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Article de revue

Le « développement économique » palestinien : miracle ou mirage ?

Pages 71 à 88

Notes

  • [1]
    Salam Fayyad a remis sa démission à Mahmoud Abbas en avril 2013. Mais rien n’indique qu’une quelconque inflexion soit à l’œuvre, depuis, dans les politiques économiques de l’Autorité Palestinienne.
  • [2]
    Jamil Rabah et Natasha Fairweather, Israeli Military Orders in the Occupied Palestinian Territories : 1967-1992, Jerusalem Media and Communication Centre, Jérusalem, 1993.
  • [3]
    Mohamad K. Shadid, « Israeli Policy Towards Economic Development in the West Bank and Gaza », in George T. Abed (ed), The Palestinian Economy : Studies in Development Under Prolonged Occupation, Londres, Routledge, 1988, p. 121-138.
  • [4]
    Juin 1967.
  • [5]
    Ordre n° 267, modifié par les ordres n°362 et 398.
  • [6]
    Ordre n° 379, modifié par l’ordre n° 398.
  • [7]
    Ordre n° 1015.
  • [8]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », août 2007, disponible sur http://www.kanaanonline.org/ articles/01244.pdf
  • [9]
    Ordres militaires nos 58, 59, 291, 321, 364, 1091…
  • [10]
    Ordres nos 92, 291…
  • [11]
    Arie Arnon et al, The Palestinian Economy : Between Imposed Integration and Voluntary Separation, Leiden, Brill, 1997, chapitre 2 (« A macroeconomic Profile »).
  • [12]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », op. cit. Voir également Samir Abdallah Saleh, « The Effects of Israeli Occupation on the Economy of the West Bank and Gaza Strip », dans Jamal R. Nassar et Roger Heacock (eds), Intifada : Palestine at the Crossroads, New York, Bir Zeit University et Praeger Publishers, 1990, p. 37-51.
  • [13]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », op. cit.
  • [14]
    Voir Laurence Harris, « Money and Finance with Undeveloped Banking in the Occupied Territories », in George T. Abed, The Palestinian Economy, op. cit, p. 191-222.
  • [15]
    Sara Roy, « The Gaza Strip : A Case of Economic De-Development », Journal of Palestine Studies, vol. 17, n° 1, 1987, p. 56-88.
  • [16]
    Ibid, p. 56.
  • [17]
    Voir Hisham Awartani, « Agricultural Development and Policies in the West Bank and Gaza », in George T. Abed, The Palestinian Economy, op. cit, p. 139-164.
  • [18]
    Voir Bakir Abu Kishk, « Industrial Development and Policies in the West Bank and Gaza », in George T. Abed, The Palestinian Economy, op. cit, p. 165-190. Voir également Arie Arnon et al, The Palestinian Economy, op. cit, chapitre 7 (« The Industrial Structure »).
  • [19]
    D’après Adel Zagha et Husam Zomlot, « Israel and the Palestinian Economy : Integration or Containment ? », in Muchtaq Hussayn Khan, Inge Amundsen et George Giacaman (eds.), State formation in Palestine : Viability and Governance During a Social Transformation, Londres et New York, Routledge, 2004, p. 120-140. Voir également Sharif S. Elmusa and Mahmud El-Jaafari, « Power and Trade: The Israeli-Palestinian Economic Protocol », Journal of Palestine Studies, vol. 24, n° 2, Hiver 1995, p. 14-32.
  • [20]
    Article III, 5.a.
  • [21]
    Article VIII, 10.
  • [22]
    Article III, 2.
  • [23]
    Article III, 3.
  • [24]
    Article V.
  • [25]
    Article VI. La TVA israélienne étant fixée à 17 %, la TVA palestinienne ne pourra descendre en dessous de 15 %.
  • [26]
    Article III, 15.
  • [27]
    Article IV, 10.a.
  • [28]
    Article IV, 10.b.
  • [29]
    Article VII, 1.
  • [30]
    Ibid. Le texte stipule que les « deux parties » pourront chacune agir de la sorte. Mais, aucun Israélien ne venant travailler dans les zones palestiniennes, cette disposition ne concerne que l’État d’Israël.
  • [31]
    Rex Brynen, A Very Political Economy, Peacebuilding and Foreign Aid in the West Bank and Gaza, Washington DC, United States Institute of Peace Press, 2000, p. 113 et sq.
  • [32]
    Anne Lemore, « Killing with kindness : funding the demise of a Palestinian state », International Affairs, vol. 81, n° 5, octobre 2005, p. 981-999.
  • [33]
    Le ministère « officieux » des affaires étrangères.
  • [34]
    Leïla Farsakh, « From Domination to Destruction: The Palestinian Economy under the Israeli Occupation » in Adi Ophir, Michal Givoni, et Sari Hanafi (eds), The power of inclusive exclusion anatomy of Israeli rule in the occupied Palestinian territories, New York, Zone Books, 2009, p. 394.
  • [35]
    Rex Brynen, « Buying Peace ? A Critical Assessment of International Aid to the West Bank and Gaza », Journal of Palestine Studies, vol. 25, n° 3, printemps 1996, p. 79-92.
  • [36]
    Le Jericho Resort est un luxueux complexe hôtel-casino inauguré en 1998, près de Jéricho, financé par des capitaux jordaniens, palestiniens et israéliens.
  • [37]
    Téléphonie mobile.
  • [38]
    Téléphonie fixe.
  • [39]
    Markus E. Bouillon, The Peace Business, Money and Power in the Palestine-Israel Conflict, Tauris, New York, 2004, p. 123. Ces chiffres correspondent à ce qui est alors rendu public, sous la pression des pays donateurs, par la PCSC, et non à la totalité de ses investissements et participations.
  • [40]
    Voir Sara Roy, « Palestinian Society and Economy : The Continued Denial of Possibility », Journal of Palestine Studies, vol. 30, n° 4, été 2001, p. 5-20.
  • [41]
    Conseiller financier de Yasser Arafat.
  • [42]
    Responsable de la Sécurité Préventive à Gaza.
  • [43]
    Responsable de la Sécurité Préventive en Cisjordanie.
  • [44]
    La firme égyptienne de Nabil Chaath, Team, dirigée par son fils, aurait obtenu 92 % des contrats d’importation d’ordinateurs passés par le MOPIC (Markus E. Bouillon, The Peace Business, op. cit, p. 95).
  • [45]
    Fils de Mahmoud Abbas.
  • [46]
    Voir notamment Ronen Bergman et David Ratner, « The Man who Swallowed Gaza », Ha’aretz, supplément week-end du 4 avril 1997, Mohamed M. Nasr, « Monopolies and the PNA », in Muchtaq Hussayn Khan, Inge Amundsen et George Giacaman (eds.), State formation in Palestine, op. cit, et Michael Schwartz, « A Secret Account in Tel Aviv Funds Arafat’s Oppression, Hand in Glove », Challenge, 43, 27 février 1997.
  • [47]
    Voir notamment les rapports trimestriels de la Banque Mondiale, les nombreux rapports du FMI et les statistiques du Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS).
  • [48]
    UNCTAD, « The Palestinian war-torn economy : aid, development and state formation », UNCTAD/GDS/APP/2006/1, avril 2006, p. 7.
  • [49]
    Banque Mondiale, « Palestinian Economic Prospects : Aid, Access and Reform », septembre 2008.
  • [50]
    Banque Mondiale, « West Bank and Gaza Update », octobre 2008.
  • [51]
    UNCTAD, « The Palestinian war-torn economy », op. cit, p. 7.
  • [52]
    Pour des données plus précises sur les importations et les exportations palestiniennes, on pourra se reporter à UNCTAD, « Palestinian Merchandise Trade in the 1990s : Opportunities and Challenges », UNCTAD/GDS/SEU/1, janvier 1998, p. 77-81.
  • [53]
    Sara Roy, « De-development revisited », op. cit.
  • [54]
    Le nombre total de jours de bouclage est estimé à 453 pour la période 1995-2000 (UNCTAD, « Policy Alternatives for Sustained Palestinian Development and State Formation », UNCTAD/GDS/APP/2008/1, 2009, p. 6).
  • [55]
    Sara Roy, « De-development revisited », op. cit.
  • [56]
    À titre d’exemple, pour l’année 1996, le bouclage aurait entrainé des pertes équivalant à 39.6 % du PNB de Gaza et 18.2 % de celui de la Cisjordanie (Sara Roy, « De-development revisited », op. cit.).
  • [57]
    En 1993, deux banques opèrent dans les territoires palestiniens, pour un total de 13 agences. À la fin de l’année 2000, ce sont 22 banques qui opèrent via 120 agences (Mohamed M. Nasr, « Monopolies and the PNA », op. cit, p. 175).
  • [58]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », op. cit.
  • [59]
    UNCTAD, « Policy Alternatives », op. cit, p. 6.
  • [60]
    D’après les chiffres du Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS) et du FMI.
  • [61]
    Contrôle des marchandises à la sortie des zones autonomes palestiniennes, transfert dans des véhicules israéliens, nouveaux contrôles aux frontières…
  • [62]
    « Ending the Occupation, Establishing the State ».
  • [63]
    Le second « pilier » du plan Fayyad est la refonte et la modernisation des services de sécurité palestiniens. Voir à ce sujet Julien Salingue, « Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie : au service de la population ou de l’armée d’occupation ? », Magazine Moyen-Orient, n° 17, janvier-mars 2013.
  • [64]
    5.4 % en 2007, 6.8% en 2008, 7.4 % en 2009, 9.8 % en 2010 (Banque Mondiale, « West Bank and Gaza. Towards Economic Sustainability of a Future Palestinian State : Promoting Private Sector - Led Growth », avril 2012).
  • [65]
    Natalia Simanovsky, « The Fayyad Plan : Implications for the State of Israel », Palestine-Israel Journal of Politics, Economic and Culture, vol. 17, n° 12, 2011.
  • [66]
    Banque Mondiale, « Fiscal Challenges and Long Term Economic Costs : Economic Monitoring Report to the Ad Hoc Liaison Committee », mars 2013.
  • [67]
    Banque Mondiale, « West Bank and Gaza… », op. cit, 2012.
  • [68]
    Les chiffres qui suivent sont tous extraits, sauf mention, du rapport de la Banque Mondiale, « Fiscal Challenges and Long Term Economic Costs… », op. cit, mars 2013.
  • [69]
    Respectivement 12.8, 7.9, 4.6 et 3.7% des exportations.
  • [70]
    Chiffres du PCBS.
  • [71]
    CIA, The World Factbook, 2012.
English version

