Notes
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[1]
Secrétaire Général du CIHEAM (Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes, Paris), ancien directeur de recherche au CNRS et Président de l’INRA de 1999 à 2003. Sociologue de formation, Bertrand Hervieu a occupé plusieurs postes à responsabilité dans l'administration française, notamment au ministère de l'Agriculture. Il est l’auteur de nombreux articles parus dans les revues scientifiques et de vulgarisation portant sur les politiques publiques agricoles, sur le poids politique du monde agricole et plus largement sur les transformations du monde agricole et du monde rural. Il a publié seul ou en collaboration 11 ouvrages dont Au bonheur des campagnes (Edition de l’Aube 1996), Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes (Flammarion 1996), Les agriculteurs, (PUF 1996), Les champs du futur, (Julliard 1994) et L’archipel paysan (Edition de l’Aube, 2001).
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[2]
Spécialiste de la Méditerranée, Sébastien Abis est consultant au CIHEAM où il est en charge des analyses géostratégiques et prospectives. Il travaille également sur l’évolution des relations euro-méditerranéennes, l’agriculture et le développement durable. Auteur de nombreux articles sur la Méditerranée et le Maghreb, il a aussi publié L’affaire de Bizerte (Sud-editions, 2004).
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[3]
Pour une lecture critique et prospective des relations euro-méditerranéennes, lire Sébastien Abis, “2007, année zéro pour la Méditerranée ?”, in Futuribles, n°318, juillet-août 2006, Paris.
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[4]
La grande majorité des données présentes dans cette contribution est tirée des différents travaux du CIHEAM, dont ceux conduits actuellement par le groupe de prospective chargé de préparer le rapport annuel Mediterra 2008.
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[5]
Cet article présente des données relatives à un ensemble méditerranéen de 19 pays riverains, à savoir 8 Etats sur la rive Nord (Albanie, Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte et le Portugal) et 11 Etats sur la rive Sud (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie et Autorité Palestinienne). Ces données statistiques se basent sur les projections démographiques des Nations Unies, présentées dans World population prospects : The 2004 revision population database.
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[6]
Ces politiques de développement rural sont généralement articulées autour de 4 axes : l’amélioration des conditions de vie, la diversification des activités pour stimuler l’emploi, la protection des ressources naturelles et le renforcement des acteurs locaux dans la gestion et la conduite de ces politiques.
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[7]
Voir CIHEAM, AgriMed 2006, Agriculture, pêche, alimentation et développement rural durable dans la région méditerranéenne (sous la direction de Bertrand Hervieu), Paris, avril 2006, chapitre 2 “L’approvisionnement céréalier des pays méditerranéens : situations et perspectives” (pp. 35 à 52).
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[8]
A l’heure actuelle, sont membres de l’OMC les PPM suivants : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Maroc, Tunisie et Turquie. Le Liban et l’Autorité palestinienne ont un statut d’observateur.
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[9]
Voir à ce titre l’analyse réalisée par Anna Lipchitz, “La libéralisation agricole en zone Euro-Méditerranée : la nécessité d’une approche progressive”, Notes et études économiques n°23, Direction des politiques économique et internationale, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, septembre 2005.
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[10]
En 2003, l’UE exportait ses produits agricoles à hauteur de 7% vers les PPM, qui de leur côté assuraient 8% des approvisionnements agricoles de l’UE.
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[11]
Lire Etude d’impact de durabilité de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne, Centre de recherche sur l’étude d’impact, Institut pour la politique et la gestion du développement, Université de Manchester, novembre 2005.
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[12]
A ce sujet lire l’analyse de Najib Akesbi, “L’accord de libre-échange Maroc-USA compromet-il le projet euro-méditerranéen ?”, in NewMedit, Istituto Agronomico Mediterraneo di Bari, juin 2005, pp. 2-3.
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[13]
Sur l’effort de prospective, lire Hugues de Jouvenel, “Invitation à la prospective”, Futuribles, collection Perspectives, Paris, juillet 2004.
Pendant que la géopolitique internationale se complexifie et que les équilibres socio-économiques du monde se recomposent, la Méditerranée, à nouveau, nous inquiète et nous interpelle. Dix ans après la vibrante Déclaration de Barcelone, qui instaura le Partenariat euro-méditerranéen (PEM), les doutes l’emportent sur la confiance et l’espérance. La Méditerranée demeure une zone de tensions, avec des problèmes sécuritaires, des fractures socio-politiques et des asymétries de richesse. En 2005, à elles trois, l’Espagne, la France et l’Italie assuraient 80% du PIB total du bassin méditerranéen…
1 Nombreux sont les facteurs expliquant la panne actuelle qui frappe la coopération euro-méditerranéenne [3]. L’une des raisons tient au fait que certains secteurs stratégiques ont été oubliés ou marginalisés. L’agriculture fait partie de ces champs insuffisamment explorés dans le cadre euro-méditerranéen. Et pourtant, la question agricole y occupe une place incontournable et stratégique. Incontournable parce que l’agriculture joue en Méditerranée un rôle fondamental dans les équilibres économiques, sociaux et territoriaux. Stratégique, parce que de son évolution et de son traitement dépendent non seulement des enjeux politiques et commerciaux forts mais également la volonté ou non de construire une Méditerranée plus solidaire.
