Notes
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[1]
Cet article est un extrait préliminaire de mon ouvrage en cours sur la Bibliothèque Warburg comme dispositif de pensée intermédial, et réalisé au CRIalt dans le cadre du projet The Warburg Library Network.
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[2]
« Elle fuit, plus rapide que la brise légère… », Ovide, Métamorphoses, I, v. 502-503.
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[3]
Voir Aby Warburg, Bilder aus dem Gebiet der Pueblo-Indianer in Nord-Amerika. Vorträge und Fotografien, Gesammelte Schriften, vol. III.2, éd. Uwe Fleckner, Berlin-Boston, De Gruyter, 2018, p. 276, photo W124, dont la légende indique le village de Walpi. L’éditeur mentionne néanmoins (p. 11) que lieu et date de cette photographie sont incertains ; comparer à l’édition de Benedetta Cestelli Guidi et Nicholas Man (Photographs at the Frontiers. Aby Warburg in America 1895-1896, Londres, Merrel Holberton Publishers, Warburg Institute, 1998, p. 102, photo 33) qui plaçait le même cliché à la fin d’une série issue du village de Zuñi Pueblo, quelques jours auparavant, mi-avril 1896.
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[4]
Sur l’importance de la rencontre en 1895 avec Franz Boas, qui avait également étudié à Bonn, voir entre autres Horst Bredekamp, Aby Warburg, der Indianer. Berliner Erkundungen einer liberalen Ethnologie, Berlin, Klaus Wagenbach, 2019, p. 45-48 ; Gertrud Bing associait l’attrait de Warburg pour l’anthropologie à l’influence de son maître Hermann Usener, voir Fragments sur Aby Warburg, éd. Philippe Despoix, Martin Treml, avant-propos Carlo Ginzburg, Paris, Institut National d’Histoire de l’Art, « Inédits », 2020, p. 122-123 et p. 208-209.
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[5]
Voir Aby Warburg, « Eine Reise durch das Gebiet der Pueblo-Indianer in New Mexico und Arizona » [1897], Bilder aus dem Gebiet der Pueblo-Indianer in Nord-Amerika, op. cit., p. 26, qui reconnaît lui-même, lors de leur première projection en 1897, que « presque aucun cliché n’est sans incorrection » ; et Ian Jones « Aby Warburg as a Photographer », in Benedetta Cestelli Guidi, Nicholas Mann (dir.), Photographs at the Frontiers. op. cit., p. 50, qui évoque « Warburg’s lack of knowledge and understanding of basic photographic requirements ».
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[6]
Voir Sandro Botticellis, Geburt der Venus’ und, Frühling’ [1893], reprint in Aby Warburg, Ausgewählte Schriften und Würdigungen, éd. Dieter Wuttke, Baden-Baden, Valentine Koerner, 1979, p. 11-64 ; et Essais florentins ; tr. fr. S. Müller, Paris, Klincksieck, 1990, p. 47-100 ; pour la citation, voir Roberto Calasso, La folie qui vient des Nymphes, tr. fr. J.-P. Manganaro, Paris, Flammarion, 2012, p. 35 sq.
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[7]
Voir à ce sujet Karl Sierek, Images oiseaux. Aby Warburg et la théorie des médias, tr. fr P. Rusch, Paris, Klincksieck, 2009, p. 51 sq. Sur Warburg en pays Pueblo voir également Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris, Macula, 1998, p. 169 sq.
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[8]
Aby Warburg, note du journal du 3 mai 1896 à Keams Canyon, in Benedetta Cestelli Guidi, Nicholas Mann (dir.), Photographs at the Frontiers. op. cit., p. 155, pour la citation ; voir aussi « Eine Reise durch das Gebiet der Pueblo-Indianer in New Mexico und Arizona », op. cit., p. 26 : « fast alle Indianer [besitzen] vor dem Photographirt-Werden eine abergläubische Scheu, die lange Vorbereitungen ausschliesst. »
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[9]
Voir le vol. II : Taboo and the Perils of the Soul (1911), in James George Frazer, The Golden Bough. A Study in Magic and Religion [1906-1915], éd. abrégée [1922], Londres, Penguin 20th Century Classics, 1996, p. 232 sq.
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[10]
Figures sur lesquelles Warburg reviendra ultérieurement : pour Daphné, voir la série d’images « Urworte leidenschaftlicher Gebärdensprache » (1927), in Aby Warburg, Bilderreihen und Ausstellungen, Gesammelte Schriften, vol. II.2, éd. Uwe Fleckner, Isabella Woldt Berlin, Akademie Verlag, 2012, p. 80-81, Tafel 1 ; et pour Cassandre (relief Villa Borghese) l’ultime projet d’Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne, Gesammelte Schriften, vol. II.1, éd. Martin Warnke, Berlin, Akademie Verlag, 2e éd., 2003, pl. 6. Warburg avait par ailleurs noté le caractère dramatique de sa journée de visite à Walpi le 26 avril 1896 où Keams, dont il était l’hôte, se rendait pour apaiser une querelle entre Navajo et Hopi apparemment en raison d’un viol, voir Benedetta Cestelli Guidi, Nicholas Mann (dir.), Photographs at the Frontiers, op. cit., p. 155.
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[11]
Le détournement de tête – apostrophê en grec – dit dans l’espace iconique l’interdit visuel attaché à la Gorgone. Le verbe apostrephein, qui signifie se détourner, intervient généralement pour dénoter le refus de regarder ; Françoise Frontisi-Ducroux rappelle à ce sujet que « dans l’image c’est le personnage lui-même qui sort du cadre de l’action et transgresse la norme figurative », in Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris, Flammarion, 1995, p. 92. Remarquons qu’au combat guerrier, le trophée grec (trópaion) marque le point de retournement de l’ennemi en fuite d’une effigie dont on a pris les éléments sur l’adversaire défait.
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[12]
L’expression « pathos amérindien » caractérisant la « nymphe Pueblo » ici révélée par la photographie m’a été inspirée par María Gabriela Mizraje dont la version électronique de l’article « Memoria plural contra la locura » (clarin.com/revista-enie/ideas/ - 26/04/2019) concluait en caractérisant le Warburg américain « de ímpetu : indígena », voir María Gabriela Mizraje, « Memoria plural contra la locura (a propósito de Aby Warburg) », Revista Ñ. (Clarín), 2019, no 813, p. 7.
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[13]
Dans ses écrits Warburg fait preuve, entre 1902 et 1913, d’un souci constant de documentation photographique correcte, voir Die Erneuerung der heidnischen Antike. Kulturwissenschaftliche Beiträge zur Geschichte der europäischen Renaissance, éd. Gertrud Bing, Gesammelte Schriften, éd. Bibliothek Warburg, vol. I (t. 1-2), Leipzig-Berlin, Teubner, 1932 [reprint 1998], p. 7 & 10 ; p. 216 ; p. 466 ; p. 591 sq. ; p. 595. Sur la spécificité des mises en séries photographiques et des conférences-projections warburgiennes voir Philippe Despoix, « Conférence-projection et performance orale. Warburg et le mythe de Kreuzlingen », Intermédialités, 2014, nos 24-25 [en ligne].
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[14]
Voir « Dürer und die italienische Antike » [1906], Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit. ; tr. fr. Essais florentins, op. cit., p. 159-166.
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[15]
Voir Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit., p. 229, 446, 453 et 461. Dans ses notes fragmentaires sur l’expression « Grundlegende Bruchstücke zu einer pragmatischen Ausdruckskunde », datant pour l’essentiel de la période 1896-1905, le terme n’apparaît pas, voir Aby Warburg, Fragmente zur Ausdruckskunde, Gesammelte Schriften, vol IV, éd. Hans Christian Hönes, Ulrich Pfisterer, Berlin, De Gruyter, 2015 ; et Fragments sur l’expression, tr. fr. S. Zilberfarb, Paris, L’écarquillé – INHA, 2015.
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[16]
« Wie lebenskräftig sich dieselbe archäologisch getreue Pathosformel, auf eine Orpheus- oder Pentheusdarstellung zurückgehend, in Künstlerkreisen eingebürgert hatte », Aby Warburg, « Dürer und die italienische Antike », op. cit., p. 446 ; et Essais florentins, op. cit., p. 162 (tr. modifiée). Il semble y avoir aujourd’hui consensus sur ce que le graveur italien anonyme et Dürer auraient indépendamment l’un de l’autre copié une œuvre perdue de Mantegna, cf. Marcus Andrew Hurttig, Antiquity Unleashed : Aby Warburg, Dürer and Mantegna, Londres, Paul Holberton Publishing, 2013, p. 16, n. 12 et 13. Sur le concept de Pathosformel voir Martin Warnke « Vier Stichworte », in Werner Hofmann, Georg Syamken, Martin Warnke (dir.), Die Menschenrechte des Auges. Über Aby Warburg, Francfort-sur-le-Main, Europäische Verlagsanstalt, 1980, p. 61-67, et Georges Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, p. 191-202.
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[17]
« Dürer und die italienischen Antike », op. cit., p. 449 ; la traduction française (Essais florentins, op. cit., p. 165) ne reprend pas le terme de « superlatif » mais traduit par « exagération gestuelle ».
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[18]
Voir Hermann Osthoff, Vom Suppletivwesen der indogermanischen Sprachen, Heidelberg, Heidelberg Universität, 1899, dont Warburg avait lu et conservé une recension dans la Frankfurter Zeitung du 4. févr. 1902 ; il en fait mention peu après dans les notes de son dossier « Festwesen », voir Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, Paris, Klincksieck, 2015, p. 172.
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[19]
Hermann Osthoff, Vom Suppletivwesen der indogermanischen Sprachen, op. cit., p. 5 sq.
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[20]
Voir la note de Bing à propos de l’étude sur Sassetti in Aby Warburg, Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit., p. 363 ; et pour les autres emplois du terme « superlatif » ibid., p. 176 et p. 461. Warburg ne fera par la suite mention de Osthoff que dans les fragments pour l’introduction au projet Mnemosyne de 1929 (voir Aby Warburg, L’Atlas Mnémosyne, tr. fr. S. Zilberfarb, Paris, L’écarquillé – INHA, 2012, p. 55) ; sur son rapport aux travaux du linguiste voir les études de Mattia Vinco, « Il libro delle immagini suppletive », Aut Aut, 2004, nos 321-322, p. 132-141 et Anna Guillemin, « The Style of Linguistics: Aby Warburg, Karl Vossler, and Hermann Osthoff », Journal of the History of Ideas, 2008, no 69, p. 605-626.
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[21]
La référence proposée par Gombrich à Die Kultur der Renaissance in Italien est tronquée et peu convaincante dans le contexte de la mort d’Orphée (Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, op. cit., p. 173, n. 31). Le passage que celui-ci citait de source secondaire se lit en fait : « Wo irgend Pathos zum Vorschein kam, musste es in jener Form des Triumphs altrömischer Imperatoren geschehen » (Jacob Burckhardt, Die Kulturgeschichte der Renaissance in Italien. Ein Versuch [1860], Stuttgart, Alfred Kröner, 1988, p. 135, je souligne). Il s’agit, chez l’historien, du « pathos » spécifique à « la forme du triomphe des anciens empereurs romains », ce que ne rend pas non plus exactement l’édition française de Burckhardt (La Civilisation de la Renaissance en Italie, tr. fr. H. Schmitt, Paris, Plon, 1958. t. 2, p. 31). Voir à ce sujet Carlo Ginzburg, Peur, révérence, terreur. Quatre essais d’iconographie politique, Dijon, Les Presses du réel, 2013, p. 6, n. 5.