1 Depuis 2008, nombre d’observateurs et d’analystes ont célébré les « réussites économiques » palestiniennes et ont salué l’efficacité de la politique du Premier Ministre de l’Autorité palestinienne de Ramallah, Salam Fayyad [1]. Ce dernier serait en effet parvenu, en rompant avec la vision de ses prédécesseurs, à transformer les infrastructures économiques palestiniennes et à améliorer significativement les conditions de vie des habitants des territoires occupés, tout du moins en Cisjordanie.

2 Rien n’est moins sûr. Les derniers rapports de la Banque Mondiale et du FMI, institutions peu suspectes de parti-pris pro-palestinien, soulignent que malgré une croissance élevée (plus de 10 % en 2011), l’économie palestinienne poursuit un long mouvement de déclin et que le volontarisme de Fayyad n’a pas inversé la tendance. L’économique n’aurait pas pu se substituer au politique, et la poursuite de l’Occupation et de la colonisation empêcherait tout progrès économique durable.

3 Dans quelle mesure l’économie palestinienne est-elle à ce point (dé-)structurée par l’occupation israélienne qu’aucun développement économique réel n’est possible ? Pour répondre à cette question, je tenterai tout d’abord d’exposer brièvement les conséquences économiques de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, avant d’interroger les changements introduits par les Accords d’Oslo. Il s’agira ensuite de questionner l’existence d’une « nouvelle donne » économique dans les territoires palestiniens, en s’attachant notamment à étudier les effets, et les limites, de la politique conduite par Salam Fayyad.

L’héritage économique de l’occupation

4 Après la guerre de 1967, Israël gouverne les territoires palestiniens au moyen d’ordres militaires. Plus de 50 % des ordres émis dans la période 1967-1993 sont en relation directe avec les questions économiques [2], ce qui tend à démontrer qu’il n’y a pas seulement eu des « conséquences économiques de l’occupation israélienne », mais bien une « stratégie économique israélienne » à l’égard des territoires occupés [3]. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le détail des ordres, mais plutôt d’en dégager les tendances lourdes et leur implication quant aux évolutions des structures économiques palestiniennes durant la période allant de 1967 aux Accords d’Oslo.