2 En novembre 2005, l’Union européenne (UE) s’est enfin décidée à ouvrir les négociations avec les pays partenaires méditerranéens (PPM) sur la libéralisation des échanges agricoles. Cette décision, somme toute importante, comporte néanmoins des enjeux et des risques qu’il convient de bien maîtriser.
3 Comprendre pourquoi l’agriculture est si stratégique en Méditerranée et décrypter comment la perspective de libéralisation des échanges agricoles est en train d’évoluer doivent nous permettre de tracer quelques contours sur l’avenir de la Méditerranée. Telle est la philosophie de cet article qui n’est qu’un plaidoyer pour la réflexion et la volonté d’action en Méditerranée.
Un regard exploratoire sur l’agriculture en Méditerranée
4 Cette première partie [4] vise non pas à dresser un tableau exhaustif sur la situation agricole en Méditerranée mais simplement à alerter le lecteur sur les tendances lourdes, les défis émergents et l’enjeu de la sécurité alimentaire dans la région.
Les tendances lourdes
5 Rencontre intime de l’histoire et de la géographie, la Méditerranée est un espace sans frontières, un territoire ouvert, où longtemps seule la culture de l’olivier permettait d’en tracer les limites. Trois grands indicateurs peuvent résumer la spécificité de l’espace méditerranéen : l’originalité de son climat et de sa végétation, la valeur de sa biodiversité et de ses paysages mais également la fragilité de ses territoires face aux contraintes du milieu (sécheresse, érosion hydrique, inondation, salinisation, relief escarpé).
6 Outre une géographie et un passé vieux comme le monde, la Méditerranée se distingue aussi par le poids considérable de l’agriculture dans l’équilibre territorial et sociétal des Etats riverains. Cette caractéristique se manifeste avant tout par une démographie rurale importante. En effet, en 2005, sur les 454 millions d’habitants que regroupe la Méditerranée [5], 164 millions de personnes vivaient en milieu rural, soit environ 36% de la population totale du bassin. Cette population rurale a naturellement gonflé sur la rive Sud avec le boom démographique très fort de la période 1960-1990, tandis qu’au Nord, parallèlement, la population rurale accélérait sa décroissance. Aujourd’hui, 67% de cette population rurale méditerranéenne vivent au sud du bassin, où l’Egypte compte notamment 43 millions de ruraux. A l’horizon 2020, la part des ruraux méditerranéens devrait connaître une légère diminution pour représenter alors 32% de la population globale du bassin, soit 166 millions de personnes. Cela signifie qu’en valeur absolue la population rurale continue à croître. Toutefois, cette croissance démographique rurale est exclusivement située au Sud, car au Nord, les campagnes se vident. On observe cependant un recul de la ruralité partout en Méditerranée, tant au Nord qu’au Sud, où la part relative de la population rurale passera respectivement de 29 à 25% et de 41 à 36% entre 2005 et 2020.
7 La masse tout aussi importante des actifs agricoles est la conséquence du poids affirmé de la population rurale en Méditerranée. Si depuis un demi-siècle l’agriculture connaît une chute spectaculaire de ses effectifs dans la région, aujourd’hui, elle n’en demeure pas moins un puissant pourvoyeur d’emplois. Certes, dans les pays méditerranéens de l’Union européenne, le nombre d’actifs agricoles est passé de 7 millions en 1990 à 4 millions actuellement, soit environ 7% de la population active totale de ces pays. Mais au Sud de la Méditerranée, environ 34 millions de personnes travaillent dans le secteur agricole (soit 25 à 30% de la population active) contre 30 millions en 1990. Toutefois, de forts contrastes entre les pays se remarquent (43% en Turquie et 33% au Maroc contre 5% en Libye et 3% au Liban). De même, la Turquie et l’Egypte à elles seules comptent 23 millions d’actifs agricoles.
8 L’agriculture structure également les économies nationales des Etats méditerranéens. Certes, la part du secteur agricole dans le Produit Intérieur Brut (PIB) est très faible au Nord de la Méditerranée (2 à 3 % en moyenne) mise à part l’Albanie (25%). En revanche, sur la rive Sud, la croissance économique dépend encore pour beaucoup du dynamisme agricole. L’agriculture y est vitale pour les économies puisqu’elle pèse pour 10 à 15 % du PIB (23% en Syrie et 17% au Maroc).
9 La situation agro-commerciale des Etats de la Méditerranée est loin d’être homogène. Malgré une baisse tendancielle depuis plusieurs années, la part des biens alimentaires dans les importations totales représente toujours 5 à 10% dans les pays du Nord (19% en Albanie) et 10 à 20% dans les pays du Sud (23% en Algérie). Simultanément, les exportations agricoles demeurent stratégiques (entre 15 et 25% des exportations globales) dans les économies nationales de la Grèce, de Chypre, du Liban, de la Jordanie et de l’Autorité palestinienne et, dans une moindre mesure, le sont pour la France, l’Espagne, le Maroc et l’Egypte.
10 Quant à l’alimentation, elle figure au centre du patrimoine méditerranéen par sa richesse et sa diversité. Elle se distingue par la frugalité (2500 à 3000 calories par habitant et par jour), une consommation privilégiée de certains produits (légumes, fruits, huile d’olive, épices, viande) et un rôle social évident (caractère des repas structurés pris dans la convivialité). Ce modèle de consommation est d’ailleurs régulièrement vanté par le corps médical pour ses qualités nutritionnelles et organoleptiques. De même, il convient de rappeler que la part du budget des ménages consacrée aux biens alimentaires atteint en moyenne 15% au Nord de la Méditerranée et 30 à 40% au Sud. L’alimentation participe donc pleinement à la construction de l’identité méditerranéenne.
