Couverture de COME_067

Article de revue

Le conflit Russo-Georgien

Pages 111 à 115

1

L’actuelle guerre russo-géorgienne n’est que le dernier avatar d’un différend entre Tbilissi et Moscou qui remonte à l’époque tsariste. Mais cette fois, il ne s’agit pas simplement d’un conflit politique et/ou ethnique. S’y ajoute un paramètre d’importance : le contrôle du transport du pétrole et du gaz de la Caspienne vers l’Ouest.

2 La Géorgie n’est pas à proprement parler une région méditerranéenne, mais elle y est liée par l’histoire et la géographie. En effet, les Grecs pontiques depuis la plus haute Antiquité avec Jason et sa Toison d’or ont colonisé les côtes de la mer Noire. Cette dernière est aussi un appendice septentrional de la Méditerranée.

3 Le 7 août dernier, quelques heures avant l’offensive géorgienne contre l’Ossétie du Sud, le président Mikhaïl Saakachvili savait qu’il allait disposer sur le terrain d’une aide américaine, notamment pour le bombardement de la capitale ossète, Tskhinvali. Des conseillers américains en poste dans l’armée géorgienne ont réglé les tirs des lance-roquettes multiples Grad, dernière génération des « orgues de Staline ». Washington savait que Saakachvili préparait son offensive, d’autant que ce dernier est un grand ami du sous-Secrétaire d’Etat américain, Matthew Bryza. Ses conseillers sur place auraient même poussé le président géorgien à l’offensive en lui annonçant que son armement détruit serait remplacé et modernisé pour une somme supérieure à 25 millions de dollars.

4 Dans cette partie de poker, le président géorgien a commis une grave erreur tactique et stratégique. Il pensait sans doute que Vladimir Poutine, ancien champion de judo et téléspectateur fanatique des J.O., allait se réveiller après la clôture des jeux de Pékin et ne lèverait pas le petit doigt pour une région pauvre de 70000 habitants. En réalité, Moscou n’attendait que cette provocation pour régler son compte à cette ancienne république soviétique historiquement frondeuse qui s’est ouvertement placée sous la protection américaine et est devenue officiellement candidate à l’adhésion à l’OTAN.

5 Résultat, Saakachvili a perdu en dix jours tout ce qu’il avait gagné en terme d’indépendance vis-à-vis de Moscou depuis sa « révolution des roses » de l’hiver 2003-2004. Quelques milliers de morts dans les deux camps, des dizaines de milliers de Géorgiens chassés de leurs foyers, victimes des forces russes, ossètes et abkhazes. Par ailleurs, les Russes qui avaient une force de maintien de la paix sur la frontière osséto-géorgienne la voient confirmée par la diplomatie internationale et élargissent alors la zone tampon de quelques centaines de mètres à 15 kilomètres de profondeur en terre géorgienne. En outre, la flotte géorgienne a été détruite dans le port de Poti, ainsi que le terminal pétrolier de la ville. La 76e division russe occupe ce port stratégique et des régiments, stationnés en plusieurs points sur la route Poti-Tbilissi, ont ainsi récupéré les trois anciennes bases qu’ils avaient dû abandonner fin 2007. Poti est l’arrivée d’un oléoduc venant d’Azerbaïdjan pour évacuer le pétrole vers le monde occidental sans transiter par la Russie, dont les troupes se retirent à la vitesse d’un escargot alors que l’envoi de Casques bleus est toujours exclu. Bref, Saakachvili a beaucoup perdu, d’autant que la mission diplomatique du président Sarkozy a été un fiasco face à l’intransigeance de Moscou qui campe sur ses positions. Sachant que 40% du gaz consommé dans l’UE vient de Russie, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grèce ont fait le dos rond. En revanche, les anciens satellites de l’URSS sont montés au front pour soutenir les Géorgiens : Pologne et Etats baltes. Enfin, cerise sur le gâteau, l’ombre de Poutine, le président Dimitri Medvedev, a reconnu fin août l’indépendance des deux régions géorgiennes sécessionnistes : l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie d’où les derniers Géorgiens y vivant encore ont été chassés.

Le poids de l’histoire

6 La Géorgie antique a porté aussi le nom d’Ibérie. Christianisée au IVe s. après J.-C., elle devient au siècle suivant un royaume indépendant avec déjà de forts particularismes régionaux et connaît son âge d’or avec la Grande Géorgie des XIIe-XIIIe siècles.