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[22]
On connaît l’expression de Nietzsche « Pathos der Distanz » dont il trouve l’exemple moral dans la culture antique qu’il oppose de ce point de vue au christianisme (voir Zur Genealogie der Moral [1887], in Friedrich Nietzsche, Kritische Studienausgabe, vol. 5, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1999, p. 259 ; La généalogie de la morale, tr. fr. H. Albert, Paris, Gallimard, « Idées », 1964, p. 28) ; celui-ci emploie parfois le terme Formel, mais sans le relier au Pathos.
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[23]
Voir Salvatore Settis, « Pathos und Ethos, Morphologie und Funktion », Vorträge aus dem Warburg-Haus, éd. Martin Warnke & al., vol. 1, Berlin, Akademie Verlag, 1997, p. 40-41. Voir également Bing qui évoque l’originalité de la psychologie historique de Warburg lorsqu’il parle de « frappe des images (Bildprägung) et de l’emploi de formules imagières (Bildformeln) », Gertrud Bing, Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 124-125.
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[24]
Voir Karl Dilthey, « Tod des Pentheus », Archäologische Zeitung, 1874, vol. 31, p. 79 sq. Celui-ci n’emploie néanmoins pas le terme de Bildformel dans cet article mais rapproche l’usage du langage formulaire (formelhafte Sprachgebrauch) en contexte dionysiaque des images mythiques de la chasse sauvage ou de la mort guerrière (ibid., p. 92, n. 3).
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[25]
Ibid., p. 94, où Dilthey évoque à propos de Fureur (Lyssa mainas) l’unité originelle qui « im Alterthum durch sakrale und poetische Formeln, durch bildliche Darstellungen in einer für uns beinahe latenten Tradition fortgepflanzt worden war. » Il réserve de fait le terme de Formel pour le langage religieux ou poétique, cf. ibid., p. 82 et 90.
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[26]
L’hypothèse de Settis est d’autant plus plausible qu’un tiré à part des études publiées dans l’Archäologische Zeitung en 1874 se trouve dans la bibliothèque Warburg et que le nom de Dilthey avait pu lui être rappelé par la dédicace des Götternamen (1896) de Usener aux deux frères, Karl et Wilhelm. De plus, l’historien de l’art envoya en 1906 un exemplaire de sa propre étude à Karl Dilthey qui la reçut de manière positive et un échange de vues s’instaura par correspondance jusqu’à la mort de ce dernier, l’année suivante, prouvant a posteriori l’importance du lien avec le travail de l’archéologue ; voir le tiré à part de K. Dilthey sous la côte KKO 850 et les huit lettres échangées avec lui entre mars 1906 et janvier 1907 (en particulier celle du 28 mars 1906, Warburg Institute Archive, WIA GC/2065).
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[27]
L’auteur pointe de plus l’ambivalence polaire de la formule du « genou plié » qui pouvait s’appliquer aussi bien à Cassandre fuyant Ajax dans le temple d’Athéna (cité par K. Dilthey) qu’à Mithras posant son genou sur le dos du taureau vaincu, voir Salvatore Settis, « Pathos und Ethos, Morphologie und Funktion », op. cit., p. 40-41 et figures 5 et 6.
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[28]
Voir Hermann Osthoff, Vom Suppletivwesen der indogermanischen Sprachen, op. cit., p. 42-43, qui après avoir rappelé que les objets de la représentation par le langage étaient d’autant plus individuels et concrets qu’ils se situaient plus près des sentiments et de la pensée du locuteur, précise « dass das supletivwesen und seine anwendung die alte sprachliche Formel für das zunächts liegende, die anteilnahme des menschlichen gemüts zuvördest erregende ist » (p. 43, graphie originale, je souligne). Notons ici l’emploi redoublé des adverbes zunächst et zuvördest formés sur un superlatif.
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[29]
Voir la mention « autoréflexive » de Warburg « die Formel, die ich dafür gefunden habe » dans ses notes pour « Festwesen », cité in Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, op. cit., p. 172.
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[30]
Voir Hermann Usener, Götternamen. Versuch einer Lehre von der religiösen Begriffsbildung [1896], 3e éd., Francfort-sur-le-Main, G. Schulte-Bulmke, 1948, p. 318 sq. À propos de cet ouvrage et de son auteur, voir Arnaldo Momigliano, « Hermann Usener », History and Theory, 1982, vol. 21, p. 33-48, ainsi que John Scheid, Jesper Svenbro, « Götternamen revisited. La génération des dieux selon Hermann Usener », in Pierre Bonte, Enric Porqueres i Gené, Jérôme Wilgaux (dir.), L’argument de la filiation : Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes [en ligne], Paris, Éditions de la MSH, 2011, p. 453-465.
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[31]
Hermann Usener, op. cit., p. 323 : « Auch der sondergott muss erst enmal als augenblicksgott empfunden worden sein, ehe die regelmässige wiederholung des gemühtseindrucks ihn dauer verleiht… » ; comparer avec le commentaire que Cassirer ferait dans Sprache und Mythos de la démarche de Usener à propos de l’intensification du sensible, au cœur de la genèse de la dénomination langagière comme de la mise en forme mythico-religieuse, cf. Ernst Cassirer, Langage et mythe. À propos des noms de Dieux, tr. fr. O. Hansen-Love, Paris, Minuit, 1973, p. 111.
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[32]
Notons qu’Usener utilisait couramment le terme de Formel pour les mots composés désignant des devises rituelles telles que Gebet-, Ächtungs-, Hegungs-, Beschörungsformel, respectivement : formule de prière, de proscription, de soin, de conjuration, etc. Les formes d’adresses aux divinités relevaient pour lui de formules fixées par les rites et sensibles jusque dans leur dénomination (voir l’exemple d’Apollon Phoibos, in Götternamen, op. cit., p. 332).
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[33]
Celle-ci est la figure même de la possession divine, voir « Ninfa Fiorentina » (1900), in Aby Warburg, Werke in einem Band. Auf der Grundlage der Manuskripte und Handexemplare, éd. Perdita Ladwig, Martin Treml, Sigrid Weigel, Berlin, Suhrkamp, 2010, p. 198 sq. (tr. fr. in Revue germanique internationale, 28/2018, p. 211-220) ; et Bing qui rappelle, à propos de l’attention warburgienne à la ninfa ou à Fortuna, l’influence de la conception des Augenblicksgötter de Usener, dans Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 220-221.
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[34]
Warburg semble avoir envoyé, peu après sa conférence, ses planches « Der Tod des Orpheus » à Osthoff (cf. lettre de Gertrud Osthoff du 3 nov. 1905, WIA GC/912) sans qu’un échange s’amorce avec le linguiste. Voir également le fichier : Zettelkasten « Ausdrucksstil » (WIA III.2.1. ZK/[10]/70) qui associe entre autres la fresque du Massacre des innocents de Ghirlandaio au supplétif et au nom d’Osthoff.
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[35]
Gertrud Bing, Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 165 [tr. modifiée, je souligne], l’expression originale est : « lifting a figure from its formal context… ».
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[36]
Dans une étude du premier numéro du Journal of the Warburg Institute qu’il avait cofondé, voir Edgar Wind, « The Maenad under the Cross », Journal of the Warburg Institute, 1937, no 1, p. 70 sq., et Carlo Ginzburg, Peur, révérence, terreur. Quatre essais d’iconographie politique, op. cit., p. 8-9.
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[37]
Charles Darwin, The Expression of the Emotions in Man and Animals, New York, D. Appleton & Co, 1872, p. 208. « Comme exemple, il cite le plaisir frénétique d’une bacchante et la douleur d’une Marie-Madeleine », tr. fr. L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, Paris, Reinwald, 1890, p. 232. Dans sa note Darwin ne cite en fait que la dernière phrase d’un long paragraphe de Reynolds.
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[38]
Warburg avait entre autres commandé des photographies de dessins de Bandinelli à la Kunsthalle de Hambourg mi-juin 1898 et s’était également informé sur cet artiste auprès de l’Albertina de Vienne en déc. 1903 (cf. WIA GC/27809). Bandinelli appartient aussi à ce dossier dans la mesure où il avait copié les Centaures de Mantegna.
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[39]
Joshua Reynolds, Discourse no 12 [1784], in Edgar Wind, « The Maenad under the Cross », op. cit., p. 70-71. « Il y a une figure de Bacchante qui se renverse, la tête entièrement rejetée en arrière, et peut passer pour une invention favorite des anciens, car elle est souvent répétée dans les bas-reliefs, les camées et les pierres gravées antiques ; on a voulu dans cette attitude représenter une espèce de joie enthousiaste et frénétique. Or c’est cette figure que Baccio Bandinelli a prise dans un dessin que je possède de ce maître – qui savait parfaitement ce qui mérite d’être emprunté – pour représenter une des Maries dans une Descente de Croix. Il est curieux d’observer, et il est certainement vrai que les extrêmes de passions contraires trouvent, avec peu de variations, leur expression dans le même geste. » Discours sur la peinture, tr. fr. J.F. Baillon, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1991, p. 236 (tr. modifiée).
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[40]
Les éditions anglaise de 1884 et allemande de 1893 des Discourses de Reynolds se trouvent dans la bibliothèque Warburg sous la côte CMH 205 ; il est néanmoins difficile d’établir si Warburg a connu, à l’époque de sa lecture de Darwin, le dessin de Reynolds du British Museum commenté par Edgar Wind, ibid., p. 71.
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[41]
Voir la note dans laquelle Warburg, peu de temps après sa conférence, évoque sa convergence avec Nietzsche et imagine le titre précisé suivant pour son célèbre ouvrage : « L’origine de la tragédie à partir du style apollinien du drame dionysiaque dansé » (Der Ursprung der Tragödie aus dem apollinischen Stile des dionysischen Tanzspiels), journal du 9 déc. 1905, cité in Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, op. cit., p. 178.
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[42]
Voir en particulier à propos de Ghirlandaio, Aby Warburg, Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit., p. 157, et de Pollaiuolo, ibid., p. 175.
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[43]
Aby Warburg, « Der Eintritt des antikisierenden Idealstils » (1914), Werke in einem Band, op. cit., p. 304.
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[44]
Voir Der Bilderatlas Mnemosyne, op. cit., pl. 42 (ill. 14) sous le titre de « Leidenspathos in energetischer Inversion ».
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[45]
Pour la liste des gravures exposées, voir Marcus Andrew Hurttig, Antiquity Unleashed, op. cit., p. 35-37 : 1. Dürer, Mort d’Orphée, dessin 1494 ; 2. Mort d’Orphée, gravure anonyme de Ferrare ; 3a-b. Mantegna, Bataille des dieux marins, gravure 1475-80 ; 4. Id., Bacchanale avec silène, gravure c. 1475-80 ; 5. Dürer, La folie d’Hercule, xylographie c.1496 ; 6. Id., Jalousie, gravure c.1498 ; 7. Id., Nemesis (La Grande Fortune), gravure c. 1501 ; 8. Id., Melencolia I, gravure 1514.
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[46]
Quelques diapositives étant néanmoins répétées ; cette conférence encore inédite et conservée sous la côte WIA III.61.6 doit être publiée dans le futur vol. III.1 des Gesammelte Schriften. Les numéros de diapositives inscrits sur ce manuscrit diffèrent de la liste préliminaire du document WIA 61.3 publiée in Marcus Andrew Hurttig, Antiquity Unleashed, op. cit., p. 15.
