Notes
- [1]
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[2]
Le Nadant (1999) ainsi que Thauvron (2000) ont analysé la gestion des résultats dans le contexte des opérations de LBO et de fermeture du capital en France.
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[3]
Par souci de simplification, le terme anglais accruals est utilisé dans cet article. Il correspond en France aux produits et charges calculés et/ou décalés.
-
[4]
Les règles et principes comptables généralement admis en Suisse pour les entreprises par actions sont édictés par les articles 662 à 673 du CO.
-
[5]
Le recours exclusif aux normes IFRS ou US GAAP à partir de 2005 sur le marché principal de la Bourse Suisse (SWX) ne concerne pas la période examinée dans cette étude (1990-2002).
-
[6]
Voir Jeanjean (2001) et Stolowy et Breton (2003) pour une revue de la littérature portant sur la gestion des résultats comptables.
-
[7]
Les lois des valeurs mobilières australiennes exigent des dirigeants de l’entreprise cible qu’ils transmettent aux actionnaires une recommandation quant à l’offre reçue.
-
[8]
En fait, quatorze des soixante quatre transactions de MBO de l’échantillon de DeAngelo (1986) ont été initiées par les dirigeants suite à une OPA hostile.
-
[9]
Les accruals sont “anormaux ” lorsqu’ils divergents d’une valeur estimée à partir de données passées de l’entreprise concernée ou des entreprises d’un même secteur industriel.
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[10]
En analysant un échantillon de 92 cibles d’OPA en Grande Bretagne au cours de la période 1989-1992, Dahya et Powell (1998) trouvent que les dirigeants des cibles de transactions hostiles sont plus fréquemment destitués et remplacés par une nouvelle équipe dirigeante que ceux des cibles de transactions négociées sur une base amicale.
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[11]
Dechow et al. (1995) montrent que le pouvoir d’estimation des accruals discrétionnaires du modèle de Jones (1991) ainsi que de la version modifiée de ce modèle est supérieur à celui d’autres modèles d’estimation des accruals discrétionnaires en particulier ceux de Healy (1985) et de DeAngelo (1986).
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[12]
Les termes d’erreur des régressions ont également été corrigés selon la procédure de White (1980).
1 – Introduction
1Cette recherche s’intéresse à la gestion des résultats comptables par les dirigeants d’entreprises sujettes à des offres publiques d’achat (OPA), c’-à-d. l’utilisation de la discrétion managériale pour influencer le résultat comptable publié (Degeorge et al., 1999). La recherche suggère que les dirigeants des firmes qui sont la cible de prises de contrôle hostiles seraient tentés de gérer à la hausse les résultats comptables durant les périodes précédant l’initiation de l’OPA. [1] Cette politique aurait pour but de convaincre les actionnaires de la bonne gestion de l’entreprise favorisant ainsi le rejet de l’offre d’achat (Easterwood, 1998 ; Erickson et Wang, 1999 ; North et O’Connel, 2002 ; Guan et al., 2004). Toutefois, les études empiriques obtiennent des résultats divergents. Ainsi par exemple, Easterwood (1998) et North et O’Connel (2002) montrent une gestion positive des résultats par les dirigeants de la cible au cours des trimestres qui précèdent l’initiation de la transaction, alors qu’Erickson et Wang (1999) ne sont pas en mesure de conclure à l’existence d’une gestion des résultats par les dirigeants des entreprises cibles. La recherche s’étant essentiellement basée sur les résultats d’études menées dans le contexte américain, cet article se propose d’enrichir la littérature comptable à travers l’analyse de la gestion de résultats comptables par les firmes cibles de prises de contrôle dans le contexte suisse. A notre connaissance, cette étude est parmi les premières à porter sur la gestion des résultats au cours de fusions et acquisitions dans un environnement européen. [2]
2Le contexte suisse offre un cadre intéressant pour l’analyse de la gestion des résultats du fait de la grande flexibilité qu’offrent les normes comptables suisses dans le choix des politiques comptables comparativement aux normes anglo-saxonnes (Cormier et al., 2000). Par ailleurs, le contexte suisse se distingue de son homologue nord-américain sur plusieurs aspects. La propriété des entreprises est concentrée (Faccio et Lang, 2002), le marché financier est relativement peu liquide, et l’environnement des prises de contrôle est amical. Par ailleurs, plutôt que de privilégier les seuls actionnaires dans la gestion et la publication de l’information financière (c’-à-d. Shareholders’ regime), l’environnement institutionnel suisse privilégie aussi la prise en compte des intérêts de plusieurs partenaires de la firme (c’-à-d. Stakeholders’ regime ; Hilary, 2003), notamment les créanciers.
3L’échantillon de recherche comprend 50 sociétés suisses cotées ayant fait l’objet d’une OPA entre 1990 et 2002, et 50 autres sociétés n’ayant pas fait l’objet d’OPA. La gestion des résultats comptables est mesurée par le niveau des accruals [3] discrétionnaires. L’existence d’un niveau significatif d’accruals discrétionnaires au cours de l’année précédant celle de l’annonce de la transaction serait cohérent avec l’hypothèse selon laquelle les dirigeants d’entreprises cibles d’OPA en Suisse procèdent à une gestion opportuniste des résultats comptables (pour faciliter l’OPA). Les résultats obtenus montrent une gestion significative des résultats à la baisse au cours de l’année qui précède celle de l’initiation de la transaction. Ces résultats suggèrent que les motivations à la gestion des résultats pourraient être différentes selon le caractère amical ou hostile de l’offre d’acquisition.
4Cet article est organisé de la façon suivante. La prochaine section décrit les spécificités du contexte institutionnel suisse. La troisième section résume la littérature pertinente portant sur la gestion des résultats dans le contexte des fusions et acquisitions. La quatrième section décrit la méthodologie de recherche (caractéristiques de l’échantillon et définition des variables dépendantes). Les résultats obtenus sont présentés et discutés dans la cinquième section et sont suivis par une conclusion.
