Couverture de COMMU_104

Article de revue

La culture contemporaine du viol

Mise en scène, signe de domination, arme en temps de guerre

Pages 161 à 177

Notes

  • [1]
    La bibliographie qui traite de la sexualité comme champ sémiologique est considérable depuis les années 1970 en sciences sociales, depuis surtout les travaux de Michel Foucault jusqu’à ceux de Michel Bozon, entre autres. Mais ici notre perspective est celle de la représentation concrète de l’acte sexuel dans les images les plus diffusées, celles des films d’aventures populaires et des grandes séries dont le succès est massif.
  • [2]
    La violence visuelle de l’acte sexuel est à l’origine des analyses freudiennes sur « la scène primitive », quand l’enfant surprend (ou fantasme) le coït parental, Sigmund Freud, Cinq psychanalyses. L’Homme aux loups. À partir de l’histoire d’une névrose infantile (1914), Paris, Presses universitaires de France, 1992.
  • [3]
    Sur la visibilité croissante des scènes sexuelles violentes, cf. Cécile Morin, « Sexualité et redistribution des pouvoirs dans les séries américaines », Hermès, 2014/2, n° 69, p. 97-101.
  • [4]
    L’emphase sur la beauté des caractères sexuels secondaires du corps humain aurait à voir avec un rejet comme laid du spectacle de la sexualité génitale ; cf. Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, Paris, Presses universitaires de France, 1971, p. 29.
  • [5]
    Federico García Lorca, Jeu et théorie du Duende (1933), Paris, Allia, 2008, p. 23.
  • [6]
    Le nombre de suicides d’adolescentes liés à un harcèlement visuel où les images de leur sexualité sont exhibées publiquement sur les réseaux sociaux est en augmentation, en particulier aux États-Unis, cf. Jean M. Twenge, Thomas E. Joiner, Megan L. Rogers, Gabrielle N. Martin, « Increases in Depressive Symptoms, Suicide-Related Outcomes, and Suicide Rates Among U.S. Adolescents After 2010 and Links to Increased New Media Screen Time », Clinical Psychological Science, vol. 6, n° 1, 2017, p. 3-17, https://doi.org/10.1177/2167702617723376.
  • [7]
    La célèbre toile de Gustave Courbet (1866) fut gardée cachée par Jacques Lacan de 1955 à sa mort en 1981.
  • [8]
    La Fontaine, Contes et nouvelles en vers, 1665 : « Amaryllis, pensez-y bien / Aimer sans foutre est peu de chose / Mais foutre sans aimer n’est rien. »
  • [9]
    Roman de Balzac paru en 1836, où l’amour intense de l’héroïne ne peut se réaliser physiquement… Elle en mourra.
  • [10]
    Dans le feuilleton français Plus belle la vie (création Hubert Besson, France 3, hebdomadaire depuis le 30 août 2004, fourchette de records d’audience entre 4 millions et plus de 6 millions d’auditeurs), le lien va de soi entre amour et sexualité. Cf. Laurence Corroy, « Plus belle la vie, une éducation sentimentale “à la française” des jeunes et des seniors ? », Le Télémaque, vol. 37, n° 1, 2010.
  • [11]
    Dominique Rouger-Thirion, romaniste, a rappelé cette étymologie dans son exposé « Impudicitia, ou comment les Romains pensaient le harcèlement sexuel », table ronde sur « Le Harcèlement », 15 novembre 2018, Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Université Panthéon-Assas Paris 2.
  • [12]
    Cf. Véronique Nahoum-Grappe, « Imaginaire de la purification ethnique », in Françoise Héritier (dir.), De la violence, t. I, Paris, Odile Jacob, 1996 (rééd. 2005).
  • [13]
    Le film documentaire Le Cri étouffé de Manon Loiseau (2017) sur les viols en Syrie montre à quel point ces pratiques sont contemporaines.
  • [14]
    Voir notamment Myriam Cottias, Allessandra Stella et Bernard Vincent (dir.), Esclavage et dépendances serviles, Paris, L’Harmattan, 2006, et Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas, Christelle Taraud, Sexe, race et colonies. La domination des corps du xve siècle à nos jours, Paris, La Découverte, 2018.
  • [15]
    Cette notion vient à la fois de l’étude des paysages urbains (Yan MacHarg’s, Design With Nature, New York, The Natural History Press, 1969) et de l’écologie de la pêche en mer (Daniel Pauly, « Anecdotes and the shifting baseline of fisheries », Trends in Ecology and Evolution, vol. 10, n° 10, 1995). Son importance pour les autres sciences sociales a été envisagée dans S. K Papworth, J. Rist, L. Coad et E. J. Milner-Gulland, « Evidence for shifting baseline syndrome in conservation », Conservation Letters, 141, 2008, p. 848-859, et Harald Welzer, Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au xxie siècle, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2009.
  • [16]
    Alexei Yurchak, Everything Was Forever, Until it Was no More : The Last Soviet Generation, Princeton, Princeton University Press, 2006.
  • [17]
    Depuis la création en 1993 du Tribunal pénal international ad hoc pour l’ex-Yougoslavie situé à La Haye, la définition des viols en temps de guerre comme crimes contre l’humanité a fait de plus en plus l’objet d’un travail juridique d’élucidation et de précision au sein des grandes législations internationales.
  • [18]
    Le 2 août 1992, le journaliste américain Roy Gutman publie dans Newsday le premier article concernant l’hypothèse de viols perpétrés de façon systématique (traduit dans Bosnie : témoin du génocide, Paris, Desclée de Brouwer, 1994). Par la suite, de nombreux travaux sur le thème du viol seront édités, entre autres : Georges Vigarello, Histoire du viol. xvie-xxe siècle, Paris, Seuil, 1998 ; Françoise Héritier (dir.), De la violence, 3 t., Paris, Odile Jacob, 1997 ; Raphaëlle Branche, Fabrice Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011 ; Susan Brownmiller, Against Our Will : Women and Rape, New York, Simon & Schuster, 1975 ; Jean-Pierre Chrétien, Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Kartala, 1995 ; Cécile Dauphin et Arlette Farge (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997.
  • [19]
    Le dernier rapport du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies sur la violence sexuelle dans les conflits a été présenté au Conseil de sécurité le 14 mars 2013. Le rapport passe en revue vingt-deux zones de conflit, y compris le Mali pour la première fois, et présente des informations sur les parties en conflit soupçonnées de façon crédible d’avoir commis ou d’être responsables d’actes de viol et d’autres formes de violence sexuelle. Cf. aussi le rapport de 2012 intitulé « Violence sexuelle liée aux conflits : rapport du secrétaire général », http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/66/657.
  • [20]
    Une étude systématique de Dara Kay Cohen (« Explaining Rape during Civil War : Cross-National Evidence, 1980-2009 », American Political Science Review, vol. 107, n° 3, 2013) cite (p. 467) la méta-analyse de quatre-vingt-six guerres civiles entre 1980 et 2009 dans le monde qui confirme l’étendue des viols de guerre calculée de façon extrêmement rigoureuse pour plus de trois quarts des cas. Les guerres où les armées régulières sont sur le champ de bataille, et non pas des milices autoproclamées, et les guerres dites de révolte (insurgents) sont les moins concernées.
  • [21]
    Cette idée d’une invasion et d’une destructio n d’une société d’origine par la reproduction démographique galopante de migrants venus d’ailleurs se rencontre dans les propagandes d’extrême droite de guerres récentes, comme au Liban dans les années 1970-1980 au sein des phalanges chrétiennes extrémistes, ou en Serbie contre les Albanais du Kosovo, ou en France, cf. le manifeste de Renaud Camus, proche du Front national, en septembre 2013 : « Non au changement de peuple et de civilisation ».
  • [22]
    Vanessa Fargnoli, Le Viol comme arme de guerre, Paris, L’Harmattan, 2012 ; Maryse Jaspard, De la violence contre les femmes, Paris, La Découverte, 2005 ; Sandrine Ricci, Avant de tuer les femmes vous devez les violer ! Rwanda : rapports de sexe et génocide des Tutsis, Paris, Syllepse, 2014 ; Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad, SurVivantes. Rwanda, dix ans après le génocide, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004 ; Dara Kay Cohen, « Explaining Rape during Civil War : Cross-National Evidence (1980-2009) », art. cité (voir sa bibliographie internationale conséquente) ; Marie Palitzyne, Les Violences sexuelles du génocide au Rwanda, l’imaginaire destructeur du genre et de l’ethnicité, mémoire de master 1 en sciences politiques, dir. Emmanuel Klimis, Université de Lille, 2015 ; Amélie Faucheux, Massacrer dans l’intimité : la question des ruptures de liens sociaux et familiaux dans le cas du génocide des Tutsis du Rwanda de 1994, thèse de sociologie, dir. Gloria Origi, EHESS, 2018 ; Stéphane Audouin-Rouzeau, Une initiation. Rwanda 1994-2016, Paris, Seuil, 2017.
  • [23]
    Cf. Dara Kay Cohen, « Explaining Rape during Civil War : Cross-National Evidence (1980-2009) », art. cité.
  • [24]
    « Ils pouvaient tout faire » est une parole de victimes survivantes souvent entendue par l’auteure dans les camps de réfugiés en ex-Yougoslavie (1992-1995) portant sur ces moments d’anomie et de prise de pouvoir local et provisoire d’un groupe de miliciens…
  • [25]
    Bien sûr, il s’agissait à Timișoara en 1989 pour une fraction du Parti communiste de garder la main sur la dénonciation des crimes de la police politique pour se maintenir au pouvoir grâce au sacrifice du couple des dictateurs… Toutes les propagandes de guerre imputent à l’ennemi des crimes relevant du sadisme sexuel, mais là les crimes étaient attribués à un pouvoir dont la diabolisation partielle a permis le maintien en tant que structure politique.
  • [26]
    Par exemple, les Roms de Roumanie ne furent libérés que le 20 février 1856, après cinq cents ans d’esclavage.

