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Article de revue

« Messieurs du Canard » Le genre de la satire

Pages 75 à 91

Notes

  • [1]
    L’éditorial du premier numéro daté du 10 septembre 1915 donne le ton. Son fondateur, Maurice Maréchal, précise en effet : « Le Canard enchaîné prendra la liberté grande de n’insérer, après minutieuse vérification, que des nouvelles rigoureusement inexactes. Chacun sait en effet que la presse française, sans exception, ne communique à ses lecteurs, depuis le début de la guerre, que des nouvelles implacablement vraies. Eh bien, le public en a assez. Le public veut des nouvelles fausses… pour changer. Il en aura » (cité in Jean Egen, Messieurs du Canard, Paris, Stock, 1973, p. 24).
  • [2]
    Il a à son actif la révélation de quelques grandes « affaires » parmi lesquelles la feuille d’impôt de Jacques Chaban-Delmas en 1971 et, en 1979-1980, l’affaire Boulin, l’affaire – aujourd’hui bien « dégonflée » – des diamants de Bokassa, l’affaire Broglie, etc. Dans les années 1980-1990, il fut concurrencé dans cette fonction d’enquête par d’autres journaux comme Le Monde ou Libération.
  • [3]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2005.
  • [4]
    Nous convenons d’orthographier « Genre » avec une majuscule quand le terme désigne les rapports sociaux de sexe (sens anglo-saxon du Gender), pour le distinguer de ses autres usages.
  • [5]
    Je tiens à remercier Angeline Lavigne, de la bibliothèque municipale de Toulouse, pour m’avoir grandement facilité l’accès aux numéros d’archives du Canard enchaîné.
  • [6]
    Jean Egen, Messieurs du Canard, op. cit.
  • [7]
    S’il existe un certain nombre de mémoires universitaires (une petite dizaine) et d’articles consacrés à l’hebdomadaire, nous avons été surprise de constater que les ouvrages en tant que tels étaient en nombre restreint, au regard de la longévité et de la place du Canard dans l’histoire de la presse française. Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes principalement appuyée sur l’ouvrage de Jean Egen (1973), consulté pour sa dimension testimoniale ; l’ouvrage de Laurent Martin (2005) constitue la référence historique ; l’enquête de Laske et Valdiguié (2003) apporte un regard complémentaire intéressant par sa portée critique. Nous avons également consulté les articles et travaux universitaires et porté un intérêt tout particulier au mémoire de Micheline Mehanna en raison de sa sensibilité à la question des femmes.
  • [8]
    Colette Ysmal, « Le Canard enchaîné ou les pièges de la lucidité », Esprit, février 1971, p. 233-243.
  • [9]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné. La dérision politique par le rire et l’investigation, DEA en sociologie politique, Paris 1 Sorbonne, 1995.
  • [10]
    Karl Laske, Laurent Valdiguié, Le vrai Canard - Les dessous du Canard enchaîné, Paris, Seuil, coll. « Points », 2010.
  • [11]
    Citée in Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), op. cit., p. 23.
  • [12]
    André Rauch, Histoire du premier sexe, op. cit.
  • [13]
    D’autres descriptions du fondateur du titre sont plus anodines, celui-ci apparaissant alors comme un personnage discret, voire banal. S’il ne nous est pas possible de trancher entre ces diverses versions, il est cependant intéressant de noter que dans sa description, Philippe Lamour semble considérer que le fondateur du Canard doive apparaître comme un mâle superlatif.
  • [14]
    Patrick Champagne, « Le Canard enchaîné, de la satire politique à la défense de la morale publique », ARSS/Liber, 89, 1991, p. 6.
  • [15]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), op. cit., p. 30.
  • [16]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné, op. cit., p. 70.
  • [17]
    Jean Egen, Messieurs du Canard, op. cit., p. 125.
  • [18]
    Ibid., p. 39.
  • [19]
    L’ouvrage de Carl Laske et Laurent Valdiguié donne de ces soirées une description digne des banquets rabelaisiens et des agapes du comte de Monte Cristo. Dans les salons de la Maison de l’Amérique latine, avec huissier à la chaîne en haut de l’escalier d’honneur, les buffets sont pantagruéliques : « C’est le plus beau buffet de la place de Paris », témoigne un journaliste (Laske et Valdiguié, Le vrai Canard…, op. cit., p. 44).
  • [20]
    Colette Ysmal, « Le Canard enchaîné ou les pièges de la lucidité », art. cit., p. 234-235.
  • [21]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), op. cit., p. 133.
  • [22]
    Ibid., p. 124.
  • [23]
    Laurent Martin rappelle que la fonction première de ces rassemblements au bistrot, qui perdurèrent jusque dans les années soixante-dix, était de réunir les membres épars d’une rédaction dont les journalistes passaient le plus clair de leur temps dans d’autres journaux.
  • [24]
    Ibid., p. 136 et suivantes.
  • [25]
    André Rauch, Histoire du premier sexe, op. cit.
  • [26]
    Cf. Érik Neveu, « Le genre du journalisme. Des ambivalences de la féminisation d’une profession », Politix, 13-51, 2000, p. 179-212.
  • [27]
    Béatrice Damian-Gaillard, Eugénie Saïtta, « Le processus de féminisation du journalisme politique et les réorganisations professionnelles dans les quotidiens nationaux français », Communication, 28(2), 2011.
  • [28]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné, op. cit.
  • [29]
    Karl Laske, Laurent Valdiguié, Le vrai Canard…, op. cit.
  • [30]
    Dans les chapitres « Les ciseaux de Michel Gaillard » et « Une citadelle sans femmes », K. Laske et L. Valdiguié soulignent les pressions de la part de la direction du Canard subies par Micheline Mehanna et son directeur de mémoire, Philippe Braud, professeur à l’université de Paris 1. Ils reviennent également sur la persistante absence de femmes au sein de la rédaction.
    La mention de cette particularité est marginale dans l’ouvrage de référence de Laurent Martin, qui se contente de noter « une misogynie souriante mais bien réelle » de la rédaction (Laurent Martin, Le Canard enchaîné…, op. cit., p. 700, note 806).
  • [31]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné…, op. cit., p. 69.
  • [32]
    Ibid., p. 66.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Ibid., p. 70.
  • [35]
    La seconde femme de la rédaction est alors Brigitte Rossigneux, chargée des questions de Défense ; elle travaille dans les locaux de la rue des Petits-Pères.
  • [36]
    Ibid., p. 69.
  • [37]
    Ibid., p. 72. La réécriture est une tradition rédactionnelle du Canard, ce qui explique sans doute que beaucoup d’articles de l’hebdomadaire portent une signature collective (« Jérôme Canard ») ; d’autres ne sont pas signés ; certains articles enfin sont signés de seules initiales, qui masquent parfois plus qu’elles ne révèlent.
  • [38]
    Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998 ; voir aussi : Philippe Lejeune, Le moi des demoiselles - Enquête sur le journal de jeune fille, Paris, Seuil, 1993.
  • [39]
    Lucie Joubert, « Humour au féminin et féminisme : où en est-on ? », 2000 ans de rire, Annales littéraires de l’Université de Franche Comté, Besançon, 2002, p. 379-390 ; Lucie Joubert, « Rire : le propre de l’homme, le sale de la femme », in Normand Baillargeon et Christian Boissinot (dir.), Je pense donc je ris. Humour et Philosophie, Québec, Les Presses de l’université de Laval, p. 85-101.
  • [40]
    Kathleen Rowe, The unruly Woman. Gender and the genres of Laughter, Austin, Texas University Press, 1995.
  • [41]
    En raison de l’absence de « solution » à ces contrepèteries, la plupart d’entre elles restent lettre morte pour leurs lecteurs et lectrices, comme j’ai pu m’en rendre compte à travers une petite enquête menée autour de moi. Qu’importe ! La rubrique vaut pour son affichage et continue de faire signe à ce titre.
  • [42]
    Luc Étienne, Album de la Comtesse, Paris, J.-J. Pauvert, 1967, et Nouvel album de la Comtesse, Paris, Stock, 1979 ; Joël Martin, Sur l’album de la Comtesse (1979-1987), Paris, Albin Michel, 1988.
  • [43]
    Le succès est également au rendez-vous pour cette rubrique, comme en témoignent les BD régulièrement publiées par l’auteur sur ce thème.
  • [44]
    Cf. Gérard Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982.
  • [45]
    Avec l’arrivée de Georges Pompidou aux affaires, elle se poursuivit sous le nom de « La Régence », et s’arrêta lorsque Valéry Giscard d’Estaing fut élu, officiellement en raison de la médiocrité générale du nouveau pouvoir. Sans doute aussi, après 20 ans d’existence, l’inspiration faisait-elle défaut.
  • [46]
    Nous ne disposons pas pour l’instant des dates exactes de parution de ces rubriques pour les plus anciennes d’entre elles ; l’exploration systématique des archives du Canard enchaîné permettra de préciser ce point.
  • [47]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné, op. cit., p. 317.
  • [48]
    Ce dernier, interrogé par Micheline Mehanna (L’idéologie du Canard enchaîné, op. cit. p. 72-73), évoque le plaisir éprouvé à rédiger cette chronique, et surtout la liberté conférée par le pseudonyme féminin, qui lui permettait d’aborder des sujets tabous dans la rédaction, comme l’homosexualité.
  • [49]
    L’idée du journal intime repose sur un fait réel, le vrai journal intime de Xavière Tibéri ayant été saisi chez elle lors d’une perquisition du juge Halphen, en même temps qu’un rapport truffé de fautes et payé à prix d’or sur les conditions de coopération des collectivités locales : c’est l’origine du « e » fautif du « Journale de Xavière T. ». La matière politique était dense, la personnalité « brut de décoffrage » de l’épouse du Maire de Paris et le fonctionnement clanique du couple Tibéri apparaissaient comme une source d’inspiration inépuisable.
  • [50]
    Armelle Le Bras-Chopard, Première dame, second rôle, Paris, Seuil, coll. « Médiathèque », 2009.
  • [51]
    Dans l’édition du 30 mai 2012, on peut en effet lire, sous la plume de la présumée « Carla B. » : « Préparez vos mouchoirs ! Du Maroc où je suis, je rends ma plume et mon encrier. Adieu mon “Canard” ! Ce « journal » est le dernier de la série commencée le 19 décembre 2007 ».
  • [52]
    Le jeu de mots un peu laborieux renvoie au titre du film de Thomas Gilou qui connut un grand succès populaire à la fin des années 1990, « La vérité si je mens ». Dans son raccourci paradoxal (la formule complète est la suivante : « La vérité, si je mens, je vais en enfer »), il met d’emblée l’accent sur le jeu entre vérité et mensonge, entre information et fiction.
  • [53]
    La « stagiaire » reviendra régulièrement, d’abord en Une, puis en dernière page, puis avec des périodes d’interruption en août-septembre, correspondant peut-être aux vacances de Frédéric Pagès, l’auteur présumé de la rubrique, ainsi qu’en décembre. Le corpus de référence se compose donc des exemplaires du Canard parus entre juin 2012 et décembre 2012, soit les sept premiers mois de la présidence de François Hollande.
  • [54]
    La rubrique devient alors « La carte postale de Valérie », avec le sigle de la poste en guise de logo, à l’instar de ce qui avait été fait pour « Xavière T. » et « Carla B. » durant les périodes estivales.
  • [55]
    Karl Laske, Laurent Valdiguié, Le vrai Canard…, op. cit.
  • [56]
    L’ouvrage, écrit par Alix Bouilhaguet grand reporter sur France 2 et Christophe Jakubyszyn chef du service Politique de TF1-LCI (Éditions du moment, 2012), évoque entre autres les relations intimes de la compagne de François Hollande.
  • [57]
    Dans un autre numéro du Canard, un dessin de Potus représentant Ségolène Royal lisant la biographie de Valérie Trierweiler porte la légende suivante : « Je commence par la fin pour voir comment elle meurt » (11 octobre 12). Ambiance…
  • [58]
    Une autre série de surnoms porte sur le physique : « Mon enrobé lumineux », « Mon Flan Flan La Tulipe », etc.
  • [59]
    La rubrique « La Valérie T. si je mens » donne rapidement des signes d’essoufflement : passage de la page 1 à la page 8, irrégularités dans la publication et changement de voix : le 31 octobre 2012, sous le titre « Le courrier de Ségolène R. », on peut lire « Quelle surprise, n’est-ce pas ? Cette semaine, c’est moi qui tiens la plume et non Valérie T., l’Usurpatrice ». Le 30 janvier 2013, la rubrique est remplacée par « Toute Valérie T. Rien que Valérie T. », un article signé « C.N. », écrit à la 3e personne et portant sur le procès pour atteinte à la vie privée et diffamation intenté par la compagne du Président aux auteurs de La Frondeuse. Le même numéro propose, dans le cadre des « Interviews presque imaginaires du Canard », un entretien avec Carla Bruni intitulé « Je pars chanter à Tombouctou » et signé de Frédéric Pagès, l’auteur habituel des pseudo-journaux intimes.
    On peut se demander si « La Valérie T. si je mens » ne va pas subir le même sort que l’éphémère rubrique du « Journal de Cécilia S. » : silences de l’histoire…
  • [60]
    Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 79-80.
  • [61]
    Henri Bergson, Le rire, Paris, PUF, 2012 [1964], p. 4.
Such duty as the subject owes the prince,
Even such a woman oweth to her husband
Shakespeare, La mégère apprivoisée, V, 2
[…] Et sur cette matière
J’ai vu tout ce qu’ont fait La Fontaine et Molière,
J’ai lu tout ce qu’ont dit Villon et St Gelais,
Aristote, Marot, Boccace, Rabelais,
Et tous ces vieux recueils de satires naïves,
Des malices du sexe immortelles archives
Boileau, Satire, X