2 – Le contexte institutionnel suisse
5L’environnement économique et institutionnel suisse se caractérise par un recours important aux créanciers dans le financement des activités de la firme. Le marché des actions est concentré et relativement peu liquide (Faccio et Lang, 2002). Les entreprises suisses utilisent principalement la dette comme source de financement, et plus particulièrement les dettes bancaires (Missonier-Piera, 2004). Le poids des banques comme fournisseurs de capitaux ne peut être ignoré par les dirigeants dans leurs politiques, notamment comptable. Par ailleurs, les coûts politiques que les entreprises supportent sont non négligeables. La population est attachée à la notion de paix sociale (Stettler, 1986). La volonté de compromis dans les rapports sociaux – y compris entre entreprises et syndicats – est une caractéristique forte de l’environnement helvétique (Bergmann, 1994).
6D’un point de vue comptable, l’environnement suisse a connu des changements importants au cours des dernières années. La réglementation comptable suisse est essentiellement d’origine légale. Les entreprises doivent respecter en la matière le Code fédéral des Obligations [4] (datant de 1881), dont la dernière révision remonte à 1992. Toutefois, le Code des obligations (CO) ne contient que très peu de règles ou principes comptables. En théorie, cette absence de contraintes légales offre aux entreprises le choix d’un grand nombre de méthodes comptables. Ainsi, par exemple, selon l’article 669 CO al. 3, les entreprises sont autorisées à utiliser des réserves latentes pour lisser leur résultats comptables : « Des réserves latentes supplémentaires sont admissibles dans la mesure où elles sont justifiées pour assurer d’une manière durable la prospérité de l’entreprise ou la répartition d’un dividende aussi constant que possible compte tenu des intérêts des actionnaires ». Depuis 1996 les entreprises cotées sur la bourse suisse (Swiss Exchange – SWX) doivent – en plus du Code des Obligations – respecter les Swiss GAAP RPC, avec la possibilité de présenter leurs comptes selon les normes IFRS ou les US GAAP. Sur le marché principal toutefois, à compter de 2005 seules les normes IFRS et les US GAAP sont autorisées. [5] Les Swiss GAAP RPC sont des normes publiées par la Fondation pour les Recommandations relatives à la Présentation des Comptes créée en 1984 (FER - Fachkommission für Empfehlungen zur Rechnungslegung). La FER est l’organisme suisse de normalisation comptable établi sur le modèle américain du FASB (Financial Accounting Standards Board). Elle a pour but d’établir des recommandations susceptibles d’améliorer la qualité et la comparabilité des états financiers, et d’harmoniser les pratiques comptables avec les normes internationales. Les normes de la FER concernent essentiellement les comptes consolidés. L’utilisation conjointe de normes de différents organismes est assez courante en Suisse. Ainsi, les entreprises cotées se référaient souvent aux IAS (IFRS), aux Directives Européennes ou aux Swiss GAAP RPC simultanément. Toutefois, on considère généralement que les RPC sont moins contraignantes que les IAS (IFRS), mais qu’elles le sont plus que les Directives Européennes (Achleitner, 1997, p. 209).
7Cette absence de véritables contraintes du système comptable suisse en matière de choix de normes de comptabilisation et de présentation des comptes offre une opportunité de tester l’existence de la gestion des résultats comptables précédent l’annonce d’OPA dans un régime d’information financière orienté vers l’ensemble des partenaires de la firme (c’-à-d. stakeholders regime) et pas exclusivement les investisseurs – actionnaires (c’-à-d. shareholders’ regime).
3 – Revue de la littérature
8La recherche en comptabilité offre plusieurs définitions à la notion de gestion des résultats comptables. [6] Ainsi, Schipper (1989) la définit comme étant « une intervention délibérée dans le processus de présentation de l’information financière dans le but de s’approprier des gains personnels » alors que Degeorge et al. (1999, p. 2) considèrent la gestion des résultats comme « l’utilisation de la discrétion managériale pour influencer le résultat diffusé auprès des parties prenantes ». En outre, la littérature comptable (Fields et al., 2001 ; Jeanjean, 2001 ; Stolowy et Breton, 2003) identifie principalement trois objectifs de la gestion des résultats comptables : (1) la maximisation de la richesse des dirigeants au détriment des actionnaires (contrats de rémunération ou proposition de rachat de l’entreprise), (2) la minimisation des coûts de financement lors des appels publics à l’épargne (Cormier et Magnan, 1995 ; Teoh et al., 1998 ; Gramlich et Sorensen, 2004 ; Cormier et Martinez, 2006) ou des prises de contrôle et (3) la minimisation des coûts politiques lors des crises environnementales (Labelle et Thibault,1998) ou des enquêtes par les organismes de règlementation (Jones, 1991, Magnan et al., 1999).
9Les études portant sur la gestion des résultats dans le contexte des fusions et acquisitions sont à distinguer selon que l’on s’intéresse aux pratiques comptables des dirigeants de l’entreprise acquéreuse, de l’entreprise cible d’une tentative d’OPA, ou enfin aux dirigeants lors des propositions de rachat de leur propre entreprise, les Management Buy-Out – MBO (André et al., 2003). Les raisons d’efficience et d’opportunisme sont invoquées pour expliquer les motivations sous-jacentes à la gestion des résultats, sans souvent pouvoir distinguer lequel des comportements prédomine. En effet, dans le cadre de la théorie comptable positive (Watts et Zimmerman, 1986), les dirigeants choisissent d’appliquer les normes comptables soit de façon efficiente, dans le but de maximiser la valeur de l’entreprise pour les actionnaires, ou simplement de façon opportuniste, visant l’atteinte d’objectifs personnels au détriment des autres parties prenantes. Ainsi, pour les dirigeants de l’entreprise acquéreuse, la gestion des résultats à la hausse permettrait d’influencer le ratio d’échange et par conséquent le prix d’acquisition, particulièrement lors des transactions financées par échange d’actions. Du côté de l’entreprise cible, une gestion efficiente des résultats aurait pour but d’accroître positivement le prix d’achat que recevront les actionnaires ou de réduire le risque post-acquisition (North et O’Connel, 2002). En revanche, une gestion opportuniste des dirigeants de la cible servirait plutôt à contrer l’offre publique d’achat (OPA) et éviter la perte de leur emploi. Le tableau 1 récapitule la recherche comptable portant sur la question de la manipulation des résultats dans le contexte des fusions et acquisitions.
