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Article de revue

Regard intermédial sur l’imaginaire de la technique dans le cinéma de Frederick Wiseman

Pages 135 à 153

Notes

  • [1]
    Rémy Besson, « Intermediality : Axis of Relevance », SubStance, no 44, 2015, p. 139-154.
  • [2]
    Éric Méchoulan, « Intermédialités : le temps des illusions perdues », Intermédialités, no 1, 2003, p. 9-27.
  • [3]
    Cette attention à la technique est typique des études intermédiales. Sur ce point lire Hans Ulrich Gumbrecht, « Why Intermediality – if at all ? », Intermédialités, no 2, 2003, p. 173-178.
  • [4]
    On renvoie à Mouloud Boukala, Le Dispositif cinématographique, un processus pour [re]penser l’anthropologie, Paris, Téraèdre, 2009.
  • [5]
    Sur cette notion, lire Jürgen E. Müller, « Vers l’intermédialité. Histoires, positions et options d’un axe de pertinence », Médiamorphoses, no 16, 2006, p. 99-110.
  • [6]
    Notons ici l’exception qui confirme la règle, soit une séquence de Belfast, Maine (1999) qui porte sur Moby Dick d’Herman Melville. Il y a également une référence explicite à En attendant Godot de Beckett à la fin de Welfare (1975).
  • [7]
    L’imaginaire de Wiseman est appréhendé dans sa dimension d’imaginaire utopique telle que développée par le philosophe Paul Ricœur, soit « comme [une] faculté d’irréalisation, de modification et, par-là, de remise en cause du monde social existant avec ses hiérarchies », Michaël Foessel, « Action, normes et critique. Paul Ricœur et les pouvoirs de l’imaginaire », Philosophiques, no 41, 2014, p. 251. L’imaginaire de la technique ne correspond donc pas simplement à la manière dont Wiseman donne à voir des appareillages, mais aussi au fait qu’en les donnant à voir, il fait apparaître leurs rôles et offre ainsi aux spectateurs les ferments d’une pensée critique.
  • [8]
    Cette partie est notamment basée sur le contenu des émissions de radio de France Culture, À voix nue, cinq épisodes consacrés à Frederick Wiseman diffusés entre le 16 et le 20 mai 2016 et Les Masterclasses par Antoine Guillot avec Frederick Wiseman du 28 avril 2020 [en ligne].
  • [9]
    Le numéro des Cahiers du cinéma d’octobre 2020 qui s’ouvre par un dossier consacré au réalisateur est symptomatique de cette approche. Seule Caroline Zéau s’y intéresse au « placement de la caméra, qui est souvent dans l’entre-deux : entre les médias et la personne publique, pour saisir exactement l’endroit où se fabriquent les discours et les images » (p. 18).
  • [10]
    Depuis 1996, il a réalisé trois films sur des institutions françaises et un à Londres.
  • [11]
    Il poursuit « Je ne peux donner aucune définition précise du mot institution, sinon que c’est un endroit qui existe depuis un certain temps, dont les frontières géographiques sont assez bien définies et où l’on estime que le personnel essaie de bien faire son travail. », Frederick Wiseman, « Esquisse d’une vie », in Marie-Christine de Navacelle et Joshua Siegel (dir.), Frederick Wiseman, Paris, Gallimard, 2010, p. 27.
  • [12]
    Il explique mener une « analyse comportement » lors du montage. La série de termes mobilisés est utilisée par le réalisateur, art. cit., p. 37.
  • [13]
    Benito Vila, « Frederick Wiseman: The Director who Makes the Ordinary Extraordinary », Please Kill Me: the Uncensored Oral History of Punk, 25 mars 2020 [en ligne]. Traduction de l’auteur.
  • [14]
    Sarah Sékaly, « Bienvenue au pays de Wiseman ! », Communications, no 71, 2001, p. 201-224.
  • [15]
    C’est particulièrement le cas dans Public Housing (1997), Belfast, Maine (1999), Boxing Gym (2010), In Jackson Heights (2015).
  • [16]
    Cf. l’entretien accordé par Éric Méchoulan à Elsa Tadier pour ce numéro (p. 27-48).
  • [17]
    On s’inscrit ici dans la continuité des travaux de Philippe Despoix, quand il écrit « L’hypothèse centrale pour une telle analyse est que les représentations que chaque média donne des autres (par ex. comment le cinéma met-il la télévision en fiction, inversement que devient le cinéma à la télévision ?) sont porteuses d’une valeur heuristique à expliciter », texte de présentation de la conférence, « Une heuristique de l’intermédialité ? Quelques éléments de méthode », site du Centre de Recherches Intermédiales de l’université de Montréal, 2003 [en ligne].
  • [18]
    Cette expression est une référence à Vincent Bouchard, Pour un cinéma léger et synchrone ! Invention d’un dispositif à l’Office national du film à Montréal, Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, 2012.
  • [19]
    John Graham, « There are no simple solutions. Wiseman on Film Making and Viewing », in Thomas R. Atkins (dir.), Frederick Wiseman, New York, Monarch Press, 1976, p. 35. Traduction de l’auteur.
  • [20]
    Il a notamment pour rôle de changer, le plus rapidement possible, la bobine de pellicule 16mm.
  • [21]
    Barry Keith Grant note « Since 1966, Wiseman has used a Nagra 3, 4.2, ISL, and more recently, a Fostex, his microphones are the Senneheiser 815, 416 and a Trans Radio Mic », dans « Introduction », Barry Keith Grant (dir.), Five Films by Frederick Wiseman, Berkeley (CA), University of California Press, 2006, p. 5.
  • [22]
    Thomas W. Benson et Carolyn Anderson, Reality Fictions: The Films of Frederick Wiseman, insistent sur l’importance du rôle de l’opérateur ; Grant défend, lui, l’idée qu’il n’y a pas de différence significative entre la forme des films quel que soit l’opérateur.
  • [23]
    Frederick Wiseman, « Foreword », in Barry Keith Grant (dir.), op. cit., p. XI.
  • [24]
    Cette expression a été développée dès les années 1970, notamment en lien avec l’anthropologie visuelle. Cf. Paul Henley, « Colin Young », Beyond observation, Manchester, Manchester University Press, 2020, p. 288-311.
  • [25]
    La critique de cinéma Charlotte Garson va jusqu’à parler de « l’extrême observationnisme wisemanien », citée par Catherine Blangonnet-Auer, « Introduction », IDoc, images documentaires, no 85-86, Frederick Wiseman, 2016, p. 10.
  • [26]
    « What Types of Documentary Are There? », in Bill Nichols, Introduction to documentary, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 2001, p. 110-111. Traduction de l’auteur.
  • [27]
    Cette expression est notamment utilisée par Youri Borg et Damien Sarroméjean, « Compte-rendu de Journée d’étude : Frederick Wiseman, “Ordre et résistance” », Miranda, no 15, 2017 [en ligne].
  • [28]
    L’usage de cette expression est contesté, notamment par Wiseman lui-même. Lire Campbell, Christopher, « It’s Time to Stop Calling Observational Documentaries “Fly on the Wall” », Nonfics, n.d. [en ligne].
  • [29]
    Thomas R. Atkins, Frederick Wiseman, a guide to References and Resources, Boston, G.K. Hall & Co., 1979, p. 9. Traduction de l’auteur.
  • [30]
    « Wiseman’s America: Titicut Follies to Primate », in Thomas R. Atkins (dir.), Frederick Wiseman, New York, Monarch Press, 1976, p. 5. Traduction de l’auteur.
  • [31]
    Sarah Sekaly, art. cit., p. 209-220.
  • [32]
    Ibid., p. 205.
  • [33]
    Fiche concept « Immediacy », sur le site du Centre de Recherches Intermédiales de l’université de Montréal [en ligne].
  • [34]
    Silvestra Mariniello, « L’intermédialité : un concept polymorphe », in Isabel Rio Novo et Célia Vieira (dir.), Inter Média, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 18.
  • [35]
    Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris, Armand Colin, 2016, Kobo e-pub.
  • [36]
    Frederick Wiseman, chroniques américaines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 254.
  • [37]
    Primate (1974), Meat (1976) et Racetrack (1985).
  • [38]
    Thomas W. Benson et Carolyn Anderson, « Intro to the second edition », Reality Fictions: The Films of Frederick Wiseman, Carbondale and Edwardsville, Southern Illinois University Press, 2002 (second éd.), p. XVIII.
  • [39]
    Jean Estebanez, « Le zoo comme théâtre du vivant : un dispositif spatial en action », Les Carnets du paysage, Arles/ Marseille, Actes Sud/ École Nationale Supérieure du Paysage, 2011, p. 14.
  • [40]
    Marcel Jean, 24 images, no 70, 1993/1994, p. 47.
  • [41]
    Philippe Pilard, Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, Paris, Éditions du Cerf, 2006, p. 138.
  • [42]
    Ce lien avec le théâtre n’est pas sans fondement, puisque Wiseman est aussi le metteur en scène de plusieurs pièces. De plus le réalisateur et ami de Wiseman, Errol Moris fait l’hypothèse que « ses films trouvent leurs origines dans le théâtre, peut-être le théâtre de l’absurde, plutôt que dans toute tradition cinématographique traditionnelle spécifique ». Errol Moris, « La sordide horreur de la réalité », in Marie-Christine de Navacelle et Joshua Siegel (dir.), Frederick Wiseman, Paris, Gallimard, 2010, p. 63.
  • [43]
    Central Park (1999) pourrait également être inclus dans cette liste tant le réalisateur filme ce parc comme un lieu culturel où se déroulent concerts et tournages (on reviendra sur ce second point).
  • [44]
    Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1992, p. 6.
  • [45]
    Time code 169 min 38 sec.
  • [46]
    Time code 169 min à 171 min 15. La citation est une reprise des sous-titres.
  • [47]
    Il propose un lien entre Meat et la forme du Western et entre Basic Training et Manœuvre et les films de guerre hollywoodiens.
  • [48]
    Time code 69 min. à 72 min. Le plan en question a été monté dans le clip, time code : 3 min 07 à 3 min 10. En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=_Rqv-0Myog0
  • [49]
    Une seconde partie de cette séquence montre l’équipe du film positionnée sur un véhicule tout-terrain. Time code 85 min 50 à 86 min 30.
  • [50]
    « Specimen, cobaye et viande : l’animal selon Wiseman », IDoc, images documentaires, 2015, no 84, p. 39.
  • [51]
    Alice Leroy, art. cit., p. 40. Ajoutons que pendant l’ensemble de la séquence, il est visible dans huit plans différents.
  • [52]
    Ajoutons que, toujours sur la piste, le cavalier professionnel est amené à commenter – dans les conditions du direct – la course au micro d’un journaliste de CBS qui lui montre celle-ci sur un écran.
  • [53]
    « Inconclusion », in Marie-Christine de Navacelle et Joshua Siegel (dir.), Frederick Wiseman, Paris, Gallimard, 2010, p. 16.
  • [54]
    Ces dispositifs sont, en fait, montrés dans Domestic Violence 2 (2002), la première partie étant surtout consacrée à la parole des femmes battues. Time code : 10 min 30 à 47 min 30.
  • [55]
    Deux séquences de The Store (1983) portant sur deux séances de photographies dans le kiosque du grand magasin Neiman-Marcus de Dallas abordent un sujet similaire. La photographe, l’appareil photo, l’éclairage et le fond d’image utilisé sont mis en scène pour créer un effet de mise à distance (time code : 43 min à 45 min et 91 min à 92 min).
  • [56]
    Daniel Asa Rose, « Frederick Wiseman takes his camera to the races », New York Times, 1er juin 1986. On reprend la traduction proposée par Pilard (op. cit., p. 163). Une autre option est discutée par Darmon (op. cit., p. 159-160).
  • [57]
    Time code : 41 min 30 à 44 min.
  • [58]
    La figure 1 de Curtis Nielsen, David Bruemmer, Douglas Few et Miles Walton, Mixed-initiative interactions for mobile robot search, 2007, 5 p. représente un tel robot. Cette recherche a été développée au Robotic and Human Systems Group Idaho National Laboratory.
  • [59]
    François Jarrige et Raphaël Morera, « Technique et imaginaire. Approches historiographiques », Hypothèses, no 9, 2006, p. 172.
  • [60]
    Sarah Sekaly, art. cit., p. 222.
  • [61]
    La séquence d’ouverture, qui dure moins d’une minute, montre la prise d’une photographie d’identité comme étant la première étape du cheminement dans le bureau de l’aide sociale. L’appareil photographique lui-même est placé au centre de trois plans très courts (time code : 16 sec., 28 sec. et 40 sec.).
  • [62]
    Le système complexe de grilles et de sas de sécurité actionné pour nourrir un lion dans Zoo renvoie aussi à cet imaginaire.
  • [63]
    John Graham, op. cit., p. 81. Traduction de l’auteur.
  • [64]
    Isabelle Krzywkowski, « Introduction » de Machines à écrire : Littérature et technologies du xixe au xxie siècle, Grenoble, UGA Éditions, 2010. Disponible sur Internet.
  • [65]
    David Winn, « 31st Annual News and Documentary Emmy Award Lifetime Achievement Honoree : Frederick Wiseman », site web de The National Television Academy of Arts and Aciences, 2010 [en ligne]. Traduction de l’auteur.
  • [66]
    « Pour le documentaire, la spécificité de la technique que j’utilise, c’est de placer les spectateurs au cœur l’événement. Cette technique, quand elle réussit, donne une impression d’immédiateté », Frederick Wiseman et Laetita Mikles, « Filmer la mise en scène du quotidien », L’Homme & la Société, no 142, 2001 [en ligne]. On fait l’hypothèse que le terme utilisé en anglais par Wiseman est « immediacy » qui a ici été traduit par immédiateté et que l’on traduirait dans une optique intermédiale par transparence.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Il n’est pas rare que plusieurs films soient en cours de réalisation en même temps.
  • [69]
    Il n’opte presque jamais pour un montage chronologique, préférant trouver une thématique transversale.
  • [70]
    Giovanna Chesler, « Truth in the mix: Frederick Wiseman’s construction of the observational microphone », Jump Cut: A Review of Contemporary Media Jump Cut, no 54, 2012 [en ligne].
  • [71]
    Benito Vila, art. cit. Traduction de l’auteur.
  • [72]
    Frederick Wiseman, « Le montage, une conversation à quatre voix », IDoc, images documentaires, no 17, 1994, p. 13-20.
  • [73]
    Laetitia Mikles, art. cit.
  • [74]
    Silvestra Mariniello, art. cit., 2011, p. 13.