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[47]
Der Tod des Orpheus. Bilder zu dem Vortrag über Dürer und die italienische Antike [1905], reprint in Aby Warburg, Ausgewählte Schriften und Würdigungen, op. cit., p. 131-135.
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[48]
Ce drame de Poliziano représenté à la cour de Mantoue se clôt sur la mise à mort d’Orphée par les bacchantes glorifiant leur dieu, voir l’édition bilingue sous le titre « Fabula di Orfeo », in Ange Politien, Stanze. Fabula di Orfeo / Stances. Fable d’Orphée ; tr. fr. É. Séris, éd. Francesco Bausi, Paris, Les Belles-Lettres, « Bibliothèque italienne », 2006, p. 61-74.
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[49]
Gertrud Bing souligne à ce propos le « lien étroit » chez Warburg « entre description et interprétation », ainsi que « la langue extraordinairement condensée […] créée ad hoc pour faire transparaître ses points de vue généraux sans les disjoindre de sa présentation du cas singulier », Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 144 sq.
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[50]
Voir Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne, op. cit., pl. 5 : voir les reproductions 2-5 pour les Niobides, 11-14 pour la mort de Penthée ou d’Orphée, 15 et 23 pour le rapt de Proserpine. Pour le bas-relief d’Ajax et de Cassandre, un genou plié à terre (qui avait été évoqué par K. Dilthey), voir pl. 6 (ill. 3) ; et pour la reprise du dessin d’Orphée de Dürer pl. 57 (ill. 7).
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[51]
Voir Aby Warburg, « Mnemosyne I, Aufzeichnungen, 1927-29 », Werke in einem Band, op. cit., p. 643 sq. ; également l’introduction de Roland Recht, in Aby Warburg, L’Atlas Mnémosyne, op. cit., p. 48.
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[52]
Alors qu’il avait abandonné son projet d’ouvrage sur l’expression, Warburg évoque un « atlas » au titre de : « Der Eintritt der Antike in den pathetischen Stil der Florentiner Frührenaissancemalerei (Festwesen, p. 73) », moment caractérisé par Gombrich comme sortie de crise, in Aby Warburg, Une biographie intellectuelle, op. cit., p. 263. Ce document daterait en fait de 1903, cf. Claudia Wedepohl, « Ideengeographie: Ein Versuch zu Aby Warburgs Wanderstrassen der Kultur », in Helga Mitterbauer, Katharina Scherke (dir.), Ent-grenzte Räume, Kulturelle Transfers um 1900 und in der Gegenwart, Vienne, Passagen, 2005, p. 232.
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[53]
Voir pl. 77 (vorletzte Fassung), in Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne, op. cit., p. xvi, planche qui aurait dû être la dernière de la variante intermédiaire datée de sept. 1928 (la photographie de la golfeuse est extraite de la revue Frau und Gegenwart de la même année) ; elle sera remaniée dans la version ultime et prolongée de deux planches supplémentaires.
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[54]
Journal collectif du 31 juill. 1929, in Aby Warburg, Tagebuch der kulturwissenschaftlichen Bibliothek Warburg mit Einträgen von Gertrud Bing und Fritz Saxl, Gesammelte Schriften, vol. VII, éd. Karen Michels, Charlotte Schoell-Glass, Berlin, Akademie Verlag, 2001, p. 481.
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[55]
Sur l’importance de la presse illustrée, voir « Warburgs Ansprache in Hamburg, KBW. Drei-Hüter-Feier », 30 juill., 1929, in Dorothea McEwan, Wanderstrassen der Kultur. Die Aby Warburg-Fritz Saxl Korrespondenz 1920 bis 1929, Munich-Hambourg, Dölling & Galitz, 2004, p. 205-207. La réflexion warburgienne croise ici celle de Kracauer sur le rapport de la photographie au temps historique et au sport comme son symbole contemporain, cf. Siegfried Kracauer, « La Photographie », tr. fr. S. Cornille, Sur le seuil du temps. Essais sur la photographie, éd. Philippe Despoix, Montréal, PUM – Paris, Éditions de la MSH, 2013, p. 27-45.
1En posant, à partir de la réactivation des figures du paganisme ancien à la Renaissance, la question de la fonction mnésique de l’image dans l’histoire des cultures, Aby Warburg (1866-1929) ouvrait la voie à des recherches pour lesquelles n’existait pas de tradition disciplinaire définie. Se situant au-delà de l’histoire de l’art et de l’esthétique traditionnelles, il visait, en fondant sa fameuse bibliothèque, une anthropologie de la transmission visuelle construite et pensée en images et à travers elles. Les concepts spécifiques – et difficilement traduisibles – développés dans cette perspective, tels que « formule d’affect » (Pathosformel), « vie posthume » (Nachleben), « migration des images » (Bilderwanderung), etc., faisaient régulièrement appel à des dispositifs de visualisation que l’on pourrait aujourd’hui qualifier d’opérateurs intermédiaux.
2Reconstituer le type de relations entre ces notions inédites et les dispositifs adjacents de collection, de reproduction, de cartographie ou de projection auxquels elles étaient étroitement associées reste en ce sens un enjeu pour saisir la singularité de la méthode incarnée dans la Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg. En explicitant les rapports de médiation entre visualisation et conceptualisation des modalités de transmission iconiques, on peut apprécier la mesure dans laquelle cette approche esquissait déjà une heuristique intermédiale de l’image. L’étude de cas suivante explore la manière dont les gestes de photographie, de sélection, de mise en série et d’exposition organisaient les matériaux visuels et ont ainsi conditionné la différenciation d’une notion pivot comme celle de « formule de pathos ». Inversement, elle pointe comment ce concept pouvait de son côté susciter de nouveaux agencements d’images tels celui de l’ultime projet warburgien : l’atlas Mnémosyne.
Photographie et pathos amérindien
Fugit ocior aura illa levi…
Apostrophē – Walpi 1896
4Un jour de la seconde moitié d’avril 1896, au cours de sa traversée des territoires Zuñi et Hopi, Aby Warburg s’était essayé à photographier une femme du village qu’il explorait – probablement Walpi sur les falaises de la première Mesa en Arizona. Visiblement effrayée par l’étranger et son appareil, la femme Pueblo lui avait immédiatement tourné le dos pour se réfugier dans l’ombre d’une maison, ne laissant au jeune historien de l’art en quête d’ethnographie que le temps de capter son mouvement de fuite (Figure 1) [3]. Il est étonnant, mais décisif, que Warburg ait, en dépit de la situation non-propice, déclenché l’obturateur de son Kodak. Paradoxalement, ce cliché, apparemment « manqué » d’un point de vue conventionnel, paraît démonstratif de la relation que le chercheur de Hambourg entretenait avec les images ; mais aussi, de manière plus implicite, avec le médium de reproduction photographique.
5Warburg aurait dit de son voyage américain – qui le fit se rapprocher de l’anthropologue Franz Boas – qu’il lui avait également appris la photographie [4]. Et de fait, c’est à travers l’image technique que s’est formé et aiguisé son regard pour les cultures amérindiennes. Du point de vue d’une histoire traditionnelle du médium, sa pratique amateure peut paraître entachée de nombreuses carences, les spécialistes allant même jusqu’à évoquer un « manque de connaissance et de compréhension des exigences photographiques de base [5] ». À moins de considérer que sa négligence évidente vis-à-vis des conventions d’alors soit assumée et pleinement significative. Warburg ne s’intéressait pas, en effet, aux règles élémentaires du cadrage conçu comme composition esthétique, même minimale. Simple technique de documentation d’abord, c’est très souvent aussi l’interaction avec son sujet qui, lors de ce périple, captait son attention.
6Le futur Kulturwissenschaftler qui, inspiré par Burckhardt et Nietzsche venait de réfléchir dans sa thèse sur Botticelli sur « l’intensification soudaine d’un geste féminin » à travers la réapparition picturale de la nymphe antique – l’Heure printanière de La naissance de Vénus –, redécouvrait alors la puissance spécifique du simulacre païen [6]. L’utilisation de l’appareil photo face aux Amérindiens semble elle-même en avoir renforcé la perception. En analysant la pratique photographique de Warburg lors de ce voyage, on a remarqué que son corps n’est pas seulement affecté, mais affecte les images d’une manière directement physique [7]. Le mouvement du sujet envahit l’espace intermédiaire et fait de la prise de vue un acte dynamique. Ici, dans le cas de la femme Pueblo fuyant l’appareil, l’action provoque un désordre inattendu de la scène.
7Warburg a lui-même noté dans son journal américain combien les « Indiens ne se laissent photographier que de mauvais gré » et l’a rappelé en forme de préambule lorsque, dès son retour à Hambourg, il projetait ses clichés devant la Gesellschaft zur Förderung der Amateur-Photographie [8]. S’il n’a alors pas montré cette photographie « manquée », il aura néanmoins conservé dans la série archivée le snapshot de la femme indigène se soustrayant à sa caméra.
8Cette fameuse frayeur mythique devant l’appareil dont parlent les missions ethnographiques de l’époque sans jamais la documenter visuellement – et à laquelle James Frazer consacrera un chapitre dans The Golden Bough – Warburg l’a bien ici captée [9]. Ce détournement de la tête d’abord, puis de tout le corps, de ce qui est perçu par la femme Pueblo comme un danger que son regard ne doit pas croiser, renvoie à un classique mouvement d’apostrophē. Craignant vraisemblablement la perte de sa propre image – forme de son double –, la femme indigène prend la fuite comme Daphné devant Apollon, ou Cassandre devant Ajax dans les représentations antiques [10].
9Tout à la fois apostrophe, au sens littéral et non pas rhétorique, de la femme photographiée et trophée du photographe [11], ce cliché enregistrait la trace du retournement que l’appareil provoquait – moment de tension extrême entre un arrêt et une dynamisation inverse du mouvement du corps. De fait, l’acte de photographier produisait ici de manière « performative », tout en la fixant, une de ces « formules de pathos » dont Warburg allait développer le concept à partir de son étude de la transmission des représentations de la mort d’Orphée. Dans cette confrontation involontaire avec un « pathos amérindien » la formule a été saisie dans l’image photographique bien avant que le chercheur ne puisse la dénommer [12].
10Comme la photographie qui la révèle ici dans l’apostrephein de son sujet, ce qu’il allait plus tard nommer Pathosformel inaugurait un processus de remise en cause des discours classiques sur l’image. Cette inquiétante déstabilisation du rapport à la représentation imagière mènerait Warburg à radicalement brouiller les frontières entre histoire de l’art, histoire culturelle et anthropologie religieuse avec l’établissement, dans les années 1920, de la Bibliothèque éponyme comme centre de recherches consacré à l’histoire des images sur la longue durée. Et elle le porterait à s’interroger en premier lieu sur les modalités et les milieux de transmission des affects : empreinte de l’affect corporel dans l’image, transfert du pathos via sa reproduction en formules types, transposées d’une technique de représentation vers l’autre à travers l’espace et le temps discontinus des cultures. Dans l’étrange cliché de la femme Pueblo, production, captage et transmission postérieure de l’intensité émotive étaient condensés dans l’instant par la photographie. Sujet à la limite du visible, peut-être faut-il le considérer comme l’élément zéro des futures séries et dispositifs photographiques dans lesquels se déploierait l’essentiel de la méthode warburgienne d’exploration de la fonction mnésique des images. Car si la photographie a d’emblée eu une part décisive dans les modes de collecte de Warburg, celui-ci allait également mobiliser le potentiel de reproduction sérielle, de projection et d’exposition de ce médium encore récent selon des modalités tout à fait nouvelles [13]. Au cœur de sa bibliothèque se trouverait une Bildersammlung, soit une photothèque moderne régie selon les mêmes principes thématiques que ceux présidant au voisinage des livres et des documents écrits. Cette collection de reproductions d’images constituerait la base même des dispositifs de visualisation autorisant des concepts dont le motif original était non seulement d’éclairer l’évolution des styles artistiques mais, plus largement, la fonction et les formes historiques d’expression du pathos.
