Couverture de COME_091

Article de revue

La variable énergétique dans la crise syrienne

La question stratégique du contrôle d'un futur gazoduc méditerranéen

Pages 95 à 106

Notes

  • [1]
    A l’IFAS, il est en charge depuis 2006 d’une veille stratégique entre l’Iran et les pays arabes particulièrement préoccupés de l’éventuelle accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire. Il est également chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération Méditerranéenne et Euro-arabe (MEDEA) de Bruxelles. Outre de nombreux articles, il a notamment publié Géopolitique de l’Arabie saoudite : des Ikhwans à Al-Qaïda (Armand Colin, 2005) et L’Iran pluriel : regards géopolitiques (l’Harmattan en 2011). Il enseigne par ailleurs dans plusieurs Ecoles Supérieures de Commerce (ESG).
  • [2]
    L’ancien émir du Qatar, Hamad bin Khalifa al Thani qui vient de transmettre le pouvoir à son fils Tamim a compris très tôt que le Gaz naturel liquéfié (GNL) était un produit d’avenir. Le Qatar est ainsi devenu le 1er exportateur de GNL. Extrait du gisement off-shore de North Dome, le plus vaste du monde, situé à quelque 80 kilomètres au large des côtes qatariennes, l’émirat produit 77 millions de tonnes de GNL par an via 14 lignes de production.
  • [3]
    Comme le soulignent Christophe Ayad et Benjamin Barthe dans leur périple autour des frontières iraniennes : « Il est notoire que, du fait de ses capacités d’extraction et de transformation largement supérieures, le Qatar empiète plus ou moins volontairement sur les réserves de son voisin. C’est comme si deux hommes se partageaient un verre de Coca-Cola, chacun avec sa paille, et que l’un d’eux rigolait en son fort intérieur parce qu’il s’est aperçu que la paille de l’autre est percée’ sourit un diplomate en poste à Doha. Mais ‘comme l’homme avec la bonne paille n’est pas le plus fort des deux, poursuit-il, il doit faire gaffe à ne pas aspirer trop vite’. La métaphore résume bien la nature des relations qataro-iraniennes, tout en calculs et en contorsions », « Autour du pays mystérieux. 3. Riches et rusés face à l’Iran », Le Monde, 26 juillet 2012, p. 14. En 2004, des forces spéciales iraniennes avaient déjà détruit une plate-forme de forage qatari parce que l’Emirat puisait de manière excessive dans le champ gazier. Cf. Mehdi Lazar, « Axe sunnite et gazoduc : quand les Qataris interviennent en Syrie pour le plus grand bonheur des Occidentaux », Atlantico.fr, 26 août 2012 (http://www.atlantico.fr/decryptage/axe-sunnite-et-gazoduc-quandqataris-interviennent-en-syrie-pour-plus-grand-bonheur-occidentaux-mehdi-lazar-460320.html).
  • [4]
    Le projet initial Nabucco était un gazoduc appelé à relier la Transcaucasie au continent européen. Il devait, à l’horizon de 2017, permettre de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique de l’Europe dépendant aujourd’hui à près de 80 % du gaz russe et la dépendance au gaz russe devrait s’accroître d’ici 2020. Le consortium à l’origine du Nabucco avait été fondé en 2004 et regroupait plusieurs sociétés : la RWE allemande (Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk AG), dont les parts avaient été rachetées en avril 2013 par l’OMV autrichienne (Österreichische Mineralölverwaltung), la Botas Petroleum Pipeline Corporation turque, l’Energy Company Holding, la Transgaz roumaine. Mais son coût initial avait été rapidement revu à la hausse à deux reprises pour être porté finalement à 21,4 milliards. Ce projet Nabucco avait été conçu pour transporter 31 milliards de m3 de gaz par an sur 3.900 kilomètres à partir du Moyen-Orient et la Caspienne vers les marchés européens via la Turquie. Ce tracé programmé pour traverser la Turquie devait également permettre au gazoduc d’être éventuellement relié, à terme, aux réseaux de transport de la Syrie et de l’Irak. Le projet Nabucco a eu d’emblée l’ambition de concurrencer le projet russe South Stream, un gazoduc planifié par Gazprom (Russie) et ENI (Italie) via la mer Noire planifié pour 2015 et censé passer par la Bulgarie avant de se diriger vers la Grèce, la Hongrie, l’Autriche et le nord de l’Italie, avec une capacité d’acheminement de 60 milliards de m3 par an. Or, South Stream se trouve également soutenu par la Turquie qui veut être gagnante dans tous les cas de figure. Vladimir Poutine a annoncé lors de sa visite à Ankara le 1er décembre 2014 l’abandon du projet de construction de gazoduc South Stream en rejetant la responsabilité de cet abandon sur l’Union européenne. Le président russe a indiqué qu’un gazoduc de substitution verrait le jour lequel doublerait le Blue Stream acheminant déjà le gaz russe vers la Turquie en passant sous la mer Noire. En décembre 2011, la Turquie et l’Azerbaïdjan avaient d’ailleurs annoncé parallèlement la mise en place d’un gazoduc transanatolien, le TAP, pour transporter le gaz de Shah Deniz initialement destiné à Nabucco, alors que la Russie et la Turquie signaient un accord sur la traversée des eaux territoriales turques par South Stream, rendant la finalisation de Nabucco de plus en plus incertaine. L’un des partenaires du gisement Shah Deniz, le norvégien Statoil, s’est mis à la tête de ce TAP, avec le groupe suisse Axpo et l’allemand E.ON. Le consortium exploitant le gisement de Shah Deniz regroupant outre Statoil, le britannique BP, aux côtés du français Total, et de l’azerbaïdjanais Socar, a finalement choisi, fin juin 2013, la route pour exporter sa production, en l’occurrence le TAP, précité, au détriment de Nabucco. La planification du TAP, lequel prévoit d’acheminer 10 milliards de m3 par an jusqu’au sud de l’Italie, sonnait d’une certaine manière le glas des ambitions initiales de Nabucco. Dès le départ, Nabucco s’était en effet trouvé partiellement hypothéqué par deux handicaps importants. Le premier résidait dans le fait qu’il n’était pas porté par un pays producteur de gaz mais simplement par des pays consommateurs. Il apparaissait alors difficile dans ces conditions de sécuriser les volumes de gaz à livrer. Le second handicap renvoyait au fait qu’aucune des grandes compagnies gazières européennes – comme GDF par exemple – n’était partie prenante du consortium. Récemment, Nabucco avait de fait été contraint de réviser ses ambitions à la baisse. Le nouveau projet plus modeste, intitulé Nabucco West devait se greffer à un gazoduc turc et ne démarrer qu’à la frontière entre la Turquie et la Bulgarie, direction l’Autriche. Pour évacuer son gaz, l’Azerbaïdjan cherchait en effet une route alternative, plus courte et moins chère que celle proposée par le Nabucco initial. Il l’a donc trouvé avec le TAP, le gazoduc transanatolien qui devrait être opérationnel en 2017. (cf. carte infra sur les trois projets du « corridor Sud »).
  • [5]