L’intégration inégale

5 La tendance générale est celle d’une intégration inégale de l’économie palestinienne à l’économie israélienne, autrement dit un processus de prise de contrôle/reconfiguration, dans un rapport de subordination de l’économie palestinienne à sa voisine israélienne. C’est ainsi, par exemple, que par les ordres numéros 10, 11 et 12 [4] Israël rend illégaux tous les accords préalablement existants quant aux importations et exportations vers et depuis les territoires palestiniens, contraignant non seulement les commerçants mais aussi les négociants en matières premières à importer des produits israéliens : à partir de 1967, entre 90 et 95 % des importations dans les territoires palestiniens proviennent d’Israël. La circulation des marchandises au sein des territoires palestiniens et les exportations sont elles aussi soumises à des autorisations israéliennes. La panoplie des ordres militaires concerne progressivement l’ensemble de la vie économique des territoires occupés : la création de toute entreprise est soumise à l’approbation de la puissance occupante [5], tout comme l’enregistrement de toute marque [6] ou la plantation d’arbres fruitiers [7].

6 Grâce à cette emprise sur les structures économiques palestiniennes, Israël peut accélérer la spécialisation de son industrie dans les domaines de pointe tout en « favorisant » le développement, dans les territoires occupés, de productions à faible valeur ajoutée et peu modernes : « Tandis qu’Israël se concentrait sur des secteurs industriels d’avenir, les territoires occupés ont dû se contenter de secteurs de production d’un niveau technologique inférieur et avec moins de perspectives de croissance » [8]. On assiste ainsi, dans des domaines comme l’industrie textile ou la production de chaussures, à la mise en place de réseaux de sous-traitance dans les territoires palestiniens : des industriels israéliens y transfèrent les premières étapes de la production avant de revendre les produits finis sous l’étiquette « made in Israël ».

7 Israël se prémunit du développement d’une économie concurrentielle dans les territoires palestiniens, réduisant considérablement la production agricole par les confiscations de terres [9], la prise de contrôle des ressources aquifères [10], et empêchant la mise en place d’une industrie moderne. C’est ainsi qu’en 1989 la production industrielle représente moins de 10 % du PIB palestinien (contre 25 % en Israël, 28 % en Jordanie et 30 % en Égypte), que la taille moyenne d’une entreprise palestinienne est de quatre salariés (soit le même chiffre qu’en 1927) [11], tandis que les terres agricoles les plus fertiles et les plus rentables ont été confisquées pour l’agriculture israélienne. Cette politique contraint des centaines de milliers de Palestiniens à rechercher du travail à l’extérieur des territoires occupés, tout d’abord dans les pays pétroliers puis en Israël même. Entre 1970 et 1990 la force de travail augmente de 64 % tandis que les emplois à l’intérieur des territoires occupés n’augmentent que de 28 %. Au début des années 90, près de la moitié de la main d’œuvre travaille à l’extérieur, et environ 25% du PIB des territoires occupés est dérivé des revenus des travailleurs palestiniens en Israël [12].

Le « de-development »

8 De manière plus modélisée, quatre tendances se dégagent [13] :

9

  • Une économie périphérisée, avec pour unique centre l’État d’Israël. Les villes palestiniennes sont dans une relation de dépendance économique directe avec Israël, et elles ne constituent même pas un « centre » pour les villages aux alentours, eux aussi dans un rapport de subordination directe.
  • Une économie qui ne maîtrise pas ses priorités en termes d’investissement et de développement. Tout investissement et projet de développement étant soumis à l’approbation israélienne, il s’inscrit dans le cadre de l’intégration inégale.
  • Une économie dans laquelle les capitaux fuient : en 1967, Israël ferme les banques et les remplace par des banques commerciales israéliennes. Les Palestiniens ont eu tendance à placer leur argent à l’étranger, ce qui a contribué, de même que l’absence de système de crédit, à ralentir le développement économique [14].
  • Enfin, une économie captive de l’économie israélienne, tant du point de vue des importations que des exportations : les producteurs et marchands se sont adaptés aux besoins de l’économie israélienne.

10 Cette intégration inégale se concrétise dans un processus que Sara Roy qualifie de « de-development »[15], à distinguer du sous-développement, dans lequel les conditions de possibilité d’un développement économique, même subordonné, existent. Le de-development détruit, structurellement, les bases mêmes de tout développement économique réel : « On définit le de-development comme un processus qui sape ou affaiblit la capacité d’une économie à croître et à se développer en l’empêchant d’obtenir et d’utiliser des inputs essentiels et indispensables pour permettre une croissance intérieure au-delà d’un niveau structurel donné » [16]. L’augmentation de la production et du niveau de vie dans les territoires palestiniens n’a pas pu se transformer qualitativement en développement économique. Le de-development structure ainsi le champ économique palestinien, marqué par ses faibles capacités productives et par un double processus d’intégration/externalisation. La confiscation des ressources naturelles essentielles [17] et la subordination de la production industrielle aux besoins et aux contraintes de l’économie israélienne [18] ont « défiguré » la base productive palestinienne, intégrant l’économie des territoires occupés à l’économie israélienne et la rendant dépendante de sources extérieures de revenus.

Le processus d’Oslo : vers une reconfiguration du champ économique ?

11 Le Protocole de Paris, signé le 29 avril 1994, est le principal document organisant les relations économiques entre Israël et les zones autonomes. Pour interroger les éventuelles transformations du champ économique palestinien à partir de 1993, il est donc indispensable d’en résumer les principales dispositions, avant de s’intéresser à l’émergence d’un nouvel acteur palestinien incontournable, y compris sur le plan économique, l’Autorité palestinienne (AP).