1 En 2015, le Canard enchaîné fêtera ses 100 ans, une longévité qui fait rêver à une période où la presse écrite connaît d’importantes difficultés. L’hebdomadaire – ses 8 pages grand format aux caractères fortement empâtés, gansées de rouge et ponctuées de dessins – occupe une place à part dans le paysage médiatique français. Né pendant la Première Guerre mondiale, il s’employait alors à diffuser de fausses nouvelles pour moquer la propagande, avec l’objectif de faire rire dans des circonstances qui portaient davantage au tragique [1].

2 D’emblée, il eut ses chevaux de bataille : la censure – Anastasie –, l’armée et la religion en même temps que la défense du pacifisme, de la liberté d’expression et de la laïcité. Ces thèmes se diversifièrent avec le temps : anti-colonialisme au moment des guerres d’Indochine et d’Algérie et plus généralement défense des « petits » contre les « puissants » et des individus contre les pouvoirs – en témoigne le personnage du « lampiste » ou du « péquin ». À la fin des années cinquante, l’investigation fit de l’hebdomadaire un des premiers journaux français d’enquête [2]. Sans doute parce que considéré comme trop bien informé, il fut victime d’écoutes téléphoniques, ce qui acheva de le consacrer. Au nom de la morale publique, il dénonce les travers et les dessous de la vie politique grâce à un important réseau d’informateurs parmi lesquels le personnel politique lui-même, d’où les risques d’instrumentalisation parfois pointés. Soulignons encore un mode de gestion qui lui assure une totale indépendance financière (il ne reçoit ni subvention de l’État ni ressource publicitaire) et la revendication d’un certain anti-conformisme dont la tonalité satirique du journal veut être exemplaire.

3 Cet « esprit Canard » repose en amont sur une équipe de rédacteurs très stable et en aval sur une communauté de lecteurs d’autant plus attachés à leur journal qu’il faut « en être » pour saisir le sens de l’information qui y est diffusée. La dénomination des rubriques (« Vite dit », « La mare aux Canards », « Le mur du çon », « Rue des petites perles »…), leur distribution codifiée sur les 8 pages du journal et les jeux de langage nécessitent une formation ou, mieux, une initiation pour espérer en saisir le sens : ainsi de l’usage permanent des surnoms, dénégations, prétéritions, antiphrases, litotes et autres calembours et contrepèteries. Si, comme l’observe Laurent Martin, ces procédés stylistiques permirent, à l’origine, de déjouer la censure, les effets survécurent aux causes [3]. Cette écriture cryptée constitue les lecteurs en une sorte de société secrète, partageant les mêmes codes et les mêmes valeurs, voire un imaginaire commun.

