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Article de revue

Industrialiser l’éducation. Anthologie commentée (1913-2012)

Pierre Moeglin (dir.), Presses universitaires de Vincennes, 2016, 386 p.

Pages 150 à 153

Notes

  • [1]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Jean-Marie Ball, Claude Debon, Pierre Moeglin, Judith Barna.
  • [2]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Gaëtan Tremblay, Didier Paquelin, Pierre Moeglin, Laurent Petit.
  • [3]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Pierre Landry, Mohamed Sidir, Eric Auziol, Pierre Moeglin, Laurent Petit, Monique Commandré, Roxana Ologeanu, Elisabeth Fichez, Yolande Combès, Patrick Guillemet, Claude Debon.
  • [4]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Jean-Luc Metzger, Didier Paquelin, Nathalie Boucher-Petrovic, Yolande Combès, Pierre Moeglin, Alain Payeur.
  • [5]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Judith Barna, Patrick Guillemet, Pierre Moeglin, Jean-Luc Metzger, Françoise Thibault, Marie-José Barbot, Alain Payeur, Bernard Miège.
English version

1 L’ouvrage collectif intitulé Industrialiser l’éducation. Anthologie commentée (1913-2012), dirigé par Pierre Moeglin, est le fruit de plus de deux ans d’échanges au sein du Séminaire sur l’industrialisation de la formation (le SIF, créé en 1993). Signée par vingt-deux chercheurs, cette anthologie commente vingt-et-un textes qui portent sur le phénomène de l’industrialisation éducative. Par éducation, les auteurs n’envisagent pas uniquement le système scolaire, mais « la totalité des activités éducatives instituées » (p. 12) : l’enseignement supérieur, la formation permanente, le développement d’outils et de médias éducatifs, etc. La visée de cet ouvrage n’est pas de faire une histoire des idées ni de proposer un corpus linéaire sur l’industrialisation de l’éducation ; il s’agit, à travers un choix de textes issus d’énonciateurs (chercheurs, experts, praticiens ou décideurs) et de contextes (historiques, professionnels et géographiques) divers, d’analyser non pas les réalités industrielles, mais des « systèmes de représentations projetés » (p. 47) afin de mettre au jour la complexité des rapports et des prises de positions sur les relations entre industrialisation et éducation.

2 La notion d’industrialisation est complexe et l’objectif de l’ouvrage n’est pas d’en donner une définition unique, mais d’en identifier et d’en analyser les composantes, les lignes de force. Les échanges entre les chercheurs du SIF ont permis de dégager trois marqueurs constituant une grille de lecture commune pour les extraits étudiés : la technologisation, la rationalisation et l’idéologisation. Dans son introduction, Pierre Moeglin insiste sur l’interdépendance de ces marqueurs : « c’est-à-dire qu’il faut l’organisation technologique du système éducatif pour qu’une rationalisation industrielle s’y déploie, et qu’il ne faut pas moins un accompagnement idéologique ad hoc pour que des acteurs consentent à cette rationalisation et qu’au passage, ils expriment les raisons de leurs raisons » (p. 62). L’élaboration du paradigme industriel en éducation en Amérique du Nord et en France est analysée dans l’ouvrage à travers cinq chapitres : le temps des pionniers, celui des critiques, celui des ingénieurs, celui des analyses et enfin celui des renouvellements.

3 L’introduction de Pierre Moeglin se déploie en deux temps. Un premier temps, « le poids des préjugés », déconstruit les idées reçues qui empêchent de penser les relations entre industrialisation et éducation et montre l’intérêt de penser, de décomposer, le paradigme industriel en éducation, ses transformations, ses promoteurs et ses détracteurs. Un deuxième temps, « les conditions de l’anthologie », permet de saisir la spécificité de la genèse de cet ouvrage collectif. À travers ces pages, c’est plus largement toute une réflexion très riche sur le statut, les fonctions, les modes d’élaboration du genre anthologie qui est à l’œuvre. Les cinq regroupements d’extraits commentés proposés par l’ouvrage sont construits de la manière suivante : pour chaque extrait, nous trouvons la présentation de l’auteur, la contextualisation de l’extrait choisi, l’extrait lui-même et enfin le commentaire de l’extrait qui questionne, entre autres, les trois marqueurs. Cette construction donne un cadrage très éclairant et confère une grande lisibilité à cet ouvrage pourtant si dense.