Résultats des tests de la gestion des résultats dans le contexte des fusions et acquisitions
3.1 – Gestion des résultats par les dirigeants de l’entreprise acquéreuse
10À ce jour, relativement peu d’études se sont intéressées aux choix comptables des dirigeants d’entreprises acquéreuses. Erickson et Wang (1999) montrent que, lors des transactions financées par échange d’actions, les dirigeants des sociétés acquéreuses gèrent à la hausse leurs résultats trimestriels au cours de la période précédant l’annonce de la transaction. Dans ce contexte, les dirigeants de l’acquéreur sont incités à gérer à la hausse les résultats comptables au cours des trimestres qui précèdent l’accord final sur la transaction pour accroître les cours boursiers, influencer le ratio d’échange et ainsi diminuer le nombre d’actions échangées contre celles de la société cible. Plus récemment, Louis (2004) confirme les résultats obtenus par Erickson et Wang (1999). En analysant un échantillon de 373 transactions survenues aux États-unis entre 1992 et 2000, l’auteur documente une gestion à la hausse des résultats au cours du trimestre précédant celui de l’annonce des transactions financées par échange d’actions. En revanche, Louis (2004) n’est pas en mesure de conclure à la gestion des accruals discrétionnaires dans le contexte des transactions financées par paiement en espèces. Enfin, Heron et Lie (2002) examinent les accruals discrétionnaires d’un échantillon de 657 firmes américaines ayant réalisé des acquisitions au cours de la période 1985-1997 et, contrairement aux deux études précédentes, ne documentent aucune gestion des résultats par ces firmes durant chacune des trois années précédant celle de l’annonce de la transaction.
11L’étude de Thauvron (2000) — l’une des premières recherches du domaine dans le cotexte Européen — s’intéresse particulièrement à la gestion des résultats comptables par les sociétés cotées françaises cibles d’offres de renforcement du contrôle ou de fermeture du capital. Elle teste l’hypothèse que les dirigeants des entreprises qui lancent une offre publique sur l’une de leurs filiales manipulent à la baisse les résultats comptables de cette dernière afin de minimiser le prix offert. En analysant un échantillon de 95 cibles d’offres de renforcement du contrôle ou de fermeture de capital au cours de la période 1994-1997, Thauvron (2000) met en évidence une gestion à la baisse des résultats comptables avant le lancement de l’offre d’achat.
3.2 – Gestion des résultats comptables par les dirigeants de l’entreprise cible d’une OPA
12André et al. (2003) soulignent que la gestion des résultats comptables par les dirigeants de la cible peut être considérée comme un élément déclencheur de la transaction (Groff et Wright, 1989 ; Christie et Zimmerman, 1994 ; Guan et al., 2004), comme un mécanisme d’enracinement des dirigeants (Easterwood, 1998 ; Eddey et Taylor, 1999) ou enfin comme permettant d’affecter la valeur de la firme (Erickson et Wang, 1999 ; North et O’Connel, 2002)
13Les premières recherches portant sur la gestion des résultats ont examiné la possibilité que celle-ci soit un élément déclencheur d’une prise de contrôle hostile. Ces études (Groff et Wright, 1989 ; Christie et Zimmerman, 1994) considèrent que les dirigeants des sociétés cibles sont susceptibles de faire preuve d’opportunisme dans leurs choix de pratiques comptables. Ainsi, Groff et Wright (1989) testent l’hypothèse que les dirigeants des sociétés cibles optent systématiquement pour des pratiques comptables ayant un effet positif sur le bénéfice comptable au cours de l’année précédant l’OPA. Ils analysent les choix comptables d’un échantillon de 79 sociétés cotées américaines ayant été les cibles d’une prise de contrôle entre 1975 et 1979 et montrent que les dirigeants des sociétés cibles d’une OPA utilisent plus fréquemment des pratiques comptables ayant un effet positif sur le bénéfice que ceux des sociétés de l’échantillon de contrôle.
14Christie et Zimmerman (1994) essaient de distinguer l’opportunisme de l’efficience quant au choix de pratiques comptable en analysant la fréquence relative de l’utilisation des méthodes comptables qui augmentent les résultats comptables par les dirigeants des sociétés cibles entre 1981 et 1988 comparativement à celle des autres firmes de leur industrie. Ils observent que les cibles des prises de contrôle optent plus fréquemment pour des méthodes comptables ayant un effet positif sur les résultats que les firmes de leur industrie au cours des années précédant la tentative de prise de contrôle. Toutefois, étant donné que la magnitude de cette différence est relativement faible (3 à 4 %, selon le choix comptable), ils concluent que même s’ils peuvent soupçonner l’existence d’opportunisme dans les choix des dirigeants des cibles d’OPA, l’efficience demeure probablement le premier déterminant de leurs choix de pratiques comptables. Enfin, Guan et al. (2004) analysent les accruals discrétionnaires d’un échantillon de 106 sociétés cibles d’OPA hostiles aux Etats-Unis entre 1990 et 1998. Leurs résultats montrent que les dirigeants des cibles de prises de contrôle procèdent à une gestion positive des résultats au cours de l’année précédant celle de l’annonce de l’offre d’achat. Ils concluent que l’intervention disciplinaire du marché des prises de contrôle aurait ainsi pour objectif de corriger un tel comportement opportuniste des dirigeants, contraire aux intérêts des actionnaires.