4 C’est précisément cet imaginaire dont nous souhaitons explorer une facette, à travers la représentation du Genre [4], qui nous semble centrale dans l’ethos de l’hebdomadaire. Dans cette phase exploratoire de notre recherche, nous proposerons une lecture genrée de l’histoire du Canard enchaîné, à travers les quelques études qui lui ont été consacrées ; puis nous nous interrogerons en particulier sur les rapports entretenus entre l’esprit de la satire et le Genre, l’analyse de la rubrique « La Valérie T. si je mens », qui s’inscrit elle-même dans une généalogie de rubriques féminines ou pseudo-féminines, nous servant de banc d’essai [5].

« Messieurs du Canard »

5 C’est ainsi que Jean Egen, ancien journaliste de l’hebdomadaire, intitula son livre [6], un des premiers ouvrages consacrés au Canard enchaîné et qui reste une référence [7]. L’identité d’un journal longtemps écrit et pensé uniquement par des hommes et pour un lectorat très majoritairement masculin, apparaît avec une sorte d’évidence lorsqu’on lit les ouvrages et articles qui lui sont consacrés. Les études menées par des femmes (Ysmal en 1971 [8], Mehanna en 1995 [9]) sont « naturellement » plus sensibles à cette dimension que les travaux des hommes (à l’exception de l’ouvrage de Laske et Valdiguié [10]). Cet ethos masculin, qui ne saurait étonner pour un journal longtemps sis rue des Petits-Pères, s’exprime en particulier dans le récit des origines qui lui tient lieu d’acte de naissance, dans la mise en scène d’une convivialité virile et dans sa difficulté à intégrer des femmes dans sa rédaction.

Le récit des origines

6 « C’était un géant, un quintal d’os et de chair, qui découpait la volaille avec autant de dextérité qu’il en mettait à la consommer. Il mangeait comme un ogre et vidait des cruchons tout en donnant ses instructions. Il avait l’air d’un capitaine de reîtres se restaurant après le sac d’un couvent. » Cette description de Maurice Maréchal, le fondateur de l’hebdomadaire, par son ami Philippe Lamour [11] concentre en quelques mots toutes les marques de la virilité populaire traditionnelle [12] : la massivité physique, le goût du vin et de la viande (dont le caractère peu ordinaire est signalé par la comparaison avec l’« ogre »), l’autorité et l’aptitude au commandement, enfin la référence à la violence physique et sexuelle suggérée par l’évocation du sac du couvent et des vierges violentées qui s’imposent à cette mention [13]. C’est donc un homme – un vrai – qui, avec le dessinateur Henri-Paul Gassier, fonde Le Canard enchaîné. On est surpris du peu d’attention accordé à son épouse Jeanne Maréchal (en particulier dans l’ouvrage très documenté de l’historien Laurent Martin). La façon dont elle prend en main les destinées du journal à la mort de son époux n’est guère explicitée, pas plus que la façon dont elle préside le conseil d’administration, nommant « Tréno » (Ernest Raynaud de son vrai nom) rédacteur en chef et maintenant l’indépendance du journal pendant les 20 ans de sa gouvernance. La place de cette femme dans un monde d’hommes à une époque où le caractère exceptionnel de cette position apparaissait davantage encore qu’aujourd’hui n’y est ni développée ni même interrogée. Jean Egen quant à lui, dans un hommage ambigu au regard de l’égalité des sexes, la qualifie à plusieurs reprises de « vrai Monsieur du Canard ».

7 L’identité masculine du Canard tient également aux conditions de sa naissance : né en 1915, en pleine guerre, il avait pour objectif de lutter contre la censure et le bourrage de crâne de la grande presse de cette époque. « Épinglant les “patriotes de l’arrière qui font la guerre avec le sang des autres” sans avoir jamais dépassé “la terrasse du café Weber”, Le Canard dénonce aussi les conditions de vie scandaleuses qui sont alors réservées aux poilus dans les tranchées », observe le sociologue Patrick Champagne [14]. Il serait donc le journal des tranchées, le journal du front, le « nous les poilus » étant central dans la construction de l’identité du journal.

8 La dimension légendaire de cette origine est soulignée par la plupart des travaux, ce qui ne l’empêche pas de fonctionner avec l’efficacité des mythes. « En réalité, ni Maréchal, ni Gassier ne devaient approcher le front de toute la guerre », précise Laurent Martin [15]. Si Roger Fressoz souligne également le côté légendaire de cette naissance dans les tranchées, elle reste mentionnée dans de nombreux témoignages, contribuant à justifier et à forger la mâle identité de l’hebdomadaire : « Et puis, il y a l’histoire du journal, il a été créé pendant la guerre, dans les tranchées, où il n’y avait pas de femmes » dit ainsi un journaliste de l’hebdomadaire, répondant à une question de Micheline Mehanna sur l’absence de femmes dans la rédaction [16].

Homosocialité masculine et mise en scène d’une convivialité excluante

9 La sociabilité qui unit les journalistes du Canard fait aussi l’objet de longs développements dans les études qui lui sont consacrées. L’esprit « dionysiaque » de l’équipe et sa « philosophie de la bonne humeur, la plus exigeante de toutes », constituent le fil rouge de l’ouvrage de Jean Egen, qui invente à cet effet le verbe « carpédiémiser » : « Messieurs du Canard sont heureux : ils carpédiémisent » [17]. Ou encore : « C’est une joie d’entendre le glouglou des lampées, le carillon des rires et le vol des calembours. De temps à autre, une main d’artiste (je ne dirai pas laquelle) abandonne un instant sa fourchette pour prélever, entre le pouce et l’index, un peu de beauté sur les rondeurs de la serveuse. » [18] Sociabilité d’un autre temps, sans doute, mais qui perdure dans la mémoire des journalistes et dont sont héritiers les « cocktails du Canard » organisés plus tard sous la direction de « Tréno », comme « les pots du Canard » aujourd’hui [19].

10 Même son de cloche dans les travaux de Colette Ysmal : « nul journal n’a sans doute porté aussi haut le culte de l’amitié, ni autant fait de celle-ci une institution » [20], la « fraternité » (et le terme n’est pas dû au hasard) étant au coeur des valeurs mises en avant par le journal, selon l’auteure. Sous le titre « La belle équipe », Laurent Martin [21] consacre également un long développement aux caractéristiques de la sociabilité développée au sein de la rédaction. La gastronomie, la grivoiserie, la paresse et la trinité « pêche à la ligne-pétanque-lit » seraient autant de traits associés à ce vivre ensemble. On retrouve dans les propos de l’historien la référence au vin de Juliénas qui jusque dans les années cinquante a occupé une place importante dans la mise en scène de la rédaction par elle-même. Les « banquets » organisés par Maurice Maréchal y sont également évoqués, comme tenant à la fois du banquet républicain et des agapes chansonnières, lieux masculins par définition. Les rédacteurs de cette première époque y sont par ailleurs décrits comme les auteurs de « romans gais, chansons bachiques, bouffonneries militaires, aventures polissonnes » [22], toutes formes de littérature également identifiées au masculin.

11 Mais c’est le « bistrot » qui constitue, selon l’historien, le haut lieu du fonctionnement du Canard au quotidien [23]. « Le dérèglement des sens, le tapage, l’accent mis sur la prouesse (l’accumulation des consommations, manifestée par l’accumulation des soucoupes), l’insouciance financière (le thème de l’« ardoise ») permettaient aux journalistes de se penser comme une communauté marginale et en rupture par rapport à l’ordre social », écrit-il non sans avoir dressé la liste des bistrots qui, dans la proximité des bureaux du journal, ont accueilli la rédaction [24] (op. cit. p.136ss). La société du bistrot permet que s’expriment les grands traits de la sociabilité virile telle que la décrit en particulier l’historien des masculinités André Rauch [25].

12 Bonne chère, vin, femmes, rigolades : autant d’éléments constitutifs d’une sociabilité masculine promouvant la virilité comme valeur de référence et fonctionnant comme autant de facteurs excluants par rapport aux femmes.

Une rédaction trop « normâle »

13 La féminisation a été un défi pour les grands titres de presse où les journalistes femmes étaient cantonnées dans des spécialités conçues comme l’extension de leurs responsabilités domestiques et de leur rôle socialement assigné de soin, d’éducation et d’entretien du réseau relationnel : rubriques société, vie quotidienne, santé, éducation, culture, etc. [26] Cette ségrégation « horizontale » était doublée d’une ségrégation dite « verticale », les sommets de la hiérarchie des grands titres de la presse nationale étant tenus par les journalistes issus des rubriques « régaliennes » : politique, défense, économie, international. Or, comme le montre l’étude de Béatrice Damian-Gaillard et Eugénie Saïtta [27], le processus de féminisation des services politiques y a débuté depuis plusieurs décennies, ce qui permet à certains titres d’atteindre aujourd’hui la parité.