1La question du statut actuel du viol en termes de transgression morale et juridique s’inscrit dans un système de production d’images collectives : en ce début du xxie siècle s’est installée une exceptionnelle visibilité de la sexualité en acte dans la production contemporaine d’images. Faire l’amour est une séquence attendue dans de nombreux films et séries, la scène est codée, avec sa montée en intensité, son paysage sonore, son éventail de gestes et de formes. Toute une esthétique socialement (in-)acceptable dessine les modèles positifs ou négatifs du « comment faire l’amour » [1] ? Et la scène de viol, elle aussi, se retrouve en toute logique dessinée, formatée dans cette tournante d’images collectives.

Faire l’amour

2Le point central, phénoménologique ici, est que la scène sexuelle en acte n’est pas anodine : même heureuse, elle est toujours finalement brutale ou gênante à voir [2] – non à vivre. Le fait que ce champ d’images soit interdit ici comme obscène et immoral, promu frénétiquement dans le registre plus ou moins clandestin de la pornographie, ou tranquillement exhibé en toute normalité sur les écrans divers comme dans notre propre quotidienneté contemporaine, doit être questionné en dehors de toute morale. Le mécanisme systémique lié à l’usure des répétitions licites va dans le sens d’un accroissement des figures inventives sexuelles et favorise la montée en intensité visible. Ainsi, le chaste baiser sur la bouche fermée des amoureux filmés des années 1930 est devenu dévoration cannibale réciproque dans les séries des années 2018 ; la simple étreinte face à face a fait place à toute une série d’emboîtements secoués et baroques, et c’est tout naturellement que la fièvre du désir sexuel à son comble rencontre une violence de traitement de l’autre féminisé, une sorte de sauvagerie de la pénétration, preuve d’un désir/amour intense. Cette esthétique positive de la violence comme preuve du désir sera utilisée de façon récurrente dans ce régime de visibilité. La dérive vers un « style » sadien de la scène sexuelle positive socialement représentée s’effectue « tout naturellement ». Il y a entre répétition et sadisme un lien systémique : le « encore et encore » formate le « plus » et l’« autrement ». Cette évolution est sensible dans les séries [3]. C’est ainsi que la mise en spectacle de la sexualité en acte tend petit à petit à porter l’emphase sur une esthétique de la violence sexuelle. Il faut empêcher ici les dérives d’interprétation, si ce n’est le constat minimal d’une large acculturation visuelle contemporaine à une représentation sans tabou de l’acte sexuel, qui fut le plus souvent frappée d’interdit au cours de l’histoire européenne.

3L’accomplissement du désir/amour, le plus souvent hétérosexuel, mime avec une violence énigmatique (cette preuve paradoxale de l’intensité des désirs, et donc de leur vérité) la maltraitance et l’assassinat plus ou moins humiliant et violent de la femme qui se renverse en râlant « les yeux frits » au moment de la « petite mort ». Elle est « pénétrée », et cette pénétration est une possession non réciproque, c’est elle qui est « prise ». Et sa jouissance a le visage de la douleur. Cette violence non verbale de la scène physiologique produit son effet de désordre normatif au plan d’une réception collective : car la nudité organique crue est violente à voir [4]. Même amoureuse et positive, objet de rêves poignants et de désirs « qui brûlent le sang comme une pommade d’éclats de verre [5] », la scène sexuelle qui est promue à une existence visible dans notre culture apparaît comme violente, pleine de bruit, de fureur et d’incongruités organiques jusqu’à la mort du féminin surtout. Le corps féminin dénudé, secoué, renversé, etc., est au premier plan de cette exhibition sociale du désir-plaisir organique comme expérience normale et normée.

4Mais rendre socialement visible la sexualité en acte en dénie la dimension non visible : au plan neurocognitif, l’orgasme est un événement extatique non visuel, mieux ressenti en fermant les yeux. Voir faire l’amour trouble mais éloigne le spectateur de ce qui, dans la jouissance sexuelle, produit un arrêt de tout spectacle. L’emphase portée sur l’esthétique de la violence dans la représentation de la scène sexuelle a partie liée avec cet échec de l’expertise du regard pour appréhender dans son réel non visuel l’étrange avènement de l’orgasme.

5L’extension géographique de cette culture visuelle sexuelle serait à étudier : intense dans les aires culturelles occidentalisées et sécularisées, elle tend à une globalisation en partie rendue possible, même sous les régimes qui la censurent, par l’exceptionnelle avancée technologique des modes actuels de communication. Elle enveloppe de son bain d’images des systèmes de croyances explicites et divers : tant ceux qui posent comme positif, obligé, hygiénique, ontologiquement nécessaire au sujet individualisé de vivre un jour la scène sexuelle offerte aux yeux, que ceux qui en condamnent religieusement la vue comme source de péché. De façon plus générale et comme à bas bruit, les codes de civilité, de bonne éducation traditionnelle tentent toujours d’éloigner de l’espace public comme de la table familiale les images crues de la physiologie génitale de la sexualité, ces « funestes secrets » dont l’exhibition reste source d’une lourde gêne aussi puissante que la honte – même si dans les lieux d’exposition de l’art contemporain, le devoir regarder en face les corps sexués et torturés est de règle. La force de ces images en termes de sources de souillure et de honte reste très actuelle, surtout pour les très jeunes filles [6]. Même au sein d’une culture « libérée » des vieux interdits et abreuvée d’imageries sexualisées, les normes de civilité continuent de définir comme inconvenants, grossiers, impudiques, etc., tous ces tableaux de nudité sans voile, toutes ces agitations physiologiques gênantes. Et c’est ainsi que même le célèbre psychanalyste Jacques Lacan a caché le fameux tableau de Courbet L’Origine du monde, qui représente un sexe de femme et dont la force réaliste confine pourtant à une chasteté d’enfance [7].