Superlatifs de la gestuelle : un dispositif de visualisation
Figure 3. Albrecht Dürer, Der Tod des Orpheus (détail), 1494
Orphée mis à mort – Hambourg 1905
11C’est à propos d’une figure inverse de celle d’un mouvement de fuite que Warburg en est venu, une dizaine d’années plus tard, à employer pour la première fois l’expression de Pathosformel – de formule d’affect. Celle-ci dénommait d’abord ce moment d’arrêt où, sur une gravure anonyme dont un dessin de Dürer reproduisait aussi les figures [14], Orphée est représenté un genou et une main à terre, l’autre bras levé en guise de protection face à des ménades en fureur, prêtes à le frapper à mort de leurs bâtons (Figures 2 et 3). Derrière ces postures typées Warburg avait découvert une réminiscence calquée sur la gestuelle antique et se proposait de reconstituer la série des documents qui permettait d’en retracer la transmission jusqu’aux artistes de la Renaissance qui l’avaient adoptée. Le contexte était tout autre que celui du terrain ethnographique américain, mais les techniques de reproduction, photographiques en particulier, continuaient à tenir un rôle éminent dans le processus de réflexion et de monstration qui mena à la notion singulière de formule d’affect – un terme qui semble aujourd’hui symboliser la conceptualisation spécifique développée par Warburg mais n’apparaît néanmoins que peu de fois dans ses écrits [15].
12La première mention publique du terme Pathosformel eut en effet lieu lors d’une conférence donnée à l’occasion du Congrès des philologues et enseignants allemands se tenant à Hambourg début octobre 1905. Seul un résumé en fut publié l’année suivante sous le titre « Dürer et l’antiquité italienne » (Dürer und die italienische Antike). Ce court texte introduisait la nouvelle notion en mentionnant, par-delà la gravure La mort d’Orphée, sans doute issue de cercles ferrarais proches de Mantegna, l’existence dans l’Italie de la Renaissance d’une série d’œuvres montrant, avec une concordance quasi totale, « avec quelle vitalité cette formule de pathos archéologiquement fidèle, reprenant une représentation d’Orphée ou de Penthée, avait acquis droit de cité dans les cercles artistiques [16] ».
13« Formule de pathos » ou d’affect archéologiquement fidèle – Pathosformel est une création lexicale singulière qui visait à nommer la représentation de gestes types ou de positions dynamiques du corps associés à des émotions spécifiques, en général extrêmes. Les postures humaines que désignait cette notion étaient relativement indépendantes des figures auxquelles elle s’appliquait, puisqu’on retrouvait la même formule pour représenter aussi bien la mise à mort par les bacchantes d’Orphée que de Penthée. Caractéristiques de tels schèmes gestuels – ici ceux de frappe et de défense –, que les artistes italiens commençaient à reproduire en les décontextualisant, était leur valeur prototypique, d’une grande stabilité malgré la longue latence, voire les déformations qu’elles avaient connues pendant le Moyen Âge. Même transmise à travers les supports et les techniques les plus divers, relief de sarcophage ou peinture sur vase, cette gestuelle des situations de pathos relevait pour Warburg d’un caractère formulaire – tout comme la mémoire mobilisée dans la poésie orale archaïque : c’est ce que semblait signifier l’adoption du lemme de « formule » (Formel) plutôt que celui de forme.
Entre archéologie et linguistique
14L’historien de l’art – qui s’adressait alors à la section d’archéologie du congrès des philologues – avait également introduit une locution équivalente lorsqu’il évoquait, à la fin de son texte, les étapes de la voie que les « superlatifs de la gestuelle » (Superlative der Gebärdensprache) avaient empruntées depuis Athènes et Rome jusqu’aux premiers artistes de la Renaissance italienne et à Dürer [17]. Warburg a lui-même indiqué par ailleurs que le terme de superlatif faisait écho aux travaux du linguiste Hermann Osthoff sur le phénomène que celui-ci avait nommé, lors d’une conférence de 1899, le « supplétif » dans les langues indo-européennes [18]. Osthoff – qui, comme Warburg, avait eu pour maître le grand philologue Hermann Usener – avait en effet montré que le changement de radical ayant lieu dans certains cas de flexion de l’adjectif ou du verbe dans les langues de cette famille devait moins être considéré comme un défectif, une exception, que comme un supplétif, souvent très ancien et correspondant en règle générale à une intensification (Steigerung) recherchée de la signification. Ainsi l’allemand gut, besser, beste ou le latin bonus, melior, optimus – et leurs équivalents dans les langues germaniques ou romanes – donnaient-ils des exemples types de l’expression du comparatif et du superlatif par l’emploi d’une autre racine que celle de l’adjectif original [19]. En pointant l’utilisation singulière de modèles empruntés à l’antiquité par les artistes de la Renaissance cherchant à exprimer une intensification particulière de l’expression ou du mouvement, Warburg proposait de souligner, sans toutefois l’expliciter alors [20], une régularité positive de la gestuelle propre à la représentation visuelle du pathos semblable à celle du supplétif dans les langues indo-européennes.
15Le terme de Pathosformel ne se trouve pas en effet chez des auteurs aussi importants pour lui dans ce contexte que Burckhardt, qui s’intéresse peu au pathos [21], ou même Nietzsche qui le valorise [22]. Le choix de composer le nouveau mot à partir de celui de « formule » (Formel), plutôt étranger au vocabulaire de l’histoire de l’art pouvait sembler curieux. Relevant communément des sciences de la nature, ce terme de Formel se trouvait toutefois parfois employé dans le domaine de l’archéologie, de la philologie ou de la linguistique, disciplines que Warburg avait fréquentées pendant ses études.
Figure 5. Mort d’Orphée, vase de Chiusi (détail)
16Salvatore Settis a proposé de voir dans les schèmes iconographiques nommés par les archéologues Bildformeln, « formules d’image », une des sources ayant pu inspirer l’historien de l’art [23]. Celui-ci renvoie en particulier à l’exemple du « genou plié » (gebeugtes Knie) discuté dans les travaux de Karl Dilthey, dont l’un d’eux étudiait une représentation de la mort de Penthée sur une coupe antique [24]. Menant dans l’Archäologische Zeitung une analyse parallèle des textes et des figures visuelles, Dilthey avait entre autres conclu dans « Tod des Pentheus » (1874) à « l’unité originaire » des « formules sacrées et poétiques » et des « représentations iconographiques » passées dans la tradition [25]. Les figures antiques de la mort d’Orphée convoquées par Warburg dans le contexte de son étude accusaient bien une posture isomorphe à celle du Penthée publié dans la revue archéologique (Figures 4 et 5) [26]. En postulant une filiation possible avec la remarque de Dilthey, Settis ne notait pas moins la singularité de l’innovation warburgienne qui reliait paradoxalement dans sa propre formule l’instant du pathos à la longévité du schème [27].
17Toutefois, Osthoff lui-même avait employé, dans la conclusion de sa conférence sur le supplétif, l’expression de « sprachliche Formel » pour spécifier les soubassements du phénomène qu’il étudiait : ainsi, écrivait-il, l’emploi du supplétif fait-il appel à « l’ancienne formule linguistique pour ce qui se situe à première proximité (das zunächts liegende) et participe de ce qui émeut en premier lieu la sensibilité humaine (des menschlichen gemüts zuvördest erregende) » [28]. Ainsi énoncé, le recours au supplétif en tant que formule linguistique archaïque caractéristique de la proximité de l’objet représenté et de l’intensité des émotions qu’il suscitait chez le(s) locuteur(s) correspond de près à ce que Warburg cherchait à nommer avec le terme Pathosformel qu’il considérait comme sa propre « formule » dans le domaine visuel de la gestuelle [29].
18Dans sa conclusion, Osthoff avait par ailleurs clairement fait référence au travail de Usener sur la nomination des dieux, menant par-là Warburg vers un terrain connu. Le linguiste affirmait en effet un parallèle entre sa démarche et celle suivie dans Götternamen (Les noms des dieux, 1896), l’ouvrage « testament » de leur maître commun, qui avait analysé les modes de nomination des divinités polythéistes pour saisir les types de représentation religieuse auxquelles elles étaient associées. Usener avait lui-même fait appel à l’histoire de la langue en prêtant attention aux formes de « dénomination particulières » (Sonderbenennungen) qui subsistaient même lorsque le concept générique s’était imposé [30] : la gradation « dieux de l’instant », « dieux particuliers », « dieux personnels » – Augenblicks –, Sondergötter, persönliche Götter – dans la formation conceptuelle des types divins s’appuyait en effet chez lui sur une différenciation de la forme nominale respective qui les désignait : expression singulière, concept générique, nom propre. La formule linguistique de « résistance » archaïque ponctuelle du singulier au générique, qui caractérisait chez Osthoff le phénomène supplétif, n’était pas sans analogie avec la divinité de l’instant, le Augenblicksgott qui affleurait parfois encore, pour Usener, derrière le dieu particulier ou fonctionnel ultérieurement stabilisé [31]. On comprend ainsi que Warburg pouvait d’autant plus transposer la leçon linguistique de Osthoff vers le monde des images qu’elle-même s’inspirait de la démarche philologique régressive ayant amené Usener à décrypter la formation des polythéismes anciens [32]. Derrière le parallèle entre la dénomination de Pathosformel et la « formule linguistique » caractéristique du supplétif, c’était bien l’épiphanie païenne, le simulacre de la divinité de l’instant – pendant de ce qu’il désignait par ailleurs du nom de ninfa – qui transparaissait pour Warburg [33].
L’opérateur de sélection visuelle
19Il est ainsi très vraisemblable que l’historien de l’art, qui avait lu le texte d’Osthoff de très près, se soit inspiré de l’expression de « formule linguistique » pour créer le terme composé de « formule de pathos » dans son étude sur la gestuelle de la mort d’Orphée [34]. S’arrêter à la seule dimension langagière dans la reconstruction de la notion serait néanmoins manquer la singularité de la conceptualisation warburgienne. Car celle-ci s’appuyait de manière déterminante sur une sériation de sources visuelles – telles celles des travaux de l’archéologue Karl Dilthey – que la dénomination et le parallèle linguistique permettaient précisément de mettre en perspective. Gertrud Bing qui collabora de très près avec Warburg dans les années 1920 soulignait a posteriori la particularité du procédé de sélection et de découpage visuels qui lui était propre :
C’est en se penchant sur la Ninfa que Warburg inaugura sa manière singulière d’extraire une figure de son contexte formel. Qu’il en ait eu conscience ou non, il avait ici la caution du xve siècle. Il retrouvait, en effet, une habitude de sélection visuelle qui permettait de voir les marbres classiques comme une succession de figures isolées – ce qui mettait nettement en relief les postures alors prêtes à être copiées ou réutilisées [35].
21Cette remarque contient tout le procédé de visualisation que Warburg mettait en place avec l’aide de la photographie : sélection, découpe, décontextualisation, sérialisation et reproduction, employée ici non plus, comme chez les maîtres italiens, à des fins artistiques mais de connaissance. Il poursuivait ainsi lui-même sur un plan heuristique les procédés de reproduction qui relevaient des techniques artistiques propres à son objet d’étude.