14 Rien de tel au Canard enchaîné, où la présence aujourd’hui de trois femmes journalistes ne doit masquer ni la faiblesse de ce chiffre ni le caractère tardif du processus de féminisation pour l’hebdomadaire. Le mémoire de Sciences politiques de Micheline Mehanna [28], repris et actualisé par l’enquête de Karl Laske et Laurent Valdiguié [29], traite largement de cet aspect [30]. Rédigé au milieu des années quatre-vingt-dix, il repose sur une série d’entretiens longs avec les membres de la rédaction, avec l’objectif de mettre au jour le mode de production du Canard. Sans doute parce qu’elle est une femme, l’interrogation sur leur place dans la rédaction y est longuement abordée. « C’est vrai, nous sommes misogynes au Canard », dit ainsi un journaliste [31]. « Le Canard est un peu macho. On est entre mecs, une bande de copains. On se connaît depuis trente, trente-cinq ans, on est entre nous, puis on fait une partie de poker […] sans les épouses […] Il y a un côté macho, on est entre mecs, c’est assez con » [32], constate un autre. Ou encore « Le Canard a hérité de la tradition française : “Les femmes, je suis pas contre, je suis tout contre” » [33]. « J’ai de bonnes relations avec les secrétaires, répond un autre journaliste […] C’est franchouillard, on est bien entre nous [] Le Canard a embauché un homosexuel qui se revendique comme tel. C’est exceptionnel et même extraordinaire de la part du Canard. » [34] Si la mention des secrétaires est peut-être à prendre au second degré, l’association spontanée entre féminité et homosexualité est quant à elle révélatrice de la force d’imposition de la norme virile.

15 Les réactions suscitées par le recrutement de Sylvie Caster, ancienne de Charlie Hebdo, première et seule femme journaliste permanente à la rédaction lorsque Micheline Mehanna effectue sa recherche, sont également révélatrices de cette difficulté [35] : « On a engagé deux journalistes femmes. L’expérience a échoué », dit ainsi un journaliste [36]. La signature « Calamity Caster » dont Sylvie Caster signe ses articles lui a été imposée : « Il y a une femme qui écrit dans le Canard témoigne-t-elle, et c’est une calamité […] C’est évidemment intéressant parce que c’est signaler, ouvertement, et s’en rendre compte, qu’on a un problème avec les femmes et un problème calamiteux avec les femmes qui écrivent. » [37] Plusieurs rubriques, au fil de l’histoire du journal, furent cependant signées de noms de femmes, quoique écrites par des hommes, un jeu révélateur d’un intéressant « trouble dans le Genre »…

« Le style, c’est l’homme » ou le genre de la satire

16 De Xénophon, Aristophane et Juvénal, au théâtre de boulevard contemporain, en passant par les « contre-textes » misogynes des troubadours et les détournements romantiques, la satire des femmes est un des grands topoi littéraires, peut-être simplement en raison des attendus normatifs d’une énonciation comique émise d’un point de vue masculin dominant où les femmes sont objets plus que sujet du rire.

La satire : « naturellement » masculine ?

17 Les premiers noms qui viennent à l’esprit lorsqu’on parle de satire sont masculins, moins parce qu’il y aurait un lien ontologique entre satire et masculinité qu’en raison d’une logique sociale qui a longtemps exclu les femmes de l’écriture, et privé de reconnaissance celles qui s’y adonnaient. Michèle Perrot analyse fort bien la façon dont les écrits des femmes étaient le plus souvent cantonnés dans l’espace privé, quand ils n’étaient pas détruits par leur entourage, voire par elles-mêmes, incapables de reconnaître dans leurs productions autre chose qu’une expression personnelle, indigne de l’intérêt public [38]. Les femmes ne sont pas non plus dépourvues de sens de l’humour ou d’ironie, qu’on a trop souvent tendance à présenter comme une disposition « naturellement » masculine : « nature-elle-ment » (d)énoncent les féministes, qui repèrent la construction sociale derrière ce type de préjugé. En effet, la bienséance sociale a longtemps interdit aux femmes de se mettre en scène : une femme « bien » ne se donnait pas en spectacle à travers l’énoncé de bons mots destinés à faire rire, compétence qui était au contraire valorisée chez les hommes. « Rire, le propre de l’homme, le sale de la femme », résume ainsi Lucie Joubert [39].

18 La place des femmes dans la société et leur rapport à l’écriture ont donc laissé le champ libre aux hommes et expliquent que la satire, comme bien d’autres formes d’expression littéraires et artistiques, ait longtemps été une exclusivité masculine. Selon Kathleen Rowe [40], dont les travaux prennent pour point de départ les écrits de Freud sur le mot d’esprit, les femmes ont par conséquent longtemps été les cibles et les victimes de l’humour. Elles n’étaient bien sûr pas les seules visées, d’autres « minorités » (les homosexuels ou les juifs, par exemple) étant également victimisées par une parole caractérisée par un point de vue dominant, masculin, blanc et hétérosexuel.

19 Le Canard enchaîné s’inscrit de plain-pied dans cette tradition satirique où les femmes sont objets de tous les maux comme de tous les bons mots, moquées et le plus souvent réduites à leur seule dimension sexuelle. Plusieurs rubriques illustrent cette posture, dont « L’album de la Comtesse » est probablement la plus représentative. Ce recueil de contrepèteries à vocation grivoise, figure invariablement au bas de la page 7 et comporte trois paragraphes : le premier est fondé sur un sujet d’actualité de la semaine, les deux autres étant une succession de contrepèteries sans lien particulier entre elles. Le caractère oulipien de la pratique en fait un exercice ardu, dont l’hermétisme laisse nombre de lecteurs sur le bord du chemin [41]. Elle n’en est pas moins emblématique de l’hebdomadaire et de « l’esprit Canard » comme en témoigne le succès des recueils qui en sont tirés depuis les années soixante [42].

20 La bande dessinée des « Nouveaux beaufs », qui jouxte la précédente rubrique, relève de ce même esprit. Héritier du « beauf » de Charlie Hebdo – patron de bistrot xénophobe et réactionnaire –, le nouveau beauf de Cabu est moins populaire que son ancêtre, mais guère plus progressiste, même s’il paraît plus « branché », avec ses cheveux retenus en catogan, sa barbe (toujours) naissante et ses vêtements au négligé étudié. Pour ce personnage avide de consommation, les femmes y sont d’abord des objets sexuels, rarement sujets de parole, conformes en cela à leur image dans l’hebdomadaire dans son ensemble [43].

De la satire au pastiche

21 Étymologiquement, le terme « satire » signifie « mélange » et désigne une forme littéraire libre qui mêle des genres différents en même temps qu’elle critique de façon moqueuse un milieu, des pratiques ou des individus, Juvénal ou Boileau étant considérés comme des parangons du genre. Les politiciens, les militaires, les curés, les juges, les académiciens, les technocrates pour ce qui est des individus ; l’armée, l’Église, la religion et les hauts lieux du pouvoir pour ce qui est des institutions ; la suffisance, l’hypocrisie, le carriérisme pour ce qui est des défauts : tels sont les chevaux de bataille de l’hebdomadaire et qu’il entend combattre sans relâche et avec toutes les ressources de la plume et du fusain. En effet, le mélange qui est au cœur de la satire caractérise aussi la combinaison de textes et de dessins, qui donne au Canard sa tonalité si particulière, de même que l’association d’articles sérieux, dont la visée première est d’informer, et fantaisistes, qui ont pour principal objectif de divertir les lecteurs et où les journalistes laissent libre cours à leur imagination.

22 Le lien a souvent été fait entre les thèmes de prédilection du Canard et la rédaction très masculine de l’hebdomadaire. L’armée, l’Église et le pouvoir politique se caractérisent en effet par leur forte homosocialité masculine. Les deux mondes, celui des institutions critiquées et celui de l’institution critique, fonctionnent donc en miroir l’un de l’autre, ce qui n’a probablement pas favorisé la prise de conscience de l’anomalie que constituait l’absence de femmes dans la rédaction du journal. Le caractère gender blind du Canard enchaîné s’explique en partie par cette raison, les femmes et le féminin ayant longtemps été dans l’angle mort, le point aveugle du journal.

