers, loin de méconnaître la loi, s’en sert pour la détourner, la disqualifier et la transgresser, en jouer et en jouir ; mais sans doute convient-il aussi de prendre la mesure de ce qu’induisent et permettent la confusion, le clivage ou l’opposition de la loi sociale et de la loi symbolique dans les périodes d’anomie culturelle telles que la nôtre, particulièrement propices aux agissements des thanatophores et à l’évitement ou au déni de toute castration. Il y a une genèse, une histoire et un devenir de la perversion et de son identification ; il apparaît important de les situer dans leur contexte et de spécifier les conditions de son émergence et de son déploiement dans la société.

34 Quoi que l’on en ait, l’identification et la désignation de la perversion ne peuvent totalement échapper à une connotation morale, parce que le rapport transgressif de récusation de la loi symbolique commune et de l’éthique fait structurellement partie de ce qui peut être défini comme pervers. Ce constat essentiel n’autorise pas pour autant le clinicien, et encore moins le psychanalyste à se transformer en mouchard, en délateur ou en indicateur de police, ce qui, évidemment, fait pourtant doublement problème : en effet, d’une part, la neutralité bienveillante ne saurait s’appliquer aux œuvres de la pulsion de mort, et d’autre part, y compris dans son exercice libéral, la pratique psychanalytique ne saurait pas plus prétendre échapper à la loi commune que se soumettre ou s’identifier aux pratiques policières et à l’idéologie sécuritaire. En cette double contrainte, il est sans doute souhaitable de d’abord clairement refuser toute forme de dénonciation qui assignerait un sujet ou un groupe à la position de mauvais objet, telle que l’opinion publique, les pouvoirs politiques et les médias souhaiteraient la voir instituée par une expertise supposée confirmer l’imaginaire social, mais il est tout aussi impossible au psychanalyste ou au psychiste de cautionner par son silence la destructivité des agissements pervers. Les dégâts engendrés par la récente promotion médiatique de la pédophilie, le succès populaire des séries – souvent étatsuniennes, mais pas uniquement – mettant en scène des pervers psychopathes devraient ici inciter à la plus grande prudence : que peut et doit-on dire d’une perversion avérée, ou pire, supposée par le fantasme et la rumeur, comme sujet, citoyen et professionnel ? À quelle épreuve de réalité se fier ? À qui, dans quelles circonstances et pour quelles raisons faudrait-il dire ce qu’on sait, ce qu’on croit, ce qu’on pense ? Comment concilier ici l’éthique de la vérité et la volonté de subjectivation sans entrer dans une coupable complicité ou se faire, au-delà de la loi juridique, l’agent d’une délation stigmatisante ? On voit ici combien la culpabilité à dire la réalité et la vérité est structurellement produite par la perversion et vient mettre en danger la possibilité de penser du témoin ou de la victime. Face au pervers, l’empathie est un piège et l’identification projective un calvaire, du moins tant que, fasciné par la belle horreur de son acte, on s’enferme dans une conception naturaliste et essentialiste de son être sans interroger d’abord ce qu’il nous fait, par quoi, en quoi et comment il mobilise nos fantasmes et notre pulsionnalité, nous interdit de penser, nous attire dans une très séduisante régression ou procède subtilement à notre destruction.