    Il faut préciser que les relations entre Damas et Doha ont souvent été chaotiques. On peut rappeler à cet égard l’altercation violente entre Walid al-Mouallem, l’inamovible ministre des Affaires étrangères syrien et Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani lors d’une audience à Washington en juin 1997. Cf. « Menaces syriennes contre le Qatar », Le Monde du Renseignement, n° 314, 26 juin 1997.
  • [6]
    Cf. Roland Lombardi, « Guerre en Syrie et géopolitique du gaz », blog de la Chaire de Mangement des Risques Energétiques de l’ESG Management School, 5 mars 2013 (http://www.riskenergy.fr/2013/03/guerre-en-syrie-et-geopolitique-du-gaz.html).
  • [7]
    Ce gazoduc « chiite », d’un coût prévu de quelque 10 milliards de dollars, a l’ambition de fournir l’Europe en gaz liquéfié via les ports méditerranéens de Syrie (Lattaquié et Tartous). Long de 5 600 kilomètres, il devrait transporter 35 milliards de m3 de gaz par an une fois sa mise en service effective.
  • [8]
    Cf. Fahd Andraos Saad, « La Syrie dans le chaudron des projets gaziers géants », trad. de l’Arabe par Mouna Alno-Nakhal, on Mondialisation. ca, 21 juillet 2013 (http://www.mondialisation.ca/la-syrie-dans-le-chaudron-des-projets-gaziers-geants/5343462) de l’article original de Shamtimes.net, 18 juillet 2013 (http://shamtimes.net/news_ de.php?PartsID=1&NewsID=9663). Il faut préciser que l’article original est issu du site ShamTimes qui est un site proche de la ligne du gouvernement de Damas et que sa traduction a été mise en ligne sur un site au caractère « altermondialiste » marqué.
  • [9]
    Il reste que les Saoudiens n’auraient pas validé le projet qatari de transit via l’Arabie saoudite pour rejoindre le Nabucco qui avait pourtant été mis à l’étude. Riyad en effet, irritée par son turbulent voisin, avait finalement fait obstruction à tout développement terrestre du pipeline envisagé.
  • [10]
    Cf. Fahd Andraos Saad, ibidem.
  • [11]
    En partie parallèle à l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), le BTE a été ouvert en 2007 et il couvre une distance de 883 kilomètres depuis les champs gaziers de Shah Deniz (Azerbaïdjan) jusqu’à Erzerum (Turquie). Les principaux opérateurs de ce gazoduc sont BP (Royaume-Uni) et Statoil (Norvège). Les autres actionnaires sont la SOCAR (State Oil Company of Aerbaïjan Republic), Lukoïl (Russie), Total-Elf-Fina (France), Naftiran Intertrade Co. (Iran) et TPAO (Türkiye Petrolleri Anomin Ortakligi (Turquie). Tout comme le BTC, le BTE préfigure d’une certaine manière ce fameux « corridor sud » appelé à relier le Bassin de la Caspienne aux marchés européens, en contournant délibérément le territoire russe. Il confère à la Turquie une importance centrale puisqu’il en fait une sorte de hub énergétique. Cf. Jean-Sylvestre Mongrenier, Stratégies et géopolitiques russes des hydrocarbures : un défi pour l’Europe, Bruxelles, Presses Universitaires de Louvain, 2013, p. 72.
  • [12]
    On peut souligner que le marché du gaz risque d’arriver peu ou prou à saturation avec la mise en service de huit nouvelles infrastructures australiennes entre 2014 et 2020 dont la production est surtout destinée au marché asiatique. Avec un marché américain lui-même déjà saturé – du fait de l’explosion de la production de gaz de schiste – le Qatar n’a plus réellement que l’Europe comme débouché. La découverte de nouveaux champs d’hydrocarbures off-shore en Méditerranée ouvre de nouvelles perspectives pour contourner l’Arabie saoudite et ouvrir de nouvelles opportunités commerciales. Les tronçons des gazoducs sont déjà dessinés. Le dernier obstacle à leur réalisation demeure le régime de Bachar al-Assad. Cf. Felix Imonti, « Qatar : Rich and Dangerous », Oilprice.com, 17 septembre 2012 (http://oilprice.com/Energy/Energy-General/Qatar-Rich-and-Dangerous.html). Cf. pour la traduction « Pour quelques centaines de milliards », Courrier international, n° 1172, 18-24 avril 2013, p. 28.
  • [13]
    Cf. Fahd Andraos Saad, ibidem.
  • [14]
    Elles définissent les ressources en gaz et pétrole seulement « raisonnablement certaines » d’être produites, en utilisant les techniques actuelles, au prix actuel et selon les accords commerciaux et gouvernementaux en cours. Les professionnels du secteur utilisent l’appellation P90, car elles ont 90 % de chance d’être mises en production. On distingue ces « réserves prouvées » des « réserves probables » qui définissent les ressources en gaz et en pétrole « raisonnablement probables » d’être produites, en utilisant les techniques actuelles, au prix actuel et selon les accords commerciaux et gouvernementaux en cours. On utilise alors l’appellation P50, car elles ont 50 % de chance d’être mises en production. Enfin, on parle de « réserves possibles », c’est-à-dire « ayant une chance d’être développées en tenant compte de circonstances favorables ». On utilise alors l’appellation P10, car elles ont 10 % de chance d’être mises en production. Cela signifie que la notion de « réserves » repose sur un calcul différentiel de probabilité de mise en production des réserves initialement estimées.
  • [15]
    Cf. Chems Eddine Chitour, « La Syrie se trouve sur la plus colossale plaque de réserve de gaz du monde, d’où la guerre ! », 28 août 2013(http://www.blog.sami-aldeeb.com/2013/08/28/la-syrie-se-trouve-sur-la-plus-colossale-plaque-de-reserve-de-gaz-du-monde-dou-la-guerre/). Chems Eddine Chitour est professeur de thermodynamique à l’École nationale polytechnique d’Alger, titulaire d’ingeniorat en génie chimique de la même école et d’un doctorat es-Sciences de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne.
  • [16]
    Cf. Interview de Bachar al-Assad accordée au journal al-Sawra, 4 juillet 2013.
  • [17]
    Cf. Luca Baccarini, « Syrie-Russie : accord sur l’exploration pétrolière offshore », on Affaires-Stratégiques.info, 10 janvier 2014 (http://www. affaires-strategiques.info/spip.php?article9086).
  • [18]
    Cette carte est tirée de l’article d’Imad Fawzi Shueibi – de son état « Président du Centre de documentation et d’études stratégiques » de Damas - , paru dans ShamTimes. Cf. supra note 6 sur le profil de la publication.
  • [19]
  • [20]
    Cf. entretien avec David Amsellem, « Le facteur gazier dans le conflit syrien », on Les Cles du Moyen-Orient, 10 mars 2014 (http://www. lesclesdumoyenorient.com/Le-facteur-gazier-dans-le-conflit.html).
  • [21]
    Luca Baccarini, « Syrie-Russie : accord sur l’exploration pétrolière offshore », on Affaires-Stratégiques.info, 10 janvier 2014 (http://www. affaires-strategiques.info/spip.php?article9086).
  • [22]
    Cf. « Gaz et pétrole : la Syrie signe un accord avec la Russie », AFP, 5 décembre 2013 (http://affaires.lapresse.ca/economie/energie-et-ressources/201312/25/01-4723818-gaz-et-petrole-la-syrie-signe-un-accord-avec-la-russie.php).
  • [23]
    Luca Baccarini, « Syrie-Russie : accord sur l’exploration pétrolière offshore », on Affaires-Stratégiques.info, 10 janvier 2014 (http://www. affaires-strategiques.info/spip.php?article9086).

