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Article de revue

Les soldats perdus de l'UCK

Pages 25 à 30

Notes

  • [1]
    Ce sont des pseudo-résistants qui se sont fait tristement connaître en France en tondant des femmes à la Libération.

1 Le 10 juin 1999 les forces serbes quittent le Kosovo. Dans les fourgons de la Kfor, les hommes de l’UCK (Ushtria çlirimtare ë Kosovës, Armée de libération du Kosovo) prennent le pouvoir. Ces quelques milliers de combattants s’emparent de tous les leviers de commandes : politiques et économiques. Il s’agit d’un mélange hétéroclite d’adeptes d’un marxisme-léniniste, nationaliste, clanique et rural, une sorte de Khmers rouges des Balkans. L’ossature politique est issue du LPK (Lëvizja popullore shqitare, Mouvement populaire albanais) et du LKCK (Lëvizja kombëtare për çlirimin ë Kosovës, Mouvement national de libération du Kosovo). L’ossature militaire provient des officiers et sous-officiers albanais déserteurs de l’armée yougoslave en 1991-92, passés à l’armée croate et coupables de crimes de guerre entre 1992 et 1995. Quant aux combattants de base, il s’agit d’hommes des clans de la Dreniça et du Dukagjin.

2 En juin-juillet, apparaissent les « résistants de la 25e heure » et autres « francs tondeurs » [1]. Les minorités serbe, rom et musulmane, ainsi que les militants pacifistes de la LDK (Ligue démocratique du Kosovo) sont victimes des exactions des nouveaux maîtres des lieux. Un totalitarisme chasse l’autre et une deuxième épuration ethnique se met en place, mais cette fois sous le regard de la Kfor et de la Minuk qui sont dépassées.

3 Le 21 juin 1999, Hashim Thaçi, chef politique de l’UCK et Premier ministre autoproclamé du Kosovo, signe un accord de désarmement de son armée avec le général Jackson. Pour la Kfor, il s’agit d’une journée de dupes car, pendant ce temps, l’UCK continue à acheter des armes. Depuis Genève, un certain Naïm Muja de l’UCK passe commande au marchand d’armes français, Jean-Paul Chirouzé, de lance-roquettes, de grenades, de mines et de munitions. Un bateau turc contenant une partie de la commande quitte un port bulgare en juillet 1999 et rejoint le port albanais de Durres le même mois. Muja et Chirouzé seront arrêtés à Genève et à Lausanne le 13 juillet 2000. Quelques mois plus tard, ils seront discrètement libérés par la justice fédérale helvétique, sans être jugés alors qu’ils risquaient dix ans de prison. Hanz Wegmuller, le nouveau patron des services de renseignements suisses (depuis octobre 2000) ne serait pas étranger à ces libérations.

4 En juin 2000, la Kfor découvre deux énormes caches d’armes de l’UCK, alors que depuis le 21 septembre 1999 cette dernière s’est officiellement transformée en TMK (Trupat e mbrojtjes të Kosovës, Corps de protection du Kosovo), sorte de sécurité civile locale voulue par Bernard Kouchner.

5 La réalité est autre. Les hommes de l’UCK n’ont pas tous combattu pour un Kosovo indépendant. La plupart, surtout les politiques, délirent sur le concept de Grande Albanie. Cette dernière n’a existé que de 1941 à 1943 sous la houlette de l’Italie mussolinienne. Après les échecs des grandes Grèce, Bulgarie, Croatie, Serbie, Macédoine, de 1830 à 1995, il ne reste guère que les anciens combattants de l’UCK pour militer sur ce projet ultra-nationaliste. Par ailleurs, les anciens dirigeants de l’UCK se sont transformés en bandits mafieux contrôlant les trafics de cigarettes, de pétrole, de ciment, de drogue, sans compter la prostitution et l’exportation de travailleurs clandestins. A partir de l’été 1999, le Kosovo est devenu une zone de non-droit. Des millions de deutschemarks d’argent sale sont lavés dans la construction de somptueuses villas, dans l’ouverture de différents commerces, bars, restaurants, boites de nuit. Le cas le plus flagrant est celui de l’hôtel Grand à Prishtina. Quartier général des milices nationalistes serbes d’Arkan en 1998-99, ce seul hôtel de luxe de la région passe sous le contrôle de l’UCK dès le 13 juin 1999. Le nouveau patron n’est autre que Zeko Ceku, frère d’Agim, le général en chef de l’UCK. Ancien responsable de l’office du tourisme yougoslave en Grèce, Zeko a transformé le premier sous-sol de l’hôtel Grand en cache d’armes de l’UCK-TMK ; par ailleurs sa fille est devenue la maîtresse de Ramush Haradinaj, un autre commandant de l’UCK. En effet, dans cette société clanique, les alliances se font souvent par les femmes.

6 Quant au préfet UCK autoproclamé de Peç, Ekrem Lluka, il dispose d’un solide pedigree. Trafiquant de drogue à l’époque de la Yougoslavie, il dirige une société à Skopje, trois à Prishtina et une en Alsace. C’est le principal contrebandier de cigarettes entre la Bulgarie et le Monténégro. C’est aussi le financier de l’AAK (Alliance pour l’avenir du Kosovo) du commandant Haradinaj.

