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Article de revue

La LTDH ou la gestion des paradoxes

Pages 103 à 125

Notes

  • [1]
    Répression et procès politique de 1967 à 1978, Publication du MUP. Paris 1978 cité par Saloua Ben Youssef-Charfi. Mémoire de DEA La Ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, Université de Tunis 1987.
  • [2]
    La plus sûre direction pour connaître l’état des nations.
  • [3]
    Tels que définis par Khedija Cherif lors de l’intervention orale au colloque intitulé Bourguiba, la trace et l’héritage à Aix-en-Provence en septembre 2001.
  • [4]
    La Presse du 24 mars 1977 cité par Saloua Ben Youssef-Charfi.
  • [5]
    Respectivement aujourd’hui président et membre de la LTDH, présidente de l’Association Tunisienne contre la Torture, secrétaire général de l’Ordre des Avocats.
  • [6]
    Rapport moral au 1er congrès de la LTDH.
  • [7]
    Du nom de Salah Ben Youssef, secrétaire général du Parti Nationaliste qui s’est opposé à Bourguiba au moment de l’indépendance de la Tunisie.
  • [8]
    Un numéro spécial de la Lettre de la LTDH, 24ème anniversaire de la LTDH-7 mai 2001-Tunis.

1 Droits de l’Homme, libertés publiques : rarement concepts plus anciens ont connu une actualité comparable à celle qui est la leur aujourd’hui. Ce phénomène a des origines diverses et multiples. Cependant les motivations semblent être partout les mêmes : redonner à l’homme sa dimension humaine, revaloriser l’identité de chacun dans une communauté humaine de plus en plus vaste, réaffirmer le droit à la différence de chaque citoyen dans des sociétés de plus en plus unidimensionnelles, restituer à l’homme des droits que l’hypertrophie de ses obligations de citoyen n’a cessé de réduire, rééquilibrer le rapport des forces existant entre gouvernants et gouvernés. Ce mouvement constitue une des aspirations profondes de notre époque. La Tunisie n’y a pas échappé.

2 Mais pourquoi est-ce la Tunisie, qui, avant tout autre pays du monde arabe et de l’Afrique va institutionnaliser le 7 mai 1977 une Ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’Homme ? Pourquoi est-ce justement en Tunisie où « les pouvoirs sont libres » ? Et « là où les pouvoirs sont libres », écrit Robert Badinter à l’époque de la création de la LTDH, « ni les groupes, ni les hommes ne peuvent le devenir ». Comment dans ce cas expliquer le double paradoxe non seulement de la création d’une Ligue pour la défense des droits de l’Homme mais d’une ligue qui perdure depuis 27 ans dans un contexte de précarité des libertés publiques et individuelles où les lois sont plus soucieuses de protéger les gouvernants contre l’exercice des libertés que les gouvernés contre les abus de pouvoir ?

3 Comment dans ce cas expliquer le double paradoxe de la création et de la longévité d’une Ligue des droits de l’Homme appelée de par son esprit et son mandat à s’opposer au régime en place et par voie de conséquence a être bloquée dans son développement par ce même régime, alors que celui-ci met en avant le choix de la modernité et du réformisme, projet dans lequel une Ligue de défense des Droits Humains apportait naturellement à la fois un « plus » et une illustration ?

4 Comment une association créée par des dissidents du pouvoir en place et des hommes de l’intérieur de ce même pouvoir va-t-elle défendre le citoyen contre les abus ? Comment une telle association peut-elle exister, se faire le défenseur vigilant du respect des droits de l’Homme (article 2 de ses statuts), imposer ce credo au plan national et acquérir par voie de conséquence une stature internationale ?

5 On ne peut répondre à ces questions sans remonter aux conditions de création de la LTDH afin de comprendre comment un compromis tactique élaboré à un moment donné par le pouvoir en place se transforme en un espace assez important pour que chaque parti, quelle que soit sa place sur l’échiquier politique, cherche à l’investir et devienne aussi, un symbole suffisamment fort pour que chacun s’attache in fine à préserver son existence sinon le symbole qu’elle représente.

La LTDH : un compromis tactique

Un environnement national et international habilement exploité

6 La création de la Ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’Homme en 1976 puis sa reconnaissance légale en 1977 ont constitué des événements politiques majeurs dans un pays au système politique monolithique que le président Habib Bourguiba, qui venait de se faire proclamer président à vie, dirigeait depuis vingt ans.

7 Le parti socialiste destourien héritier du parti nationaliste « Destour » avait tourné le dos aux principes fondamentaux du mouvement de libération nationale. L’Etat tunisien, s’il s’était doté d’une constitution libérale et avait adhéré aux principaux instruments relatifs aux droits de l’Homme, ne les respectait pas pour autant dans sa législation nationale interne. En l’espace de 10 ans, entre le 30 juin 1967 et le 13 juin 1977, 29 procès politiques ont eu lieu. Cour de sûreté de l’Etat, tribunal militaire et juridictions de droit commun ont vu défiler devant eux 883 citoyens pour des motifs relevant essentiellement de la législation sur les associations et sur la presse [1] ; ils ont été condamnés à des peines particulièrement lourdes (20 ans de travaux forcés pour l’étudiant Mohamed Benjennet) et ont dénoncé au cours de leur comparution les tortures qu’ils avaient subies dans les locaux de la police (témoignage de Ahmed Ben Othman dans les Temps Modernes).

8 Durant toute cette période, le régime bourguibien s’affaiblit et perd de sa crédibilité essentiellement à la suite de trois crises graves.

9

  • L’échec en 1969 d’une politique de développement socialiste du pays et la condamnation à 10 ans de prison de celui qui l’incarnait, le tout-puissant ministre de l’Economie et des Finances Ahmed Ben Salah,
  • L’éviction du groupe des libéraux qui contestait, à la suite du congrès du PSD de 1971, les modalités de la nomination des membres du Bureau Politique (la plus haute instance du pays) et réclamait la démocratisation de ce même parti. Ce groupe informel s’est fait appeler « Groupe des Démocrates Socialistes ». L’ancien ministre de la Défense Ahmed Mestiri, qui symbolisait son action, avait démissionné (fait exceptionnel sous le régime de Bourguiba) avec fracas dès 1968.
  • L’échec de l’Union Tuniso-Libyenne de Djerba en 1974 et l’éviction de son artisan, le ministre des Affaires étrangères d’alors, Mohamed Masmoudi et surtout la contestation permanente entretenue par la centrale syndicale ouvrière, dirigée depuis le début des années 70 par Habib Achour, qui avait rompu les amarres avec le PSD, donnaient une image à la fois d’instabilité et de contestation permanentes du régime. Cette situation ne pouvait laisser insensible un des principaux alliés de la Tunisie, les Etats-Unis d’Amérique, où Jimmy Carter, élu en 1976, amplifiait entre autres le mouvement en faveur de la défense des droits de l’Homme. Dans le camp opposé, en Tchécoslovaquie, la « charte des 77 » dénonçait la discrimination dont étaient victimes ceux dont les opinions divergeaient de la politique du pouvoir.