15La gestion des résultats par les dirigeants de la cible a été également considérée par les chercheurs en comptabilité comme étant une réaction opportuniste à l’annonce d’une transaction hostile (Easterwood, 1998 ; Eddey et Taylor, 1999). En effet, les dirigeants de la société cible peuvent utiliser les résultats comptables comme mécanisme de défense anti-OPA dans l’objectif de faire échouer l’offre d’achat et conserver leurs postes de direction ainsi que tous les avantages qui leur sont associés (André et al., 2003). Une gestion à la hausse des résultats comptables lors des périodes qui précèdent et qui suivent immédiatement l’annonce de l’OPA aura pour objectif de convaincre les actionnaires de la société cible que les dirigeants s’acquittent bien de leur tâche de direction, que la prime offerte est trop faible et qu’il serait de leur intérêt de rejeter l’offre. Toutefois, les résultats des études empiriques menées à ce jour ne convergent pas. Ainsi, en analysant un échantillon de 110 cibles d’une OPA aux États-Unis sur la période 1985-1989, Easterwood (1998) documente une gestion à la hausse des accruals discrétionnaires au cours du trimestre précédant l’OPA mais non pas au cours de celui qui suit le lancement de l’OPA. Une fois l’OPA lancée, il semblerait donc qu’il soit trop tard pour que les dirigeants tentent d’améliorer les bénéfices et convaincre les actionnaires de la cible de l’efficacité de leur gestion. Eddey et Taylor (1999) analysent la gestion des accruals en fonction des recommandations des dirigeants des sociétés cibles d’un échantillon de 43 OPA en Australie. [7] Dans l’hypothèse d’une gestion opportuniste des résultats, les dirigeants opposés à l’offre devraient gérer à la hausse les résultats pour convaincre les actionnaires que le prix offert n’est pas intéressant compte tenu des bons résultats financiers de la société. En revanche, les dirigeants en faveur de l’offre d’acquisition devraient gérer à la baisse les résultats pour faciliter la conclusion de la transaction. Toutefois, et contrairement à leur hypothèse, Eddey et Taylor (1999) trouvent que les dirigeants recommandant le rejet de l’offre à leurs actionnaires semblent gérer plutôt à la baisse les résultats comptables au cours de l’année de l’offre. Ils notent également que les accruals discrétionnaires des firmes cibles dont les dirigeants recommandent l’acceptation de l’offre à leurs actionnaires sont négatifs mais ne sont pas significatifs.
16La gestion des bénéfices comptables peut aussi être efficiente et donc servir aux dirigeants et aux actionnaires. Étant donné que les résultats comptables sont utilisés par les banquiers d’affaires pour l’évaluation des entreprises ainsi que par les tribunaux pour juger de l’équité de l’évaluation lors des propositions de rachat par les cadres dirigeants, les gestionnaires pourraient être tentés de manipuler les résultats comptables pour influencer l’évaluation de l’entreprise qu’ils dirigent. Cependant, en analysant un échantillon de fusions complétées aux États-Unis sur la période 1985-1990, Erickson et Wang (1999) ne documentent pas de gestion des accruals par les dirigeants de la cible autour des dates d’annonce d’acceptation et de réalisation de la transaction. Ils attribuent l’absence de manipulation des accruals discrétionnaires au timing de la transaction. En effet, à la différence des dirigeants de l’acquéreur qui sont en mesure d’identifier et de planifier le moment de l’acquisition, les dirigeants de la cible pourraient ne pas anticiper le lancement de l’offre publique et seraient moins susceptibles de pratiquer une gestion opportuniste à la hausse des résultats comptables (André et al., 2003).
17Enfin, North et O’Connell (2002) testent de leur coté l’impact de la méthode de financement de la transaction sur la gestion des accruals discrétionnaires par les dirigeants de la société cible. Lors d’un financement par échange d’actions, les actionnaires de la cible se retrouvent le plus souvent actionnaires de la société résultante et, donc, dans une position plus risquée que s’ils avaient été payés exclusivement en espèces. En réponse à cette incertitude accrue, North et O’Connel (2002) soutiennent que les dirigeants de la société cible chercheront à améliorer le ratio d’échange en contrepartie du risque plus élevé que leurs actionnaires devront assumer. Ainsi, les dirigeants de la cible pourraient gérer à la hausse les résultats dans l’objectif de négocier un ratio d’échange plus favorable avec les dirigeants de l’acquéreur. Leurs résultats révèlent que le mode de financement de la transaction affecte significativement la gestion des accruals discrétionnaires. Pour les transactions financées par actions, ils notent que les accruals discrétionnaires sont significativement positifs au cours du trimestre précédant l’offre et il en est de même pour le trimestre suivant. Cette gestion à la hausse des résultats est obtenue surtout à travers la manipulation d’éléments du besoin en fond de roulement (c’-à-d. comptes clients et fournisseurs notamment).
3.3 – Gestion des résultats comptables lors des Management Buy-Out (MBO)
18Les propositions de rachat de l’entreprise par les cadres dirigeants (MBO) constituent également un contexte propice à la manipulation opportuniste des résultats. Compte tenu de l’asymétrie d’information entre les actionnaires et les dirigeants, ces derniers disposent d’une meilleure connaissance des perspectives futures ainsi que de la « juste » valeur de l’entreprise. Les dirigeants peuvent donc chercher à gérer à la baisse les résultats au cours des périodes précédant la proposition de MBO, l’objectif étant de payer le plus bas prix possible aux actionnaires.