1 Si elle n’en constitue pas forcément le facteur nécessaire et suffisant pour expliquer l’évolution, sinon l’origine, de la crise syrienne, la variable énergétique n’en demeure pas moins importante. Cette dernière ne saurait être sous-estimée dans le « nouveau Grand Jeu énergétique » du début du XXIe siècle, tout particulièrement dans sa modalité gazière puisque cette ressource apparaît comme l’hydrocarbure appelé à un avenir faste en contrepoint de la baisse inexorable des réserves connues de pétrole (même en tenant compte des pétroles non-conventionnels). Et ce, d’autant plus qu’à l’aune du changement climatique déjà à l’œuvre, le gaz est une énergie « fossile » beaucoup moins polluante que le pétrole, pour ne rien dire du charbon toujours aussi utilisé par certains pays comme la Chine, dont la demande énergétique a explosé. Certains experts estiment ainsi que le gaz pourrait même devenir le combustible numéro un à partir de 2030.

2 Or, la région du Proche-Orient participe de ce nouveau « Grand Jeu » même si c’est dans une mesure plus modeste que celle de l’Asie centrale qui en constitue le cœur. Le Proche-Orient, et potentiellement la Syrie, apparaît comme une voie de passage obligé d’un certain nombre de pipelines en général et de gazoducs en particulier. La Syrie en l’occurrence se présente, à certains égards, comme une sorte de hub énergétique potentiel entre le Machrek gazier avec en pointe le richissime Emirat du Qatar et l’Europe, grande consommatrice.

La Syrie, « nœud gordien » d’une guerre du gaz ?

3 On peut d’abord relever que la Syrie de Bachar al-Assad n’a pas toujours été vouée aux gémonies, y compris par ceux-là mêmes – comme la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite – qui semblent aujourd’hui les plus empressés à hâter sa chute. Elle fut même un partenaire économique courtisé par le fait que le pays constitue, à bien des égards, une sorte de hub entre le Machrek et l’Europe, en termes énergétiques notamment. Le fait est que le Qatar, qui partage avec l’Iran l’un des plus grands champs du monde – appelé North Dome du côté qatari et South Pars du côté iranien – n’était pas satisfait de se trouver a priori plus ou moins contraint, pour exporter son gaz [2] , de passer par le détroit ultra-sensible d’Ormuz largement sous la surveillance de l’Iran. Doha avait donc éprouvé la tentation de trouver une autre voie moins soumise aux aléas géopolitiques induits par la crise sur le nucléaire iranien. Sans parler des tensions existant entre les deux pays relatives au partage parfois inéquitable de cette manne gazière, le Qatar pompant le champ commun au détriment de l’Iran qui se trouve pénalisé par les sanctions internationales pour exploiter ce qui lui revient [3].