Les défis émergents
11 Au Nord du bassin, le défi majeur réside dans la poursuite de cette renaissance rurale observée depuis une quinzaine d’années, sous l’effet des nouvelles orientations exigées par la Politique Agricole Commune (PAC) de l’UE et sa réforme radicale de 1992. La reconnaissance du caractère multifonctionnel de l’agriculture soutient la pluriactivité du paysan ou du producteur, tour à tour garant de la sécurité sanitaire des aliments, agent d’entretien pour l’environnement, ingénieur à l’aménagement du territoire et opérateur économique capable de stimuler l’emploi en zone rurale. Ce renouveau des campagnes se traduit donc par l’attractivité retrouvée des territoires, la diversification de l’économie rurale, l’émergence de l’agrotourisme, sans oublier ces flux de néo-ruraux qui, le week-end, délaissent la ville au profit d’espaces verts et de terroirs plus authentiques.
12 Au Sud du bassin, le défi est tout autre : il concerne la lutte contre la pauvreté et le retard de développement des espaces ruraux. Ces derniers sont toujours marqués par le manque d’accès aux infrastructures collectives (à l’eau, à l’électricité, aux soins…), le sous-emploi et l’analphabétisme. Malgré la mise en place de politiques de développement rural [6], les faits ou les chiffres sont là : deux tiers de la population pauvre du Maghreb vivent en milieu rural ; les paysans sont de plus en plus nombreux à devoir coupler leur activité agricole avec un travail précaire en ville (chantier, usine) et bon nombre de ruraux ne survivent que grâce aux transferts de fonds qu’assure un membre de la famille émigré à l’étranger ou travaillant dans la capitale. L’indice numérique de la pauvreté en milieu rural est toujours largement supérieur à celui qui prévaut en milieu urbain : ainsi pour la population en Algérie (17% contre 7%) ou celle au Maroc (27% contre 12%).
13 Partout en Méditerranée, il faut veiller à maîtriser le processus d’urbanisation et de littoralisation, dont la vigueur dépasse de loin celle constatée au niveau mondial. Sur le pourtour méditerranéen, le nombre de villes millionnaires augmente (une trentaine aujourd’hui contre une dizaine en 1950), le bétonnage des côtes s’accélère (la moitié des côtes pourrait être d’ici 2025) et les pressions sur le littoral sont d’autant plus marquées que les flux touristiques sont à la hausse (un tiers des flux internationaux de tourisme actuellement).
14 Cette urbanisation-littoralisation est davantage prononcée au Sud de la Méditerranée, puisque les villes devraient y enregistrer une croissance démographique (bien souvent mal administrée) de 98% sur la période 1990-2020 contre 17% sur la rive Nord. Incontestablement, ce processus déstabilise les équilibres territoriaux car il tend à creuser des fossés irréversibles entre les zones côtières et les arrière-pays tout en exposant les villes au chaos spatial, sanitaire, écologique et social.
15 C’est ici qu’intervient le paradigme écologique dans les stratégies et les politiques publiques en Méditerranée. Il est urgent de répondre au défi environnemental face à la disparition progressive de terres agricoles au profit d’une urbanisation dévorant l’espace, surexploitant les ressources et bouleversant la biodiversité régionale. Et l’eau est bien entendu au cœur de cette problématique. En effet, la Méditerranée concentre la moitié de la population mondiale manquant d’eau. Près de 30 millions de Méditerranéens n’auraient pas accès à une source d’eau potable. Les populations rurales, plus pauvres, sont naturellement les plus exposées. 70% des ressources se situent au Nord du bassin, 20% en Turquie et seulement 10% au Sud. Dans la plupart des pays, le principal utilisateur d’eau, en volume, reste l’agriculture pour l’irrigation des terres (excepté en France et dans les Balkans). Cette “eau verte” représente près de 65% de la demande totale en eau dans le bassin méditerranéen. Or ce taux varie fortement d’une rive à l’autre : 48% au Nord et 82% au Sud. Ressource rare et limitée, l’eau devrait devenir le premier obstacle à la production d’une quantité suffisante d’aliments, car une carence hydrique pourrait brider les capacités de production agricole. Fatalement, l’eau se retrouverait ainsi au centre de tensions politiques et socio-économiques difficilement contrôlables. C’est pourquoi en Méditerranée l’agriculture, le développement rural et la durabilité sont plus que jamais étroitement liés.
16 Un dernier défi émergent, moins visible, est constitué par la transformation rapide du mode alimentaire dans certains pays méditerranéens, en particulier ceux du Maghreb. Ces derniers, par mimétisme, s’alignent sur le modèle de consommation occidental pour ne pas dire nord-américain. Si le phénomène touche depuis plus longtemps les pays méditerranéens de l’Union européenne, quelques Etats de la rive Sud découvrent de nouveaux produits et un autre mode alimentaire sous le double effet de la hausse des niveaux de vie et de l’implantation soudaine de centres commerciaux à la périphérie urbaine, en particulier au Maghreb. Ainsi, malgré des vertus sanitaires reconnues, le modèle de consommation méditerranéen n’est pas à l’abri d’un déclin. L’obésité est d’ailleurs devenue une préoccupation majeure dans de nombreux pays de la région.