19Les études menées à ce jour sur la gestion des résultats comptables dans le contexte des MBO obtiennent des résultats contradictoires. La première étude significative sur le sujet mesure l’évolution des accruals d’un échantillon de 64 sociétés ouvertes américaines ayant fait l’objet d’un MBO entre 1973 et 1982 (DeAngelo, 1986). En utilisant un modèle simple qui suppose que les accruals discrétionnaires de l’exercice en cours devraient correspondre au total des accruals de l’exercice précédant, elle ne peut confirmer l’hypothèse d’une gestion systématique à la baisse des résultats comptables durant la période précédant la proposition de MBO. L’auteure attribue l’absence de résultats significatifs à l’attention particulière que suscite ces transactions auprès des auditeurs, des banquiers d’af-faires ainsi que des investisseurs institutionnels qui engagent régulièrement des poursuites judiciaires à l’encontre des dirigeants qui initient ces opérations de MBO.
20Certaines limites méthodologiques observées chez DeAngelo (1986) incitent Perry et Williams (1994) à réexaminer la question. Ils utilisent une mesure plus sophistiquée de la gestion des accruals, soit celle proposée par Jones (1991). De plus, ils limitent leur analyse aux propositions de MBO qui n’ont pas été initiées suite à une OPA. [8] Dans la mesure où la manipulation des résultats dans le contexte des MBO présuppose que les dirigeants ont bien planifié leur proposition, il est peu probable de détecter une gestion à la baisse des résultats lors des transactions initiées par les dirigeants en réaction à des OPA hostiles. Leur échantillon comprend 175 sociétés américaines ayant fait l’objet d’une proposition de rachat initiée par les dirigeants durant la période 1981-1988. Les résultats font ressortir une gestion systématique à la baisse des résultats au cours de l’année qui précède le lancement de l’offre de rachat par les dirigeants. En répliquant leur méthodologie sur l’échantillon de DeAngelo, Perry et Williams n’observent pas une gestion à la baisse des résultats comptables lors de l’année précédant le MBO.
21Wu (1997) propose une méthodologie différente pour analyser les manipulations comptables d’un échantillon de 87 firmes faisant l’objet d’une proposition de MBO sur la période 1980-1987. La manipulation des résultats est évaluée par le changement des résultats ajusté au niveau de l’industrie (industry adjusted changes in earnings). Les résultats de Wu (1997) font ressortir que les dirigeants diminuent significativement les résultats comptables au cours de l’année qui précède la proposition de rachat. Par ailleurs, en répliquant sa méthodologie sur l’échantillon de DeAngelo (1986), Wu observe, contrairement aux résultats de DeAngelo, une manipulation à la baisse des résultats comptables au cours de la période précédant le MBO.
22Le Nadant (1999) examine la gestion des accruals discrétionnaires d’un échantillon de 118 LBO comprenant 60 MBO en France entre 1994 et 1997. En se basant sur le modèle de DeAngelo (1986) pour l’estimation des accruals discrétionnaires, elle n’observe pas une manipulation significative à la baisse des résultats au cours de la période précédant la proposition de rachat. Plus récemment, Begley et al. (2003) analysent l’impact des mécanismes de gouvernance sur la gestion des résultats lors des propositions de MBO. A cet effet, ils examinent les accruals anormaux [9] d’un échantillon 79 firmes faisant l’objet d’une proposition de MBO entre 1984 et 1987. Conformément aux études de Perry et Williams et de Wu, ils documentent une manipulation à la baisse des résultats comptables au cours de l’année précédant la proposition de MBO. Leurs résultats montrent également que certains mécanismes de gouvernance semblent dissuader les dirigeants de manipuler les résultats au cours de l’année précédant la proposition de MBO. En particulier, la présence d’administrateurs indépendants sur le conseil d’administration, ainsi que l’octroi d’un régime de rémunération incitatif basé sur les actions, réduit significativement le niveau de manipulation des résultats comptables. Toutefois, la structure de propriété ainsi que le niveau d’endettement ne semble pas affecter la gestion opportuniste des résultats.
23Au terme de cette revue de la littérature pertinente, force est de constater la divergence des résultats des études antérieures relatives à la gestion des résultats dans le contexte des fusions et acquisitions. L’examen de cette question dans le contexte suisse, caractérisé par un environnement amical de prises de contrôle, permet d’enrichir la littérature comptable. Il convient cependant de noter que les motivations à la gestion des résultats sont différentes selon le caractère amical ou hostile de l’offre d’acquisition. En effet, les transactions hostiles sont de nature disciplinaire et visent souvent à destituer l’équipe de direction en poste et la remplacer par une nouvelle équipe qui aura pour mission de mettre en œuvre des stratégies différentes et de corriger l’inefficience managériale précédente (Morck et al., 1988). Ainsi, les dirigeants des cibles de transactions hostiles sont tentés de gérer à la hausse les résultats comptables au cours des périodes précédant l’initiation de la transaction pour convaincre les actionnaires de la cible de rejeter l’offre.
24En revanche, les dirigeants de cibles de transactions amicales sont généralement maintenus en poste après la transaction pour la poursuite de l’application du plan stratégique négocié [10] (Morck et al., 1988 ; Dahya et Powell, 1998). Ainsi, ils sont plutôt motivés de gérer à la baisse les résultats comptables au cours des périodes qui précèdent l’annonce de la transaction pour faciliter la conclusion de l’acquisition, tout en présentant de meilleurs résultats au cours de la période post-acquisition (Eddey et Taylor, 1999). Par conséquent, la présente recherche émet l’hypothèse d’une gestion à la baisse par les dirigeants des cibles d’offres amicales au cours de l’année précédant la transaction.