6Sans doute la représentation récurrente de la scène en images est-elle liée au fait qu’elle est désirée intimement, fantasmée, lorsque l’« amour/désir », valeur majeure et injonction drastique dans notre culture, pousse l’une vers l’autre deux personnes. « Aimer sans foutre n’est pas grand-chose, mais foutre sans aimer n’est rien [8] » est un énoncé encore actuel : ce qui « est quelque chose », c’est le moment de fusion entre amour et désir. Dans nos imageries, l’union des corps est violemment sexuelle parce que intensément amoureuse. L’amour se prouve dans la sexualité, la scène sexuelle réalise l’amour dans le corps physique de la vie, la sexualité est le « faire » de l’amour. Elle l’accomplit, le fait exister réellement et non plus virtuellement. L’amour sans sexualité conduit à la mort l’héroïne sublime du Lys dans la vallée[9]. Et la jouissance solitaire d’une veuve Poignet reste orpheline… Si la sexualité humaine « fait » l’amour, comment est-il possible qu’elle fasse aussi la haine ?

Faire la haine

7À ce premier stade, phénoménologique, le viol utilise la sexualité comme instrument de torture : faire l’amour, ce comble du rêve amoureux, est mué en son contraire, à savoir faire la haine. L’acte sexuel convertit le jugement latent de mépris ou la haine explicite en rage du corps dans l’acte sexuel violent. Comme s’il s’agissait de faire entrer le sens de cette haine ou de ce mépris jusqu’au plus profond de la subjectivité physique de la victime. En ce sens, la pénétration violente fait la haine au sens où elle l’accomplit, la réalise dans la vérité du monde physique jusqu’au plus profond de l’intimité corporelle et subjective de son objet. La virtualité abstraite d’un mépris social, d’un stigmate socialement construit, ou d’une haine personnelle liée à un récit biographique individuel, bascule dans le réel du sang, de la chair, des hurlements qui noircissent l’horizon. En ce sens, le viol est beaucoup plus « culturel », situé, que la sexualité de désir, puisqu’il s’inscrit nécessairement dans cette construction sémiologique minimale que supposent tout mépris et/ou toute haine perçus comme légitimes. Plus le stigmate est collectif, évident, légitime, donc historique, moins le crime de viol qui concerne la victime de ce stigmate est perçu comme transgressif. La barbarie du crime de viol est due à son fort coefficient de fabrication culturelle collective. Le violeur d’une femme seule la nuit prendra ce fait purement social, la non-permissivité de circulation nocturne pour les femmes, comme signe d’une évidence de tranquille bon sens : si elle est là, la nuit sur ce trottoir, c’est qu’elle le fait – le trottoir. Le confort moral du violeur est un fait culturel.

8Le viol, c’est aussi un cumul d’identique qui redouble la violence de toute scène sexuelle même « heureuse », puisque la vérité de l’amour se démontre dans la violence du désir dans notre culture [10], d’une violence criminelle destructive, qui vise la douleur de la victime et sa destruction à ses propres yeux. Ce chiasme dû à l’investissement cumulé mais discordant de l’esthétique de la violence sexuelle, ici positive, là criminelle, joue sa partie dans l’efficacité destructrice du viol et augmente son coefficient de cruauté. Pourquoi les expressions des haines et mépris collectifs se réalisent-elles mieux dans la cruauté des sinistres mais abyssales jouissances de la domination sexuelle ? Pourquoi la physiologie de l’amour physique sert-elle de langage aux haines collectives ? Quelles que soient les réponses, utiliser le champ sémiologique de l’amour physique comme lexique de ces haines est une trouvaille systémique d’assouvissement au moyen, très exactement, d’une perversion.

9Le présent de la scène sexuelle amoureuse renvoie aux histoires individuelles de vie et de passions. Le présent de la scène sexuelle violente, un présent dont la cruauté infernale intensifie la dimension ponctuelle, son effet insulaire de violence qui plonge la victime dans un silence, un blanc, un vide de toute signification, s’inscrit pourtant bien dans une histoire collective en cours, celles des enjeux de pouvoir et de tensions politiques reconfigurées, quand circulent les énoncés instrumentalisés qui concourent à la fabrication d’un ennemi collectif, ce levier classique de toute propagande agonistique. L’appel à la haine clamé d’« en haut » dans les discours tenus sur les podiums, au fond des écrans, est un puissant facteur de légitimation subjective, cette autorisation intime offerte au violeur potentiel, ce feu qui passe au vert lors du passage à l’acte. Tout autour du présent de la scène de torture qu’est un viol, ce crime présenté comme un des plus éloignés de la civilisation, c’est le contexte culturel, d’une part, et celui de l’actualité historique en cours, d’autre part, qui jouent leur partie parmi des conditions plurielles de possibilité.

10Dans nos sociétés contemporaines ouvertes et complexes, c’est la sauvagerie organique de l’acte qui permet une efficacité exactement politique : la cible du viol est non pas la destruction physique, la mort de la victime, mais très exactement son identité sociale et morale telle que sa culture la définit à ses propres yeux : un nom, un visage, une silhouette décente et située à sa bonne place, dans le social comme dans le ventre, un blason de soi bien dessiné, porté sur une bague, un graphe écrit sur les traits du visage et dans le cercle vide de l’identité de soi appropriée en soi. C’est cela que le viol déplace à coups de boutoir dans la chaîne des êtres qui court de l’huître jusqu’à l’ange, et qui fait « chuter » le « je » vers les zones stigmatisées du « bas » social, dans le sale, le piétiné, le nu, au fond d’une plaie devenue forme du monde… En ce sens le viol est toujours un crime de profanation, qui prend pour cible le rond et le clair du « je », cette définition ethno-phénoménologique de l’identité propre.

11Le viol produit une déliaison radicale entre le soi physique et la personne sociale et morale en assassinant seulement cette dernière. Le viol est le meurtre de l’identité subjective intime sexuée : bien plus visiblement grave pour les femmes, il est un meurtre de genre. L’homme violé perd sa masculinité pour être rabattu du côté de la sexualité passive, toujours plus infamante que l’autre dans une culture de la virilité, mais la femme violée perd en tant qu’être global total toute sa valeur sur tous les plans (surtout dans une culture traditionnelle religieuse autour de la Méditerranée), et ce pour ses proches, donc pour elle-même. Le masculin et le féminin ne sont pas à égalité dans cette fabrique du déshonneur, la souffrance du masculin pouvant rester plus secrète, moins culturellement fameuse dans les théories et les récits que celle du féminin, dont la sexualité porte l’honneur et l’enfant de la famille. Il y a donc un lien entre statut de la sexualité dans une culture donnée, construction identitaire intime des subjectivités sexuées, et efficacité sociale et politique des crimes de viol.