Le protocole de Paris

12 Le Protocole de Paris, « annexé » à l’Accord sur Gaza et Jéricho de mai 1994, s’articule autour de huit principaux points [19] :

13

  • Une formalisation de l’union douanière qui existait de facto depuis l’occupation de 1967, avec pour référence les tarifs douaniers israéliens [20].
  • Des restrictions quantitatives sur certains produits agricoles exportés en Israël depuis la Cisjordanie et Gaza [21].
  • Une libéralisation partielle des échanges entre, d’une part, les territoires palestiniens et, d’autre part, la Jordanie et l’Égypte, pour un certain nombre de produits listés dans les annexes du Protocole. Les Palestiniens pourront importer ces marchandises avec des tarifs douaniers qu’ils établiront eux-mêmes [22], mais dans des quantités fixées avec Israël [23].
  • L’AP est autorisée à décider elle-même les taux des impôts directs [24], mais la TVA palestinienne doit être alignée sur la TVA israélienne [25].
  • Les frontières étant sous le contrôle de l’État d’Israël, celui-ci s’engage à percevoir et à reverser à l’AP les taxes et droits de douane sur les produits importés [26].
  • Le shekel israélien est reconnu comme monnaie officielle des territoires palestiniens [27], aux côtés du dinar jordanien et du dollar états-unien. La question d’une hypothétique monnaie palestinienne est repoussée à des discussions ultérieures [28].
  • Les travailleurs palestiniens pourront accéder au marché du travail israélien [29], mais Israël se réserve le droit « de déterminer de temps à autre, l’étendue et les conditions des volumes de main d’œuvre dans sa zone de compétence » [30].
  • Un « Comité économique conjoint » est créé pour assurer le suivi du Protocole.

14 Cet article n’est pas le lieu pour une analyse de l’ensemble des dispositions du Protocole de Paris, mais quelques remarques peuvent être formulées :

15

  • Le principe d’une « union douanière » entre deux entités dont les économies sont dans une relation asymétrique porte en lui le maintien d’une inégalité structurelle. En effet, le déséquilibre entre les capacités productives israéliennes et palestiniennes implique mécaniquement une balance commerciale très défavorable aux Palestiniens.
  • La mise en concurrence « légale » des deux économies et l’absence de restrictions sur les exportations israéliennes dans les zones autonomes ne peuvent qu’empêcher le développement des activités productives dans les territoires palestiniens. On imagine mal l’industrie et l’agriculture palestiniennes, retardées et déstructurées, rivaliser avec leurs homologues israéliennes et se développer concurremment à ces dernières.
  • La liberté relative d’exporter étant soumise à un alignement des taxes, les productions palestiniennes sont peu compétitives sur les marchés arabes, a fortiori lorsque l’on sait que le coût du travail dans les territoires occupés est beaucoup plus élevé que dans les pays environnants en raison de l’interpénétration entre les économies palestinienne et israélienne. Le principal débouché pour les exportations palestiniennes est, logiquement, Israël.
  • Enfin, le principe du reversement des taxes sur les importations, de même que le contrôle exclusif, par Israël, des frontières (intérieures et extérieures), place l’AP dans une situation de dépendance. Israël possède un moyen de pression d’ampleur sur l’AP, ce qui déséquilibre encore un peu plus les relations entre les deux parties.

Un nouvel acteur : l’Autorité palestinienne

16 Au-delà du Protocole de Paris, l’une des principales nouveautés de la situation post-Oslo est la mise en place de l’AP, qui est amenée à jouer un rôle central, entre autres sur le plan économique. L’apparition de ce nouvel acteur va considérablement modifier la donne et reconfigurer le champ économique palestinien.

17 L’AP s’impose d’emblée comme un acteur économique du fait de son quasi-monopole sur la gestion des aides internationales qui affluent dans les territoires palestiniens dès les premiers mois de l’autonomie. Durant les années 1994-2000, le volume des aides attribuées à l’AP oscille en moyenne autour de 500 millions de dollars par an [31], avant de doubler à partir de 2001 [32]. À la demande de la Banque Mondiale, l’OLP met en place en novembre 1993 un organisme spécifique chargé de recevoir et de gérer l’aide internationale, le Palestinian Economic Council for Development and Reconstruction (PECDAR). Mais le PECDAR ne sera jamais réellement autonome de la direction de l’AP, qui entretient une confusion entre les deux structures avec, dès 1994, la nomination de trois membres du conseil du PECDAR à des postes de ministres : Nabil Chaath (Ministre du plan et de la coopération internationale (MOPIC) [33]), Muhammad al-Nashashibi (Ministre des finances) et Ahmad Qoreï, (Ministre de l’économie). Malgré leurs exigences initiales, les pays donateurs acceptent donc de travailler directement avec l’exécutif de l’AP, qui se place au centre des mécanismes de redistribution des aides.

18 Ces financements servent notamment au développement du proto-appareil d’État, dont la rapide expansion place l’AP au centre de la vie économique. Dès 1996, l’AP emploie environ 20 % des salariés palestiniens (15 % en Cisjordanie et près de 30 % à Gaza) [34]. Les salaires versés aux employés du secteur public occupent, dès le milieu des années 1990, une place équivalente à celle des revenus des travailleurs palestiniens en Israël dans la période antérieure à 1992, dont le nombre a dans le même temps considérablement baissé. L’appareil d’État n’est donc pas seulement un moyen de capter des ressources conséquentes venues de l’étranger, mais il est également un instrument entre les mains de la direction de l’AP pour la « légitimation par le salaire » du « processus de paix ». Dès 1996, Rex Brynen évoquait, au sujet des aides internationales, l’idée d’une « paix achetée » [35]. Cette thèse a également été développée par nombre d’opposants aux Accords d’Oslo, qui ont vu dans la croissance exponentielle de l’appareil d’État (160000 salariés en 2006, dont la moitié dans les forces de sécurité) un moyen de contenir la remise en cause d’Oslo.

19 Nombre de dirigeants de l’appareil font en outre le choix de développer des structures économiques leur assurant des sources personnelles de revenus. Ce phénomène se manifeste notamment par la création de holdings publiques et semi-publiques, ainsi que par l’établissement de sociétés bénéficiant d’un monopole sur les importations de diverses marchandises. La plus connue des holdings est la Palestinian Commercial Services Company (PCSC), établie en 1994, qui va multiplier les investissements et acquérir des participations, pour un montant estimé en 1999 à 345 millions de dollars, dans plusieurs dizaines de firmes implantées en Palestine, entre autres : le Jericho Resort [36], la Palestine Cement Company, Palcell [37], Paltel [38], l’Hôtel Jacir Palace (Intercontinental) à Béthléem, l’Hôtel Grand Park à Ramallah, etc. [39] En ce qui concerne les monopoles établis sur l’importation de produits indispensables (ciment, sucre, pétrole, farine, tabac), les estimations varient au début des années 2000, avec l’existence de 13 à 27 monopoles [40]. Les noms des propriétaires et/ou administrateurs qui reviennent le plus souvent sont ceux de Mohammad Rachid [41] (essence, ciment, tabac), Mohammad Dahlan [42] (essence, ciment, gravier), Jibril Rajoub [43] (essence), Nabil Chaath (ordinateurs) [44], Yasser Abbas [45] (électronique), mais aussi des conseillers de Yasser Arafat moins en vue tels qu’Hachem Hussayn Abu Nidah et Ramzi Khoury [46]. Comme dans le cas des holdings, les monopoles permettent à divers dirigeants de l’AP de développer leurs sources de revenus, phénomène essentiel pour comprendre les dynamiques clientélistes qui se renforcent durant les années Oslo.