Encadré 1 : Gestion des résultats comptables lors des offres publiques d’acquisition
4 – Méthodologie de recherche
4.1 – Sélection de l’échantillon
25L’échantillon de recherche a été déterminé à partir de la base de données SDC Worldwide Mergers & Acquisitions. Pour faire partie de l’échantillon, les firmes devaient répondre aux critères suivants : (1) la société doit être cotée à la bourse suisse (Swiss Exchange – SWX) ; (2) la société doit avoir fait l’objet d’une OPA entre 1990 et 2002 ; (3) les entreprises doivent publier toutes les données comptables et financières nécessaires à cette étude. Ces données sont disponibles dans les bases de données des universités de Genève et de Lausanne. Sur un nombre total de 138 offres d’OPA sur la période (concernant 96 firmes), ces critères ont réduit la sélection à 50 firmes cibles d’une offre d’acquisition. Une première analyse de l’échantillon de recherche a permis de constater qu’il comprend exclusivement des offres d’acquisition amicales, portant en moyenne sur 57 % des droits de vote de la société cible. Compte tenu de la concentration de la propriété qui caractérise le contexte suisse (Faccio et Lang, 2002), il n’est pas surprenant que le transfert du contrôle des entreprises se fasse sur une base amicale et négociée entre les directions des deux entreprises impliquées dans la transaction. Par ailleurs, l’échantillon de recherche a été apparié à un échantillon de firmes de contrôle n’ayant pas fait l’objet d’une OPA et qui ont été sélectionnées selon les critères de l’industrie (Code SIC à deux chiffres ; SIC : Standard Industrial Classification) et la taille (mesurée par le total du chiffre d’affaires). Le tableau 2a présente des statistiques descriptives des firmes de l’échantillon test et celui de contrôle au cours de l’année qui précède l’initiation de la transaction. Le tableau 2b permet d’indiquer qu’il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes au niveau de leurs caractéristiques financières, leur structure de propriété, la qualité de l’auditeur et le nombre de marchés boursiers auxquels l’entreprise est cotée.
Description des firmes de l’échantillon (en millions de Francs suisses)(*)
Description des firmes de l’échantillon (en millions de Francs suisses)(*)
(*) Flux de trésorerie provenant des activités d’exploitation. La variable « Dilution du capital » représente le pourcentage de droit de vote non détenu par les principaux actionnaires (1 – droits de vote des principaux actionnaires). « IFRS » indique le pourcentage d’entreprise utilisant les IFRS (International Financial Reporting Standards). « BIG 4 » représente le pourcentage d’entreprise recourant à des cabinets d’audit faisant partie dit des BIG 4 (KPMG, PWC, E&Y et Deloitte). Enfin, la variable « Bourse étrangère » représente le pourcentage d’entreprise cotée en Suisse et sur une autre place étrangère.Comparaison des moyennes des statistiques desciptives
L’indice 0 désigne les firmes de l’échantillon de contrôle alors que 1 désigne les firmes de l’échantillon test. Les valeurs des t et Z proviennent des tests de Student et de Mann-Whitney (sous l’hypothèse d’une absence de différence entre les firmes cibles et de l’échantillon de contrôle). La moyenne et le rang pour chaque sous-échantillon sont représentés respectivement par ? et R.4.2 – Modèles de régression et définition des variables
26Cette recherche s’intéresse à la gestion des résultats au cours de l’année fiscale terminée avant celle de l’initiation de l’offre d’acquisition. Cette période est considérée par la recherche comptable (Perry et Williams, 1994 ; Eddey et Taylor, 1999 ; Guan et al., 2004) comme étant celle où il serait possible de bien observer la manipulation des résultats même si cette gestion des résultats pourrait avoir eu lieu plusieurs années avant le lancement de l’offre d’acquisition.
27En outre, les dirigeants d’entreprises cibles d’offres amicales d’acquisitions tenteront de gérer les résultats comptables à travers la manipulation des accruals sur lesquels ils exercent un contrôle, c’est-à-dire la portion discrétionnaire. Pour déterminer le montant des accruals discrétionnaires, il convient tout d’abord de déterminer le montant total des accruals (TA). Ce dernier est calculé comme étant le changement des éléments du besoin en fonds de roulement hors trésorerie moins les charges d’amortissement (Dechow et al., 1996).
29Le total des accruals est alors décomposé en une portion discrétionnaire et une deuxième portion non discrétionnaire, dans la mesure où la gestion des résultats porte uniquement sur la portion discrétionnaire. Cette distinction est faite au travers du modèle de Jones (1991) et sa version modifiée (Dechow et al., 1995). [11] Le modèle de Jones (1991), largement utilisé par les chercheurs en comptabilité, a l’avantage de prendre en compte les facteurs qui échappent au contrôle des dirigeants alors qu’ils affectent les accruals de l’entreprise. Ce modèle introduit deux facteurs de contrôle : le chiffre d’affaires (CA) et le total des immobilisations (IMMO). La variable « Chiffre d’affaires » permet de prendre en compte divers facteurs de l’environnement économique qui ont un impact sur les accruals. Les immobilisations servent à tenir compte de la portion non discrétionnaire relative à la charge d’amortissement. Le modèle de Jones (1991) ainsi se présente comme suit :
31La version modifiée du modèle de Jones prend en considération la variation des comptes clients (CC) et se présente comme suit :
33Les paramètres des équations (1) et (2) sont obtenus par une estimation selon les moindres carrés ordinaires (MCO). Toutes les variables de la régression sont standardisées par Ai,t-1 (le total de l’actif à la fin de la période t-1) pour atténuer les problèmes d’hétéroscédasticité. [12] En raison de non disponibilité de données chronologiques suffisantes pour l’estimation des modèles de régression par firme, les modèles sont estimés par industrie (regroupement des sociétés par code SIC à un chiffre). Pour cela, les modèles ont été estimés sur le nombre d’années le plus élevé en fonction de la disponibilité des données relativement aux années qui précèdent la période de manipulation des résultats, telle qu’indiquée dans le tableau 2c.