12Dans notre culture contemporaine, le viol en temps de paix ou de guerre est a minima un crime de souillure qui a pour effet de salir la victime : dans un système de croyances plus ou moins religieux ou traditionnel, la profanation peut être posée comme définitive et radicalement infamante pour la victime. Mais, même dans une configuration culturelle contemporaine libérée des vieux tabous, le crime de souillure continue de salir la seule victime : quand on crache, on pisse, on éjacule sur (dans) elle, c’est elle qui doit se laver avec ses mains – alors que le cracheur/ violeur s’en lave les mains. Dans nos rues, les injures humiliantes choisissent les objets et substances du corps sexué ou digestif : si le brave « merde » transgenre inonde de sa puanteur l’ennemi de tous âges et sexes, les familiers et délicats « pute ! », « enculé ! », et « j’vais t’baiser ! » impliquent une dissymétrie aux effets dramatiques : la performance culturellement positive impliquée dans ces injures est celle de la sexualité phallique. Le doigt, le bras « d’honneur » sont des gesticulations mimétiques qui posent l’érection comme menace physique et signe de puissance : comme si la pénétration sexuelle était la preuve symbolique d’une domination politique. Le fait que ces injures privilégient la sexualité de pénétration définit le cercle des « pénétrés » – femmes, homosexuels passifs – comme des inférieurs, d’emblée dévalorisés, « baisés ». Les femmes, ce « sexe imbécile », expression trouvée dans des dictionnaires depuis Furetière (1690), manquent de force et d’intelligence, elles sont imbecillitas sexus, le sexe « sans bâton » (becilus[11]), il leur manque du vertical, du raide, comme une arme… elles sont privées de force physique, et donc de raison, d’intelligence, elles ont besoin d’une direction, d’un maître.

13Même dans nos sociétés qui ont séparé en droit l’État de la religion et tenté de poser l’égalité (entre les hommes entre eux, les femmes entre elles et entre les femmes et les hommes, donc une égalité qui se doit d’être immédiatement sociale et sexuelle), règne une sous-culture de la virilité dans de nombreux groupes sociaux, qui fait par exemple de l’injure « pute » une invective proférée aussi par les jeunes filles, et qui place la sexualité passive de l’« enculé » au sommet du bas social, si on ose dire…

Signe de domination : usage politique d’un crime continu

14Le viol en temps de paix ou de guerre est donc une forme de criminalité qui utilise la sexualité humaine sous quelque forme que ce soit comme moyen en vue d’une effraction physique spécifique dont le sens culturel touche et abîme l’intégrité morale et sociale de la victime quel que soit son sexe : dans les prisons, dans les groupes fondés sur un rapport de force violent, le but est l’humiliation par la profanation de l’intégrité corporelle. Le programme de destruction spécifique de cette torture, extrême pendant l’acte, n’inclut pas forcément le meurtre physique : la destructivité de l’acte criminel est continue, contrairement à l’assassinat, qui accomplit l’intention du geste meurtrier dans la mort immédiate et irrémédiable de la victime. La survie plausiblement dévastée (c’est le but du crime continu) des victimes des crimes de viol procure un levier spécifique d’action pour un pouvoir de domination qui préfère une armée d’automates encore vivants et consentants à un cimetière… Le viol permet de toucher autrui dans sa subjectivité apparemment la plus éloignée du politique, celle qui situe son champ d’exercice dans l’espace privé. C’est ici que la question du sexe de la victime prend tout son sens.

15Toute torture est un viol et tout viol est une torture, mais les violences sexuelles introduisent une dissymétrie d’acteurs et situations en fonction du sexe de la victime : seules les femmes violées peuvent se retrouver enceintes, c’est un butoir de la pensée au sens de Françoise Héritier. Le viol est donc pour elles un crime doublement continu qui touche ce que la plupart des cultures connues posent comme séquence heureuse socialement, la maternité. Il constitue une intrusion violente dans l’imaginaire de la filiation de tout le groupe d’appartenance de la victime : quand la transmission collective est pensée comme s’articulant plus de père en fils (le père social) que de mère en fille, le viol des femmes touche alors non seulement le futur d’une naissance née de la haine et de la violence, mais aussi la mémoire des racines communes : le viol des femmes est en ce sens aussi une tentative de gynocide, au sens où sa cible de destruction se situe très exactement dans cet espace où la définition collective du groupe (nationale, ethnique, communautaire, etc.) est posée comme se transmettant : le ventre des femmes [12]. Dans de nombreuses cultures religieuses et traditionnelles où l’honneur de la famille se définit par la sexualité contrôlée des femmes, l’effet de souillure entraîne un rejet tragique de la victime survivante, jusqu’au meurtre, jugé moins mauvais que le déshonneur. Les hommes finissent en fait le travail de la haine (celle du violeur) dans l’assassinat de leurs filles ou épouses, croyant « laver l’honneur » familial. La destructivité haineuse du viol a alors réussi à retourner l’espace de protection et de lien affectif familial puissant en son contraire, quand père et mère sont d’accord pour tuer leur enfant « pour l’honneur [13] ». Cet extrême de l’injustice tragique, qui dans certains cas cumule à la fois un sommet d’innocence pensable du côté de la victime (par exemple une très jeune fille de treize ans), la plus grande dissymétrie en termes de rapports de force à l’avantage du violeur (miliciens en groupes, armés, adultes) et le confort culturel d’impunité maximale pour les auteurs des faits (la victime sera considérée comme coupable d’emblée, même aux yeux « des siens » censés la protéger), est aussi sans doute un des plus inscrits historiquement dans l’histoire politique et démographique du monde. Lié à toute situation de domination qui choisit la violence pour s’imposer, dans l’espace privé ou public, il est donc en toute logique un des pires crimes du point de vue de l’injustice commise, mais un des plus fréquents, banalisés, futilisés, frappés d’impunité de l’histoire humaine, en temps de paix et de guerre.

16Ainsi, dans le système esclavagiste, comme pendant quelques siècles entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques [14], les violences sexuelles sont évidentes et légitimes, le corps de l’esclave appartenant au maître. L’impunité de ces crimes tient à leur statut dans la culture régnant au moment des faits. On doit faire l’hypothèse sociologique d’un vaste mécanisme de construction d’un déni collectif, assez efficace pour rendre secondaire, périphérique, oblitéré, ce qui est sous les yeux dans l’espace public, douleurs, tortures, injustices effroyables, comme condition de possibilité de l’institutionnalisation de grands crimes contre l’humanité. La mise en esclavage de populations entières fut institutionnalisée, banalisée pendant des siècles, bien que toujours dénoncée éthiquement et ponctuellement çà et là. Le commerce triangulaire intense qui a eu lieu entre Afrique, Amériques et Europe a changé la démographie de ces trois continents au moins autant par les déportations forcées que par la pratique des violences sexuelles contre les esclaves, sources d’un nombre immense de naissances de personnes métisses, au sang « mêlé ». La pratique massive et normalisée de ces crimes s’installe et devient invisible, faisant partie de l’immense évidence basique du monde présent… comme ce fut le cas pour la mise en esclavage, comme cela aurait pu être le cas avec une victoire militaire d’un Hitler qui prévoyait l’agrandissement de Birkenau. Le stigmate culturel s’accroît en négativité au fur et à mesure de l’institutionnalisation des crimes. La formation d’un contenu sémiologique efficace du stéréotype négatif, la sous-humanité des esclaves à cause de la couleur de leur peau, la non-humanité des juifs, l’imbécillité des femmes, est une des conditions de cette normalisation sociale. Le cercle de son évidence épaisse, inimaginable après coup lorsque tout a changé à la suite d’une défaite militaire (donc politique) majeure, semble envelopper l’horizon des possibles pendant qu’il dure. Une évolution historique de la pensée collective peut produire aussi un savoir qui délégitime in fine comme fausses et désuètes des croyances qui furent meurtrières, concernant la virginité des femmes par exemple, ou l’infériorité de certains groupes. La notion de shifting baselines (glissement de l’horizon de référence), venue de l’écologie maritime [15], est heuristique : il s’agit de ce mécanisme collectif culturel qui pose non seulement comme allant de soi mais aussi comme étant le seul réel, l’horizon de pratiques, normes, références en cours dans l’épaisseur du présent. Cette notion renforce en la dépsychologisant celle de déni collectif, cette condition nécessaire à la pratique des crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont institués et accomplis dans la plus banale des quotidiennetés : « Everything was forever, until it was no more[16]. »