20 Les deux principales nouveautés introduites par les Accords d’Oslo dans le domaine économique (organisation « légale » des relations économiques entre Israël et les territoires palestiniens et apparition de l’AP) ne doivent donc pas être sous-estimées, dans la mesure où elles induisent des modifications substantielles du champ économique palestinien. Reste à présent à savoir si ces modifications se sont traduites par une rupture avec la logique du de-development et par une amélioration des conditions économiques dans les territoires occupés.

Une nouvelle économie palestinienne ?

21 La donne économique a-t-elle changé ? Le récent « boom économique palestinien » est-il un miracle ou un mirage ? Pour répondre à ces questions, il convient d’étudier les données chiffrées disponibles pour la période 1993-2006, avant d’interroger la réalité, ou la virtualité, des accomplissements de Salam Fayyad, en poste depuis 2007.

Une sortie du « de-development » ?

22 L’évolution de la situation économique dans les territoires palestiniens dans la période postérieure à la signature des Accords d’Oslo a été largement documentée [47]. L’ensemble des études et analyses concordent sur le fait que la période 1994-2000 n’a pas permis le développement économique espéré. Bien au contraire, c’est à une poursuite du de-development que l’on a assisté, avec un renforcement des tendances à l’œuvre durant la période 1967-1993. Si durant les années 1993-2000 le Produit Intérieur Brut s’accroît régulièrement en valeur absolue, pour atteindre, à la veille du soulèvement de septembre 2000, 120 % de sa valeur de 1993, le PIB par habitant stagne (1380 dollars en 1995, 1386 en 2000) [48]. Les activités productives ne se sont pas, en proportion du reste de l’économie, développées : l’agriculture et l’industrie représentent en 1999, cumulativement, un peu moins de 25 % du PIB, soit un chiffre inférieur à celui de 1988 [49]. La base productive n’a pas davantage évolué : en 2000, à peine 20 établissements industriels palestiniens emploient plus de 100 salariés [50]. Les investissements opérés par l’AP, notamment via ses holdings, n’ont pas contribué au développement de la base productive : les secteurs dans lesquels les holdings investissent leurs capitaux (tourisme, télécommunications) ne permettent pas un développement réel des capacités productives. De même, les importantes sommes d’argent détournées via les monopoles et utilisées pour entretenir les réseaux de clientèle ne bénéficient pas à l’économie réelle.

23 Le déficit commercial s’est régulièrement creusé, passant de 1, 67 milliard de dollars en 1995 à 2.67 milliards de dollars en 1999 (soit 63.6 % du PIB contre 51.8 % quatre ans plus tôt) [51]. L’« ouverture économique » promise ne se concrétise guère, puisque l’essentiel (75 % en moyenne) des échanges se fait avec l’État d’Israël, qui absorbe environ 90 % des exportations palestiniennes [52]. Dans certains domaines, et notamment le secteur agricole où des quotas sont imposés aux exportateurs palestiniens, les rapports de forces se modifient considérablement en faveur des exportateurs israéliens : en 1997, le volume de citrons exportés depuis Gaza vers Israël ne représente que 73 % de ce qu’il était en 1993, tandis que le volume de citrons exportés depuis Israël vers Gaza a augmenté de 32 % sur la même période [53].

24 L’économie palestinienne demeure donc dans une position de subordination vis-à-vis d’Israël et, au-delà, ne s’extrait pas de la logique du de-development. Bien au contraire, cette dernière se renforce, en raison notamment de la fragmentation continue des territoires palestiniens et de la pratique récurrente, par Israël, du bouclage. Utilisé pour la première fois en 1991, le recours au bouclage des territoires occupés pour « raisons de sécurité » se systématise à partir de 1993. Dans la durée [54], cette pratique a entrainé des modifications structurelles de l’économie palestinienne : la forte baisse du nombre de salariés réguliers en Israël et l’augmentation du chômage ont rapidement conduit la nouvelle administration palestinienne à devenir le premier employeur des territoires occupés ; les aides internationales ont été amenées à jouer un rôle essentiel pour assurer une stabilité relative malgré les effets du bouclage ; le bouclage « interne » a réduit les échanges commerciaux entre les zones autonomes, conduisant les producteurs agricoles et industriels à se concentrer sur des marchandises destinées à être écoulées localement, dans une logique autarcique [55] ; Jérusalem a été déconnectée de la Cisjordanie, alors qu’elle jouait auparavant un rôle économique majeur ; enfin, l’instabilité et les pertes économiques [56] générées par la pratique du bouclage ont découragé les investisseurs étrangers.

25 Du point de vue des dynamiques économiques générales, il existe donc une continuité manifeste entre la période 1967-1993 et les années Oslo. L’économie palestinienne demeure structurellement intégrée et subordonnée à l’économie israélienne, sans pouvoir étendre sa propre base productive et développer les échanges avec les pays environnants. La multiplication des établissements bancaires [57] n’a pas limité la fuite des capitaux et n’a pas permis le développement d’un système de crédit. Les banques investissent à l’étranger, dans des projets et des secteurs rentables, et non dans l’économie « nationale » : en moyenne, durant les années 90, ce sont plus de 70 % des capitaux qui sont ainsi transférés à l’étranger [58]. Le champ économique palestinien est en outre dépendant des évolutions de la situation politique, puisque le bouclage est à la discrétion des autorités israéliennes. Les suites du soulèvement de septembre 2000, avec environ 1.000 jours de bouclage pour la période 2001- 2005 [59], confirmeront la fragilité de l’économie palestinienne : le PIB s’écroule entre 2000 et 2005 (– 35 %), tandis que la production agricole chute, en valeur absolue, de plus de 25 % entre 1999 et 2006, et la production industrielle de plus de 20 % [60]. Le renforcement des procédures sécuritaires [61] augmentera considérablement les coûts de l’exportation et de l’importation de marchandises, rendant encore un peu moins concurrentielles les productions palestiniennes et moins attractives les zones autonomes, renforçant les logiques autarciques et la dépendance à l’égard des aides internationales.