10 Cet environnement national et international allait être habilement exploité par le groupe des « démocrates socialistes » ou groupe des « libéraux » qui proposait la création d’une Ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’Homme dont il déposa les statuts le 22 mai 1976 auprès du ministère de l’Intérieur. Devant le silence du pouvoir, qui signifiait à l’époque le refus d’autoriser la création de cette ligue, les « libéraux » vont créer « un comité pour les libertés » présidé par Hassib Ben Ammar, ancien ministre de la Défense.

11 Dés lors, ce comité lance au président de la République un appel signé par 500 personnes pour la tenue d’une « conférence sur les libertés et les droits de l’Homme », alors qu’un recours auprès du tribunal administratif est déposé à la suite du refus opposé aux initiateurs de cette Ligue.

12 Une mission d’information sur la situation des libertés en Tunisie est organisée et effectue une tournée en Europe et aux USA. Tahar Belkhodja, ministre de l’Intérieur alors aux Etats-Unis, mesure l’impact de l’opération menée par les libéraux. Allant à l’encontre des réticences de son Premier ministre, Hédi Nouira, il entreprend une ouverture vers ces derniers et, à son retour, élaborera avec eux un comité directeur formé de 22 membres, dont des indépendants, des notables et quelques « libéraux » à qui il proposera de fusionner avec 7 des prétendants du pouvoir tous membres du PSD ou d’organisations nationales qui, de leur côté, s’étaient, eux aussi, organisés en association dans le but de contrer la création de la Ligue des « libéraux ». Une « présence » destourienne était ainsi assurée à l’intérieur d’une association dont la mission n’était pas de ménager le pouvoir, présence qui ne gênait pas les fondateurs de la nouvelle association puisque ce seront eux qui coopteront leurs nouveaux partenaires.

13 La LTDH née le 5 mai 1977 marque un tournant dans la vie politique du pays. Ce qui est à relever, c’est que « les libéraux » ne revendiquaient pas la création d’un parti mais exigeaient d’un pouvoir affaibli qu’il mette en place des institutions, assure leur autonomie, renforce la société civile, la liberté et la démocratie.

14 Cette revendication permet d’affirmer que le paradoxe de la création d’une Ligue par des dissidents du pouvoir et des membres de ce même pouvoir n’est qu’apparent.

Un ancrage qui remonte loin

15 En fait, l’ancrage de la LTDH remonte loin dans l’histoire de la Tunisie.

16 Depuis la dynastie husseïnite, certains acquis en matière de développement de l’Etat de droit et de respect des droits de l’Homme avaient été obtenus en Tunisie : abolition de l’esclavage, adoption du pacte fondamental de 1857 qui était une véritable déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et enfin la première constitution tunisienne promulguée en 1881.

17 La Tunisie était également le pays des réformistes, celui de Khéreddine, de Tahar Haddad et de Bourguiba. Le premier a écrit un livre [2] expliquant que l’avenir du monde musulman est lié à sa modernisation. Premier ministre, il créa le collège Sadiki (d’où sortiront plusieurs des membres fondateurs de la LTDH) où l’enseignement était franco-arabe, et où cohabitaient islam et modernité. Tahar Haddad, quant à lui, s’était attaché à démontrer la compatibilité de ces deux voies. Bourguiba enfin, profitant de la double culture de Sadiki et de la théorie de Tahar Haddad, n’a cessé avec ses compagnons du Néo-Destour de revendiquer l’organisation de son pays sur des bases juridiques et politiques modernes ainsi que le respect des libertés fondamentales des Tunisiens, d’où le nom de Destour (Constitution) du parti nationaliste baptisé Néo-Destour par Bourguiba et ses compagnons, devenu au moment de la création de la LTDH, PSD et, sous Ben Ali, Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD). Ce sont ces fondamentaux que le parti-Etat semble avoir oublié, une fois au pouvoir. Car la constitution tunisienne du 1er juin 1959 reste, elle, d’essence libérale. Elle reprend en matière de droits de l’Homme l’essentiel des revendications nationalistes, outre le fait que l’Etat tunisien au fil des années a adhéré aux principaux instruments internationaux.

18 Ce n’est donc pas un hasard si, dans un objectif de défense des droits de l’Homme, la référence des fondateurs de la LTDH a été celle de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) et de la constitution tunisienne. Il y a par ailleurs le fait que la génération des fondateurs de la LTDH, outre qu’elle partage les mêmes idéaux, a des affinités régionales et sociales. La plupart sont originaires de la capitale ou des villes importantes du pays, issus de la bourgeoisie tunisienne ou de classes moyennes et ont reçu une formation moderne (Sadiki et lycée Carnot). Ils ont pour la plupart poursuivi des études à l’étranger, particulièrement en France. Ils appartiennent également pour la plupart d’entre eux aux professions libérales (avocats, juristes, médecins) mais sont aussi des universitaires [3]. Ils sont surtout les héritiers en droite ligne des réformistes tunisiens attachés à exercer leur liberté dans le cadre de lois respectées par tous. Cherchant le compromis et le consensus, ils ont fait appel à des personnalités de différents bords, tous d’accord pour avoir un président indépendant.

19 En autorisant la LTDH, le pouvoir avait décidé de jeter du lest en direction du groupe des « libéraux » et de ne pas avoir à affronter plusieurs fronts à la fois. Alors qu’il s’apprêtait en effet à déférer devant les tribunaux les militants du MUP et que la crise avec l’UGTT se profilait à l’horizon, la reconnaissance de la LTDH comme l’autorisation de paraître des journaux d’opposition comme Erraï et Démocratie avait un but immédiat : faire baisser la tension en améliorant l’image du pays.

20 La LTDH, elle, s’est fixé pour tâche de sensibiliser l’opinion publique au combat pour la défense des droits de l’Homme, comme groupe de pression pour contribuer à la sauvegarde de ces droits en utilisant les moyens pacifiques et légaux (art. 6 de la charte). En fait, non seulement les thèmes sur lesquels va se battre la LTDH se situent dans le champ politique, mais encore ce qui va dominer l’action de la ligue c’est le type de relations qui va exister entre le parti au pouvoir, les oppositions au système du parti unique et les animateurs de la LTDH. Aussi était-elle programmée pour servir également de tremplin au politique.

La LTDH, espace politique à investir

21 Première association indépendante du pouvoir qui a pour mandat de défendre les droits et les libertés, la LTDH provoque l’hostilité de ce même pouvoir qui, bien qu’ayant plus de la moitié du Comité Directeur à sa solde en tant qu’affiliés du parti-état (Parti Socialiste Destourien) ne cache pas sa franche hostilité à l’égard de la nouvelle association. Elle n’est aux yeux de Mohamed Sayah, alors directeur du PSD, qu‘ « un ensemble d’agitateurs qui prétendent défendre les droits de l’Homme »[4]. Mais si la suspicion du pouvoir à l’égard de la LTDH ne peut surprendre car il a vu une structure d’opposition, celle venant de la gauche et de l’extrême gauche est pour le moins inattendue dans la mesure où le mandat de la LTDH est censé renforcer le combat de celles-ci.