Défaite et exportation du radicalisme albanais

7 A la veille des élections municipales du 28 octobre 2000, les règlements de compte se multiplient. En un an, on compte 1.300 assassinats. Outre les crimes mafieux pour le partage du gâteau entre les clans du Dukgajin et ceux de la Dreniça, les candidats de la LDK d’Ibrahim Rugova sont aussi visés. Par ailleurs, les anciens activistes de l’UCK ont tout infiltré : le TMK, la police kosovare, mais aussi la Minuk et les ONG à travers les gardiens, les chauffeurs et les traducteurs.

8 Mais les électeurs kosovars votent pour la paix civile. Les extrémistes du PDK (Parti démocratique du Kosovo) de Hashim Thaçi remportent 27% et ceux de l’AAK 8%. En novembre les assassinats continuent : 8 Tziganes et un conseiller de Rugova, et une bombe explose devant la représentation yougoslave à Prishtina.

9 Pour ces adeptes de la Grande Albanie, il s’agit désormais de construire le grand Kosovo, comme le dit clairement le programme du LPK du 22 juillet 2000 : « Une partie de la nation reste encore sous le joug de l’oppresseur en Serbie, en Macédoine et au Monténégro… Le peuple albanais du Kosovo doit s’orienter vers l’indépendance et former un Etat qui comprendra tous les territoires occupés où les Albanais sont en majorité ».

10 D’autant qu’avec l’arrivée de la démocratie en Serbie, ils craignent de voir s’éloigner la possibilité d’un Kosovo indépendant de jure. D’où cette fuite en avant et cette politique du pire qui réussit à l’UCK en 1998.

11 Début 2000, deux nouvelles organisations sont apparues dans le sud-ouest de la Serbie et en Macédoine. Il s’agit de l’UCPMB (Ushtria clirimtare Presevo Metvedjia Bujanovac, Armée de libération de Presevo, Metvedjia, Bujanovac) et de l’UCKM (Ushtria clirimtare kombetare e Maqedonise, Armée de libération nationale de Macédoine). Mais c’est après les élections municipales que ces deux groupes vont passer à la vitesse supérieure, s’attaquant non pas à une dictature comme ce fut le cas de l’UCK contre les forces de Slobodan Milosevic, mais à la jeune démocratie serbe et à la fragile démocratie macédonienne.

12 Dans les districts de Presevo, Metvedjia et Bujanovac, vivent 70.000 Albanais que l’UCPMB souhaite voir rattachés au Kosovo. En Macédoine, la minorité albanaise représente 30% de la population totale et les partis politiques albanais (Parti démocratique albanais PDA et Parti de la prospérité démocratique PPD) participent aux différentes coalitions au pouvoir. Officiellement l’UCKM veut la moitié du pouvoir pour les Albanais. En réalité, elle veut rattacher la Macédoine occidentale au Kosovo.

13 Les hommes de l’UCPMB et de l’UCKM sont pour la plupart des militants du LPK. Ils ont combattu dans les rangs de l’UCK en 1998-99 en tant que volontaires venus de Serbie du Sud et de Macédoine. Mais d’autres sont purement kosovars et appartiennent au TMK.

14 Les premières bombes explosent en janvier-février 2000 dans le sud de la Serbie et en Macédoine. L’UCPMB lance son offensive dès novembre 2000, suivie par l’UCKM en février 2001.

15 Ces deux organisations fonctionnent exactement sur le même modèle que l’UCK, tant au niveau stratégique, tactique que dans sa hiérarchie. Les chefs politiques de l’UCPMB sont Jonuz Musliu et Halil Selimi. Le premier est membre du directoire du LPK et est le président du KKPMB (Conseil politique de Presevo, Metvedjia, Bujanovac). C’est cette structure qui a négocié avec les nouvelles autorités de Belgrade venues sur place pour négocier un cessez-le-feu en février-mars. Halil Selimi est un transfuge du PDK de Hashim Thaçi. L’aile militaire est dirigée par Shefket Hassani. Né en 1940, il a passé vingt ans en Suisse. Une de ses filles est mariée avec Emrush Xhemajli, prisonnier politique de 1979 à 1983, devenu en juillet 2000 coordinateur général du LPK et principal idéologue de la Grande Albanie. Les quatre principaux commandants sont Ridvan Kasimi, alias Lleshi, Rasni, Shaban et Muhamed Xhemajli.

16 Dès novembre 2000, l’UCPMB traverse la frontière du Kosovo, au nez et à la barbe du contingent américain qui contrôle la zone, et pénètre dans la zone démilitarisée de 5 kilomètres de large sur une trentaine de long. Elle installe son QG à Dobrosin, occupe le gros bourg de Veliki Trnovac qui est un carrefour de contrebande (drogue, arme, prostitution). Des collines, elle lance des attaques en contrebas sur les forces serbes. Mais ces dernières refusent l’engrenage de la répression.