4 Les analyses des textes présentés dans le premier chapitre [1], « le temps des pionniers », font ressortir les caractéristiques du taylorisme éducatif et permettent de voir comment, aux États-Unis et au Canada, les idées industrialistes ont été appliquées à l’éducation. Quatre extraits (de J. F. Bobbit, J. Wilbois, F. Skinner et L. T. Khôi) sont analysés dans ce chapitre. Le rôle du Social Efficiency Movement dans la configuration des débats sur la rentabilité et l’optimisation des coûts appliquées à l’éducation est ainsi appréhendé. Par exemple, l’analyse du texte de J. F. Bobbitt – spécialiste des questions d’administration éducative aux États-Unis au début du XXe siècle – montre comment cet auteur tente de faire correspondre au mieux l’offre éducative et les attentes du monde économique. Or, comme le soulignent les contributeurs de l’anthologie, cette perspective s’inscrit dans trois postulats : le premier, positiviste, part du point de vue que les acteurs peuvent planifier de manière totalement rationnelle les moyens dont ils disposent pour aboutir à leurs fins ; le second, fonctionnaliste, envisage que les contenus à enseigner peuvent être découpés en unités minimales. Enfin, le troisième postulat part de l’idée qu’il est possible de prévoir, d’anticiper les résultats de telles pratiques éducatives. Puis, le chapitre montre comment les idées utopistes développées par le Social Efficiency Movement, et ce, malgré les critiques dont elles faisaient déjà l’objet, ont été adaptées en France. Ce chapitre montre également comment, à travers l’étude de la pensée de L. T. Khôi, le projet d’industrialisation éducative est pensé, non pas au profit du monde des affaires, mais au profit d’idées progressistes liées à un idéal de progrès social. Il explique bien en quoi les prémices de la pensée industrialiste appliquée à l’éducation sont déjà marquées par des enjeux idéologiques différents.

5 Le chapitre sur le temps des critiques [2] met en évidence le fait qu’assez vite, la pensée industrialiste en éducation va rencontrer des détracteurs. Mais ces critiques sont loin d’être homogènes et s’inscrivent également dans des idéologies assez différentes. Deux extraits (A. Innis, J. Piveteau) y sont analysés. Ce chapitre met notamment en lumière deux grands types de critiques : les traditionnalistes et les révolutionnaires. Le commentaire du texte de A. Innis, économiste et historien canadien du début du XXe qui a été pionnier dans le développement des études en communication, fait bien ressortir les différents arguments sur lesquels il base sa critique : mécanisation et standardisation des pratiques et contenus pédagogiques conduiraient à un nivellement par le bas au profit des logiques marchandes. Le commentaire du texte de J. Piveteau explique, quant à lui, comment cet auteur a adapté les critiques d’Innis au contexte français. Comme le soulignent les auteurs de l’anthologie, sa critique, basée sur un idéal de démocratisation des savoirs, repose cependant sur un certain amalgame entre industrialisation organisationnelle et industrialisation des apprentissages. Soulignons d’autre part que ce chapitre montre bien que même si ces discours critiques doivent être contextualisés, les valeurs et les formes d’argumentation mobilisées sont encore à l’œuvre dans les discours contemporains.

6 Le chapitre trois, intitulé « le temps des ingénieurs » [3], traite d’auteurs qui défendent l’industrialisation et l’éducation en cherchant des modalités concrètes d’articulation entre « questions pédagogiques et questions technologiques, aspects organisationnels et enjeux sociétaux » (p. 64). Cinq extraits (G. Berger, J. Perriault, G. Jacquinot, G. Paquette et M. Linard) y sont analysés. Le commentaire du texte de P. H. Coombs – qui est l’un des experts américains les plus connus des questions de réforme et d’innovation en éducation – montre comment celui-ci entend rendre le système éducatif plus productif, notamment en élevant la formation des enseignants. Or, sa conception est centrée sur l’enseignement et délaisse la question des processus d’apprentissage. Les commentaires de textes qui suivent mettent, quant à eux, plus l’accent sur des auteurs qui voient dans la technologie éducative une avancée tant en termes de qualité que de rendement. Ainsi, pour G. Berger, il est possible d’articuler les atouts d’une technologisation additive et d’une technologisation substitutive. Pour J. Perriault, l’industrialisation de la formation à distance peut servir d’exemple à l’industrialisation de l’éducation plus largement. Selon l’auteur, la technologisation des modules de formation ne produit pas de facto une homogénéisation des formes d’apprentissage et peut, au contraire, servir la diversification des modalités pédagogiques. Ainsi, ce chapitre montre bien comment ces auteurs, aussi diverses que soient leurs postures, proposent de trouver des modalités industrielles adaptées aux spécificités de l’éducation. Dans ce cadre, il apparaît que l’usage raisonné des outils et médias industriels est présenté comme incontournable.