La gauche : hostilité et volonté de conquête

22 La revendication de plus de liberté, de plus de démocratie qui a provoqué la scission des libéraux au sein du parti-Etat n’était pas particulière aux instances du pouvoir. Les déçus du parti unique et ceux du socialisme vont les uns et les autres dans les instances où ils se trouvent créer des mouvements de dissidence dont celui des libéraux n’a été que la partie visible de l’iceberg.

23 Ainsi, des membres du mouvement de gauche, quand ils ne sont pas en prison, se retrouvent quant à eux dans les instances syndicales comme l’Association des Journalistes Tunisiens (AJT), celle des Jeunes Avocats ou des syndicats de l’enseignement supérieur ou secondaire où cette gauche qui militait pour des droits spécifiques en particulier économiques et sociaux voyait d’un très mauvais œil la création de la LTDH qui n’était à leurs yeux qu’un outil entre les mains des libéraux qui récupéraient ainsi leurs mots d’ordre. Quant à « la défense des droits civiques et politiques » telle qu’énoncée par la LTDH, elle était à leur avis d’autant plus critiquable qu’elle se situait dans la sphère du nouveau déploiement américain mené alors par Jimmy Carter. Tout l’éventail de la gauche y compris le Parti communiste alors réprimé, et celui de l’extrême gauche dont des animateurs étaient réunis dans des comités de défense de prisonniers politiques en France voyaient dans la LTDH, accusée d’avoir été créé par le pouvoir pour défendre « les libertés bourgeoises », une confiscation de leur combat et de leurs années de lutte et d’opposition au pouvoir bourguibien par des hommes faisant partie de ce pouvoir, qui n’avaient jamais été réprimés par ce dernier et qui, bien au contraire en avaient profité. Pour eux, la création de la LTDH était un nouvel épisode d’une lutte interne au pouvoir à laquelle ils ne voulaient pas être mêlés : « Défendre les libertés qu’elles soient publiques ou individuelles, c’était à nos yeux, dit un ancien militant de Al Amal Tounsi, d’abord défendre les nôtres. C’était loin d’être pour nous un droit absolu pour n’importe quel citoyen de quelque bord qu’il soit ».

24 Très vite cependant, la LTDH, seul espace indépendant du pouvoir, va devenir le cadre idéal d’affrontements politiques pour des citoyens privés de représentation.

25 La Tunisie entre 1977 et 1980 vit les événements sanglants du 26 janvier 1978 et l’attaque de la ville de Gafsa par un commando venu de Libye. Le traumatisme est tel que le régime se voit dans l’obligation de s’engager dans un processus d’ouverture illustré entre autres par la reconnaissance du MDS et la levée de l’interdiction datant de janvier 1963 du Parti communiste tunisien et de ses publications.

26 Dans une atmosphère propice à l’implantation des sections et au recrutement des adhérents, la ligue est une place à conquérir. Pour les uns, elle est un moyen de s’opposer au pouvoir avec des moyens démocratiques. Pour les autres, elle constitue une arme révolutionnaire contre le pouvoir en place. « J’étais convaincu à l’époque, dit aujourd’hui Abdelkrim Allagui, militant d’extrême gauche devenu vice-président de la LTDH, qu’en entrant à la LTDH j’allais renverser le régime de Bourguiba ». Ainsi, des mouvements antagoniques venant d’extrême gauche et du Mouvement de la Tendance Islamique (MTI) vont avoir un seul fil conducteur : l’investissement de la LTDH. « Notre seul dénominateur commun, c’était qu’il valait mieux être à l’intérieur qu’à l’extérieur de la LTDH » dit aujourd’hui un de ceux qui voulaient monter à l’assaut de la nouvelle association. Des militants gauchistes comme Radhia Nasraoui, Mokhtar Trifi, Néji Marzouk, Mohamed Jmour [5] étaient décidés à créer une section à Tunis. Mais c’était compter sans la détermination du MDS à garder ses positions d’autant que celles-ci étaient devenues dominantes, après le retrait sur la pointe des pieds des destouriens dont la posture de dénonciation de l’environnement politique délétère par la LTDH les mettait en contradiction avec leur propre parti. S’agissant de la base, les adhérents de la LTDH, membres du parti-Etat, utiliseront jusqu’aujourd’hui la méthode musclée pour s’imposer aux réunions de congrès de section.

27 « Deux exemples ont confirmé notre prudence[6] déclare le président de la LTDH, Saadeddine Zmerli : le renouvellement du comité de section de Sousse n’a pu être fait le 29 janvier 1982 en raison de la tentative du PSD (au pouvoir) de [la] dominer… De même, la section de la Marsa… les réunions préparatoires ont révélé une volonté de domination de la nouvelle section par différents éléments d’extrême gauche. Dans ces deux cas, le comité directeur a refusé que la Ligue soit menacée par un esprit et des méthodes qui ne sont pas les siens. La Ligue doit regrouper tous les Tunisiens sur la base de ce qui les unit le plus, le respect des droits de l’Homme et non devenir le champ clos de leurs affrontements politiques ».

28 En parlant ainsi, le président Zmerli évoquait non pas le point de convergence de ce qu’était réellement la LTDH mais le point de convergences de ce que tous s’accordaient pour qu’elle le soit. Tout en n’étant pas un politique, le premier président de la LTDH, professeur réputé d’urologie (pendant longtemps les réunions du comité directeur se tenaient dans la salle d’attente de son service à l’hôpital Charles Nicole), a été une figure marquante de cette organisation. Il était de cette génération de l’indépendance qui croyait dans la nécessité de faire de la Tunisie un pays d’ouverture et de modernité. Utopiste naïf, mais honnête homme, il était doté d’un sens quasi instinctif de ce qui était son devoir et donc des principes qu’il devait respecter et faire respecter, dont celui de tenir la LTDH loin de la mainmise des partis. Il a ainsi agi au sein de celle-ci comme s’il se trouvait dans un système démocratique achevé, c’est-à-dire que dans les moments de confrontation les plus durs, il n’insultait jamais l’avenir et restait d’une civilité et d’une indépendance d’esprit qui, s’ils ne convainquaient pas souvent, suscitaient toujours le respect. Il a fait de « l’accord par le dialogue » et de « la cooptation par consensus » une philosophie de la LTDH qui a marqué les travaux du 1er congrès et les membres éminents du MDS Bien qu’assurés d’une confortable majorité, ces derniers éprouvèrent le besoin d’avoir à la LTDH davantage de personnalités indépendantes pour rendre crédible l’idée d’une Ligue vouée à la défense des libertés et des droits de l’Homme. C’est ainsi qu’ils s’adressèrent à une figure connue de l’opposition de gauche, Mohamed Charfi, professeur de droit qui a été un des dirigeants du « Groupe d’Etudes et d’Action Socialiste Tunisien », groupe d’opposition de gauche organisé autour d’une publication intitulée Perspectives pour une Tunisie meilleure et qui avait connu les geôles tunisiennes en 1968. Echaudé par l’expérience maoïste de certains de ses camarades, il a élevé son indépendance d’action au rang de credo. C’est ainsi qu’à la demande de ses amis du MDS il préside ce premier congrès de la LTDH où il fallait gérer les appétits de la gauche, ceux des islamistes et même ceux des nationalistes arabes qui se retrouvent tous représentés dans un comité directeur réduit des sept membres adhérents du PSD, mais qui s’ouvrira à un Khémais Chamari pour qui la LTDH ne défendait plus « les libertés bourgeoises » mais toutes les libertés, y compris celles du MDS, qu’il avait intégré. Le Comité Directeur intègre également Héla Abdeljaoued, femme communiste, et Slaheddine Jourchi, islamiste qui déclarait adhérer aux universaux défendus par la LTDH, mais qui était aussi censé rappeler l’existence des islamistes dans une association vouée à défendre « tous les droits pour tous ».