Nombre d’observation-années par Code SIC
Nombre d’observation-années par Code SIC
34Cette procédure permet d’obtenir des estimations des paramètres (ai et bi) par industrie pour toutes les firmes de l’échantillon. L’équation (3) présente la procédure de calcul des accruals discrétionnaires (ou accruals anormaux) selon le modèle de Jones (1991) alors que l’équation (4) illustre l’approche adoptée selon la version modifiée du modèle.
ADi,p | = Accruals discrétionnaires pour la firme i durant la période p, |
ai, bj,i | = Coefficients estimés (j = 1,2) pour la firme i |
p | = Périodes de manipulation des résultats. |
5 – Résultats
35L’hypothèse de gestion des résultats comptables dans le cadre des fusions et acquisitions prédit que les dirigeants d’entreprises cibles de transactions peuvent avoir des motivations différentes à la gestion des résultats comptables selon le caractère amical ou hostile de la transaction. Les dirigeants des cibles de fusions négociées sur une base amicale sont tentés par une gestion à la baisse des résultats au cours de l’année précédant l’initiation de l’offre d’achat. Le tableau (3) présente le niveau moyen et médian des accruals discrétionnaires estimés selon le modèle de Jones (1991). Les résultats obtenus soutiennent l’hypothèse de gestion des résultats comptables au cours de l’année qui précède l’annonce de l’acquisition. Le niveau moyen des accruals discrétionnaires pour les firmes de l’échantillon test est négatif et statistiquement différent de zéro (moyenne = -0,0383 ; médiane = -0,0269). Les firmes de l’échantillon de contrôle affichent un niveau moyen d’accruals discrétionnaires légèrement négatif mais non significativement différent de zéro (moyenne = -0,0085 ; médiane = 0,0092). De plus les résultats du tableau (3) font ressortir que la gestion des résultats par les dirigeants cibles d’acquisitions se limite à l’année précédant l’acquisition (Année t-1). Les accruals discrétionnaires sont certes négatifs au cours de l’année t-2 mais ne sont pas significativement différents de zéro. Ces résultats suggèrent que les dirigeants des firmes suisses sujettes à des offres d’acquisitions amicales procèdent à une gestion opportuniste des résultats au cours de l’année qui précède celle de l’annonce de la transaction.
36Le tableau (4) présente les résultats de la comparaison des niveaux moyens des accruals discrétionnaires totaux entre les deux groupes test et de contrôle. Les tests paramétriques ainsi que non paramétriques font ressortir une différence significative entre les deux groupes au cours de l’année précédant celle de la transaction. Ces résultats confirment ceux du tableau (3) et montrent que les dirigeants des firmes suisses cibles de transactions amicales manipulent à la baisse les résultats comptables au cours de l’année qui précède celle d’initiation de la transaction.
Modèle de Jones (1991)(*),(**),(***)
Modèle de Jones (1991)(*),(**),(***)
(*), (**), (***) significativement différent de zéro à un niveau de 10 %, 5 % et 1 % respectivementComparaison des moyennes(*),(**),(***)
Comparaison des moyennes(*),(**),(***)
(*), (**), (***) significativement différent de zéro à un niveau de 10 %, 5 % et 1 % respectivement.L’indice 0 désigne les firmes de l’échantillon de contrôle alors que 1 désigne les firmes de l’échantillon test. Les valeurs des t et Z proviennent des tests de Student et de Mann-Whitney (sous l’hypothèse d’une absence de différence entre les firmes cibles et de l’échantillon de contrôle). La moyenne et le rang pour chaque sous-échantillon sont représentés respectivement par ? et R.
37Les tableaux (5) et (6) présentent le niveau moyen et médian des accruals discrétionnaires estimés selon la version modifiée du modèle de Jones (1991) ainsi que les résultats des tests de comparaison des moyennes entre les firmes cibles d’OPA et celles de l’échantillon de contrôle. Ces résultats confirment ceux obtenus selon le modèle de Jones. Ainsi, les accruals discrétionnaires de l’échantillon test sont négatifs au cours de l’année précédant celle de l’acquisition (moyenne = -0.0337 ; médiane = -0,0249) et statistiquement différents de zéro. En revanche, les accruals discrétionnaires des firmes de l’échantillon de contrôle sont légèrement positifs mais ne sont pas significativement différents de zéro (moyenne = 0.0008 ; médiane = -0.0026). De plus, les tests paramétriques et non paramétriques font ressortir des différences significatives entre les deux groupes d’entreprises.
Modèle de Jones modifié(*),(**),(***)
Modèle de Jones modifié(*),(**),(***)
(*), (**), (***) significativement différent de zéro à un niveau de 10 %, 5 % et 1 % respectivementComparaison des moyennes(*),(**),(***)
Comparaison des moyennes(*),(**),(***)
(*), (**), (***) significativement différent de zéro à un niveau de 10 %, 5 % et 1 % respectivement.L’indice 0 désigne les firmes de l’échantillon de contrôle alors que 1 désigne les firmes de l’échantillon test. Les valeurs des t et Z proviennent des tests de Student et de Mann-Whitney (sous l’hypothèse d’une absence de différence entre les firmes cibles et de l’échantillon de contrôle). La moyenne et le rang pour chaque sous-échantillon sont représentés respectivement par et R.