17La différence des sexes est un fait qui concerne toutes les couches sociales, tous les horizons historiques : si la mise en esclavage pendant des siècles un jour a perdu sa force politique en tant que pratique licite normale immense, et est devenue transgression majeure, crime contre l’humanité relevant du droit, il est encore difficile, même en ce xxie siècle, de poser comme illicites les crimes de viol dans une telle évidence collective qu’ils tombent en désuétude. Les récentes avancées internationales en termes de dénonciation des violences sexuelles en temps de guerre et de paix ne semblent pas contredire dans les faits ces pratiques de violences contre les femmes, qui demeurent en grande partie minorées dans tous les champs sociaux où la domination masculine l’emporte. Par exemple, la violence des jeunes dans des établissements scolaires provoque beaucoup plus de condamnations publiques que la violence contre les femmes qui sévit dans les immeubles entourant les mêmes collèges, tellement plus importante statistiquement et plus meurtrière.

18Mais il faut aussi penser à l’autre pôle des situations de domination : les possibilités historiques d’échapper aux croyances qui lient sexualité et souillure pour de nombreuses femmes appartenant à une culture où le féminisme a conquis un espace de légitimité, comme dans de nombreuses classes moyennes occidentalisées depuis la seconde moitié du xxe siècle. Quand les femmes font des études, traversent librement l’espace public le jour, et tentent d’accéder à égalité à des champs professionnels les plus diversifiés, l’horreur du viol ne sera pas redoublée de l’assassinat moral et social qu’il produit ailleurs, dans ces groupes sociaux où règnent non seulement un système de croyances privilégiant une esthétique de la virilité agonistique, mais aussi la criminalisation idéologique de la sexualité féminine. L’entourage familial et social de l’étudiante ou de la femme active sera en outre à même de les protéger, de les aider, au lieu de les stigmatiser. La destructivité morale et sociale du viol en tant que crime continu est donc liée en partie au système de croyances en cours dans le groupe social auquel appartient la victime. En Occident, dans les styles de vie « moderne » laïcisées, la fin historique du tabou de la virginité ou la décriminalisation de l’avortement sont par exemple des données déterminantes pour les chances de survie des victimes. Mais globalement, et malgré ces avancées, les viols contre les femmes sont encore les crimes les plus fréquents, les plus tragiques, les plus universels socialement, et les moins dénoncés au cours de l’histoire. Le recours contemporain au viol comme arme de guerre en est un signe paradoxal, puisqu’ils sont depuis 1993 exceptionnellement judiciarisés [17], et exceptionnellement visibles dans un usage attendu et sans complexe par les forces militaires ou paramilitaires engagées sur le terrain d’un conflit.

Le viol comme arme de guerre

19Autant l’expression « viols en temps de guerre » désigne un stéréotype culturel – de tout temps il y a eu des viols en temps de guerre – et donc une possibilité attendue, autant l’expression « viols systématiques, comme arme de guerre », surgie en 1992 à l’occasion des guerres en ex-Yougoslavie [18], peut sembler étrange : une armée qui ordonnerait à ses soldats sur le front « violez ! » comme elle ordonne « tirez ! » ? Une armée occidentale contemporaine qui condamne le plus souvent les crimes contre les civils vaincus dans ses règles écrites et qui organiserait les « viols systématiques » comme tactique prescrite ? Cela apparaît comme peu crédible.

20Le rapport de force sur le terrain des combats s’organise autour d’un but politique (défendre un espace ou s’en emparer par la force) historiquement lisible, intégré et explicité dans les paroles et les actions. En revanche, tout ce qui est compris sous les vocables d’« atrocités de guerre », d’« erreurs », de « dommages collatéraux » et autres bavures qui incluent les crimes accomplis contre les civils, cruautés, vols et viols, semble extérieur aux récits historiques, aux logiques du conflit, à la montée aux extrêmes des tensions : les crimes et atrocités arrivent de surcroît et n’entrent pas dans la tactique guerrière en tant qu’armes, mais en tant que fatalité plausible.

21Pourtant, les rapports des Nations unies [19] estiment de 100 000 à 250 000 le nombre de femmes violées pendant le génocide rwandais (avril à juillet 1994), 60 000 environ pendant la guerre civile du Sierra Leone (1991-2002), environ 40 000 au Liberia (1989-2003), jusqu’à 60 000 dans l’ex-Yougoslavie (1989-1995) et 200 000 au moins en République démocratique du Congo [20]. Ces chiffres ne sont bien sûr qu’indicatifs, le chiffre noir des cas non dénoncés est travaillé de façon très précise et sans doute très hétérogène selon les situations.

22Au tournant des xxe et xxie siècles, dans notre monde contemporain, tous les continents ont été touchés par des conflits armés où les viols ont été massivement perpétrés non seulement comme atrocités, aléatoires effets des situations de guerre, mais aussi parfois comme moyen d’une destruction spécifique de l’ennemi inscrit au cœur de l’action guerrière, en plein champ de bataille, comme une autre arme pensable, possible, assumée, si ce n’est ordonnée explicitement. Autrement dit, pendant cette même période où le droit international prend en compte les viols en temps de guerre, comme crimes assez graves et sérieux pour être judiciarisés, sur le terrain, ces pratiques de viol massives et systématiques deviennent de plus en plus visibles. Sont-elles de plus en plus fréquentes ? Il semble très difficile d’effectuer des calculs : le nombre de femmes violées par les soldats russes à Berlin a été estimé à 100 000 (1945). En 1937, lors du sac de Nankin, on estime que l’armée japonaise a violé entre 20 000 et 80 000 femmes et enfants… Combien de viols pendant la guerre du Liban (1975-1990), dans les situations de domination coloniale depuis le xixe siècle, lors de la chute de Rome (476), celle de Carthage (176 avant J.-C.), celle de Jérusalem en 70, celle de 1187 ou lors des croisades ? L’histoire longue des guerres montre, depuis l’Iliade et l’Odyssée, ou l’Ancien Testament, l’évidence d’un traitement différentiel sexué des populations civiles vaincues dans la plupart des cultures anciennes : les hommes jeunes sont massacrés ou mis en esclavage et les femmes qui ne sont pas massacrées sont parfois enlevées, telles les Sabines, mises en esclavage, toujours sexuel pour elles, et engrossées par l’ennemi.