La montée en puissance des islamistes

29 A la faveur de deux crises majeures, celle du 26 janvier 1978 et surtout celle du pain en janvier 1984, les prises de position de la LTDH vont lui donner un rôle inattendu même si ce rôle correspond à son mandat, un rôle qui se situe en dehors du pouvoir en place mais aussi en dehors même des pouvoirs qui l’ont constitué, le MDS en particulier.

30 Après le coup de frein donné par l’extrême gauche au 1er congrès de la LTDH, celle-ci va reprendre sa conquête des sections de la LTDH de façon plus agressive, talonnée par les islamistes dont la montée en puissance dans le pays a accompagné l’institutionnalisation de la Ligue.

31 Avec l’entrée de Mohamed Charfi au comité directeur de la LTDH, il y a un appel d’air pour les indépendants. La création des sections, comme l’entrée de personnalités indépendantes au comité directeur a été un outil majeur pour créer des équilibres sans lesquels le combat mené au moment de l’adoption de la charte de la Ligue en juillet 1985 ne pouvait pas l’être. Pour le MDS, céder le pas au sein du comité directeur à des personnalités indépendantes était un pari sans risque. « L’ascenseur qui les a fait monter (le MDS) peut tout aussi bien les faire descendre », disait alors Dali Jazi, trésorier de la Ligue et membre du Bureau Directeur du MDS. C’était compter sans le risque que représentait aux yeux des indépendants l’alliance MDS-islamistes qui était en train de se construire, entre autres au sein de la LTDH. Après l’entrée de l’islamiste très orthodoxe Sahnoun Jouhri au comité directeur, les islamistes prétendaient avoir une présence visible dans les sections. Aussi en 1985, à Sidi Bouzid (centre-ouest), ils investissent la section et n’exigent pas moins de 400 adhésions dont ils n’auront aucune. « Les islamistes, dit Khadija Cherif alors vice-présidente de la LTDH en charge de la commission femmes, voulaient nous imposer des situations qui nous ont permis de prendre nos distances par rapport aux politiques en particulier, par rapport à nos amis du MDS, et donc de nous imposer en tant qu’indépendants ». La mobilisation de la LTDH, entre autres avec l’Association des Femmes Démocrates qui venait de naître, a renforcé le mouvement d’opinion qui s’est élevé contre la tentative du mouvement de la tendance islamique de revenir sur le Code du Statut Personnel. La LTDH a été seule à organiser une campagne publique pour défendre cet acquis fondamental de la Tunisie contemporaine.

32 A la fin des années 80, la Ligue est au cœur des tempêtes soulevées par le régime bourguibien finissant et dont les choix fondamentaux sont remis en question par des islamistes de plus en plus agressifs et qui font l’objet d’une terrible répression que la LTDH dénonce publiquement aussi bien les cas de tortures que ceux de mort suspecte dans les locaux de la police. La crise économique et sociale aggrave les tensions entre les partis d’opposition et le pouvoir ; les dirigeants du « Rassemblement Socialiste Progressiste » (RSP) sont arrêtés, les journaux d’opposition suspendus, et le ministre de l’Intérieur d’alors, Zine El-Abidine Ben Ali écrit à la LTDH le 8 avril 1987 pour lui reprocher son affiliation à la FIDH et « le refus opposé à l’adhésion à la LTDH » d’une catégorie d’individus « pratiques, écrit encore le ministre, contraires à l’esprit de la loi sur les associations ». Une semaine après, le président de la LTDH, Saadeddine Zmerli, répond « qu’il n’existe aucune disposition qui impliquerait ou justifierait un amendement de nos statuts » devant entraîner « l’automaticité de l’adhésion » afin « d’en faire une instance satellisée par le pouvoir ». Il est à noter que cette lettre anticipe sur la loi sur les associations que le régime de Ben Ali va imposer à la LTDH en 1992 et anticipe même sur le débat qui va plus tard partager celle-ci, celui de la double appartenance à la fois à la direction des partis et au comité directeur de la LTDH. Certains déjà y voyaient une pénalisation à la fois de la LTDH par rapport à d’autres organisations non reconnues et des partis reconnus par rapport à ceux qui ne le sont pas.

33 Lorsque Mohamed Charfi est nommé ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, huit mois à peine après son accession à la présidence de la Ligue, après que Sâadeddine Zmerli fut entré au premier gouvernement de Ben Ali, plusieurs membres éminents de la LTDH sont devenus très proches du pouvoir et estimaient que celle-ci, dans son action comme dans sa composition, devait aider ce pouvoir à se consolider puisqu’il devait selon ses déclarations répondre aux aspirations de la LTDH. La réglementation de la garde à vue, que la LTDH n’avait cessé de réclamer depuis 1977, est adoptée, les tribunaux d’exception et la cour de sûreté de l’Etat sont abrogés, plusieurs centaines de prisonniers d’opinion sont amnistiés. La Convention Internationale contre la torture est ratifiée sans réserve et un amendement au Code de la presse permet une timide avancée de la liberté d’expression. Cette approche allait immédiatement rencontrer l’opposition de l’extrême gauche qui ne voyait pas dans la LTDH un lobby pouvant et devant agir sur le pouvoir pour faire avancer la cause des droits de l’Homme, mais un pseudo-parti d’opposition qui ne devait pas entrer dans le jeu du pouvoir mais s’y opposer. Ces deux positions allaient s’affronter à propos de la succession de Mohamed Charfi à la tête de la LTDH. Deux personnalités sont poussées l’une par une gauche hétéroclite et des indépendants, l’autre par des indépendants mais également par toute la tendance nationaliste arabe. La première c’est Khadija Cherif, femme, féministe, sociologue, personnalité attachante, indépendante et consensuelle, qui pendant une décennie se battra pour les droits de l’Homme en tant que vice-présidente de la LTDH. L’autre personnalité, c’est Moncef Marzouki qui a vécu en exil au Maroc à cause de l’opposition de son père (yousséfiste) [7] à Bourguiba. Professeur de médecine à Sousse où il a adhéré dans les années 80 à la section de la LTDH de cette ville, il en devient son président et révèle alors une ambition à la mesure de son talent et de son engagement. Ceux qui le soutiennent voient en lui un intellectuel qui s’est beaucoup investi dans les sections de la Ligue, alors qu’il ne venait ni du milieu associatif ni des cercles politiques, mais qui, lors des conférences publiques, provoquait des débats et beaucoup d’intérêt pour sa personne.

