Notes
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[1]
Béatrice Jalenques-Vigouroux, Dire l’environnement : le méta-récit environnemental en question, Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, CELSA, université Paris-Sorbonne, 2006 ; Catellani Andrea, « La communication environnementale interne d’entreprise aujourd’hui : dissémination d’un nouveau “grand récit” », Communication et organisation, 36, 2010, pp. 179-219.
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[2]
Comby Jean-Baptiste, « La contribution de l’État à la définition dominante du problème climatique », Les Enjeux de l’information et de la communication, 1, 2009, pp. 17-29.
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[3]
Bernard Françoise, « Communication engageante, environnement et écocitoyenneté : un exemple des “migrations conceptuelles” entre SIC et psychologie sociale », Communication et organisation, 3, 2007, mis en ligne le 1er juillet 2010. URL : http://communicationorganisation.revues.org/94
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[4]
Témoignages des acteurs de la communication pour jeunes (enseignants, chargés de communication) recueillis dans le cadre du projet « Quel climat à l’école », GICC ; voir note 6.
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[5]
Guérin Claudie, « Lectures d’écologistes en herbe », La Revue des livres pour enfants, 147 (automne), 1992, pp. 72-75.
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[6]
Ce travail de réflexion a été mené dans le cadre du projet de recherche sur le climat et les jeunes « Quel climat à l’école ? », programme de recherche GICC « Gestion et impacts du changement climatique », 3e appel à proposition de 2008 : « Atténuation, adaptation et régionalisation », 2009-2011, financement Ademe. Ce projet avait pour objectif d’analyser la nature des messages sur le climat qui circulent au sein de l’école et dans des contextes extra-scolaires en fonction des politiques environnementales territoriales, et ainsi de constituer un outil de réflexion pour améliorer la communication sur le changement climatique auprès des jeunes publics.
1« Réchauffement », « dérèglement », « risque », « menace », « prévention », « adaptation », « crise », « abîme » : les termes et les discours utilisés par les médias, les institutions et les entreprises pour communiquer sur les phénomènes climatiques participent à la construction, chez les individus, de savoirs scientifiques en même temps que de sentiments divers, troublants, contradictoires. Entre catastrophe et fatalité, les discours sur le climat cherchent souvent la sensation, mobilisent des images inquiétantes, offrant une vision ambigüe de l’avenir de la planète. Pourtant, le diagnostic alarmant débouche souvent sur des propos rassurants, des recettes et des bons gestes à faire, et une perspective de la science triomphante qui permettra un retour à l’équilibre, comme la catharsis suivie de la sortie de crise. À qui s’adresse ce « méta-récit environnemental » [1]? En parallèle de la multiplication des supports de sensibilisation et d’information, les profils des destinataires de la communication environnementale se diversifient et s’affinent ; l’accent est mis sur l’individu dans ses différents rôles sociaux : on prend à part consommateurs, citoyens, touristes, habitants, etc., dans des tentatives d’inciter à des pratiques et à des démarches durables face aux dangers et aux effets néfastes sur l’atmosphère et le climat de l’industrialisation et de la surconsommation énergétique. Depuis les années 1990, quand le changement climatique s’érige en controverse publique, une rhétorique de la responsabilité individuelle se développe ; instituée par les acteurs gouvernementaux face à la difficulté de fédérer ou de mobiliser efficacement les industriels, une politique communicationnelle consensuelle cherche à promouvoir l’engagement des individus censés adhérer aux principes de l’éco-citoyenneté à travers des comportements vertueux [2].