23Une hausse des viols en temps de guerre à la fin du xxe siècle n’est pas avérée. Mais cette pratique ne décroît pas non plus, même si sa dénonciation judiciarisée la rend plus visible. Notons qu’un des points communs des propagandes guerrières contemporaines use de l’instrumentalisation de l’histoire ancienne avec un recours à une autochtonie, fantasmée le plus souvent, d’être les « premiers sur cette terre » avant les envahisseurs, les intrus. Cette « terre » où les tombes des ancêtres témoignent de l’enracinement premier de l’arbre de filiation des « nôtres » est notre « chez-nous ». En ce début du xxie siècle, les militants d’extrême droite en France hurlent, les yeux embués : « On est chez nous ! » La valeur sémantique que prend le viol comme moyen d’exterminer l’ennemi collectif dans son avenir reproductif (le gynocide) s’additionne à son sens en tant que pulsion d’ancrage immédiat et symbolique dans un territoire perçu comme revenant de droit historiquement à ce camp du « nous » : ainsi, le viol devient une arme pensable dans la lutte contre « le grand remplacement [21] », ce fantasme récurrent d’une extinction de la « civilisation » d’origine à cause de l’invasion démographique interne de migrants étrangers et prolifiques… Le viol des femmes de cet ennemi de l’intérieur est alors une façon de défendre son « monde » propre d’une disparition démographique : si la sexualité de l’ennemi est la cause de ce « génocide silencieux », le ventre de la femme de l’ennemi devient logiquement un « champ de bataille » de plus… Les guerres cruelles de « nettoyage » ethnique voient se multiplier les crimes de viol.

24De plus, les viols en temps de guerre changent de sens politique : ils ne sont plus une conséquence aléatoire de la victoire, où les vainqueurs semblent trouver légitime, en tant que butin, non seulement la possession d’un espace, mais aussi des biens et des corps qui l’habitent : les scènes de viols et de pillages d’une « soldatesque ivre de vin et de sang », ce cliché littéraire ancien du « prix » de la conquête, pouvaient avoir lieu après la victoire sur le terrain, comme sa conséquence possible. Mais les viols massifs et systématiques commis dans certaines guerres contemporaines sont pratiqués à chaque stade du combat : ils font partie de l’attaque, comme une de ses tactiques, lorsque la situation sur le terrain est celle de combattants armés, réguliers ou irréguliers, face à des populations civiles désarmées, définies comme ennemies. L’extrême inégalité du rapport de force en leur faveur est alors une condition situationnelle de la possibilité de confondre les atrocités de guerre avec la guerre elle-même. Lorsque celle-ci s’effectue principalement dans ce cadre, et non entre deux armées à égalité, les atteintes aux droits humains contre les civils sont susceptibles de devenir la forme principale du combat : les massacres, viols et tortures contre l’ennemi non militaire de tous âges et sexes et défini collectivement deviennent alors des « armes » sur le terrain de cette guerre-là. Ces atteintes aux droits humains à l’encontre des civils ne sont plus des « bavures » ou des « dommages collatéraux », mais entrent de façon plus visible (donc plus systématique ?) dans les tactiques de destruction de l’ennemi collectif.

25La proximité des corps est une condition pour que se produisent les « violences sexuées ». Dans le scénotype classique des viols en temps de guerre, ces dernières se produisent surtout dans ce moment de la défaite, où, après les bombardements, une armée victorieuse déferle sur un territoire vaincu, comme celle des Japonais à Nankin (décembre 1937), ou des Soviétiques en Allemagne jusqu’à Berlin au printemps 1945. Massacres, déportations, tortures, dont les violences sexuées, sont alors commis à l’encontre des populations civiles, de tous les âges et sexes. Ce sont les conflits armés de terrain entre ennemis proches parfois situés à l’intérieur d’une même nation en train de se désagréger qui se sont multipliés à la fin du xxe siècle et qui ont rendu possible la visibilité d’un usage criminel de masse de la sexualité humaine [22].

26En temps de guerre, les situations d’anomie et de déstructuration provisoires des institutions emblématiques, qui rendent pensables et possibles les pratiques de violences sexuelles, se multiplient. Elles constituent un premier cadre matériel et sociologique permettant ce type de violences, comme les pillages et sans doute les autres atteintes aux droits masquées par la vulnérabilité accrue de toute une population locale. L’inégalité du rapport de force et cet effet de désocialisation dû à la guerre sur un terrain dévasté parfois et abandonné souvent par les structures institutionnelles en péril entraînent le renforcement d’une culture de la virilité rendue plus intense par l’esprit de corps du groupe, devenu l’unique lien social [23]. Le rôle de l’alcool, des chants, de l’amitié virile et de l’esprit de corps est aussi à intégrer ici. La fabrique d’une certitude collective de l’impunité des viols et tortures se construit à ce niveau-là, très quotidien, d’un rapport de force inégal dans lequel les plus forts « peuvent tout faire [24] ». Ils règnent en maîtres, festoient le soir, et usent d’un pouvoir absolu local sur le corps des vaincus.

27Le paramètre anthropologique crucial ici est celui qui fait intervenir la culture du combattant sur le terrain, le système de croyances de l’acteur principal, milicien ou soldat, situé au premier rang du front et auteur des violences sexuelles, mais également situé au dernier rang du pouvoir politique à l’œuvre, tout en bas de la hiérarchie des pouvoirs qu’il sert, et dont il doit interpréter et mettre en œuvre les choix stratégiques et tactiques. Ce système de croyances premier, partagé parfois par les femmes victimes ou actrices, définit la valeur de la virilité par la performance sexuelle. Partagée en temps de paix au sein des bandes qui pratiquent les viols collectifs, elle se retrouve dans les discours et paroles des miliciens sur le terrain qui posent comme normales et « bonnes à penser » ces pratiques. Les pratiques de viols collectifs, de tortures, de crimes, finissent avec le temps par souder dans un esprit de corps fanatisé les milices ou groupes de combattants irréguliers, par ailleurs dépendants du pillage de leurs victimes dans la logistique même de leurs actions. Leur cohésion première était souvent aléatoire, si ce n’est forcée par des abus pratiqués à l’encontre de leur propre corps : parfois incorporés de force très jeunes lorsqu’il s’agit d’enfants-soldats, les miliciens occasionnels ou professionnels sont unis non seulement sur les énoncés d’une propagande de guerre intense et redoutable, un véritable « safari idéologique », mais aussi grâce au quotidien des crimes commis, quotidien de plus en plus enivré et prédateur. Le programme de massacres organisé, puissant et implacable sur le terrain, se retrouve alors grandement facilité par un abus de pouvoir local et quotidien de plus en plus vertigineux sur tous les plans, source de cette étrange cohésion festive et sacrée au sein du groupe des bourreaux, que l’évidence collective de leur impunité cimente. La socialisation militaire au sein des armées régulières, avec ses normes explicites, semble freiner l’émergence de telles pratiques dans le groupe des combattants réguliers sur le terrain, en les faisant basculer dans la clandestinité.