34 La misogynie, la frilosité et les intérêts politiques mis en facteur, c’est Moncef Marzouki qui succédera à Mohamed Charfi à la tête de la LTDH et qui sera confirmé lors du 3ème congrès de la LTDH le 12 mars 1989.

35 La libéralisation politique qui a accompagné l’accession de Ben Ali au pouvoir a eu ses répercussions à l’intérieur de la Ligue et en a bouleversé les règles non écrites définies par le président Saadeddine Zmeri comme « l’accord par le dialogue », ce qui a signifié jusqu’en 1989 « la cooptation par consensus » ; les deux ensemble devaient assurer un dosage raisonnable des représentants de tous les courants politiques y compris le parti au pouvoir.

36 L’ambiance du 3ème congrès est passionnée. Le vent d’ouverture qui a permis à certains dirigeants de la LTDH d’accepter d’entrer au gouvernement permet aux personnalités politiques de se manifester et de se donner toutes les chances d’obtenir une place au sein du comité directeur d’où la transgression de la règle du consensus par les indépendants et les candidats de gauche dont le but est de réduire le poids des partis. Pour la première fois, il y aura 26 candidats au lieu des 25 nécessaires pour composer le comité directeur. Maillon le plus faible parce que candidat du PSD, Khémais Ksila, sera classé 26ème. Or, candidat du parti-Etat, il était une pièce maîtresse de l’architecture fragile que constituait le « consensus ». Le pouvoir pouvait accepter une Ligue indépendante (financement du congrès par l’Etat, perspective d’avoir un local pour la LTDH) à condition qu’il ne soit pas exclu de sa direction. C’était l’arrangement accepté par Mohamed Charfi, son président d’alors. Il a fallu que ce dernier fasse des pressions amicales sur Héla Abdeljaoued pour qu’elle démissionne et que Khémais Ksila soit classé 25ème à sa place au comité directeur.

37 Très vite cependant, les militants des droits de l’Homme vont, à travers communiqués et débats, s’insurger contre la fonction de feuille de vigne que le pouvoir cherchait à leur faire assurer. L’onde de choc de la guerre du Golfe va en 1991 tout bouleverser, y compris à la LTDH, microcosme de la vie politique du pays.

38 Contre l’invasion du Koweït, donc contre l’Irak et par voie de conséquences aux yeux de beaucoup d’esprits simplistes soutenant la politique américaine, se trouvait le président de la LTDH, Moncef Marzouki, qui, courageusement, assurait publiquement sa position. Le retour de manivelle ne se fit pas attendre ; au Conseil National de la LTDH qui se réunit à l’automne 1991, la grogne était telle qu’elle a failli renverser Moncef Marzouki. « La guerre du Golfe, témoigne Hichem Gribaa alors vice-président de la LTDH, avait créé clivages, divisions, frictions. Des défenseurs des droits de l’Homme ou considérés comme tels en étaient venus à soutenir l’invasion et à appeler à l’utilisation de l’arme chimique » [8].

39 En 1990-91, parallèlement à l’amorce de l’évolution tragique que devait connaître l’Algérie voisine, la Tunisie a connu la confrontation entre le pouvoir et les islamistes. Ces derniers, pensant avoir le vent en poupe et enhardis par la crise de la guerre du Golfe, se sont engagés dans la voie d’une opposition frontale et radicale dangereuse dont ils ont lourdement payé le prix. Des arrestations massives d’islamistes débutent en septembre 90. Les manifestations s’enchaînent suivies d’arrestations, de détentions prolongées, de morts suspectes dans les locaux de la police. La répression qui s’abat sur les islamistes avait intensifié les tensions au sein du comité directeur qui, malgré les pressions, finit par dénoncer publiquement en décembre 1991 toutes ces exactions.

40 Il est à noter que cette période est glauque. Beaucoup aujourd’hui ont tendance à accuser les militants de la LTDH qui se battaient contre l’idéologie des islamistes (comme ils l’ont fait lors de l’adoption de la charte en 1985) d’avoir été aux côtés du pouvoir contre ces mêmes islamistes. C’est une analyse quelque peu facile dans la mesure où elle oublie ceux qui, avec Moncef Marzouki ont continué à défendre contre vents et marées une Ligue indépendante.

41 L’amalgame, auquel d’ailleurs participent les islamistes, vient aussi du fait que c’est sur ce fond de crise que se déroule l’adoption d’une modification de la loi sur les associations par la Chambre des députés qui permet aux autorités de procéder à une OPA sur la LTDH. Première mondiale, cette loi ne permettait plus d’une part aux associations de choisir leurs membres mais imposait à la LTDH « l’automaticité de l’adhésion » et d’autre part obligeait les membres du comité directeur à choisir entre leurs responsabilités à la LTDH et leur qualité de membres de bureaux exécutifs de leurs partis. Trois dimanches de suite se déroule un Conseil National qui finit par rejeter la loi le 13 juin 1992. Dès lors, la ligne de clivage avec les autorités sera fonction du maintien ou non du dialogue et des conditions de celui-ci ? Les maîtres-d’œuvre de la négociation avec le pouvoir seront Khémaïs Chamari, Khémaïs Ksila, Fraj Fenniche auxquels viendra s’ajouter Toufik Bouderbala. Avocat, monté au comité directeur de la LTDH dans « l’ascenseur du MDS », il se distingue du groupe en tant qu’avocat de la LTDH qui procède au recours auprès du tribunal administratif contre la loi qui classe la LTDH comme association à caractère général. Taoufik Bouderbala prend de ce fait de l’épaisseur, si bien qu’au moment où les autorités renoncent le 13 mars 1993 à soumettre la LTDH à cette loi, il apparaît comme le président potentiel de la LTDH.

Le bourrage RCD du 4ème congrès : une erreur stratégique

42 Le pouvoir a cédé parce qu’il entrait dans une année électorale et que l’image du régime qui a fait du discours des droits de l’Homme son cheval de bataille était sérieusement délabrée, entachée par la répression islamiste. Mais ce pouvoir qui cède sur la forme s’attache à obtenir un contrôle des structures de la LTDH et l’éloignement de son président Moncef Marzouki affaibli par les divisions créées par la guerre du Golfe et qui aux yeux du régime passait pour un opposant qui voulait saper les fondements du régime.

43 Sur les 4 000 adhérents de la LTDH, le parti-Etat ne voulait pas moins de 2500 encartés au RCD. Conscientes que le feu du boulet de la loi sur les associations a failli emporter la LTDH, toutes les parties s’attachent au sauvetage de celle-ci en essayant de ne pas trop y laisser de plumes.

44 De nouveau Khadija Cherif, toujours vice-présidente de la LTDH, apparaît comme une figure emblématique du consensus et est désignée comme présidente de la commission pour la préparation du congrès qui avait la lourde tâche avec Sihem Ben Sedrine (RSP), Taoufik Bouderbala, Fraj Fenniche (indépendant), Slaheddine Jourchi (islamiste) de trier 900 candidats RCD éligibles dans les sections. Ceux qui avaient pour mission de servir de filtre, en particulier Khémaïs Ksila (membre du RCD et du comité directeur) ont sciemment laissé passer 1300 nouveaux candidats RCD. Ce « bourrage » se révèlera être une erreur stratégique plus qu’une faute tactique dont la LTDH souffre jusqu’aujourd’hui à la veille de son 6ème congrès.