35 De ce point de vue, même si l’on ne saurait totalement les opposer, il est nécessaire de distinguer perversion sexuelle et perversion narcissique. À nouveau, il faut d’abord différencier ce qui serait structure, défense, mécanisme, logique, dérive ou processus, mais aussi s’efforcer de repérer le registre économique et dynamique dans lequel s’inscrit le phénomène supposé pervers : est-on dans l’univers de la névrose, de la psychose, de l’opératoire, de l’état-limite…? Qu’en est-il de la contextualité sociale, historique, culturelle dans laquelle il surgit ? Depuis S. Freud, le statut de la perversion fait débat, et l’évolution des mœurs ne suffit pas à décider d’une définition du pathologique, et ceci d’autant plus que le même comportement peut renvoyer à des économies psychiques très différentes. On ne saurait se satisfaire des petites classifications normatives du DSM pour prétendre évaluer les enjeux inconscients des conduites « perverses », notamment dans le domaine sexuel, on ne peut sous-estimer l’importance des changements anthropologiques à l’œuvre depuis un siècle. L’évolution des mœurs complexifie l’interprétation évaluative des comportements, beaucoup de sujets ne sachant plus eux-mêmes s’ils souffrent ou non, peuvent se considérer comme « normaux » ou pathologiques. L’anomie hypermoderne, entre pornographie et puritanisme, produit aussi bien des normopathes conformistes que des psychopathes normalisés. C’est la raison pour laquelle il apparaît essentiel de différencier la perversion sexuelle, avec sa contractualisation de l’emprise et le pacte inconscient qui réunit les partenaires dans une logique de la jouissance référée à l’évitement de la castration, et dont le modèle est le fétichisme, et la perversion narcissique, relation d’emprise imposée instrumentalisant l’autre dans la négation radicale de son altérité, de son identité, de sa subjectivité, de son existence même comme humain. La perversion sexuelle est un accord sur le désir « tordu », la perversion narcissique met en œuvre le meurtre du désir et du sujet désirant. Même si les deux modalités peuvent se combiner et même si un sujet peut souhaiter la mort de sa désirance, il s’agit en réalité d’économies différentes du discours et de la jouissance. Et, de fait, même de façon maladroite, la loi juridique et sa casuistique s’efforcent de les distinguer et différencier. Mais comment identifier des intentions ?

36 À en rester à une conception individualisante de la perversion, à la considérer comme le fait d’un seul sujet selon le modèle orthodoxe des pathologies supposées ordinaires, on méconnaît la complexité paradoxale de ce qui est en jeu. D’abord et c’est essentiel, que du contrat sexuel à la prédation narcissique, la perversion est affaire de discours, de lien et d’emprise, qu’elle est toujours intersubjective et interactive, indissociable du contexte groupal, psychosocial, institutionnel, culturel et politique qui en permet l’émergence, qui l’accueille et la soutient et qu’elle contamine et utilise en retour. Toute perversion est d’abord et toujours, une pathologie des liens à penser en référence aux alliances inconscientes qui s’y effectuent et de la ritualisation qu’elle met en œuvre. C’est pourquoi, tout au moins pour la perversion narcissique, les groupes institués se trouveront singulièrement investis et affectés par les déliaisons mortifères de la désubjectivation et/ou les ligatures de la strangulation opératoire. Il n’y a de perversion que du lien et dans le lien. C’est donc du côté du sujet du groupe ou de la relation entre sujet singulier et sujet du groupe que l’analyse doit d’abord se tourner. La psychologisation désignant la problématique selon la seule norme d’internalité est donc une erreur technique majeure, car elle méconnaît l’importance des phénomènes de transduction, d’induction et d’engrènement, même s’il sera parfois nécessaire de reconnaître l’immutabilité d’une structure perverse figée dans l’agir psychopathique et la jouissance de la mort, auquel cas, la fuite – ou la contention – sera probablement le seul recours permettant d’échapper à la destructivité en acte.

37 Ensuite, que dans leurs différentes manifestations et la pluralité de leurs degrés, les mécanismes pervers sont toujours essentiellement réification, instrumentalisation, disqualification, et finalement anéantissement de l’altérité subjective, en même temps que fabrication de ligatures discursives et émotionnelles : ce sont précisément la désaffectation et la désubjectivation qui donnent à l’indifférence émotionnelle et éthique du pervers sa capacité de nuisance et de destruction. Adepte et initiateur des maltraitances familiales comme des crimes de bureau et des procédures technocratiques et technologiques destructrices du lien social, le pervers, exilé de son émotionnalité, trouve dans toutes les formes de totalitarisme les occasions de mettre en œuvre son pouvoir sans foi ni loi et d’externaliser les pulsions, les fantasmes et les conflits qu’il ne veut ni ne peut gérer. L’idéal opératoire de la société du profit, soumise aux logiques désubjectivées et désubjectivantes de l’informatique, des procédures et de l’évaluation, est en tant que tel au centre de ce que l’on peut désigner dans la culture comme une perversion « froide » qui légitime toutes les emprises au nom de la technicité et de l’efficacité. Ce sont ses victimes, souvent rapidement transformées en complices pour tenter de survivre, qui prendront en charge l’effondrement psychotique, le désespoir narcissique, le vide opératoire contre lesquels s’est érigée la solution perverse. Dans cette position, elles retrouvent paradoxalement un pouvoir sur leur persécuteur et le sentiment d’exister dans et par leur aliénation. C’est pourquoi il leur sera souvent impossible d’entendre ce qu’on peut leur dire de la ligature qu’elles investissent comme un lien salutaire.