4 En 2009, le Qatar avait, de fait, envisagé le tracé d’un gazoduc « sunnite » terrestre courant du Golfe Persique jusqu’à la Turquie et susceptible de se raccorder in fine au projet préexistant du Nabucco[4] afin d’exporter ce gaz vers l’Europe, un tracé transitant d’abord par l’Arabie saoudite, puis par la Jordanie, enfin par la Syrie. C’est sans doute d’ailleurs l’une des raisons qui avait conduit Doha à se rapprocher du régime de Damas avec lequel les relations n’avaient pas toujours été aisées [5]. Le Qatar avait ainsi investi jusqu’en 2011 près de 78 milliards de dollars en Syrie notamment dans le secteur du tourisme. Et en février 2010, le Doha avait même été jusqu’à signer un éphémère pacte de défense avec la Syrie.

5 Or, Bachar al-Assad avait finalement refusé de signer ce projet, privilégiant un accord avec son allié régional iranien, et aussi pour ménager les intérêts, entre autres énergétiques, de son vieil allié russe, premier fournisseur gazier de l’Europe qui se trouve, de fait, en situation de dépendance prononcée en cas de crise comme en janvier 2009 avec l’interruption des livraisons de gaz à l’Ukraine, qui sert depuis l’époque soviétique de hub continental de redistribution pour le compte de Gazprom à destination de nombreux pays européens [6]. Toujours est-il qu’en juin 2011, était formalisé un protocole d’accord entre l’Iran persano-chiite, l’Irak post-Saddam et la Syrie alaouite en vue d’établir un gazoduc « chiite » ou IGS (Islamic Gas Pipeline) à horizon de 2016 [7] pour l’acheminement du gaz iranien vers la Syrie en passant par l’Irak.

6 Dans ce type de situation géopolitique complexe, il est assez courant de voir dans cette variable énergétique le facteur explicatif décisif au cœur de l’évolution des événements sur le terrain, au point de prendre parfois le pas sur toute autre considération et même s’il ne s’agit pas pour autant d’exclure la pertinence de ladite variable énergétique combinée avec d’autres facteurs également importants comme la dimension confessionnelle. C’est cette grille de lecture qui sous-tend l’analyse du docteur Fahd Andraos Saad, ingénieur libanais spécialiste des hydrocarbures, selon lequel ce gazoduc pourrait – dès lors qu’il serait devenu opérationnel – parcourir environ 1.500 kilomètres à travers trois pays : 225 kilomètres en Iran, 500 kilomètres en Irak, 500 à 700 kilomètres en Syrie. Ce gazoduc traverserait ensuite la mer Méditerranée pour rejoindre la Grèce, mais sans passer par la Turquie. En outre, le projet faisait état de la possibilité pour l’Europe de s’approvisionner directement au niveau des ports syriens. Le coût de construction de ce projet était estimé à 10 milliards de dollars et devait être mis en route entre 2014 et 2016. Il avait été conçu pour transporter 110 millions de m3 par jour, soit environ 40 milliards de m3 par an. La part de l’Europe était estimée à 50 millions de m3 par jour, soit environ 20 milliards de m3 par an. Cela faisait évidemment de ce projet un concurrent sérieux du projet Nabucco, d’autant plus qu’il repose sur les énormes réserves iraniennes estimées à 16.000 milliards de m3 selon les estimations [8].

7 Cela ne pouvait faire les affaires de Doha qui aurait alors envisagé son propre projet de gazoduc. Ce « projet qatari » aurait eu l’ambition de construire un gazoduc susceptible de transporter le gaz qatari jusqu’en Europe, avec la participation éventuelle de la Turquie et d’Israël. Il aurait envisagé de partir du Qatar pour arriver justement en Syrie dans la région de « Homs, Al-Qusayr » en traversant éventuellement l’Arabie saoudite [9] et/ou la Jordanie, et sans passer par l’Irak dirigé par un gouvernement chiite [10]. A partir de Homs le gazoduc a, en fait, la possibilité de bifurquer dans trois directions différentes : vers le port de Lattaquié sur la côte syrienne pour l’exporter par la Méditerranée orientale, ou bien vers le port de Tripoli (ville sunnite) au nord du Liban, ou encore vers la Turquie pour redistribuer le flux via ses gazoducs existants en se connectant notamment au BTE (Bakou-Tbilissi-Erzerum) [11], pendant gazier potentiel de l’oléoduc déjà en activité, soit le BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan).

8 Comme insiste encore le même Fahd Andraos Saad, le projet en lui-même pourrait dès lors concurrencer le South stream car il repose sur des réserves considérables, celles du Qatar [12] étant estimées à 13.800 milliards de m3. La capacité de transport de ce gazoduc serait même théoriquement susceptible de dépasser celle prévue par le projet Nabucco en tant que tel [13].

9 En arrière-plan du sanglant conflit syrien, il y aurait donc ainsi peut-être également la question du tracé futur d’un nouveau gazoduc « sunnite » qui transporterait le gaz du Qatar vers l’Europe via la région centrale du pays aux environs de Homs, ville constituant potentiellement le « nœud gordien géographique » de ce projet, lequel offrirait dans le même temps des avantages stratégiques à la Turquie, voire à Israël dans l’équation du commerce gazier mondial. Ce nouveau gazoduc aurait vocation à constituer une « voie terrestre » alternative via la région de Homs. Or, il se trouve que Bachar al Assad a, comme on l’a vu, privilégié pour sa part l’établissement d’un gazoduc « chiite » ou IGS (Islamic Gas Pipeline) prenant en compte les intérêts de ses alliés géopolitiques qui sont en même temps des partenaires géo-économiques en tant que grands producteurs gaziers, à savoir l’Iran et la Russie. Il est en tout cas troublant de relever que Homs et sa région constituent depuis le début du conflit un enjeu stratégique majeur pour les deux parties du conflit.