45 Cette mainmise directe du pouvoir sur la LTDH, qui, il faut le reconnaître, n’était pas à l’ordre du jour sous Bourguiba, est devenue avec Ben Ali un objectif. La défense des droits de l’Homme étant à son programme, il n’était plus question que la LTDH entre en concurrence avec le régime sur un concept aussi porteur au plan international, d’où une tolérance réduite aux acquêts dans laquelle toute critique du régime est élevée du rang de crime de lèse-majesté.

46 Au cours du 5ème congrès qui se déroule le 5 février 1994, Moncef Marzouki est pratiquement interdit de parole et il est arrêté à la suite de la déclaration faisant état de sa candidature à la présidence de la République.

47 L’extrême gauche organisée dans le POCT (Parti Ouvrier Communiste Tunisien) ou non organisée refuse de participer à la traditionnelle « liste du consensus ».

48 Le comité directeur est composé de personnalités indépendantes ou en majorité sorties des partis croupions (Parti de l’Unité Populaire) ou qui le sont devenus (MDS) des organisations nationales ou proches du pouvoir. Il sera très difficile au comité directeur, créé pour organiser un congrès, de remplir sa tâche, d’autant plus que les hommes-liges censés représenter le pouvoir se rendent compte très vite que le produit RCD n’est plus vendable.

49 Si l’activité de la LTDH peut reprendre, on assiste à une nouvelle donne. Ce sont désormais les militants et les dirigeants de la LTDH qui sont directement harcelés par les autorités politiques et judiciaires quel qu’ait été l’état de leurs services. Moncef Marzouki et Khémaïs Ksila sont condamnés respectivement à 4 mois et deux ans de prison. Au-delà de la cible islamiste, la répression s’élargit à l’ensemble du champ politique. De Hamma Hamami (porte-parole du POCT), objet d’un harcèlement constant, à Mohamed Moada (secrétaire général du MDS), la fin des années 90 est marquée par une préoccupante dérive du pouvoir. Face à cela, la LTDH fait le dos rond. Durant ces années de plomb, il faut reconnaître que ni elle ni son président, malgré les pressions dont elle a fait l’objet, la fragilité et les atermoiements de certains, n’ont jamais rien cédé ni sur le fond ni sur son autonomie et qu’elle a réalisé le « smig » concernant la défense des droits humains.

Le 5ème congrès et le retour du pendule

50 Face à cette situation, le retour du pendule était inéluctable. C’est ainsi que la fin des années 90 a vu une radicalisation du champ démocratique. Se créent entre autres un Comité National de Défense des Prisonniers d’Opinion (CDPOU) appelé comité des 18, dont les membres passent en justice, et surtout le Conseil National pour les Libertés (CNLT). Il sera le coup de semonce salutaire pour les adhérents de la Ligue Tunisienne, qui ont vu ses militants se détourner d’elle et poursuivre ailleurs le combat qui relevait de son mandat. La publication du rapport du CNLT où sont publiés les noms des tortionnaires du régime de Ben Ali est une première.

51 Cette radicalisation n’a pas manqué de marquer la préparation et surtout les élections des candidats au comité directeur du 5ème congrès qui se déroule les 27, 28 et 29 octobre 2000. La gauche et le RCD ont leurs candidats pour la présidence de la LTDH.

52 Une consultation auprès des sections a eu pour résultat le constat que ni le parti au pouvoir, ni toute la mouvance qui s’y oppose ne voulaient courir le risque de changer l’équilibre des forces au niveau des sections. Celles-ci ne seront pas renouvelées et le 5ème congrès aura donc la même base qu’en 1994 c’est-à-dire qu’elle sera pour une bonne part RCD. Le comité directeur ne comprendra cependant pas un seul membre organisé du parti au pouvoir. Autre « anomalie » le nouveau président, Mokhtar Trifi, candidat de cette gauche turbulente et radicale qui était désigné par consensus, sera élu par le comité directeur contre le candidat « indépendant » qui était considéré par le pouvoir comme un interlocuteur valable.

53 Il est à souligner que, n’était l’élection de Mokhtar Trifi comme président, l’orientation de la LTDH, avec le même rapport de forces à l’intérieur de la LTDH, aurait été différente. D’ailleurs les autorités ne s’y sont pas trompées qui, dès le lendemain du congrès, ont réagi avec violence et détermination. Quatre congressistes liés au parti au pouvoir ont attendu la clôture des travaux du congrès et le mécontentement suscité du côté officiel par les résultats pour tenter un procès en justice contre la LTDH. Celle-ci est placée sous séquestre en attendant une décision de justice aberrante qui, tout en déclarant illégal le nouveau comité directeur, lui confie pour mission l’organisation d’un nouveau congrès. Le comité directeur, soutenu par une formidable solidarité nationale et internationale, refuse de se soumettre à ce jugement et poursuit en tant que structure légitime sa mission en redonnant à la LTDH sa place à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

54 La Ligue a résisté au diktat politico-judiciaire. Elle l’a fait de façon déterminée et responsable, ce qui a eu deux conséquences : une cohésion du groupe dirigeant qui était plutôt problématique au moment de son élection et une réelle coordination avec les sections, ce qui a donné à la LTDH une combativité vigilante de tous les instants. Ses prises de position (la LTDH publiera annuellement entre autres une cinquantaine de communiqués et un rapport sur la situation des droits de l’Homme), entourées d’un black-out total des médias nationaux, lui ont valu le soutien des partis et de l’organisation au plan intérieur mais aussi un soutien du tissu associatif des Tunisiens installés à l’étranger comme celui des organisations internationales arabes et occidentales.

55 Cette cohésion et cette vigilance provoquées en partie par la crise suscitée par le pouvoir ont amené ce dernier à prendre conscience que son opposition à l’existence d’une Ligue indépendante avait fait long feu et qu’il devait trouver une solution de sortie de crise, ce qu’il a fait de façon bancale, puisque le jugement rendu redonnait à la Ligue ses locaux qui avaient été mis sous séquestre et qu’un expert des tribunaux était chargé de gérer les valeurs humanitaires (ce qui en dit long sur l’état des libertés en Tunisie) et obligeait la LTDH à refaire son congrès.

56 Cependant, l’hostilité des autorités à l’égard de la LTDH demeure entière sur le fond comme sur la forme. S’il est vrai qu’elle a provoqué une plus grande cohésion à l’intérieur des structures et une solidarité agissante à l’extérieur, qui fait qu’au niveau du symbole la LTDH demeure forte, au niveau de son action, celle-ci est plus frileuse pour une raison d’ailleurs légitime : au moindre faux pas, le pouvoir est là pour l’empêcher d’exercer son mandat et ainsi la vider de toute symbolique.