38 Avec la banalisation du mal que produit la contamination perverse dans l’hypermodernité, il est souvent difficile de formuler et faire reconnaître, malgré son évidence, la destructivité criminelle des discours et des logiques qui, à l’instar des langues totalitaires, et au mépris de tout état d’âme, justifient l’exploitation, le rejet et le mépris, la désubjectivation et la déshumanisation que diffusent notamment le management procédural et le modèle entrepreneurial néolibéral. De fait, la destructivité en question résonne dans l’après-coup avec les expériences et fantasmes infantiles et les culpabilités qui s’y attachent C’est la raison pour laquelle, dans le couple, la famille, le groupe, l’institution ou la culture, ce qui doit être amené à la parole relève de l’analyse dynamique de l’emprise, des alliances inconscientes, des dynamiques et des configurations de l’inconscient du lien. S’il est toujours nécessaire d’identifier, de nommer et de qualifier l’agir pervers, il est sans doute plus important encore de démonter dans le détail les mécanismes et les procédés de l’emprise et de la séduction, toute stigmatisation, aussi justifiée soit-elle, donnant au pervers l’occasion de prendre la posture de la victime persécutée, tandis que le sujet maltraité, prisonnier des culpabilisations dont il est l’objet, risquera, comme on le voit chez les adeptes de groupes sectaires, de voler au secours de son bourreau… Ce nécessaire travail, notamment dans le cadre des supervisions, analyses de pratique et interventions institutionnelles implique évidemment que le psychanalyste, avec une particulière attention aux processus, logiques et mécanismes à l’œuvre dans le groupe et l’organisation, intègre dans son écoute et ses interventions la prise en compte de la réalité matérielle où se trahit le travail de la mort. Mais aussi la considération attentive de l’effondrement des métacadres et de la crise des conteneurs qui libèrent l’archaïque et permettent à la perversion de se déployer sans limites. C’est donc un travail d’étayage des symbolisations et des liens qui devra structurer la résistance aux attaques sur la pensée, la parole et le désir menaçant la vie subjective et le lien social.

39 Dans la clinique et la dynamique de la cure, s’il est possible, voire inéluctable, d’avoir à mettre en travail des défenses, des moments ou des régressions du registre pervers chez des sujets névrosés, borderlines ou psychotiques, il est rare de se trouver en présence de sujets « structurellement pervers », puisqu’aussi bien, les « vrais » pervers ne peuvent en général formuler une demande qui supposerait la remise en cause de leur mode de fonctionnement et de la relative sérénité que leur permettent l’indifférence et l’emprise sur l’autre qu’ils agissent dans le social. Victime bétonnée, le psychopathe ne demande rien à l’autre qui n’existe pas pour lui. Ce qui s’offre à notre écoute, ce sont donc essentiellement la souffrance et la plainte des victimes/complices prises dans les doubles contraintes de la culpabilité, de la fascination et de l’horreur. Du fait de ce qui se répète dans la relation au pervers d’un infantile méconnu, il s’agit le plus souvent d’une soumission inéluctable aux retournements de culpabilité, d’un effacement annulant les maltraitances subies, d’une admiration sans borne pour le persécuteur idéalisé. L’indignation, la colère ou le malaise qui gagnent l’analyste pris à son tour dans l’emprise si facilement supportée par l’analysante – le plus souvent – ou l’analysant, sont dans le contre-transfert le moyen d’accéder aux affects déniés dans les rationalisations masochistes. Mis dans la position d’être le témoin impuissant, voire la caution d’une aliénation idéalisée, une fois le temps nécessaire accordé à l’écoute et à l’accueil de l’ambiguïté de la plainte autoculpabilisante et à la défense du bourreau, le psychanalyste ne peut, me semble-t-il, rester le témoin muet des maltraitances, des attaques et disqualifications narcissiques dont on lui fait répétitivement le récit.