L’échec du Plan Fayyad : l’impossible substitution de l’économique au politique

26 Lorsqu’il accède au poste de Premier Ministre en juillet 2007, dans la foulée du putsch manqué contre le Hamas à Gaza, Salam Fayyad hérite d’une situation économique dégradée, a fortiori après la suspension des aides internationales à l’AP suite aux élections législatives de janvier 2006. Fayyad, qui avait déjà été imposé en 2003 comme Ministre des Finances par les pays donateurs, est un ancien haut fonctionnaire de la Banque Mondiale et du FMI, et fait du développement économique palestinien l’une de ses priorités. Les deux principaux documents programmatiques de l’AP, le Palestinian Reform and Development Plan (2007) et le « Plan Fayyad » [62] (2009), témoignent d’un changement significatif dans la politique de l’administration palestinienne : il s’agit de construire les infrastructures du futur État malgré l’occupation. En d’autres termes, c’est le processus de state-building qui permettra de mettre un terme à l’occupation, et non la fin de l’occupation qui permettra de construire un État. Il s’agit notamment de « relancer » l’économie palestinienne par une politique volontariste de développement, avec le but de construire l’indépendance économique, préalable à l’indépendance politique [63].

27 Les chiffres spectaculaires de la croissance palestinienne à partir de 2007 [64] ont souvent été interprétés comme un succès majeur, qui validerait a posteriori la stratégie de Fayyad et démontrerait la possibilité d’un développement économique palestinien malgré l’occupation : « Fayyad, avec le soutien de l’administration Obama, de l’UE et du gouvernement Netanyahou, est en train de construire des institutions nationales et des infrastructures [économiques], améliorant la gouvernance, la sécurité des personnes et créant une base économique solide en Cisjordanie » [65]. Après avoir atteint un record en 2011 (plus de 10 %), le croissance marque le pas en 2012 (environ 6 %) [66], tout en demeurant à un niveau relativement élevé dans le contexte de crise internationale. Une étude approfondie des évolutions économiques tend cependant à démontrer que cette croissance significative dissimule mal le fait que l’économie palestinienne, loin de s’émanciper des logiques décrites jusqu’ici, demeure prisonnière des mécanismes du de-development, notamment la subordination à l’économie israélienne et la dépendance à l’égard des pays donateurs.

28 La croissance élevée souligne même avec d’autant plus d’acuité les faiblesses de l’économie palestinienne, démontrant que l’augmentation de la production de valeur ne signifie pas le développement, et qu’elle peut même accompagner une contraction de la base productive et une stagnation, voire une dégradation, des conditions de vie de la population. Il convient tout d’abord de noter que les années de croissance succèdent à une période (2000-2006) durant laquelle l’économie s’est effondrée : en 2011, le PIB par habitant était toujours inférieur à celui de 1999 [67]. De plus, l’évolution de la structure même de l’économie palestinienne indique que la production de marchandises, loin de se développer, régresse [68] : les produits manufacturés, qui occupaient déjà une place marginale au début des années 1990, ne représentent plus que 10 % du PIB (contre 18 % en 1995), tandis que la production agricole compte pour 6 % du PIB (contre 13 % en 1995). Plus frappant encore, la productivité industrielle stagne, et la productivité agricole est en chute libre, inférieure de moitié, en 2011, à son niveau de 1995. Dans le domaine industriel, la taille moyenne d’une entreprise est de 4.5 salariés, et il n’y a que 27 entreprises employant plus de 100 personnes dans l’ensemble des territoires palestiniens, ce qui témoigne de faibles capacités de production. Les exportations de marchandises ne représentent plus que 7 % du PIB, contre 10 % en 1996, et concernent des secteurs à faible valeur ajoutée (pierre de taille et de construction, lingots de fer et d’acier, marbre, sacs en plastique [69]). Logiquement, le déficit commercial se creuse : plus de 3.500 milliards de dollars en 2011, contre 3.380 milliards en 2010 et 3.100 milliards en 2009 [70].

29 Sans surprise, les services occupent une place démesurée, à hauteur de 83 % du PIB (contre 65 % en Jordanie, 48 % en Égypte et 66% en Israël [71]), et l’AP continue d’être le premier pourvoyeur d’emplois (plus de 30% des salariés). Le chômage demeure à un niveau très élevé, notamment chez les jeunes (28 % en Cisjordanie, 47 % à Gaza), et il a même augmenté entre 2011 et 2012 (+ 2 %) après avoir sensiblement baissé dans les années 2008-2010. Les recettes de l’AP sont dès lors très loin de lui permettre de couvrir ses dépenses, et le déficit structurel de l’administration palestinienne ne se résorbe pas contrairement aux vœux de Fayyad : 1.7 milliard de dollars en 2012, soit environ 16 % du PIB (à comparer aux 10% de déficit de la Grèce). Le principal acteur économique palestinien est donc dépendant des aides des pays donateurs et des emprunts auprès des banques. Les aides internationales, inférieures aux promesses des donateurs et en baisse continue, ne suffisent en effet même pas à combler les dépenses de fonctionnement de l’AP (sans parler d’investissements), qui a dû contracter de nombreux emprunts auprès d’établissements bancaires locaux, avec pour résultat, fin 2012, un endettement supérieur à 1.4 milliard de dollars, contre 500 millions en 2008. Cette situation de quasi-banqueroute rend l’AP d’autant plus dépendante des rétrocessions israéliennes, qui représentent plus des 2/3 des revenus de l’administration palestinienne. Difficile dans ces conditions d’être trop vindicatif à l’égard du puissant voisin, a fortiori lorsque l’on sait qu’Israël demeure, de très loin, le premier partenaire commercial des territoires palestiniens, avec 86 % des exportations et 73 % des importations en 2012.

Le budget de l’Autorité palestinienne (en millions de dollars)

2008 2009 2010 2011 2012
Recettes 1765 1598 1909 2045 2200
Dont rétrocessions israéliennes 1122 1103 1259 1423 1600
Dépenses 3001 3620 3376 3693 3900
Déficit (avant aides et emprunts) 1336 2022 1467 1648 1700
Aides internationales 1978 1755 1278 982 932
Sources : FMI, Banque Mondiale et PCBS
figure im1

Le budget de l’Autorité palestinienne (en millions de dollars)

Conclusion

30 Le « miracle économique » repose donc sur une double illusion. La première d’entre elles est celle de la croissance : les secteurs qui tirent les chiffres à la hausse (services, tourisme, construction, télécommunications) ne contribuent pas au développement réel des infrastructures économiques et des activités productives, plaçant les territoires palestiniens dans une situation de dépendance totale vis-à-vis des importations de biens et de marchandises et creusant le déficit commercial. La seconde illusion est générée par la place démesurée de l’appareil d’État, dont la survie n’est possible que grâce aux financements internationaux et aux rétrocessions israéliennes.