57 Comme toute association de ce type en effet, la LTDH a eu des velléités de professionnalisation de sa structure en essayant de dépasser le seul financement fait de dons et de paiements d’ adhésions et de participer aux appels à proposition de l’Initiative Européenne pour les droits de l’Homme et la Démocratie. Par deux fois, la LTDH a été déclarée éligible pour des financements de 300000 et 600000 euros en 2002 et 2003, mais elle n’a pu bénéficier que de la moitié de la somme qui lui a été attribuée la première fois pour procéder à sa restructuration. Cette opération de restructuration qui a été votée dans une motion du 5ème congrès doit réduire le nombre de sections de 40 à 30 et ainsi se débarrasser de sections qui n’avaient pour fonction que de donner un siège aux candidats du RCD. Dès lors, les autorités, à travers des adhérents RCD de la LTDH, entament des procès tous azimuts contre les sections qui sont au nombre d’une dizaine à voir leurs AG annulées, démarche qui vise à terme à empêcher la LTDH d’organiser son 6ème congrès.

58 L’instrumentalisation de la justice pour mettre au pas la Ligue, la persécution des militants et militantes (Khémaïs Ksila, son secrétaire général, est condamné à 10 ans de prison par contumace à la suite d’une affaire de harcèlement sexuel montée par la police politique), l’interdiction de réunions avec déploiements de forces de police, l’interdiction de publication dans les médias de toute information concernant la LTDH, l’absence de tout dialogue avec le pouvoir, tout cela aboutit à un bras de fer continuel entre les autorités et la LTDH qui a tendance aujourd’hui à se centraliser et à ce crisper, ce qui l’empêche de mettre en débat des problèmes de fond qu’elle a su aborder à d’autres moments de son histoire et qui ont constitué son référentiel universaliste.

Le référentiel universaliste

59 Outre la référence à la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, la LTDH a joué un rôle majeur dans la sensibilisation à la question des droits de l’Homme, dans des périodes de détente politique comme durant les années qui ont été marquées par le quadrillage de l’espace public et médiatique. Sans complaisance à l’égard du pouvoir, qui l’aurait discréditée mais sans provocation qui l’aurait faite imploser ou interdire, la LTDH s’exerce à faire son travail à travers les interventions ponctuelles qui sont son quotidien : suivi de passeports, violences policières, conditions de détention, garde à vue etc.

60 Dès 1977, c’est une première : la LTDH est autorisée à enquêter sur les prisons. 27 ans durant, elle ne pourra réitérer cette opération malgré ses nombreuses demandes. Elle met sur pied des missions d’enquête sur des morts suspectes et observe les procès politiques. La LTDH institue une tradition : celle de mener des enquêtes avec ses propres moyens sur des événements aussi graves que ceux du « Jeudi Noir » qui a vu les affrontements entre syndicalistes et forces de l’ordre ou ceux des événements du pain en 1984. La LTDH, suite à ces derniers événements, rend publics le nombre de morts et des détails que les autorités ne peuvent contester. Ce travail fait date parce qu’il a été effectué sur des critères scientifiques par une commission pluridisciplinaire et multi-associative et que les conclusions auxquelles il est parvenu constituent une réflexion approfondie sur les causes politiques, économiques et sociales qui ont favorisé le déroulement des événements. De ce fait la LTDH est mentionnée dans la presse nationale et internationale.

61 En février 1985, au 2ème congrès de la LTDH, la candidature d’un juif tunisien Serge Adda au comité directeur a provoqué entre autres des protestations des nationalistes arabes et du plus important journal en langue arabe d’alors, Assabah. De même, pendant le Ramadhan, des actions violentes ont été enregistrées au campus universitaire où les islamistes ont interdit à leurs camarades non pratiquants de se rendre dans les restaurants universitaires. Enfin, il y a eu les émissions de la radio dite de la « Haine Sacrée » émettant de la Libye en direction de la Tunisie au printemps 84.

La Charte : acte d’identité de la LTDH

62 Le débat national qui a pris parfois l’allure d’une bataille entre « croyants et non croyants » a mobilisé le Conseil National de la LTDH en juillet 1985.

63 C’était pour la LTDH l’occasion d’une affirmation de ses principes, face au discours des islamistes qui prétendaient y adhérer à quelques exceptions près qu’ils justifiaient par la spécificité arabo-musulmane des Tunisiens. Or, ces « exceptions », entre autres : l’égalité des sexes, la liberté de consciences, la laïcité, la peine de mort, les châtiments corporels, le mariage d’une musulmane avec un non-musulman, les droits de l’enfant né hors mariage, sont pour les « réformistes libéraux », désormais désignés sous le terme générique d’« indépendants », des fondamentaux. A leurs yeux, ils étaient en danger et devaient donc être réaffirmés dans un document qui sera en fait le véritable acte fondateur de la LTDH, la charte qui allait lui procurer son identité spécifique.

64 Dans le débat national que suscite la charte, on constate qu’entre les initiateurs de celle-ci à l’intérieur de la LTDH et les dirigeants du PSD à l’intérieur du pouvoir, il y a une même vision de la Tunisie : une terre d’ouverture et de modernité. En effet, malgré ses dérives et l’instrumentalisation de la LTDH à laquelle il a procédé, le parti au pouvoir reste en dehors du débat, en tous cas ne profite pas de la montée en puissance des islamistes pour encore une fois tenter de mettre la main sur la ligue ; « c’est la première fois, me dira Mohamed Sayeh (alors directeur du PSD), que j’ai réalisé que la ligue était quelque chose d’important » rapporte Mohamed Charfi.

65 Cette vision a fini par triompher même chez ceux qui, à l’intérieur de la LTDH, étaient prêts à faire des concessions aux islamistes mais qui finiront par défendre l’option progressiste. Ces hésitations se sont traduites au moment du vote de la charte où il n’a pas fallu moins de deux conseils nationaux pour qu’elle soit adoptée. Lors du premier, elle l’a été grâce à une majorité d’une voix (24 contre 23) celle de Mohamed Charfi, alors président de la LTDH, qui a voté, alors que traditionnellement le président ne vote pas. Entorse aux principes du consensus, chers aux dirigeants de la Ligue, ces derniers décident de convoquer un second Conseil National où la charte fut adoptée par 42 voix sur 49 (4 ont voté contre et les autres n’ont pas participé au vote). La LTDH qui tient à changer la société ne prétend pas pour autant changer de civilisation et déclare dans son préambule puiser ses concepts dans « un affluent historique constitué par les principes libérateurs dans les valeurs de notre civilisation arabo-musulmane sauf celles qui attentent aux droits de la personne humaine ». La charte affirme également l’esprit de tolérance de l’islam, illustré par le concept de l’ijtihed (art.9)

66 A un moment où se développaient en Tunisie l’intolérance et des comportements fanatiques, où les entorses au droit civil (circulaire du ministère de l’Intérieur interdisant aux officiers d’état civil de conclure un mariage entre une musulmane et un non-musulman) étaient nombreuses, la charte posait des problématiques qui n’étaient pas celles de l’ONU en 1948, comme le droit de vivre dans sa propre culture ou celles évoquées par les articles 10, 11 et 13 qui font prévaloir le respect de l’intimité de la vie privée comme ils reconnaissent aux individus le droit de s’organiser dans des partis et de vivre dans un environnement sain.