40 Face à un transfert souvent paradoxal, il s’agit d’ouvrir l’écoute à l’économie, la dynamique et au système des liens en cause, bref, de travailler à entendre dans la parole et le récit du patient la présence de relations irréductibles au travail du fantasme, d’interroger, au plus près de l’éprouvé, le détail des discours et des agirs subis, de remettre en lien ce qui s’énonce dans le clivage ou le morcellement nécessaires à la préservation de la non-pensée de la réalité de l’autre pour ne pas l’identifier dans sa réalité d’abuseur, et le plus souvent, comme réincarnation, dans la répétition, non seulement d’une imago, mais d’un parent réellement pathologique. Ici, l’analyse doit se faire analyse de discours, retour sur le dénié ou l’euphémisé, reprise de la suite des évènements en récit subjectivé, mise en lien et en sens de ce que le pervers a clivé, morcelé, confusionné, remise en place de la différence des sujets et des places dans le lien… La nomination empathique de la maltraitance, l’analyse au plus près des paroles, des actes et des situations, l’appel au sujet semblent ici, avec toute la prudence et le tact nécessaires, indispensables pour redonner aux mots leur valeur et rendre au Je la possibilité d’exister hors de l’emprise qui l’aliène. Il s’agit, non pas de condamner le sujet pervers – dont, au reste, nous ne connaissons directement ni l’histoire ni les souffrances – en le diabolisant, mais de rendre figurables, pensables et dicibles les manœuvres destructrices qu’il met en œuvre et qui empêchent le sujet de prendre la parole en son nom. Pour cela, il s’agit d’abord de penser la perversion comme effet de groupalité et d’interaction, souvent dans la dimension traumatique trans et intergénérationnelle, pour en démonter les mécanismes, redéfinir les places et les limites que le discours pervers travaille indéfiniment à disqualifier. Une précautionneuse et attentive analyse métapsychologique est ici de rigueur : que l’écoute accueille la parole d’un sujet ou le discours d’un groupe, les dimensions économiques, topiques et dynamiques doivent être soigneusement explorées et les différentes dimensions et multiples registres du transfert-contre-transfert analysés. À cette condition, il est alors possible d’identifier et de nommer pervers et perversion sans réticence ni culpabilité ce qui aliène le sujet dans la répétition d’un innommable. Nommer la réalité des processus et des évènements n’est pas stigmatiser un sujet pour lequel la solution perverse s’est avérée la seule disponible, mais ce n’est pas non plus abandonner au silence les victimes des emprises désubjectivantes qui les séduisent, les sidèrent et les détruisent…

41 Identifier et nommer la perversion exige un important travail d’élaboration contre-transférentielle pour éviter condamnation paranoïaque ou complaisance pour les œuvres de la pulsion de mort. S’il apparaît nécessaire d’interroger ce que mobilisent en nous les agirs pervers et d’analyser les dérives anthropologiques de la société hypermoderne, ses régressions et ses dénis, c’est dans l’analyse des logiques et liens pathologiques, de leur dynamique et des alliances inconscientes qui s’y réalisent que l’on peut trouver un moyen d’identifier et de dire, au plus près des agirs destructeurs, le sens et l’intentionnalité des processus pervers, actes de discours et pratiques d’emprise et de déliaison désubjectivantes dont le récit ne laisse pas indemne celle ou celui qui accueille dans son écoute la souffrance innommable du lien d’emprise. Ce nécessaire travail ne saurait pourtant dispenser des indignations légitimes, des résistances créatrices et des engagements citoyens…

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Mots-clés éditeurs : déni, emprise, perversion, psychopathologie des liens, mondes superposés, éthique, Alliances inconscientes, hypermodernité

Mise en ligne 15/06/2012

https://doi.org/10.3917/cnx.097.0093
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