L’insécurité alimentaire
17 La Méditerranée est relativement épargnée par le phénomène de la sous-nutrition mais la sécurité alimentaire demeure très fragile. Si certains pays cherchent aujourd’hui à préserver la qualité de leur alimentation, d’autres doivent toujours veiller à une sécurité alimentaire quantitative.
18 Depuis près d’un demi-siècle, on assiste à un véritable effondrement de la balance commerciale agricole dans de nombreux pays méditerranéens, en particulier ceux du Sud, où la sécurité alimentaire semble de moins en moins assurée. Cette incertitude s’explique à la fois par une productivité agricole insuffisante et surtout par l’ampleur de l’explosion démographique dans ces pays.
19 L’examen des tendances démographiques en Méditerranée révèle des dynamiques très contrastées, dont on ne mesure pas toujours suffisamment la portée. La population au Sud de la Méditerranée a doublé entre 1970 et 2000 tandis que sur la rive Nord s’est posée la question du déclin démographique (en Italie notamment). Certes, le Sud de la Méditerranée effectue une transition démographique accélérée (en particulier les Etats du Maghreb), mais celle-ci est tardive par rapport à l’Amérique latine ou à l’Asie du Sud-Est. Le résultat est que les pays de la rive Sud seront submergés durant les trois prochaines décennies par l’arrivée massive de jeunes sur le marché du travail. Un véritable déséquilibre générationnel apparaît donc en Méditerranée, où les moins de 20 ans représentent actuellement 45% de la population du Sud mais 22% de celle du Nord. Au final, à cause de cette explosion démographique, la demande en produits alimentaires des pays du Sud va augmenter alors que l’offre y est soit limitée (viande) soit dès à présent insuffisante (céréales, lait, sucre).
20 La sécurité alimentaire au Sud de la Méditerranée n’est donc plus garantie. Un pays résume à lui seul la dégradation de cette situation : l’Algérie. En 1965, elle couvrait 143% de ses besoins alimentaires. Aujourd’hui, ce taux est tombé à 2%. L’Algérie doit donc massivement importer pour couvrir ses besoins alimentaires car la seule production intérieure n’en assure que 25%. Cet impératif représente un coût économique considérable dans le budget algérien. Seule la rente pétrolière permet donc aujourd’hui à ce pays de s’approvisionner sur les marchés internationaux et ainsi d’amortir l’impact de ce krach alimentaire. Pour élargir ce constat, il suffit de souligner que le ratio des exportations agricoles sur les importations agricoles a été divisé par quatre au Maghreb entre 1965 et 2003. Dans ce contexte, il convient d’insister sur la place grandissante qu’occupent les céréales dans les approvisionnements des pays sud-méditerranéens. Représentant 4% de la population mondiale, ils absorbaient près de 12% des importations mondiales de céréales en 2003. Depuis, cette tendance s’est confirmée et amplifiée : les projections indiquent clairement que les besoins en céréales de ces pays devraient s’accentuer au cours des prochaines années [7].
21 A la lumière de ce panorama général et bien sûr incomplet sur la situation agricole en Méditerranée, il importe désormais de placer l’agriculture dans le cadre de la coopération euro-méditerranéenne.
Le débat agricole dans le Partenariat euro-méditerranéen (PEM) : entre explosivité et ouverture
22 Il s’agit ici d’apporter une analyse qui décrypte de manière simple la problématique agricole euro-méditerranéenne afin d’en présenter les facteurs de blocage, les signes récents d’ouverture et les données commerciales.
Les raisons de la colère
23 Dans le cadre du processus de libéralisation des échanges euro-méditerranéens, incarnés par la mise en place des accords d’association, le secteur agricole reste un domaine sacrifié. Si le libre-échange industriel est préparé, la question de la libéralisation agricole demeure délicate malgré l’importance de l’agriculture dans la région. Au Nord, les producteurs de l’UE redoutent de devoir affronter une concurrence accrue en cas de disparition de la préférence communautaire. Au Sud, les exportateurs demandent un accès plus large au marché de l’UE. Une partie du “conflit” commercial euro-méditerranéen provient du risque renforcé de compétition entre les deux rives du bassin sur les mêmes productions agricoles (huile d’olive, fruits et légumes). Ainsi, l’agriculture a toujours fait l’objet d’un traitement contrôlé au sein du PEM. De toute évidence, durant la première décennie d’existence du PEM, c’est la logique d’une certaine “exception agricole” qui a prévalu dans la négociation des accords d’association.
24 Les pays partenaires méditerranéens (PPM) sont en général de grands importateurs auprès de l’UE de produits de base comme les céréales, le sucre et le lait. Or, compte tenu des faibles performances de leurs agricultures vivrières, ces Etats sont peu enclins à les exposer à la concurrence étrangère. Au-delà des impacts économiques et sociaux d’une telle libéralisation, celle-ci comporterait une dimension politique de sécurité alimentaire non négligeable. Les PPM ont donc eux aussi temporisé les négociations sur le volet agricole, tant un processus de libéralisation pourrait fragiliser certains de leurs équilibres internes.
25 Il convient par ailleurs d’insister sur la très vive concurrence qui prévaut en matière agricole en Méditerranée. Quatre grandes rivalités se distinguent : rive Nord contre rive Sud sur certains produits, intra-européenne entre des Etats méditerranéens de l’Union qui vendent bien souvent les mêmes produits au reste de l’Europe, entre agriculteurs du Sud qui cherchent à exporter leurs productions vers le marché européen et enfin entre les grandes puissances agricoles de ce monde (les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, l’Argentine couvrant aujourd’hui la moitié des approvisionnements agricoles du sud de la Méditerranée).