22C’est en corrigeant une remarque d’Edgar Wind à ce sujet que Carlo Ginzburg a pu préciser la ligne complémentaire qui éclaire la formation de la notion de « formule de pathos » que l’on avait souvent reliée de manière réductrice à la seule influence de Darwin [36]. Certes, la lecture de The Expression of the Emotions in Man and Animals avait impressionné Warburg, mais c’est surtout une note de bas de page de ce livre citant une observation des Discourses on Art de Joshua Reynolds qui aurait, selon Ginzburg, guidé l’historien de l’art vers les matériaux révélateurs de ce qu’il allait nommer Pathosformel. « He [Reynolds], gives as an instance the frantic joy of a Bacchante and a grief of a Mary Magdalen » [37] : ce commentaire en note de Darwin aura fait porter l’attention de Warburg au texte même de Reynolds qui se rapportait, en fait, à un dessin de Bandinelli mettant en scène une figure-type de bacchante en lamentation frénétique aux pieds du Christ crucifié [38] :
There is a figure of a Bacchante leaning backward, her head thrown quite behind her, which seems to be a favourite invention, as it is so frequently repeated in bassorelievos, cameos, and intaglios; it is intended to express an enthusiastic frantic kind of joy. This figure Baccio Bandinelli, in a drawing that I have of that Master of the Descent from the Cross, has adopted (and he knew very well what was worth borrowing) for one of the Maries, to express frantic agony of grief. It is curious to observe, and it is certainly true, that the extremes of contrary passions are with little variation expressed by the same action [39].
24Originellement accompagnée d’un sketch de sa main, la remarque de Reynolds visait autant la continuité formelle dans la représentation de la danse extatique sur la longue durée que l’ambivalence de sa signification selon l’environnement dans laquelle elle s’insérait (Figure 6) [40]. Dans la ligne de Nietzsche, Warburg avait d’abord insisté, en s’intéressant aux modèles italiens de Dürer, sur la reproduction fidèle par les artistes de la Renaissance de cette formule gestuelle antique dans le contexte dionysiaque de la mort d’Orphée (ou de Penthée) [41]. Il s’agissait en premier lieu de souligner, contre la vision traditionnelle de l’histoire de l’art dans la suite de Winckelmann, que ce n’était pas la seule grandeur apollinienne qui avait présidé à la redécouverte du classicisme à la Renaissance et touché Dürer à travers l’Italie. Mais la remarque de Reynolds observant en particulier que « les extrêmes de passions contraires trouvent, avec peu de variations, leur expression dans le même geste » était complètement endossée par Warburg qui allait en poursuivre les conséquences tout au long de ses recherches : la formule de réminiscence visuelle antiquisante était non seulement associée à une intensification, mais fréquemment aussi à une inversion de signification – telle la bacchante qui, de danseuse festive possédée, était devenue chez Bandinelli – comme Reynolds l’avait remarqué – une figure funèbre de pleureuse.
Figure 7. Bertoldo di Giovanni, Crucifixion (détail), c. 1470
25Aussi n’est-il point étonnant que l’une des autres occurrences marquantes du concept de Pathosformel [42] revienne précisément à propos d’une crucifixion du sculpteur Bertoldo di Giovanni, lors de la conférence que Warburg donna au Kunsthistorisches Institut de Florence en 1914 (Figure 7) :
Nur wenige Werke sind von ihm erhalten, aber sie beweisen, dass er […] wie kaum ein anderer, der antiken Pathosformel mit Leib und Seele verschrieben war. Wie eine Mänade das zerrissene Tier schwingt, so umkrampft die klagende Magdalena unter dem Kreuz ihren im Trauerorgiasmus abgerissenen Haarschopf [43].
Seules quelques œuvres de lui ont été conservées, mais elles démontrent qu’il était voué […] comme peu d’autres, il était voué corps et âme à la formule de pathos antique. De la même manière qu’une ménade agite l’animal déchiqueté, Magdalena en lamentation sous la croix brandit sa touffe de cheveux arrachée dans une convulsion orgiastique de deuil.
27Cet ultime exemple – la lamentation face au Christ et la danse dionysiaque faisant appel à la même posture – donnait explicitement son amplitude polaire à la notion proposée en 1905. Exposée seulement en image, celle-ci reviendrait sous le lemme « Pathos de la souffrance en inversion énergétique » dans le projet d’atlas Mnémosyne [44].
Un triple dispositif
28Pour néanmoins concrètement saisir le modus operandi des notions de « superlatif de la gestuelle » ou de « formule de pathos », il est nécessaire de revenir au dispositif visuel complexe à travers lequel cette conceptualisation des emprunts à la représentation du pathos antique a été tout d’abord proposée. La conférence qu’il donnait était en effet une occasion pour Warburg d’exposer, sur le lieu même du Congrès de 1905, un ensemble de pièces empruntées à la Kunsthalle de Hambourg : tout d’abord le dessin de Dürer « Der Tod des Orpheus » et la gravure anonyme de Ferrare lui ayant vraisemblablement servi de modèle, puis six gravures, dont deux de Mantegna et quatre de l’artiste allemand [45]. Cette modeste exposition donnait à voir, dans une constellation peu commune, la principale série sur laquelle l’historien de l’art s’appuyait directement dans son propos : les modèles antiquisants italiens repris par Dürer dans Orphée ou dans la Folie d’Hercule, mais aussi leurs effets « tempérés » sur ses estampes de maturité, de La Grande Fortune à la célèbre Mélancolie.
29Quant à l’exposé, il avait pris la forme d’une de ces conférences-projection qui allaient devenir la marque même des interventions publiques de Warburg. Des quarante-neuf reproductions envisagées au départ, celui-ci semble n’avoir projeté que trente-huit diapositives [46]. Distribuée de manière précise à même le manuscrit de la conférence, la liste des reproductions permet de suivre les dimensions à la fois synchronique et diachronique présidant à la transmission des Pathosformel antiques. En projetant les premières œuvres déjà exposées, l’introduction mettait en évidence la reproduction de la gestuelle entre le dessin de Dürer et la gravure italienne de la mort d’Orphée ; une suite diachronique en six documents issus de l’antiquité, vases et reliefs représentant la mort d’Orphée ou de Penthée, offraient les sources possibles des maîtres italiens ; puis neuf diapositives consacrées à la première Renaissance italienne, de Sellaio à Ghirlandaio et Pollaiuolo, montraient les différents types de reprises faites par ces artistes des motifs et formules archaïques ; les dix-huit diapositives restantes s’attachaient aux travaux de Dürer et à ses modèles – incluant quatre réinsertions des gravures de Mantegna venant préciser, par contraste, la facture modérée des emprunts effectués par l’artiste allemand – la série s’achevant, comme dans l’exposition, sur Melencolia I.
30Parallèlement à son exposé avec projection, Warburg avait également fait distribuer à l’assistance un portfolio de trois planches titré Der Tod des Orpheus qui proposaient un résumé visuel des lignes retraçant la transmission différenciée de la légende d’Orphée et de sa fin tragique [47]. Le schéma préparatoire à ce portfolio, encore conservé dans le dossier d’archives, constitue à lui seul un condensé de la méthode plurilinéaire expérimentée ici (Figure 8). Sur la partie droite de la page de croquis sont listés, du haut vers le bas en ordre chronologique, les vecteurs d’images de la mort d’Orphée : vases, sarcophages et peintures murales anciennes, puis la gravure de Ferrare et le dessin de Dürer. Sur la partie gauche, sont nommés de la même manière les drames et textes poétiques mettant en scène les figures victimes de Dionysos – Lycurgue et Orphée chez Eschyle, Penthée chez Euripide –, Les métamorphoses d’Ovide servant de chaîne de transmission jusqu’à la Favola di Orfeo (c. 1480) de Politien, premier drame profane reprenant ce motif tragique [48]. Deux lignes horizontales complètent cette ébauche en reliant les drames antiques aux représentations visuelles de la même époque, ainsi que la pièce de Politien (avec un point d’interrogation) à la gravure de Ferrare du même sujet, et à un cassone contemporain peint sur le thème d’Orphée et Eurydice. Ce diagramme de visualisation des multiples lignes et modalités de transfert – d’image à image, de texte à texte, de textes à images et inversement – reliait l’architecture de la conférence à la conception même du portfolio distribué aux participants. Ce dernier, en effet, incluait certaines des images projetées : la première planche était une composition diachronique reprenant une partie du schéma, présentant des vases antiques à la formule de pathos caractéristique suivis en bas de page du coffre peint par Sellaio d’après le drame de Politien ; les deux autres planches, mettant en regard la gravure de l’école de Ferrare et le dessin de Dürer, attestaient de leur côté de la duplication directe, sans intermédiaire textuel, des empreintes antiques originelles. Le choix restreint proposé par ce portfolio permettait ainsi de faire clairement apparaître la ligne de récurrence proprement visuelle des formules de pathos de la fin violente d’Orphée.
31On le voit, Warburg avait, pour soutenir l’évidence matérielle de son propos introduisant la notion de formule d’affect, utilisé trois modes de visualisation complémentaires, exposition, projection, image imprimée, tous basés sur des techniques de reproduction – la photographie venant prolonger via la projection et les planches distribuées, les gravures au cœur du processus de transmission artistique lui-même. La publication, l’année suivante, du résumé de la conférence de Warburg dans les actes de la rencontre n’intégrait, quant à elle, qu’une seule image : La mort d’Orphée (De la morte di Orpheo), xylographie reproduite de la première édition imprimée en italien vulgare des Métamorphoses (1497) qui, bien qu’homogène à la série du portfolio, ne faisait pas partie des matériaux initialement montrés (Figure 9). En ajoutant l’illustration du volume d’Ovide pour cette sobre publication, Warburg soulignait a posteriori combien le processus de restitution visuel de la formule de pathos venait converger avec la renaissance vernaculaire de l’œuvre d’Ovide qui en constituait l’une des sources textuelles d’origine. C’est dans le médium du livre illustré qu’était restaurée – parallèlement à la scène dramatique de Politien qui la faisait revivre sous un autre mode – « l’unité première » de l’image et du mot. En inversant de fait la perspective traditionnelle postulant le caractère toujours secondaire de la reproduction, les techniques reproductives devenaient, dans la chaîne de transmission reconstruite par le geste warburgien, l’une des conditions de la création d’œuvres d’art singulières renouvelant l’intensité des motifs du polythéisme ancien.
32Chacun des moments articulés dans le triple dispositif de monstration déployé avait sa propre fonction : contextualisation matérielle pour l’exposition, commentaire démonstratif ouvrant à la dénomination « formule de pathos » pour la conférence-projection ; enfin condensation visuelle soutenant la notion dans le portfolio, prolongé de l’illustration ovidienne du résumé publié. – Ce n’est en somme que dans la constellation intermédiale reliant les figures antiques commentées par l’archéologue Karl Dilthey, l’image de Bandinelli appelée par la remarque de Reynolds (citée par Darwin), la création lexicale inspirée du modèle linguistique d’Osthoff et les dispositifs de sélection, de mise en série et de visualisation de la conférence de 1905 que l’on peut saisir la nouveauté et la dynamique spécifique du mode d’expression théorique propre à Warburg. – Ce complexe d’interrelations constitue en ce sens la médiation même d’une pensée des rapports différenciés de l’image et du mot. Présentation visuelle, description analytique et interprétation convergent ici dans les dénominations qu’autorise un instrumentaire dont il faut prendre toute la mesure [49].