2Dans ce contexte, comment penser la transmission des connaissances sur le climat à des jeunes ? La communication scientifique envers les enfants et adolescents s’apparente-t-elle à de la communication engageante [3] ? Éducateurs, professionnels de la communication et éditeurs pour la jeunesse se posent en effet la question de la stratégie communicationnelle à privilégier au sujet des questions climatiques, afin soit d’améliorer l’efficacité des campagnes de sensibilisation, soit d’informer sans trop effrayer le jeune, sans trop imposer une vision militante ou culpabilisante, sans le surcharger d’informations scientifiques difficiles à transposer dans un langage concret [4]. Une littérature « écologiste » qui cible les enfants existe depuis longtemps, dans l’idée, surtout, de toucher les parents [5]. La figure de l’enfant est en effet un puissant symbole de la responsabilité des générations actuelles envers le futur. L’enfant-médiateur, encore éducable, permet de représenter la naïveté et l’enthousiasme perdus de l’adulte ; c’est à travers la figure du jeune que les concepteurs de documents de vulgarisation ou de sensibilisation véhiculent l’amour de la nature et des animaux, les sentiments de dégoût et de peur face à la dégradation de l’environnement et un esprit de révolte et d’opposition dirigé contre la société de consommation. Pourtant, le jeune en tant que destinataire des messages environnementaux est paradoxalement une figure neutre et ambiguë ; n’ayant encore rien fait, n’ayant pas encore assumé une posture politique, l’enfant destinataire permet d’envisager l’engagement en tant qu’hypothèse et permet aussi de jouer avec des temporalités floues qui caractérisent les messages sur le climat, situés entre l’urgence et la crise à venir, entre la prise de conscience des générations actuelles et les bonnes résolutions ou trouvailles technologiques attendues, entre le maintenant et l’action future. En même temps, depuis 2005 et l’instauration d’une éducation à l’environnement pour le développement durable à l’école en France, des dispositifs de médiation se mettent progressivement en place, au sein des établissements scolaires, dans une optique de sensibilisation de l’élève-acteur, qui n’est plus seulement considéré comme relais mais comme citoyen et décideur. Quel est l’impact de ce programme éducatif sur les discours environnementaux à l’attention du jeune public ?
3Les contributions réunies dans ce dossier proposent une analyse des supports de communication au sujet du climat conçus pour de jeunes publics ou pour un grand public, dont les pré-adolescents et adolescents [6]. Comment différents médias, et à travers eux, les acteurs socio-institutionnels des domaines éducatifs, politiques et médiatiques contribuent-ils à créer un imaginaire des phénomènes climatiques chez les jeunes ? Tout en considérant une variété de médias – périodiques de vulgarisation, émissions télévisuelles, fictions pour jeunes, ouvrages documentaires – notre questionnement reste transversal. L’approche méthodologique poursuivie, qui permet de croiser des analyses socio-sémiotiques et discursives, vise à cerner la construction de la controverse climatique à travers des matérialisations textuelles, graphiques et visuelles. Y a-t-il un langage « prêt à penser », sur le changement climatique en direction des jeunes ? Quelles en sont les caractéristiques ? Peut-on toujours parler de « vulgarisation scientifique » face aux discours hybrides mêlant modélisations climatologiques, récits du passé assortis de projections vers un futur imaginaire, explications du fonctionnement du climat, de l’histoire de l’industrialisation et images de synthèse et infographies fantaisistes ?
4Plusieurs constats ressortent de la lecture de ces cinq contributions. En premier lieu, un problème de cadrage : où se trouve le point d’entrée de cette controverse socio-scientifique et quels sont les contours qui en sont donnés ? L’analyse de Béatrice Micheau montre pour trois périodiques qui ciblent en particulier des collégiens ou lycéens que, s’il y a des variations de traitement des sujets scientifiques dues à la spécificité des lignes éditoriales de chaque revue, on retrouve pourtant une trajectoire commune, binaire, qui met en scène la défense de l’environnement pour ensuite proposer les solutions technologiques et individuelles aux problèmes climatiques. Les explications scientifiques, notamment de l’effet de serre, restent au service d’une vision catastrophiste, et la focale ainsi que la structuration d’ensemble des documents dirigent toujours le lecteur vers les possibilités de gestion rationnelle des ressources, des comportements et des techniques. Le domaine de la politique est parfois évoqué, et l’agenda politique du climat sert parfois de prétexte pour les choix de sujets, mais la dimension socio-politique du changement climatique reste minorée. Cette structuration binaire se retrouve également dans le corpus d’ouvrages documentaires étudié par Susan Kovacs, ainsi que dans les émissions télévisuelles analysées par Laure Bolka-Tabary, qui montre que par les effets de montage, la présence d’expériences scientifiques contribue paradoxalement à renforcer une atmosphère générale de la peur. Les difficultés liées à la représentation de phénomènes scientifiques complexes et des échelles de temps hypothétiques conduisent à des choix structurels qui font côtoyer dans ces documents explications didactiques et récits ou scènes imaginaires, futuristes ou cataclysmiques. Les projections temporelles des articles de périodiques, des émissions et des ouvrages ressemblent effectivement à l’univers imaginaire du monde de la fiction écologiste étudié par Ferenc Fodor. La frontière entre vulgarisation et science-fiction semble donc moins opérationnelle quand il s’agit du thème du changement climatique que pour d’autres sujets scientifiques ; le recours au récit et à l’imaginaire fournit une solution efficace mais déroutante à ce défi représentationnel : comment décrire un phénomène qui se situe dans le présent mais qui renvoie à un avenir dont on ne peut prédire avec certitude le déroulement ?
5Cette ambiguïté entre le proche et le lointain se retrouve dans les représentations iconiques du phénomène du réchauffement climatique analysées par les auteurs. À défaut d’une représentation visuelle satisfaisante des phénomènes de changement progressive, des images iconiques forment un répertoire culturel et offrent une série de rébus pour connoter les liens de causalité entre la dégradation de la planète et l’avenir cataclysmique qui est censé en découler. Laure Bolka-Tabary met en avant la recherche d’une proximité avec le lecteur par le choix d’images récurrentes, reconnaissables, tirées de la vie quotidienne (cheminées de fumée) et, au contraire, la tendance à privilégier des lieux et des scènes éloignés dans l’espace (ours polaires, montée des eaux dans les îles de Polynésie) ; cette double tendance, présente également dans les périodiques analysés par Béatrice Micheau, semble correspondre à l’objectif de toucher le lecteur et de le rassurer en même temps, par des images de lieux exotiques qui montrent la souffrance de l’autre. Comme le montre Ferenc Fodor dans ses analyses des récits fictifs, l’avenir sombre imaginé par les auteurs ne nous éloigne pas trop de notre présent ; la catastrophe ultime et apocalyptique se trouve encore repoussée vers un avenir inconnu, mais la dégradation de l’environnement telle que nous la vivons déjà aujourd’hui se poursuit, inéluctable. Dans sa fonction sociale d’exutoire, le récit fictif permet aux jeunes de saisir et de vivre les conséquences potentiellement désastreuses de l’action de l’homme sur l’environnement, à travers notamment des images de la mer qui engloutit progressivement la terre, mais, comme dans les autres formes de médiation étudiées dans le dossier, la complexité des phénomènes et l’interrelation des considérations sociales, politiques et scientifiques sont écartées de l’univers fictif.
6Les schémas énonciatifs étudiés dans ces contributions témoignent des différentes façons de représenter la responsabilité des individus dans les problèmes environnementaux et climatiques. Comme le montre Laure Bolka-Tabary à propos des émissions télévisuelles, le jeune lecteur est pris à partie, investi d’un rôle social que les générations du passé n’ont pas pu ou voulu endosser, celui d’une nouvelle conscience écologiste et de sauveur potentiel de la planète. Les injonctions données aux jeunes et à leurs familles se retrouvent parfois nuancées, dans les documentaires étudiés par Susan Kovacs, par une vision qui se veut neutre et diplomate ; à travers un langage qui évite la subjectivité et le dialogue avec le lecteur, certains ouvrages documentaires cherchent à suggérer une responsabilisation élargie – mais vaguement attribuée – à tous les acteurs sociaux, politiques, industriels de notre société contemporaine. Cette vision d’une responsabilité partagée sert à évacuer la question de la culpabilité des acteurs pour mettre l’accent sur l’action possible, efficace, et sans obstacle apparent, pour protéger la nature et l’environnement. Dans les deux cas, l’implication directe du jeune et la responsabilisation atténuée et diffuse, nous remarquons l’importance d’une éthique de la participation et du travail (réduction de la consommation ; économies d’énergie ; tri ; déplacements en vélo ; etc.) qui réduit les enjeux du changement climatique et du développement durable à un ensemble de bonnes résolutions. Au-delà de l’image du destinataire jeune et de la posture qui lui est attribuée dans les documents étudiés, la contribution de Susan Kovacs propose également les résultats d’un ensemble d’entretiens effectués auprès d’une centaine de collégiens, afin d’évaluer l’impact des messages qui circulent dans et en dehors du cadre scolaire. Interrogés sur leurs connaissances, leurs avis et leur intérêt pour les questions liées à l’environnement, les jeunes collégiens se montrent sensibles à – et attirés par – l’effet choc des images catastrophistes auxquelles ils sont exposés, mais sont capables de prendre un recul critique et de reconnaître la place et la valeur des discours apocalyptiques. Pourtant, s’ils ont pris connaissance des enjeux de l’environnement et du développement durable, c’est souvent en tant que destinataires de messages d’inculcation des bons gestes dont ils ne voient pas toujours la signification. Cette observation semble traduire un effet de saturation ressentie face à la promotion de l’action individuelle efficace qui, ainsi que les analyses du dossier le montrent, est présentée comme une évidence, sans que cette démarche soit reliée à l’explication approfondie des causes et des contextes du problème à résoudre.
7Les corpus réunis et analysés dans ce dossier sont loin d’être exhaustifs ; notre ambition était d’identifier et de décrypter quelques-unes des tendances dans la représentation discursive des phénomènes environnementaux, et de relier ces tendances aux contextes et aux contraintes qui font émerger une façon de dire l’environnement aux jeunes aujourd’hui. Finalement, et malgré la diversité des supports et des dispositifs examinés, on retrouve sur le sujet du changement climatique un évitement certain de la controverse et de la complexité, auxquelles est substitué un recours à l’ellipse, à l’isolement des phénomènes et à un imaginaire social qui met l’accent sur les individualités dont l’action en faveur de l’environnement, conçue comme une nouvelle envie ou impulsion, ressemble à une simple transposition des attitudes consuméristes.
Notes
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Béatrice Jalenques-Vigouroux, Dire l’environnement : le méta-récit environnemental en question, Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, CELSA, université Paris-Sorbonne, 2006 ; Catellani Andrea, « La communication environnementale interne d’entreprise aujourd’hui : dissémination d’un nouveau “grand récit” », Communication et organisation, 36, 2010, pp. 179-219.
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[2]
Comby Jean-Baptiste, « La contribution de l’État à la définition dominante du problème climatique », Les Enjeux de l’information et de la communication, 1, 2009, pp. 17-29.
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[3]
Bernard Françoise, « Communication engageante, environnement et écocitoyenneté : un exemple des “migrations conceptuelles” entre SIC et psychologie sociale », Communication et organisation, 3, 2007, mis en ligne le 1er juillet 2010. URL : http://communicationorganisation.revues.org/94
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[4]
Témoignages des acteurs de la communication pour jeunes (enseignants, chargés de communication) recueillis dans le cadre du projet « Quel climat à l’école », GICC ; voir note 6.
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[5]
Guérin Claudie, « Lectures d’écologistes en herbe », La Revue des livres pour enfants, 147 (automne), 1992, pp. 72-75.
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[6]
Ce travail de réflexion a été mené dans le cadre du projet de recherche sur le climat et les jeunes « Quel climat à l’école ? », programme de recherche GICC « Gestion et impacts du changement climatique », 3e appel à proposition de 2008 : « Atténuation, adaptation et régionalisation », 2009-2011, financement Ademe. Ce projet avait pour objectif d’analyser la nature des messages sur le climat qui circulent au sein de l’école et dans des contextes extra-scolaires en fonction des politiques environnementales territoriales, et ainsi de constituer un outil de réflexion pour améliorer la communication sur le changement climatique auprès des jeunes publics.