26 Enfin, un dernier élément d’extrême sensibilité doit être rappelé : la dualité du secteur agricole au sud de la Méditerranée. Aux quelques industries agro-alimentaires performantes car aspirées par la mondialisation répondent une multitude d’exploitations familiales de très petite taille qui parsèment le milieu rural et qui produisent essentiellement pour l’autoconsommation. Si le scénario d’une intégration économique euro-méditerranéenne peut se jouer avec les premières, nul doute que les secondes, désarmées face à la concurrence, seront particulièrement exposées par l’ouverture des marchés et la libéralisation programmée des échanges agricoles.
De Venise à Barcelone : les signes de l’ouverture
27 Concernant le secteur agricole, la logique de l’exception l’a donc emporté dans le partenariat sur celle de la libéralisation annoncée, même si, depuis peu, la donne semble se transformer. Si le sujet reste explosif, il est non seulement relancé mais également programmé dans l’agenda de travail euro-méditerranéen. Désormais, le débat porte essentiellement sur la vitesse et la méthode du processus. En outre, il est apparu aux décideurs que l’agriculture ne pourrait se traiter qu’au cas par cas, suivant la sensibilité du produit sur les marchés de l’UE et selon la compétitivité à l’exportation de chaque PPM.
28 En ce sens, lorsque la nouvelle Politique européenne de voisinage (PEV) est proposée par la Commission en mars 2003, la donne agricole euro-méditerranéenne s’en trouve modifiée. En effet, la PEV, dont l’instauration sera effective à partir du 1er janvier 2007, favorise la négociation bilatérale entre l’UE et le PPM sur la base d’un diagnostic précis quant à la situation de leur relation et aux perspectives que celle-ci laisse entrevoir. Cela dit, la PEV pourrait nuire au processus d’intégration régionale en favorisant davantage l’établissement de relations verticales choisies par l’UE avec l’éventail de ses pays voisins.
29 Il a fallu attendre le 27 novembre 2003 pour que soit organisée à Venise, sous présidence italienne, la première conférence euro-méditerranéenne sur l’agriculture. Les principales recommandations ont porté sur le renforcement du développement rural, la promotion de la qualité des produits agricoles et le lancement d’actions concrètes dans le domaine de l’agriculture biologique. Grâce aux bons résultats de la conférence de Venise, une réflexion plus pragmatique et plus constructive s’est instaurée sur la question agricole euro-méditerranéenne dans le cadre de la préparation du dixième anniversaire du PEM.
30 En 2005, déclarée “Année de la Méditerranée” par les instances européennes, l’agriculture s’est imposée dans le calendrier visant à réformer et à relancer le PEM. Il est vrai que l’UE avait officiellement annoncé sa décision d’ouvrir les négociations agricoles avec les PPM dans une communication datée du 15 novembre 2005, stipulant que des tractations seraient menées à partir de 2006 pour une “libéralisation progressive des échanges de produits agricoles et de la pêche, tant frais que transformés”. Cette décision a été reprise dans le programme de travail quinquennal adopté lors du Sommet euro-méditerranéen des chefs d’Etat et de gouvernement le 28 novembre 2005 à Barcelone. Désormais, un Comité d’experts était chargé de suivre pour la Commission le dossier en vue d’établir en 2006 une “Feuille de route euro-méditerranéenne pour l’agriculture”. Les négociations de l’UE avec les PPM sont donc lancées, se réalisant dans un cadre bilatéral pour à la fois répondre aux caractéristiques propres de l’agriculture dans le pays en question mais aussi se conformer aux nouvelles dispositions de la PEV. Il est d’ailleurs envisagé que cette Feuille de route entre en vigueur dès 2007. Elle devrait s’orienter autour de quelques axes stratégiques, à savoir une libéralisation réciproque (l’effort doit être partagé par les deux rives), une approche progressive et graduelle, une asymétrie temporelle (l’UE devant accepter un rythme d’ouverture plus lent chez les PPM) et la définition par pays d’une liste d’exceptions avec les produits les plus sensibles à ne pas inclure dans le processus de libéralisation. En outre, cette Feuille de route devrait porter une attention particulière aux thématiques liées au développement rural, à la promotion des produits de qualité, à la valorisation des produits typiques méditerranéens, au renforcement de l’investissement privé dans le secteur agricole et à l’amélioration de l’accès aux marchés d’exportation.
31 Manifestement, la question de la libéralisation agricole en Méditerranée connaît une évolution certaine depuis trois ans. Cette ouverture ne doit pas pourtant masquer les multiples interrogations et inquiétudes que soulève le scénario de libéralisation agricole dans le cadre euro-méditerranéen.
Les impacts à prévoir en cas de libéralisation agricole totale
32 Dans le cadre des négociations commerciales multilatérales de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le paradoxe que soulignent la plupart des PPM est que les pays riches, et donc les pays de l’UE, continuent de soutenir et de protéger leur agriculture alors que les pays les plus pauvres, et donc certains Etats du Sud de la Méditerranée [8], se sont engagés à réduire leur soutien et à libéraliser leurs échanges agricoles. Outre cette confusion, l’imbroglio sur la libéralisation des échanges agricoles euro-méditerranéens porte non seulement sur la faisabilité d’un tel processus à l’horizon 2010 mais aussi sur la dimension durable de cette zone de libre-échange où l’asymétrie économique prime toujours sur la convergence. Plusieurs études ont été menées pour évaluer les impacts que causerait une libéralisation totale des échanges agricoles [9].