La Syrie : une puissance gazière potentielle ?

10 Par-delà l’enjeu relatif aux tracés des gazoducs, se pose la question du potentiel gazier de la Syrie en tant que telle ce qui donne lieu à toutes sortes d’estimations plus ou moins avérées de la part de certains experts, par ailleurs confirmés, compte tenu du caractère problématique de la définition de « réserves prouvées » [14] pour les hydrocarbures [15]. A la question de savoir : « Quelle est la vérité sur les ressources de nos eaux territoriales en pétrole et en gaz ? », le Président syrien Bachar Al-Assad avait répondu : « C’est la vérité, que ce soit dans nos eaux territoriales ou dans notre sol. Les premières études ont fait état d’importants gisements de gaz dans nos eaux territoriales. Puis, nous avons su que d’autres gisements s’étendaient de l’Egypte, à la Palestine et sur tout le long de la côte ; ces ressources étant plus abondantes dans le nord. Certains disent que l’une des raisons de la crise syrienne est qu’il serait inacceptable qu’une telle fortune soit entre les mains d’un État opposant mais, évidemment, personne ne nous en a parlé de façon directe. C’est une analyse logique de la situation et nous ne pouvons ni la réfuter, ni la considérer comme une raison secondaire. C’est peut-être la raison principale de ce qui se passe en Syrie mais, pour le moment, elle reste du domaine de l’analyse » [16].

11 Hasard du calendrier ou non, la Syrie a signé avec la Russie, quelques mois plus tard, soit le 25 décembre 2013, son premier accord de prospection pétrolière et gazière dans ses eaux territoriales [17], dont les réserves sont considérées, à tort ou à raison par certains, comme Imad Fawzi Shueibi – de son état « Président du Centre de documentation et d’études stratégiques » de Damas ce qui est donc loin d’être « neutre » – comme les plus importantes de la Méditerranée [18].

12 L’accord est programmé pour une durée de 25 ans et est financé par la Russie, alliée indéfectible du régime du président Bachar al-Assad. « Il s’agit du premier accord jamais signé portant sur une exploration de gaz et de pétrole dans les eaux syriennes », avait indiqué le 25 décembre 2013 le directeur général de la Compagnie générale syrienne du pétrole Ali Abbas. Ce protocole d’accord avait préalablement été paraphé au siège du ministère du Pétrole et des ressources minières à Damas par le ministre syrien du pétrole, Sleimane Abbas, la Compagnie générale syrienne du Pétrole et l’entreprise russe Soyuzneftegaz company. La récente découverte d’énormes gisements offshore de gaz et de pétrole en Méditerranée orientale ne peut qu’aiguiser la compétition entre les pays voisins que sont la Syrie, le Liban, Israël et Chypre. Les deux premiers sont officiellement toujours en état de belligérance depuis la Guerre du Kippour de 1973 avec l’Etat hébreu, lequel a déjà commencé sa production de gaz naturel dans des gisements découverts récemment au large des côtes israéliennes. La prospection appelée à débuter sur une superficie de 2.190 km2, comporte plusieurs phases, avait indiqué le ministre syrien, soulignant que son coût de la prospection s’élèverait à 100 millions de dollars. Les récentes découvertes en Méditerranée permettent aujourd’hui d’évaluer les réserves de gaz à 38.000 milliards de cubic feet (tcf) correspondant à près de 1.100 milliards de m3. Selon la revue américaine hebdomadaire spécialisée Oil and Gaz Journal[19], la Syrie posséderait les plus grandes réserves de pétrole off-shore en Méditerranée, avec 2,5 milliards de barils, soit les plus importantes de tous les voisins à exception de l’Irak. Selon la même revue, à la fin 2012, les réserves de gaz naturel se monteraient à quelque 8.500 milliards de cubic feet (tcf) correspondant à quelque 240 milliards de mètres cubes, c’est-à-dire l’équivalent du gisement Léviathan découvert au large des côtes israéliennes [20]. Mais, frappée par des sanctions internationales, la Syrie a vu sa production pétrolière s’effondrer de près de 90 % depuis le début du conflit en mars 2011, notamment du fait de la prise de contrôle quasi-complète depuis juillet 2014 par l’« Etat islamique » de la demi-douzaine de champs situés dans la province pétrolière de Deir Ezzor (seconde région pétrolière de la Syrie avec celle d’Hassaka). Au cours du premier semestre 2013, elle serait tombée à 39 000 barils par jour (b/j), alors qu’elle était encore de 380 000 b/j avant la mi-mars 2011, selon des chiffres officiels. Parallèlement, la production de gaz aurait chuté à 16,7 millions de m3 par jour, contre 30 millions avant la crise en 2011, toujours selon des chiffres officiels [21]. La signature de ce contrat intervenue après « plusieurs mois de longues négociations » entre les parties syrienne et russe, « constitue un défi », avait pu déclarer le ministre syrien. « C’est la preuve de la poursuite de la coopération entre les deux peuples et gouvernements syrien et russe », avait-il ajouté. Il avait jugé par ailleurs « encourageantes » les découvertes de gaz et de pétrole près des côtes palestiniennes et chypriotes [22]. C’est donc dire si la question gazière est appelée à devenir un des principaux enjeux stratégiques dans la région du Proche-Orient sur fond plus général de « nouveau Grand Jeu » énergétique mais ne s’y réduit pas exclusivement.