1L’intermédialité est une approche permettant d’appréhender des phénomènes tels que la coprésence médiatique au sein d’un texte (ouvrage, film, exposition, etc.), des transferts médiatiques entre différentes productions, l’émergence de séries culturelles et les dynamiques à l’œuvre au sein de milieux médiatiques, tels que, par exemple, des institutions [1]. À chaque fois, c’est l’ensemble des relations potentielles entre ces éléments qui est placé au centre de l’étude [2]. Considérée comme étant une discipline seconde, l’intermédialité vient s’arrimer à une démarche préexistante afin d’en déplacer quelque peu les présupposés méthodologiques. Elle permet ainsi de changer la perception communément acceptée de problèmes théoriques et de productions culturelles ayant déjà donné lieu à de nombreuses études. Dans le cadre de cet article, l’intermédialité est mise à l’épreuve du cas des documentaires de Frederick Wiseman. Il s’agit de se demander ce qu’une perspective intermédiale peut nous apprendre de différent sur ce réalisateur américain de quatre-vingt-dix ans dont l’œuvre conséquente – plus de 40 films entre 1967 et la sortie de City Hall en 2020 – et célébrée – notamment par un Oscar d’honneur en 2017 – a déjà fait l’objet de multiples publications.

2La consultation de l’ensemble de la filmographie – un peu plus de 100 heures – a permis d’identifier la présence récurrente d’appareils professionnels et amateurs de prises de vue – appareils photographiques et caméras – dans de nombreux dispositifs filmiques qu’il a créés [3]. L’usage du terme dispositif revient à considérer le tournage comme correspondant à la mise en relation d’un lieu (une institution chez Wiseman), une durée (souvent celle d’une bobine de pellicule 16mm), des individus (devant et derrière la caméra) et des supports médiatiques (l’appareillage de ceux qui filment, mais aussi les appareils manipulés par ceux qui sont filmés) [4]. Cela correspond à un type de coprésence médiatique un peu particulier [5]. En effet, Wiseman n’intègre pas d’extraits d’œuvres cinématographiques d’autres réalisateurs ou des citations de romanciers à ses films [6], mais il donne régulièrement à voir des appareillages techniques relevant du même média (des caméras d’autres réalisateurs) et d’un autre média (des appareils photographiques).

3Dans le cadre de cet article, ce phénomène de coprésence donne lieu à une réflexion sur l’imaginaire de la technique [7]. Il ne s’agit donc pas prioritairement de s’intéresser aux représentations cinématographiques de ces appareillages prises pour elles-mêmes, mais d’interroger la conception de la technique transmise par les dispositifs filmiques proposés par ce réalisateur. Cet article explique également les raisons pour lesquelles un tel objet d’étude a longtemps été ignoré. Ainsi, avant de plonger dans la définition de cette expression et dans l’étude du corpus, il est pertinent de présenter la démarche de Wiseman en se basant sur ses déclarations publiques [8], puis de se pencher sur la perception dominante de son cinéma en menant une analyse de discours. Cela est fait en insistant sur l’expression de cinéma d’observation [Observational Cinema] dont Wiseman est considéré à son corps défendant comme étant l’un des porte-étendards.