17 Quant à l’UCKM, elle est dirigée par Fazli Véliu et Ali Ahmeti. Véliu est né en 1945 en Macédoine. Etudiant à Prishtina puis à Skopje, en 1968, il rejoint la Suisse et prend contact avec les groupuscules albanais pro Enver Hoxha. Cadre important du LPK, il organise les attentats commis en Macédoine en 1997-98, ce qui lui vaut un mandat d’arrêt international le 2 février 1999 et 45 jours de prison en Allemagne en février-mars 2000. Début mars 2001, il est localisé sur la frontière kosovaro-macédonienne, puis rentre en Suisse où il est suivi de près par la police fédérale. Il est l’oncle d’Ali Ahmeti. Né en Macédoine en 1961, étudiant à Prishtina, celui-ci est emprisonné en Serbie en 1981-82. Il part ensuite en Suisse où il rejoint les groupes extrémistes. En 1997, il passe par Tirana et rejoint l’UCK.

18 Comme l’UCPMB, l’UCKM est organisée par le TMK. Ce sont Gzim Ostreni, chef d’état-major du TMK, et Raïm Samihi, major du TMK, tous deux nés en Macédoine, qui coordonnent les opérations de l’UCKM qui dispose de trois bases arrière au Kosovo, dans la zone elle aussi contrôlée par le contingent américain : Vitina, Debelde, Krivenik. Les deux organisations ont leur siège à Prishtina et certains combattants se battent sur tous les fronts, un jour à Presevo, un jour en Macédoine, un autre jour contre les enclaves serbes du nord du Kosovo. Depuis début mars, l’UCKM occupe pendant quelques jours les villages de montagne à la frontière, au-dessus de Tetovo, de Skopje et de Kumanovo.

Double jeu

19 Dans cette nouvelle offensive des extrémistes albanais, les Etats-Unis et les politiciens albanais de Macédoine semblent avoir joué double jeu. En effet, c’est le contingent américain qui contrôle la frontière avec la Macédoine et avec les vallées de Presevo et de Bujanovac. Il faut attendre fin décembre 2000 pour que les Gi’s tentent timidement de couper l’approvisionnement de l’UCPMB. L’OTAN attend le 27 février pour parler de sécurisation de la frontière entre le Kosovo et Presevo.

20 Finalement Belgrade arrache un cessez-le-feu le 13 mars, violé par l’UCPMB quatre jours plus tard. Le 15 mai, l’armée yougoslave est enfin autorisée à patrouiller sur un bout de frontière avec la Macédoine. Il semblerait qu’au départ les Américains n’ait pas vu d’un mauvais œil la déstabilisation par l’UCPMB du nouveau président yougoslave, Vojislav Kostunica, ouvertement anti-américain et pro-européen. Par ailleurs, c’était aussi peut-être un moyen de pression pour obtenir l’arrestation à Belgrade de Slobodan Milosevic. Mais face au développement de la violence dans la Macédoine voisine, Washington a choisi d’éteindre le foyer de la Serbie du Sud. Le 15 mai, la Kfor laisse l’armée yougoslave reprendre à l’UCPMB le village d’Oraovica. Deux jours plus tard, une centaine de maquisards se replie au Kosovo et se rend à la Kfor. Le 21 mai, l’UCPMB accepte sa démilitarisation et les derniers extrémistes repassent la frontière. Le jour même les Américains « livrent » aux Serbes Muhamed Xhemajli, le chef militaire de la fraction la plus dure de l’UCPMB. Ce dernier était un important trafiquant de drogue en Suisse. En 1998, il part en Albanie puis en Arabie saoudite. De retour, il entre à l’UCK. Dans l’UCPMB, il faisait du prosélytisme islamique. Enfin, le 24 mai, le commandant Lleshi est mystérieusement tué.

21 Quant aux politiciens albanais de Macédoine, leur jeu n’est pas clair du tout. Arben Xhaféri, président du PDA, membre de la coalition gouvernementale, dénonce la violence des extrémistes de l’UCKM d’un côté et rencontre en mars à Prishtina Ali Ahmeti. Il propose même à ce dernier de prendre la vice-présidence de son parti. Bref, les dirigeants du PDA et du PPD utilisent l’épouvantail de l’UCKM dont ils connaissent tous les chefs pour avancer leurs revendications d’autonomie, voire de confédération. D’un côté, les deux partis entrent dans le gouvernement d’union nationale le 11 mai 2001. Mais de l’autre, ils signent une plate-forme commune avec l’UCKM. Cette ambiguïté retarde la mise en place d’une solution et ne fait qu’accentuer le fossé entre les deux communautés. Par ailleurs, ils demandent l’amnistie pour tous les terroristes.

22 Bref, si les adeptes d’un grand Kosovo ont échoué dans le sud de la Serbie, il n’est pas sûr qu’ils n’aient pas réussi à déstabiliser durablement la fragile Macédoine, le maillon faible de la question albanaise.

Notes

  • [1]
    Ce sont des pseudo-résistants qui se sont fait tristement connaître en France en tondant des femmes à la Libération.
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