28Un autre paramètre est l’efficacité de la propagande officielle en amont de l’action, mise en œuvre dans tous les projets de guerre, pour mieux construire la figure de l’adversaire. Elle s’appuie en général sur une histoire reconstruite en vue de caricaturer l’ennemi à éradiquer, toujours décrit comme le plus cruel possible, auteur de crimes atroces (où on retrouve les violences sexuelles et les pires cruautés) et toujours menaçant. L’idéologie d’une vengeance préventive fait agir les bourreaux, hommes et femmes au Rwanda, dans l’idée qu’ils ne font que renvoyer à l’ennemi ce que celui-ci leur a fait subir et pourrait leur faire subir à l’avenir. Les formes de la cruauté sur le terrain (les viols et les tortures) se retrouvent en miroir dans l’esthétique des images de la propagande de guerre qui a travaillé à rendre le pire possible. Plus l’accusation est fausse, plus l’atrocité des crimes est accentuée. Le faux d’une propagande outrée prépare donc le pire sur le terrain des guerres qu’elle déclare déjà dans ses choix verbaux, et où vont se multiplier de façon mimétique ces mêmes pratiques de cruauté extrême contre les ennemis censés les avoir effectuées en amont : elles sont alors mises en œuvre dans une exaltation collective vengeresse et préventive. En politique le faux produit le pire. Ainsi, l’éventrement de la femme enceinte est un des clichés de la violence sexuée de guerre portée à son comble et le plus significatif, car symétrique inverse de celui du viol suivi d’une grossesse forcée. Dans les deux cas, la cruauté vise les plus innocents, elle touche à cette identité de l’autre détesté en germe dans le fœtus. Dans les textes de Sade, c’est aussi le ventre de la femme enceinte qui est saccagé de façon systématique. Le viol de la femme enceinte et le meurtre de l’enfant encore dans son ventre relèvent du crime de profanation, celui qui touche à un état quasi sacré en temps de paix, la maternité. Cette image d’un pire pensable est le produit d’une haine ulcérée, douloureuse, hantée par d’horribles images diffusées par le mensonge politique. Les images du charnier fabriqué de Timișoara de décembre 1989 sont emblématiques : le corps martyrisé des femmes est utilisé comme puissant levier idéologique. L’usage politique des images des violences sexuées rend crédible une propagande qui fait revivre les anciennes différences : pour construire la haine elle force le trait au point de reconstruire un faux grossier de charnier. Fausses à Timișoara en 1989, ces cruautés extrêmes construites par le mensonge politique sont devenues vraies quelques années plus tard dans de nombreuses situations de « nettoyage ethnique » sur la planète [25] : c’est toute une esthétique de la cruauté qui s’est installée dans notre contemporanéité. La pratique des « viols systématiques » au cœur de l’Europe à la fin du xxe siècle a servi de preuve « par la barbarie » de la sauvagerie « ethnique » balkanique des conflits trop complexes : les viols, les cruautés avérés, deviennent alors autant de preuves des énoncés des propagandes mensongères de guerre, visant à installer une lecture dépolitisée, déshistoricisée, « ethnicisée » des situations où tous sont coupables. D’une façon plus générale, la dénonciation purement horrifiée des pratiques de viols et cruautés extrêmes en temps de guerre tend à dépolitiser les commentaires au profit de la référence confortable à la « barbarie humaine » éternelle, qui enveloppe aussi ses victimes d’un voile d’éternité triste, celle des choses banales parce que fatales…

Conclusion

29La culture de la virilité contemporaine pose la sexualité active de pénétration comme performance positive majeure, et les mises en spectacle des images de sexualité intense font de l’acte d’amour, injonction d’époque, une image dissymétrique où c’est le corps pénétré qui est « possédé », « baisé ». Le champ de la domination politique semble hanté par cette force mimétique de la scène sexuelle pour signifier une victoire : comme si une même figuration organique, un même geste du sang dans l’érection du bras levé, du corps redressé au moment du but, de la victoire ; comme si la rage de joie furieuse du vainqueur ne pouvait s’exprimer que dans cette imagerie phallique, comme si l’image même de la défaite était celle d’un corps écroulé, « possédé », « enculé »… Les propagandes politiques de guerre s’appuient sur ces strates sémiologiques rémanentes et récurrentes en temps de paix, que de nombreux films et bandes dessinées mettent en images. Cette discordance de sens pour une même scénographie rend plus précis le crime de profanation et plus infernale la douleur produite : le viol est un crime de perversion. La présence actuelle de ces crimes, qui perdurent massivement en ce début du xxie siècle, malgré des avancées remarquables en termes d’incrimination en temps de paix comme en temps de guerre, pourrait être liée en partie à cette familiarité des acteurs locaux avec cette sous-culture d’une esthétique excitante de la virilité que l’acte sexuel exhibé démontre sans cesse sur tous les écrans : tout un système d’images, qu’une exceptionnelle avancée technologique tend à démultiplier sur la planète entière, viendrait offrir son soubassement très contemporain à la fabrique ancienne de l’impunité des acteurs de crimes sexuels en temps de guerre comme de paix.

30Ce système d’images très contemporain vient renforcer l’épaisse impunité historique des crimes sexuels, celle dont le confort dans la durée produit insensiblement chez les bourreaux une culture du droit absolu de punir, torturer, massacrer des victimes de plus en plus rendues coupables par essence de ce qui leur arrive. Si le crime contre l’humanité de l’esclavage est une forme historique normalisée de longue durée [26], les crimes contre les femmes sont encore plus profondément culturellement enfoncés dans le temps long du « faire société » humain, celui que traquent les anthropologues. Ce grand blanc de tout ce qui ne s’inscrit ni dans l’histoire ni dans les mémoires a fabriqué l’inexistence historique des crimes contre les femmes, et constitue une des conditions de leur reproduction, malgré les souffrances et les résistances. Au-delà de l’indignation morale ou des explications psychiques, l’analyse des mécanismes sociologiques à l’œuvre pourrait être élargie aux recherches sur les formes de modélisation et légitimation systémiques du présent par lui-même, qui suppose éternel son horizon tacite de références.

31Peut-être que dans cette période historique particulière de la charnière du xxie siècle, c’est le socle immense de l’impunité historique accordée aux crimes sexuels qui est ébranlé dans une tendance actuelle internationale de dénonciation – malgré un système d’images qui continue de fabriquer l’impunité du héros viril. Leur dénonciation collective croissante en temps de guerre comme en temps de paix n’en est sans doute qu’à ses débuts.