Cadrage de l’objet étudié : les dispositifs filmiques

4Cet article a pour objet un certain nombre de dispositifs filmiques créés lors de tournages. Ce point mérite d’être souligné, car de nombreuses publications s’intéressent davantage au sujet explicite des films de Wiseman [9], soit à l’imposition des normes et au contrôle des pratiques sociales dans des institutions américaines [10] ; du pénitencier psychiatrique dans Titicut Follies en 1967 à la mairie dans City Hall en 2020, en passant par l’école, le commissariat, le tribunal, le bureau de l’aide sociale, l’université, l’abattoir, l’opéra, l’hôpital, l’armée, le théâtre, le zoo, la station de ski ou encore le grand magasin ou l’hippodrome. Wiseman explique : « mes films portent sur des institutions, la star, c’est le lieu [11] ». Mais, depuis cinquante ans, ce qui l’intéresse au-delà de ces lieux, ce sont surtout les comportements – gestes, corps, démarche, habillement, regard, paroles, ton de voix [12] – des individus qui s’y trouvent et qui interagissent entre eux. Dans un entretien récent, il dit « je fais des films sur les expériences de tous les jours » avant de préciser « comme ces expériences sont transformées par les institutions qui sont importantes pour le fonctionnement de la société américaine [13]. » Ces études insistent notamment sur la manière dont ce réalisateur est passé d’une critique implacable de ces lieux de surveillance et de punition dans les années 1960-1970 à une prise en compte de leur pouvoir émancipateur depuis la fin des années 1990 [14]. Elles soulignent aussi comment, depuis une vingtaine d’années, il place la capacité d’agir des individus au centre de ses films [15]. Une approche intermédiale pourrait porter sur ces institutions à titre de milieu intermédial, soit de lieu physique et conceptuel rendant possible des relations sociales (on reviendra sur ce point en conclusion) [16]. Il est aussi à noter que ces études portent souvent principalement sur la parole des protagonistes. La manière de filmer est alors, par défaut, considérée comme un moyen d’accéder à ce qui est dit. Le fait d’étudier les dispositifs filmiques wisemaniens est donc, en soi, un choix qui n’a rien d’évident. La décision de considérer les appareils de prise de vue dans ces dispositifs filmiques en découle. Il reste, à présent, à démontrer la valeur heuristique de cette démarche par rapport à la perception dominante de cette filmographie [17]. Avant cela, présentons la démarche de Wiseman.

La démarche de Wiseman : les tournages

5Dès son premier film en 1967, Wiseman opte pour un cinéma léger et synchrone [18]. Il s’inscrit ainsi dans les mouvements du cinéma direct (Richard Leacock, Albert Maysles, Donn Alan Pennebaker, Pierre Perrault, Michel Brault, etc.) et du cinéma-vérité (Edgar Morin, Jean Rouch, Mario Ruspoli, etc.). Comme il l’a expliqué en 1976 :

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Les innovations techniques qui ont rendu ce type de films possible n’existent que depuis environ 8 à 10 ans – la possibilité de faire fonctionner une caméra et un magnétophone de manière synchrone, sans fils entre les deux, avec un équipement porté à la main, et avec une grande mobilité, de façon à ce que vous puissiez courir et faire un film en son synchrone sur le sujet de votre choix [19].

7À ces aspects techniques, s’ajoute le choix d’une équipe la plus restreinte possible. Elle se compose d’un chef opérateur, toujours le même depuis 1986, d’un assistant [20] et de Wiseman lui-même qui occupe le rôle du preneur de son [21]. Cela lui permet de guider l’opérateur via un ensemble de gestes sans trop interférer avec ce qui se passe devant la caméra [22].

8Le processus de tournage est toujours le même. Wiseman ne souhaite pas connaître avec précision la biographie des personnes qu’il va filmer ou l’histoire administrative de l’institution qu’il va aborder. Ainsi, le temps du repérage et le temps du tournage sont quasiment confondus. Ce principe est lié à une volonté d’être le plus ouvert possible vis-à-vis du sujet. L’équipe reste alors sur place quatre à douze semaines, s’immergeant littéralement dans l’institution et filmant plusieurs dizaines d’heures de rushes [23]. Elle cherche alors à avoir accès aux différentes facettes du sujet, accordant une attention égale aux actions les plus ordinaires des employés et aux réunions où l’orientation de l’institution se décide. De manière générale, quand Wiseman et son opérateur commencent à tourner, ils ne s’arrêtent plus jusqu’à la fin de la bobine 16mm (une dizaine de minutes). Ils s’intéressent, en effet, à des discussions ou à des activités (travail, loisir, enseignement, etc.) qu’ils suivent tout au long de leur déroulement. Le réalisateur insiste régulièrement sur le fait que leur présence modifie peu les événements qu’ils enregistrent.

9Du point de vue formel, Wiseman ne souhaite pas être présent à l’image, ni que son dispositif de prise de vue soit mis en scène. Il ne cherche pas à inscrire dans le plan des indices renvoyant à l’idée de création documentaire (présence d’un micro, réflexion de la caméra dans un miroir, etc.). Enfin, avec l’expérience, Wiseman a appris à multiplier les plans de coupe, afin d’être capable de monter des séquences complexes, et ce en l’absence d’une seconde caméra.

La démarche saisie par la théorie : un cinéma d’observation

10L’interprétation dominante de son cinéma peut être reliée aux six catégories du cinéma documentaire proposées par le théoricien et critique américain Bill Nichols. Pour ce chercheur, le cinéma de Wiseman entre dans la catégorie du film documentaire d’observation [24]. Celle-ci est développée afin de distinguer les films du Direct et du cinéma-vérité d’autres types de productions documentaires. La perspective adoptée pour cela est d’ordre chronothématique. Nichols explique qu’avant le cinéma d’observation, les documentaires étaient, le plus souvent, explicatifs. Ils transmettaient une thèse clairement exposée via une voix off. Après le moment du Direct, qui court de la fin des années 1950 aux années 1970, c’est la forme du documentaire participatif qui s’impose. Dans ceux-ci l’équipe du film interagit avec les protagonistes et apparaît régulièrement à l’écran. Enfin, il oppose le cinéma d’observation aux films dits réflexifs qui mettent en scène leurs propres conditions de production et un rapport explicite à l’histoire du cinéma. Il ne s’agit pas de discuter de ce modèle. Ce qu’il s’agit d’étudier, c’est la place assignée à Wiseman dans celui-ci.

11En effet, le chercheur fait de Wiseman la figure principale du cinéma d’observation [25]. Il s’agit, selon lui, de :

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Films sans commentaire en voix off, sans musique ajoutée en postproduction et sans effet sonore, sans cartons, sans reconstitution historique, sans comportement mis en scène pour la caméra et sans même aucun entretien. […] [Dans lesquels] les acteurs sociaux échangent les uns avec les autres, tout en ignorant l’équipe du film. Souvent les personnages sont filmés à des moments particulièrement stressants ou dans des moments de crises personnelles. […] Les réalisateurs se retirent dans une sorte de position d’observateur ce qui nécessite un rôle plus actif de la part du spectateur dans l’identification du sens de ce qui est dit et fait devant la caméra [26].

13Cette définition repose sur la mise en exergue d’une sorte de dispositif du retrait [27] de la part de l’équipe du film. Dit autrement, ne faisant pas appel à l’ensemble des possibilités du cinéma documentaire, les réalisateurs adoptent une posture proche de celle d’un témoin non engagé dans l’action. Nichols ajoute, en faisant explicitement référence à Wiseman, que l’équipe du film cherche à être invisible, comme « une mouche sur un mur [28] ».

14Au-delà des textes de Nichols, ce modèle interprétatif se retrouve implicitement dans de nombreux articles consacrés à la filmographie de Wiseman. Il conduit à formuler l’idée que les dispositifs filmiques wisemaniens visent à enregistrer ce qui se passe devant la caméra de la manière la plus directe possible. Prenons deux exemples issus de textes écrits par des spécialistes reconnus. Liz Ellsworth explique que les mouvements de caméra et l’échelle des plans – principalement des plans moyens et des gros plans – reposent sur une volonté de donner à voir les protagonistes en train de s’exprimer. Cette centralité accordée au verbe renvoie aussi au fait que Wiseman prenne la place du preneur de son pendant le tournage. Le principe est que l’image suit le discours. Il serait aussi possible d’insister sur le lien entre les mouvements de caméra et les gestes des protagonistes. L’image suit donc également l’action. Elle ajoute « son équipement léger lui permet d’avoir une influence minimale sur les acteurs sociaux et il insiste sur le fait que le sens est défini autant que possible par leurs actions [29] ». Ainsi, que ce soit en lien avec le verbe ou l’action, les choix effectués lors du tournage sont guidés par le sujet filmé. Une telle idée se retrouve aussi dans un texte de Atkins à propos de Titicut Follies « La condamnation [de l’hôpital psychiatrique], bien sûr, est implicitement présente dans ce qui a été filmé et elle n’est donc pas un effet du montage ou d’une manipulation de la part du réalisateur [30]. » Dans les deux cas, qu’il soit question du tournage chez Ellsworth ou du montage chez Atkins, le réalisateur est donné à voir comme se mettant au service de l’action qu’il a filmée tel qu’elle s’est déroulée. Dans l’article « Bienvenue au pays de Wiseman ! » publié dans la revue Communications, Sarah Sekaly s’inscrit aussi dans ce modèle. Quand elle présente chacun des films, la chercheuse mobilise tour à tour le champ lexical de la description du sujet abordé et de la monstration de ce qui se passe dans le profilmique [31]. L’autrice va jusqu’à parler de « transparence de la caméra [32] ».