31 L’économie palestinienne est une économie malade et sous perfusion, qui ne peut prétendre à se développer réellement tant elle est (dé-)structurée par l’occupation israélienne et par les mécanismes asymétriques induits par le « processus de paix ». Paradoxalement, l’économie palestinienne est ainsi, à l’instar de nombre d’économies de la région, une économie de rente : la dépendance à l’égard des financements extérieurs n’est en effet pas sans rappeler la situation des États rentiers, dont les recettes ne dépendent pas d’un développement des activités productives (et de la fiscalité) mais de la vente, à l’extérieur, de richesses dont la création ne nécessite pas une forte base productive.

32 Mais la rente palestinienne est, à la différence de la rente perçue par les monarchies pétrolières, politique, en ce sens qu’elle ne résulte pas de l’échange d’une quelconque production marchande, mais de la tâche spécifique qui a été assignée à l’AP dans le cadre du « processus de paix », à savoir le containment des revendications palestiniennes durant une période transitoire au terme de laquelle un hypothétique État indépendant verrait le jour. La mise sous dépendance économique des zones autonomes palestiniennes est le fruit d’un long processus et ses implications sont éminemment politiques puisqu’elles freinent toute velléité d’indépendance réelle.

33 Le de-development palestinien se poursuit au même rythme que l’emprise israélienne sur les territoires occupés se renforce, par les expropriations, la colonisation et les restrictions sur la circulation des biens et des personnes. Seule une reconnection des questions économiques et des questions politiques, telle qu’elle a été par exemple effectuée ces derniers mois par les nombreuses mobilisations palestiniennes contre les hausses de prix, les arriérés de salaires et les dispositions du Protocole de Paris, permettra de renverser la tendance à l’œuvre, qui consiste à considérer les Palestiniens comme des individus avec des besoins alors qu’ils demeurent, fondamentalement, un peuple avec des droits nationaux collectifs. ?