13 Comme le souligne très justement Luca Baccarini, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) : « La signature de cet accord appelle trois remarques : 1) la volonté du gouvernement syrien – à travers le ministère du Pétrole et la société nationale General Petroleum Company – de donner une apparence de business as usual, de poursuite de son activité malgré la guerre civile ;

14 2) le soutien que la Russie continue d’apporter au régime d’Assad. L’accord a d’ailleurs été signé en présence de l’Ambassadeur russe à Damas Azamat Kulmuhametov qui, selon la Syrian Arab News Agency, l’a qualifié de « preuve des bonnes relations que nous maintenons » ; 3) la faible crédibilité de la société SoyuzNefteGaz, qui n’a pas d’expérience d’exploitation de gisements offshore et qui ne fait pas partie du groupe des grandes compagnies pétro-gazières russes, composé par les sociétés privées Lukoil et Novatek, et par Gazprom ou Rosneft qui sont sous le contrôle du Kremlin ». Et d’ajouter : « Ainsi, les dimensions économiques et énergétiques de cet accord apparaissent peu significatives. L’engagement financier de SoyuzNefteGaz à hauteur de 90 millions de dollars est assez modeste et même si l’activité d’exploration devait être fructueuse (ce qui n’est jamais certain dans le domaine pétrolier), l’éventuelle production d’hydrocarbures ne sera pas effective avant plusieurs années. De même, si l’accord avait été signé avec un grand acteur russe (par exemple Gazprom, qui est déjà présent dans la Méditerranée orientale, notamment via une Lettre d’Intention signée en 2012 pour l’exportation par méthanier du gaz du champ de Tamar en Israël), son impact aurait été bien plus fort » [23].

Conclusion

15 Au regard de ces différentes considérations, il convient donc de souligner combien il convient d’être prudent dans la prise en compte de la variable énergétique comme facteur explicatif exclusif, ou à tout le moins déterminant, de la guerre en cours en Syrie. Comme on l’appréhende avec la grille de lecture délibérément adoptée par certains « experts » parfois liés de près ou de loin au pouvoir en place à Damas, il s’agit de légitimer une posture obsidionale qui serait justifiée par l’existence d’un supposé « complot » fomenté depuis l’« étranger » – qui seraient les pétro-monarchies du Golfe et la Turquie – et destiné à renverser le régime « baathiste » de Bachar al -Assad. A contrario, minorer a priori le poids éventuel de cette variable énergétique est susceptible de faire l’objet d’une certaine suspicion tant il est vrai que les enjeux stratégiques contemporains sont depuis longtemps assez largement surdéterminés par une certaine géopolitique des hydrocarbures. ?