Vers une approche intermédiale

15Ce dernier mot – transparence ou immediacy en anglais – est un lieu commun pour les chercheurs en études intermédiales. Delphine Bénézet a notamment écrit qu’il

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correspond à un certain type de représentation visuelle qui vise à faire oublier à celui qui regarde la présence du médium (qu’il s’agisse de la toile d’un tableau, de la pellicule photographique ou cinématographique, etc.) et qui tente de lui faire croire qu’il est en présence directe des objets représentés [33].

17Au cinéma, ce terme renvoie, notamment, à l’idée qu’un appareil d’enregistrement tel qu’une caméra est surtout utilisé pour capter ce qui se passe dans l’espace social. Dit autrement, l’action filmée est première et le dispositif médiatique est second. Cette notion de transparence est souvent associée à des termes tels que ceux d’observation, de retrait, d’effacement, de témoin non engagé. Il y a là, en fait, tout un champ lexical qui correspond à celui mobilisé par Nichols et, de manière plus générale, par les chercheurs qui s’intéressent aux dispositifs filmiques mis en place par Wiseman. En études intermédiales, ce terme est régulièrement mis en relation dialectique avec celui d’opacité. Comme le note Silvestra Mariniello, « l’intermédialité insiste sur la visibilité de la technique, sur son opacité et attire l’attention sur la médiation, la matière, la différence [34]. » Au cinéma, cette notion conduit à penser qu’un appareil tel qu’une caméra donne un accès toujours déformé à la situation sociale qu’il permet d’enregistrer. Dit autrement, l’action filmée est seconde et le dispositif médiatique est premier. Plus justement, il s’agit de mettre en tension la transparence du média comme « un moyen de diffusion d’information » et l’opacité du médium comme « moyen d’expression [dont l’étude] relève des sciences de l’art et de l’esthétique [35] ». Nichols préfère lui étudier des phénomènes dits réflexifs dans lesquels l’équipe du film choisit de renvoyer à l’histoire du cinéma et de faire apparaître le caractère construit des productions étudiées. Cela peut être fait en donnant à voir des traces de la matérialité du film (rayure sur la pellicule, jeux de lumière, flou ou tremblement volontaire, etc.), des traces de la présence de l’équipe du film (perche et micro apparaissent dans le plan, par exemple), des jeux de citation d’un film dans un autre film, etc. Le modèle d’interprétation dominant conduit à exclure de l’étude la présence de telles traces ou de tels jeux dans les films de Wiseman.

18Il est désormais pertinent de comparer ce modèle interprétatif aux dispositifs filmiques produits par Wiseman entre 1967 et aujourd’hui. Il s’avère que Nichols mobilise surtout les neuf documentaires que Wiseman a réalisés entre 1967 et 1975, soit de Titicut Follies à Welfare. Il est aussi vrai que les textes d’Atkins et d’Ellsworth ont été publiés immédiatement après cette période (respectivement en 1976 et 1979). Le modèle interprétatif dominant est donc pensé en lien avec le début de la carrière de Wiseman ; le moment du Direct. Il est ensuite appliqué aux films suivants. Il est possible de faire l’hypothèse que certains films postérieurs s’éloignent de ce modèle.

Penser par cas : jeux de regards dans Zoo

19Zoo, tourné dans le Metrozoo de Miami en 1992, est pris comme cas d’étude pour tester cette hypothèse, car comme le note Maurice Darmon dans l’ouvrage Frederick Wiseman, chroniques américaines, « c’est sans doute le film où les machines de prises de vues sont les plus nombreuses et les plus variées [36] ». S’il s’agit du quatrième film de Wiseman sur une thématique animale [37], dans l’introduction de la seconde édition de Reality Fictions: The Films of Frederick Wiseman, Thomas W. Benson et Carolyn Anderson écrivent qu’il a surtout pour objet l’action de regarder. Ils proposent une typologie en trois points allant de regarder vers [looking at] et regarder dans l’autre sens [looking back] à regarder au-delà [looking behind] [38]. Le premier type de regard correspond à un ensemble de séquences consacrées aux différents paysages zoologiques et animaux qui s’y trouvent. La caméra adopte, plus ou moins, la perspective d’un spectateur lors d’une visite. Le point de vue du réalisateur est, lui, critique. Le choix du « Big Show » comme séquence d’ouverture du film est assez représentatif de cela. Cette séquence a pour objet un spectacle qui met en scène trois éléphants pris dans un numéro digne d’un cirque traditionnel. Le deuxième regard inverse la perspective. Le point de vue de la caméra adopte alors celui des animaux qui regardent les visiteurs. En effet, comme l’écrit Jean Estebanez dans un article consacré au zoo comme dispositif spatial proche du théâtre, « les spectateurs sont également des acteurs » d’une expérience sociale [39]. L’ironie, parfois mordante, de Wiseman le conduit à monter une série de plans consacrés à l’imitation d’un gorille par un homme, aux postures corporelles et aux cris des enfants, aux coiffures et aux accoutrements des visiteurs. Comme dans plusieurs de ses documentaires, l’équipe du film s’attarde aussi sur leurs visages face caméra. Enfin, le réalisateur consacre une large part de son documentaire à ce qui n’est pas visible par les visiteurs du zoo, soit à l’ensemble des actions quotidiennes du personnel du site. Entre autres choses, la castration d’un loup, le repas d’un boa, qui avale littéralement un lapin blanc, ou encore l’accouchement d’un petit rhinocéros mort-né jusqu’à son incinération sont donnés à voir. Le directeur de la Cinémathèque québécoise, Marcel Jean, explique que le film met ainsi en valeur « une sorte de zoo parallèle, créé uniquement pour assurer la subsistance du premier [40] ». Il serait possible d’ajouter qu’il donne à voir l’envers du spectacle quasi circassien sur lequel le film s’est ouvert. Wiseman réussit ainsi, non seulement un retournement du regard (du visiteur à l’animal, puis de l’animal au visiteur), mais aussi un déplacement vers ce qui reste sinon largement invisible aux yeux des visiteurs. Comme l’écrit Philippe Pilard dans l’ouvrage Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, il montre que « le zoo est un paradis en trompe-l’œil [41] ».

Remontée en généralité : regarder les dispositifs filmiques

20À ce stade de l’étude, il n’est pas question d’un médium opaque tel que défini par les études intermédiales (cf. Mariniello, citée ci-avant) ou de traces de réflexivité telles que celles étudiées par Nichols. Toutefois, il s’agit de remarquer que le sujet du film est lié à des enjeux de représentations. Le zoo est donné à voir comme étant un lieu comparable à un théâtre ou à tout autre lieu où se déroule un spectacle [42]. Ce lien proposé par Estebanez est particulièrement intéressant, car, dans les années 1990, Wiseman a consacré une série de films à des institutions culturelles telles que l’American Ballet Theater de New York (Ballet, 1995), la Comédie-Française (La Comédie-Française ou l’Amour joué, 1996), le Madison Square Garden (Garden, 2004), l’Opéra de Paris (La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, 2009), le cabaret le Crazy Horse (Crazy Horse, 2011), le musée d’art de Londres (National Gallery, 2014) et la Bibliothèque publique de New York (op. cit., 2017) [43]. La typologie – regarder vers [looking at] et regarder dans l’autre sens [looking back] à regarder au-delà [looking behind] – fonctionne dans chacun des cas puisqu’il s’agit tout à la fois de s’intéresser aux spectacles proposés et à leurs spectateurs, ainsi qu’au fonctionnement quotidien de ces institutions. De plus, un portrait croisé de l’acte de création représenté (théâtre, ballet, opéra, etc.) et de l’acte de création cinématographique se dessine. Il n’est jamais seulement question de l’un ou de l’autre. Les deux s’entremêlent assez finement pour devenir de manière quasi indiscernable, le sujet du film. L’analyse de ce changement de sujet dans la filmographie de Wiseman n’est pas placée au cœur de cette étude qui porte sur les dispositifs filmiques. En effet, rien n’indique ici la présence de dispositifs filmiques différents que ceux du cinéma d’observation.