23 Si la satire est « mélange » (satura), le pastiche est « assemblage » (pasticcio) : ils sont donc frères d’armes. Le pastiche en effet donne à lire et à entendre la forme littéraire antérieure qu’il utilise en la détournant, comme le coucou s’installe dans le nid des autres pour y couver ses propres œufs. La stylistique qui est la sienne doit donc à la fois apparaître conforme à l’original et s’en distinguer, ce dialogue entre « hypotexte » et « hypertexte » fondant l’écriture du pastiche [44]. Cette pratique imitative qui s’amuse à se jouer de la forme qu’il détourne, est bien en phase avec l’esprit du Canard et son ethos irrévérencieux.

24 L’un des pastiches les plus célèbres et dont la longévité fut la plus grande fut sans doute la rubrique intitulée « La Cour », qui dura de 1960 à 1969 et qui raillait la présidence monarchique de De Gaulle, désigné sous les noms de Louis Philippe, Napoléon III ou encore du Général Boulanger. Illustrée par le dessinateur Moisan, elle eut pour auteur Roger Fressoz, alias André Ribaud, qui contrefaisait le style des chroniques du XVIIIsiècle, à la façon de Saint-Simon [45].

25 Mais dans de nombreux cas ces pastiches, constitutifs de l’écriture du Canard, se sont doublés d’un jeu au niveau de la signature, qui nous paraît aller au-delà des pratiques habituelles du journal.

Pastiches et travestissement : « troubles dans le Genre »

26 Dès les années trente, le Canard enchaîné a régulièrement publié des rubriques pastichant des genres réputés féminins et signées de noms de femmes… mais écrits par des hommes [46]. Ainsi du « Courrier des Canettes », pastiche des courriers du cœur des journaux féminins : la rubrique est signée Valentine de Coin-Coin, pseudo de Pierre de Châtelain de Tailhade. Il semble que sa fille, Yvette, ait rédigé elle-même un certain nombre de courriers [47]. Le scénario est bien connu qui consiste pour les hommes à s’attribuer le travail des femmes (ainsi de Colette et des Claudine, signés du nom de Willy). Mais il est complexifié ici par le fait que le journaliste auteur présumé de la rubrique signe d’un pseudonyme féminin.

27 « Les recettes de Cousine Douille » semblent avoir succédé au « Courrier des Canettes » et relèvent du même type de fonctionnement, dans le positionnement de la rubrique culinaire au sein de la hiérarchie des genres journalistiques comme dans les jeux autour de la signature. On peut supposer que la douille, instrument de cuisine bien connu dont la forme – et peut-être l’usage –, ne sont pas sans rappeler l’organe masculin, masque « la couille », suggérée par la présence contrepétrique de la « cousine ».

28 Dans les années 1980-1990, « Le Courrier de Jeanne Lacane », pastiche de rubrique « psy » qui évolua vers des thèmes plus larges, connut un réel succès. Derrière le nom de Jeanne Lacane, mixte de Lacan au féminin et de « la cane de Jeanne » de Brassens, bien en phase avec la famille du palmipède et ses Jérôme Canard, se cachent en réalité deux journalistes hommes : Bernard Thomas et Dominique Durand [48].

29 Si pendant longtemps tous les journalistes du Canard enchaîné furent des hommes, l’hebdomadaire fit donc semblant, à travers ces rubriques et ces signatures, d’avoir des femmes dans ses rangs. Cette tradition du travestissement, où les hommes se font passer pour des femmes à travers la rédaction de rubriques journalistiques réputées féminines, met l’accent sur une double domination. Tout d’abord, sur la domination des hommes sur les femmes, que ces jeux dans le contexte de misogynie du Canard enchaîné éclairent d’un jour particulier. Et sur la hiérarchie des genres journalistiques, où coexistent des genres nobles et des genres peu valorisés et dominés, souvent perçus comme typiquement féminins : ainsi du courrier du cœur ou de la rubrique « psy », de la chronique « mode » ou des recettes de cuisine ici pastichés. Le détournement de texte n’est donc pas de pure forme. Il renvoie à un rapport de domination esthétique qui redouble et révèle les rapports de domination sexués. Non content d’être des « à la manière de », ces pastiches sont aussi des « à la place de ».

30 Les pastiches de journaux intimes tiennent une place importante dans ces jeux littéraires. « Le journale de Xavière T. » (sic) fut le premier d’entre eux. Il retrace la bataille pour la Mairie de Paris, en 2000-2001, lorsque Jean Tibéri est candidat à sa propre succession et que les « affaires » se multiplient (HLM de Paris, faux électeurs dans le 5e arrondissement, rapport de Xavière Tibéri sur la coopération…) [49]. « Le journal de Carla B. » qui prit la suite, après un bref « Journal de Cécilia S. », repose sur le même principe et connut également un vif succès.

31 Rappelons que prendre le discours de l’épouse (ou de la compagne) comme point de référence sur le personnage politique conforte une vision inégalitaire du couple : Armelle Le Bras-Chopard [50] parle d’« accessoire marital » à leur propos. En effet, le point de vue et le pouvoir réel ou supposé de la compagne ne valent que par sa proximité avec celui qui détient la légitimité effective : elle dispose d’une célébrité par procuration, d’une « célébrité dérivée ». L’instrumentalisation de l’épouse, fût-ce dans une perspective humoristique, participe de cette vision.

La politique vue du boudoir : « La Valérie T. si je mens »

32 « La Valérie T. si je mens » prend la suite du « Journal de Carla B. » après à peine trois semaines d’interruption [51]. Le 20 juin 2012 en effet, en Une également, un encart entouré de noir titre « La Valérie T. si je mens ! » [52]. « Merci au Canard de m’accueillir ! Interdite de politique dans Match, je vais pouvoir cancaner au moins quelques semaines. Je mérite ce stage : mon tweet anti-Ségolène Royal de la semaine dernière a été un chef-d’œuvre. » L’article (trois courtes colonnes entre un dessin de Cardon à gauche présentant un François Hollande défiguré par un baiser carnivore de sa compagne et la rubrique « Vite dit » à droite) est signé « Valérie T. » : l’initiale en lieu et place du nom renvoie de façon humoristique au codage qui caractérise l’écriture diaristique pour préserver l’anonymat des personnes mentionnées [53].

Des jours, des heures et des thèmes

33 La première vertu de cette parodie de journal intime est de réintroduire l’agenda de la semaine où les autres rubriques du Canard sont plus thématiques. Il permet donc de saisir la succession des jours propre au journal intime comme au journal d’information, au « diary » comme au « newspaper », la terminologie anglo-saxonne permettant de distinguer ce que le terme français confond. S’égrainent ainsi les jours et les heures en même temps que s’élabore sous nos yeux la cartographie politique de ce début de quinquennat : réception de l’opposante Haung San Suu Kyi à l’Élysée, célébration de l’amitié franco-allemande à Reims, visite de François Hollande à Londres, festival d’Avignon, interview du 14 juillet (« sans garden-party »), vacances au fort de Brégançon [54], déplacement à New York et à l’ONU en octobre, voyage officiel de François Hollande au Congo, affaire Mittal, etc.

34 La rubrique est aussi l’occasion pour Le Canard de dénoncer des réalités et des pratiques qu’il réprouve : le règne de « la com’ », le pseudo-journalisme et la connivence avec le monde politique. « Mes confidences au Monde sont une opération de communication exemplaire » lit-on ainsi dans le numéro du 19 décembre 2012 et un reportage du Point sur « la vie tranquille » du chef de l’État dans son quartier suscite ce commentaire de Valérie T. : « C’est comme ça que je conçois le journalisme : gonflé et objectif » (28 novembre 2012). Le Canard récidive, toujours par la voix de la compagne du Président : « Cette semaine c’est Le Parisien qui fait la tournée de nos échoppes favorites. Que du super normal ! “Monsieur François m’achète des cordons bleus, dont il raffole et un poulet rôti” s’exclame le boucher de la rue St Charles, tandis que le marchand de fruits assure que “/Le président/ fait la queue comme tout le monde à la caisse”. Avec la valise nucléaire dans son cabas ! C’est émouvant et crédible » (19 décembre 2012). Dans les deux cas la chute, ironique, donne la clé de lecture et dénonce le propos antérieur.