33 Concernant l’UE prise dans son ensemble, les conséquences seraient vraisemblablement limitées, en raison du poids trop faible des PPM dans son commerce agricole extérieur [10]. L’ouverture des marchés pourrait au contraire stimuler les exportations européennes sur la rive Sud de la Méditerranée, là où les besoins sont forts et grandissants sur des produits de base que l’Europe marchande assez bien (céréales, lait et viandes). En revanche, prise isolément, l’Europe méridionale serait affectée par une libéralisation agricole brute : les producteurs des filières classiques (fruits et légumes) que l’on retrouve communément en Espagne, dans le Sud de la France, en Italie ou en Grèce pourraient être fragilisés par l’ouverture des échanges et seront sans doute au rendez-vous de la contestation politique si le protectionnisme communautaire se délie faute de mesures transitoires d’accompagnement.
34 Pour les PPM, l’impact serait beaucoup plus négatif que pour l’UE : la répercussion d’une libéralisation dépasserait le seul cadre agricole pour affecter socio-économiquement et politiquement des sociétés paysannes mal préparées à l’ouverture des marchés. La baisse probable des prix peut certes amplifier la consommation interne mais elle risque de déstabiliser les producteurs de cultures vivrières et les petites exploitations. Le commerce fonctionne rarement en faveur des plus pauvres. Or une paupérisation de la population agricole aurait des effets multiples, à commencer par une explosion du chômage et de l’exode rural. Si le caractère dual de l’agriculture au Sud de la Méditerranée laisse entrevoir la possibilité pour les grandes exploitations et les quelques industries agro-alimentaires d’exporter davantage vers l’UE (fruits, légumes et produits de la pêche), il incite cependant à veiller aux conséquences néfastes que produirait l’ouverture des marchés euro-méditerranéens sur la petite paysannerie du Sud.
35 En outre, les analyses nous enseignent que les avantages comparatifs traditionnels des PPM s’érodent depuis quelques années sous l’effet de la pression démographique : celle-ci augmente naturellement la demande alimentaire intérieure et limite par conséquent le potentiel d’exportation de ces pays. D’autres impacts potentiels préoccupants ont été identifiés en cas d’établissement sans mesure de la ZLEEM [11] : une plus grande vulnérabilité des ménages pauvres aux fluctuations des prix des produits alimentaires de base sur les marchés internationaux, une fragilité accrue pour le statut et le niveau de vie des femmes en milieu rural et une plus forte pression environnementale liée au déclin de l’emploi agricole et au gonflement des villes. Enfin, il convient de souligner les risques que comporteraient le passage d’une agriculture traditionnelle destinée au marché intérieur à une agriculture commerciale tournée vers l’extérieur, à l’heure où la sécurité alimentaire des Etats du Sud de la Méditerranée semble plus fragile que jamais. Pousser la paysannerie à cultiver des produits ne faisant pas l’objet de barrières commerciales au risque d’une inadaptation avec les sols et les ressources de la rive Sud ne pourrait présenter que des inconvénients écologiques là où d’ores et déjà l’eau et les terres arables se raréfient dangereusement.
36 Bien entendu, la libéralisation des échanges agricoles euro-méditerranéens ne saurait ignorer d’autres facteurs qui interagissent avec cette problématique, à commencer par la réforme en cours de la politique agricole commune (PAC) de l’UE, le cycle de négociations de Doha au sein de l’OMC, la montée en puissance du Brésil et de l’Inde sur la scène agro-commerciale mondiale, sans oublier évidemment la stratégie américaine dans la région, que l’accord de libre-échange signé en 2004 avec le Maroc illustre fort bien [12].
37 Enfin, il importe de souligner l’asymétrie commerciale qui caractérise les échanges agricoles euro-méditerranéens. De son côté, l’UE commerce avec les PPM pour 2% de ses importations et exportations agricoles. A l’inverse, le commerce des PPM se polarise sur l’UE qui attire 51% de leurs exportations agricoles et couvre 33% de leurs importations (les Etats-Unis en assurent 17%). Quant à la balance agro-commerciale euro-méditerranéenne, elles est équilibrée sauf si on ôte la Turquie du calcul…. En effet, le volume des importations de l’UE depuis les PPM s’élève à 6,5 milliards de $ en 2004 tandis que les exportations européennes vers les PPM atteignent 5,9 milliards de $, soit un solde positif de 600 millions de $ pour les PPM… Mais sans la Turquie, la tendance s’inverse et le solde devient négatif de 1500 millions de $ pour les PPM. Ici, il faut peut-être rappeler que la Turquie assure, grosso modo, la moitié des exportations agricoles globales des PPM dans le monde…
Parcourir le champ des futurs en Méditerranée
38 Au regard des considérations précédentes et des enjeux multiples identifiés, l’effort de prospective peut nous conduire à tracer les contours de trois scénarios contrastés. Ces derniers ne sont pas des prédictions de l’avenir [13], mais plutôt des futurs possibles qui doivent nous inviter à réfléchir, voire mieux à agir, sur les évolutions à court et moyen termes en Méditerranée. Ces trois scénarios sont ici présentés de manière extrêmement synthétique et percutante.