21Toutefois, il est pertinent d’approfondir l’étude de cet intérêt pour la mise en scène de spectacles, car il est identifiable dans d’autres films. Le cas le plus évident est une séquence issue de Central Park (1989). Celle-ci porte sur le tournage de Life Without Zoe, un court-métrage de Francis Ford Coppola, qui s’intègre au film collectif New York Stories (1989). Ce cas unique dans le cinéma de Wiseman correspond bien à une mise en abyme, puisque Central Park devient pendant un peu plus de deux minutes un film ayant pour objet le tournage d’un autre film. Toutefois, le tournage de Coppola est bien différent de celui de Wiseman. Il s’agit d’une fiction en costume et, comme le note le critique Barry Keith Grant dans Voyages of Discovery: The Cinema of Frederick Wiseman, le réalisateur du Nouvel Hollywood ne se lève jamais de son siège [44]. Il est possible d’ajouter que, la plupart du temps, il regarde la scène via un moniteur portatif de retour vidéo en noir et blanc [45]. Enfin, il conclut, dans le montage sonore proposé par Wiseman, en disant, « c’est rageant d’avoir tant de possibilités et de manquer de temps pour les exploiter. On a perdu toute cette matinée. Aucune prise de vue n’est valable, c’est très frustrant [46]. » Cette combinaison d’éléments peut être interprétée comme étant une critique portée sur ce type de tournage. Grant interprète d’ailleurs plusieurs films de Wiseman comme étant explicitement des critiques de l’imaginaire véhiculé par Hollywood [47]. De manière comparable à la séquence de Central Park, dans Public Housing (1997) Wiseman a filmé le tournage du clip A Better Day du rappeur de Da Criminal [48]. L’équipe de Karen Wilson est plus légère que celle de Coppola, mais le profilmique est tout autant mis en scène. Ce qui est remarquable, dans ces deux cas, c’est que le réalisateur s’intéresse moins à l’action filmée qu’aux appareillages techniques mis en place par les équipes de réalisation. Dans le cas de Coppola, il s’agit d’un dispositif relativement complexe impliquant une grue. Dans le cas du clip de Da Criminal, la caméra et son trépied sont posés sur un chariot de traveling qui a un rail très court. La présence de ces appareillages peut être interprétée comme étant réflexive.

Penser par cas : les appareillages de prise de vue dans Zoo

22L’identification de cette trace d’opacité – la présence d’appareillages de prise de vue dans plusieurs productions de Wiseman – conduit à retourner à l’analyse de Zoo. En fait, Benson et Anderson ont complètement manqué la dimension appareillée du regard dans ce documentaire. Reprenons leur typologie en considérant cet aspect. Après l’ouverture sur le « Big Show », Wiseman a monté une séquence durant laquelle un tigre se trouvant dans son enclos est filmé. Comme dans un film animalier tourné en milieu naturel, l’équipe dispose d’une Betacam SP de Sony équipée d’un système stabilisateur Steadicam afin d’effectuer un traveling le plus fluide possible [49]. Cependant, comme le note Alice Leroy dans un article consacré à l’animal selon Wiseman, la nature est absente et il s’agit d’une « grotesque mise en scène – deux assistants se relaient en amont de l’opérateur pour disposer des bouquets d’herbes hautes devant la caméra de manière à suggérer la présence dissimulée dans une improbable savane [50] ». Cette séquence peut être interprétée comme relevant d’une volonté de mettre à distance la dimension spectaculaire du zoo. Ce qui nous intéresse ici, c’est que cela est fait en représentant un appareillage technique visant à filmer un animal. La présence au zoo d’une équipe de télévision lors d’une séance de détartrage des dents d’un gorille relève d’un geste similaire. Wiseman s’occupe moins de filmer l’animal, que de montrer la façon dont la journaliste de CBS 6 à Miami et son opérateur s’y reprennent à plusieurs reprises pour enregistrer le lancement de son sujet.

23Des dispositifs d’enregistrement sont également présents quand Wiseman retourne son regard vers les visiteurs. Ce regard appareillé est même la pratique quotidienne [ordinary experience] principale que le réalisateur représente. Au moins vingt plans donnent à voir des appareils photo, depuis un gros plan frontal sur un Olympus-35 SP à la deuxième minute du film jusqu’à une vue de profil sur boîtier avec un imposant téléobjectif posé sur trépied à la quatre-vingt-cinquième minute. De plus, une dizaine de plans donnent à voir des caméras vidéo amateurs manipulés par des visiteurs. Wiseman montre non seulement la manière dont ils prennent en photo ou filment des animaux, mais aussi la façon dont ils captent des images d’eux-mêmes. De nouveau, l’ironie grinçante du réalisateur n’est jamais loin. Elle est particulièrement féroce dans la dernière séquence du film. Lors de celle-ci, les invités d’une soirée-bénéfice sont pris en photo avec cinq perroquets ou encore dans un passe-tête au goût très discutable.

24Ces dispositifs de prise de vue sont également présents quand le réalisateur regarde au-delà du spectacle. Ainsi, pendant la dissection du corps du bébé rhinocéros mort, un membre du personnel photographie ce que Leroy propose d’appeler « l’objectivation des corps anatomisés [51] ». Mais l’absence de ces appareillages dans d’autres séquences portant sur l’arrière-scène du zoo peut aussi faire l’objet d’une interprétation. En effet, au début de l’accouchement du rhinocéros, une caméra de la chaîne de télévision locale Metro-Dade est sur les lieux. Sa présence signifie que la chaîne en question est toute prête à transformer ce moment en spectacle. Mais quand, une dizaine d’heures plus tard, la vétérinaire se livre à un bouche-à-bouche sur l’animal décédé, cette caméra n’est plus là. Les caméras sont uniquement liées au spectacle, pour ne pas dire au kitsch. Ce choix de réalisation conduit de fait à justifier le projet wisemanien puisqu’il est ainsi le seul à se pencher sur le zoo au-delà de son aspect spectaculaire.

Remontée en généralité : un imaginaire de la technique

25À ce stade de l’étude, il est donc question du caractère réflexif de ces trois documentaires (Zoo, Central Park et Public Housing). Il s’agit à présent de se demander si d’autres films de Wiseman pourraient rejoindre ce corpus. Tourné un an avant Zoo, Aspen (1991), qui porte sur cette luxueuse station du Colorado, intègre plusieurs plans sur des skieurs se prenant en photographie. Leurs appareils amateurs participent d’une mise à distance des pratiques sociales observées et ils sont mis au service du regard ironique que le réalisateur porte sur cette petite élite. Dans ses autres films, ce sont surtout des appareillages professionnels qui sont visibles. La séquence d’ouverture de Garden (2005), durant laquelle plusieurs éléphants – dont un monté par un clown – paradent de nuit, des rues de New York au parking du Madison Square Garden, peut ainsi être considérée comme une référence directe à la séquence d’ouverture de Zoo. Plusieurs appareils photo dont les flashs crépitent et des caméras professionnelles sont visibles dans le champ. De nouveau, on peut considérer que la mise en scène de ces appareils participe d’une mise à distance du spectacle proposé. La façon dont le jockey vainqueur est accueilli à même la piste de l’hippodrome par une nuée de photographes professionnels à la fin de Racetrack (1986) entre aussi dans cette catégorie ; avant le lever de la coupe, le prix qui lui est accordé est une forme de notoriété aussi éphémère que factice [52]. Le conservateur et programmateur de films au MoMa, Joshua Siegel note, lui :

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on se souvient alors des innombrables photographes et opérateurs que Wiseman filme avec ironie en train de filmer – dans Model (1980), Domestic Violence (2001), et State Legislature (2006), pour n’en citer que quelques-uns [53]

27Dans Domestic Violence, durant trente-sept minutes, la manière dont les tribunaux américains utilisent des dispositifs de visioconférence pour éviter la coprésence des accusés et victimes d’actes de violence domestique est représentée [54]. Wiseman montre les caméras qui permettent la transmission, mais aussi le juge s’adressant à un écran qui donne à voir l’accusé et la présence d’un autre moniteur auprès de la plaignante qui transmet son image. Mais le film allant le plus loin dans cette direction est certainement Model (1980). Dans ce documentaire consacré au mannequinat à New York, l’équipe du film a suivi plusieurs séances de photographies, la réalisation de clips publicitaires et un défilé. De nouveau, les appareils des photographes et les caméras des équipes engagées sur ces projets sont mis en scène tout au long du documentaire. Le sujet du film est alors très précisément la fabrication et le rôle de l’image dans l’industrie du luxe et, de manière plus générale, la place de l’imaginaire publicitaire dans la société américaine [55]. Wiseman a d’ailleurs déclaré à ce sujet, « Model est pile au centre de ce qui me concerne : il traite de la manière dont on fabrique les images [56] ». Pour ce qui est de State Legislature (2006) [57], c’est le fonctionnement d’un robot semi-autonome, l’ATRV-mini qui est présenté par un ingénieur à un membre du parlement de l’État de l’Idaho. Ce dispositif mobile équipé d’une caméra peut être guidé ou programmé depuis une interface qui permet de contrôler différentes variables et qui retransmet en direct les images captées [58]. Les deux hommes envisagent la possibilité de l’utiliser sur Mars, lors de missions de sauvetage, pour détecter des mines terrestres et ils finissent en se disant que les applications les plus prometteuses sont certainement dans le domaine militaire.