35 L’hebdomadaire fait du même coup son auto-promotion, et réaffirme, en creux, sa propre indépendance à l’égard des pouvoirs politiques comme économiques, arguments au cœur de la stratégie éditoriale. On se souvient du scandale provoqué par la parution de l’ouvrage de Karl Laske et Laurent Valdiguié [55] accusant Le Canard enchaîné de faire le jeu des communicants de l’Élysée à travers la rubrique « Le journal de Carla B. ».

36 Il dénonce de la même façon la confusion des pouvoirs entre exécutif et judiciaire, voire l’abus de pouvoir, quand Manuel Valls et François Hollande interviennent auprès du juge pour appuyer la procédure pour diffamation et atteinte à la vie privée engagée par Valérie Trierweiler contre les auteurs de La Frondeuse[56] : « Moi Présidente, je respecte la séparation des pouvoirs, certes, mais je place au-dessus le principe de non-séparation des couples » (12 décembre 2012). Ou encore la confusion des fonctions de « Première Dame » et de « première journaliste de France », qui décrédibilise le métier de journaliste : « Moi Présidente et toujours journaliste à Paris-Match, je ne monte jamais dans les étages quand j’ai quelque chose à y faire. Je fais descendre le rédacteur en chef. »

Portrait d’une mégère

37 Mais c’est en priorité par sa galerie de portraits que vaut la rubrique, au premier rang desquels celui de « La Première Dame », et la vision du monde et des rapports entre hommes et femmes qu’elle véhicule.

38 « Je dynamite, je disperse, je ventile […] J’ai du pain de plastic sur la planche » (20 juin 2012) ; et quelques semaines plus tard : « Je cogne, je dézingue » (19 septembre 2012). Loin des vertus de douceur et de tempérance généralement prêtées aux femmes, Valérie T. incarne la mégère, figure qui a connu son heure de gloire au Moyen-Âge et à la Renaissance et dont La mégère apprivoisée de Shakespeare reste le modèle. Tous les stéréotypes attachés au personnage sont successivement développés. Ainsi de la haine des femmes : « la Duflot m’énerve », « Pulvar, la greluche, je la pulvarise » ; il est question de « l’odieuse Cécilia Attias », quand Carla Bruni-Sarkozy est qualifiée « d’ex-first-pimbêche ». « En général, je n’aime pas les femmes », est-il encore écrit, « mais pour Anne Gravouin, je fais une exception. L’épouse du Ministre de l’Intérieur, violoniste de profession, n’est pas mécontente d’elle-même : “C’est sûr qu’une musicienne, c’est un peu plus glamour que Madame Ayrault, prof d’allemand dans la banlieue de Nantes”. Une telle vacherie, j’en suis jalouse » (4 juillet 2012).

39 Dans cet univers à la Dallas, où le premier objectif est la conquête et la possession d’un homme, les femmes apparaissent comme autant de rivales potentielles (« tant de femmes prédatrices ! », 27 juin 2012). De la chancelière allemande, il est écrit : « Elle m’échauffe sérieusement cette Merkel, à ne pas lâcher François d’une semelle […] Mais embrasse-le sur la bouche, pendant que tu y es… » (11 juillet 2012). Quand Audrey Pulvar annonce sa rupture avec Arnaud Montebourg : « Attention, la voilà de nouveau libre sur le marché ! Or, un homme de gauche non marié, il y en a un à l’Élysée. Mais c’est le mien ! Vade retro Pulvaras ! Je vais m’installer une guérite pour monter la garde » (21 novembre 2012). Jusqu’à Bernadette Chirac qui est soupçonnée : « Aurait-elle des vues sur mon surhomme ? Si elle insiste, je saisis le conseil de sécurité de l’ONU » (3 octobre 2012). Mais c’est bien sûr Ségolène Royal qui cristallise la jalousie du personnage, avec le comique de répétition qui sous-tend le propos et suscite chez le lecteur le plaisir de la reconnaissance : « Alerte à la Ségo ! » est-il écrit lors de la réception par François Hollande des anciens ministres de François Mitterrand (11 octobre 2012) ; la rencontre à New York, évitée de justesse entre les deux « ex » (3 octobre 2012), donne lieu à ce commentaire : « Car moi, Valérie Criseweiler, j’avais prévenu mon normalisé : “Si jamais tu embrasses la Royal, je fonce sur l’ONU dans un ULM bourré de kérosène.” Allah akbar, il a cédé ». Et lors des rumeurs de nomination de Ségolène Royal à la direction de l’IMA, Valérie T. s’exclame : « J’ai regardé le plan de Paris : de l’IMA à l’Élysée, en canot sur la Seine, c’est dix minutes. Pas question ! La Shéhérazade du Poitou serait capable de faire la danse des sept voiles devant Mon-François-rien-qu’à-moi. Institut du monde arabe ? Des nèfles ! Qu’on lui mette une burqa et qu’on n’en parle plus ! » (14 novembre 2012) [57].

40 La verve de l’auteur mobilise ici toutes les ressources du comique pour susciter le rire et conforter la communauté des rieurs. Inventivité verbale (« Pulvar, je la pulvarise »), détournement de locutions figées (« j’ai du pain de plastic sur la planche » : l’insertion de « du plastic » aboutit à une inversion des connotations domestiques de l’expression), utilisation optimale des ressources syntaxiques de la langue (la réduction de la phrase au noyau minimaliste syntagme nominal-syntagme verbal mime l’action : « je dynamite, je disperse, je ventile… »), variations sur un schème (« la first lady », « l’ex-first-lady », « L’ex-first-pimbêche » ; « Trierweiler », « Tweetweiler », « Criseweiler »…), comique de situation (« je vais m’installer une guérite »), burlesque (« si tu embrasses la Royal, je fonce sur l’ONU dans un ULM bourré de kérosène ») et grotesque : l’expression « Shéhérazade du Poitou » dont la danse des sept voiles risque de s’achever sous une burqa rappelle que toujours le défi consiste à remettre les femmes à leur place. Et sans doute sous l’expression « Et qu’on n’en parle plus ! » faut-il entendre l’espoir qu’elle ne parle plus.

Le fantasme d’une inversion des rapports de domination

41 Dans le film de Cukor Women (1939), il n’est question que d’eux, les hommes, alors même qu’ils n’apparaissent jamais à l’écran. De la même façon, le personnage du Président est au cœur du dispositif d’écriture du pseudo-journal, centralité caractéristique du rapport homme-femme ici illustré. Car s’il n’est pas le sujet du discours, il en est l’objet principal, et ce ne sont pas moins de 25 surnoms différents, pour la courte période ici prise en compte, qui désignent le personnage central du discours de Valérie T., François Hollande. Les surnoms oscillent entre l’enflure des désignations (« Mon Sublime Président », « Mon Sublime », « Mon Seigneur et Grand duc de Corrèze », etc.) et la revendication de normalité du personnage dont témoignent les variations sur « Mon Normalito », « Mon Doudou Normalou », etc [58]. Mais c’est le possessif qui en est la marque principale : il est d’abord sous tutelle, la propriété de Valérie T., le nom étant ainsi le signe le plus visible de la crainte d’une inversion des rapports de domination qui travaille tout le texte.

42 En effet, cancanière, violente, jalouse, Valérie T. est également possessive et autoritaire : « C’est plus facile de diriger la France que de me diriger » (18 juillet 2012) lit-on ainsi dans une des premières rubriques, peu de temps après le tweet de Valérie Trierweiler. « Sans moi, il ne tient pas debout, il n’est rien » (11 juillet 2012) : l’expression renvoie au stéréotype de la femme d’influence face à laquelle, dépouillé de ses attributs traditionnels, l’homme est réduit à l’obéissance et dévirilisé. Lors de la nomination au poste de secrétaire du parti communiste chinois de Xi Jinping, dont l’épouse, Peng Liyuan, est générale d’armée (« le couple Ping-Peng »), on peut lire : « Madame la Générale m’apprendra comment on met les hommes au garde à vous » (14 novembre 2012). Et lors des débats sur le « mariage pour tous » et la clause de conscience des maires un moment évoquée par François Hollande, il est écrit : « Je m’engage pour le mariage pour tous. Compris, François ? Et pas de liberté de conscience qui vaille ! » (31 octobre 2012).