67 En conclusion, la charte a procuré une identité spécifique à cette génération de militants des droits de l’Homme. La spécificité vient du fait que cette identité est la résultante d’un équilibre ou d’un compromis entre les normes culturelles telles qu’elles étaient évoquées dans le débat général sur l’identité et la défense des normes universelles. Les termes de cet équilibre étaient d’adopter les valeurs arabo-musulmanes à la condition qu’elles n’entrent pas en contradiction avec les dispositions universelles des droits de l’Homme.

68 En bref, la ligue aujourd’hui n’est plus à séparer de sa charte ; c’est un tout intangible. D’ailleurs tout adhérant à la LTDH a l’obligation de prendre connaissance de ce texte fondateur avant d’y entrer.

L’adhésion à la FIDH (Fédération Internationale des droits de l’Homme)

69 Les préoccupations de la LTDH ont très vite dépassé le cadre national pour s’étendre au monde arabe et international.

70 Au plan arabe, la cause palestinienne prime et la plupart des prises de position de la LTDH expriment une solidarité sans faille, ce qui a eu souvent pour conséquence la condamnation des régimes arabes (Syrie, Liban…).

71 En dehors du monde arabe, la LTDH réagit à travers des cercles de proximité. Après les cercles arabes, ce sont les cercles musulmans et africains et le reste du monde, y compris le monde occidental, où les critiques et condamnations du régime américain sont souvent fonction de l’attitude impérialiste des Etats-Unis.

72 Première ligue à exister sur le continent africain et dans la région arabe, la LTDH avait la lourde charge de porter « les voix des sans-voix » aussi bien au plan national qu’ international.

73 Ainsi, son entrée à la Fédération Internationale des droits de l’Homme, en novembre 1979 au congrès de celle-ci à Florence, ne passe pas inaperçue. La délégation de la ligue tunisienne s’oppose frontalement au président de la FIDH, Daniel Meyer, dont le soutien inconditionnel à Israël ne pouvait admettre la défense des droits de l’Homme palestinien. Le président de la ligue tunisienne Saadeddine Zmerli, qui est élu vice-président de la FIDH, déclare : « Malgré ce grave désaccord, nous avons décidé de demeurer à la FIDH et de défendre nos points de vue. Nous sommes convaincus que nous pouvons contribuer à changer le cours des choses… ». Aujourd’hui, l’un des plus importants vice-présidents de la FIDH, est le président du Centre Palestinien des droits de l’Homme.

74 Il est devenu courant de faire le constat de l’importance des réseaux relais avec l’étranger qui constituent une ceinture de sécurité pour les ligues en général et pour la ligue tunisienne en particulier surtout lorsque les autorités décident de l’étouffer et de ne pas la laisser exercer ses activités. La solidarité et la vigilance des associations de défense des droits de l’Homme comme la FIDH, Amnesty international, RSF, l’Organisation Arabe des droits de l’Homme ou Human Rights Watch lui permettent de surmonter les obstacles majeurs qui sont opposés à ses activités par les pouvoirs en place.

75 Il faut cependant souligner que si la LTDH, s’est imposée dans l’environnement international, c’est parce qu’elle a su fonctionner dans le développement du mouvement des droits de l’Homme en n’étant pas seulement dans la sollicitation de la solidarité, mais en y amenant un apport non négligeable, celui d’une évolution qualitative, comme par exemple son adhésion à la FIDH et l’évolution de celle-ci sur la question palestinienne. Elle conforte en tant que ligue d’une région arabe et africaine le référent universaliste face au concept de spécificité. Concernant les droits culturels par exemple, la LTDH a condamné l’autodafé des instruments de musique en Libye et celui de l’édition originale des Mille et une nuits en Egypte comme elle a condamné au plan politique l’exécution de Mohamed Taha au Soudan ou la fatwa de Khomeïni contre Salman Ruchdie.

76 Tout au long de son existence, la LTDH a élargi son champ de défense des droits fondamentaux qui l’a amenée à situer le débat sur le plan culturel et sur celui de son appartenance à l’aire arabo-musulmane. Ce qui a cependant constitué un facteur de rupture avec le système, c’est la revendication de l’autonomie, de la démocratie ainsi que l’adoption du référentiel universaliste. Il reste évident que le fonctionnement de la LTDH reste tributaire de la primauté du politique qui demeure présent dans son sein, aussi bien dans la définition que dans la composition de son comité directeur.

77 En l’état actuel de la monopolisation du pouvoir et de la perversité du discours de ce même pouvoir sur les droits de l’Homme, qu’il déclare prendre en charge alors que cela ne correspond à rien dans la pratique, du surinvestissement disproportionné de type partidaire dans la ligue, les problèmes de celle-ci viennent du divorce entre ce qu’elle est, ce qu’elle représente et l’environnement politique dans lequel elle se trouve, surtout après le 11 septembre où droits de l’Homme et libertés publiques connaissent la régression que l’on sait. 27 ans après sa création, la LTDH est dans un environnement national et international totalement changés ; la multiplication d’associations de droits humains spécifiques, en Tunisie, et de Tunisiens à l’étranger, la vitesse de la communication à travers Internet font qu’elle a perdu sa situation de « monopole » et qu’elle devrait pouvoir aussi jouer son rôle d’instance d’impulsion et lancer une ère d’initiatives déconcentrées sur, par exemple, la peine de mort, la justice transitionnelle ou la mondialisation… La LTDH est un élément important dans ce processus, mais en l’état actuel des choses, elle n’est pas capable, étant donné l’hostilité des autorités à son égard et la répression continue dans le pays qui limite son action à la protestation et à la revendication, d’imaginer des formes d’organisations pour ce type de batailles qui puissent concilier à la fois efficacité et diversité et dépasser ainsi les rivalités de chapelle.

Notes

  • [1]
    Répression et procès politique de 1967 à 1978, Publication du MUP. Paris 1978 cité par Saloua Ben Youssef-Charfi. Mémoire de DEA La Ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’Homme, Université de Tunis 1987.
  • [2]
    La plus sûre direction pour connaître l’état des nations.
  • [3]
    Tels que définis par Khedija Cherif lors de l’intervention orale au colloque intitulé Bourguiba, la trace et l’héritage à Aix-en-Provence en septembre 2001.
  • [4]
    La Presse du 24 mars 1977 cité par Saloua Ben Youssef-Charfi.
  • [5]
    Respectivement aujourd’hui président et membre de la LTDH, présidente de l’Association Tunisienne contre la Torture, secrétaire général de l’Ordre des Avocats.
  • [6]
    Rapport moral au 1er congrès de la LTDH.
  • [7]
    Du nom de Salah Ben Youssef, secrétaire général du Parti Nationaliste qui s’est opposé à Bourguiba au moment de l’indépendance de la Tunisie.
  • [8]
    Un numéro spécial de la Lettre de la LTDH, 24ème anniversaire de la LTDH-7 mai 2001-Tunis.
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