28L’identification de ces séquences pourrait conduire à une étude avant tout d’ordre esthétique d’une représentation filée de ces dispositifs de prise de vue. Sekaly propose une piste qui nous semble plus pertinente, soit celle d’une réflexion sur l’imaginaire de la technique de Wiseman. Comme l’expliquent François Jarrige et Raphaël Morera dans l’introduction d’un numéro de la revue Hypothèses portant sur Technique et imaginaire, « la réflexion sur l’imaginaire [de la technique] s’intéresse en priorité aux constructions discursives qui encadrent tout dispositif technique » non seulement dans le but de comprendre l’apparition de nouvelles machineries, mais aussi pour interpréter « des usages et des modalités d’intégration sociale de la technique [59] ». Ce sont assez précisément ces usages professionnels et amateurs de dispositifs de prise de vue et leur place dans les institutions qui sont filmés par Wiseman. Sekaly invite également à se pencher sur trois autres films :

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[la] plus simple expression [de cet imaginaire de la technique] en est l’enregistrement photographique et sa fonction d’identification : l’objectivation du sujet comme cas social (Welfare), du territoire comme zone (Sinaï Field Mission), du corps comme emblème (Model) [60]

30En effet, le sujet explicite de Welfare est le (dys)fonctionnement d’un bureau d’aide sociale aux États-Unis [61] et Sinaï Field Mission porte sur une opération de l’ONU à la frontière entre Israël et Égypte après la guerre de Kippour (1973). Dans ces films tournés durant les années 1970, un dispositif technique – la prise de vue photographique – est représenté comme étant un agent de l’action de surveillance dont l’institution est la garante. Cela fait écho au robot présenté dans State Legislature. Il ne s’agit ainsi pas seulement d’identifier des séquences portant sur des appareillages de prise de vue, mais aussi de révéler un intérêt pour des dispositifs techniques d’observation, d’objectivation et de mesure. Cette piste conduit à interpréter la manière dont Wiseman représente un abattoir industriel dans Meat (1976) et des expérimentations scientifiques sur des singes dans Primate (1974) comme étant des dispositifs de surveillance de l’ordre du panoptique [62]. L’institution devient le dispositif technique nuisible. Dans Meat, les bovins sont engraissés pendant une durée déterminée avant d’être mesurés, pesés, découpés dans une chaîne industrielle semi-automatique. Pour ce qui est de Primate, Wiseman explique que le sujet est « l’utilisation d’une technique d’observation pour observer une autre technique d’observation [63]. » En effet, les expérimentations scientifiques menées conduisent à mesurer les moindres faits et gestes des singes, mais aussi à leur implanter des puces dans le cerveau, à observer la variation de leur rythme cardiaque jusqu’à leur mort, puis à mener une autopsie des plus poussées. Le tout est constamment documenté avec un souci de précision toute scientiste qui confine à l’absurde. Ces derniers films – Sinaï Field Mission, Welfare, Primate et Meat – qui ont tous été tournés pendant les années 1970, appartiennent à la période durant laquelle Wiseman développe une critique acérée des institutions qu’il représente. Dans ce cadre, l’imaginaire de la technique est, lui aussi, très critique. Il est alors possible de parler de technophobie au sens proposé par Isabelle Krzywkowski, dans son étude de la présence de la machine à écrire dans la littérature du xixe et xxie siècle, « [d’une] angoisse éveillée par la machine industrielle, qui déshumanise, ou par les médias de l’image, qui mettent en jeu l’identité [64] ». Toutefois, l’étude de l’ensemble du corpus confirme moins cette piste qu’elle ne conduit à penser que l’imaginaire de la technique qu’il propose relève, comme l’ensemble de sa filmographie, de l’ordre de l’ironie et de la mise à distance « des usages et des modalités d’intégration sociale de la technique ». C’est cela que l’on a pu identifier lors du tournage d’un film (Central Park), de la réalisation un clip (Public Housing), de prises de photo et de vidéo amateur (Zoo et Aspen), de la conception de spots publicitaires (Model) ou encore de la démonstration d’un robot semi-automatisé (State Legislature).

La démarche de Wiseman : le montage

31L’étude des appareils de prise de vue ne se limite donc pas à l’identification d’un thème visuel récurrent ; il s’agit plutôt de rendre visible l’existence d’un rapport singulier à la technique qui renvoie à un imaginaire (une conception partagée au sein d’une société donnée). Ce constat d’une tension entre thème visuel et réflexion plus abstraite se retrouve dans un certain nombre de déclarations du réalisateur. En effet, ce dernier refuse l’assignation de ses films au cinéma d’observation justement, car il conduit à manquer cette dimension plus abstraite de son œuvre.

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Le cinéma d’observation suggère que vous n’avez qu’à lancer la caméra et à laisser l’action se dérouler en face de vous, alors qu’en fait tout ce qui figure dans un film est le résultat de milliers de choix. L’expression « cinéma d’observation » exclut l’interprétation, la sélection et la création d’une structure narrative alors même qu’il s’agit d’éléments inhérents à la conception d’un film [65].

33Ainsi, s’il revendique le fait que ses dispositifs se situent du côté du média transparent [66] en expliquant notamment, « si le film marche c’est peut-être parce qu’il y a cette sensation d’immédiateté », il ajoute juste après : « Par ailleurs, la structure du film permet de proposer un point de vue sur le matériau du film [67]. » Wiseman tient donc bien à ce mouvement de balancier entre ces deux tendances. Pour comprendre cela, il est important de se pencher un peu plus sur la manière dont il monte ses films. La présence des dispositifs filmiques dans ses films passe, en effet, comme c’est presque toujours le cas en documentaire, par leur montage.

34Cette étape dure de quelques mois à plus d’un an [68]. Au début du processus, Wiseman consulte ses rushes sans connaître la structure finale du film [69]. Il identifie des séquences qui doivent fonctionner de manière autonome, avec une accroche, un développement et une conclusion. Il porte alors une attention particulière au montage de la parole et de la bande sonore [70]. Cette étape est la plus longue. Progressivement, des thématiques plus abstraites qui vont structurer l’ensemble émergent. Plusieurs principes guident ses choix. Tout d’abord, il dit refuser systématiquement ce qui relève de l’idéologie. Il préfère partir de ce qu’il a observé sur le terrain. Ensuite, il refuse toute posture explicative ou didactique ; il souhaite laisser au spectateur une liberté d’interprétation. Cela se traduit notamment par le refus de toute voix off et tout carton explicatif au sein du film. Enfin, il s’inscrit à rebours de l’idée de neutralité et d’objectivité. Il lui faut créer une structure narrative. Cela le conduit régulièrement à dire que ses films sont plus proches de romans que de reportages ou d’actualités. Il explique

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Au risque de sembler prétentieux, je pense que le montage de mes films a quelque chose en commun avec l’écriture. […] J’ai à faire avec des enjeux similaires : l’abstraction, le passage du temps, la métaphore, la création de personnages, etc. La forme dans laquelle je travaille est différente, mais les enjeux liés à l’abstraction sont identiques [71].

36Il revendique ainsi la nécessité de penser le montage à deux niveaux [72]. Au niveau littéral, il s’agit de rendre compte d’une situation vécue en étant le plus juste (fair) possible par rapport à ce qui s’est passé. Au niveau abstrait, la séquence et/ou le film – tout en restant juste – reposent sur l’expression d’un point de vue qui doit transcender le sujet apparent. Il ne s’agit pas seulement de rendre compte, mais aussi d’avoir quelque chose à dire sur les situations et l’institution qui ont été filmées et sur la société américaine de manière plus générale. Il résume ainsi cette dimension de son travail, « un film a toujours affaire avec des idées abstraites, des questions plus métaphoriques. Ces idées sont présentées au spectateur par le biais de la structure [73]. » Nous avons montré que l’imaginaire de la technique est l’une de ces idées abstraites.

Conclusion

37C’est sur les conséquences de ce dernier constat que l’on souhaite conclure cet article. En effet, il permet de passer d’une étude des dispositifs filmiques à l’expression d’un point de vue sur le sujet explicite des films de Wiseman. Rappelons que ces derniers portent sur les pratiques quotidiennes [ordinary experience] des Américains et sur la manière dont celles-ci sont liées aux normes transmises par leurs institutions. La manière dont le réalisateur inscrit régulièrement des appareils de prise de vue dans ces institutions est à considérer comme constituant une partie du sujet des films. Ce choix est à relier avec certains enjeux de l’intermédialité, quand elle s’intéresse aux milieux. Silvestra Mariniello explique :

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[l’intermédialité] marque le passage d’une théorie de la société qui contient les médias – conception généralement établie de nos jours – à une théorie où société, socialités et médias se co-construisent et se détruisent en permanence [74].