43 « Moi Présidente, je suis choquée par les propos du député UMP Bernard Debré, qui me qualifie de “maîtresse du président”. Car si je suis sa maîtresse, qu’est-il pour moi ? Mon maître ? Personne n’oserait soutenir une thèse aussi absurde » (12 décembre 2012). Soulignons l’ambivalence de la formulation car si l’on peut entendre dans ces lignes une dénonciation, voire une condamnation des propos de Bernard Debré, la chute permet de reformuler le fantasme de l’inversion des rapports de domination.

44 « Pour le Festival, François m’accompagnera à une représentation d’une pièce de Boulgakov, Le maître et Marguerite. On va vite voir qui est le maître ! D’ailleurs, le metteur en scène s’appelle Simon Mc Burney. Oui, sévèrement burney, comme moi » (11 juillet 2012). L’inventivité verbale saluée plus haut n’évite pas toujours les pièges de la vulgarité, mais confirme le stéréotype de la virago, qui nourrit la vision du Genre ici véhiculée [59].

De quoi ces pastiches sont-ils le nom ?

45 Que masquent ces jeux d’écriture ? Le dispositif parodique empêche naturellement d’identifier les propos mis en scène à la posture de l’auteur de « La Valérie T. si je mens » ou de les prendre au premier degré. Oswald Ducrot rappelle en effet que « parler de façon ironique, cela revient, pour un locuteur L, à présenter l’énonciation comme exprimant la position d’un énonciateur E, position dont on sait par ailleurs que le locuteur L n’en prend pas la responsabilité et, bien plus, qu’il la tient pour absurde » [60]. L’ironie permet ainsi à celui qui en fait usage de ne pas être comptable de ses paroles.

46 Mais s’agit-il ici réellement d’ironie ? Si la duplicité et les jeux qui sont les siens fondent l’écriture du pastiche, de même que la tonalité d’ensemble des discours du Canard enchaîné, il n’est pas sûr cependant que cela suffise à exonérer leur « archiénonciateur ». En effet, les outrances et les caricatures, le burlesque et ses répétitions, de même que l’usage des stéréotypes de Genre qui renvoient à une tradition littéraire profondément sexiste, imposent une vision du monde révélatrice des associations qui sous-tendent un imaginaire sexué bien spécifique et en phase avec l’ethos du Canard enchaîné tel qu’on a pu le définir plus haut.

47 De fait, on rit moins ici avec les femmes qu’on ne rit d’elles, la communauté des rieurs s’instaurant entre hommes. Rien d’étonnant à cela, puisque le lectorat du Canard enchaîné est très majoritairement masculin, un lectorat dont l’entre-soi est ici conforté par un humour qui plonge ses racines dans des formes satiriques ancestrales. « Il semble que le rire ait besoin d’un écho. Ecoutez-le bien : ce n’est pas un son articulé, net, terminé ; c’est quelque chose qui voudrait se prolonger en se répercutant de proche en proche […] Et pourtant cette répercussion ne doit pas aller à l’infini. Elle peut cheminer à l’intérieur d’un cercle aussi vaste qu’on voudra ; le cercle n’en est pas moins fermé. Notre rire est toujours le rire d’un groupe. » [61]

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Mots-clés éditeurs : Canard enchaîné, médias, presse, Genre, satire