7 En 1433, le royaume est divisé en principautés ennemies puis passe sous domination perse. En 1801, l’empire des tsars qui s’était pourtant porté garant de l’indépendance de la Géorgie en 1783, en annexe la plus grande partie jusqu’à en contrôler l’ensemble en 1878. A la fin du XIXe siècle, des groupes marxistes voient le jour, dirigés par les mencheviks, frères ennemis des bolcheviks.

8 Après la révolution de 1917, la Géorgie proclame son indépendance le 26 mai 1918 et se place sous la protection de l’Allemagne dont elle prend les trois couleurs pour son drapeau : rouge, blanc, noir. En février 1921, le pays est soviétisé et le Géorgien Staline (Géorgien de père, Ossète de mère) va mettre au pas ses compatriotes qui ont le tort d’être mencheviks comme le fut Trotsky. D’autant plus que Joseph Djougatchvili, alias Koba, alias Staline, est devenu Commissaire aux nationalités. C’est lui qui sépare les Républiques de l’URSS en créant en leur sein des Républiques autonomes et des Régions autonomes, pour diviser pour mieux régner. Durant les grands procès de 1936-38 tous les leaders bolcheviks géorgiens sont exécutés. Le pays est divisé : républiques autonomes d’Adjarie et d’Abkhasie et région autonome d’Ossétie du Sud.

9 Les Adjars sont des Géorgiens islamisés et turquifiés vivant à la frontière de l’Empire ottoman. Pour les Abkhazes, les choses sont plus compliquées. Certains spécialistes pensent qu’il s’agit de Géorgiens islamisés et mélangés à des peuples du nord-Caucase, pour d’autres, il s’agit d’un véritable peuple nord-caucasien comme les Ingouches, les Tchétchènes, les Tcherkesses… Enfin, les Ossètes ne sont pas des Caucasiens, mais des Indo-Européens proches des Iraniens : les descendants des Alains, chassés par les Huns en 375. Une partie des Alains partirent en Hongrie, en Andalousie et en Afrique du Nord. La renaissance ossète eut lieu au Xè siècle, jusqu’à la destruction de son empire au XIIIe par les Mongols puis par les Ottomans au XVe. Les Ossètes du Nord se convertissent à l’islam, alors que leurs frères du sud restent chrétiens orthodoxes. En 1774, les Ossètes font allégeance aux tsars pour se libérer des Turcs et des Géorgiens. Cette fidélité ancienne est une des clés du conflit actuel.

10 Profitant de la perestroïka de Gorbatchev, les Ossètes du Sud demandent en 1986 leur rattachement à l’Ossétie du Nord donc à la Fédération de Russie, sachant qu’à l’époque 30 % de la population de cette région était géorgienne. Tout comme en Abkhazie : 44 % de la population était géorgienne, 17 % abkhaze, 16 % russe et 15 % arménienne. Dès 1978, les Abkhazes avaient demandé leur rattachement à la Fédération de Russie.

11 En 1972, le chef du KGB local, un certain Edouard Chevardnadze, devient le patron du PC géorgien. C’est lui qui va réprimer le premier mouvement d’opposition dirigé par un poète ultra-nationaliste, Zviad Gamsakhourdia. On retrouvera rapidement ces deux hommes quand la Géorgie va concentrer tous les maux d’une Union soviétique en dislocation : guerre civile, affrontements interethniques, isolement politique et économique, montée des mafias.

12 En octobre 1990, les premières élections libres ont lieu. L’opposition démocratique de Gamsakhourdia obtient 60 % et supprime aussitôt l’autonomie de l’Ossétie en décembre. En mai 1991, il est élu président, avec 87 % des voix, de la nouvelle Géorgie indépendante. Il se comporte bientôt en dictateur et supprime l’autonomie de l’Adjarie et de l’Abkhasie. En décembre 1991, la guerre civile fait rage à Tbilissi. Le président se réfugie dans sa région natale, la Mingrélie, puis s’exile en Tchétchénie. Chevardnadze, ancien ministre des Affaires étrangères de Gorbatchev (1985-1990) pro-russe, est élu président du Conseil d’Etat, en mars 1992, puis du Parlement en octobre avec 90 % des suffrages. En mars, les Etats-Unis et l’UE ont reconnu l’indépendance de la Géorgie qui entre à l’ONU en juillet. Un mois plus tôt, Chevardnadze avec le soutien de Moscou avait signé les accords de Sotchi, mettant un terme aux affrontements en Abkhazie et en Ossétie. Mais pour la Russie, Tbilissi n’est pas encore assez alignée. En juillet 1993, l’armée russe aide les milices abkhazes dans leur offensive. Ces dernières prennent en septembre la capitale Soukhoumi et expulsent la population géorgienne. Peu après, la Géorgie adhère à la Communauté des Etats indépendants (CEI), structure réunissant la grande majorité des ex Républiques de l’URSS sous la houlette de Moscou. En prime Tbilissi offre trois bases militaires à l’armée russe. En janvier 1994, les Mingréliens marchent à nouveau sur la capitale, mais ils sont refoulés et Gamsakhourdia est tué. Chevardnadzé assoit son pouvoir. Réélu en novembre 1995 avec 70 % des voix, puis en avril 2000 avec 80 % des suffrages, il a signé en août 1997 un accord de paix avec l’Abkhazie.