39Il n’est pas ici question d’inférer que Wiseman a volontairement adopté une telle perspective en donnant à voir des dispositifs de prise de vue dans ses documentaires. Par contre, une approche intermédiale permet de comprendre qu’il a été attentif, depuis plusieurs dizaines d’années, aux rôles que les supports médiatiques jouent dans les milieux médiatisés que sont les institutions. Trop longtemps, une attention principalement portée sur le caractère censément transparent de ses propres prises de vue a empêché de percevoir cette dimension plus réflexive de son travail. L’intermédialité a permis de la faire apparaître dans toute sa matérialité – présence d’objets manipulés – et dans sa dimension plus abstraite – présence d’un imaginaire de la technique à la fois phobique et critique dans les années 1970, puis à partir de la décennie suivante, ironique et distancié.

40Cette présence médiatique revêt une dimension politique. L’intermédialité rend, en effet, possible de penser, dans un même mouvement, la manière dont les institutions définissent la norme et contrôlent les pratiques et les rôles des appareils de prise de vue dans ces processus. Wiseman a progressivement de plus en plus clairement porté son attention sur les usages et les modalités d’intégration sociale de la technique chez ceux qu’il filme. Plus justement, cette approche montre que ces deux objets – institutions forcément normatives et appareillages techniques – entretiennent des relations très intimes. Il est ainsi question de politique au sens où tout à la fois l’organisation de la vie de la cité et des manières d’être ensemble sont en jeu. Cela revient à poser que les institutions considérées comme des milieux, ne sont pas seulement des lieux où se trouvent des individus qui interagissent entre eux, mais aussi des endroits dans lesquels des appareils médiatiques sont manipulés. Ces derniers participent de la mise en place et du partage des normes et des pratiques dont les institutions sont les garantes. Et depuis plus de cinquante ans, c’est avec la même ironie, qu’il a mobilisée pour mettre à distance les normes et les pratiques quotidiennes, que Wiseman a aussi montré comment ces appareils participent à l’imaginaire des Américains et le transforment.

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    • Müller Jürgen E., « Vers l’intermédialité. Histoires, positions et options d’un axe de pertinence », Médiamorphoses, no 16, 2006, p. 99-110.
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    • Zéau Caroline et Olivia Cooper-Hadjian, « Le temps d’écouter », Cahiers du cinéma, no 769, Citizen Wiseman, 2020, p. 17-18.
  • Filmographie

    • Frederick Wiseman : Titicut Follies (1967), High School (1968), Law and Order (1969), Basic Training (1971), Primate (1974), Welfare (1975), Meat (1976), Sinaï Field Mission (1978), Manœuvre (1979), Model (1980), The Store (1983), Racetrack (1985), Central Park (1989), Near Death (1989), Aspen (1991), Zoo (1992), Ballet (1995), La Comédie-Française ou l’Amour joué (1996), Public Housing (1997), Belfast, Maine (1999), Domestic Violence (2001), Domestic Violence 2 (2003), Garden (2004), State Legislature (2006), La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris (2009), Boxing Gym (2010), Crazy Horse (2011), National Gallery (2014), In Jackson Heights (2015), Ex Libris : The New York Public Library (2017).
    • Francis Ford Coppola : Life Without Zoe, court-métrage intégré au collectif New York Stories (1989).

Mots-clés éditeurs : cinéma d’observation, coprésence, cinéma documentaire, intermédialité