34Concepts et dispositifs warburgiens sont finalement donnés en même temps et ne peuvent être appréhendés que dans leur conditionnement mutuel. En leur cœur se trouvent non seulement des techniques de reproduction comprises comme médias de transmission et conditions de possibilité de création, mais aussi des « gestes » rendus possibles par la photographie : enregistrement, sériation, reprographie, projection ou exposition. Pris dans ses moments spécifiques, l’emploi que faisait Warburg de cette technique permettait autant de produire de manière dynamique une formule d’affect (lors du voyage chez les tribus amérindiennes) que de « re-médier » la chaîne de reproduction (à Hambourg) des formules du pathos antique pour rendre visible leur rémanence ou leur actualisation dans une singulière stabilité.
35Si l’acte photographique produisant la formule d’apostrophē précédait la dénomination de Pathosformel, le type d’interaction dont le cliché de la femme Pueblo fuyant le photographe Warburg était la trace, trouverait ultérieurement un écho dans l’une des catégories du projet d’atlas d’images Mnémosyne : « Flucht und Schrecken » (« fuite et frayeur »), associée aux figures des Niobides. Sur la même planche seraient juxtaposées les représentations de la mort d’Orphée et de Penthée, la transition avec la suivante s’effectuant autour d’un sarcophage orné du rapt de Proserpine et d’un bas-relief sur lequel Ajax immobilise Cassandre [50]. La notion même de Pathosformel pouvait ainsi présider à un nouveau dispositif de spatialisation non linéaire permettant de développer et d’explorer à son tour un autre concept : « l’espace intermédiaire » (Zwischenraum) des polarités iconologiques [51].
36C’est précisément dans ses années de retour à Hambourg, qui – après le voyage américain et le long séjour à Florence – marquaient de ce point de vue un tournant, que Warburg semble avoir ressenti la première fois la nécessité d’utiliser des agencements d’images et d’esquisser un tel « atlas » dont le portfolio La mort d’Orphée est comme un premier aperçu [52]. Cette série récurrente des ménades « chasseuses de tête » allait d’ailleurs être prolongée d’une photographie de presse de la championne de golf Erika Sellschopp, jouxtant sur la dernière planche d’une version préliminaire (1928) du projet Mnémosyne une « Judith » s’apprêtant à décapiter sa victime (Figure 10) [53]. Ce cliché, pris après la frappe, révélait une formule complémentaire à celles des bacchantes sur le point de battre à mort Orphée, transposition vers une aire prosaïque moderne que Warburg commentait lapidairement ainsi : « la catharsis de la chasseuse de tête sous la forme de la joueuse de golf Sellschopp » (Die Katharsis der Kopfjägerin in Gestalt von der Golfspielerin Sellschopp) [54]. En rendant visible la technique du corps propre au golf, cet arrêt photographique sur la dynamique d’un élan extrême pouvait être pris comme un document de diagnostic du monde contemporain ancré dans la mémoire longue des images [55] : magnifier dans la presse illustrée la compétition sportive, y compris féminine, comme exutoire à connotation érotique se superposant à l’ancien enthousiasme dionysiaque.
37La convergence dans laquelle apparaissent la formulation explicite de l’une des notions warburgienne les plus singulières – Pathosformel – et le triple dispositif de visualisation de la conférence de 1905 annonçait de fait la conception de planches d’exposition à visée iconologique dont la méthode serait caractéristique de la bibliothèque-laboratoire des années 1920. L’intermédialité à l’œuvre dans l’articulation des gestes à dimension heuristique – comme photographier, sélectionner, mettre en série, projeter, exposer – et des notions dénommant les différentes modalités de transmission trouverait systématisation dans l’institution même de la Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg. Les représentations imagières y seraient objet et sujet d’une dynamique de conceptualisation se déployant le long des opérations intermédiales expérimentées. Ce laboratoire interdisciplinaire, au sein duquel on apprit somme toute à manipuler les images comme on l’avait jusque-là fait avec des concepts, devint le lieu de matérialisation de ce qui fut la véritable œuvre de Warburg. Chacun des « concepts-dispositifs » dont l’enchaînement témoigne de sa pensée d’un rapport constitutif des images à la mémoire culturelle appellerait une étude de cas équivalente.
Bibliographie
Bibliographie
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- Warburg Aby, Bilderreihen und Ausstellungen, Gesammelte Schriften, vol. II.2, éd. Uwe Fleckner, Isabella Woldt, Berlin, Akademie Verlag, 2012.
- Warburg Aby, Fragmente zur Ausdruckskunde, Gesammelte Schriften, vol. IV, éd. Hans Christian Hönes, Ulrich Pfisterer, Berlin, De Gruyter, 2015 ; tr. fr. S. Zilberfarb, Fragments sur l’expression, éd. Susanne Müller, Paris, L’écarquillé – INHA, 2015.
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- Warnke Martin, « Vier Stichworte », in Werner Hofmann, Georg Syamken, Martin Warnke (dir.), Die Menschenrechte des Auges. Über Aby Warburg, Francfort-sur-le-Main, Europäische Verlagsanstalt, 1980, p. 61-67.
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- Wind Edgar, « The Maenad under the Cross », Journal of the Warburg Institute, 1937, vol. 1, no 1, p. 70-71.
Illustrations
- Figure 1. Femme Pueblo, cliché d’Aby Warburg, Walpi [?], Arizona, mi-avril 1896 (Gesammelte Schriften II.2, photo W124 – © The Warburg Institute).
- Figure 2. Maître anonyme ferrarais, La mort d’Orphée, gravure (détail), c.1470 (Kunsthalle Hambourg).
- Figure 3. Albrecht Dürer, Der Tod des Orpheus, dessin et encre brune (détail), 1494 (Kunsthalle Hambourg).
- Figure 4. Mort de Penthée, coupe de Cales, dessin d’après K. Dilthey in Archäologische Zeitung. 1874, ill. 7.3.
- Figure 5. Mort d’Orphée, vase de Chiusi, dessin (détail) d’après Annali dell’ Instituto di Corrispondenza Archeologica, 1871, p. 43 ; illustration I.c. du portfolio de Warburg Der Tod des Orpheus (1905).
- Figure 6. Joshua Reynolds, dessin d’un carnet d’esquisses [d’après Bandinelli], 1752 (Print Room, British Museum).
- Figure 7. Bertoldo di Giovanni, Crucifixion, relief en bronze (détail), c. 1470 (Florence, Museo Nazionale del Bargello).
- Figure 8. Schéma de la main de Warburg pour Der Tod des Orpheus, c. 1905 (WIA III 6.11 fol. 34 – © The Warburg Institute).
- Figure 9. De la morte de Orpheo, xylographie, Ovidio metamorphoseos vulgare, [trad. G. Bonsignori], Venise [Rubeus p. Giunta], 1497, fol. 91.
- Figure 10. Projet d’atlas Mnémosyne, avant-dernière version, 1928, détail de la pl. 77 (Gesammelte Schriften II.1, p. xvi – © The Warburg Institute).
Mots-clés éditeurs : Pathosformel, Aby Warburg, intermédialité, Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg, philologie, photographie
Mise en ligne 04/10/2021
https://doi.org/10.3917/comla1.208.0171Notes
-
[1]
Cet article est un extrait préliminaire de mon ouvrage en cours sur la Bibliothèque Warburg comme dispositif de pensée intermédial, et réalisé au CRIalt dans le cadre du projet The Warburg Library Network.
-
[2]
« Elle fuit, plus rapide que la brise légère… », Ovide, Métamorphoses, I, v. 502-503.
-
[3]
Voir Aby Warburg, Bilder aus dem Gebiet der Pueblo-Indianer in Nord-Amerika. Vorträge und Fotografien, Gesammelte Schriften, vol. III.2, éd. Uwe Fleckner, Berlin-Boston, De Gruyter, 2018, p. 276, photo W124, dont la légende indique le village de Walpi. L’éditeur mentionne néanmoins (p. 11) que lieu et date de cette photographie sont incertains ; comparer à l’édition de Benedetta Cestelli Guidi et Nicholas Man (Photographs at the Frontiers. Aby Warburg in America 1895-1896, Londres, Merrel Holberton Publishers, Warburg Institute, 1998, p. 102, photo 33) qui plaçait le même cliché à la fin d’une série issue du village de Zuñi Pueblo, quelques jours auparavant, mi-avril 1896.
-
[4]
Sur l’importance de la rencontre en 1895 avec Franz Boas, qui avait également étudié à Bonn, voir entre autres Horst Bredekamp, Aby Warburg, der Indianer. Berliner Erkundungen einer liberalen Ethnologie, Berlin, Klaus Wagenbach, 2019, p. 45-48 ; Gertrud Bing associait l’attrait de Warburg pour l’anthropologie à l’influence de son maître Hermann Usener, voir Fragments sur Aby Warburg, éd. Philippe Despoix, Martin Treml, avant-propos Carlo Ginzburg, Paris, Institut National d’Histoire de l’Art, « Inédits », 2020, p. 122-123 et p. 208-209.
-
[5]
Voir Aby Warburg, « Eine Reise durch das Gebiet der Pueblo-Indianer in New Mexico und Arizona » [1897], Bilder aus dem Gebiet der Pueblo-Indianer in Nord-Amerika, op. cit., p. 26, qui reconnaît lui-même, lors de leur première projection en 1897, que « presque aucun cliché n’est sans incorrection » ; et Ian Jones « Aby Warburg as a Photographer », in Benedetta Cestelli Guidi, Nicholas Mann (dir.), Photographs at the Frontiers. op. cit., p. 50, qui évoque « Warburg’s lack of knowledge and understanding of basic photographic requirements ».
-
[6]
Voir Sandro Botticellis, Geburt der Venus’ und, Frühling’ [1893], reprint in Aby Warburg, Ausgewählte Schriften und Würdigungen, éd. Dieter Wuttke, Baden-Baden, Valentine Koerner, 1979, p. 11-64 ; et Essais florentins ; tr. fr. S. Müller, Paris, Klincksieck, 1990, p. 47-100 ; pour la citation, voir Roberto Calasso, La folie qui vient des Nymphes, tr. fr. J.-P. Manganaro, Paris, Flammarion, 2012, p. 35 sq.
-
[7]
Voir à ce sujet Karl Sierek, Images oiseaux. Aby Warburg et la théorie des médias, tr. fr P. Rusch, Paris, Klincksieck, 2009, p. 51 sq. Sur Warburg en pays Pueblo voir également Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris, Macula, 1998, p. 169 sq.
-
[8]
Aby Warburg, note du journal du 3 mai 1896 à Keams Canyon, in Benedetta Cestelli Guidi, Nicholas Mann (dir.), Photographs at the Frontiers. op. cit., p. 155, pour la citation ; voir aussi « Eine Reise durch das Gebiet der Pueblo-Indianer in New Mexico und Arizona », op. cit., p. 26 : « fast alle Indianer [besitzen] vor dem Photographirt-Werden eine abergläubische Scheu, die lange Vorbereitungen ausschliesst. »
-
[9]
Voir le vol. II : Taboo and the Perils of the Soul (1911), in James George Frazer, The Golden Bough. A Study in Magic and Religion [1906-1915], éd. abrégée [1922], Londres, Penguin 20th Century Classics, 1996, p. 232 sq.
