Notes
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À mon époque, on ne pouvait commencer à diriger une thèse qu’une fois obtenue l’Habilitation à diriger des recherches.
1Quand j’évoque mon parcours professionnel d’enseignant-chercheur à l’université, j’aime bien me référer à l’image du mille feuilles dont les différentes couches se superposent, pour faire appréhender la diversité des activités que nous devons mener de front tout au long de notre carrière et qui ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. De manière un peu artificielle, il s’agira, dans cet article, de décrire une seule des strates du mille feuilles, celle qui reflète mon activité de « directrice de thèses ». Cette dernière s’étend sur un pan de ma vie professionnelle commencé en 1991, au moment où je suis devenue professeure des universités en sciences de l’éducation à l’université Paris Nanterre, et qui s’est prolongé jusqu’en 2018, date de soutenance de la dernière thèse dont j’ai effectué le « tutorat ».
2Pendant cette période, j’ai accompagné la réalisation de vingt-deux thèses et j’ai suivi d’assez près la réalisation de six autres, soit parce que j’ai dû reprendre leur direction après un·e autre professeur·e qui n’était plus disponible, soit parce qu’étant devenue émérite en 2010, je n’avais plus la possibilité de diriger une thèse de manière officielle et que, grâce à la générosité de mon collègue Philippe Chaussecourte, j’ai pu néanmoins co-animer avec lui un séminaire groupal à l’intention de six doctorants dont j’ai pu accompagner les écrits de trois d’entre eux.
3En revisitant mes débuts de potentielle directrice de thèse (en devenant professeure il se passe en général un certain temps avant qu’une thèse que l’on dirige vienne à être soutenue [1]), j’ai découvert qu’en 1996, j’avais été incitée par mon collègue Jacky Beillerot à rédiger – dans le cadre de notre équipe de recherche nanterroise Savoir et rapport au savoir – un petit texte répondant à la question : Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne thèse ? Dans ce court écrit je notais, entre autres (je ne cirerai ici que quelques lignes pour témoigner de mes intentions au début de ce parcours) :
« Ce qui m’importe avant tout, c’est d’avoir accompagné avec succès le processus de transformation du candidat(e) doctorant(e) en “chercheur”. […] La thèse constitue dans ces cas davantage un point de départ mobilisant le désir de poursuivre la recherche plutôt qu’un point d’arrivée. […] Le processus demande du temps, de la maturation, de la prise de distance par rapport à l’objet d’étude et ne peut s’accomplir, à mes yeux, sans une élaboration continue pour le doctorant(e) de ses propres contre-attitudes de chercheur. […] L’objet final obtenu me surprend et, en tout cas, je peux me dire que “je n’aurais pas pu faire ce travail-là moi-même” ».
5Nous verrons dans la suite de l’article que ce sont des intentions qui ne m’ont pas quittée tout au long de mon parcours, sauf à remplacer l’expression « contre-attitudes de chercheur » par « mouvements contre-transférentiels du chercheur » et à ce que mes préoccupations autour de l’écriture deviennent de plus en plus prégnantes au fil du temps alors qu’elles ne figurent pas encore dans cet écrit de mes débuts.
Diriger ou accompagner ?
6Lorsque j’ai écrit en 1996 sur cette question de la thèse, je remarque que j’utilisais le verbe « accompagner » et non pas le verbe « diriger », c’est d’ailleurs ce mot que j’utilise encore le plus souvent depuis le début de cet article. À cette époque, le vocable d’« accompagnement » ne souffrait pas encore de la « surcharge sémantique » dont il souffre aujourd’hui : à force de signifier trop, il risque de ne plus rien signifier du tout. Sur ce thème, le livre de Maela Paul s’est imposé en 2004 comme un ouvrage de référence et on peut en lire un bon résumé dans un chapitre de l’ouvrage de Jean-Pierre Boutinet publié en 2007 sous l’intitulé Penser l’accompagnement adulte. Dans cet opus, on trouve plusieurs autres points de vue intéressants et, en particulier, l’introduction de J.-P. Boutinet lui-même, « L’accompagnement dans tous ses états », qui fait bien le point sur la notion.
7Dans un texte intitulé « “L’accompagnement” au long cours d’un professeur des écoles par une équipe de recherche », Louis-Marie Bossard et moi-même avons écrit que le mot accompagnement semblait très utilisé dans la mesure où il évoquait une assurance de qualité lorsqu’il était employé pour parler d’une pratique de formation, « sans doute parce que l’on entend là une démarche visant à aider la personne en formation à progresser, voire à se construire » (Blanchard-Laville et Bossard, 2015, p. 43). Nous indiquions tout de suite après que ce terme « pouvait sous-entendre des pratiques bien différentes, telles que le compagnonnage, le tutorat, le parrainage, le coaching, le conseil, etc. » (Ibid.). Pour définir ce que nous entendions par accompagnement, nous avions commencé par insister sur les fonctions que, pour nous, l’accompagnement ne remplissait pas forcément : celles de conseiller, d’expert, voire de prescripteur. Nous écrivions que nous évitions de nous situer en position de pouvoir ou de savoir et de prodiguer des conseils sur ce qu’il conviendrait de faire dans la situation où se trouvait la personne accompagnée. Nous revendiquions surtout de nous placer dans la perspective d’un accompagnement « clinique », tel qu’il est présenté dans l’ouvrage collectif Cliniques actuelles de l’accompagnement (Cifali, Théberge et Bourassa, 2010), en particulier, lorsqu’il y est souligné que le clinicien accompagnant s’engage subjectivement dans cet accompagnement mais que, pour autant, ne lui sont pas épargnés « les angoisses, les doutes, les pertes de repères, les déstabilisations, le contre-transfert » et que seule une élaboration « après coup [qui] fait partie de son éthique […] lui permet de travailler pour que sa subjectivité soit productrice de connaissance et non perturbatrice du devenir de celui ou celle qu’il accompagne » (Id., p. 179).
8En résumé, nous formulions alors que
« ce qui nous distinguait d’autres modes d’accompagnement tenait surtout au fait qu’au départ, nous n’avions pas une idée précise de ce que serait le contenu des rencontres. Mieux même, nous nous efforcions de ne pas trop anticiper, nous en remettant au dispositif que nous mettions en place pour que, d’une part, la parole de l’enseignant accompagné puisse émerger le plus facilement possible et que, d’autre part, nous soyons dans une attitude d’écoute clinique, autrement dit tendant à être sans trop d’attente mais prête à accueillir ce qui advient, l’ouverture à l’inattendu étant absolument constitutive de notre démarche »
10Pour nous cliniciens, je continue de penser qu’il est utile que nous puissions nous référer à ce travail de 2010 à propos de « l’accompagnement clinique » et qui décrit ce qui « signifie une pratique d’accompagnement dans une perspective clinique ». Les auteures y soulignent que c’est « ce qui se vit dans l’immédiat de la rencontre et, en particulier, dans la relation qui se construit à travers les actes et les paroles » de manière à « permettre l’émergence de repères communs, tant au plan des compromis consentis que des exigences posées » (Cifali, Théberge et Bourassa, 2010, p. 10).