Le scénario tendanciel
39 Il prolonge les orientations actuelles, à savoir une Méditerranée qui se situe au cœur des désordres géopolitiques internationaux, qui voit l’Europe de plus en plus frileuse à son égard, mais qui observe également l’incapacité des pays du Sud à coopérer entre eux. Parallèlement, la Méditerranée subit les distorsions que provoque la globalisation des échanges et méconnaît les sentiers de croissance et de développement théoriquement induits par la mondialisation.
40 Le résultat est que la relation euro-méditerranéenne piétine. On travaille soit dans l’urgence, soit dans l’apparence, sans vision stratégique. Avec la PEV, la perspective d’une authentique intégration régionale euro-méditerranéenne s’éloigne… On a plutôt une Euro-Méditerranée à la carte, une Méditerranée à plusieurs vitesses… où seuls comptent les espaces utiles mondialisés, c'est-à-dire les villes, les littoraux et les sites touristiques....
41 Les espaces ruraux du Sud ne sont pas pris en compte à la hauteur des enjeux qu’ils comportent. Progressivement, ces espaces sont dévitalisés car marginalisés et abandonnés, avec bien entendu des paysanneries fragilisées par l’ouverture progressive des marchés, paupérisées et n’ayant d’autres choix que de migrer vers les villes ou l’étranger. Tout se passe donc comme si cette Méditerranée utile mondialisée n’avait plus besoin de ses campagnes et de ses paysans.
Le scénario de ruptures
42 Un deuxième futur possible est celui d’un scénario de ruptures qui reprend les considérations précédentes mais en les amplifiant, et qui présente une Méditerranée davantage fracturée. Les cassures traditionnelles ne se résorbent pas mais s’aggravent. Certains phénomènes crisogènes s’accentuent : la surexploitation des ressources naturelles, l’extension de la pauvreté, l’augmentation du chômage, la sclérose économique. Des conflits persistent ou s’intensifient…
43 Elément dramatique au Sud, l’articulation entre le monde urbain et le monde rural est définitivement cassée. L’arrière-pays se retrouve désocialisé, exclu de la croissance économique, oublié par les pouvoirs publics et donc confiné à la pauvreté et à l’enclavement. Face à la libéralisation, les paysanneries disparaissent, gonflant ainsi les effectifs de migrants qui se dirigent vers les bidonvilles ou se destinent à l’exil désespéré pour un rivage plus au Nord de la Méditerranée.
44 L’explosion démographique et le manque de productivité agricole accentuent le risque de krach alimentaire et de crise sociale. A ces batailles agricoles s’ajoute la menace de conflit sur l’eau, plus convoitée que jamais. L’extrémisme politique et religieux prospère sur ce désespoir et ce malaise social.
45 Le résultat est que la coopération euro-méditerranéenne s’enfonce. La Méditerranée, tout en s’effaçant progressivement du paysage géoéconomique mondial, devient la caisse de résonance des grands maux de la planète, en concentrant inégalités, fractures et radicalisation des esprits…
Le scénario d’alliance et de convergences
46 Ce scénario entend simplement fixer un horizon plus prometteur pour la Méditerranée et repose sur quelques conditions. La première est le renforcement de la dimension partenariale dans la coopération euro-méditerranéenne, qui doit être plus visible et peser plus concrètement sur le processus de développement des pays de la rive Sud, tout en permettant à l’Europe de continuer à exister sur la scène géopolitique et économique internationale. La seconde est un choix cohérent et déterminé sur les priorités stratégiques en Méditerranée, là où les défis sont partagés et où les opportunités de développement mutuel existent réellement.
47 Dans cette perspective, l’agriculture peut rassembler et apparaître comme un terrain d’action efficace pour stimuler la coopération euro-méditerranéenne, en se fondant sur des stratégies audacieuses, sur la base des complémentarités, des spécificités et des défis communs présents dans la région.
48 Pour construire ce scénario, trois nécessités s’imposent néanmoins :
49 Une mobilisation de tous les acteurs concernés, avec notamment un rôle accru pour les opérateurs privés et les collectivités territoriales, sans négliger la société civile.
50 Un véritable plan stratégique de développement rural pour le Sud de la Méditerranée, où il faut à la fois diversifier les activités, rétablir la cohésion sociale, renforcer les infrastructures, reconnecter les campagnes aux villes et préserver l’environnement.
51 Une gestion responsable des ressources naturelles pour que le développement durable ne soit pas un simple correcteur des effets de la mondialisation, mais un puissant vecteur pour sortir ces sociétés rurales du non-développement.
Conclusion
52 La question agricole et rurale en Méditerranée apparaît plus stratégique que jamais. Dans un contexte de chômage structurel élevé et d’urbanisation galopante, il est impératif de limiter l’exode rural et donc de mener des politiques d’aménagement du territoire adéquates. Il faut s’orienter vers un développement rural durable, seul à même de mettre en place des systèmes de production diversifiés et économiquement viables pour sortir les populations du dénuement et de la précarité, tout en assurant une gestion participative des ressources naturelles en vue de préserver l’environnement. Cette politique doit s’appuyer sur un suivi rigoureux de la qualité des produits et sur des procédures de traçabilité sans faille. Sécuriser l’alimentation est le dernier enjeu fondamental. La Méditerranée doit réussir à s’insérer dans les échanges agroalimentaires mondiaux en se spécialisant dans des productions agricoles à forte typicité locale (labellisation des produits en appellation d’origine protégée) pour compenser l’importation des produits alimentaires pour lesquels la région est moins favorablement dotée. Enfin, on ne saurait que trop conseiller d’adapter le rythme de libéralisation agricole de la zone euro-méditerranéenne en fonction et en adéquation avec les politiques agricole et rurale que mènent la plupart des pays partenaires du Sud.