7 Dans le chapitre quatre, consacré au temps des analyses [4], les auteurs commentés (J. Gadrey, J.--L. Derouet, L. Carton) ont été sélectionnés car ils adoptent une distance critique et plus de réflexivité par rapport aux phénomènes étudiés. « Que faut-il pour que, de l’une à l’autre des réflexions, discussions et controverses qu’elle vient de susciter dans les chapitres précédents, la question de l’industrialisation éducative devienne une question de recherche ? » (p. 224). Dans le commentaire du texte de J. Gardey, nous comprenons comment cet auteur entend étudier les transformations de l’enseignement supérieur à l’aune des thèses sur l’industrialisation des services. Cet extrait permet notamment aux auteurs de l’anthologie de travailler sur le marqueur de rationalisation et sur la distinction inspirée par Weber entre rationalisation instrumentale et rationalisation professionnelle : « toute la question est alors de savoir à partir de quand la rationalisation professionnelle se confond avec la standardisation industrielle du travail des professionnels » (p. 231). Quant au commentaire du texte de J.-L. Derouet, il permet de mettre en lumière les distinctions et les corrélations entre les logiques « civique », « domestique », « industrielle » et « marchande ». Enfin, le commentaire de l’extrait de L. Carton montre comment celui-ci met à distance la notion même d’industrialisation, qu’il qualifie de « mot-valise », ce qui permet aux auteurs de l’anthologie d’insister sur le fait qu’il n’y a pas « une industrialisation mais des formes successives d’industrialisations, empilées et concurrentes » (p. 256).

8 Le dernier chapitre, consacré au temps des renouvellements [5], soulève de nouvelles questions relatives aux paradigmes post et neo-industriels. Six extraits, plus récents, d’auteurs européens et nord-américains sont commentés (O. Petters, T. Bates, C. Musselin, G. Ritzer, B. Stensaker et T. Waters). Ce chapitre permet notamment d’investir, avec O. Petters, les questions d’articulation entre formation à distance et formation en présentiel, et de sortir des alternatives binaires. À travers la discussion menée sur les travaux de C. Musselin, il engage également le débat théorique sur « le capitalisme académique » et montre comment les chercheurs du SIF adoptent une lecture différente des trois marqueurs et de leur articulation pour lire les phénomènes d’industrialisation éducative. Les auteurs de l’anthologie en arrivent alors à la question suivante : « Face à ces mutations gigognes – mutations de l’approche des productions discursives, de l’approche des auteurs et ces productions et, enfin (indirectement) des réalités industrielles de l’éducation –, la question posée est la suivante : quelle unité et cohérence les traits constitutifs de la notion d’industrialisation éducative conservent-ils ? » (p. 327). En commentant le texte de T. Waters puis en terminant par une relecture du parcours accompli, les auteurs proposent de faire ressortir les questions vives qui restent pleinement d’actualité. Il s’agit, notamment, des tensions et controverses que l’industrialisation de l’éducation continue de susciter dans l’espace public, de la persévérance du projet industrialiste et ses mutations continues, du rôle des politiques publiques ou encore des différences culturelles dans l’appropriation des enjeux soulevés par l’industrialisation de l’éducation.

9 Cet ouvrage – on l’aura compris – est à la fois dense et structuré, très varié mais aussi très cohérent. Il permet à toutes celles et ceux qui s’intéressent de près ou de loin aux questions d’éducation (chercheurs, étudiants, acteurs publics et professionnels) de mettre à distance une vision déterministe qui verrait dans l’industrialisation de l’éducation un bien ou un mal, un oxymore, un projet à réaliser ou une réalité univoque. Il permet de déconstruire les normes et les idéologies et de situer les débats actuels dans des filiations et, plus largement, de cerner la complexité des différentes formes et des enjeux que l’éducation prend dans nos sociétés. La question industrielle en éducation interpelle nos systèmes de valeurs puisqu’il s’agit de s’interroger sur ce que l’on entend par une éducation « efficace ». Elle permet également d’interroger des projets de société qui traversent et structurent notre monde contemporain, la perspective généalogique proposée par l’ouvrage éclairant le présent à partir d’éléments sélectionnés et contextualisés de l’histoire.

Notes

  • [1]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Jean-Marie Ball, Claude Debon, Pierre Moeglin, Judith Barna.
  • [2]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Gaëtan Tremblay, Didier Paquelin, Pierre Moeglin, Laurent Petit.
  • [3]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Pierre Landry, Mohamed Sidir, Eric Auziol, Pierre Moeglin, Laurent Petit, Monique Commandré, Roxana Ologeanu, Elisabeth Fichez, Yolande Combès, Patrick Guillemet, Claude Debon.
  • [4]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Jean-Luc Metzger, Didier Paquelin, Nathalie Boucher-Petrovic, Yolande Combès, Pierre Moeglin, Alain Payeur.
  • [5]
    Chapitre dont les extraits sont commentés par Judith Barna, Patrick Guillemet, Pierre Moeglin, Jean-Luc Metzger, Françoise Thibault, Marie-José Barbot, Alain Payeur, Bernard Miège.
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