Date de mise en ligne : 13/01/2015

https://doi.org/10.3917/come.091.0095

Notes

  • [1]
    A l’IFAS, il est en charge depuis 2006 d’une veille stratégique entre l’Iran et les pays arabes particulièrement préoccupés de l’éventuelle accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire. Il est également chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération Méditerranéenne et Euro-arabe (MEDEA) de Bruxelles. Outre de nombreux articles, il a notamment publié Géopolitique de l’Arabie saoudite : des Ikhwans à Al-Qaïda (Armand Colin, 2005) et L’Iran pluriel : regards géopolitiques (l’Harmattan en 2011). Il enseigne par ailleurs dans plusieurs Ecoles Supérieures de Commerce (ESG).
  • [2]
    L’ancien émir du Qatar, Hamad bin Khalifa al Thani qui vient de transmettre le pouvoir à son fils Tamim a compris très tôt que le Gaz naturel liquéfié (GNL) était un produit d’avenir. Le Qatar est ainsi devenu le 1er exportateur de GNL. Extrait du gisement off-shore de North Dome, le plus vaste du monde, situé à quelque 80 kilomètres au large des côtes qatariennes, l’émirat produit 77 millions de tonnes de GNL par an via 14 lignes de production.
  • [3]
    Comme le soulignent Christophe Ayad et Benjamin Barthe dans leur périple autour des frontières iraniennes : « Il est notoire que, du fait de ses capacités d’extraction et de transformation largement supérieures, le Qatar empiète plus ou moins volontairement sur les réserves de son voisin. C’est comme si deux hommes se partageaient un verre de Coca-Cola, chacun avec sa paille, et que l’un d’eux rigolait en son fort intérieur parce qu’il s’est aperçu que la paille de l’autre est percée’ sourit un diplomate en poste à Doha. Mais ‘comme l’homme avec la bonne paille n’est pas le plus fort des deux, poursuit-il, il doit faire gaffe à ne pas aspirer trop vite’. La métaphore résume bien la nature des relations qataro-iraniennes, tout en calculs et en contorsions », « Autour du pays mystérieux. 3. Riches et rusés face à l’Iran », Le Monde, 26 juillet 2012, p. 14. En 2004, des forces spéciales iraniennes avaient déjà détruit une plate-forme de forage qatari parce que l’Emirat puisait de manière excessive dans le champ gazier. Cf. Mehdi Lazar, « Axe sunnite et gazoduc : quand les Qataris interviennent en Syrie pour le plus grand bonheur des Occidentaux », Atlantico.fr, 26 août 2012 (http://www.atlantico.fr/decryptage/axe-sunnite-et-gazoduc-quandqataris-interviennent-en-syrie-pour-plus-grand-bonheur-occidentaux-mehdi-lazar-460320.html).
  • [4]
    Le projet initial Nabucco était un gazoduc appelé à relier la Transcaucasie au continent européen. Il devait, à l’horizon de 2017, permettre de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique de l’Europe dépendant aujourd’hui à près de 80 % du gaz russe et la dépendance au gaz russe devrait s’accroître d’ici 2020. Le consortium à l’origine du Nabucco avait été fondé en 2004 et regroupait plusieurs sociétés : la RWE allemande (Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk AG), dont les parts avaient été rachetées en avril 2013 par l’OMV autrichienne (Österreichische Mineralölverwaltung), la Botas Petroleum Pipeline Corporation turque, l’Energy Company Holding, la Transgaz roumaine. Mais son coût initial avait été rapidement revu à la hausse à deux reprises pour être porté finalement à 21,4 milliards. Ce projet Nabucco avait été conçu pour transporter 31 milliards de m3 de gaz par an sur 3.900 kilomètres à partir du Moyen-Orient et la Caspienne vers les marchés européens via la Turquie. Ce tracé programmé pour traverser la Turquie devait également permettre au gazoduc d’être éventuellement relié, à terme, aux réseaux de transport de la Syrie et de l’Irak. Le projet Nabucco a eu d’emblée l’ambition de concurrencer le projet russe South Stream, un gazoduc planifié par Gazprom (Russie) et ENI (Italie) via la mer Noire planifié pour 2015 et censé passer par la Bulgarie avant de se diriger vers la Grèce, la Hongrie, l’Autriche et le nord de l’Italie, avec une capacité d’acheminement de 60 milliards de m3 par an. Or, South Stream se trouve également soutenu par la Turquie qui veut être gagnante dans tous les cas de figure. Vladimir Poutine a annoncé lors de sa visite à Ankara le 1er décembre 2014 l’abandon du projet de construction de gazoduc South Stream en rejetant la responsabilité de cet abandon sur l’Union européenne. Le président russe a indiqué qu’un gazoduc de substitution verrait le jour lequel doublerait le Blue Stream acheminant déjà le gaz russe vers la Turquie en passant sous la mer Noire. En décembre 2011, la Turquie et l’Azerbaïdjan avaient d’ailleurs annoncé parallèlement la mise en place d’un gazoduc transanatolien, le TAP, pour transporter le gaz de Shah Deniz initialement destiné à Nabucco, alors que la Russie et la Turquie signaient un accord sur la traversée des eaux territoriales turques par South Stream, rendant la finalisation de Nabucco de plus en plus incertaine. L’un des partenaires du gisement Shah Deniz, le norvégien Statoil, s’est mis à la tête de ce TAP, avec le groupe suisse Axpo et l’allemand E.ON. Le consortium exploitant le gisement de Shah Deniz regroupant outre Statoil, le britannique BP, aux côtés du français Total, et de l’azerbaïdjanais Socar, a finalement choisi, fin juin 2013, la route pour exporter sa production, en l’occurrence le TAP, précité, au détriment de Nabucco. La planification du TAP, lequel prévoit d’acheminer 10 milliards de m3 par an jusqu’au sud de l’Italie, sonnait d’une certaine manière le glas des ambitions initiales de Nabucco. Dès le départ, Nabucco s’était en effet trouvé partiellement hypothéqué par deux handicaps importants. Le premier résidait dans le fait qu’il n’était pas porté par un pays producteur de gaz mais simplement par des pays consommateurs. Il apparaissait alors difficile dans ces conditions de sécuriser les volumes de gaz à livrer. Le second handicap renvoyait au fait qu’aucune des grandes compagnies gazières européennes – comme GDF par exemple – n’était partie prenante du consortium. Récemment, Nabucco avait de fait été contraint de réviser ses ambitions à la baisse. Le nouveau projet plus modeste, intitulé Nabucco West devait se greffer à un gazoduc turc et ne démarrer qu’à la frontière entre la Turquie et la Bulgarie, direction l’Autriche. Pour évacuer son gaz, l’Azerbaïdjan cherchait en effet une route alternative, plus courte et moins chère que celle proposée par le Nabucco initial. Il l’a donc trouvé avec le TAP, le gazoduc transanatolien qui devrait être opérationnel en 2017. (cf. carte infra sur les trois projets du « corridor Sud »).
  • [5]
    Il faut préciser que les relations entre Damas et Doha ont souvent été chaotiques. On peut rappeler à cet égard l’altercation violente entre Walid al-Mouallem, l’inamovible ministre des Affaires étrangères syrien et Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani lors d’une audience à Washington en juin 1997. Cf. « Menaces syriennes contre le Qatar », Le Monde du Renseignement, n° 314, 26 juin 1997.