53 Le scénario optimiste milite donc pour une Méditerranée où le développement serait collectivement recherché et pensé stratégiquement. La région pourrait d’ailleurs devenir un champ d’exploration formidable pour tempérer la mondialisation et inscrire l’exigence de progrès et de compétitivité dans un projet de développement durable qui lui soit propre et qui allie ouverture au monde et préservation de la diversité et de la richesse de son patrimoine.
54 Si la Méditerranée présente les signes d’un pessimisme clairvoyant, elle offre aussi la perspective d’un projet mobilisateur faisant l’alliance de l’optimisme et de la volonté. Parce que l’agriculture fonde l’identité méditerranéenne et structure les sociétés de la région, nul doute qu’une convergence d’actions sur cet intérêt stratégique pourrait développer des coopérations étroites et mobilisatrices car solidaires, humaines et mutuellement profitables aux deux rives de la Méditerranée.
Notes
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[1]
Secrétaire Général du CIHEAM (Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes, Paris), ancien directeur de recherche au CNRS et Président de l’INRA de 1999 à 2003. Sociologue de formation, Bertrand Hervieu a occupé plusieurs postes à responsabilité dans l'administration française, notamment au ministère de l'Agriculture. Il est l’auteur de nombreux articles parus dans les revues scientifiques et de vulgarisation portant sur les politiques publiques agricoles, sur le poids politique du monde agricole et plus largement sur les transformations du monde agricole et du monde rural. Il a publié seul ou en collaboration 11 ouvrages dont Au bonheur des campagnes (Edition de l’Aube 1996), Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes (Flammarion 1996), Les agriculteurs, (PUF 1996), Les champs du futur, (Julliard 1994) et L’archipel paysan (Edition de l’Aube, 2001).
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[2]
Spécialiste de la Méditerranée, Sébastien Abis est consultant au CIHEAM où il est en charge des analyses géostratégiques et prospectives. Il travaille également sur l’évolution des relations euro-méditerranéennes, l’agriculture et le développement durable. Auteur de nombreux articles sur la Méditerranée et le Maghreb, il a aussi publié L’affaire de Bizerte (Sud-editions, 2004).
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[3]
Pour une lecture critique et prospective des relations euro-méditerranéennes, lire Sébastien Abis, “2007, année zéro pour la Méditerranée ?”, in Futuribles, n°318, juillet-août 2006, Paris.
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[4]
La grande majorité des données présentes dans cette contribution est tirée des différents travaux du CIHEAM, dont ceux conduits actuellement par le groupe de prospective chargé de préparer le rapport annuel Mediterra 2008.
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[5]
Cet article présente des données relatives à un ensemble méditerranéen de 19 pays riverains, à savoir 8 Etats sur la rive Nord (Albanie, Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte et le Portugal) et 11 Etats sur la rive Sud (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie et Autorité Palestinienne). Ces données statistiques se basent sur les projections démographiques des Nations Unies, présentées dans World population prospects : The 2004 revision population database.
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[6]
Ces politiques de développement rural sont généralement articulées autour de 4 axes : l’amélioration des conditions de vie, la diversification des activités pour stimuler l’emploi, la protection des ressources naturelles et le renforcement des acteurs locaux dans la gestion et la conduite de ces politiques.
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[7]
Voir CIHEAM, AgriMed 2006, Agriculture, pêche, alimentation et développement rural durable dans la région méditerranéenne (sous la direction de Bertrand Hervieu), Paris, avril 2006, chapitre 2 “L’approvisionnement céréalier des pays méditerranéens : situations et perspectives” (pp. 35 à 52).
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[8]
A l’heure actuelle, sont membres de l’OMC les PPM suivants : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Maroc, Tunisie et Turquie. Le Liban et l’Autorité palestinienne ont un statut d’observateur.
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[9]
Voir à ce titre l’analyse réalisée par Anna Lipchitz, “La libéralisation agricole en zone Euro-Méditerranée : la nécessité d’une approche progressive”, Notes et études économiques n°23, Direction des politiques économique et internationale, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, septembre 2005.
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[10]
En 2003, l’UE exportait ses produits agricoles à hauteur de 7% vers les PPM, qui de leur côté assuraient 8% des approvisionnements agricoles de l’UE.
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[11]
Lire Etude d’impact de durabilité de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne, Centre de recherche sur l’étude d’impact, Institut pour la politique et la gestion du développement, Université de Manchester, novembre 2005.
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[12]
A ce sujet lire l’analyse de Najib Akesbi, “L’accord de libre-échange Maroc-USA compromet-il le projet euro-méditerranéen ?”, in NewMedit, Istituto Agronomico Mediterraneo di Bari, juin 2005, pp. 2-3.
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[13]
Sur l’effort de prospective, lire Hugues de Jouvenel, “Invitation à la prospective”, Futuribles, collection Perspectives, Paris, juillet 2004.