Mise en ligne 04/10/2021

https://doi.org/10.3917/comla1.208.0135

Notes

  • [1]
    Rémy Besson, « Intermediality : Axis of Relevance », SubStance, no 44, 2015, p. 139-154.
  • [2]
    Éric Méchoulan, « Intermédialités : le temps des illusions perdues », Intermédialités, no 1, 2003, p. 9-27.
  • [3]
    Cette attention à la technique est typique des études intermédiales. Sur ce point lire Hans Ulrich Gumbrecht, « Why Intermediality – if at all ? », Intermédialités, no 2, 2003, p. 173-178.
  • [4]
    On renvoie à Mouloud Boukala, Le Dispositif cinématographique, un processus pour [re]penser l’anthropologie, Paris, Téraèdre, 2009.
  • [5]
    Sur cette notion, lire Jürgen E. Müller, « Vers l’intermédialité. Histoires, positions et options d’un axe de pertinence », Médiamorphoses, no 16, 2006, p. 99-110.
  • [6]
    Notons ici l’exception qui confirme la règle, soit une séquence de Belfast, Maine (1999) qui porte sur Moby Dick d’Herman Melville. Il y a également une référence explicite à En attendant Godot de Beckett à la fin de Welfare (1975).
  • [7]
    L’imaginaire de Wiseman est appréhendé dans sa dimension d’imaginaire utopique telle que développée par le philosophe Paul Ricœur, soit « comme [une] faculté d’irréalisation, de modification et, par-là, de remise en cause du monde social existant avec ses hiérarchies », Michaël Foessel, « Action, normes et critique. Paul Ricœur et les pouvoirs de l’imaginaire », Philosophiques, no 41, 2014, p. 251. L’imaginaire de la technique ne correspond donc pas simplement à la manière dont Wiseman donne à voir des appareillages, mais aussi au fait qu’en les donnant à voir, il fait apparaître leurs rôles et offre ainsi aux spectateurs les ferments d’une pensée critique.
  • [8]
    Cette partie est notamment basée sur le contenu des émissions de radio de France Culture, À voix nue, cinq épisodes consacrés à Frederick Wiseman diffusés entre le 16 et le 20 mai 2016 et Les Masterclasses par Antoine Guillot avec Frederick Wiseman du 28 avril 2020 [en ligne].
  • [9]
    Le numéro des Cahiers du cinéma d’octobre 2020 qui s’ouvre par un dossier consacré au réalisateur est symptomatique de cette approche. Seule Caroline Zéau s’y intéresse au « placement de la caméra, qui est souvent dans l’entre-deux : entre les médias et la personne publique, pour saisir exactement l’endroit où se fabriquent les discours et les images » (p. 18).
  • [10]
    Depuis 1996, il a réalisé trois films sur des institutions françaises et un à Londres.
  • [11]
    Il poursuit « Je ne peux donner aucune définition précise du mot institution, sinon que c’est un endroit qui existe depuis un certain temps, dont les frontières géographiques sont assez bien définies et où l’on estime que le personnel essaie de bien faire son travail. », Frederick Wiseman, « Esquisse d’une vie », in Marie-Christine de Navacelle et Joshua Siegel (dir.), Frederick Wiseman, Paris, Gallimard, 2010, p. 27.
  • [12]
    Il explique mener une « analyse comportement » lors du montage. La série de termes mobilisés est utilisée par le réalisateur, art. cit., p. 37.
  • [13]
    Benito Vila, « Frederick Wiseman: The Director who Makes the Ordinary Extraordinary », Please Kill Me: the Uncensored Oral History of Punk, 25 mars 2020 [en ligne]. Traduction de l’auteur.
  • [14]
    Sarah Sékaly, « Bienvenue au pays de Wiseman ! », Communications, no 71, 2001, p. 201-224.
  • [15]
    C’est particulièrement le cas dans Public Housing (1997), Belfast, Maine (1999), Boxing Gym (2010), In Jackson Heights (2015).
  • [16]
    Cf. l’entretien accordé par Éric Méchoulan à Elsa Tadier pour ce numéro (p. 27-48).
  • [17]
    On s’inscrit ici dans la continuité des travaux de Philippe Despoix, quand il écrit « L’hypothèse centrale pour une telle analyse est que les représentations que chaque média donne des autres (par ex. comment le cinéma met-il la télévision en fiction, inversement que devient le cinéma à la télévision ?) sont porteuses d’une valeur heuristique à expliciter », texte de présentation de la conférence, « Une heuristique de l’intermédialité ? Quelques éléments de méthode », site du Centre de Recherches Intermédiales de l’université de Montréal, 2003 [en ligne].
  • [18]
    Cette expression est une référence à Vincent Bouchard, Pour un cinéma léger et synchrone ! Invention d’un dispositif à l’Office national du film à Montréal, Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, 2012.
  • [19]
    John Graham, « There are no simple solutions. Wiseman on Film Making and Viewing », in Thomas R. Atkins (dir.), Frederick Wiseman, New York, Monarch Press, 1976, p. 35. Traduction de l’auteur.
  • [20]
    Il a notamment pour rôle de changer, le plus rapidement possible, la bobine de pellicule 16mm.
  • [21]
    Barry Keith Grant note « Since 1966, Wiseman has used a Nagra 3, 4.2, ISL, and more recently, a Fostex, his microphones are the Senneheiser 815, 416 and a Trans Radio Mic », dans « Introduction », Barry Keith Grant (dir.), Five Films by Frederick Wiseman, Berkeley (CA), University of California Press, 2006, p. 5.
  • [22]
    Thomas W. Benson et Carolyn Anderson, Reality Fictions: The Films of Frederick Wiseman, insistent sur l’importance du rôle de l’opérateur ; Grant défend, lui, l’idée qu’il n’y a pas de différence significative entre la forme des films quel que soit l’opérateur.
  • [23]
    Frederick Wiseman, « Foreword », in Barry Keith Grant (dir.), op. cit., p. XI.
  • [24]
    Cette expression a été développée dès les années 1970, notamment en lien avec l’anthropologie visuelle. Cf. Paul Henley, « Colin Young », Beyond observation, Manchester, Manchester University Press, 2020, p. 288-311.
  • [25]
    La critique de cinéma Charlotte Garson va jusqu’à parler de « l’extrême observationnisme wisemanien », citée par Catherine Blangonnet-Auer, « Introduction », IDoc, images documentaires, no 85-86, Frederick Wiseman, 2016, p. 10.
  • [26]
    « What Types of Documentary Are There? », in Bill Nichols, Introduction to documentary, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 2001, p. 110-111. Traduction de l’auteur.
  • [27]
    Cette expression est notamment utilisée par Youri Borg et Damien Sarroméjean, « Compte-rendu de Journée d’étude : Frederick Wiseman, “Ordre et résistance” », Miranda, no 15, 2017 [en ligne].
  • [28]
    L’usage de cette expression est contesté, notamment par Wiseman lui-même. Lire Campbell, Christopher, « It’s Time to Stop Calling Observational Documentaries “Fly on the Wall” », Nonfics, n.d. [en ligne].
  • [29]
    Thomas R. Atkins, Frederick Wiseman, a guide to References and Resources, Boston, G.K. Hall & Co., 1979, p. 9. Traduction de l’auteur.
  • [30]
    « Wiseman’s America: Titicut Follies to Primate », in Thomas R. Atkins (dir.), Frederick Wiseman, New York, Monarch Press, 1976, p. 5. Traduction de l’auteur.
  • [31]
    Sarah Sekaly, art. cit., p. 209-220.
  • [32]
    Ibid., p. 205.
  • [33]
    Fiche concept « Immediacy », sur le site du Centre de Recherches Intermédiales de l’université de Montréal [en ligne].
  • [34]
    Silvestra Mariniello, « L’intermédialité : un concept polymorphe », in Isabel Rio Novo et Célia Vieira (dir.), Inter Média, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 18.
  • [35]
    Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris, Armand Colin, 2016, Kobo e-pub.
  • [36]
    Frederick Wiseman, chroniques américaines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 254.
  • [37]
    Primate (1974), Meat (1976) et Racetrack (1985).
  • [38]
    Thomas W. Benson et Carolyn Anderson, « Intro to the second edition », Reality Fictions: The Films of Frederick Wiseman, Carbondale and Edwardsville, Southern Illinois University Press, 2002 (second éd.), p. XVIII.
  • [39]
    Jean Estebanez, « Le zoo comme théâtre du vivant : un dispositif spatial en action », Les Carnets du paysage, Arles/ Marseille, Actes Sud/ École Nationale Supérieure du Paysage, 2011, p. 14.
  • [40]
    Marcel Jean, 24 images, no 70, 1993/1994, p. 47.
  • [41]
    Philippe Pilard, Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, Paris, Éditions du Cerf, 2006, p. 138.
  • [42]
    Ce lien avec le théâtre n’est pas sans fondement, puisque Wiseman est aussi le metteur en scène de plusieurs pièces. De plus le réalisateur et ami de Wiseman, Errol Moris fait l’hypothèse que « ses films trouvent leurs origines dans le théâtre, peut-être le théâtre de l’absurde, plutôt que dans toute tradition cinématographique traditionnelle spécifique ». Errol Moris, « La sordide horreur de la réalité », in Marie-Christine de Navacelle et Joshua Siegel (dir.), Frederick Wiseman, Paris, Gallimard, 2010, p. 63.
  • [43]
    Central Park (1999) pourrait également être inclus dans cette liste tant le réalisateur filme ce parc comme un lieu culturel où se déroulent concerts et tournages (on reviendra sur ce second point).
  • [44]
    Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1992, p. 6.
  • [45]
    Time code 169 min 38 sec.
  • [46]
    Time code 169 min à 171 min 15. La citation est une reprise des sous-titres.
  • [47]
    Il propose un lien entre Meat et la forme du Western et entre Basic Training et Manœuvre et les films de guerre hollywoodiens.
  • [48]
    Time code 69 min. à 72 min. Le plan en question a été monté dans le clip, time code : 3 min 07 à 3 min 10. En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=_Rqv-0Myog0
  • [49]
    Une seconde partie de cette séquence montre l’équipe du film positionnée sur un véhicule tout-terrain. Time code 85 min 50 à 86 min 30.
  • [50]
    « Specimen, cobaye et viande : l’animal selon Wiseman », IDoc, images documentaires, 2015, no 84, p. 39.
  • [51]
    Alice Leroy, art. cit., p. 40. Ajoutons que pendant l’ensemble de la séquence, il est visible dans huit plans différents.
  • [52]
    Ajoutons que, toujours sur la piste, le cavalier professionnel est amené à commenter – dans les conditions du direct – la course au micro d’un journaliste de CBS qui lui montre celle-ci sur un écran.
  • [53]
    « Inconclusion », in Marie-Christine de Navacelle et Joshua Siegel (dir.), Frederick Wiseman, Paris, Gallimard, 2010, p. 16.
  • [54]
    Ces dispositifs sont, en fait, montrés dans Domestic Violence 2 (2002), la première partie étant surtout consacrée à la parole des femmes battues. Time code : 10 min 30 à 47 min 30.
  • [55]
    Deux séquences de The Store (1983) portant sur deux séances de photographies dans le kiosque du grand magasin Neiman-Marcus de Dallas abordent un sujet similaire. La photographe, l’appareil photo, l’éclairage et le fond d’image utilisé sont mis en scène pour créer un effet de mise à distance (time code : 43 min à 45 min et 91 min à 92 min).
  • [56]
    Daniel Asa Rose, « Frederick Wiseman takes his camera to the races », New York Times, 1er juin 1986. On reprend la traduction proposée par Pilard (op. cit., p. 163). Une autre option est discutée par Darmon (op. cit., p. 159-160).
  • [57]
    Time code : 41 min 30 à 44 min.
  • [58]
    La figure 1 de Curtis Nielsen, David Bruemmer, Douglas Few et Miles Walton, Mixed-initiative interactions for mobile robot search, 2007, 5 p. représente un tel robot. Cette recherche a été développée au Robotic and Human Systems Group Idaho National Laboratory.
  • [59]
    François Jarrige et Raphaël Morera, « Technique et imaginaire. Approches historiographiques », Hypothèses, no 9, 2006, p. 172.
  • [60]
    Sarah Sekaly, art. cit., p. 222.
  • [61]
    La séquence d’ouverture, qui dure moins d’une minute, montre la prise d’une photographie d’identité comme étant la première étape du cheminement dans le bureau de l’aide sociale. L’appareil photographique lui-même est placé au centre de trois plans très courts (time code : 16 sec., 28 sec. et 40 sec.).
  • [62]
    Le système complexe de grilles et de sas de sécurité actionné pour nourrir un lion dans Zoo renvoie aussi à cet imaginaire.
  • [63]
    John Graham, op. cit., p. 81. Traduction de l’auteur.
  • [64]
    Isabelle Krzywkowski, « Introduction » de Machines à écrire : Littérature et technologies du xixe au xxie siècle, Grenoble, UGA Éditions, 2010. Disponible sur Internet.
  • [65]
    David Winn, « 31st Annual News and Documentary Emmy Award Lifetime Achievement Honoree : Frederick Wiseman », site web de The National Television Academy of Arts and Aciences, 2010 [en ligne]. Traduction de l’auteur.
  • [66]
    « Pour le documentaire, la spécificité de la technique que j’utilise, c’est de placer les spectateurs au cœur l’événement. Cette technique, quand elle réussit, donne une impression d’immédiateté », Frederick Wiseman et Laetita Mikles, « Filmer la mise en scène du quotidien », L’Homme & la Société, no 142, 2001 [en ligne]. On fait l’hypothèse que le terme utilisé en anglais par Wiseman est « immediacy » qui a ici été traduit par immédiateté et que l’on traduirait dans une optique intermédiale par transparence.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Il n’est pas rare que plusieurs films soient en cours de réalisation en même temps.
  • [69]
    Il n’opte presque jamais pour un montage chronologique, préférant trouver une thématique transversale.
  • [70]
    Giovanna Chesler, « Truth in the mix: Frederick Wiseman’s construction of the observational microphone », Jump Cut: A Review of Contemporary Media Jump Cut, no 54, 2012 [en ligne].
  • [71]
    Benito Vila, art. cit. Traduction de l’auteur.
  • [72]
    Frederick Wiseman, « Le montage, une conversation à quatre voix », IDoc, images documentaires, no 17, 1994, p. 13-20.
  • [73]
    Laetitia Mikles, art. cit.
  • [74]
    Silvestra Mariniello, art. cit., 2011, p. 13.
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