Date de mise en ligne : 01/11/2017

https://doi.org/10.3917/comla.177.0075

Notes

  • [1]
    L’éditorial du premier numéro daté du 10 septembre 1915 donne le ton. Son fondateur, Maurice Maréchal, précise en effet : « Le Canard enchaîné prendra la liberté grande de n’insérer, après minutieuse vérification, que des nouvelles rigoureusement inexactes. Chacun sait en effet que la presse française, sans exception, ne communique à ses lecteurs, depuis le début de la guerre, que des nouvelles implacablement vraies. Eh bien, le public en a assez. Le public veut des nouvelles fausses… pour changer. Il en aura » (cité in Jean Egen, Messieurs du Canard, Paris, Stock, 1973, p. 24).
  • [2]
    Il a à son actif la révélation de quelques grandes « affaires » parmi lesquelles la feuille d’impôt de Jacques Chaban-Delmas en 1971 et, en 1979-1980, l’affaire Boulin, l’affaire – aujourd’hui bien « dégonflée » – des diamants de Bokassa, l’affaire Broglie, etc. Dans les années 1980-1990, il fut concurrencé dans cette fonction d’enquête par d’autres journaux comme Le Monde ou Libération.
  • [3]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2005.
  • [4]
    Nous convenons d’orthographier « Genre » avec une majuscule quand le terme désigne les rapports sociaux de sexe (sens anglo-saxon du Gender), pour le distinguer de ses autres usages.
  • [5]
    Je tiens à remercier Angeline Lavigne, de la bibliothèque municipale de Toulouse, pour m’avoir grandement facilité l’accès aux numéros d’archives du Canard enchaîné.
  • [6]
    Jean Egen, Messieurs du Canard, op. cit.
  • [7]
    S’il existe un certain nombre de mémoires universitaires (une petite dizaine) et d’articles consacrés à l’hebdomadaire, nous avons été surprise de constater que les ouvrages en tant que tels étaient en nombre restreint, au regard de la longévité et de la place du Canard dans l’histoire de la presse française. Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes principalement appuyée sur l’ouvrage de Jean Egen (1973), consulté pour sa dimension testimoniale ; l’ouvrage de Laurent Martin (2005) constitue la référence historique ; l’enquête de Laske et Valdiguié (2003) apporte un regard complémentaire intéressant par sa portée critique. Nous avons également consulté les articles et travaux universitaires et porté un intérêt tout particulier au mémoire de Micheline Mehanna en raison de sa sensibilité à la question des femmes.
  • [8]
    Colette Ysmal, « Le Canard enchaîné ou les pièges de la lucidité », Esprit, février 1971, p. 233-243.
  • [9]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné. La dérision politique par le rire et l’investigation, DEA en sociologie politique, Paris 1 Sorbonne, 1995.
  • [10]
    Karl Laske, Laurent Valdiguié, Le vrai Canard - Les dessous du Canard enchaîné, Paris, Seuil, coll. « Points », 2010.
  • [11]
    Citée in Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), op. cit., p. 23.
  • [12]
    André Rauch, Histoire du premier sexe, op. cit.
  • [13]
    D’autres descriptions du fondateur du titre sont plus anodines, celui-ci apparaissant alors comme un personnage discret, voire banal. S’il ne nous est pas possible de trancher entre ces diverses versions, il est cependant intéressant de noter que dans sa description, Philippe Lamour semble considérer que le fondateur du Canard doive apparaître comme un mâle superlatif.
  • [14]
    Patrick Champagne, « Le Canard enchaîné, de la satire politique à la défense de la morale publique », ARSS/Liber, 89, 1991, p. 6.
  • [15]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), op. cit., p. 30.
  • [16]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné, op. cit., p. 70.
  • [17]
    Jean Egen, Messieurs du Canard, op. cit., p. 125.
  • [18]
    Ibid., p. 39.
  • [19]
    L’ouvrage de Carl Laske et Laurent Valdiguié donne de ces soirées une description digne des banquets rabelaisiens et des agapes du comte de Monte Cristo. Dans les salons de la Maison de l’Amérique latine, avec huissier à la chaîne en haut de l’escalier d’honneur, les buffets sont pantagruéliques : « C’est le plus beau buffet de la place de Paris », témoigne un journaliste (Laske et Valdiguié, Le vrai Canard…, op. cit., p. 44).
  • [20]
    Colette Ysmal, « Le Canard enchaîné ou les pièges de la lucidité », art. cit., p. 234-235.
  • [21]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné - Histoire d’un journal satirique (1915-2005), op. cit., p. 133.
  • [22]
    Ibid., p. 124.
  • [23]
    Laurent Martin rappelle que la fonction première de ces rassemblements au bistrot, qui perdurèrent jusque dans les années soixante-dix, était de réunir les membres épars d’une rédaction dont les journalistes passaient le plus clair de leur temps dans d’autres journaux.
  • [24]
    Ibid., p. 136 et suivantes.
  • [25]
    André Rauch, Histoire du premier sexe, op. cit.
  • [26]
    Cf. Érik Neveu, « Le genre du journalisme. Des ambivalences de la féminisation d’une profession », Politix, 13-51, 2000, p. 179-212.
  • [27]
    Béatrice Damian-Gaillard, Eugénie Saïtta, « Le processus de féminisation du journalisme politique et les réorganisations professionnelles dans les quotidiens nationaux français », Communication, 28(2), 2011.
  • [28]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné, op. cit.
  • [29]
    Karl Laske, Laurent Valdiguié, Le vrai Canard…, op. cit.
  • [30]
    Dans les chapitres « Les ciseaux de Michel Gaillard » et « Une citadelle sans femmes », K. Laske et L. Valdiguié soulignent les pressions de la part de la direction du Canard subies par Micheline Mehanna et son directeur de mémoire, Philippe Braud, professeur à l’université de Paris 1. Ils reviennent également sur la persistante absence de femmes au sein de la rédaction.
    La mention de cette particularité est marginale dans l’ouvrage de référence de Laurent Martin, qui se contente de noter « une misogynie souriante mais bien réelle » de la rédaction (Laurent Martin, Le Canard enchaîné…, op. cit., p. 700, note 806).
  • [31]
    Micheline Mehanna, L’idéologie du Canard enchaîné…, op. cit., p. 69.
  • [32]
    Ibid., p. 66.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Ibid., p. 70.
  • [35]
    La seconde femme de la rédaction est alors Brigitte Rossigneux, chargée des questions de Défense ; elle travaille dans les locaux de la rue des Petits-Pères.
  • [36]
    Ibid., p. 69.
  • [37]
    Ibid., p. 72. La réécriture est une tradition rédactionnelle du Canard, ce qui explique sans doute que beaucoup d’articles de l’hebdomadaire portent une signature collective (« Jérôme Canard ») ; d’autres ne sont pas signés ; certains articles enfin sont signés de seules initiales, qui masquent parfois plus qu’elles ne révèlent.
  • [38]
    Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998 ; voir aussi : Philippe Lejeune, Le moi des demoiselles - Enquête sur le journal de jeune fille, Paris, Seuil, 1993.
  • [39]
    Lucie Joubert, « Humour au féminin et féminisme : où en est-on ? », 2000 ans de rire, Annales littéraires de l’Université de Franche Comté, Besançon, 2002, p. 379-390 ; Lucie Joubert, « Rire : le propre de l’homme, le sale de la femme », in Normand Baillargeon et Christian Boissinot (dir.), Je pense donc je ris. Humour et Philosophie, Québec, Les Presses de l’université de Laval, p. 85-101.
  • [40]
    Kathleen Rowe, The unruly Woman. Gender and the genres of Laughter, Austin, Texas University Press, 1995.
  • [41]
    En raison de l’absence de « solution » à ces contrepèteries, la plupart d’entre elles restent lettre morte pour leurs lecteurs et lectrices, comme j’ai pu m’en rendre compte à travers une petite enquête menée autour de moi. Qu’importe ! La rubrique vaut pour son affichage et continue de faire signe à ce titre.
  • [42]
    Luc Étienne, Album de la Comtesse, Paris, J.-J. Pauvert, 1967, et Nouvel album de la Comtesse, Paris, Stock, 1979 ; Joël Martin, Sur l’album de la Comtesse (1979-1987), Paris, Albin Michel, 1988.
  • [43]
    Le succès est également au rendez-vous pour cette rubrique, comme en témoignent les BD régulièrement publiées par l’auteur sur ce thème.
  • [44]
    Cf. Gérard Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982.
  • [45]
    Avec l’arrivée de Georges Pompidou aux affaires, elle se poursuivit sous le nom de « La Régence », et s’arrêta lorsque Valéry Giscard d’Estaing fut élu, officiellement en raison de la médiocrité générale du nouveau pouvoir. Sans doute aussi, après 20 ans d’existence, l’inspiration faisait-elle défaut.
  • [46]
    Nous ne disposons pas pour l’instant des dates exactes de parution de ces rubriques pour les plus anciennes d’entre elles ; l’exploration systématique des archives du Canard enchaîné permettra de préciser ce point.
  • [47]
    Laurent Martin, Le Canard enchaîné, op. cit., p. 317.
  • [48]
    Ce dernier, interrogé par Micheline Mehanna (L’idéologie du Canard enchaîné, op. cit. p. 72-73), évoque le plaisir éprouvé à rédiger cette chronique, et surtout la liberté conférée par le pseudonyme féminin, qui lui permettait d’aborder des sujets tabous dans la rédaction, comme l’homosexualité.
  • [49]
    L’idée du journal intime repose sur un fait réel, le vrai journal intime de Xavière Tibéri ayant été saisi chez elle lors d’une perquisition du juge Halphen, en même temps qu’un rapport truffé de fautes et payé à prix d’or sur les conditions de coopération des collectivités locales : c’est l’origine du « e » fautif du « Journale de Xavière T. ». La matière politique était dense, la personnalité « brut de décoffrage » de l’épouse du Maire de Paris et le fonctionnement clanique du couple Tibéri apparaissaient comme une source d’inspiration inépuisable.
  • [50]
    Armelle Le Bras-Chopard, Première dame, second rôle, Paris, Seuil, coll. « Médiathèque », 2009.
  • [51]
    Dans l’édition du 30 mai 2012, on peut en effet lire, sous la plume de la présumée « Carla B. » : « Préparez vos mouchoirs ! Du Maroc où je suis, je rends ma plume et mon encrier. Adieu mon “Canard” ! Ce « journal » est le dernier de la série commencée le 19 décembre 2007 ».
  • [52]
    Le jeu de mots un peu laborieux renvoie au titre du film de Thomas Gilou qui connut un grand succès populaire à la fin des années 1990, « La vérité si je mens ». Dans son raccourci paradoxal (la formule complète est la suivante : « La vérité, si je mens, je vais en enfer »), il met d’emblée l’accent sur le jeu entre vérité et mensonge, entre information et fiction.
  • [53]
    La « stagiaire » reviendra régulièrement, d’abord en Une, puis en dernière page, puis avec des périodes d’interruption en août-septembre, correspondant peut-être aux vacances de Frédéric Pagès, l’auteur présumé de la rubrique, ainsi qu’en décembre. Le corpus de référence se compose donc des exemplaires du Canard parus entre juin 2012 et décembre 2012, soit les sept premiers mois de la présidence de François Hollande.
  • [54]
    La rubrique devient alors « La carte postale de Valérie », avec le sigle de la poste en guise de logo, à l’instar de ce qui avait été fait pour « Xavière T. » et « Carla B. » durant les périodes estivales.
  • [55]
    Karl Laske, Laurent Valdiguié, Le vrai Canard…, op. cit.
  • [56]
    L’ouvrage, écrit par Alix Bouilhaguet grand reporter sur France 2 et Christophe Jakubyszyn chef du service Politique de TF1-LCI (Éditions du moment, 2012), évoque entre autres les relations intimes de la compagne de François Hollande.
  • [57]
    Dans un autre numéro du Canard, un dessin de Potus représentant Ségolène Royal lisant la biographie de Valérie Trierweiler porte la légende suivante : « Je commence par la fin pour voir comment elle meurt » (11 octobre 12). Ambiance…
  • [58]
    Une autre série de surnoms porte sur le physique : « Mon enrobé lumineux », « Mon Flan Flan La Tulipe », etc.
  • [59]
    La rubrique « La Valérie T. si je mens » donne rapidement des signes d’essoufflement : passage de la page 1 à la page 8, irrégularités dans la publication et changement de voix : le 31 octobre 2012, sous le titre « Le courrier de Ségolène R. », on peut lire « Quelle surprise, n’est-ce pas ? Cette semaine, c’est moi qui tiens la plume et non Valérie T., l’Usurpatrice ». Le 30 janvier 2013, la rubrique est remplacée par « Toute Valérie T. Rien que Valérie T. », un article signé « C.N. », écrit à la 3e personne et portant sur le procès pour atteinte à la vie privée et diffamation intenté par la compagne du Président aux auteurs de La Frondeuse. Le même numéro propose, dans le cadre des « Interviews presque imaginaires du Canard », un entretien avec Carla Bruni intitulé « Je pars chanter à Tombouctou » et signé de Frédéric Pagès, l’auteur habituel des pseudo-journaux intimes.
    On peut se demander si « La Valérie T. si je mens » ne va pas subir le même sort que l’éphémère rubrique du « Journal de Cécilia S. » : silences de l’histoire…
  • [60]
    Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 79-80.
  • [61]
    Henri Bergson, Le rire, Paris, PUF, 2012 [1964], p. 4.

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