11Dans cet ouvrage, les quatre premiers chapitres portent sur l’accompagnement de thèses et c’est la formule « accompagnement à la création d’une thèse » (Id., p. 11) qui est retenue. Un autre point y est souligné, c’est que « le temps partagé et l’expérience sensible de la rencontre installent une réciprocité, mais en même temps place un décalage, aucun tracé ne permettant de préfigurer l’issue » (Id., p. 180). Je souscris aussi à la remarque suivante :
« Il n’y a plus quelqu’un qui prend en charge, contraint, dicte à un autre ce qu’il a à faire, mais quelqu’un qui se place dans un rapport de quasi-horizontalité ; bien évidemment entre la personne accompagnée et celle qui accompagne, des différences de rôles, de postures et de savoirs sont bel et bien présentes. »
Pulsion de savoir versus pulsion de recherche
13Si j’en reviens à ma propre expérience, je constate, en comparant mes différents écrits où j’évoque le thème de l’accompagnement de thèses (1996, 2006 et 2010) que je n’ai guère évolué dans mes intentions ; j’ai seulement, du moins je l’espère, progressé dans mes capacités : ma volonté a été depuis le début de transformer en chercheurs les professionnels qui choisissaient de faire une thèse sous ma direction ; je le formulerai aujourd’hui de la manière suivante : j’ai le sentiment d’avoir été, dès le début de cette activité, dans la volonté de transmettre aux doctorants inscrits sous ma direction le désir de faire grandir leur soi de chercheur ou, à tout le moins, de convoquer leur pulsion de recherche. Je voudrais souligner ici que je fais une distinction entre pulsion de savoir et pulsion de recherche : la pulsion de recherche est pour moi antérieure à la pulsion de savoir dans le développement de la vie psychique d’un sujet, ce serait celle du bébé explorateur du monde. Comme je l’écrivais en 2013, « nous savons que, pour Freud (1905), c’est de la troisième à la cinquième année qu’on voit apparaître les débuts d’une activité provoquée par la pulsion de rechercher et de savoir » (Blanchard-Laville, 2013b, p. 150). Ainsi, pour lui,
« la pulsion de savoir ne peut pas être comptée parmi les composantes pulsionnelles élémentaires de la vie affective […] son activité correspond d’une part à la sublimation du besoin de maîtriser et, d’autre part, elle utilise comme énergie le désir de voir »
15En suivant Sophie de Mijolla qui fait une différence entre pulsion de savoir et pulsion de recherche, j’écris dans mon article du Journal de la psychanalyse de l’enfant :
« La pulsion de savoir suppose que, derrière l’énigme, il existe un objet perdu à retrouver, alors que la pulsion de recherche tendrait à admettre l’infini de la quête et inclurait le savoir préconscient que l’objet échappera à jamais. Dans le cas de la pulsion de recherche, l’enjeu et le plaisir se seraient alors déplacés sur ceux de la démarche même de recherche. »
17Dans cette ligne, pour moi, la pulsion de recherche est liée au lien C imaginé par Bion qui est présent dès l’origine de la vie et à ce qu’il appelle la transformation en O. Si je me réfère à la pensée de Diana Messina Pizzuti, quand elle pose la question « Qu’est-ce qui permet de satisfaire la curiosité et quels sont les outils psychiques à la base de l’expérience émotionnelle d’apprentissage ? », je constate qu’elle répond, en suivant Bion, que c’est
« d’une part, par l’identification projective qui permet d’évacuer le mauvais sein, le sein absent et par là même excitant et, d’autre part, l’introjection du bon sein, des bons objets internes que le nourrisson développe son activité de pensée comme “méthode ou appareil pour traiter les pensées” (Bion, 1962, p. 102) »
Pour saisir la subtile différence sur le chemin de la connaissance entre « pulsion de recherche » au sens où je l’entends et « pulsion de savoir » au sens classique, je citerai l’exemple que cette auteure psychanalyste donne dans la foulée de ses propositions en distinguant le cas où « la pulsion épistémophilique nourrit le désir de faire une analyse » et celui où faire une analyse est dicté par « le désir de savoir dans son expression manifeste » ; car, dans ce dernier cas, cela peut traduire une tentative de maîtrise intellectuelle ; or « une volonté de connaissance utilisée défensivement peut faire obstacle à la mise en place et au déroulement du processus analytique » (Id., p. 89). C’est en effet une idée chère à Bion, selon laquelle le savoir qu’on croit posséder ou qu’on cherche à posséder est déjà en partie calcifié et donc de très peu d’utilité ; seul le chemin d’un « apprendre à connaître » est source de vitalité.
20Ainsi, même si le concept de sublimation n’est pas utilisé par Bion, D. Messina Pizzuti nous propose de penser que, pour lui, la sublimation est présente d’emblée pour le bébé : Bion convoque dès le début le lien de Connaissance,
« un lien affectif aux sources de la vie psychique, comme les liens Amour et Haine (1962). Le lien C est désir de connaître, il ouvre à la réalité psychique interne et à l’altérité, à travers le sens qui se dégage de l’expérience »
22Ce qui est le plus important à retenir c’est que
« le lien C indique non un produit fini – avoir, posséder une connaissance – mais une recherche ouverte, être “sur le point de connaître”, “se préoccuper de connaître” (Bion, 1962, p. 64). Le lien a une valence positive +C lorsque la douleur et la frustration inhérentes à l’apprentissage sont tolérées et il a une valence négative –C lorsque l’envie, l’avidité et l’omniscience prédominent »
24Article dans lequel elle conclut : « la sublimation serait alors cette transformation ouverte à la connaissance, enracinée dans le lien primaire à l’objet, au fondement de la vie psychique. » (Ibid.)
Différentes périodes dans l’accompagnement
25Ainsi, pour en revenir à ce qui m’a importé par dessus tout, tout au long de ce parcours d’accompagnement à la création d’une thèse, c’est de mettre en mouvement la pulsion de recherche chez le doctorant ou la doctorante de sorte qu’il ou elle construise chemin faisant une position de chercheur·e, de chercheur·e clinicien·ne en l’occurrence, bien davantage que de le ou la faire parvenir à un objet-thèse remarquable. Ce qui ne m’a pas empêchée de soutenir en même temps des exigences assez fortes quant à la lisibilité du document produit, en pensant au jury qui aurait à le lire et à l’évaluer. Ainsi, je me suis surtout attachée à faire en sorte d’aider l’auteur·e de la thèse à rendre son texte facilement accessible, aussi bien au niveau de son écriture que dans sa construction, plutôt qu’à faire en sorte que la thèse suive une forme préétablie à laquelle elle devrait se conformer. Ce dernier énoncé est à nuancer bien entendu ; les thèses que j’ai accompagnées se conforment aux critères académiques permettant de les reconnaître recevables comme des thèses, au moment où elles sont produites, c’est-à-dire acceptables par la communauté à laquelle elles sont présentées : jurys de soutenance, Conseil national des universités et comités de sélection. Sans doute, vues de l’extérieur, ces thèses contiennent toutes des éléments qui se sont constitués au fil du temps comme des sortes de passages obligés, mais je me suis toujours appliquée à ce que chaque étudiant·e, à son rythme et à son heure, en retrouve, je pourrais même dire en découvre par lui-même ou elle-même, la forme.
26Dans chacune de mes relations d’accompagnement d’un·e doctorant·e – la plupart d’une durée de 4 ans à 7 ans, souvent 6 ans – je distingue assez nettement deux périodes : une première période d’errance, pas très facile à supporter pour certains·es d’entre eux·elles car il s’agit de tolérer de ne pas savoir où on va pendant un temps assez long, il s’agit de supporter de ne pas fermer les questions trop tôt pour ne pas circonscrire trop vite le questionnement ; c’est une période pendant laquelle la personne chemine à son rythme pour cerner son thème de recherche au travers de ses lectures et autour de ses premières questions en prenant appui sur ses élaborations personnelles accompagnées par le groupe du séminaire. S’ensuit une période plus courte, la dernière année ou les derniers six mois avant la soutenance, davantage consacrée à la réalisation concrète de l’objet-thèse et en particulier à son écriture, pendant laquelle s’intensifie le rythme des entretiens individuels avec le·la doctorant·e, pour faire avancer ses écrits intermédiaires puis son écrit final.
Tutorat groupal
27Depuis l’année 2000, je propose aux doctorants dont je dirige la thèse un séminaire groupal qui se réunit plusieurs fois dans l’année. Dans un texte publié en 2010, je fais part en détails des caractéristiques du dispositif de tutorat groupal que j’ai imaginé ; celui-ci a perduré de 2009 à 2018, années pendant lesquelles je l’ai co-animé avec Philippe Chaussecourte, même s’il a forcément sensiblement évolué du fait de la co-animation et du fait que les directions officielles de toutes les thèses étaient alors assurées par lui. On peut lire à ce propos l’entretien publié en 2018 que nous avons donné ensemble à Viviana Mancovsky.
28J’avais précédemment évoqué mes intentions prioritaires pour la conduite du travail des doctorants au sein de ce séminaire doctoral :
« En ce qui concerne l’accompagnement des jeunes chercheurs (en maîtrise, DEA ou thèse), j’utilise avant tout une sorte de tutorat de groupe au sein duquel il est possible de conduire une certaine élaboration des mouvements contre-transférentiels des étudiant/es envers leur objet de recherche et d’installer un travail coopératif pour s’approprier progressivement les exigences méthodologiques de cette démarche et aussi les exigences que j’impose quant à l’écriture pour rendre compte des investigations cliniques ; exigences qui se relient au fait que, comme l’écrit Clément Rosset (1995), “là où les mots manquent pour la dire, manque aussi la pensée” ; exigences qui me font aussi attacher une très grande importance à la question du mot “juste” et me font rejoindre encore ce texte de C. Rosset où il suggère que : “J’en reviens au ‘choix des mots’, expression par laquelle je désigne ici à la fois la décision d’écrire (inséparable, à mon sens, je le répète, du fait de penser) et l’élection des vocables, des phrases, censés ‘manifester’ cette pensée (alors qu’en réalité ils la constituent de toutes pièces). Ce dernier choix est essentiel, puisque de lui dépend non seulement la forme mais le contenu même de ce qui va se donner à lire et à penser”. D’autant que, lorsqu’il s’agit d’un travail de recherche universitaire, cette écriture devrait, à mes yeux, se présenter comme une démonstration, tout au moins un discours argumentatif rigoureux, à la fois clair dans sa progression et serré dans ses articulations, avec le paradoxe un peu difficile à soutenir que, s’agissant de la présentation des résultats de recherches cliniques, cette rigueur démonstrative doit être alliée à des capacités d’ordre littéraire ou poétique pour obtenir une écriture évocatrice qui ne rabatte pas l’épaisseur vivante du matériau analysé. »
30Ces réflexions témoignent de ce que l’écriture a pris une place importante dans la réflexion sur mon accompagnement par rapport à ce que j’en écrivais en 1996 ; je peux dire qu’elles restent pertinentes aujourd’hui pour souligner les points essentiels de ma conception de ce type d’accompagnement des doctorants.
Rencontre et résonance émotionnelle
31La réflexion que je mène maintenant que ce parcours de direction de thèses est terminé me conduit à revisiter plusieurs moments de ce processus d’accompagnement. Tout d’abord, comment débute l’aventure ? Je crois qu’il s’est agi dans chaque cas d’une rencontre ; je veux dire que, directrice et doctorant·e, nous nous sommes en quelque sorte « choisis » mutuellement, en lien avec le passage du doctorant comme étudiant dans mon université et plus précisément dans mon département de sciences de l’éducation et donc dans mes séminaires, ce qui nous a donné l’opportunité de nous y rencontrer. De mon côté, le « choix » ou plutôt l’acceptation de tenter un accompagnement de thèse m’apparaît dans l’après-coup avoir été fondé, souvent à mon insu, sur une possible mise en résonance de certaines parties de mon psychisme avec des parties psychiques du ou de la doctorant·e. Je fais l’hypothèse que, le plus souvent, la rencontre s’est appuyée en grande partie, de manière inconsciente, sur une résonance émotionnelle entre les psychismes des deux partenaires, au sens de François Duparc (2017), c’est-à-dire peut-être même située au niveau des traumatismes respectifs de leurs enfances.
32Si je me réfère à la pensée de René Roussillon, je dirai que cette rencontre et le processus de travail qui se met en place à sa suite me conduisent à toucher chez l’autre ce que cet auteur appelle le « non-approprié de l’histoire ». Dans la ligne du travail de Catherine Parat sur « L’affect partagé », R. Roussillon souligne en effet cet aspect du travail psychique qui n’est pas « simplement le fait de pouvoir apporter maintenant la réponse qui n’a pas été apportée historiquement mais de pouvoir accompagner le sujet dans son éprouvé historique de la souffrance, de ce qui n’avait pas lieu à ce moment-là » (Roussillon, 2006, p. 83). C’est ainsi qu’il définit la fonction d’accompagnement comme
« la fonction du partage de l’affect, de la souffrance, […] une fonction qui réinstalle le sujet dans des conditions qui transforment la nature de la souffrance persécutrice, harcelante qui vous boute en dehors de l’humaine société, en une souffrance qui vous qualifie ou qui qualifie une partie de votre humanité », cette fonction qui réalise ce qu’il appelle des « stratégies d’apprivoisement des sujets souffrants »
34Je dois dire que le parcours des doctorant·e·s que j’ai accompagné·e·s m’a conduite la plupart du temps au cours de l’élaboration de leur processus de recherche à approcher de ces zones de souffrance. Pour l’accompagnante que je suis, la fonction de contenance et de rêverie était pleinement à l’œuvre pour les soutenir dans ces traversées et aussi les ramener vers le processus de recherche enrichis des éléments qui avaient été approchées dans les zones psychiques traversées.
Apprentissage par l’expérience
35Mais où apprend-on ce métier nouveau de directeur ou directrice de thèse pour un·e professeur·e des universités ? Je crois pouvoir dire que, pour ma part, j’ai appris à diriger un mémoire et par la suite une thèse par l’expérience ; il me semble que c’est un peu le cas de tous les professeurs des universités : à ma connaissance, nous ne bénéficions d’aucune formation à proprement parler ; ainsi, ma manière de faire s’est construite progressivement, à partir de l’expérience que j’ai engrangée au fur et à mesure des accompagnements réalisés et en lien avec les élaborations concomitantes de ces expériences que j’ai pu effectuer tout du long. Au cours de toutes ces années pendant lesquelles j’ai été active comme potentielle directrice de thèse, j’ai accompagné dans le même temps une cinquantaine de mémoires de maîtrise, DEA et/ou Master 2. Bien entendu j’ai aussi fait partie de très nombreux jurys de soutenance de thèses et d’HDR. Toutes ces expériences m’ont fait progresser. Au passage, je remarque que je n’aime pas du tout me trouver dans la position d’évaluatrice, elle m’est très difficile à supporter, je crois que je peux être assez sévère, il me faut beaucoup négocier avec moi-même pour atténuer cet effet. La position de juré n’est pas du tout la même que celle d’accompagnant, je pourrais presque dire que, dans mon cas, ma manière de siéger dans un jury d’une thèse que je n’ai pas accompagnée est corrélée négativement avec mon investissement affectif dans l’accompagnement de celles et ceux que je dirige.
36Lorsque la rencontre entre le ou la doctorante s’est effectuée au moment du mémoire de master (ou de maîtrise ou de DESS pour les anciennes dénominations), le format plus restreint et la durée de confection plus courte par rapport à ceux d’une thèse aura permis de tester la possible entente entre les deux partenaires. Mais quand l’étudiant·e se présente pour s’inscrire en thèse en ayant réalisé son mémoire préparatoire de master avec un autre enseignant-chercheur, le contrat se noue pour moi autour de l’acceptation par l’étudiant·e de se référer à l’approche clinique de recherche avec ce qu’elle suppose d’implication subjective, d’élaborations et de recours aux théorisations psychanalytiques. On peut lire à ce propos ce qu’écrit Antoine Kattar dans une communication qu’il a effectuée au colloque Cliopsy en 2013 dans laquelle il témoigne de ce moment où il a accepté de s’engager dans une thèse sous ma direction ; il a accepté ce contrat tout en ne sachant pas vraiment à quoi il s’engageait même s’il avait participé au séminaire au sein duquel je tente de transmettre les éléments de cette approche, le séminaire dit de « Démarche clinique ». C’est du coup des deux côtés qu’est fait une sorte de pari de confiance.
37En-deçà de cet apprentissage par l’expérience du métier de directrice de thèse, si je cherche à analyser ma manière d’« accompagner » une thèse, telle que je peux la considérer aujourd’hui en revisitant mon parcours dans l’après-coup, on pourrait dire que, d’une certaine façon, j’ai pris, sans le conscientiser véritablement à l’époque, le contre-pied de la manière dont j’avais été dirigée pour ma propre thèse, à savoir sans aucun encouragement à la créativité et dans une grande solitude quant à l’écriture. Quand j’ai dû, à mon tour, accompagner des étudiant·e·s en position d’écrire un travail universitaire consistant, je peux imaginer aujourd’hui que j’ai été tenté d’adopter, en priorité, une position inverse ; j’ai voulu encourager et soutenir le développement du potentiel créatif du doctorant, tout en essayant de respecter le sujet-écrivant sans me mettre à sa place et sans écrire à sa place.
38Au-delà de mes intentions, au fil du temps, j’ai de mieux en mieux réalisé ce qui était exigé du candidat ou de la candidate qui souhaite effectuer une thèse clinique d’orientation psychanalytique. Je suis devenue de plus en plus consciente que le travail demandé à un·e doctorant·e dans cette perspective est très exigeant et très coûteux, à la fois sur un plan personnel et familial ainsi que sur le plan professionnel. C’est peut-être dans mes derniers accompagnements que j’ai réalisé davantage le défi auquel étaient confrontés les doctorant·e·s qui choisissaient de réaliser une “thèse clinique” d’orientation psychanalytique. » Un peu comme si, pendant tout un temps, je marchais d’un même pas avec les doctorant·e·s, découvrant au fur et à mesure les tenants et les aboutissants d’une thèse clinique mais que, plus mon expérience s’est accrue, plus je suis devenue consciente des moyens qu’il fallait mettre en œuvre pour parvenir à une telle création ainsi que des objectifs qu’il fallait soutenir.
39Dans le domaine de la clinique d’orientation psychanalytique, le défi à affronter pour les doctorant·e·s n’est pas facile à relever, dans la mesure où il leur est demandé de ne pas faire l’économie d’élucider sur quoi repose leur questionnement de recherche et de le désintriquer des questions personnelles avec lesquels il est forcément très emmêlé, en particulier, lorsque ce questionnement de recherche porte sur un point de leur activité professionnelle. Il leur est demandé non seulement de démêler ces fils mais aussi de comprendre suffisamment les ressorts sous-jacents à leur questionnement par des élaborations psychiques qu’ils sont conduits à mener dans le séminaire groupal d’une part et, d’autre part, en relation duelle de tutorat autour des écrits intermédiaires qu’ils produisent, pour que les analyses ainsi obtenues puissent apporter des éléments de compréhension ou d’interprétation lorsqu’ils vont interroger d’autres professionnels qu’eux-mêmes ; dans l’espoir que cette approche de ce qui est appelé dans ce champ les mouvements contre-transférentiels du chercheur soit heuristique et permette d’entendre dans les propos des professionnels étudiés ce qui n’aurait peut-être pas pu être appréhendé par une autre démarche d’investigation. Ce faisant, le risque est grand que le ou la doctorant·e se perde en chemin, dans une quête personnelle autour des énigmes de sa vie. C’est alors qu’il ou elle est ramené·e vers son questionnement de recherche pour pouvoir rendre compte dans la rédaction de la thèse à la fois du processus de découverte et des éléments liés aux élaborations qui l’ont conduit·e vers de nouvelles hypothèses ; dans la limite des éléments à ne rendre visibles dans l’écrit que si l’on peut attester qu’ils sont effectivement heuristiques pour le processus de recherche (Chaussecourte, 2017).
40Il a pu arriver d’ailleurs dans certains cas que le travail élaboratif conduisant à la restitution du processus de travail dans le corps de la thèse ait un tant soit peu pris le dessus par rapport à la présentation des résultats. Voilà l’un des risques. Un autre risque autour de l’analyse des mouvements contre-transférentiels qu’Alexandre Ployé (2020) a bien identifié, c’est celui du malentendu qui peut exister sur l’élucidation de ces mouvements contre-transférentiels. Un apprenti chercheur clinicien peut s’illusionner à ce propos. Si je suis entièrement A. Ployé dans son analyse du risque de dérive pour un chercheur débutant, d’autant qu’elle est appuyée sur son propre témoignage, je suis néanmoins plus optimiste que lui, je crois, car j’estime que cette limite que nous impose la structure de l’inconscient peut être appréhendée progressivement par le chercheur sans pour autant qu’il renonce à cette tentative d’élaboration partielle de ses mouvements psychiques induits par le processus de recherche.
41Un autre élément que j’ai vraiment réalisé au cours des derniers accompagnements, c’est qu’on peut avoir quelques bribes d’hypothèses concernant ce qui résiste pour un sujet ayant des difficultés à s’assujettir aux codes communs de la syntaxe en vigueur dans la langue pour tenter de l’aider à traverser ces résistances mais qu’on peut aussi imaginer que cette forme de résistance qui conduit un·e doctorant·e à ne pas se soumettre facilement aux impératifs de l’écriture universitaire est une expression à bas bruit de la part négative du transfert à l’égard de la personne qui l’aide dans son écriture, comme, par exemple, son directeur ou sa directrice de thèse ou tuteur·trice ; auquel cas les remédiations cognitives se révèlent impuissantes. J’ai pu remarquer que ces éléments de résistance s’inversent ou « lâchent » au moment où les doctorants eux-mêmes se mettent en position d’accompagner à leur tour des étudiant·e·s dans la réalisation d’un écrit de mémoire.
Penser seul, penser en groupe
42Ce que j’ai aussi réalisé plus avant à l’occasion de mon avant-dernier accompagnement, c’est que la doctorante avait réussi à reconstituer « du groupe » autour d’elle pour surmonter la difficulté que lui faisait vivre la réalisation solitaire de la thèse liée au fait que celle-ci s’écrit seul·e par contraste avec le tutorat groupal qui a étayé l’ensemble du parcours. Nous avons pu comprendre ensemble que si les séminaires groupaux sollicitaient bien son désir et ses capacités de rêverie sur son objet de recherche, pour autant, lorsqu’elle se retrouvait seule, comme elle l’écrit d’ailleurs dans la thèse, ses « démons » réapparaissaient et l’arrêtaient, elle si active d’ordinaire. On peut imaginer que c’est justement sa capacité à penser seule qui était attaquée dans ces moments. Si l’on suit Janine Puget, on note une différence importante entre penser seul (travail dans l’intimité de l’appareil psychique) ou penser entre deux autres (travail dans l’entre deux sujets), comme cette auteure l’écrit dans son article intitulé « Penser seul ou penser avec un autre » (2006). J. Puget fait l’hypothèse que ces deux formes du penser ne sollicitent pas chez le sujet les mêmes émotions et sentiments. Elle propose l’idée que la présence de l’autre exerce un effet d’imposition par sa présence irréductible. Et, pour elle, la plupart des sujets auraient tendance à s’opposer à cette dite interférence en essayant de la réduire à du même, avec la peur que celle-ci mette en danger ses propres croyances. Or, pour cette doctorante, on a l’impression qu’au contraire, elle acceptait – et même, elle sollicitait – cette interférence de l’autre, se trouvant ensuite un peu en peine au moment de devoir penser seule.
43Pour tenter d’éclairer cette singularité, j’ai eu recours au travail d’Ophélia Avron (2017) qui propose une vision du développement psychique se différenciant de ce qu’avait avancé Melanie Klein pour laquelle la libido est d’emblée unie à la pulsion de mort. Pour O. Avron, au niveau pulsionnel, la libido est d’emblée unie à ce qu’elle nomme la pulsion d’interliaison : il existerait une potentialité innée de se lier ou de se délier, de participer ensemble à un état de coopération instable mais donnant le sentiment puissant d’exister avec les autres. Et, pour elle, l’expérience répétée de mise en lien réciproque par des modulations de l’engagement des énergies participatives est une réalité et non un fantasme. Bien entendu, la suite du développement psychique d’un sujet et de ses avatars est corrélée à la mise en jeu des composantes extérieures de l’environnement que celui-ci va rencontrer. C’est ainsi que le fait de penser et d’élaborer en groupe dans le séminaire de tutorat groupal et ensuite d’avoir à écrire seul la thèse constitue une difficulté pour certain·e·s doctorant·e·s ; on pourrait dire que c’est le revers de la médaille des ressources trouvées dans le groupe. Cependant il me faut ici rappeler le travail de Roussillon (1999) qui lui-même s’appuie sur l’article princeps de Winnicott (1958/2015) pour évoquer l’apprentissage de la solitude en présence du groupe. Je veux souligner, comme je l’ai formulé moi-même en 2017, à la suite de ces deux auteurs, à propos des chercheurs qui travaillent au sein d’une équipe co-disciplinaire, qu’il y a sans doute un apprentissage à réaliser de la solitude du chercheur et que celui-ci passe peut-être par le fait d’avoir pu bénéficier de la participation à un groupe de chercheurs, à la condition que le travail groupal souscrive à la double équation du non-empiètement aussi bien que du non-abandon de chacun·e des participants-chercheurs du groupe.
Témoin privilégié de la métamorphose
44C’est ainsi que j’ai la sensation d’avoir constamment appris mon métier d’accompagnante au travers de chaque relation d’accompagnement et je constate que je suis conduite à remercier effectivement les doctorant·e·s dans tous les rapports que j’ai écrits pour avoir pu participer à leur évolution ; dans la plupart d’entre eux, j’écris que je ressens comme une chance d’avoir pu être un témoin privilégié tout au long des années de cet accompagnement qui se transforme assez souvent dans une relation de compagnonnage après la soutenance de la thèse.
45À propos de cette notion de « témoin », j’aimerais dire son importance pour moi depuis ma lecture du livre Comme si de rien. Témoignage et psychanalyse (2018) qui rassemble plusieurs écrits de Philippe Réfabert. Comme l’écrit son préfacier Olivier Paccoud, pour P. Réfabert, « le témoin préfigure, anticipe, au gré d’une sorte d’intuition créatrice permanente – et cependant non saturée – des potentiels rythmiques de l’autre, la capacité qu’aura plus tard l’enfant de soutenir créativement, en s’en faisant lui-même témoin, la liaison entre son “Je” et son “moi” ». Il nous faut transposer et entendre ici « position d’acccompagnatrice » de thèse et non position d’analyste et apprenti-chercheur à la place d’enfant : pour ma part, c’est bien ce que j’ai eu la sensation d’accompagner.
46En même temps, j’ai pu remarquer qu’il est assez aisé de se trouver poussée dans certaines situations d’accompagnement, en place de témoin défaillant ou en défaut d’ajustement, quand on accompagne un·e doctorant·e en particulier dans la réalisation d’une thèse clinique d’orientation psychanalytique. J’ai eu pour ma part un certain nombre d’expériences un peu plus difficiles que d’autres dans mon parcours ; j’ai rencontré un petit nombre d’étudiants·e·s que je n’ai pas su suffisamment valoriser ou soutenir pour qu’ils poursuivent et ne se découragent pas. D’autres ont préféré bifurquer dans leur orientation avant de s’engager dans cette perspective ou ont préféré remettre la thèse à plus tard ou encore ont choisi de ne pas s’inscrire en thèse car ils ne se sentaient pas de mener à bien le travail tel que je le proposais.
47Dès 2006, j’écrivais à ce propos :
« Je dois avouer que malgré la présence du cadre élaboratif groupal, cet accompagnement trouve ses points de butée pour certain/es étudiant/es ; soit que l’accompagnement se révèle trop lâche ou que les exigences que je maintiens autour de l’écriture s’avèrent trop difficiles à atteindre, ou encore que l’analyse des éléments contre-transférentiels mis en jeu les conduise vers un travail psychique qu’ils/elles ne souhaitent/peuvent pas mener. »
49La considération de ces parcours qui ont avorté ou qui n’ont pas abouti me permet d’appréhender mon manque d’expérience à certains moments des débuts de mon parcours ; je crois que ma capacité à m’occuper de doctorant·e·s en difficulté a progressé au fur et à mesure de mon expérience. Dans les derniers temps de mon activité d’accompagnement de thèses, j’avais appris à mieux travailler avec eux ou elles, à l’instar de l’analyste italien Franco De Masi qui écrit que « le travail analytique des cas difficiles doit se concentrer sur le monde interne du patient, afin de développer ses parties saines, qui prendront progressivement connaissance de la nature et des objectifs des parties malades » (2012/2015, p. 300). C’est pourquoi, pour cet auteur psychanalyste, il s’agit « de créer une relation dans laquelle on peut nourrir et enrichir la pensée du patient » (Ibid.). L’analyste doit parler à la partie saine pour mettre en lumière l’action de la partie malade, ou encore,
« l’issue thérapeutique des patients difficiles dépend également de l’aptitude de l’analyste à créer dans sa pensée une place spécifique pour l’analysant (pour son histoire, ses difficultés et ses demandes tacites de développement mental et affectif) et de la disponibilité du patient à considérer l’analyste comme un objet transformatif indispensable à sa croissance »
51Il nous faut bien entendu transposer les propos de De Masi et entendre « doctorants » à la place de patients et « partie du soi chercheur » en difficulté à la place de parties du soi patient. Je peux ainsi, pour ma part, parler d’une clinique de l’accompagnement qui s’appuie sur la capacité à me mettre en lien avec la partie créative de l’autre pour aider sa partie destructrice à enrichir cette partie dynamique du soi du chercheur.
Exigences
52Si je poursuis dans l’identification de mes convictions les plus ancrées de directrice de thèse et leurs conséquences en termes d’exigence pour les accompagné·e·s, je dirais que, pour moi, la forme est inséparable du fond. Tous mes étudiants ont été souvent surpris sinon très « agacés » quand je leur renvoyais en premier lieu, lorsqu’ils me donnaient un texte de leur crû à lire, un manque d’espaces insécables, des guillemets qui n’étaient pas les bons ou des accords de participes passés qui n’étaient pas corrects etc. Ils se disaient et quelquefois ils ont osé me le dire : « mais ce qui importe ce sont mes idées ! » Or, pour moi, il est impossible de considérer seulement les idées si elles ne sont pas écrites dans une syntaxe correcte et avec une typographie à peu près correcte aussi. Écriture et pensée vont de pair dans ma lecture.
53Par ailleurs, j’estime que l’écrit d’une thèse doit permettre à ceux et celles qui le liront de suivre le raisonnement emprunté ainsi que les bases de la conceptualisation à laquelle il est fait recours pour tenir ce raisonnement. Ainsi, une thèse constitue un écrit qui a des aspects parfois un peu « indigestes » pour un lecteur non averti, mais, étant donné la visée de capitalisation des recherches, il s’agit pour ce genre d’écrit de s’employer à acquérir cette capacité d’écriture dans laquelle, à chaque instant de la lecture, le lecteur doit pouvoir reconnaître l’énonciateur : bien sûr, il s’agit toujours de l’auteure de la thèse mais, pour chaque énoncé produit, il est utile de savoir si l’auteur·e rapporte sa propre opinion sur la question, ou s’il ou elle restitue le résultat de sa propre expérience, ou encore s’il s’agit des résultats d’une autre recherche ou des interprétations que l’auteur·e infère de l’analyse du matériel recueilli. Or j’ai pu remarquer que je suis conduite à demander assez fréquemment lors de ma lecture des textes des doctorants : « Qui parle ici ? » Cette question est récurrente tout au long de mon travail d’accompagnement de leurs écrits intermédiaires car ce point prend beaucoup de temps avant d’être acquis par eux. Je considère en effet qu’une thèse n’est pas un essai qui serait proposé à un éditeur pour « accrocher » des lecteurs potentiellement acheteurs de l’opus en librairie. Le genre d’écrit que constitue une thèse relève d’une autre catégorie : il s’agit de rendre compte des résultats d’une recherche, en montrant très clairement le chemin emprunté et les sources retenues pour que des avancées collectives ultérieures soient rendues possibles dans le domaine concerné ainsi que dans les domaines adjacents. De même, je considère que des distinctions doivent être clairement établies entre ce qu’il faut considérer comme des postulats, des hypothèses de recherche ou des hypothèses interprétatives issues de l’analyse du matériel empirique. J’estime que, selon notre approche clinique, il n’y a pas lieu de poser des hypothèses de recherche a priori que l’on chercherait à vérifier, la démarche clinique adoptée ayant avant tout à déployer son potentiel heuristique. C’est pourquoi l’auteur·e d’une thèse doit savoir différencier les écrits qu’il ou elle produit : on n’est pas obligé de renoncer à d’autres genres d’écriture si l’on a envie d’écrire dans d’autres contextes ; plusieurs des doctorantes que j’ai accompagnées écrivaient par ailleurs de la poésie, mais il est nécessaire de bien repérer les différences et de pouvoir s’y adapter.
Rapports de soutenance
54Arrivée à ce stade de mon cheminement réflexif, j’ai eu envie de revisiter un peu plus systématiquement les parties des rapports de soutenance de toutes les thèses que j’ai accompagnées, ces parties que j’ai moi-même écrites ; en général, je les écris au plus près des propos que j’ai tenus dans mon exposé lors de la soutenance de la thèse. J’ai utilisé ce corpus pour inférer ce que je peux y lire aujourd’hui de mes convictions d’accompagnante. J’ai effectué une analyse de contenu très succincte pour repérer les signifiants les plus utilisés de ma place de « directrice de la thèse » et en cherchant à identifier les singularités propres à chacune de ces relations d’accompagnement.
55Au cours de cette analyse, je constate que c’est dès le premier accompagnement que je crois avoir pris conscience que chacune des relations d’accompagnement serait éminemment singulière et constituerait chaque fois une aventure relationnelle et un pari. C’est aussi à ce moment-là que j’ai vérifié que c’était bien pour pouvoir me trouver dans une position de transmission intergénérationnelle pour les apprentis-chercheurs que j’accompagne que j’avais voulu exercer – et que j’appréciais d’exercer – la fonction de professeure des universités. Ce que j’ai pu nommer, au moment de passer mon habilitation à diriger des recherches, ma passion de la démarche de recherche, c’est bien ce que j’avais envie de transmettre à des apprentis chercheurs ou de leur faire découvrir à leur tour : son côté structurant, ses moments jubilatoires lorsque émerge provisoirement un sens nouveau, malgré les longs passages de découragement sinon de souffrance pour écrire contre la censure et contre le refoulement. Le rapport à la création, fût-elle scientifique, est singulier, intime et fragile, si bien qu’il s’agit, pour chaque doctorant, d’aider à l’éclosion d’un nouveau chercheur authentique, en dosant subtilement tantôt le crédit de confiance à lui accorder tantôt l’imposition de certaines limitations structurantes, ou encore à certains moments en lui infligeant des frustrations qui entraîneront des déceptions qu’il faudra élaborer chemin faisant. J’ai aussi réalisé qu’il s’agissait d’accompagner le·la doctorant·e dans certains remaniements psychiques, pour qu’il·elle accepte que l’objet ne puisse être atteint dans l’immédiat, c’est-à-dire pour que son envie de reconnaissance à travers l’aboutissement de la thèse subisse un long différé conduisant quelquefois à un effort artisanal de réécritures successives. J’ai compris aussi que tout un chemin était nécessaire pour que le·la doctorant·e puisse atteindre très progressivement une position où, tout en valorisant les travaux de ses aînés et ceux de son équipe d’appartenance, en se les appropriant sans inhibition et avec gratitude, il·elle s’autorise à concocter de manière personnelle une réflexion qui le ou la transcende et qui soit bien le fruit de sa propre histoire intellectuelle.
56Dans le rapport de ce premier accompagnement fondateur pour moi, je relève d’entrée de jeu ce que j’écrirai pratiquement à chaque début de rapport : « le plaisir que j’ai à me trouver dans ce jury », « le plaisir » que le ou la candidat·e soit arrivé·e à cette heure de la soutenance. S’ensuivent des remerciements à la candidate ou au candidat de m’avoir permis de réaliser cet accompagnement et en particulier l’accompagnement de sa transformation, à savoir d’avoir pu « observer de ma place, tout en essayant de les contenir, les mouvements psychiques que cette transformation lui a imposé d’assumer, de reconnaître, d’élaborer pour les transformer en productions de savoirs socialisables dans une perspective authentiquement clinique ». Enfin, intervient l’expression d’un sentiment que je retrouve quasiment dans chaque rapport de soutenance, l’admiration de ma part envers la ou le doctorant·e par rapport au travail accompli. Je signale en même temps la durée qui a été nécessaire à cette transformation maturante, ce qui va être le cas pour tous les parcours que j’ai accompagnés mais qui peut être vécu avec plus ou moins d’impatience par le·la candidat·e. Je conclus en témoignant de ma joie que la ou le doctorant·e veuille poursuivre la recherche au-delà de la réalisation de la thèse.
57Je veux souligner que je retiens de ce premier rapport l’idée que l’équipe de recherche « ait fait médiation » dans cette relation ; aujourd’hui je parlerais volontiers de « tiers » pour aider le·la doctorant·e à ne pas s’enfermer dans un transfert qui pourrait devenir aliénant envers son·sa directeur·rice de thèse. J’estime que le séminaire groupal a fait assez souvent fonction de tiers pour moi (Guillaumin, 2005) et lorsque le séminaire groupal a été co-animé, mon co-animateur, qui ne travaillait pas principalement sur les écrits du·de la doctorant·e, a aussi fait fonction de tiers dans la relation entre le·la doctorant·e et moi et sans doute réciproquement.
58Tous les signifiants que je viens de restituer figurent dans tous les rapports. En revanche, ce que je peux difficilement retranscrire ici dans la place impartie pour cet article, c’est l’intensité émotionnelle singulière qui a sous-tendu pour moi chaque relation d’accompagnement : on en trouve une trace qui s’incarne dans le récit d’anecdotes qui ont jalonné le parcours et qui témoignent de l’investissement singulier – mais intense – dans la relation d’accompagnement que j’ai développée chaque fois en résonance avec une partie de la psyché du·de la doctorant·e qui me touchait particulièrement.
Transmission de la capacité de transmettre
59J’ai tenté de montrer la forme de thèses que je suis susceptible de faire produire notamment du fait que je place l’étudiant·e-doctorant·e dans un processus où il est plus important pour moi, comme directrice de thèse, plutôt que de mettre au premier plan la fabrication de l’objet-thèse, de privilégier chez lui·elle la construction progressive d’une posture de chercheur. J’ai indiqué aussi que cela aboutissait à des thèses pas très formatées qui, la plupart du temps, restituent avant tout le processus de découverte au cœur de la démarche de recherche plutôt que la stricte présentation des résultats obtenus, mais dont l’étudiant·e a le sentiment qu’il elle est devenu·e en capacité de « soutenir sa thèse », autrement dit de se situer dans une appropriation subjective de la théorie en lien avec ses analyses du matériel, lesquelles s’appuient constamment sur ses propres élaborations et avancées psychiques ; en ce sens je considère qu’il y a une forme de transmission dont certain·e·s d’entre mes doctorant·e·s témoignent et dont je peux imaginer qu’il s’agirait de transmission de la transmission au sens de Bernard Golse (2003), « pour distinguer les processus de transmission qui se situent du côté des forces de liaison de ceux qui se situent du côté des forces de déliaison » (p. 205) et pour évoquer les processus qui permettent non pas « de transmettre ses propres contenus psychiques mais plutôt ses modalités de contenance et de transformation psychiques » (Id., p. 217) ; il s’agit là d’« une transmission de la capacité de transmettre », comme il l’écrit encore, permettant aux accompagné·e·s à leur tour, tout en trouvant leur style propre, de soutenir leur propre position d’accompagnement à la création de mémoires et de thèses pour leurs étudiant·e·s.
60Pour penser en termes de création, je crois que je m’appuie sur la conviction d’une toujours possible croissance psychique pour les sujets que j’accompagne. Comme corollaire à ce postulat, il faut ajouter que, dans cette perspective, je suis animée d’une confiance inébranlable et « naturelle » dans le fait que quelque chose peut surgir de la rencontre pour peu que j’y sois « présente ». J’y insiste, je suis habitée par la certitude d’une possible croissance psychique de l’autre ; c’est sans doute l’une des caractéristiques de base de ma position dans l’accompagnement ; en tout cas, c’est ce qu’il m’est possible de mettre en œuvre assez aisément dans ma posture relationnelle lorsque je ne suis pas personnellement et affectivement impliquée dans la relation ; autrement dit, c’est ce que je peux soutenir aujourd’hui presque naturellement dans les relations d’ordre professionnel lorsque je me dispose à me positionner dans une attitude de « soin » au sens large à l’égard de l’autre.
61Ainsi, je pense avoir évolué vers ce que je résumerai aujourd’hui par l’expression modalités transitionnelles d’accompagnement dont on peut penser qu’elles s’approchent des modalités transitionnelles de transmission (Blanchard-Laville, 2020-2021).
Fonction transformatrice de l’accompagnant·e
62Mais avant d’en venir à ce que la thèse puisse faire office d’objet transitionnel entre la directrice et le ou la doctorant·e, j’estime que l’accompagnant·e doit pouvoir investir un rôle d’objet transformationnel au sens de Christopher Bollas ; avant qu’il ne lui soit demandé vers la fin du travail de remplir une forme de fonction paternelle pour que le playing de la longue phase d’errance devienne un game et, qui plus est, un game très sérieux qui souscrive aux règles de socialisation en vigueur au moment de la soutenance.
63Pour C. Bollas, « la mère [qui n’est pas encore perçue en tant qu’objet] est vécue comme un processus de transformation, caractéristique qui demeure dans certaines formes de la quête de l’objet à l’âge adulte où […] l’objet est recherché pour sa fonction de présage de transformation » (Bollas, 1989, p. 1182). Une quête toujours active de cet objet transformationnel est décelée par C. Bollas chez l’adulte, « dans la promesse d’une métamorphose du soi » (Gauthier, 2002, p. 1685). En ce sens, pour nous accompagnants d’un·e doctorant·e, il s’agirait de pouvoir se constituer en objet transformationnel pour représenter à ses yeux l’ensemble des processus qui modifient son expérience d’apprenti-chercheur. C’est une manière de repérer la fonction transformatrice de l’accompagnant que de le considérer en tant qu’objet transformationnel, c’est l’une des activités de son psychisme qui fait partie de son contre-transfert symbolisant.
64Je constate que Sylvain Missonnier dans son dernier ouvrage consacré à la clinique des métamorphoses fait aussi usage de la notion d’objet transformationnel (2020, p. 131). C’est ainsi que, pour moi, la transformation d’un professionnel en chercheur risque bien de faire partie des nombreuses métamorphoses du soi que cet auteur identifie au cours d’un parcours de vie.
65Si on suit encore Bollas, « dans les conditions favorables, l’objet transitionnel se fait l’héritier de l’objet transformationnel » (Bollas, 1989, p. 1185) et ainsi, lorsqu’il s’agit de la réalisation de la thèse, j’estime que nous avons alors à jouer un rôle capital dans ce passage de la phase transformationnelle à la phase transitionnelle, car c’est un passage difficile à négocier. C’est ainsi à mon avis qu’on peut considérer que se construit quasiment un idiome singulier pour chaque colloque singulier d’un couple directeur·rice-doctorant·e.
66Malgré tout, il y aura toujours un risque de butée dans tous ces passages ; pour nous accompagnants, ce sont des moments importants qu’on doit considérer comme nous faisant grandir. Car ce sont des situations qui, si elles sont élaborées, aident à penser les processus qui favorisent les avancées dans ce type de relation. Je peux évoquer par exemple un moment dans une de mes relations d’accompagnement de thèse où j’ai eu le sentiment que je pouvais de moins en moins supporter les attaques aux liens que la doctorante était amenée à faire dans notre relation et que je pouvais de moins en moins accueillir, sans riposter de manière réactionnelle, les parts de transfert négatif que j’avais la sensation qu’elle projetait sur moi. Ma capacité d’accompagnement était mise à mal, mais j’ai dû néanmoins suffisamment élaborer la situation et être assez aguerrie dans mes capacités de survie, car la doctorante a soutenu sa thèse par la suite et dans de très bonnes conditions ; pendant tout un temps, je résistais assez difficilement au sentiment d’impuissance qu’elle induisait chez moi et surtout à la sensation qu’elle cherchait par des tentatives répétées à me faire passer à l’acte, c’est-à-dire à me faire lui déclarer que j’étais dans l’incapacité de l’accompagner, ce qui lui aurait permis de satisfaire ce que j’appellerais l’omnipotence de son narcissisme destructeur, à son détriment bien sûr, si on considère que finir la thèse et la soutenir constituaient un progrès pour sa vie professionnelle et sa vie tout court, ce que je faisais comme hypothèse.
67Je peux imaginer a posteriori qu’il s’agissait là de ce qu’on pourrait nommer une forme de réaction d’accompagnement négative, à l’instar de ce qu’on nomme la réaction thérapeutique négative. Dans de telles relations, c’est comme s’il était plus important pour le psychisme de l’étudiant·e de faire échouer l’accompagnement du tuteur (tutrice) que de réussir. En effet, on peut penser que cette réaction négative est en lien avec ce que Herbert Rosenfeld a travaillé sous le terme de narcissisme négatif (Hinshelwood, 2000) et que Salomon Resnik a souvent repris en termes de narcissisme destructeur (2010). H. Rosenfeld (1987/1990) suggère « l’existence d’un processus destructeur opérant à l’intérieur de la personnalité, vécu comme “mauvais”, et qui en domine les parties “bonnes” à la façon dont un gang mafieux peut contrôler toute une société ». Cet auteur introduit ainsi la notion de « narcissisme négatif pour décrire un état interne d’auto-destruction du moi » (cité par Hinshelwood, 2000, p. 404).
68Cet exemple que je viens d’évoquer m’a conduite à élaborer une nouvelle hypothèse : j’ai pensé que si l’évolution créative de l’accompagné·e est entravée lorsque l’accompagnement rencontre une position narcissique destructrice, a contrario, le succès d’une évolution créative est peut-être liée à la possibilité pour l’accompagné·e d’accepter l’émergence de l’insight et pour cela, de tolérer en lui elle un sentiment de changement catastrophique.
69En décalage avec les connotations habituelles de l’adjectif « catastrophique », la perspective bionienne associe le changement catastrophique aux idées de pensée non saturée, d’insight, de croissance psychique et de transformation en O ; au fond il nous faut associer cette notion à tout ce qui désigne un « devenir », ou un « allant devenant », une évolution. Ce qui entraîne tout de suite notre esprit vers un côté créatif et pas seulement vers un côté destructif. En effet, nous savons que, si « tout changement fait surgir une menace », « tout développement apporte dans son sillage la menace d’une catastrophe pour la psyché » (Hinshelwood, 2000, p. 249). C’est ainsi que nous
« redoutons tous l’expérience de changement et de développement qu’entraîne le travail psychique sur soi : ce sont de petites “catastrophes” pour la tranquillité d’esprit, cela réveille la crainte d’annihilation de soi (aphanisis) postulée par M. Klein au sein de la position schizo-paranoïde, sorte de perte catastrophique, crainte qui va bien au-delà de l’angoisse de castration car elle va jusqu’à la crainte d’une privation des moyens d’existence »
71Pour Bion, cette évolution est liée à la question de la transformation en O que j’ai déjà évoquée précédemment (Blanchard-Laville, 2008).
72C’est ainsi que, pour soutenir l’autre face à la peur du changement catastrophique et pour l’accompagner à supporter l’émergence de l’insight, je crois que j’utilise ma capacité négative (Blanchard-Laville, 2013a). L’usage que j’en fais repose sur le fait de pouvoir entrer en résonance avec la partie souffrante de l’autre à partir de ma propre partie souffrante, ou en tout cas d’activer les liens entre certaines parties de ma psyché avec certaines parties de la psyché de l’autre, de mettre en mouvement cette résonance émotionnelle dont j’ai parlé plus haut dans l’article. C’est assez clair pour moi dans l’accompagnement des thèses où je peux, dans chaque cas, assez bien co-identifier, souvent même avec le ou la doctorant·e, la partie de sa psyché qui est mise en jeu au niveau latent derrière sa ou (ses) question(s) de recherche et où, tout au long du processus, il s’agit pour moi de l’accompagner à entrer en contact avec cette partie psychique d’une manière dynamique, c’est-à-dire en allant vers des insights créateurs sans se laisser envahir par la peur du changement catastrophique. Pour ce qui me concerne, je peux considérer (plutôt dans l’après coup du travail) comment cette facette de sa psyché a pu convoquer dans la résonance une partie de ma propre psyché. Je crois que la capacité négative, cette capacité à rester dans le doute, à tolérer l’incertitude pendant une assez longue période est corrélée à la confiance en l’évolution possible de l’autre. Elle est d’ailleurs en écho avec la demande que je fais au doctorant d’accepter de rester un long moment dans une errance créative sans se rassurer trop vite en refermant trop tôt son questionnement et en suspendant trop tôt sa pensée.
73Pour conclure, je peux dire que ce retour sur l’une des strates du mille feuilles de mon parcours professionnel m’a permis de revisiter avec un grand intérêt la manière dont j’ai conçu et mis en œuvre mon accompagnement des doctorants tout au long de la période où j’ai été potentiellement « directrice de thèses » et ainsi de tenter de construire une forme de théorisation pour décrire ma position d’accompagnante avec ses plaisirs et ses émerveillements sans dénier les butées que j’ai pu rencontrer.
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Mots-clés éditeurs : accompagnement, modalités transitionnelles, thèse, objet transformationnel, résonance émotionnelle
Date de mise en ligne : 10/05/2021
https://doi.org/10.3917/cliop.025.0009Notes
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À mon époque, on ne pouvait commencer à diriger une thèse qu’une fois obtenue l’Habilitation à diriger des recherches.