Mots-clés éditeurs : crime de guerre, viol, scène sexuelle, femme

Date de mise en ligne : 19/04/2019

https://doi.org/10.3917/commu.104.0161

Notes

  • [1]
    La bibliographie qui traite de la sexualité comme champ sémiologique est considérable depuis les années 1970 en sciences sociales, depuis surtout les travaux de Michel Foucault jusqu’à ceux de Michel Bozon, entre autres. Mais ici notre perspective est celle de la représentation concrète de l’acte sexuel dans les images les plus diffusées, celles des films d’aventures populaires et des grandes séries dont le succès est massif.
  • [2]
    La violence visuelle de l’acte sexuel est à l’origine des analyses freudiennes sur « la scène primitive », quand l’enfant surprend (ou fantasme) le coït parental, Sigmund Freud, Cinq psychanalyses. L’Homme aux loups. À partir de l’histoire d’une névrose infantile (1914), Paris, Presses universitaires de France, 1992.
  • [3]
    Sur la visibilité croissante des scènes sexuelles violentes, cf. Cécile Morin, « Sexualité et redistribution des pouvoirs dans les séries américaines », Hermès, 2014/2, n° 69, p. 97-101.
  • [4]
    L’emphase sur la beauté des caractères sexuels secondaires du corps humain aurait à voir avec un rejet comme laid du spectacle de la sexualité génitale ; cf. Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, Paris, Presses universitaires de France, 1971, p. 29.
  • [5]
    Federico García Lorca, Jeu et théorie du Duende (1933), Paris, Allia, 2008, p. 23.
  • [6]
    Le nombre de suicides d’adolescentes liés à un harcèlement visuel où les images de leur sexualité sont exhibées publiquement sur les réseaux sociaux est en augmentation, en particulier aux États-Unis, cf. Jean M. Twenge, Thomas E. Joiner, Megan L. Rogers, Gabrielle N. Martin, « Increases in Depressive Symptoms, Suicide-Related Outcomes, and Suicide Rates Among U.S. Adolescents After 2010 and Links to Increased New Media Screen Time », Clinical Psychological Science, vol. 6, n° 1, 2017, p. 3-17, https://doi.org/10.1177/2167702617723376.
  • [7]
    La célèbre toile de Gustave Courbet (1866) fut gardée cachée par Jacques Lacan de 1955 à sa mort en 1981.
  • [8]
    La Fontaine, Contes et nouvelles en vers, 1665 : « Amaryllis, pensez-y bien / Aimer sans foutre est peu de chose / Mais foutre sans aimer n’est rien. »
  • [9]
    Roman de Balzac paru en 1836, où l’amour intense de l’héroïne ne peut se réaliser physiquement… Elle en mourra.
  • [10]
    Dans le feuilleton français Plus belle la vie (création Hubert Besson, France 3, hebdomadaire depuis le 30 août 2004, fourchette de records d’audience entre 4 millions et plus de 6 millions d’auditeurs), le lien va de soi entre amour et sexualité. Cf. Laurence Corroy, « Plus belle la vie, une éducation sentimentale “à la française” des jeunes et des seniors ? », Le Télémaque, vol. 37, n° 1, 2010.
  • [11]
    Dominique Rouger-Thirion, romaniste, a rappelé cette étymologie dans son exposé « Impudicitia, ou comment les Romains pensaient le harcèlement sexuel », table ronde sur « Le Harcèlement », 15 novembre 2018, Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Université Panthéon-Assas Paris 2.
  • [12]
    Cf. Véronique Nahoum-Grappe, « Imaginaire de la purification ethnique », in Françoise Héritier (dir.), De la violence, t. I, Paris, Odile Jacob, 1996 (rééd. 2005).
  • [13]
    Le film documentaire Le Cri étouffé de Manon Loiseau (2017) sur les viols en Syrie montre à quel point ces pratiques sont contemporaines.
  • [14]
    Voir notamment Myriam Cottias, Allessandra Stella et Bernard Vincent (dir.), Esclavage et dépendances serviles, Paris, L’Harmattan, 2006, et Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas, Christelle Taraud, Sexe, race et colonies. La domination des corps du xve siècle à nos jours, Paris, La Découverte, 2018.
  • [15]
    Cette notion vient à la fois de l’étude des paysages urbains (Yan MacHarg’s, Design With Nature, New York, The Natural History Press, 1969) et de l’écologie de la pêche en mer (Daniel Pauly, « Anecdotes and the shifting baseline of fisheries », Trends in Ecology and Evolution, vol. 10, n° 10, 1995). Son importance pour les autres sciences sociales a été envisagée dans S. K Papworth, J. Rist, L. Coad et E. J. Milner-Gulland, « Evidence for shifting baseline syndrome in conservation », Conservation Letters, 141, 2008, p. 848-859, et Harald Welzer, Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au xxie siècle, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2009.
  • [16]
    Alexei Yurchak, Everything Was Forever, Until it Was no More : The Last Soviet Generation, Princeton, Princeton University Press, 2006.
  • [17]
    Depuis la création en 1993 du Tribunal pénal international ad hoc pour l’ex-Yougoslavie situé à La Haye, la définition des viols en temps de guerre comme crimes contre l’humanité a fait de plus en plus l’objet d’un travail juridique d’élucidation et de précision au sein des grandes législations internationales.
  • [18]
    Le 2 août 1992, le journaliste américain Roy Gutman publie dans Newsday le premier article concernant l’hypothèse de viols perpétrés de façon systématique (traduit dans Bosnie : témoin du génocide, Paris, Desclée de Brouwer, 1994). Par la suite, de nombreux travaux sur le thème du viol seront édités, entre autres : Georges Vigarello, Histoire du viol. xvie-xxe siècle, Paris, Seuil, 1998 ; Françoise Héritier (dir.), De la violence, 3 t., Paris, Odile Jacob, 1997 ; Raphaëlle Branche, Fabrice Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011 ; Susan Brownmiller, Against Our Will : Women and Rape, New York, Simon & Schuster, 1975 ; Jean-Pierre Chrétien, Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Kartala, 1995 ; Cécile Dauphin et Arlette Farge (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997.
  • [19]
    Le dernier rapport du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies sur la violence sexuelle dans les conflits a été présenté au Conseil de sécurité le 14 mars 2013. Le rapport passe en revue vingt-deux zones de conflit, y compris le Mali pour la première fois, et présente des informations sur les parties en conflit soupçonnées de façon crédible d’avoir commis ou d’être responsables d’actes de viol et d’autres formes de violence sexuelle. Cf. aussi le rapport de 2012 intitulé « Violence sexuelle liée aux conflits : rapport du secrétaire général », http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/66/657.
  • [20]
    Une étude systématique de Dara Kay Cohen (« Explaining Rape during Civil War : Cross-National Evidence, 1980-2009 », American Political Science Review, vol. 107, n° 3, 2013) cite (p. 467) la méta-analyse de quatre-vingt-six guerres civiles entre 1980 et 2009 dans le monde qui confirme l’étendue des viols de guerre calculée de façon extrêmement rigoureuse pour plus de trois quarts des cas. Les guerres où les armées régulières sont sur le champ de bataille, et non pas des milices autoproclamées, et les guerres dites de révolte (insurgents) sont les moins concernées.
  • [21]
    Cette idée d’une invasion et d’une destructio n d’une société d’origine par la reproduction démographique galopante de migrants venus d’ailleurs se rencontre dans les propagandes d’extrême droite de guerres récentes, comme au Liban dans les années 1970-1980 au sein des phalanges chrétiennes extrémistes, ou en Serbie contre les Albanais du Kosovo, ou en France, cf. le manifeste de Renaud Camus, proche du Front national, en septembre 2013 : « Non au changement de peuple et de civilisation ».
  • [22]
    Vanessa Fargnoli, Le Viol comme arme de guerre, Paris, L’Harmattan, 2012 ; Maryse Jaspard, De la violence contre les femmes, Paris, La Découverte, 2005 ; Sandrine Ricci, Avant de tuer les femmes vous devez les violer ! Rwanda : rapports de sexe et génocide des Tutsis, Paris, Syllepse, 2014 ; Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad, SurVivantes. Rwanda, dix ans après le génocide, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004 ; Dara Kay Cohen, « Explaining Rape during Civil War : Cross-National Evidence (1980-2009) », art. cité (voir sa bibliographie internationale conséquente) ; Marie Palitzyne, Les Violences sexuelles du génocide au Rwanda, l’imaginaire destructeur du genre et de l’ethnicité, mémoire de master 1 en sciences politiques, dir. Emmanuel Klimis, Université de Lille, 2015 ; Amélie Faucheux, Massacrer dans l’intimité : la question des ruptures de liens sociaux et familiaux dans le cas du génocide des Tutsis du Rwanda de 1994, thèse de sociologie, dir. Gloria Origi, EHESS, 2018 ; Stéphane Audouin-Rouzeau, Une initiation. Rwanda 1994-2016, Paris, Seuil, 2017.
  • [23]
    Cf. Dara Kay Cohen, « Explaining Rape during Civil War : Cross-National Evidence (1980-2009) », art. cité.
  • [24]
    « Ils pouvaient tout faire » est une parole de victimes survivantes souvent entendue par l’auteure dans les camps de réfugiés en ex-Yougoslavie (1992-1995) portant sur ces moments d’anomie et de prise de pouvoir local et provisoire d’un groupe de miliciens…
  • [25]
    Bien sûr, il s’agissait à Timișoara en 1989 pour une fraction du Parti communiste de garder la main sur la dénonciation des crimes de la police politique pour se maintenir au pouvoir grâce au sacrifice du couple des dictateurs… Toutes les propagandes de guerre imputent à l’ennemi des crimes relevant du sadisme sexuel, mais là les crimes étaient attribués à un pouvoir dont la diabolisation partielle a permis le maintien en tant que structure politique.
  • [26]
    Par exemple, les Roms de Roumanie ne furent libérés que le 20 février 1856, après cinq cents ans d’esclavage.

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