-
[10]
Figures sur lesquelles Warburg reviendra ultérieurement : pour Daphné, voir la série d’images « Urworte leidenschaftlicher Gebärdensprache » (1927), in Aby Warburg, Bilderreihen und Ausstellungen, Gesammelte Schriften, vol. II.2, éd. Uwe Fleckner, Isabella Woldt Berlin, Akademie Verlag, 2012, p. 80-81, Tafel 1 ; et pour Cassandre (relief Villa Borghese) l’ultime projet d’Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne, Gesammelte Schriften, vol. II.1, éd. Martin Warnke, Berlin, Akademie Verlag, 2e éd., 2003, pl. 6. Warburg avait par ailleurs noté le caractère dramatique de sa journée de visite à Walpi le 26 avril 1896 où Keams, dont il était l’hôte, se rendait pour apaiser une querelle entre Navajo et Hopi apparemment en raison d’un viol, voir Benedetta Cestelli Guidi, Nicholas Mann (dir.), Photographs at the Frontiers, op. cit., p. 155.
-
[11]
Le détournement de tête – apostrophê en grec – dit dans l’espace iconique l’interdit visuel attaché à la Gorgone. Le verbe apostrephein, qui signifie se détourner, intervient généralement pour dénoter le refus de regarder ; Françoise Frontisi-Ducroux rappelle à ce sujet que « dans l’image c’est le personnage lui-même qui sort du cadre de l’action et transgresse la norme figurative », in Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris, Flammarion, 1995, p. 92. Remarquons qu’au combat guerrier, le trophée grec (trópaion) marque le point de retournement de l’ennemi en fuite d’une effigie dont on a pris les éléments sur l’adversaire défait.
-
[12]
L’expression « pathos amérindien » caractérisant la « nymphe Pueblo » ici révélée par la photographie m’a été inspirée par María Gabriela Mizraje dont la version électronique de l’article « Memoria plural contra la locura » (clarin.com/revista-enie/ideas/ - 26/04/2019) concluait en caractérisant le Warburg américain « de ímpetu : indígena », voir María Gabriela Mizraje, « Memoria plural contra la locura (a propósito de Aby Warburg) », Revista Ñ. (Clarín), 2019, no 813, p. 7.
-
[13]
Dans ses écrits Warburg fait preuve, entre 1902 et 1913, d’un souci constant de documentation photographique correcte, voir Die Erneuerung der heidnischen Antike. Kulturwissenschaftliche Beiträge zur Geschichte der europäischen Renaissance, éd. Gertrud Bing, Gesammelte Schriften, éd. Bibliothek Warburg, vol. I (t. 1-2), Leipzig-Berlin, Teubner, 1932 [reprint 1998], p. 7 & 10 ; p. 216 ; p. 466 ; p. 591 sq. ; p. 595. Sur la spécificité des mises en séries photographiques et des conférences-projections warburgiennes voir Philippe Despoix, « Conférence-projection et performance orale. Warburg et le mythe de Kreuzlingen », Intermédialités, 2014, nos 24-25 [en ligne].
-
[14]
Voir « Dürer und die italienische Antike » [1906], Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit. ; tr. fr. Essais florentins, op. cit., p. 159-166.
-
[15]
Voir Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit., p. 229, 446, 453 et 461. Dans ses notes fragmentaires sur l’expression « Grundlegende Bruchstücke zu einer pragmatischen Ausdruckskunde », datant pour l’essentiel de la période 1896-1905, le terme n’apparaît pas, voir Aby Warburg, Fragmente zur Ausdruckskunde, Gesammelte Schriften, vol IV, éd. Hans Christian Hönes, Ulrich Pfisterer, Berlin, De Gruyter, 2015 ; et Fragments sur l’expression, tr. fr. S. Zilberfarb, Paris, L’écarquillé – INHA, 2015.
-
[16]
« Wie lebenskräftig sich dieselbe archäologisch getreue Pathosformel, auf eine Orpheus- oder Pentheusdarstellung zurückgehend, in Künstlerkreisen eingebürgert hatte », Aby Warburg, « Dürer und die italienische Antike », op. cit., p. 446 ; et Essais florentins, op. cit., p. 162 (tr. modifiée). Il semble y avoir aujourd’hui consensus sur ce que le graveur italien anonyme et Dürer auraient indépendamment l’un de l’autre copié une œuvre perdue de Mantegna, cf. Marcus Andrew Hurttig, Antiquity Unleashed : Aby Warburg, Dürer and Mantegna, Londres, Paul Holberton Publishing, 2013, p. 16, n. 12 et 13. Sur le concept de Pathosformel voir Martin Warnke « Vier Stichworte », in Werner Hofmann, Georg Syamken, Martin Warnke (dir.), Die Menschenrechte des Auges. Über Aby Warburg, Francfort-sur-le-Main, Europäische Verlagsanstalt, 1980, p. 61-67, et Georges Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, p. 191-202.
-
[17]
« Dürer und die italienischen Antike », op. cit., p. 449 ; la traduction française (Essais florentins, op. cit., p. 165) ne reprend pas le terme de « superlatif » mais traduit par « exagération gestuelle ».
-
[18]
Voir Hermann Osthoff, Vom Suppletivwesen der indogermanischen Sprachen, Heidelberg, Heidelberg Universität, 1899, dont Warburg avait lu et conservé une recension dans la Frankfurter Zeitung du 4. févr. 1902 ; il en fait mention peu après dans les notes de son dossier « Festwesen », voir Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, Paris, Klincksieck, 2015, p. 172.
-
[19]
Hermann Osthoff, Vom Suppletivwesen der indogermanischen Sprachen, op. cit., p. 5 sq.
-
[20]
Voir la note de Bing à propos de l’étude sur Sassetti in Aby Warburg, Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit., p. 363 ; et pour les autres emplois du terme « superlatif » ibid., p. 176 et p. 461. Warburg ne fera par la suite mention de Osthoff que dans les fragments pour l’introduction au projet Mnemosyne de 1929 (voir Aby Warburg, L’Atlas Mnémosyne, tr. fr. S. Zilberfarb, Paris, L’écarquillé – INHA, 2012, p. 55) ; sur son rapport aux travaux du linguiste voir les études de Mattia Vinco, « Il libro delle immagini suppletive », Aut Aut, 2004, nos 321-322, p. 132-141 et Anna Guillemin, « The Style of Linguistics: Aby Warburg, Karl Vossler, and Hermann Osthoff », Journal of the History of Ideas, 2008, no 69, p. 605-626.
-
[21]
La référence proposée par Gombrich à Die Kultur der Renaissance in Italien est tronquée et peu convaincante dans le contexte de la mort d’Orphée (Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, op. cit., p. 173, n. 31). Le passage que celui-ci citait de source secondaire se lit en fait : « Wo irgend Pathos zum Vorschein kam, musste es in jener Form des Triumphs altrömischer Imperatoren geschehen » (Jacob Burckhardt, Die Kulturgeschichte der Renaissance in Italien. Ein Versuch [1860], Stuttgart, Alfred Kröner, 1988, p. 135, je souligne). Il s’agit, chez l’historien, du « pathos » spécifique à « la forme du triomphe des anciens empereurs romains », ce que ne rend pas non plus exactement l’édition française de Burckhardt (La Civilisation de la Renaissance en Italie, tr. fr. H. Schmitt, Paris, Plon, 1958. t. 2, p. 31). Voir à ce sujet Carlo Ginzburg, Peur, révérence, terreur. Quatre essais d’iconographie politique, Dijon, Les Presses du réel, 2013, p. 6, n. 5.
-
[22]
On connaît l’expression de Nietzsche « Pathos der Distanz » dont il trouve l’exemple moral dans la culture antique qu’il oppose de ce point de vue au christianisme (voir Zur Genealogie der Moral [1887], in Friedrich Nietzsche, Kritische Studienausgabe, vol. 5, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1999, p. 259 ; La généalogie de la morale, tr. fr. H. Albert, Paris, Gallimard, « Idées », 1964, p. 28) ; celui-ci emploie parfois le terme Formel, mais sans le relier au Pathos.
-
[23]
Voir Salvatore Settis, « Pathos und Ethos, Morphologie und Funktion », Vorträge aus dem Warburg-Haus, éd. Martin Warnke & al., vol. 1, Berlin, Akademie Verlag, 1997, p. 40-41. Voir également Bing qui évoque l’originalité de la psychologie historique de Warburg lorsqu’il parle de « frappe des images (Bildprägung) et de l’emploi de formules imagières (Bildformeln) », Gertrud Bing, Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 124-125.
-
[24]
Voir Karl Dilthey, « Tod des Pentheus », Archäologische Zeitung, 1874, vol. 31, p. 79 sq. Celui-ci n’emploie néanmoins pas le terme de Bildformel dans cet article mais rapproche l’usage du langage formulaire (formelhafte Sprachgebrauch) en contexte dionysiaque des images mythiques de la chasse sauvage ou de la mort guerrière (ibid., p. 92, n. 3).
-
[25]
Ibid., p. 94, où Dilthey évoque à propos de Fureur (Lyssa mainas) l’unité originelle qui « im Alterthum durch sakrale und poetische Formeln, durch bildliche Darstellungen in einer für uns beinahe latenten Tradition fortgepflanzt worden war. » Il réserve de fait le terme de Formel pour le langage religieux ou poétique, cf. ibid., p. 82 et 90.
-
[26]
L’hypothèse de Settis est d’autant plus plausible qu’un tiré à part des études publiées dans l’Archäologische Zeitung en 1874 se trouve dans la bibliothèque Warburg et que le nom de Dilthey avait pu lui être rappelé par la dédicace des Götternamen (1896) de Usener aux deux frères, Karl et Wilhelm. De plus, l’historien de l’art envoya en 1906 un exemplaire de sa propre étude à Karl Dilthey qui la reçut de manière positive et un échange de vues s’instaura par correspondance jusqu’à la mort de ce dernier, l’année suivante, prouvant a posteriori l’importance du lien avec le travail de l’archéologue ; voir le tiré à part de K. Dilthey sous la côte KKO 850 et les huit lettres échangées avec lui entre mars 1906 et janvier 1907 (en particulier celle du 28 mars 1906, Warburg Institute Archive, WIA GC/2065).
-
[27]
L’auteur pointe de plus l’ambivalence polaire de la formule du « genou plié » qui pouvait s’appliquer aussi bien à Cassandre fuyant Ajax dans le temple d’Athéna (cité par K. Dilthey) qu’à Mithras posant son genou sur le dos du taureau vaincu, voir Salvatore Settis, « Pathos und Ethos, Morphologie und Funktion », op. cit., p. 40-41 et figures 5 et 6.
-
[28]
Voir Hermann Osthoff, Vom Suppletivwesen der indogermanischen Sprachen, op. cit., p. 42-43, qui après avoir rappelé que les objets de la représentation par le langage étaient d’autant plus individuels et concrets qu’ils se situaient plus près des sentiments et de la pensée du locuteur, précise « dass das supletivwesen und seine anwendung die alte sprachliche Formel für das zunächts liegende, die anteilnahme des menschlichen gemüts zuvördest erregende ist » (p. 43, graphie originale, je souligne). Notons ici l’emploi redoublé des adverbes zunächst et zuvördest formés sur un superlatif.
-
[29]
Voir la mention « autoréflexive » de Warburg « die Formel, die ich dafür gefunden habe » dans ses notes pour « Festwesen », cité in Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, op. cit., p. 172.