Une démocratisation aux forceps

13 En octobre 2001, les Abkhazes repassent à l’offensive pour terminer l’épuration ethnique. L’opposition démocratique géorgienne relève la tête. En novembre 2003, Saakachvili remporte les législatives. La révolution des roses commence, portant à la présidence ce dernier, le 4 janvier 2004, après la démission forcée de Chevardnadze. Le jeune président a été formé aux Etats-Unis et parle quatre langues : géorgien, russe, anglais, français. Le 6 mai, sans tirer un coup de feu, il récupère dont le potentat local, qui a fait fortune avec les taxes de douane sur la frontière turque et le trafic de prostituées de l’ex-URSS vers la Turquie, s’exile à Moscou. Fort de ce succès, Saakachvili se promet de récupérer l’Ossétie puis l’Abkhazie. En août 2004, il lance son armée contre Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du Sud, sans succès. En revanche fin 2007, il obtient le début de l’évacuation des bases militaires russes grâce à l’appui de Washington qui lorgne sur elles. Mais une fois de plus, le président développe un certain autoritarisme. Le 2 novembre 2007, 100000 personnes manifestent devant le Parlement demandant des élections anticipées puis la démission du président. Saakachvili accuse, sans preuve, le FSB (successeur du KGB) de manipuler l’opposition et expulse trois diplomates russes. Pour ressouder son opinion publique, il va, grand classique, jouer la carte nationaliste et préparer la reconquête de l’Ossétie. Moscou ne bouge pas car elle est en pleine campagne des législatives, mais Washington s’inquiète. Depuis quelques années le pétrole de la Caspienne emprunte l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyan) qui part de la Caspienne, passe par la Géorgie, évitant l’Arménie pro-russe, et plonge vers le Sud à travers le Kurdistan turc vers le port turc de Ceyan en Méditerranée orientale, non loin de la Syrie. La Russie avait été furieuse de cette réalisation car elle voulait contrôler l’acheminement de cet or noir à travers l’Ossétie du Nord, la Tchétchénie (d’où la guerre à outrance dans cette région), la Russie méridionale jusqu’au port de Novorosiik, suivi d’un transfert par tanker jusqu’au port bulgare de Burgas puis par un oléoduc jusqu’au port grec d’Alexandroupolis. Mais la colère de Poutine va décupler début 2007 avec la mise en marche du gazoduc BTE (Bakou-Tbilissi-Erzerum), avec toujours les mêmes acteurs : la Géorgie, la Turquie et les Etats-Unis. Dans le contrat sur vingt ans du BTE, Tbilissi doit toucher 5% du volume acheminé au prix de 55 dollars le million de mètres cube au lieu des 235 dollars que proposait Gazprom, géant russe du gaz.

14 Mikhaïl Saakachvili n’a pas voulu comprendre que la guerre du gaz et du pétrole est pour Moscou le moyen de redevenir une super puissance. Aux jours anciens de l’Union soviétique, le pouvoir politique de la Russie se mesurait aux 14000 missiles nucléaires pointés vers l’Occident. Il se mesure aujourd’hui aux pipelines reliés à l’Occident.

15 Après la parenthèse du communisme, l’impérialisme tsariste est de retour et la Géorgie en fait les frais comme au XIXe siècle. ?

Pour en savoir plus :

  • Roumiana Ougartchinska, Guerre du gaz, la menace russe, éd. du Rocher, 2008.
  • Nouvelles d’Arménie Magazine, n° 144, septembre 2008. www.armenews.com

Date de mise en ligne : 01/01/2011

https://doi.org/10.3917/come.067.0111

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions