Le monde change d’époque. Il s’éloigne à grands pas de la période qui, de l’an 1000 à 1945, a vu les esprits éclairés s’émanciper peu à peu des dogmes religieux, puis la production de biens par habitant décoller lentement, enfin sa croissance s’accélérer sous l’impulsion des révolutions industrielles. Cette accélération doit beaucoup à la confiance dans l’individu et sa raison, ainsi qu’à la foi dans le progrès scientifique. Les innovations ont été largement le fruit d’initiatives privées et locales. De leur côté, les nations européennes ont entendu prendre en main leur destin pour construire un avenir meilleur. Et pourtant la plupart des économistes des années 1800-1945 ne virent aucun avenir à la croissance, par indifférence ou par scepticisme. Selon eux, la loi des rendements décroissants (Ricardo), le mythe de l’état stationnaire (J. S. Mill), la dénonciation de la sous-consommation des classes ouvrières (Sismondi, les stagnationistes), une bureaucratie et une fiscalité envahissantes (Schumpeter) devaient inévitablement casser les ressorts du progrès économique.
Depuis 1945, les économistes ont placé la croissance au cœur de leurs recherches. Et les gouvernements en ont fait un sujet de préoccupation majeur au point de devenir prisonniers d’une obsession, justifiée par maints arguments : plein emploi des travailleurs, rattrapage des niveaux de vie occidentaux, aspiration quasi générale des peuples et des individus à s’enrichir, recherche de la puissance. En s’étendant aux économies émergentes, la croissance se déroule sur une scène mondiale encombrée où les nations jouent des coudes pour gagner leur place au soleil…