-
[30]
Voir Hermann Usener, Götternamen. Versuch einer Lehre von der religiösen Begriffsbildung [1896], 3e éd., Francfort-sur-le-Main, G. Schulte-Bulmke, 1948, p. 318 sq. À propos de cet ouvrage et de son auteur, voir Arnaldo Momigliano, « Hermann Usener », History and Theory, 1982, vol. 21, p. 33-48, ainsi que John Scheid, Jesper Svenbro, « Götternamen revisited. La génération des dieux selon Hermann Usener », in Pierre Bonte, Enric Porqueres i Gené, Jérôme Wilgaux (dir.), L’argument de la filiation : Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes [en ligne], Paris, Éditions de la MSH, 2011, p. 453-465.
-
[31]
Hermann Usener, op. cit., p. 323 : « Auch der sondergott muss erst enmal als augenblicksgott empfunden worden sein, ehe die regelmässige wiederholung des gemühtseindrucks ihn dauer verleiht… » ; comparer avec le commentaire que Cassirer ferait dans Sprache und Mythos de la démarche de Usener à propos de l’intensification du sensible, au cœur de la genèse de la dénomination langagière comme de la mise en forme mythico-religieuse, cf. Ernst Cassirer, Langage et mythe. À propos des noms de Dieux, tr. fr. O. Hansen-Love, Paris, Minuit, 1973, p. 111.
-
[32]
Notons qu’Usener utilisait couramment le terme de Formel pour les mots composés désignant des devises rituelles telles que Gebet-, Ächtungs-, Hegungs-, Beschörungsformel, respectivement : formule de prière, de proscription, de soin, de conjuration, etc. Les formes d’adresses aux divinités relevaient pour lui de formules fixées par les rites et sensibles jusque dans leur dénomination (voir l’exemple d’Apollon Phoibos, in Götternamen, op. cit., p. 332).
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[33]
Celle-ci est la figure même de la possession divine, voir « Ninfa Fiorentina » (1900), in Aby Warburg, Werke in einem Band. Auf der Grundlage der Manuskripte und Handexemplare, éd. Perdita Ladwig, Martin Treml, Sigrid Weigel, Berlin, Suhrkamp, 2010, p. 198 sq. (tr. fr. in Revue germanique internationale, 28/2018, p. 211-220) ; et Bing qui rappelle, à propos de l’attention warburgienne à la ninfa ou à Fortuna, l’influence de la conception des Augenblicksgötter de Usener, dans Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 220-221.
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[34]
Warburg semble avoir envoyé, peu après sa conférence, ses planches « Der Tod des Orpheus » à Osthoff (cf. lettre de Gertrud Osthoff du 3 nov. 1905, WIA GC/912) sans qu’un échange s’amorce avec le linguiste. Voir également le fichier : Zettelkasten « Ausdrucksstil » (WIA III.2.1. ZK/[10]/70) qui associe entre autres la fresque du Massacre des innocents de Ghirlandaio au supplétif et au nom d’Osthoff.
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[35]
Gertrud Bing, Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 165 [tr. modifiée, je souligne], l’expression originale est : « lifting a figure from its formal context… ».
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[36]
Dans une étude du premier numéro du Journal of the Warburg Institute qu’il avait cofondé, voir Edgar Wind, « The Maenad under the Cross », Journal of the Warburg Institute, 1937, no 1, p. 70 sq., et Carlo Ginzburg, Peur, révérence, terreur. Quatre essais d’iconographie politique, op. cit., p. 8-9.
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[37]
Charles Darwin, The Expression of the Emotions in Man and Animals, New York, D. Appleton & Co, 1872, p. 208. « Comme exemple, il cite le plaisir frénétique d’une bacchante et la douleur d’une Marie-Madeleine », tr. fr. L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, Paris, Reinwald, 1890, p. 232. Dans sa note Darwin ne cite en fait que la dernière phrase d’un long paragraphe de Reynolds.
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[38]
Warburg avait entre autres commandé des photographies de dessins de Bandinelli à la Kunsthalle de Hambourg mi-juin 1898 et s’était également informé sur cet artiste auprès de l’Albertina de Vienne en déc. 1903 (cf. WIA GC/27809). Bandinelli appartient aussi à ce dossier dans la mesure où il avait copié les Centaures de Mantegna.
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[39]
Joshua Reynolds, Discourse no 12 [1784], in Edgar Wind, « The Maenad under the Cross », op. cit., p. 70-71. « Il y a une figure de Bacchante qui se renverse, la tête entièrement rejetée en arrière, et peut passer pour une invention favorite des anciens, car elle est souvent répétée dans les bas-reliefs, les camées et les pierres gravées antiques ; on a voulu dans cette attitude représenter une espèce de joie enthousiaste et frénétique. Or c’est cette figure que Baccio Bandinelli a prise dans un dessin que je possède de ce maître – qui savait parfaitement ce qui mérite d’être emprunté – pour représenter une des Maries dans une Descente de Croix. Il est curieux d’observer, et il est certainement vrai que les extrêmes de passions contraires trouvent, avec peu de variations, leur expression dans le même geste. » Discours sur la peinture, tr. fr. J.F. Baillon, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1991, p. 236 (tr. modifiée).
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[40]
Les éditions anglaise de 1884 et allemande de 1893 des Discourses de Reynolds se trouvent dans la bibliothèque Warburg sous la côte CMH 205 ; il est néanmoins difficile d’établir si Warburg a connu, à l’époque de sa lecture de Darwin, le dessin de Reynolds du British Museum commenté par Edgar Wind, ibid., p. 71.
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[41]
Voir la note dans laquelle Warburg, peu de temps après sa conférence, évoque sa convergence avec Nietzsche et imagine le titre précisé suivant pour son célèbre ouvrage : « L’origine de la tragédie à partir du style apollinien du drame dionysiaque dansé » (Der Ursprung der Tragödie aus dem apollinischen Stile des dionysischen Tanzspiels), journal du 9 déc. 1905, cité in Ernst Gombrich, Aby Warburg, une biographie intellectuelle, op. cit., p. 178.
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[42]
Voir en particulier à propos de Ghirlandaio, Aby Warburg, Die Erneuerung der heidnischen Antike, op. cit., p. 157, et de Pollaiuolo, ibid., p. 175.
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[43]
Aby Warburg, « Der Eintritt des antikisierenden Idealstils » (1914), Werke in einem Band, op. cit., p. 304.
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[44]
Voir Der Bilderatlas Mnemosyne, op. cit., pl. 42 (ill. 14) sous le titre de « Leidenspathos in energetischer Inversion ».
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[45]
Pour la liste des gravures exposées, voir Marcus Andrew Hurttig, Antiquity Unleashed, op. cit., p. 35-37 : 1. Dürer, Mort d’Orphée, dessin 1494 ; 2. Mort d’Orphée, gravure anonyme de Ferrare ; 3a-b. Mantegna, Bataille des dieux marins, gravure 1475-80 ; 4. Id., Bacchanale avec silène, gravure c. 1475-80 ; 5. Dürer, La folie d’Hercule, xylographie c.1496 ; 6. Id., Jalousie, gravure c.1498 ; 7. Id., Nemesis (La Grande Fortune), gravure c. 1501 ; 8. Id., Melencolia I, gravure 1514.
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[46]
Quelques diapositives étant néanmoins répétées ; cette conférence encore inédite et conservée sous la côte WIA III.61.6 doit être publiée dans le futur vol. III.1 des Gesammelte Schriften. Les numéros de diapositives inscrits sur ce manuscrit diffèrent de la liste préliminaire du document WIA 61.3 publiée in Marcus Andrew Hurttig, Antiquity Unleashed, op. cit., p. 15.
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[47]
Der Tod des Orpheus. Bilder zu dem Vortrag über Dürer und die italienische Antike [1905], reprint in Aby Warburg, Ausgewählte Schriften und Würdigungen, op. cit., p. 131-135.
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[48]
Ce drame de Poliziano représenté à la cour de Mantoue se clôt sur la mise à mort d’Orphée par les bacchantes glorifiant leur dieu, voir l’édition bilingue sous le titre « Fabula di Orfeo », in Ange Politien, Stanze. Fabula di Orfeo / Stances. Fable d’Orphée ; tr. fr. É. Séris, éd. Francesco Bausi, Paris, Les Belles-Lettres, « Bibliothèque italienne », 2006, p. 61-74.
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[49]
Gertrud Bing souligne à ce propos le « lien étroit » chez Warburg « entre description et interprétation », ainsi que « la langue extraordinairement condensée […] créée ad hoc pour faire transparaître ses points de vue généraux sans les disjoindre de sa présentation du cas singulier », Fragments sur Aby Warburg, op. cit., p. 144 sq.
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[50]
Voir Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne, op. cit., pl. 5 : voir les reproductions 2-5 pour les Niobides, 11-14 pour la mort de Penthée ou d’Orphée, 15 et 23 pour le rapt de Proserpine. Pour le bas-relief d’Ajax et de Cassandre, un genou plié à terre (qui avait été évoqué par K. Dilthey), voir pl. 6 (ill. 3) ; et pour la reprise du dessin d’Orphée de Dürer pl. 57 (ill. 7).
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[51]
Voir Aby Warburg, « Mnemosyne I, Aufzeichnungen, 1927-29 », Werke in einem Band, op. cit., p. 643 sq. ; également l’introduction de Roland Recht, in Aby Warburg, L’Atlas Mnémosyne, op. cit., p. 48.
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[52]
Alors qu’il avait abandonné son projet d’ouvrage sur l’expression, Warburg évoque un « atlas » au titre de : « Der Eintritt der Antike in den pathetischen Stil der Florentiner Frührenaissancemalerei (Festwesen, p. 73) », moment caractérisé par Gombrich comme sortie de crise, in Aby Warburg, Une biographie intellectuelle, op. cit., p. 263. Ce document daterait en fait de 1903, cf. Claudia Wedepohl, « Ideengeographie: Ein Versuch zu Aby Warburgs Wanderstrassen der Kultur », in Helga Mitterbauer, Katharina Scherke (dir.), Ent-grenzte Räume, Kulturelle Transfers um 1900 und in der Gegenwart, Vienne, Passagen, 2005, p. 232.
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[53]
Voir pl. 77 (vorletzte Fassung), in Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne, op. cit., p. xvi, planche qui aurait dû être la dernière de la variante intermédiaire datée de sept. 1928 (la photographie de la golfeuse est extraite de la revue Frau und Gegenwart de la même année) ; elle sera remaniée dans la version ultime et prolongée de deux planches supplémentaires.
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[54]
Journal collectif du 31 juill. 1929, in Aby Warburg, Tagebuch der kulturwissenschaftlichen Bibliothek Warburg mit Einträgen von Gertrud Bing und Fritz Saxl, Gesammelte Schriften, vol. VII, éd. Karen Michels, Charlotte Schoell-Glass, Berlin, Akademie Verlag, 2001, p. 481.
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[55]
Sur l’importance de la presse illustrée, voir « Warburgs Ansprache in Hamburg, KBW. Drei-Hüter-Feier », 30 juill., 1929, in Dorothea McEwan, Wanderstrassen der Kultur. Die Aby Warburg-Fritz Saxl Korrespondenz 1920 bis 1929, Munich-Hambourg, Dölling & Galitz, 2004, p. 205-207. La réflexion warburgienne croise ici celle de Kracauer sur le rapport de la photographie au temps historique et au sport comme son symbole contemporain, cf. Siegfried Kracauer, « La Photographie », tr. fr. S. Cornille, Sur le seuil du temps. Essais sur la photographie, éd. Philippe Despoix, Montréal, PUM – Paris, Éditions de la MSH, 2013, p. 27-45.