38Les résultats obtenus dans le cadre de cette recherche diffèrent de ceux des recherches antérieures (Easterwood, 1998 ; Erickson et Wang, 1999 ; North et O’Connel, 2002 ; Guan et al., 2004) qui se sont intéressées exclusivement à la problématique de la gestion des résultats dans un contexte américain caractérisé par un marché des prises de contrôle hostile. Dans un tel contexte, les dirigeants des cibles de prises de contrôle sont incités à gérer à la hausse les résultats comptables pour convaincre les actionnaires de rejeter l’offre d’acquisition. En revanche, les résultats de la présente recherche concordent avec ceux obtenus par Eddey et Taylor (1999) dans le contexte Australien qui documentent une gestion à la baisse des résultats comptables autant par les dirigeants qui recommandent l’acceptation de l’offre d’acquisition que par ceux qui recommandent le rejet de la proposition d’achat à leurs actionnaires. Les résultats de cette étude sont également cohérents avec ceux de Thauvron (2000) qui a noté une gestion à la baisse des résultats comptables par les dirigeants des cibles d’offres de renforcement du contrôle ou de fermeture sur le marché français. Ces résultats statistiques suggèrent que sur le marché suisse des prises de contrôle, où les transactions de fusions et acquisitions sont négociées sur une base amicale, les dirigeants des sociétés cibles peuvent avoir des motivations différentes à la gestion des résultats. Dans la mesure où les prises de contrôle (de l’échantillon de l’étude) sont toutes amicales, les motivations des dirigeants des entreprises cibles se rapprochent du cas des MBO, où le but de la gestion à la baisse des résultats comptables est de baisser le prix des titres. Dans le cas présent, cet objectif est cohérent avec une volonté de faciliter la transaction, puisqu’elle est amicale.
6 – Conclusion, limites et axes de recherche
39Cette recherche examine la gestion des résultats comptables par les dirigeants des firmes sujettes à des offres d’acquisitions en Suisse. Le contexte suisse offre un cadre intéressant pour l’examen de cette question de recherche. La réglementation comptable suisse offre une grande flexibilité aux dirigeants dans le choix des pratiques comptables. De plus, comme d’autres pays européens, la Suisse se caractérise par une concentration de la propriété et le contrôle des sociétés cotées en bourse (Faccio et Lang, 2002) et par un environnement de prises de contrôle amical. Cette recherche se propose donc de contribuer à la littérature comptable à travers l’analyse de la gestion des résultats dans le cadre d’acquisitions négociées sur une base amicale.
40Les résultats statistiques montrent que les dirigeants des firmes sujettes à des offres d’acquisitions amicales procèdent à une gestion à la baisse des résultats comptables durant l’année qui précède celle de l’annonce de la transaction. Ces résultats diffèrent de ceux obtenus par les études américaines qui ont surtout examiné la gestion des résultats par les dirigeants de cibles de transactions hostiles. Dans un environnement de prises de contrôle hostiles, les dirigeants des firmes cibles sont incités à gérer à la hausse les résultats durant les périodes qui précèdent l’annonce de la transaction. Les résultats de cet article suggèrent que dans un environnement de prises de contrôle négociées sur une base amicale, comme le contexte suisse, les dirigeants des firmes cibles ont des motivations différentes pour la gestion des résultats comptables. Ces résultats soulignent l’importance de la distinction entre les transactions amicales et hostiles dans les études portant sur les choix comptables adoptés par des firmes impliquées dans des transactions de fusions et acquisitions. Ces résultats doivent toutefois être interprétés en prenant en considération certaines limites. En effet, l’étude des choix comptables d’un échantillon plus important de firmes impliquées dans des transactions de fusions et acquisitions dans le contexte européen pourrait être une bonne extension à cette recherche. De plus, étant donné que les firmes suisses cotées sur le marché principal doivent, à partir du 1er janvier 2005, présenter leurs états financiers en conformité avec les normes IFRS ou les US GAAP, les recherches futures pourraient également évaluer l’impact de ce changement réglementaire sur la pratique de gestion des résultats.
41Remerciements : Les auteurs remercient les professeurs Bernard Raffournier et Alfred Stettler ainsi que les participants aux ateliers de recherche de l’Université de Lausanne et du 26ème congrès annuel de l’AFC (Lille, 2005) pour leurs remarques et suggestions constructives.
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Mots-clés éditeurs : accruals discrétionnaires, prises de contrôle, gestion des résultats
Mise en ligne 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/cca.131.0137Notes
- [1]
-
[2]
Le Nadant (1999) ainsi que Thauvron (2000) ont analysé la gestion des résultats dans le contexte des opérations de LBO et de fermeture du capital en France.
-
[3]
Par souci de simplification, le terme anglais accruals est utilisé dans cet article. Il correspond en France aux produits et charges calculés et/ou décalés.
-
[4]
Les règles et principes comptables généralement admis en Suisse pour les entreprises par actions sont édictés par les articles 662 à 673 du CO.
-
[5]
Le recours exclusif aux normes IFRS ou US GAAP à partir de 2005 sur le marché principal de la Bourse Suisse (SWX) ne concerne pas la période examinée dans cette étude (1990-2002).
-
[6]
Voir Jeanjean (2001) et Stolowy et Breton (2003) pour une revue de la littérature portant sur la gestion des résultats comptables.
-
[7]
Les lois des valeurs mobilières australiennes exigent des dirigeants de l’entreprise cible qu’ils transmettent aux actionnaires une recommandation quant à l’offre reçue.
-
[8]
En fait, quatorze des soixante quatre transactions de MBO de l’échantillon de DeAngelo (1986) ont été initiées par les dirigeants suite à une OPA hostile.
-
[9]
Les accruals sont “anormaux ” lorsqu’ils divergents d’une valeur estimée à partir de données passées de l’entreprise concernée ou des entreprises d’un même secteur industriel.
-
[10]
En analysant un échantillon de 92 cibles d’OPA en Grande Bretagne au cours de la période 1989-1992, Dahya et Powell (1998) trouvent que les dirigeants des cibles de transactions hostiles sont plus fréquemment destitués et remplacés par une nouvelle équipe dirigeante que ceux des cibles de transactions négociées sur une base amicale.
-
[11]
Dechow et al. (1995) montrent que le pouvoir d’estimation des accruals discrétionnaires du modèle de Jones (1991) ainsi que de la version modifiée de ce modèle est supérieur à celui d’autres modèles d’estimation des accruals discrétionnaires en particulier ceux de Healy (1985) et de DeAngelo (1986).
-
[12]
Les termes d’erreur des régressions ont également été corrigés selon la procédure de White (1980).