Notes

  • [1]
    Salam Fayyad a remis sa démission à Mahmoud Abbas en avril 2013. Mais rien n’indique qu’une quelconque inflexion soit à l’œuvre, depuis, dans les politiques économiques de l’Autorité Palestinienne.
  • [2]
    Jamil Rabah et Natasha Fairweather, Israeli Military Orders in the Occupied Palestinian Territories : 1967-1992, Jerusalem Media and Communication Centre, Jérusalem, 1993.
  • [3]
    Mohamad K. Shadid, « Israeli Policy Towards Economic Development in the West Bank and Gaza », in George T. Abed (ed), The Palestinian Economy : Studies in Development Under Prolonged Occupation, Londres, Routledge, 1988, p. 121-138.
  • [4]
    Juin 1967.
  • [5]
    Ordre n° 267, modifié par les ordres n°362 et 398.
  • [6]
    Ordre n° 379, modifié par l’ordre n° 398.
  • [7]
    Ordre n° 1015.
  • [8]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », août 2007, disponible sur http://www.kanaanonline.org/ articles/01244.pdf
  • [9]
    Ordres militaires nos 58, 59, 291, 321, 364, 1091…
  • [10]
    Ordres nos 92, 291…
  • [11]
    Arie Arnon et al, The Palestinian Economy : Between Imposed Integration and Voluntary Separation, Leiden, Brill, 1997, chapitre 2 (« A macroeconomic Profile »).
  • [12]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », op. cit. Voir également Samir Abdallah Saleh, « The Effects of Israeli Occupation on the Economy of the West Bank and Gaza Strip », dans Jamal R. Nassar et Roger Heacock (eds), Intifada : Palestine at the Crossroads, New York, Bir Zeit University et Praeger Publishers, 1990, p. 37-51.
  • [13]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », op. cit.
  • [14]
    Voir Laurence Harris, « Money and Finance with Undeveloped Banking in the Occupied Territories », in George T. Abed, The Palestinian Economy, op. cit, p. 191-222.
  • [15]
    Sara Roy, « The Gaza Strip : A Case of Economic De-Development », Journal of Palestine Studies, vol. 17, n° 1, 1987, p. 56-88.
  • [16]
    Ibid, p. 56.
  • [17]
    Voir Hisham Awartani, « Agricultural Development and Policies in the West Bank and Gaza », in George T. Abed, The Palestinian Economy, op. cit, p. 139-164.
  • [18]
    Voir Bakir Abu Kishk, « Industrial Development and Policies in the West Bank and Gaza », in George T. Abed, The Palestinian Economy, op. cit, p. 165-190. Voir également Arie Arnon et al, The Palestinian Economy, op. cit, chapitre 7 (« The Industrial Structure »).
  • [19]
    D’après Adel Zagha et Husam Zomlot, « Israel and the Palestinian Economy : Integration or Containment ? », in Muchtaq Hussayn Khan, Inge Amundsen et George Giacaman (eds.), State formation in Palestine : Viability and Governance During a Social Transformation, Londres et New York, Routledge, 2004, p. 120-140. Voir également Sharif S. Elmusa and Mahmud El-Jaafari, « Power and Trade: The Israeli-Palestinian Economic Protocol », Journal of Palestine Studies, vol. 24, n° 2, Hiver 1995, p. 14-32.
  • [20]
    Article III, 5.a.
  • [21]
    Article VIII, 10.
  • [22]
    Article III, 2.
  • [23]
    Article III, 3.
  • [24]
    Article V.
  • [25]
    Article VI. La TVA israélienne étant fixée à 17 %, la TVA palestinienne ne pourra descendre en dessous de 15 %.
  • [26]
    Article III, 15.
  • [27]
    Article IV, 10.a.
  • [28]
    Article IV, 10.b.
  • [29]
    Article VII, 1.
  • [30]
    Ibid. Le texte stipule que les « deux parties » pourront chacune agir de la sorte. Mais, aucun Israélien ne venant travailler dans les zones palestiniennes, cette disposition ne concerne que l’État d’Israël.
  • [31]
    Rex Brynen, A Very Political Economy, Peacebuilding and Foreign Aid in the West Bank and Gaza, Washington DC, United States Institute of Peace Press, 2000, p. 113 et sq.
  • [32]
    Anne Lemore, « Killing with kindness : funding the demise of a Palestinian state », International Affairs, vol. 81, n° 5, octobre 2005, p. 981-999.
  • [33]
    Le ministère « officieux » des affaires étrangères.
  • [34]
    Leïla Farsakh, « From Domination to Destruction: The Palestinian Economy under the Israeli Occupation » in Adi Ophir, Michal Givoni, et Sari Hanafi (eds), The power of inclusive exclusion anatomy of Israeli rule in the occupied Palestinian territories, New York, Zone Books, 2009, p. 394.
  • [35]
    Rex Brynen, « Buying Peace ? A Critical Assessment of International Aid to the West Bank and Gaza », Journal of Palestine Studies, vol. 25, n° 3, printemps 1996, p. 79-92.
  • [36]
    Le Jericho Resort est un luxueux complexe hôtel-casino inauguré en 1998, près de Jéricho, financé par des capitaux jordaniens, palestiniens et israéliens.
  • [37]
    Téléphonie mobile.
  • [38]
    Téléphonie fixe.
  • [39]
    Markus E. Bouillon, The Peace Business, Money and Power in the Palestine-Israel Conflict, Tauris, New York, 2004, p. 123. Ces chiffres correspondent à ce qui est alors rendu public, sous la pression des pays donateurs, par la PCSC, et non à la totalité de ses investissements et participations.
  • [40]
    Voir Sara Roy, « Palestinian Society and Economy : The Continued Denial of Possibility », Journal of Palestine Studies, vol. 30, n° 4, été 2001, p. 5-20.
  • [41]
    Conseiller financier de Yasser Arafat.
  • [42]
    Responsable de la Sécurité Préventive à Gaza.
  • [43]
    Responsable de la Sécurité Préventive en Cisjordanie.
  • [44]
    La firme égyptienne de Nabil Chaath, Team, dirigée par son fils, aurait obtenu 92 % des contrats d’importation d’ordinateurs passés par le MOPIC (Markus E. Bouillon, The Peace Business, op. cit, p. 95).
  • [45]
    Fils de Mahmoud Abbas.
  • [46]
    Voir notamment Ronen Bergman et David Ratner, « The Man who Swallowed Gaza », Ha’aretz, supplément week-end du 4 avril 1997, Mohamed M. Nasr, « Monopolies and the PNA », in Muchtaq Hussayn Khan, Inge Amundsen et George Giacaman (eds.), State formation in Palestine, op. cit, et Michael Schwartz, « A Secret Account in Tel Aviv Funds Arafat’s Oppression, Hand in Glove », Challenge, 43, 27 février 1997.
  • [47]
    Voir notamment les rapports trimestriels de la Banque Mondiale, les nombreux rapports du FMI et les statistiques du Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS).
  • [48]
    UNCTAD, « The Palestinian war-torn economy : aid, development and state formation », UNCTAD/GDS/APP/2006/1, avril 2006, p. 7.
  • [49]
    Banque Mondiale, « Palestinian Economic Prospects : Aid, Access and Reform », septembre 2008.
  • [50]
    Banque Mondiale, « West Bank and Gaza Update », octobre 2008.
  • [51]
    UNCTAD, « The Palestinian war-torn economy », op. cit, p. 7.
  • [52]
    Pour des données plus précises sur les importations et les exportations palestiniennes, on pourra se reporter à UNCTAD, « Palestinian Merchandise Trade in the 1990s : Opportunities and Challenges », UNCTAD/GDS/SEU/1, janvier 1998, p. 77-81.
  • [53]
    Sara Roy, « De-development revisited », op. cit.
  • [54]
    Le nombre total de jours de bouclage est estimé à 453 pour la période 1995-2000 (UNCTAD, « Policy Alternatives for Sustained Palestinian Development and State Formation », UNCTAD/GDS/APP/2008/1, 2009, p. 6).
  • [55]
    Sara Roy, « De-development revisited », op. cit.
  • [56]
    À titre d’exemple, pour l’année 1996, le bouclage aurait entrainé des pertes équivalant à 39.6 % du PNB de Gaza et 18.2 % de celui de la Cisjordanie (Sara Roy, « De-development revisited », op. cit.).
  • [57]
    En 1993, deux banques opèrent dans les territoires palestiniens, pour un total de 13 agences. À la fin de l’année 2000, ce sont 22 banques qui opèrent via 120 agences (Mohamed M. Nasr, « Monopolies and the PNA », op. cit, p. 175).
  • [58]
    Adel Samara, « Palestine : From Historical De-classing to a Stand-by Regime », op. cit.
  • [59]
    UNCTAD, « Policy Alternatives », op. cit, p. 6.
  • [60]
    D’après les chiffres du Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS) et du FMI.
  • [61]
    Contrôle des marchandises à la sortie des zones autonomes palestiniennes, transfert dans des véhicules israéliens, nouveaux contrôles aux frontières…
  • [62]
    « Ending the Occupation, Establishing the State ».
  • [63]
    Le second « pilier » du plan Fayyad est la refonte et la modernisation des services de sécurité palestiniens. Voir à ce sujet Julien Salingue, « Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie : au service de la population ou de l’armée d’occupation ? », Magazine Moyen-Orient, n° 17, janvier-mars 2013.
  • [64]
    5.4 % en 2007, 6.8% en 2008, 7.4 % en 2009, 9.8 % en 2010 (Banque Mondiale, « West Bank and Gaza. Towards Economic Sustainability of a Future Palestinian State : Promoting Private Sector - Led Growth », avril 2012).
  • [65]
    Natalia Simanovsky, « The Fayyad Plan : Implications for the State of Israel », Palestine-Israel Journal of Politics, Economic and Culture, vol. 17, n° 12, 2011.
  • [66]
    Banque Mondiale, « Fiscal Challenges and Long Term Economic Costs : Economic Monitoring Report to the Ad Hoc Liaison Committee », mars 2013.
  • [67]
    Banque Mondiale, « West Bank and Gaza… », op. cit, 2012.
  • [68]
    Les chiffres qui suivent sont tous extraits, sauf mention, du rapport de la Banque Mondiale, « Fiscal Challenges and Long Term Economic Costs… », op. cit, mars 2013.
  • [69]
    Respectivement 12.8, 7.9, 4.6 et 3.7% des exportations.
  • [70]
    Chiffres du PCBS.
  • [71]
    CIA, The World Factbook, 2012.
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