  • [6]
    Cf. Roland Lombardi, « Guerre en Syrie et géopolitique du gaz », blog de la Chaire de Mangement des Risques Energétiques de l’ESG Management School, 5 mars 2013 (http://www.riskenergy.fr/2013/03/guerre-en-syrie-et-geopolitique-du-gaz.html).
  • [7]
    Ce gazoduc « chiite », d’un coût prévu de quelque 10 milliards de dollars, a l’ambition de fournir l’Europe en gaz liquéfié via les ports méditerranéens de Syrie (Lattaquié et Tartous). Long de 5 600 kilomètres, il devrait transporter 35 milliards de m3 de gaz par an une fois sa mise en service effective.
  • [8]
    Cf. Fahd Andraos Saad, « La Syrie dans le chaudron des projets gaziers géants », trad. de l’Arabe par Mouna Alno-Nakhal, on Mondialisation. ca, 21 juillet 2013 (http://www.mondialisation.ca/la-syrie-dans-le-chaudron-des-projets-gaziers-geants/5343462) de l’article original de Shamtimes.net, 18 juillet 2013 (http://shamtimes.net/news_ de.php?PartsID=1&NewsID=9663). Il faut préciser que l’article original est issu du site ShamTimes qui est un site proche de la ligne du gouvernement de Damas et que sa traduction a été mise en ligne sur un site au caractère « altermondialiste » marqué.
  • [9]
    Il reste que les Saoudiens n’auraient pas validé le projet qatari de transit via l’Arabie saoudite pour rejoindre le Nabucco qui avait pourtant été mis à l’étude. Riyad en effet, irritée par son turbulent voisin, avait finalement fait obstruction à tout développement terrestre du pipeline envisagé.
  • [10]
    Cf. Fahd Andraos Saad, ibidem.
  • [11]
    En partie parallèle à l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), le BTE a été ouvert en 2007 et il couvre une distance de 883 kilomètres depuis les champs gaziers de Shah Deniz (Azerbaïdjan) jusqu’à Erzerum (Turquie). Les principaux opérateurs de ce gazoduc sont BP (Royaume-Uni) et Statoil (Norvège). Les autres actionnaires sont la SOCAR (State Oil Company of Aerbaïjan Republic), Lukoïl (Russie), Total-Elf-Fina (France), Naftiran Intertrade Co. (Iran) et TPAO (Türkiye Petrolleri Anomin Ortakligi (Turquie). Tout comme le BTC, le BTE préfigure d’une certaine manière ce fameux « corridor sud » appelé à relier le Bassin de la Caspienne aux marchés européens, en contournant délibérément le territoire russe. Il confère à la Turquie une importance centrale puisqu’il en fait une sorte de hub énergétique. Cf. Jean-Sylvestre Mongrenier, Stratégies et géopolitiques russes des hydrocarbures : un défi pour l’Europe, Bruxelles, Presses Universitaires de Louvain, 2013, p. 72.
  • [12]
    On peut souligner que le marché du gaz risque d’arriver peu ou prou à saturation avec la mise en service de huit nouvelles infrastructures australiennes entre 2014 et 2020 dont la production est surtout destinée au marché asiatique. Avec un marché américain lui-même déjà saturé – du fait de l’explosion de la production de gaz de schiste – le Qatar n’a plus réellement que l’Europe comme débouché. La découverte de nouveaux champs d’hydrocarbures off-shore en Méditerranée ouvre de nouvelles perspectives pour contourner l’Arabie saoudite et ouvrir de nouvelles opportunités commerciales. Les tronçons des gazoducs sont déjà dessinés. Le dernier obstacle à leur réalisation demeure le régime de Bachar al-Assad. Cf. Felix Imonti, « Qatar : Rich and Dangerous », Oilprice.com, 17 septembre 2012 (http://oilprice.com/Energy/Energy-General/Qatar-Rich-and-Dangerous.html). Cf. pour la traduction « Pour quelques centaines de milliards », Courrier international, n° 1172, 18-24 avril 2013, p. 28.
  • [13]
    Cf. Fahd Andraos Saad, ibidem.
  • [14]
    Elles définissent les ressources en gaz et pétrole seulement « raisonnablement certaines » d’être produites, en utilisant les techniques actuelles, au prix actuel et selon les accords commerciaux et gouvernementaux en cours. Les professionnels du secteur utilisent l’appellation P90, car elles ont 90 % de chance d’être mises en production. On distingue ces « réserves prouvées » des « réserves probables » qui définissent les ressources en gaz et en pétrole « raisonnablement probables » d’être produites, en utilisant les techniques actuelles, au prix actuel et selon les accords commerciaux et gouvernementaux en cours. On utilise alors l’appellation P50, car elles ont 50 % de chance d’être mises en production. Enfin, on parle de « réserves possibles », c’est-à-dire « ayant une chance d’être développées en tenant compte de circonstances favorables ». On utilise alors l’appellation P10, car elles ont 10 % de chance d’être mises en production. Cela signifie que la notion de « réserves » repose sur un calcul différentiel de probabilité de mise en production des réserves initialement estimées.
  • [15]
    Cf. Chems Eddine Chitour, « La Syrie se trouve sur la plus colossale plaque de réserve de gaz du monde, d’où la guerre ! », 28 août 2013(http://www.blog.sami-aldeeb.com/2013/08/28/la-syrie-se-trouve-sur-la-plus-colossale-plaque-de-reserve-de-gaz-du-monde-dou-la-guerre/). Chems Eddine Chitour est professeur de thermodynamique à l’École nationale polytechnique d’Alger, titulaire d’ingeniorat en génie chimique de la même école et d’un doctorat es-Sciences de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne.
  • [16]
    Cf. Interview de Bachar al-Assad accordée au journal al-Sawra, 4 juillet 2013.
  • [17]
    Cf. Luca Baccarini, « Syrie-Russie : accord sur l’exploration pétrolière offshore », on Affaires-Stratégiques.info, 10 janvier 2014 (http://www. affaires-strategiques.info/spip.php?article9086).
  • [18]
    Cette carte est tirée de l’article d’Imad Fawzi Shueibi – de son état « Président du Centre de documentation et d’études stratégiques » de Damas - , paru dans ShamTimes. Cf. supra note 6 sur le profil de la publication.
  • [19]
  • [20]
    Cf. entretien avec David Amsellem, « Le facteur gazier dans le conflit syrien », on Les Cles du Moyen-Orient, 10 mars 2014 (http://www. lesclesdumoyenorient.com/Le-facteur-gazier-dans-le-conflit.html).
  • [21]
    Luca Baccarini, « Syrie-Russie : accord sur l’exploration pétrolière offshore », on Affaires-Stratégiques.info, 10 janvier 2014 (http://www. affaires-strategiques.info/spip.php?article9086).
  • [22]
    Cf. « Gaz et pétrole : la Syrie signe un accord avec la Russie », AFP, 5 décembre 2013 (http://affaires.lapresse.ca/economie/energie-et-ressources/201312/25/01-4723818-gaz-et-petrole-la-syrie-signe-un-accord-avec-la-russie.php).
  • [23]
    Luca Baccarini, « Syrie-Russie : accord sur l’exploration pétrolière offshore », on Affaires-Stratégiques.info, 10 janvier 2014 (http://www. affaires-strategiques.info/spip.php?article9086).

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